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1. Henri, Belge, travaille à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Il
s’est marié avec une Espagnole et habite à Strasbourg. Il a reçu une offre publicitaire
d’un magasin de Kehl (RFA) à propos d'une tondeuse à gazon. Il est allé l’acheter et l’a
tout de suite essayée. Elle a explosé. Il est gravement blessé à la main. Le contrat stipule
que le droit allemand est, conformément à la Convention de Rome relative à la loi
applicable aux obligations contractuelles, applicable à toutes les suites du contrat et
notamment à toutes les questions de responsabilité en découlant. Lorsque Henri
demande réparation du préjudice subi, le vendeur lui répond qu’aucune réparation
n’est envisageable en vertu de la clause exclusive de responsabilité prévue au contrat.
Que décidera le juge français saisi du litige ?
1.
Eléments d’extranéité : Henri est belge, il travaille en France et y habite. Il a
conclu un contrat de vente avec une entreprise allemande. Le contrat a été conclu
en RFA.
2.
Blessé par la tondeuse achetée, il voudrait agir contre le vendeur en réparation
du préjudice qu’il a subi. Conformément au droit français applicable pour
qualifier le problème juridique posé ( Caraslanis, 29 juin 1955), il s’agit d’une
question de responsabilité civile. Un contrat a été conclu entre l’acheteur
(victime) et le vendeur (responsable ?), ce qui laisse penser que la responsabilité
du fait du produit pourrait être contractuelle.
3.
La loi applicable peut a priori être déterminée selon quatre sources
internationales qu’il convient d’étudier : la Convention de la Haye du 15 juin
1955 sur la vente d’objets mobiliers corporels, la Convention de La Haye du 2
octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, la
Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations
contractuelles et le Règlement CE 293/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles.
4.
La convention de Rome est entrée en vigueur le 1er avril 1991. Elle s’applique aux
contrats conclus après son entrée en vigueur jusqu’au 17 décembre 2009. En effet,
à cette date, le Règlement CE 293/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux
obligations contractuelles (v. Art. 29 du Règlement) s’y substitue (v. Art. 24 CE
593/2008).
5.
Aucune précision n’est apportée sur la date de conclusion du contrat. A priori,
l’on ne saurait donc exclure la Convention ou le Règlement. Toutefois, selon
l’article 20 de la Convention, ou selon l’article 23 du Règlement, il convient de
vérifier si un texte de droit communautaire n’a pas la priorité sur cette
Convention. L’article 23 dispose que “ A l'exception de l'article 7, le présent
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règlement n'affecte pas l'application des dispositions de droit communautaire
qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière
d'obligations contractuelles.”
6.
A notre connaissance, il n’en existe pas en matière de responsabilité civile. Le
Règlement (CE) No 864/2007 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome
II»), applicable, à partir du 11 janvier 2009, aux faits générateurs de dommages
survenus après son entrée en vigueur, soit le 20 août 2007 ne pourrait s’appliquer
que si l’on considérait que la situation n’est pas contractuelle (v. Art. 5).
7.
En toute hypothèse, quel que soit le texte applicable, il convient de tenir compte
des conventions internationales en vertu de l’article 21 de la Convention de
Rome prévoit (“Relations avec d'autres Conventions”) selon lequel “La présente
Convention ne porte pas atteinte à l'application des Conventions internationales
auxquelles un État contractant est ou sera partie” ou de l’article 28 § 1 du R. CE
864/2007 qui dispose que : “Le présent règlement n’affecte pas l’application des
conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors
de l’adoption du présent règlement et qui règlent les conflits de lois en matière
d’obligations non contractuelles.”
8.
Il faut donc s’interroger sur l’éventuelle application de la Convention du 15 juin
1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers
corporels et sur la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 relative à la
responsabilité du fait des produits.
9.
La première est entrée en vigueur en France le 1er septembre 1963.
Selon son article 1er al. 1, elle est “ applicable aux ventes à caractère international
d'objets mobiliers corporels”. Tel est bien le cas en l’espèce. Il s’agit d’une vente de
tondeuse, qui constitue bien un meuble corporel. La suite de l’article 1 ne remet
pas en cause cette solution. La Convention est bien applicable aux questions de
responsabilité contractuelle.
10.
La Convention de 1973 est applicable depuis le 1er octobre 1977 en France. Selon
son article premier : “ La présente Convention détermine la loi applicable à la
responsabilité des fabricants et autres personnes visées à l'article 3 pour les dommages
causés par un produit, y compris les dommages résultant d'une description inexacte du
produit ou de l'absence d'indication adéquate concernant ses qualités, ses caractères
spécifiques ou son mode d'emploi.”
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11.
Il s’agit bien ici de la responsabilité du fabricant pour un dommage causé par un
produit.
12.
Mais l’article 1 al. 2 de la convention de 1973 dispose que “Lorsque la propriété
ou la jouissance du produit a été transférée à la personne lésée par celle dont la
responsabilité est invoquée, la Convention ne s'applique pas dans leurs rapports
respectifs.”
13.
Deux conventions internationales pourraient donc éventuellement être
appliquées, la Convention de la Haye de 1955 et celle de 1973.
14.
L’article 1 al. 2 de la convention de 1973 dispose que “Lorsque la propriété ou la
jouissance du produit a été transférée à la personne lésée par celle dont la
responsabilité est invoquée, la Convention ne s'applique pas dans leurs rapports
respectifs.”
15.
On pourrait donc considérer sur la base de cet article que cette Convention est
exclue. La cour de cassation a jugé qu’il n’y a pas à distinguer selon que la
responsabilité est de nature délictuelle ou contractuelle (Civ. 1re, 7 mars 2000, rev.
Crit. DIP, note Lagarde). Mais cela a été jugé dans un cas où il n’y avait pas de
lien direct entre la personne lésée et le fabricant. D’un autre côté, il convient de
remarquer que la Convention de 1955 prévoit dans son article 5 4) la Convention
ne s’applique pas aux effets de la vente à l’égard de toutes personnes autres que
les parties.
16.
Il convient donc de considérer que la Convention de 1973 n’est pas applicable en
l’espèce. En application de l’article 2 de la Convention de 1955 “la vente est régie
par la loi interne du pays désigné par les parties contractantes”, ce qui devrait
conduire à l’application de la loi allemande sauf réserve de l’ordre public (art.6).
17.
Mais les parties ont désigné non seulement la loi applicable mais également la
règle de conflit. En effet, elles ont appliqué la loi allemande en vertu de la
Convention de Rome. Cette désignation est-elle possible ?
18.
Elle peut se fonder sur l'article 12, alinéa 3 (ou 4) du nouveau code de procédure
civile, selon lequel « (le juge) ne peut changer la dénomination ou le fondement
juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont
elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droits
auxquels elles entendent limiter le débat ».
19.
La majorité de la doctrine se prononce en faveur de cette solution ( v. Revue
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critique de droit international privé 1993 p. 461, note de M. Réméry sous Com.
4 oct. 1989, bull. Civ. I,n° 304), tout en limitant cette solution aux conventions qui
ne sont pas d’ordre public. Tel est bien le cas de la Convention de La Haye de
1955. En revanche, il y a lieu de s’interroger sur le choix de la Convention de
Rome aux lieux et places du Règlement 593/2008. En l’espèce, s’il nous semble
difficile d’écarter le Règlement communautaire, aucune date n’est donnée de
sorte que l’on ne saurait négliger l’application de la Convention de Rome.
20.
Il convient en conséquence de rechercher si cette convention autorise le choix de
la loi applicable. Tel est bien le cas en vertu de l’article 3. Mais cette convention
contient en son article 5 des dispositions spécifiques applicables aux
consommateurs. Selon son premier paragraphe : “ Le présent article s’applique aux
contrats ayant pour objet la fourniture d’objets mobiliers corporels ou de services à une
personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son
activité professionnelle, ainsi qu’aux contrats destinés au financement d’une telle
fourniture.” Tel est bien le cas en l’espèce, puisque l’acheteur est consommateur
tandis que le vendeur est professionnel et que l’usage est étranger à l’activité
professionnelle de l’acheteur.
21.
Selon le 2d §, “Nonobstant les dispositions de l’article 3, le choix par les parties de la
loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que
lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence
habituelle: — si la conclusion du contrat a été précédée dans ce pays d’une proposition
spécialement faite ou d’une publicité, et si le consommateur a accompli dans ce pays les
actes nécessaires à la conclusion du contrat ou — si le cocontractant du consommateur
ou son représentant a reçu la commande du consommateur dans ce pays ou— si le
contrat est une vente de marchandises et que le consommateur se soit rendu de ce pays
dans un pays étranger et y ait passé la commande, à la condition que le voyage ait été
organisé par le vendeur dans le but d’inciter le consommateur à conclure une vente.”
22.
L’acheteur a bien reçu de la publicité en France envoyée par le vendeur allemand
et s’est rendu en RFA pour acheter la tondeuse. En conséquence, les dispositions
impératives de la loi française, applicable à titre dérogatoire en tant que loi de la
résidence habituelle du consommateur (l’acheteur réside à Strasbourg) doivent
être examinées.
23.
Si la loi allemande s’applique bien à la responsabilité contractuelle en vertu de
l’article 10 c), les clauses exclusives de responsabilité sont réglementées en droit
français. En vertu de l’article R. 132-1 du code de la consommation pris en
application de l’article L. 132-1: “ Dans les contrats conclus entre des professionnels
et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées
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abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l'article L. 132-1
et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de 6° Supprimer ou
réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le
consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses
obligations ;”
24.
En conséquence, on ne saurait en l’espèce considérer que le professionnel n’est
pas tenu à réparation. Reste à déterminer la réparation du préjudice subi par
l’acheteur selon le droit allemand.
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