5 - les vices du consentement (3)

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5 - les vices du consentement (3)
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Fiche à jour au 29 novembre 2011
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Matière : Droit des obligations
Auteur : Jézabel JANNOT
SEEAANNCCEE NN° 5 - LES VICES DU
CONSENTEMENT (3) : LLAA VVIIO
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I. LA NOTION DE VIOLENCE
3 A. PAYSAGE TRADITIONNEL
3 Civ.1ère, 13 janvier 1999
3 Com., 28 mai 1991
4 B. PAYSAGE MODERNE
5 ère
Civ.1 , 30 mai 2000
5 CA Paris, 12 janvier 2000
6 ème
Civ. 3
II. , 3 avril 2002
CARACTERES DE LA VIOLENCE
10 11 A. ILLEGITIMITE DE LA VIOLENCE
11 B. LE CARACTERE DETERMINANT DE LA VIOLENCE
11 III. REGIME ET SANCTION DE LA VIOLENCE
Date de création du document : année universitaire 2010/2011
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12 2
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04/01/2012 - 2:46
Les 2vices du consentement, la violence.doc
2/12
3
I.
La notion de violence
« Plus encore que la fourberie, notre droit réprouve la violence qui s’exerce
à l’encontre d’un contractant »1.
« La violence est une contrainte exercée sur la volonté d'une personne
pour l'amener à donner son consentement. C'est la crainte qu'elle inspire
qui vicie le consentement »2.
Ce vice du consentement, envisagé par les articles 1111 et suivants du
Code civil, s’avère être peu fréquemment rencontré en pratique,
notamment en raison du caractère inhabituel, en matière contractuelle, de
tels comportements.
A. Paysage traditionnel
Il peut s'agir, comme l’illustre l’arrêt du 13 janvier 1999, ci-après
reproduit, d'une violence physique exercée sur une personne pour la
forcer à conclure un contrat, agissements qui peuvent par ailleurs être
sanctionnés pénalement ; sachant, en outre, qu’il est possible pour les
juges de se fonder sur des éléments d’appréciation postérieurs à la date
de formation du contrat. Ceci étant, il est permis de se demander si la
violence physique correspond véritablement à un vice du consentement.
En effet pourrait-on considérer que, dans une telle hypothèse, il n'y a pas
tant un consentement vicié qu’une absence de consentement.
Le plus souvent, le vice de violence aura une texture morale, c'est-à-dire
tissée de pressions psychologiques, de menaces..., exercées sur une
personne pour la pousser à contracter. Si les illustrations sont rares,
l’arrêt du 28 mai 1991 en est l’une d’elles.
Civ.1ère, 13 janvier 1999
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mai 1996), que, suivant un acte du 8 janvier
1980, Mme X... a vendu une propriété à la société Jojema ; que, par acte du 7
mai 1991, Mme X... a assigné la société Jojema en annulation de la vente pour
violence morale ;
Attendu que la société Jojema fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande alors,
selon le moyen, d'une part, que les juges ne peuvent prononcer la nullité d'une
convention sur le fondement des articles 1111 et suivants du Code civil qu'après
avoir recherché si la violence qu'ils retiennent présente bien un caractère
déterminant pour le consentement de la prétendue victime, la seule constatation
de cette violence étant en elle-même insuffisante ; qu'en la cause, les juges du
1
2
Droit civil, les obligations, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Dalloz 8e éd. 2002, n° 242.
Traité de Droit civil, Les obligations, le contrat : formation, par J. Ghestin, LGDJ 2° éd. 1988, n°443.
4
fond se sont bornés à affirmer que Mme X... avait subi des violences physiques et
morales sans préciser, comme ils y étaient invités par la société Jojema, en quoi
la violence prétendument exercée avait déterminé le consentement de
l'appelante à vendre le bien objet du litige ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel
a privé sa décision de base légale au regard des articles 1111 et suivants du Code
civil, d'autre part, que les actes argués de violence doivent être antérieurs ou
concomitants à l'expression du consentement, qu'en se déterminant au seul regard
d'éléments sporadiques, vagues et très espacés dans le temps (de 1972 à 1987),
ou précis mais postérieurs (avril-mai 1980, 1982, 1985 et 1986) à la vente
survenue le 8 janvier 1980, la cour d'appel n'a pas établi de lien temporel
direct entre les pratiques relevées et l'expression du consentement, violant ainsi
les articles visés au précédent grief ;
Mais attendu qu'ayant souverainement retenu que Mme X... avait subi, de la part
des membres de la communauté animée par Roger Melchior, depuis 1972 et
jusqu'en novembre 1987, date de son départ, des violences physiques et
morales de nature à faire impression sur une personne raisonnable et à inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et
présent, alors que séparée de son époux et ayant à charge ses enfants, elle était
vulnérable et que ces violences l'avaient conduite à conclure l'acte de vente de sa
maison en faveur de la société Jojema afin que les membres de la communauté
fussent hébergés dans cet immeuble, la cour d'appel, qui pouvait se fonder sur
des éléments d'appréciation postérieurs à la date de formation du contrat, a
légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
Com., 28 mai 1991
Texte intégral :
LA COUR : - Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Amiens, 19
mai 1989), qu'après que le règlement judiciaire de la SA Tassier et Fils (Sté
Tassier) eut été prononcé le 26 avr. 1978, M. Tassier, qui était le président du
conseil d'administration, et Mme Tassier ont signé, le 2 juin 1978, un acte
par lequel ils se portaient cautions solidaires de la société « à raison des
risques susceptibles d'être encourus par la reprise d'une exploitation directe
du fonds d'entreprise de travaux publics » ; que cette exploitation directe a
été autorisée par le tribunal ; qu'ultérieurement, le règlement judiciaire a été
converti en liquidation des biens ; que M.Ferrand en sa qualité de syndic, a
assigné M. et Mme Tassier, en leur qualité de caution, et a demandé leur
condamnation au paiement d'une somme à titre provisionnel ;
Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses trois branches, en
ce qu'ils sont présentés par M. Tassier, réunis : (sans intérêt ) ;
Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il est
présenté par Mme Tassier : Vu l'art. 1111 c. civ. - Attendu que, pour décider
que Mme Tassier s'était portée caution solidaire en connaissance de cause et
sans y être contrainte, la cour d'appel a retenu que, ni son état de santé, ni les
affirmations, répétées verbalement et par écrit, des élus locaux, du syndic et
du président du tribunal de commerce relatives au défaut de validité du
changement de régime matrimonial précédemment homologué par le tribunal
de grande instance, n'avaient pu l'empêcher, en raison de la possibilité qu'elle
avait eue de consulter des personnes compétentes, de signer l'acte de
cautionnement en connaissance de cause et sans y être contrainte ; - Attendu
qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de l'ensemble des circonstances
constatées par l'arrêt que Mme Tassier, qui avait d'abord refusé de signer
l'acte, pour finir par s'y résoudre, n'avait contracté le cautionnement litigieux
que sous l'empire d'une violence morale, la cour d'appel n'a pas tiré les
conséquences légales de ses constatations ;
5
Par ces motifs, casse, [...] renvoie devant la cour d'appel de Reims.
B. Paysage moderne
Le vice de violence se rencontre rarement, certes. Mais la rareté ne
s’épuise pas dans l’immobilisme. Le paysage jurisprudentiel, si l’on
observe sa couleur à sa dernière saison, semble avoir été couvert d’un
nouveau vernis : il est permis d’observer dans un arrêt du 30 mai 2000
(cf. infra) un élargissement, par la Cour de cassation, de l’horizon du
champ d'action du vice de violence en incluant dans sa sphère la
contrainte économique et en admettant une possible annulation du
contrat sur ce fondement. Ceci étant, la Cour de cassation a ensuite, sur
ce même terrain, rendu une décision qui vient sérieusement canaliser la
brèche qu’elle venait ainsi d’ouvrir: tandis que dans l’arrêt du 30 mai
2000 elle avait considéré que la seule allégation d’une situation
financière précaire permettait au demandeur de bénéficier de la
contrainte économique, la Haute juridiction décide finalement, dans un
arrêt du 3 avril 2002 (cf. infra), que la contrainte économique n'entraîne
pas ipso facto la nullité du contrat - il faut démontrer, pour cela, que le
cocontractant a exploité une situation de faiblesse, voire de détresse,
économique et que cet abus a été déterminant du consentement
(cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 janvier 2000,
dans lequel les juges du fond avaient considéré que la crainte, pour la
salariée, de perdre son emploi, rendait celle-ci recevable à agir en nullité
d’un contrat de cession de droits d’auteur conclu à un moment où il était
question de plan social - cf. infra).
Civ.1ère, 30 mai 2000
LA COUR-(...)
• Attendu que M. Deparis, assuré par les Assurances mutuelles de France «
Groupe Azur » (le Groupe Azur), a été victime d'un incendie survenu le 15
janvier 1991 dans le garage qu'il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a
signé un accord sur la proposition de l'expert pour fixer les dommages à la
somme de 667 382 F, dont, en premier règlement 513 233 F, et en règlement
différé 154149 F ;
Sur le premier moyen, tel qu'il est énoncé au mémoire en demande et
reproduit en annexe :
(...)
Mais, sur le deuxième moyen:
• Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l'article 12 du
Nouveau Code de procédure civile ;
• Attendu que, pour rejeter la demande d'annulation de l'acte du 10 septembre
1991, l'arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour
cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. Deparis ne saurait
entraîner la nullité de l'accord;
6
• Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être
attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique
se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d'appel a violé les textes
susvisés ;
Et, sur le troisième moyen : (…)
Par ces motifs:
• Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 mars 1998,
entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la
cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour
être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens (...).
MM. Lemontey, prés., Renaud-Payen, cons.-rapp., Sainte-Rosé, av. gén. ;
Me Blanc, SCP Parmentier et Didier, av.
CA Paris, 12 janvier 2000
Texte intégral :
Faits et procédures : Claude Kannas a été salariée de la société Larousse
jusqu'au 5 février 1996, date de son licenciement du poste de Directeur du
Département Langue Française. Elle expose avoir réalisé à partir de l'année
1980, hors de son temps de travail, un dictionnaire intitulé « MINIDEBUTANTS » dont elle a présenté à son employeur, le concept, la
nomenclature, la maquette ainsi que la totalité de son manuscrit. La société
Larousse ayant accepté de publier ce dictionnaire, un contrat daté du 21 juin
1984 a été conclu aux termes duquel les parties convenaient ce qui suit : «
Mme Kannas, rédactrice salariée de la Librairie Larousse, a été chargée de
mettre au point la conception du texte d'un dictionnaire intitulé
provisoirement le Mini-débutant et d'en assurer la direction. Ce travail est
effectué dans le cadre de son contrat de travail. En conséquence, elle
reconnaît que tous les droits d'exploitation de l'ouvrage appartiennent à la
Librairie Larousse, pour toutes éditions et adaptations en tous pays, et ce
sans limitation de durée. Toutefois, afin de tenir compte du travail
supplémentaire qui a été fourni par Mme Kannas dans la mise au point du
projet, il lui est réglé une somme forfaitaire et définitive de 30 000 F à la
signature du présent accord ». Elle ajoute avoir conçu et dirigé un autre
dictionnaire intitulé « Supermajor » qui, édité par la société Larousse en
1994, n'a fait l'objet d'aucun contrat d'édition. Par acte du 17 mars 1997,
Claude Kannas a assigné la société Larousse-Bordas venant aux droits de la
société Larousse devant le Tribunal de grande instance de Paris et par
conclusions signifiées le 3 juillet 1998 a demandé de : 1° Sur l'ouvrage «
MINI-DEBUTANTS », à titre principal : - dire que son consentement au
contrat du 21 juin 1984 a été vicié par violence qui n'a cessé que le jour de
licenciement ; que l'action n'est donc pas prescrite, - annuler pour ce motif le
contrat sus-visé, - interdire sous astreinte aux éditions Larousse-Bordas de
poursuivre l'exploitation de l'ouvrage, - condamner les éditions LarousseBordas à lui payer la somme de 500 000 francs à titre de dommages et
intérêts, - dire qu'elle a été privée de la rémunération proportionnelle à
laquelle elle avait droit, - juger que cette rémunération doit s'établir à 8 %
jusqu'à 100 000 exemplaires, puis 6 % au-delà, - désigner un expert qui sera
chargé de déterminer le nombre d'ouvrages vendus, tant en France qu'à
l'étranger, y compris les adaptations et de faire le compte entre les parties et
lui allouer une provision de 6 000 000 francs à valoir sur ses droits d'auteur,
A titre subsidiaire, - dire que la convention datée du 21 juin 1984 est nulle de
nullité absolue pour non-respect des dispositions de l'article L. 131-3 du code
de la propriété intellectuelle, que l'action en nullité fondée sur cet article est
imprescriptible dès lors que la transmission des droits d'auteur est liée à la
jouissance des droits de propriété incorporelle, - juger que si l'action en
7
nullité fondée sur l'article L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle se
prescrit par cinq ans, l'éditeur a l'obligation de se conformer à l'avenir à ce
conformer à ces prescriptions, - juger que la convention est nulle par
application des dispositions de l'article L. 121-1 du code de la propriété
intellectuelle pour avoir organisé des clauses abdicatives du droit moral, ordonner en conséquence, les mêmes mesures d'interdiction et de réparation
que celles sollicitées à titre principal, [...].
Par jugement du 22 janvier 1999, le tribunal a déclaré irrecevables comme
prescrites les demandes de Claude Kannas fondées sur le droit d'auteur sur
l'ouvrage « MINI-DEBUTANTS », l'a déboutée de l'ensemble de ses
demandes et l'a condamnée à payer à la société Larousse-Bordas la somme
de 20 000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de
procédure civile.
LA COUR : [...] - 1) Sur l'ouvrage MINI-DEBUTANTS : - A - Sur la
demande d'annulation du contrat de cession de droits d'auteur du 21 juin
1984 : - Considérant que Claude Kannas, sur le fondement des dispositions
de l'article 1112 du code civil, sollicite, à titre principal, l'annulation du
contrat qu'elle a conclu le 21 juin 1984 au motif que son consentement, au
moment de sa signature, a été vicié, les menaces de licenciements évoqués
dans le courant de l'année 1983 dans l'entreprise lui ayant fait craindre qu'elle
pouvait être congédiée si elle ne se conformait pas à la volonté de la société
des Editions Larousse ; que pour contester l'intégralité des termes contenus
dans la convention sus-visée, et notamment ceux qui mentionnent que le
travail qu'elle a produit a été fourni dans le cadre de ses fonctions de salariée
et que tous les droits d'exploitation de l'ouvrage appartiennent à la Librairie
Larousse, Claude Kannas demande à la cour de comparer, d'une part sa
situation de rédactrice salariée en 1981, affectée à plein temps depuis un an à
l'élaboration du grand Dictionnaire Larousse Encyclopédique et le contrat
d'édition qu'elle a signé le 9 novembre 1981 en qualité d'auteur indépendant
chargé de la rédaction d'un ouvrage intitulé provisoirement « Larousse DE
L'ORTHOGRAPHE », d'autre part celle que la société des Editions Larousse
lui a réservée dans la convention qu'elle a été contrainte de signer le 21 juin
1984, dans laquelle elle déclarait renoncer à tous ses droits d'auteur
moyennant le paiement « d'une somme forfaitaire et définitive de 30 000
francs » et admettait qu'elle avait conçu et réalisé le dictionnaire MINIDEBUTANTS dans le cadre de son contrat de travail ; qu'elle en déduit que
sa qualité de salariée de la société les Editions Larousse n'ayant pas fait
obstacle à la conclusion d'un contrat d'édition en 1981, rien, si ce n'est la
volonté de lui nuire afin de la priver de ses droits d'auteur ne devait s'opposer
à ce qu'un contrat d'édition se rapportant au dictionnaire MINIDEBUTANTS soit conclu en sa faveur en 1984 ; - Considérant que la société
des Editions Larousse-Bordas soutient à l'inverse que la convention critiquée
reflète exactement l'accord et les intentions des parties ; qu'elle indique que
Claude Kannas a expressément reconnu que son employeur lui avait
demandé, au titre de son contrat de travail, de mettre au point la conception
du texte du dictionnaire litigieux et d'en assurer la direction ; que cette
prestation a été réalisée moyennant le paiement de salaires d'un montant de
327 000 francs ainsi que de deux primes d'un montant total de 74 000 francs ;
que les termes de ce contrat de cession de droits d'auteur ont été confirmés
par la convention datée du 18 avril 1985 qui stipule notamment que Claude
Kannas a cédé ses droits sur le dictionnaire à la Librairie Larousse ; qu'elle
précise encore que Claude Kannas a admis pendant plus de 13 ans que
l'ouvrage paraisse sous le nom de la personne morale régulièrement investie
des droits d'auteur sans émettre aucune objection ou opposition ; qu'elle ne
peut soutenir qu'elle n'affectait pas 90% de son temps de travail à la
réalisation du dictionnaire MINI-DEBUTANTS en raison de sa participation
à la rédaction du Grand Dictionnaire Larousse, lequel a nécessité la
collaboration de nombreuses personnes ;
8
Mais considérant qu'il résulte des attestations de Guy Pogran et de Jean-Luc
Pontvianne, respectivement responsable de la production au cours des années
1984 et 1985 et directeur commercial entre 1974 et 1991 aux Editions
Larousse, que Claude Kannas qui travaillait en qualité de rédactrice à
l'élaboration du Grand Dictionnaire Larousse Encyclopédique, a été
l'initiatrice, la conceptrice et la directrice du dictionnaire MINIDEBUTANTS dont elle a personnellement rédigé les textes qu'elle a ensuite
confiés aux services dactylographie de la société des Editions Larousse ;
qu'Hélène Gherchanoc, Micheline Failevic et Maurice Failevic, Henri
Szpicak, Noëlle Rumen et Marie Charny ont tous attesté que Claude Kannas
avait consacré de nombreuses soirées, fins de semaine et vacances à
concevoir et rédiger le dictionnaire MINI-DEBUTANTS ; que certaines de
ces attestations (Failevic, Pontvianne) font état des difficultés que Claude
Kannas a rencontrées pour convaincre la société des Editions Larousse de
réaliser son projet de dictionnaire qui ne constituait pas une oeuvre de
commande ; que la société des Editions Larousse-Bordas qui a précisément
conclu le 21 juin 1984 avec Claude Kannas le contrat de cession de droits
d'auteur dont il est demandé l'annulation ne conteste d'ailleurs pas le rôle
prépondérant de l'appelante dans la conception et la réalisation du
dictionnaire MINI-DEBUTANTS ; que dans ses dernières écritures, elle a
d'ailleurs admis le rôle essentiel de Claude Kannas dans la création du
dictionnaire puisqu'elle écrit : « On ne peut donc pas considérer en l'espèce
que Madame Kannas ait coordonné ou dirigé le travail d'autres rédacteurs
pour cet ouvrage (le MINI-DEBUTANTS), étant donné que c'était elle seule
qui accomplissait ce travail de rédaction en qualité de salariée », qu'il se
déduit des attestations concordantes produites que les indications contenues
dans le contrat du 21 juin 1984, notamment celles qui précisent que le travail
de création du dictionnaire MINI-DEBUTANTS a été réalisé dans le cadre
de son contrat de travail salarié ne sont pas conformes à la réalité des faits ;
que la société des Editions Larousse-Bordas a par ailleurs implicitement
reconnu la faiblesse de la cause du contrat de cession des droits d'auteur sur
l'ouvrage litigieux en indiquant dans ses conclusions devant les premiers
juges que les discussions transactionnelles qui se sont déroulées au début de
l'année 1996 et qui étaient destinées à redéfinir la mission de Claude Kannas
au sein de l'entreprise n'ont pu aboutir et que « Malheureusement, aucun
accord n'a pu être concrétisé concernant l'ouvrage MINI-DEBUTANTS » ;
Considérant que la société des Editions Larousse ne saurait se fonder sur le
document n° dossier : 320 116 daté du 12 décembre 1984 annulant et
remplaçant l'étude du 30 mars 1984 auquel était annexé un feuillet intitulé «
Budget Frais Fixes » comportant les mentions « COPIE - REDACTION C.
Kannas 90% de son temps sur un an : 327 000 francs ; SECRETARIAT INDEX : C. Kannas 3 mois 90 000 francs - LECTURE (copie, placards,
B.A.T) » pour soutenir que les sommes sus-visées correspondaient à la
rétribution de Claude Kannas au titre de la conception et de la création
intellectuelle du dictionnaire MINI-DEBUTANTS ; que, en effet, s'agissant
d'un budget destiné à financer au cours de l'année 1985 la réalisation
matérielle de l'oeuvre conçue par Claude Kannas, il ne pouvait logiquement
s'appliquer à la rétribution de la création effectuée nécessairement avant la
période sus-visée ; que les dossiers destinés à la dactylographie, contenant
une partie des manuscrits remis à la société des Editions Larousse, portent les
dates des 19 et 20 octobre 1983 et démontrent ainsi que, avant ces dates, la
phase intellectuelle de création de l'oeuvre était déjà en cours de réalisation ;
que la société des Editions Larousse-Bordas ne saurait tirer argument des
manuscrits susvisés, lesquels ne font référence qu'aux « titres repères des
principaux textes : Athlète-Avoisinant », des manuscrits portant le tampon de
« Larousse Service Rédactions Dictionnaires du 30 juillet 1984 », des
attestations qui mentionnent que Claude Kannas a travaillé à l'ouvrage
9
litigieux au cours des années 1983, 1984 et 1985 et du document rédigé à
l'issue de la réunion daté du 4 octobre 1983 pour conclure que le dictionnaire
a nécessairement été rédigé dans le cadre du contrat de travail ; que le
planning daté du 2 octobre 1984 intitulé « PROCESSUS : 18 MINIDEBUTANTS » révèle d'ailleurs le déroulement chronologique entre le 6
novembre 1984 et le 7 juin 1985 de l'élaboration matérielle de l'ouvrage
destiné à paraître au mois de juillet 1985 et à défaut au mois de mai 1986 ;
que la société les Editions Larousse-Bordas ne saurait soutenir à partir du
document susvisé, et notamment des mentions « DOCUMENTATION Cl.
Kannas REDACTION TEXTE », que la conception éditoriale, l'élaboration
et la création matérielle d'un dictionnaire destiné à des enfants de CP/CE1,
ouvrage qui n'avait pas d'équivalent sur le marché en 1984 comme l'ont
admis les participants à la réunion du 4 octobre 1983, aient pu être réalisées
en 140 jours, entre le 6 novembre 1994 et le 26 mars 1985, sans que la
création intellectuelle, oeuvre de Claude Kannas, qui précède naturellement
les opération susvisées, ne soit déjà parvenue, au moins partiellement, à son
terme ;
Considérant que de même la société des Editions Larousse ne peut pas
opposer à Claude Kannas la convention datée du 18 avril 1985, laquelle,
faisant référence au budget daté du 12 décembre 1984, ne concerne que la
rétribution supplémentaire de l'auteur pour la réalisation technique de son
ouvrage ; - Considérant que la société des Editions Larousse-Bordas rappelle
justement que le vice de consentement affectant un contrat doit être analysé
en considération de la personnalité de celui qui s'en prévaut ; - Considérant
qu'il se déduit de l'ensemble des éléments susvisés que Claude Kannas,
auteur et créatrice du dictionnaire MINI-DEBUTANTS, du fait de son statut
de salariée qui la plaçait en situation de dépendance économique par rapport
à la société des Editions Larousse, a été contrainte d'accepter les termes du
contrat qu'elle a signé le 21 juin 1984, sans pouvoir réfuter ceux qu'elle
estimait contraire, tant à ses intérêts personnels qu'aux dispositions
protectrices du droit d'auteur ; que les refuser aurait nécessairement eu
comme conséquence de fragiliser sa situation de salariée, le risque d'un
licenciement, dans le contexte social existant au cours des années 1983-1984
dans l'entreprise, tel qu'il est démontré par les nombreux extraits de presse,
étant réel et sérieux ; que la crainte d'un licenciement invoquée par Claude
Kannas ne saurait pas nécessairement résulter de menaces précises que lui
auraient adressées son employeur, mais de l'existence d'une menace
suffisamment réelle et sérieuse pour faire craindre la possibilité d'une telle
issue ; qu'une coupure de presse datée du mois d'août 1984 révèle d'ailleurs
que : « Il y aura des licenciements chez Larousse. Comme on le prévoyait
avant les vacances, le plan de restructuration élaboré après la constitution le
20 juin dernier du groupe Larousse s'accompagne d'un « dégraissage »
touchant l'ensemble des services : 131 personnes prévues sur un effectif de
790 personnes... » ; que de plus, l'obligation de loyauté d'un salarié envers
son employeur ne permettait certainement pas à Claude Kannas, sans risque
pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent de la
société des Editions Larousse ; que Claude Kannas s'est donc trouvée
soumise à une contrainte morale de nature à faire impression sur elle et à lui
inspirer la crainte de lui faire perdre son emploi, et ainsi de modifier sa
situation financière et personnelle si elle ne signait pas le contrat du 21 juin
1984 ; que cette crainte qui a eu une influence sur la détermination de son
consentement ne lui a pas permis de discuter les termes du contrat de cession
de ses droits d'auteur comme elle aurait pu le faire si elle n'avait pas été liée
par un lien de subordination à son cocontractant ; que Claude Kannas qui a
assigné la société les Editions Larousse-Bordas le 17 mars 1997 dans le délai
de cinq ans prévu par l'article 1304 du code civil est recevable à agir en
nullité de la convention susvisée à compter du jour où la violence a cessé,
10
soit à compter du jour de son licenciement survenu le 30 mai 1996 ; qu'il
s'ensuit que le contrat daté du 21 juin 1984 doit être annulé ; [...].
Par ces motifs, confirme le jugement rendu le 22 janvier 1999 par le Tribunal
de grande instance de Paris en ce qu'il a rejeté les demandes formées par
Claude Kannas au titre de l'ouvrage SUPER-MAJOR, le réforme pour le
surplus et statuant à nouveau, prononce l'annulation de la convention datée
du 21 juin 1984 conclue entre la société Larousse et Claude Kannas, dit que
la société des Editions Larousse-Bordas a édité, exploité et diffusé, tant le
dictionnaire MINI-DEBUTANTS que son titre au mépris des droits d'auteur
de Claude Kannas, condamne la société des Editions Larousse-Bordas à
payer à Claude Kannas la somme de 200 000 francs à titre provision à valoir
sur son préjudice, ordonne une expertise [...].
Civ. 3ème, 3 avril 2002
Texte intégral :
LA COUR : - Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Vu
l'article 1112 du code civil ; - Attendu que Mme Kannas était collaboratrice
puis rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que
selon une convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu
la propriété de son employeur sur tous les droits d'exploitation d'un
dictionnaire intitulé « Mini débutants » à la mise au point duquel elle avait
fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire ;
que, devenue « directeur éditorial langue française » au terme de sa carrière
poursuivie dans l'entreprise, elle en a été licenciée en 1996 ; que, en 1997,
elle a assigné la société Larousse-Bordas en nullité de la cession sus évoquée
pour violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite
de l'exploitation de l'ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont
elle avait été privée ;
Attendu que, pour accueillir ces demandes, l'arrêt (CA Paris, 12 janv. 2000)
retient qu'en 1984, son statut salarial plaçait Mme Kannas en situation de
dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la
contraignant d'accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes
qu'elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu'aux dispositions
protectrices des droits d'auteur ; que leur refus par elle aurait nécessairement
fragilisé sa situation, eu égard au risque réel et sérieux de licenciement
inhérent à l'époque au contexte social de l'entreprise, une coupure de presse
d'août 1984 révélant d'ailleurs la perspective d'une compression de personnel
en son sein, même si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces
précises à cet égard ; que de plus l'obligation de loyauté envers celui-ci ne lui
permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un
éditeur concurrent; que cette crainte de perdre son travail, influençant son
consentement, ne l'avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses
droits d'auteur comme elle aurait pu le faire si elle n'avait pas été en rapport
de subordination avec son cocontractant, ce lien n'ayant cessé qu'avec son
licenciement ultérieur ; - Attendu, cependant, que seule l'exploitation abusive
d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte
d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut
vicier de violence son consentement ; qu'en se déterminant comme elle l'a
fait, sans constater, que lors de la cession, Mme Kannas était elle-même
menacée par le plan de licenciement et que l'employeur avait exploité auprès
d'elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d'appel n'a pas donné de
base légale à sa décision ;
11
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la seconde branche du
premier moyen, ni sur le second moyen, casse et [...] renvoie devant la Cour
d'appel de Versailles ...
II. Caractères de la violence
La violence doit être illégitime et déterminante.
A. Illégitimité de la violence
Il ne suffit pas, pour que le contrat soit annulé, que la liberté du
cocontractant ait été altérée, il faut en outre que les pressions exercées
soient illégitimes (Cf. article 1114 du Code civil en ce sens). Ainsi, sauf
abus, le fait d'employer des voies de droit ou de menacer de le faire ne
constitue pas une violence au sens de l'article 11123. Lorsque les actes
sont pénalement punissables, le caractère illégitime de la violence ne fait
aucun doute.
B. Le caractère déterminant de la violence
La violence doit avoir vicié le consentement du cocontractant. À défaut
de cette violence, le consentement n'aurait pas été donné. La violence
peut être une source de nullité, alors même qu'elle n'a pas été exercée sur
le cocontractant, mais sur son époux ou épouse, ses ascendants ou
descendants (Cf. article 1113).
Selon l'article 1112, il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire
impression sur une personne raisonnable et qu'elle peut lui inspirer la
crainte d'exposer sa personne ou sa fortune un mal considérable et
présent. Cela laisse à penser que c'est à une appréciation in abstracto que
les juges doivent se livrer pour apprécier le caractère déterminant ou non
de la violence. Mais en réalité, la jurisprudence a plutôt recours à
appréciation in concreto4, comme le suggère d'ailleurs l'alinéa 1 de
l'article 1112.
3
Civ.3, 17 janvier 1984, Bull.civ.III, n°13.
En ce sens, Civ.1re, 22 avril 1986, Bull.civ. n°98, personne fragilisée par un déséquilibre nerveux la rendant
plus vulnérable aux pressions de son père. Voir aussi, Com. 30 janvier 1974, D. 1974, 382, pour une absence de
preuve de la violence, le contractant étant un homme d’affaires avisé, de surcroît assisté de son conseiller
financier.
4
12
III. Régime et sanction de la violence
Celui qui prétend avoir été victime d'une violence doit en rapporter la
preuve. Il doit prouver que les conditions du vice de violence sont
réunies, preuve qui peut être rapportée par tous moyens.
La sanction du vice de violence réside dans la nullité relative du contrat,
l'action se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où la violence a
cessé.
Le demandeur peut en outre éventuellement réclamer des dommages et
intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

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