Un village dans la forêt
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Un village dans la forêt
RÊVES ET DÉCOUVERTES BPF , * du mois , Christian Lagarde MONTIER-EN-DER Auberive (Haute-Marne) JOINVILLE VIGNORY CHAUMONT L’abbaye, vingt-quatrième fille de Clairvaux. HAUTE-MARNE 52 BOURBONNE-LES-BAINS LANGRES AUBERIVE Un village dans la forêt Province : Champagne Département : Haute-Marne Coordonnées IGN : 29-E3 À savoir André Theuriet, l’académicien Le pigeonnier de l’abbaye. Auberive dans son écrin vert. Situé sur les marches de la Champagne et de la Bourgogne, le village actuel n’existe que depuis la Révolution. Aujourd’hui entièrement minéral, il est enchâssé dans le vaste écrin forestier du massif de Langres-Châtillonnais. D ès la création vers 1134-1135 de l’abbaye cistercienne d’Auberive sur les bords de l’Aube, les habitations des convers se groupent tout autour. Avec les terres, l’ensemble forme sous l’Ancien Régime une enclave particulière dans cette région frontière entre le comté de Champagne et le duché de Bourgogne, longtemps connue sous le nom « d’enclos d’Auberive ». Toute cette population au service de l’abbaye (convers, artisans, personnels de service, gardes des bois, auditoire… soit encore 121 habitants en 1742) dépend directement de la pleine justice de l’abbé ; elle ne sera affranchie qu’après la Révolution. Mais comme cette population ne formait qu’une paroisse, elle aurait dû être dispersée à la Révolution et le village actuel ne jamais exister, si la vente des biens nationaux en 1790 n’avait favorisé la venue de nombreux habitants, en complément des quelques fermiers qui ont pu racheter leur logis. C’est ainsi que la population en 1804 est portée à 633. Son apogée au XIX siècle e Ce phénomène remarquable, lié à de nouvelles constructions, prend une l’ampleur telle qu’Auberive est très tôt 40 CYCLOTourisme n° 635 • Mai 2014 élevée au rang de commune avec un territoire de 7 064 ha, ce qui en fait encore aujourd’hui la troisième commune haut-marnaise par la superficie. Cette importance soudaine fait rapidement d’Auberive le chef-lieu de canton en 1800. En conséquence, la commune va se doter tout au long du XIXe siècle des infrastructures dans le quartier haut du village, par opposition au quartier abbatial qui reste inchangé : construction d’une mairie, d’une gendarmerie, d’un presbytère et des écoles en plusieurs phases, et également l’agrandissement en 1863 de la modeste chapelle Sainte-Anne et sa transformation en église paroissiale, avant de se voir dotée d’un élégant clocher en 1864-1866. La grande rue ou « rue des Fermiers », qui va de la fontaine à l’église, conserve encore la structure des maisons basses sans étage des fermiers du domaine de la fin du XVIIIe siècle, de même que l’ancienne « rue des Gardes des bois de l’abbaye » la prolongeant (actuelle « rue de l’école des garçons »). Pendant tout le XIXe, le village se développe autour des industries liées à l’exploitation du bois et à la transformation du fer (forges et fourneaux). L’installation de prisons d’État dans les bâtiments de l’abbaye entre 1857 et 1885, puis les différentes maison d’éducation et colonie pénitentiaire qui suivent jusqu’en 1924, font encore grimper considérablement la population, atteignant un maximum de 1 084 habitants en 1876. Mais depuis lors, les phénomènes de l’exode rural et du vieillissement ont fait chuter tout aussi rapidement la population, dans un canton qui reste actuellement le moins peuplé de la Haute-Marne, classé parmi les zones rurales européennes les plus en difficulté. L’abbaye cistercienne a rythmé la vie du village L’abbaye d’Auberive, vingt-quatrième fille de Clairvaux, a été fondée par Bernard, abbé de Clairvaux. Le monastère cistercien atteint vite le sommet de sa prospérité au milieu du XIIIe siècle. Mais très vite, l’abbaye est contrainte de mettre en fermage ses granges par manque de convers et de donations. En raison de sa situation entre Champagne et Bourgogne, elle souffre gravement des désolations de la guerre de Cent Ans qui réduisent considérablement ses revenus. Plus tard, lors des guerres de Religion au XVIe, elle supporte le passage répété des reîtres, et subit encore au siècle suivant les troubles de la guerre de Trente Ans. Il faudra pourtant attendre le XVIIIe pour que les bâtiments abbatiaux alors en ruine soient entièrement rétablis. De même, les ponts sur l’Aube et le colombier sont reconstruits, le moulin est agrandi et son bief consolidé. En 1791, le site de l’abbaye est racheté comme bien national par Abel François Nicolas Caroillon de Vandeul, gendre du philosophe Denis Diderot. Il y installe en 1797 une filature de coton jusqu’à ce que l’activité périclite en 1807. Caroillon de Vandeul transforme alors l’austère abbaye en une demeure confortable, crée un vaste parc d’agrément sur les bords de l’Aube et fait venir de Beaulieu (Haute-Marne) une grille monumentale attribuée à Jean Lamour qu’il place au portail d’honneur surmontée de son chiffre. L’abbaye devient un temps une forge. Puis en 1857, le site est transformé en prison d’État, où Louise Michel sera enfermée pendant vingt mois avant sa déportation pour la Nouvelle-Calédonie. Ensuite, elle devient successivement en 1885 une maison d’éducation pour délinquantes mineures et en 1898, après sept ans d’inoccupation, une colonie pénitentiaire agricole pour jeunes garçons. En 1925, elle abrite une communauté et en 1927 elle est revendue aux bénédictins. En 1960, un comité d’entreprise y établit des colonies de vacances. En 2004, la famille Volot rachète l’abbaye pour la réhabiliter entièrement dans l’esprit du lieu, afin d’en faire un centre d’art et y exposer une partie de ses collections de peintures des arts premiers. Le plus pour le cyclotouriste Aujourd’hui, la présence d’un riche patrimoine naturel rare et préservé de très grande qualité offre toutes les perspectives d’un développement touristique vert, dans le cadre prometteur du futur « parc national des forêts feuillues de plaine » appelé à se développer dans la région dans les années à venir. Venez randonner à Auberive ! Cette immersion totale dans un territoire chargé d’histoire et de nature, au pays des eaux et de la forêt, vous laissera le souvenir d’un véritable ressourcement dans cet oasis enchanteur particulièrement méconnu. Un circuit de cabanes* en pleine nature, accessible aux piétons et aux vélos, permet l’observation de la faune très riche et le bivouac. n Texte : Alain Catherinet Photos : Jean-Jacques Boutteaux, Alain Catherinet, Dominique Chevalme * Informations : www.tourisme-langres.com 03 25 84 71 86 • [email protected] Poète et littérateur, André Theuriet, de l’Académie française, a été receveur-enregistreur à Auberive de 1856 à 1859. Pendant son séjour, il profite longuement de ses temps libres pour s’immerger dans la nature, rédige un recueil de poésie et écrit une vingtaine de romans chantant et magnifiant les paysages sauvages des environs, romans qui l’amèneront à l’automne de sa vie à l’Académie française. Les plus connus de ses romans locaux sont Sous-Bois, Reine des Bois et Sauvageonne, qui ont donné lieu pour nos grands-parents à de nombreuses dictées entre les deux guerres. Une imposante stèle a été érigée en son honneur devant « le château », vaste demeure bourgeoise bâtie au sortir de la Révolution par Camille Moine, ancien maître de forges à Auberive, qui a apposé son chiffre au-dessus de la grille. À travers elle, on aperçoit « le château », encore entouré de son vaste jardin paysager encadrant l’Aube, son orangerie et ses promenades ombragées et romantiques. Il ne se visite pas. RENSEIGNEMENTS • Camping ouvert et très nature à Auberive. Réservations à la mairie : 03 25 84 21 13. • Abbaye (horaires et expositions) : 03 25 84 20 20 • abbaye.auberive.com [email protected] BPF de la Haute-Marne déjà présentés dans Cyclotourisme : • Langres : mars 2000 (n° 479) • Vignory : mai 2008 (n° 569) • Bourbonne-les-Bains : février 2010 (n° 588) À noter qu’en 2009, le site BPF d’Auberive a remplacé celui de Rouvres-sur-Aube. Le buste d’André Theuriet devant le château. * Brevet des provinces françaises : brevet permanent des plus beaux sites de France, organisé par la FFCT, avec parcours libre au choix du participant (voir Guide du cyclotouriste, pages 76-77, et site www.ffct.org, rubrique BPF). Les demandes d’homologation doivent être adressées à : Jean-Louis Rougier – Plat, 24460 Négrondes - [email protected] CYCLOTourisme n° 635 • Mai 2014 41