Note de cadrage - ENDA Tiers Monde
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Note de cadrage - ENDA Tiers Monde
VERS UN RAPPORT ALTERNATIF SUR L’AFRIQUE (RASA) ATELIER METHODOLOGIQUE LES 02, 03 ET 04 NOVEMBRE 2016 Renaissance Africaine, intégration et Développement authentique : le temps de l’Afrique est arrivé ? L’image mondialement retenue de l’Afrique dans l’opinion publique était inexorablement liée à la pauvreté, les rebellions et les guerres, les pandémies, les crises politiques et les coups d’état récurrents alors que le débat interne et externe sur le développement du continent semblait tourner en rond depuis une cinquantaine d’années. Considérée par la communauté internationale comme un puits de ressources naturelles, un maillon faible des réseaux de pouvoir qui décident le monde, et le continent éternellement assisté, l’Afrique compte également ses afro pessimistes de l’intérieur ou de sa diaspora qui multiplient arguments culturels, psychologiques, sociaux pour expliquer un soi disant refus du développement et encore mieux confiner le continent dans le cercle infernal de la pauvreté. Même si plus récemment, les institutions internationales et de plus en plus de médias occidentaux émettent un discours plus positif sur les progrès du continent, ses taux de croissance dans un contexte de crise économique mondiale et ses avantages comparatifs, celui-ci est encore teintée de condescendance et frappée de doutes. Au demeurant, le discours connait une inflexion radicale depuis une dizaine d’années. C’est le moment de l’Afrique. Le curseur change et se place sur les progrès faits par le continent. Depuis une génération, les perspectives d’avenir sont décrites comme prometteuses et positives (Obiageli K. Ezekwesili, VP Banque mondiale- Région Afrique, juin 2010). Les économies africaines croissent de 5% depuis 10 ans et plus de 6% depuis trois ans. Au-delà de 8%, cette croissance commencera à impacter sensiblement les fabriques de la pauvreté et rendra les dynamiques de développement et les progrès sociaux durables. Six des 10 pays qui ont les plus forts taux de croissance se situent en Afrique. Sur les pays qui portent cette croissance, 22 ne sont pas exportateurs de pétrole et maintiennent leurs croissances par des secteurs économiques viables. Le nombre d’entrées à l’école élémentaire augmente plus que dans les autres continents. La pauvreté est en déclin d’environ 1%, soit plus rapidement qu’en Inde et bien plus rapidement que pour l’Europe et l’Amérique où elle gagne des couches de plus en plus nombreuses et diverses. Les taux de mortalité infantile ont chuté de 25% dans 13 pays depuis 4 ans et le SIDA, on le sait maintenant, ne sera pas le fléau qui détruira les perspectives de développement de l’Afrique, comme annoncé il y a quelques années (Lionel Zinsou, Jean-Michel Severino et Olivier Ray, Le Temps de l’Afrique, éd. Odile Jacob). L’expression « fossé numérique » a disparu du vocabulaire du développement après avoir motivé l’organisation par les Nations Unies de plusieurs « Sommets mondiaux sur la Société de l’Information » (SMSI). L’Afrique semble avoir démontré sa capacité d’adaptation technologique, même si elle n’est pour le moment que consommatrice. Plus de 60% des africains et 80% des citadins sont dans le périmètre d’un GSM et 50% (500 millions) des africains sont abonnés au téléphone portable, inventant tous les jours des usages sociaux, économiques, politiques, culturels. Le payement par téléphone se développe plus que sur les autres continents et les multinationales africaines conquièrent des parts de marché grandissants. Les diasporas africaines anciennes comme récentes réinventent leurs relations au continent et deviennent des acteurs de progrès économiques mais aussi politiques et citoyennes. Les dynamiques économiques propres des Etats africains ont permis pour la plupart des pays de reconstituer des marges de manœuvre budgétaires et de faire repartir l’investissement public. Les risques de banqueroute ainsi que les plans de rigueur et d’austérité ont changé de camp. La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne est passée de 60 % du PIB en 2003 à 29 % en 2009, selon le Fonds monétaire international (FMI). Les niches d’enrichissement et l’entreprenariat se développent sur des terrains nouveaux et ne dépendent plus des formations classiques qui ont montré leurs limites. L’Afrique s’aide désormais elle-même après avoir compris que l’aide extérieure est un fléau sclérosant et n’a pas été un moteur de changements (Dambisa Moyo). Les transferts des diasporas africaines sont largement supérieurs à l’Aide Publique au Développement. Les Investissements directs étrangers (IDE) vers l’Afrique sont sortis de l’extrême dépendance à l’Europe et l’Amérique du nord et les coopérations basées sur des logiques d’intérêts mutuels ont pris le pas sur les logiques historiques coloniales ou géopolitiques avec une réorientation vers les BRICS et d’autres pays émergents. L’Afrique semble ainsi devenue la « nouvelle frontière » normative du monde, le continent qui attire les regards, suscite l’espoir de la planète de la voir insuffler une nouvelle dynamique, de nouvelles valeurs (Anne Cécile Robert). Entre les deux visions optimiste et pessimiste et les projections de l’Afrique dans l’espace politique et économique mondial, la réalité est sans doute plus complexe et souvent loin de ses développements sur-représentés dans les médias internationaux et les institutions tenues et soutenues par la communauté internationale. Est-ce la situation qui change ou le regard qui a évolué passant d’une condescendance découlant de la colonisation et de l’hégémonisme des faiseurs du monde, à une attitude de mise en confiance des victimes pour mieux les tromper et perpétuer ainsi leur exploitation ? Est-ce une réponse des pays développés et des institutions qui servent leurs stratégies à l’émergence d’une coopération et d’un partenariat sud sud moins teintés d’arrogance qui met en perspective les BRICS et d’autres pays du sud avec l’Afrique ? Les rapports sur l’Afrique : principaux miroirs de la coopération au développement La coopération au développement est un domaine dans lequel l’information fonde l’image des pays et leur attractivité qui sont présentés comme essentiels dans un contexte de dépendance exacerbée au marché et aux règles économiques internationales. Les rapports et classements internationaux entièrement ou partiellement consacrés à l’Afrique, ressortissent d’une logique d’extraversion économique et de gouvernance mondialisée qui distribue des bons ou des mauvais points que les pays du sud et les pays africains en particulier reconnaissent. Ces rapports attendus inspirent de la crainte et suscitent des réactions positives ou négatives, influencent l’espace politique, économique et social des pays africains et contribuent à infléchir les politiques et les stratégies des Etats et des gouvernements. Mais les rapports sur l’Afrique reflètent surtout un économisme universaliste et linéaire qui enserre les pays du continent dans des lois qui les dépassent (OMC) et standardise les indicateurs de mesure des progrès de leurs peuples. Mais progrès vers quoi et vers où ? Quels sens donner au développement à partir d’un prisme africain ? De quelle Afrique parle-t-on ? Quels sont les principes directeurs d’un progrès économique et social et du bonheur des africains à partir desquels on peut mesurer les avancées ? De la reconceptualisation du « développement » par l’Afrique et pour l’Afrique L’Afrique est toujours considérée par beaucoup comme le cadet du monde, l’enfant à cajoler et apprivoiser pour prendre ses ressources sous le prétexte de l’aider ou en échange de l’aide au développement. Cette attitude a son concept, le « Développement » qui a été sacralisé pour catégoriser le monde selon des indicateurs économiques définis sur la base des réalités des pays d’Europe et d’Amérique du nord pour rendre compte de leur état « d’avancement » et du retard des autres dans leur marche vers le progrès économique et social. Il est calculé en fonction du Produit Intérieur Brut dans une démarche d’objectivité et de scientificité quantitativiste pour mesurer les hiérarchies des inégalités à l’échelle du globe et entre pays. Le concept de « développement » consacrait l’abandon de catégorisations teintées de colonialisme et de dualisme comme Moderne /Archaique, Civilisés / Primitifs mais en perpétuait l’esprit et les mécanismes universaliste et moderniste ignorant les spécificités de trajectoire historique et de mode de vie. Le concept reproduisait la configuration « centrale » des anciennes métropoles par rapport aux « périphéries » du monde que demeuraient l’Afrique et les pays du sud anciennement colonisés. Aujourd’hui encore, le dispositif conceptuel s’est diversifié générant des politiques et des stratégies alignées sur les mêmes principes et les mêmes intérêts : « ajustements structurels », « lutte contre la pauvreté », « Objectifs du Millénaire pour le Développement », « Documents stratégiques de réduction de la pauvreté » (DSRP), voire des acceptions un peu plus émancipées comme « Emergence », « Transformation structurelle de l’économie » semblent signifier et incarner la continuité des logiques de domination et d’infantilisation de l’Afrique. 1 Le développement ne peut se traiter et se mesurer dans l’abstrait comme l’affirmait Pierre Gourou : « chaque situation locale est particulière et ne peut être guère traitée par des procédures générales. . . (et) des divagations chiffrées (. . .) aussi dérisoires que bien d’autres ». Le développement ne peut demeurer le mythe d’une occidentalisation achevée vers l’uniformité culturelle et l’effacement des spécificités (Felwine Sarr, Afrotopia, 2016). Il ne peut non plus construire un ordre mondial dans lequel la réflexion propre et la liberté de pensée s’effacent devant une exemplarité unilatérale et prédéfinie qui porte au pinacle l’économie de marché, la raison moderne universelle, l’individualisme, la prédation des ressources, etc. 1 Gourou P. (1982) Terres de bonne espérance. Le monde tropical, Terre humaine, Plon, Chapitre 25, 455 p. Le développement nous a présenté la croissance comme l’objectif permettant d’obtenir le bien-être des populations ; cependant, dans le monde, les contradictions se sont accentuées, élargissant le fossé entre opulence et misère, entre haute technologie et famine, entre mondialisation des marchés et marginalisation sociale, entre exploitation et accaparement croissant des ressources. Ce modèle de développement a conduit à l’appauvrissement et au désespoir de milliards d’êtres humains, notamment en Afrique. Les rapports habituels sont réalisés pour rendre compte d’un modèle de production, de commerce et de consommation qui favorise la concentration du pouvoir économique et politique entre les mains d’une élite, qui néglige la souveraineté des peuples, qui ruine des économies locales et qui a causé des catastrophes environnementales telles que le réchauffement global et la perte de la biodiversité. Les rapports sont les lieux de classement et de projection des mesures faites à partir d’indicateurs quantitatifs qui ont désormais montré toutes leurs limites méthodologiques et normatives. Les insuffisances du mythique « Produit Intérieur Brut » comme objet de mesure des progrès matériels ont poussé les institutions internationales à lui associer de nouveaux critères comme l’insécurité, les inégalités, l’exclusion et par l’Indice de Développement Humain (PNUD) qui combine l’estimation du pouvoir d’achat, du niveau d’instruction et de l’espérance de vie et qui se définit comme « un processus qui permet à des populations entières de passer d’un état de précarité extrême, une insécurité qui touche tous les aspects de leur vie quotidienne (alimentaire, politique, sanitaire…) à des sociétés de sécurité, où les hommes ne se demandent pas chaque jour ce qu’ils vont manger le lendemain, peuvent surmonter les caprices de la nature et maîtriser cette dernière, vaincre la maladie, vivre dans des conditions décentes, avoir la possibilité d’exprimer leurs opinions et d’entreprendre 2 librement pour améliorer leur propre sort et celui de leur famille » (S.Brunel) . Des rapports classiques redondants et idéologiquement orientés Une typologie préliminaire des rapports sur l’Afrique permet de voir l’extrême diversité des institutions qui s’obligent à en élaborer, des formats et des contenus. Ils relèvent notamment des institutions financières supranationales, du système des Nations Unies, des organisations régionales ou sous régionales d’intégration, etc. Les rapports sur l’Afrique des institutions sont fortement similaires et présentent des contenus très proches les uns des autres. On y retrouve les mêmes mots clés et les mêmes indicateurs : - Croissance du PIB et des secteurs Indicateurs macroéconomiques (augmentation du PIB, taux d’inflation, compte des balances, etc.) commerce et intégration régionale développement du secteur social prix des matières premières demande d’investissement chaine de valeur globale Certains rapports comme celui de la Banque mondiale et du FMI mettent l’accent sur les progrès économiques du continent et les opportunités d’affaires pour les multinationales et investisseurs internationaux. C’est le cas à travers African Pulse (analyse biannuelle sur la santé économique de l’Afrique), la version poche du classement de l’Indicateur de Développement Africain, ou encore du livre « Success stories from a dynamic continent » (histoires de succès d’un continent dynamique). Pour le FMI, les rapports principaux sur l’Afrique sont intitulés « The Regional Economic Outlook on SubSaharan Africa » (perspective régionale économique sur l’Afrique Sub-Saharienne) et Driver of Growth: Evidence from SubSaharan African countries (Moteur du développement: évidences des pays de l’Afrique Sub-Saharienne (ASS) avec comme contenus les Indicateurs basiques, les Comptes nationaux et financiers, les Comptes externe et taux de change, Objectif du millénaire pour le développement, le Développement du secteur privé, le Commerce et intégration régionale, les Infrastructures, le Développement humain, l’Agriculture, le développement rural et l’environnement, le travail, les questions de migration et de population, le SIDA et le paludisme, la responsabilité des états et le partenariat, les Indicateurs de la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, la Gouvernance et les régimes politiques. 2 Brunel S. (1995) Le Sud dans la nouvelle économie mondiale, PUF, Paris, 406 p Les rapport du système des Nations Unies sont rarement consacrés uniquement à l’Afrique mais présentent toujours un chapitre ou des parties à ce continent. L’exception est constituée par le rapport de la Commission Economique pour l’Afrique. Ces rapports des Nations Unies sont un prolongement spécialisé selon l’organisme en questions (réfugiés, migrants, enfants et éducation, habitat, alimentation, etc.). Les organisations régionales et sous régionales élaborent également des rapports sur le continent et les pays qui le composent. La BAD (Banque Africaine de Développement) sort trois produits qui domicilient les mêmes types de données et de domaines que les institutions financières internationales avec lesquelles elle partage la même logique : - Rapport de Compétitivité Africaine Rapport Annuel Rapport du Développement Africain L’Union Africaine, le NEPAD, la CEDEAO, la CEAC, la SADEC et les autres organisations africaines génèrent des rapports annuels qui restent macro économiques et reproduisent les données fournies par les institutions internationales dans un contexte de pauvreté extrême des statistiques auto-générées sur le continent. Le Rapport Alternatif sur l’Afrique est à cet égard une initiative essentielle de réparation-correction de la démarche méthodologique, des domaines et enjeux adressés, d’approfondissement et de diversification des indicateurs et de la mesure, mais surtout un lieu de renversement philosophique et idéologique des analyses sur l’Afrique. Le RASA/GROA : un défi idéologique, politique et technique Le défi pour le Rapport alternatif sur l’Afrique que nous proposons consiste à prendre le risque d’établir ses propres critères, ses propres indicateurs et modes de calcul, et à jeter les bases d’un renoncement au principe de « penser globalement et agir localement » qui signifie une colonisation de la connaissance justifiant la pensée et les stratégies décidées dans les centres de pouvoirs des pays « développés » afin de les reproduire dans les pays « en développement », dans chaque région, chaque localité et chaque être humain. Pour le RASA, il est nécessaire de suivre un cadre de référence qui met le citoyen ordinaire africain au centre de la perspective de progrès économique et social, de sortir du mimétisme dans la trajectoire de développement, de repenser le monde global à partir des savoirs locaux et propres, enracinés dans la culture, dans la richesse de l’hétérogénéité et de la diversité des Afriques ; Il doit être une composante de la mouvance de récupération de son histoire, et de décolonisation de sa pensée, une voix analytique africaine vers l’Afrique et par l’Afrique. Ce qui pourrait être alternatif, c’est d’abord ce qui fait voir les moteurs cachés de l’évolution positive et négative de l’Afrique ; c’est ce qui montre comment les Africains malgré tout se posent comme responsables de leur sort et de leur avenir, et s’évertuent à (se) créer une nouvelle réalité. En outre, le RASA doit refléter une lecture idéologique et systémique différente. Plus précisément, il pourrait s’agir de Rendre compte des évolutions et transformations sociétales, économiques, culturelles, religieuses, politiques, environnementales qui donnent une autre idée de l’Afrique qui est en train d’être construite et qui échappent de fait aux indicateurs conventionnels du développement et du bien être Aller à la recherche des indicateurs du véritable changement social, économique, culturel en Afrique, tout en restant critique dans une démarche pluridisciplinaire Montrer les non-dits et insuffisances du discours des institutions internationales sur l’Afrique (analyse critique et déconstructive des rapports faits sur l’Afrique) ; rendre visible ce qui est dans la zone aveugle pour les regards classiques ou conventionnels portés sur l’Afrique Documenter « L’Afrique des bonnes nouvelles » (exemple système de mobile banking (MPESA) au Kenya), en faisant voir les innovations (hors victimisation et critique de l’autre) et appels vers un « meilleur » qui se trouve derrière un certain agir citoyen, associatif, institutionnel, etc., et que doivent saisir des leaders d’un nouveau type pour mettre durablement l’Afrique en orbite d’émergence Donner la parole aux citoyens et acteurs africains dans l’établissement d’un rapport qui reflète les modes de vie réels et réalités culturelles des populations ordinaires Innover dans la méthodologie d’élaboration des rapports en inventant une plateforme de production de connaissances et d’informations combinant les sources scientifiques, communautaires, citoyennes et populaires L’atelier méthodologique a pour objectif de définir les orientations idéologiques, politiques et techniques d’un Rapport Alternatif sur l’Afrique qui se veut une publication référence s’imposant comme un outil de transformation de la vision ainsi que les politiques et stratégies du continent. Des personnalités africaines de haut niveau de maitrise et d’expériences seront invitées à consolider l’argumentation d’une telle initiative et à être les architectes scientifiques et stratégiques du Rapport Alternatif sur l’Afrique.