Table ronde 1 PÉRIMÈTRE ET OPPORTUNITÉS

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Table ronde 1 PÉRIMÈTRE ET OPPORTUNITÉS
CONSOMMATION COLLABORATIVE :
QUELS ENJEUX ET QUELLES LIMITES POUR LES CONSOMMATEURS ?
Colloque INC 7 novembre 2014 - Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique
Table ronde 1
PÉRIMÈTRE ET OPPORTUNITÉS
Modérateur : Rémy GERIN, directeur exécutif de la chaire Grande Consommation de l’ESSEC
Rémy GERIN
En écoutant Laurence BILLOT-DAVID, je me rends compte que la consommation collaborative n’est ni
sociale ni solidaire. Elle crée du lien tout en obéissant à une logique économique. L’ambition de cette
première table ronde est de tracer les contours entre les différents modes de consommation et
d’économie. Quels sont les contours de l’économie sociale et solidaire ? Est-il exact de la distinguer
de la consommation collaborative ?
QUELLE ARTICULATION AVEC L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE ?
J EAN -L OUIS CABRESPINES, PRESIDENT DU C ONSEIL
L ’ ECONOMIE SOCIALE (CNCRES)
NATIONAL DES
C HAMBRES
REGIONALES D E
L’économie sociale et solidaire n’est ni une mode ni une récupération. Cette forme d’économie est
ancienne puisque certains en retracent l’existence jusque dans l’Antiquité. Prenons l’exemple des
premières caisses de secours mutuel fondées à la fin du XIXème siècle. Les ouvriers des entreprises de
la révolution industrielle organisaient ainsi la solidarité pour mettre une partie de leurs salaires de
côté afin d’apporter une ressource aux ouvriers accidentés ou malades. Nous pourrions également
évoquer le regroupement des producteurs de lait en Franche-Comté au XIIIème siècle. Ils s’étaient
regroupés pour fabriquer du fromage ensemble. Cette démarche est donc très ancienne.
La loi portée par le Gouvernement correspond à une revendication forte des acteurs de l’économie
sociale et solidaire. En effet, une reconnaissance par l’Etat et les partenaires était nécessaire pour
faire émerger cette économie importante, qui représente 10 % des emplois et 10 % des entreprises.
Elle représente ainsi une force non-négligeable de production, bien qu’elle ne se limite pas à cette
dimension. Elle ne se limite pas non plus à une économie de la réparation, bien qu’un nombre
important d’entreprises de cette économie répare des produits ou aide des personnes en difficulté.
Cette économie comprend également des entreprises de production pleines et entières qui créent de
la richesse. Cependant, dans l’économie traditionnelle capitaliste, les gains financiers constituent la
finalité alors que l’économie sociale et solidaire est une économie partagée qui repose sur un projet
économique et un projet de société différents. Ce projet se caractérise notamment par la solidarité
entre les personnes qui composent l’entreprise pour produire autrement. Celui qui produit en tire
ainsi les bénéfices financiers, ainsi que des bénéfices d’une autre nature lui permettant d’évoluer.
Des liens étroits existent avec l’économie collaborative et l’économie circulaire. Un nombre
important d’acteurs de l’économie sociale et solidaire a déjà mis en place des initiatives de
consommation collaborative. Ce rapprochement entre l’économie sociale et solidaire et d’autres
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formes d’économie est nécessaire. Le nombre toujours croissant de nouvelles appellations
d’économies, qui traduit un certain dynamisme pour une économie autrement, ne cesse de me
surprendre. Nous devons parvenir à fédérer et à développer ensemble ces économies autrement.
Rémy GERIN
Sans porter de jugement de valeur, je note que l’activité de Laure WAGNER n’est ni sociale ni
solidaire. Peut-elle le devenir ou l’est-elle déjà un peu ?
Jean-Louis CABRESPINES
Airbnb ne peut pas appartenir à l’économie sociale et solidaire. Il convient de distinguer l’activité et
la manière de conduire l’activité. Par exemple, nous pourrions considérer que les services à la
personne, qui visent à s’occuper des personnes les plus en difficulté, relèvent de l’économie sociale
et solidaire. Or ce n’est pas le cas. Certaines entreprises du secteur génèrent des profits colossaux en
commercialisant leurs services auprès de ces personnes. Cependant, sur ce même secteur, certaines
entreprises s’inscrivent dans une démarche d’économie sociale et solidaire. Elles privilégient ainsi
des structures à gouvernance démocratique où les salariés peuvent s’exprimer sur la gestion de
l’entreprise, voire en sont les patrons comme dans les coopératives. De plus, l’objectif de ces
entreprises n’est pas de partager des bénéfices dans la mesure où ceux-ci sont réinvestis dans
l’entreprise.
L’économie sociale et solidaire met donc l’accent sur la démarche économique plutôt que sur
l’activité. A ce titre, BlaBlaCar peut être une entreprise de l’économie sociale et solidaire si elle
respecte ces principes et ces valeurs. L’activité ne constitue pas le point d’entrée de l’économie
sociale et solidaire. Certains grands groupes du secteur de l’eau ou du recyclage des déchets
souhaiteraient créer des entreprises au sein de cette économie, notamment pour des raisons
d’image. Nous défendons la nécessité d’adopter une démarche citoyenne.
PRATIQUES COLLABORATIVES ET ECONOMIE CIRCULAIRE :
QUELLES RELATIONS ?
A NNE DE BETHENCOURT, VICE - PRESIDENTE DE L ’I NSTITUT DE L ’ ECONOMIE
RESPONSABLE E CO - INNOVATION DE LA F ONDATION N ICOLAS H ULOT
CIRCULAIRE ET
Rémy GERIN
Madame DE BETHENCOURT, pouvez-vous nous rappeler le périmètre de l’économie circulaire et
tracer les frontières entre cette économie et la consommation collaborative ?
Anne DE BETHENCOURT
Je vous remercie de me donner l’opportunité d’intervenir ce matin. Cela démontre la dynamique
actuelle sur l’ambition de produire et de consommer autrement. Je considère que c’est une bonne
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nouvelle. Par ailleurs, la France est bien positionnée dans cette créativité. Elle se caractérise par une
réelle envie de consommer et de produire autrement.
Il convient de rappeler les bases du modèle économique qui nous a permis de nous développer
depuis la révolution industrielle. Ce modèle est fondé sur l’extraction des ressources naturelles que
nous transformons afin de les consommer puis de les jeter. Cette économie linéaire a engendré le
progrès moderne. La création de richesses est ainsi basée sur la production et la possession de biens.
Force est de reconnaître que ce modèle a engendré un développement ayant abouti à une forme de
prospérité supérieure à celle du XIXème siècle. Néanmoins, ce modèle de production basé sur
l’extraction de ressources naturelles ne prend pas en compte la finitude de la planète, limitée en
ressources naturelles.
Par conséquent, ce modèle d’extraction, de transformation et de déchets a aujourd’hui atteint sa
limite. L’économie circulaire remet en cause cette économie linéaire pour revaloriser la matière et le
produit en intégrant la performance d’usage de la matière et des produits. La performance d’usage
prend en compte l’utilisation et le temps d’usage d’une matière. Cette économie circulaire
ambitionne de créer des boucles de création de valeur positive depuis la conception des biens
jusqu’à la réparation, la réutilisation, le recyclage et la réintroduction. Contrairement aux idées
reçues, l’économie circulaire ne se limite pas à la gestion des déchets ou au recyclage. L’idée centrale
de cette économie est d’imiter la nature : dans la nature, les déchets n’existent pas puisque tous les
éléments sont des nutriments. L’enjeu du modèle économique du XXIème siècle est de s’assurer que
toute matière est utile.
La consommation collaborative, l’économie du partage ou l’économie de la fonctionnalité
permettent d’améliorer la performance d’usage. Le partage d’un produit comme une voiture
améliore sa performance d’usage : le rendement de la matière utilisée est ainsi augmenté. En
moyenne, une voiture est utilisée 5 % de son temps. En partageant cette voiture à plusieurs, la
performance d’usage de la matière est augmentée. Le lien entre l’économie circulaire et l’économie
collaborative est donc très étroit. Selon moi, la consommation collaborative est une étape pour
améliorer l’usage des matières et des biens. Cependant, je ne suis pas certaine que l’économie
collaborative remette en cause le modèle capitaliste. Au sein de la consommation collaborative, les
échanges entre particuliers coexistent avec des modèles capitalistiques qui permettent d’accélérer
cette forme de consommation.
Rémy GERIN
Réinventons-nous le modèle coopératif ? En d’autres termes, la consommation collaborative est-elle
la coopérative 3.0 ?
Anne DE BETHENCOURT
Oui, dans une certaine mesure. Cependant, la consommation collaborative est caractérisée par une
grande diversité de pratiques, de l’association de quartier d’échanges d’appareils électroménagers
jusqu’à l’exemple d’Airbnb, qui atteint des milliards de capitalisation. Qu’appelons-nous
consommation collaborative ? Ce nouveau mode de consommation prouve qu’il n’est plus possible
d’agir seul. En d’autres termes, le consommateur ne souhaite plus être limité à son rôle de
consommateur. Au XXème siècle, le bon citoyen était le bon consommateur qui possédait des biens.
Aujourd’hui, le consommateur aspire à disposer de l’usage des biens sans nécessairement les
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posséder. Cette tendance questionne le rôle du consommateur, qui veut devenir acteur tout en
devenant sa propre entreprise.
Par conséquent, les indicateurs de richesse comme le PIB sont fondamentalement remis en cause.
Cet indicateur de flux financiers n’est pas un indicateur de richesse. A travers son élan vers la
consommation collaborative, le consommateur nous démontre que les indicateurs de richesse ne se
limitent pas à la comptabilisation des flux financiers. Ce phénomène oblige les sphères économiques
et politiques, ainsi que les institutions et les collectivités territoriales, à repenser de nouveaux
modèles de création de richesse et de valeur. Pour accompagner ce mouvement de nouvelle
consommation, nous sommes obligés de changer d’approche.
UN EXEMPLE D’INITIATIVE COLLABORATIVE AVEC LE COVOITURAGE
L AURE WAGNER,
MEMBRE DE L ’ EQUIPE FONDATRICE DE
B LA B LA C AR
Rémy GERIN
En repartant des propos exprimés par les Français à travers l’étude de Médiaprism, BlaBlaCar
apparaît comme une revanche contre le TGV couplée à un outil de création de lien. Ai-je raison
d’appréhender cette entreprise ainsi ? Ces paramètres composent-ils l’ADN de l’entreprise ?
Laure WAGNER
Non, la revanche sur le TGV n’a pas été une motivation. L’ADN de BlaBlaCar est la lutte contre le
gaspillage massif représenté par les places libres dans les voitures. Ce gaspillage pouvait être
acceptable tant que nous ne disposions pas des outils numériques pour l’optimiser. Il était également
accepté quand l’essence était moins chère et les budgets moins contraints. Aujourd’hui, la crise,
l’utilisation d’Internet et le développement des réseaux sociaux ont permis de mettre en relation des
particuliers en toute confiance. La consommation collaborative repose sur un tiers de confiance : une
organisation sérieuse est nécessaire pour garantir la fiabilité et l’organisation des transactions entre
les particuliers.
Rémy GERIN
Ce point est mis en avant par les Français qui perçoivent une forme de revanche sur le système.
Laure WAGNER
Sur certains trajets où des liaisons TGV existent, la concurrence existe avec des prix différents. Les
personnes arbitrent en fonction de leurs contraintes de temps et de budget. J’insiste sur l’ADN du
projet, qui vise à enrayer le gaspillage massif pour revenir au bon sens en optimisant et en
s’entraidant.
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Rémy GERIN
La SNCF finance-t-elle l’un de vos concurrents ?
Laure WAGNER
Pas exactement. La SNCF a lancé un service de covoiturage, iDVROOM, entre le domicile et le travail,
et entre le domicile et les gares sur des trajets courts d’une vingtaine de kilomètres, alors que
BlaBlaCar se positionne sur du covoiturage longue distance. La distance moyenne de nos trajets est
de 330 kilomètres. Ces trajets correspondent à des départs en weekend ou en vacances.
Rémy GERIN
L’évolution de la marque évoque le développement des liens.
Laure WAGNER
Oui, nous étions covoiturage.fr avant de nous rebaptiser BlaBlaCar pour refléter les discussions
passionnantes en covoiturage. Nous avons choisi ce nom depuis 2008.
Rémy GERIN
Cette composante de création et de développement de liens constitue-t-elle une motivation majeure
des utilisateurs qui pratiquent le covoiturage ?
Laure WAGNER
Conformément à l’étude précédemment présentée, la première motivation, largement dominante,
est financière. L’objectif des conducteurs et des passagers est de réaliser des économies. La
dimension économique est dominante tandis que l’aspect sympathique de cette pratique, qui
permet de créer des liens humains, est secondaire. Malheureusement, la motivation écologique
arrive en dernier dans les critères de décision.
Rémy GERIN
Bon, et alors… Combien de mariages et bébés BlaBlaCar à ce jour ? ;)
Laure WAGNER
Nous n’en avons aucune idée. Nous aidons surtout des couples à distance à se voir plus
fréquemment. Les utilisateurs se déplacent pour rendre visite à leur famille et leurs amis ou pour voir
leur conjoint. Cependant, ces moments humains sont sympathiques. En tant qu’ambassadrice, j’ai
rencontré des personnes très différentes : une sage-femme, un pompier, une vendeuse à Rungis, etc.
Je n’aurais peut-être pas eu l’occasion de les rencontrer dans un autre contexte. Ces liens éphémères
sont sympathiques. Nous avions estimé que BlaBlaCar avait créé 35 millions de connexions humaines
en voiture.
Rémy GERIN
Les avis publiés entre les consommateurs et collectés par la plateforme forment la e-réputation des
utilisateurs. Cela ne représenterait-il pas le casier judiciaire du XXIème siècle ?
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Laure WAGNER
Vous êtes négatif.
Rémy GERIN
Pas du tout. De fait, cela peut représenter selon moi le casier judiciaire du XXIème siècle. Au XXème
siècle, le casier judiciaire était déféré à une autorité qui agissait selon des règles. Accepterions-nous
aujourd’hui de confier à nos pairs ou à des plateformes la constitution de notre casier judiciaire
numérique ? Cette e-réputation sera consultée dans les prochaines années pour évaluer la confiance
qu’on peut accorder à quelqu’un.
Laure WAGNER
Vous voyez le verre à moitié vide. Les avis permettent de créer de la confiance. Nous comptons un
nombre minime d’avis négatifs. Ces avis facilitent la confiance, et donc les transactions entre les
particuliers en formant un cercle vertueux. Nous considérons que notre rôle, chez BlaBlaCar, est de
créer la confiance. A ce titre, je vous invite à consulter notre site betrustman.com sur le thème de la
confiance. Notre rôle est de créer de la confiance et de la fiabilité. Nous demandons ainsi à nos
membres de se déclarer : photo, prénom, âge, biographie, etc. Ensuite, les conducteurs et les
passagers se notent après chaque trajet. La clé de l’évaluation porte sur la conduite afin que nous
régulions la communauté. Le paiement en ligne constitue également un aspect critique pour pallier
aux faiblesses humaines dans l’engagement oral. Ainsi, en 2011, alors que nous comptions un million
de membres, 35 % des passagers se désistaient. Aujourd’hui, avec notre système de réservation en
ligne qui représente un engagement plus fort, ce taux d’annulation est descendu à 3 %.
Contrairement à ce qu’indiquait l’étude de Mediaprism, le covoiturage n’est pas réservé aux jeunes :
nos utilisateurs sont équitablement répartis par tranches d’âge. Nous attirons des quadragénaires ou
des quinquagénaires car nous sommes parvenus à faire du covoiturage un moyen de transport fiable.
Par ailleurs, le nombre de places disponibles par voiture est actualisé en temps réel sur le site. En
tant que tiers de confiance, notre rôle est de modérer les contenus et de vérifier les informations
(email, numéro de portable, RIB du conducteur). L’accès à ces données nous renseigne sur nos
utilisateurs pour créer de la confiance. Nous avons libéré le partage entre particuliers, dont le
principal frein était la crainte. En 2004, personne ne croyait au concept.
Ce développement a nécessité des investissements conséquents en termes de réflexion et de risques
d’entrepreneurs pendant des années. Dans le cadre du covoiturage, la consommation collaborative
sur un format d’économie sociale et solidaire n’aurait pas fonctionné. Des moyens financiers sont
nécessaires pour construire une communauté de 12 millions de membres, notamment en levant des
fonds. En 2010, nous avons ainsi levé 1 million d’euros, 10 millions en 2012 et 100 millions en juillet
2014. Nous n’aurions pas pu populariser et fiabiliser le covoiturage sans ces ressources. Nous
percevons aujourd’hui une commission sur les réservations en ligne. Nous sommes toujours les
rêveurs d’il y a dix ans bien que nous soyons une SA capitaliste. Néanmoins, les salariés sont engagés
dans la démarche puisque 40 % d’entre nous sommes sont ambassadeurs sur BlaBlaCar. Nous
sommes mordus de notre activité, qui est une forme de business.
Rémy GERIN
Quelle est votre position sur la délégation de la réputation à des tiers ?
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Jean-Louis CABRESPINES
Personnellement, Internet me fait extrêmement peur. La diffusion de messages non contrôlés peut
devenir destructrice pour les personnes. La réponse réside en partie dans le rôle des tiers de
confiance. La diffusion d’informations sur une personne est destructrice en l’absence de régulation.
Par exemple, la diffusion par des jeunes de certaines informations sur les blogs ou sur Facebook à
propos de leurs amis a pu engendrer des conséquences dramatiques. Je suis ainsi réservé sur la
communication de pair à pair. Toutefois, si cette communication est modérée par un tiers de
confiance capable de vérifier les informations, cette solution est envisageable. Dans le cas
d’informations brutes, je vous rejoins sur la notion de casier judiciaire du XXIème siècle. Ces
informations peuvent même s’apparenter à de la diffamation. Ce mécanisme destructeur susceptible
de créer de la distance sociale requiert notre vigilance.
Rémy GERIN
Vous avez indiqué que BlaBlaCar a créé 35 millions de liens. Comment modérez-vous cette masse
d’avis ?
Laure WAGNER
Nous ne lisons pas les 97 % d’avis positifs. Cependant, les 3 % d’avis négatifs sont analysés par notre
équipe relation membres, quarante personnes à plein-temps, qui prend des décisions en fonction de
la nature de l’avis. Lorsque l’avis est injustifié, nous demandons à la personne qui l’a produit de le
transformer en avis positif ou nous le supprimons. Si l’avis est justifié, soit il est laissé tel quel et donc
visible sur le profil du conducteur, soit, s’il est grave comme par exemple s’il évoque un excès de
vitesse, l’avis ne sera pas visible : en effet, nous fermons le compte de la personne.
Rémy GERIN
Le vérifiez-vous ?
Laure WAGNER
Oui. Nous appelons les autres passagers pour réaliser une enquête. BlaBlaCar s’efforce de gérer les
problèmes rencontrés.
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ECHANGES AVEC LA SALLE
Arnaud FAUCON, secrétaire national de l’association de consommateurs Indecosa-CGT
Ce débat passionnant suscite beaucoup d’interrogations sur le devenir et les motivations de la
consommation collaborative. Le spectre étant large, le consommateur type n’existe pas. Cette
démarche englobe plusieurs enjeux sur notre avenir, dont l’économie circulaire. Cependant, je
perçois des inquiétudes sur le rôle de l’Etat. Les citoyens vivant à la campagne ne disposent pas d’un
accès acceptable aux transports publics. C’est catastrophique. De plus, l’étude que nous avons
récemment réalisée sur le prix du fioul montre que le prix, actuellement dans la fourchette haute, est
totalement déconnecté du prix réel.
Cette situation force les consommateurs à se regrouper. Or l’Etat est censé jouer un rôle de
régulateur. Face à l’incapacité des Etats à réguler de manière pertinente, les citoyens s’adaptent et
recherchent des alternatives. Une étude prospective sur la consommation collaborative est ainsi
nécessaire pour nous projeter dans la société de demain.
Pascal GILOIRE, Centre technique régional de la consommation (CTRC) de Basse et Haute
Normandie
Je note certaines erreurs d’appréciation de la notion de capitalisme. L’investissement de fonds
importants dans BlaBlaCar n’implique pas nécessairement une démarche capitaliste. La question de
l’utilisation des fonds investis, puis de la redistribution de cet argent, est posée. Dans l’économie
sociale et solidaire, je m’intéresse en particulier à l’apparition des monnaies complémentaires sur les
territoires. Ce phénomène reflète le besoin de liberté et le besoin d’être rassuré exprimés par la
société. La dimension de proximité est centrale dans la consommation collaborative : les AMAP
permettent ainsi de rassurer le consommateur qui rencontre le producteur. Ces phénomènes se
renforceront. Je regrette la démarche actuelle visant à intégrer ce phénomène au modèle capitaliste
ou libéral. Ce nouveau mode de consommation peut-il constituer en soi un modèle d’avenir ?
Rémy GERIN
Les deux modèles sont possibles. Les opérateurs qui développeront des services collaboratifs
pourront adopter l’un des deux modèles : un modèle capitaliste ou un modèle d’entreprise sociale et
solidaire. Nous observerons l’émergence des deux modes d’organisation pour servir une même
cause. Je préfère le concept de signaux faibles au terme de régulation. Les Américains utilisent la
formule « necessity is the mother of invention » : lorsque des nécessités apparaissent, les personnes
s’organisent et créent des solutions. Ces démarches sont ensuite reprises, accompagnées ou
développées par des organisations qui se structurent. Cette tendance me paraît inéluctable.
Anne-Charlotte LELUC, Direction générale de la cohésion sociale, Ministère des affaires sociales, de
la santé et des droits des femmes
Je me permets d’apporter quelques précisions sur la frontière entre économie collaborative et
économie sociale et solidaire. Par exemple, BlaBlaCar pourrait tout à fait être une entreprise de
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l’économie sociale et solidaire. La loi parue le 31 juillet 2014 fixe certains seuils de redistribution et
de mise en réserve des profits. Ces deux économies complémentaires ne s’opposent pas.
Anne DE BETHENCOURT
J’abonde dans ce sens. Toute consommation collaborative, ou sociale et solidaire, n’est pas
nécessairement écologique, et vice versa. L’économie circulaire n’est pas nécessairement sociale et
solidaire ou collaborative. En d’autres termes, l’appartenance à une certaine économie dépend de la
finalité. La consommation collaborative peut représenter un phénomène de surconsommation,
même si elle améliore la performance d’usage. Le covoiturage a réellement permis de réduire le
gaspillage des voitures qui n’étaient utilisées que 5 % de leur temps. Néanmoins, le covoiturage est
également susceptible de développer une forme de surconsommation. Aucun modèle n’est idéal. Il
convient donc de prendre en compte la finalité. L’économie circulaire vise à améliorer le modèle
existant de production et de consommation. Le XXIème siècle ne requiert pas un modèle qui réduit
simplement l’impact : l’enjeu est de trouver un modèle dont l’impact social, environnemental et
économique soit positif. Les finalités de chaque entreprise et de chaque modèle doivent être
analysées.
Jean-Louis CABRESPINES
Tout d’abord, l’économie sociale et solidaire n’est pas nécessairement capable de remplacer
l’économie capitaliste. Je considère que ces modes entrepreneuriaux différents peuvent être
complémentaires. Je crois beaucoup à l’économie sociale et solidaire qui assure une certaine égalité
entre les personnes qui la promeuvent et la défendent tout en créant du lien social. Elle permet de
regrouper des individus qui réalisent ensemble une activité, plutôt que de travailler pour le compte
d’un tiers. Malgré tout, les inconvénients sont nombreux.
Ensuite, j’insiste sur le fait qu’une même activité peut être réalisée par une entreprise capitaliste ou
une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Cette économie couvre tous les champs de
l’économie. Par ailleurs, l’activité des entreprises de l’économie sociale et solidaire requièrent
également des capitaux et sont capables d’emprunter. La logique entrepreneuriale diffère. Chacun
des créateurs est porteur du projet : la finalité réside dans l’entreprise et dans les personnes qui la
constituent plutôt que dans le capital susceptible d’être généré. Comme toute entreprise, elle vise à
réaliser des bénéfices qui sont réinvestis dans l’activité.
Je confirme les problèmes de transports rencontrés en milieu rural. L’économie collaborative ne
constitue pas une réponse suffisante. La responsabilité de l’Etat sur ces enjeux doit être interrogée
par les citoyens pour ne pas créer une société à deux vitesses entre le rural et l’urbain.
L’Observatoire de l’économie sociale, qui étudie les activités réalisées sur les territoires, signale que
les entreprises de l’économie sociale et solidaire se développent principalement dans les zones
géographiques les plus reculées car elles apportent des réponses aux besoins locaux. Les entreprises
privées ou les autoentrepreneurs privilégient les marchés urbains plus faciles à toucher que les
marchés ruraux, par exemple dans le segment de l’aide à la personne. Nous devons nous questionner
sur le tissu économique de notre pays et sur l’égalité des territoires.
Enfin, la démarche des associations pour le maintien de l'agriculture paysanne (AMAP), qui vise à
garantir aux producteurs un niveau de revenu et aux consommateurs des produits de qualité à une
fréquence régulière, est intelligente. Cependant, l’AMAP que j’avais créée ambitionnait de devenir un
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lieu de lien social. Or ses cinquante membres se sont progressivement mués en simples
consommateurs. Par exemple, une majorité n’assure plus les permanences tandis qu’une minorité se
démène pour faire vivre le projet. Comment pouvons-nous parvenir à impliquer les citoyens et à
créer du lien social dans nos formes d’économie (collaborative, sociale ou circulaire) ? Cette question
reste ouverte.
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