L`arrivée d`un messie Inca
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L`arrivée d`un messie Inca
DÉPARTEMENT D’HISTOIRE Faculté des lettres et sciences humaines Université de Sherbrooke L’arrivée d’un messie inca à l’aube de l’indépendance latine: la rébellion péruvienne de 1780-1781 Par Martin Paquette Travail présenté à M. Maurice Demers dans le cadre du cours HST 217 Histoire de l’Amérique latine depuis 1800 Sherbrooke Novembre 2010 1 L’arrivée d’un messie inca à l’aube de l’indépendance latine: la rébellion péruvienne de 1780-1781 Introduction Lorsque l’on parle de la conquête d’indépendance en Amérique latine, nous avons trop tendance qu’à parler des mouvements des fameux Bolivar et San Martin. Comme si avant eux, il n’y avait jamais eu aucune conspiration contre la couronne espagnole. En fait, il y en a eu tout au long de l’époque coloniale, parfois par des Créoles, mais bien souvent par des indigènes. L’indigène, bien que très oublié après, occupe une grande place dans le processus d’indépendance du continent. Le point culminant de ces révoltes indigènes se trouve dans la deuxième partie du 18e siècle, avec la rébellion de Tupac Amaru II en 1780-1781, un descendant inca s’étant proclamé roi sous le nom de José 1 er. Malgré qu’il ne constitue pas le premier soulèvement autochtone, il est le premier qui effraie sévèrement l’Empire espagnol ainsi que plusieurs Créoles. Ce soulèvement en plus d’être un évènement marquant du Pérou du 18e siècle, est aussi marquant pour les décennies à venir. En autre sur le sort de l’Amérique latine, mais aussi dans la pensée populaire. Des indigènes participeront aux guerres d’indépendance aux cotés de Bolivar et San Martin, toujours en espérant un sors meilleur. Au 20e siècle, Tupac Amaru II et sa révolte devient idolâtrer dans la culture populaire par des écrivains célèbres comme Pablo Neruda, qui écrivit un poème sur lui. Ainsi, la rébellion a marqué l’Amérique latine même si elle a été de courte durée et qu’elle demeure d’un point de vue historique encore flou. On sait peu de choses de cette rébellion, et de son lien culturel avec l’indépendance. S’il y a méconnaissance sur l’œuvre de Tupac Amaru, il serait facile de se servir de son image à tort. Ici, cette recherche tente de discerner ce qu’est concrètement la révolte de José Gabriel Condorcanqui (de son vrai nom), tant en analysant le contexte de la révolte, le personnage de Tupac Amaru, la révolte en elle-même, et son sens idéologique et millénariste. Les causes et précédents de la Grande révolte Lorsque l’on analyse les causes de cette révolte ethnique, il faut remonter au tout début de l’époque coloniale. L’arrivée des Espagnols entraine une chute spectaculaire de la civilisation inca. Cette civilisation avait réussi à s’imposer en tant qu’empire face aux autres peuples américains avant l’arrivée des conquistadors espagnols. En 1571, on voit l’accession d’un nouveau, mais surtout dernier, empereur à la tête des Incas. Il s’agit du jeune Tupac Amaru I. Son règne est bien court puisqu’il meurt décapité l’année suivante en 1572. L’époque coloniale pour les autochtones se résume par une extrême exploitation d’eux, au point d’en mourir rapidement. L’indien, bien que natif de ce pays, se retrouve déraciné et son mode de vie, aussi bien spirituel que matériel, a été chamboulé. On leur demandait entre autres de payer des taxes très élevées arbitralement. Si un Indien ne pouvait pas payer ses taxes, quelqu’un de sa famille devait trouver l’argent sinon tout ce qu’il possède lui sera saisi.1 Pire encore, les corregidors avaient le monopole sur des districts de commerce appelé reparto. Avec ce système, l’Indien est forcé d’acheter du corregidors, et ce, même quand il ne veut pas acheter! En 1754, 509 habitants de Arica achètent 2000 mules de force.2 À l’époque, il aurait été fréquent de pouvoir amasser entre 200 000 et 300 000 pesos pour un investissement en marchandise de 60 000 pesos. 3 Il n’est donc pas étonnant que José Gabriel Tupac Amaru et beaucoup des siens crussent qu’il n’existait aucun honnête corregidors. Évidemment, les Incas ont protesté contre les reparto. 1 Lillian Estelle Fisher. The Last Inca revolt :1780-1783. Oklahoma, Norman, 1966, p.10 2 Claude Auroi. Des incas au sentier lumineux : l’histoire violente du Pérou. Genève, Georg, 1988, p.100 3 Lillian Estelle Fisher. Op. cit., p.13 3 Les missions d’évangélisation indigènes, qui avaient pour mission de leur veiller à leur bien-être, auront aussi comme effet de les appauvrir. Les prêcheurs ont la fâcheuse habitude de les extorquer. Par exemple, un prêcheur de la province de Quito dira qu’il collecte annuellement plus de 200 moutons, 6 000 poulets, 4 000 porcs et 50 000 œufs.4 S’installe alors une méfiance du clergé chez les indigènes. D’ailleurs, lors de la révolte de 1780-1781, une revendication sera de créer une église catholique strictement pour inca. Aussi, on assiste au déclin de l’Espagne comme grande puissance au XVIIIe siècle. En 300 ans, les quelque 3000 tonnes d’or extrait de ses colonies d’Amérique au détriment des Autochtones filent vers d’autres pays d’Europe.5 Le pays n’a pas pris le soin de se servir de ses avantages financiers considérables pour se moderniser; l’Espagne accuse un retard. Tellement, que Charles III s’est vu contraint d’accepter un règlement de commerce libre avec 13 ports espagnols et 22 ports américains en 1778. Lima perdit son droit de monopole avec la métropole.6 Des compétitions régionales naissent, tandis que Lima est mécontent. Vers la fin du 18e siècle, on peut facilement noter une réorientation des exportations coloniales. On exporte davantage de produits agricoles, comme le sucre, le café et le cacao (alors très demandés en Europe). Par conséquent, on voit une extension des latifundia encore une fois au détriment des Indiens, noirs et autres sang-mêlé.7 Il ne faut pas oublier aussi les grands évènements de l’époque, comme la Révolution française 4 Ibid.,, p.15 5 Claude Auroi. Op. cit., p.96 6 Ibid.,, p.96 7Ibid.,, p.97 et la Révolution américaine. En même temps et aussi influencés par les Lumières, les Créoles exigent davantage de pouvoir de la métropole (chose que l’indigène fera aussi). L’Européen a tendance à ne pas aimer le Créole et vice-versa. Chacun affirmait sa supériorité sur l’autre.8 Toutefois, l’homogénéité sociale n’est pas totale chez les Créoles; il existe des pauvres blancs qui traînent derrière une existence misérable classée parmi celles des Indiens et des Noirs9. Eux aussi aspirent à un sort meilleur et plusieurs aideront les indigènes lors des révoltes contre l’Espagne. Par ailleurs, le métissage durant l’époque coloniale était répandu. Les métis et autre sang-mêlé étaient considérés comme des moins que rien, même s’il représentait une grande majorité des artisans, prêtres et soldats dans les cités.10 En parallèle au déclin espagnol, un nationalisme indien se développe au Pérou. En effet, il serait faux de croire que la gloire de l’Empire inca serait morte avec le dernier empereur. Au 18e siècle, on montrait encore l’arbre impérial des treize Incas qui avait régné sur le Pérou dans l’Église de Cuzco.11 Vers le milieu du siècle, on voit déjà des mouvements de dissension autochtone. Entre 1740 et 1750, il y a eu cinq soulèvements indigènes au Pérou, alors qu’entre 1770 et 1779, il y en a eu soixante-six.12 En 1742, le 8 Jean Descola. La vie quotidienne au Pérou au temps des Espagols, 1710-1820. Paris, Hachette, 1962, p.25 9 Ibid., p.26 10Ibid., p.30 11 Ibid., p.57 12 Claude Auroi.Op.cit., p.100 5 cacique Juan Santos se proclame roi inca dans les montagnes de Chanchamayo sous le nom d’Atahualpa II (Atahualpa étant un ancien empereur inca). La même année nait un homme qui exaltera la nation inca, José Gabriel Tupac Amaru. Pendant 20 vingt ans, soit de 1742 à 1761, Juan Santos se bat contre l’Espagne en proclamant qu’il veut reconstituer le royaume inca avec ses fils indiens, métis et Noirs.13 La longévité du mouvement impressionne, mais il faut le remettre dans son contexte. La révolte de Santos a lieu dans une région du Sud andin qui n’est pas un nerf de l’activité commerciale coloniale, contrairement à Tupac Amaru ce qui explique que les Espagnols se sont acharnée sur son mouvement dès le début. De plus, Santos choisit de mener des attaques-surprises plutôt que de grande bataille globale.14 En 1749, une rumeur affirmant la mort de Santos apparaît; les Indiens des villages qui le soutenaient se mettent à conspirer contre Lima. Plus de 2000 conspirateurs désirent mettre le feu aux quatre coins de la cité et de profiter de la panique pour assassiner le vice-roi.15 Mais ce fut l’échec. Les mouvements de Tupac Amaru et de Juan Santos ont tous deux fait référence à la figure de l’Inca, et dans des territoires de l’ancien empire. Les indigènes des différentes communautés recherchaient le retour d’un grand chef inca rédempteur.16 Mais l’objectif de Santos demeure de répondre clairement à la conversion catholique plutôt que de 13 Carmen Bernand-Munoz. Les Incas, peuple du Soleil. Paris, Gallimard, coll. Découvertes, 1988, p.107 14 Scarlett O’Phelan Godoy et Anne Diaz Chauvigné. L’utopie andine : Discours parallèles à la fin de l’époque coloniale. Histoire des Annales, Sciences sociales, 49e année, no.2, p.476 15 Jean Descola. Op. cit., p.59 16 Scarlett O’Phelan Godoy et Anne Diaz Chauvigné. Op.cit., p.473 critiquer ouvertement les institutions. On se créer notre propre religion. Ce faisant, « Les Indiens convertis à la sainte foi (avaient abandonné) leurs réductions, obligeant les religieux et les gens qui les accompagnaient à se retirer avec leurs trésors et avec les biens de l’Église ».17 Cela témoigne bien de la mise en échec des missions franciscaines au profit de Juan Santos. Il devenait un nouveau fils de dieu venu pour libérer les Indiens de l’esclavage épuisant dans les champs et dans les boulangeries. On partageait l’impossibilité de pardonner aux clergés espagnols de les exclure des ordres sacrés. Santos aurait vu lors de voyage avec des jésuites des prêtres noirs en Angola, et cherchait à ramener ce syncrétisme religieux à son pays. José Gabriel Condorcanqui Prétendu descendant du dernier Empereur inca, José Gabriel Condorcanqui s’impose brillamment comme le rédempteur tant attendu par les indigènes de la vice-royauté du Pérou. Comme l’écrit Pablo Neruda dans son poème sur Tupac Amaru; « Seigneur inca, père cacique. Tout était gardé dans tes yeux. Comme en un coffre calciné par l’amour et par la tristesse. L’indien tourna vers toi son dos, de fraîches morsures y brillaient dans les anciennes cicatrices de châtiments presque oubliés. » Très populaire chez les mouvements indigènes de son époque, Tupac Amaru finit quelque peu oublié des mémoires après son échec. En effet, les Espagnols s’efforcent dans les années suivantes d’exterminer toute parenté du défunt rebelle. Si bien que, les seuls survivants connus aurait été quelques neveux ayant trouvé refuge au Surinam.18 Toutefois, l’histoire de Tupac Amaru retrouve une forte popularité durant le 20e siècle lorsque l’on se réinterroge sur les guerres d’indépendance et sur les mémoires autochtones. Ainsi, il faut replacer aussi Pueblo Neruda et son poème dans cette optique. 17 Ibid,. p.475 18 Carmen Bernand-Munoz. Op. cit., p.110 7 Juana Pilcochuaco, la petite fille de Tupac Amaru I, marie Diego Felipe Condorcanqui, l’ancêtre de José Gabriel, un indien cacique du Surinam.19 Le seul enfant à survivre de cette union fut Blas Tupac Amaru, le grand-père de José Gabriel. Ce dernier nait en 1742 dans la province de Tinta. Il reçoit une meilleure éducation que la plupart des Indiens, puisqu’à l’âge de dix ans il part étudier au collège jésuite de San Francisco de Borja à Cuzco (fondé pour les enfants indiens de sang noble).20 D’ailleurs, ses professeurs deviennent rapidement impressionnés par sa capacité d’exceller dans 3 langues différentes : le Latin, l’Espagnol et son langage natal. À l’âge de 16 ans, il se marie avec une Espagnole pur-sang du nom de Micaela Bastidas Puyucahua.21 Environ au même moment, le père de José meurt et il reçoit le droit de curaca de la région de Tungasuca et certains autres villages.22À force d’acheter des mules de force, certains Incas se sont imposés comme grands commerçants en faisant circuler de la marchandise vers les hautes montagnes des Andes, c’est comme ça que se construit ce droit héréditaire. Ainsi, José Gabriel vivait dans une grande luxure. Lorsqu’il voyageait, il était toujours accompagné par plusieurs serviteurs.23 En 1770, José décide d’aller à Lima pour établir son droit de 19 Lillian Estelle Fisher. Op. cit., p.23 20 Ibid., p.26 21 Ibid., p.26 22 Philip Ainsworth Means. The Rebellion of Tupac-Amaru, 1780-1781. The Hispanic American Historical Review, Vol.2, no.1, p.14 23 Ibid., p.15 propriété terrienne (des incas ignobles avait réussi à devenir puissant dans l’époque coloniale et à revendiquer des terres qui n’était pas eux); à ce moment, personne de Lima ne savait qu’il était un descendant du dernier Inca. Sept ans plus tard, il est de retour à la Cour de Lima pour se défendre contre Diego Felipe Betancour, qui essayait d’usurper son leadership autochone. Il va cette fois tenter de prouver à l’aide de document sa descendance inca. Au même moment, Antonio Arriaga est le corregidor de Tinta. Selon Tupac Amaru, Arriaga est sans scrupule et n’hésite pas à imposer trois reparto à la population ce qui lui a donné jusqu’ici 300 000 pesos. Alors que ces livres indiquaient 112 000 pesos pour les cinq dernières années et qu’à sa mort, il laissait une fortune de 50 000 pesos.24 Le 4 novembre 1780, Arriaga est capturé par Tupac Amaru, bien que les historiens ne s’entendent pas sur les circonstances de l’enlèvement. Étant à ses débuts, le mouvement de révolte de Tupac Amaru force Arriaga à signer une lettre ordonnant d’envoyer immédiatement tous les fonds du Trésor pour défendre le port d’Aranta contre des invasions de pirates anglais. Finalement, Arriaga est exécuté sur la place publique par ingestion d’or fondu.25 Il faut y voir avant tout un geste symbolique; on voulait faire payer les Espagnols pour les souffrances de leur peuple. Les assoiffés d’or doivent avoir ce qu’ils méritent. Toutefois, plusieurs historiens se sont demandés pourquoi Tupac Amaru a décidé de devenir aussi radical aussi subitement. Certains disent même que les deux hommes développaient une certaine amitié26 Alexander von Humboldt croit que la cause immédiate de la révolte est le désir de se venger de l’outrage fait à Tupac Amaru 24 Lillian Estelle Fisher. Op.cit., p.39 25 Jean Descola.Op. cit., p.61 26 Lillian Estelle Fisher. Op. cit., p.38 9 lorsque la Cour ne la pas déclaré descendant inca, ce qui est arrivé environ au même moment.27 Le système des reparto avait favorisé l’apparition de propriétaires terriens cacique intrus, au détriment des caciques de lignage noble. Plusieurs d’entre eux ont dû aller faire reconnaitre leur lignage ancestral pour garder leur droit territorial.28 Ce fut entre autres le cas de José Gabriel Condorcanqui. Il faut aussi y voir le désir de profiter de privilège financier, puisque la nouvelle législation des reparto stipulait que seul l’ainé d’un lignage indigène pouvait bénéficier d’une exonération fiscale.29 Quoi qu'il en soit, c’est l’assassinat d’Arriaga qui déclenche les hostilités. La révolution est en marche. La révolte de 1780-1781 En assassinant Arriaga, Tupac Amaru s’accapare son argent et s’en sert immédiatement pour bâtir son armée. On peut payer des Indiens qui autrement n’auraient pas rejoint le mouvement.30 En chemin vers Sangarara, de nombreuses hacienda sont saccagées et pillées, ce qui totaliserait une somme de 400 000 pesos. 31 Le 17 novembre 1780, Tupac 27 Ibid., p.51 28 Scarlett O’Phelan Godoy et Anne Diaz Chauvigné. Op. cit., p.483 29 Ibid., p.483 30 Philip Ainsworth Means. Op. Cit., , p.18 31 Lillian Estelle Fisher. Op. Cit., p.96 Amaru lance l’attaque sur la ville avec seulement une centaine d’hommes. Les forces espagnoles de la ville et les indigènes alliées se retranchent rapidement dans l’église. Le jour d’après, ils attaquent l’église qui finit par prendre flammes. Au total, 570 Espagnols meurent alors que les troupes de Tupac Amaru totalisent 30 blessés et 15 morts.32 Pour ce geste, José Gabriel Tupac Amaru est excommunié.33 Cette victoire triomphante pour les Indiens les incite à rejoindre les rangs des troupes. À la fin de l’automne, l’armé inca compte 6000 soldats dont 3000 muni d’un mousquet.34 Le mouvement grossit à un rythme dément puisqu’à la fin décembre, Tupac Amaru affirme avoir sous ses ordres près de 60 000 hommes.35 Il faut dire que les conditions étaient bonnes pour la révolte. L’ensemble du Sud-Américain indigène semblait exaspéré par leur condition et surtout par les Espagnols. En même temps, un autre mouvement dirigé par Tomas Tupac Catari se formait autour du bassin du Lac Titicaca et allait se répercuter davantage sur la région de Buenos Aires. Donc, l’ampleur du conflit qui se dessine impressionne de par son nombre, mais aussi par sa superficie. La superficie des combats de la Première Guerre mondiale pouvait être équivalente à cette situation. Évidemment, les autorités espagnoles et créoles se sont rapidement montrées anxieuses face à la situation. On organisa une sévère répression. De plus, Tupac Amaru II décide de diviser ses troupes sur divers fronts. Le 12 mars 1781, les hostilités sont fortes. De 32 Philip Ainsworth Means. Op. cit.,, p.18 33 Lillian Estelle Fisher. Op. cit., p.104 34 Philip Ainsworth Means. Op. cit., p.18 35 Ibid., p.19 11 mauvaises manœuvres militaires de la part d’un Tupac Amaru peu expérimenté en stratégie militaire coûtent cher au mouvement. Ainsi, le 6 avril 1781, les troupes rebelles sont pratiquement mâtées près de Checcacupe. Lui, ses principaux lieutenants (dont certains blancs et noirs), et sa famille sont capturés et emprisonnés à Cuzco. 36 Le 15 mai 1781, il reçoit sa sentence. Il sera forcé de regarder l’exécution de sa femme, enfants, autres parents, lieutenants. Ensuite, on lui coupera la langue et l’attachera à 4 chevaux pour être démembré. Ses membres seront ensuite répandus aux différents foyers d’insurrection. La sentence est exécutée 3 jours plus tard. Sa maison fut démolie et le site complètement interdit37. Toutes ses possessions furent confisquées, son nom fut interdit de mention les livres (de même qu’une interdiction de lire le passé inca). Toutes personnes ayant un lien de parenté avec José Gabriel Condorcanqui étaient menacées par une campagne d’extermination contre eux. (Dessin de l’époque de l’écartèlement de Tupac Amaru. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/T %C3%BApac_Amaru_II) 36 Compagnon, Olivier. Révolte de Tupac Amaru. Encyclopédie Universalis (en ligne) http://www.universalisedu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/encyclopedie/revolte-de-tupac-amaru page consultée le 6 novembre 2010 37 Lillian Estelle Fisher. Op. cit., p.223 (Carte des foyers d’insurrection de Tupac Amaru. Source : http://nuestraenciclopedia.blogspot.com/2009/09/rebelionesperuanas-del-siglo-xviii.html) Néanmois, la révolte de s’arrêta pas à la mort du grand leader. Il faut attendre 1783 avant de voir la violence autochtone diminuée. À plusieurs endroits, les forces espagnoles étaient minoritaires face aux Indiens à pacifier. Par exemple, les Indiens se révoltent en 1781 à Quiquijana en tuant tous les Espagnols.38 Trois ans plus tard, sois en 1784, une nouvelle révolte s’allume sous Felipe Velasco qui entraine les Indiens de Huarochiri au rejet de l’ordre espagnol. Le leader se baptise Tupac Inca Tupanqui. On dit entre autres que Tupac Amaru n’est pas réellement mort.39 Ce fils 38 Ibid., p.240 39 Jean Descola. Op.cit., p.61 13 de dieu venu réveiller la nation autochtone ne peut mourir. L’idéologie millénariste de Tupac Amaru survit après lui comme elle survivait avant lui. Comme l’écris Pablo Neruda dans son poème : « Soleil vaincu, Tupac Amaru, de ta gloire déchirée et tel le soleil sur la mer monte une clarté disparue. Les peuples profonds de l’argile, les métiers qui ne tissent plus, les humides maisons de sable disent en silent « Tupac », et Tupac est une semence, disent en silence « Tupac » et Tupac vit dans le sillon, disent en silence « Tupac », et Tupac germe dans la terre. » La tendance millénariste et les conséquences de la Grande révolte Tupac Amaru, bien que démembré, continue à vivre après la rébellion. Notons l’exemple de Nicolas Masedo, accusé d’une rébellion dans le Haut-Pérou, qui affirme que le vrai vice-roi à Lima est José Gabriel Tupac Amaru; il nie sa mort avec acharnement. 40 L’apparition de mouvement millénariste implique forcément une mutation de l’ordre établi. L’arrivée des Espagnols a amené un élément nouveau, le christianisme. En prenant le contrôle sur le Pérou, les prêtres catholiques se chargeaient d’enseigner le peu de connaissance sur la tradition inca aux enfants nobles indigènes. On peut évidemment bien se douter que son contenu a été altéré par les dogmes de la religion catholique. 41 Avant les réformes des Bourbons, les confréries religieuses étaient devenues le noyau autour desquelles la population indigène pouvait s’exprimer. La couronne espagnole finit par expulser les jésuites du Pérou et à lancer une « deuxième » colonisation de l’Amérique. Il faut remettre les Indiens au pas de la doctrine catholique.42 Les Autochtones sont outrés! 40 Ibid., p.481 41Ibid., p.484 42Ibid., p.486 Eux qui rêvent toujours de leur grand passé. Derrière le mécontentement et la piété populaires se développent des veilles prophéties refaisait surface. En 1675, Santa Rose de Lima prédisait qu’en l’an 1777, le Pérou allait revenir à ses maitres légitimes. 43 La prophétie se réalisa au cœur de la vallée sacrée des Incas dans le village de Maras, lieu secoué par une révolte indigène. Les révoltes indiennes du 18e siècle n’ont rien à voir avec une quelconque remise en question de Jésus Christ. Par exemple, les autorités de Lima en 1750 furent surprises d’apprendre que les conspirateurs prêtaient serment devant le crucifix. Ils avaient même convenu de se donner douze grands chefs autochtones, à l’image des douze apôtres, et d’une fois la révolution faite, de placer le meilleur comme chef suprême, telle Pierre bâtissant l’Église de Jésus Christ.44 On pourrait aussi souligner l’attaque de l’église de Sangarara par Tupac Amaru. En effet, il aurait ordonné juste avant l’attaque au prêtre dans sortir le saint sacrement.45 Les révoltes s’expliquent dans la religion; les Incas estiment qu’ils n’ont plus rien à apprendre des Européens sur le christianisme. Certains exigent que plus d’Indigènes puissent entrer dans la dignité ecclésiastique, ce fut d’ailleurs une des raisons des révoltes de 1750.46 Le projet de Tupac Amaru était assez flou en fait. On ne sait pas vraiment sur quelle superficie il comptait s’étendre, et on ne sait pas non plus s’il désirait vraiment revenir au grand passé inca, lui un homme de 43Ibid., p.489 44 Ibid., p.487 45 Ibid., p.488 46 Ibid., p.491 15 lettres et bourgeois. Pour lui, revenir au passé pouvait très bien correspondre aux conditions avant que les réformes des Bourbons soient adoptées.47 Quant aux conséquences de la révolte, elle fut inévitablement un massacre des Autochtones en premier lieu. Mais elle entraina aussi la création de sept grandes intendencias. Aussi, une audiencia est établie à Cuzco en 1787 et spécialement pour les dossiers touchant les Indiens.48 Dans une outre mesure, le conflit a traversé la voie vers l’indépendance de l’Amérique, les mouvements millénaristes à venir, et la prise de conscience autochtone, comme la révolte de la péninsule du Yucatan en 1848. Les dirigeants comme San Martin et Simon Bolivar essayaient de se rallier ces indigènes assoiffés de justice, tout comme les Noirs, mais plusieurs d’entre eux ont préféré se retirer su conflit en ayant peur de subir à nouveau une sévère répression. En somme, au lendemain de l’indépendance, on vit bien peu d’avancés pour les Autochtones, sauf quelques rares exceptions. Conclusion Pour conclure, la Grande révolte trace définitivement une voie vers l’indépendance du continent. Les mouvements millénaristes qui perdurent après elle perpétuent une dissidence sociale par rapport à l’autorité espagnole. Même si le mouvement avait un programme peu défini, on ne peut prétendre que le but premier de Tupac Amaru était de remettre en question le roi. C’est au fur et à mesure des évènements, de la pression de ses frères et de son image de sauveur qu’il en est venu à se proclamer roi. À l’origine, on voulait se débarrasser du pouvoir des corregidors, affirmer que la nation inca est assez 47 Ibid., p.494. 48 Philip Ainsworth Means. Op. cit., p.25 forte pour savoir bien administrer sa foi catholique et entrer dans le clergé. L’intention demeure tout de même révolutionnaire. On comprend donc ici, la nécessité pour des gens comme Pablo Neruda de célébrer son nom. José Gabriel Condorcanqui a sonné la cloche annonçant que le monde autochtone réclame justice… et elle résonne encore… Bibliographie - Ainsworth Means, Philip. The Rebellion of Tupac-Amaru, 1780-1781. The Hispanic American Historical Review, Vol.2, no.1, p.1-25 - Auroi, Claude. Des incas au sentier lumineux : l’histoire violente du Pérou. Genève, Georg, 1988, 273 pages - Bernand-Munoz, Carmen. Les Incas, peuple du Soleil. Paris, Gallimard, coll. Découvertes, 1988, 192 pages - Compagnon, Olivier. Révolte de Tupac Amaru. Encyclopédie Universalis (en ligne) http://www.universalis-edu.com.ezproxy.usherbrooke.ca/encyclopedie/revolte-de-tupacamaru page consultée le 6 novembre 2010 - Descola, Jean. La vie quotidienne au Pérou au temps des Espagols, 1710-1820. Paris, Hachette, 1962, 302 pages - Fisher, Lillian Estelle. The Last Inca revolt :1780-1783. Oklahoma, Norman, 1966, 426 pages - O’Phelan Godoy, Scarlett et Chauvigné, Anne Diaz. L’utopie andine : Discours parallèles à la fin de l’époque coloniale. Histoire des Annales, Sciences sociales, 49e année, no.2, p.471-495 17