La démarche de conception en très petite PME

La démarche de conception en très petite PME
Delphine DA SILVA,
étudiante en DEA « Conception de Produits et Innovation » à L’ENSAM Paris.
Robert DUCHAMP,
Professeur des Universités et Directeur du Laboratoire CPI de l’ENSAM.
RESUME
Il existe de nombreuses démarches de développement de projet, selon l’axe que l’on souhaite donner à la
conception du produit ou selon la stratégie propre à l’entreprise.
Mais dans le contexte particulier d’une jeune entreprise de taille réduite souhaitant développer des concepts de
produits innovants déjà déterminés, tel que l’entreprise ABCF promotion conseil qui souhaite développer un
concept innovant de sécurisation d’espace, qu’en est-il de la mise en place de ces schémas de développement ?
Quels seront les paramètres du contexte spécifique de l’entreprise et du type de concept de produits qui
permettront de déterminer le schéma idéal de développement de produit ? Et peut-on n’envisager que le
développement de produits uniques ou doit-on forcément mettre en place une démarche de conception intégrant
la notion de gamme de produits innovants pour minimiser les risques liés au lancement de ces nouveaux
produits?
MOTS-CLES
Concepts de produits innovants, démarche de conception, gammes de produits, jeune entreprise à taille réduite,
sécurisation d’espace.
Le contexte particulier de développement du « Verrou auxiliaire à télécommande », ainsi que le
fait que le point de départ de ce projet soit une idée de produit innovant et pas un besoin perçu ou
identifié, en fait un projet à dimension particulière, qui nécessite une démarche de développement
appropriée et l’utilisation, voire la création, d’outils adaptés.
En effet, il existe de nombreuses démarches de conception de produits innovants qui partent
d’un besoin pour aboutir au produit, en développant un concept. Mais ici le produit a déjà été imaginé.
On se retrouve alors, dans un contexte très proche de celui de l’invention, à savoir un attachement fort
au produit, manifesté par l’inventeur ou le détenteur de l’idée, et une image du produit déjà imprégnée
dans les esprits. C’est pourquoi, les démarches existantes doivent nécessairement être adaptées à cette
singularité, pour mettre en œuvre des outils de représentation en amont de l’étude.
De plus, la très petite taille de l’entreprise ABCF promotion conseil impose également certaines
contraintes au développement du projet, notamment une équipe projet réduite et un délai de
développement de l’étude très court. Les nombreux outils mis à la disposition du concepteur, devront
donc être soigneusement triés pour ne retenir que des outils simples à mettre en œuvre par toute équipe
projet. Un ordre d’importance pourra également aider le concepteur à ne développer de façon
exhaustive que les outils les plus importants, dans le cas où par manque de temps, il ne puisse pas les
mettre tous en œuvre.
De même, des facteurs différents de ceux généralement pris en compte dans le développement
d’un produit comme la culture propre au pays, la personnalité de chaque individu ou la mémoire
collective peuvent jouer un rôle important et doivent être intégrés à la démarche de conception. En
effet, ce sont ces éléments qui permettront de justifier la conception de ce produit par rapport à un
marché clairement identifié.
Et peut-on n’envisager que le développement de produits uniques lorsque l’on est une tout jeune
et très petit PME ou doit-on forcément mettre en place une démarche de conception intégrant la notion
de gamme de produits innovants pour minimiser les risques liés au lancement de ces nouveaux
produits?
10ième Séminaire CONFERE, 3-4 Juillet 2003, Belfort – France, pp. 129-134
1. NECESSITE D’UNE DEMARCHE DE CONCEPTION ADAPTE AU CONTEXTE DU
PROJET
Aujourd’hui, la démarche de conception n’est plus une démarche isolée. Elle doit s’intégrer dans
un concept que l’on appelle « ingénierie simultanée » qui oblige à mener tout projet avec une équipe
pluridisciplinaire (marketer, designer, ergonome, qualiticien, technologue, …). Ce concept
d’ingénierie simultanée est indispensable au développement de produits de plus en plus complexes car
répondant à une image de marque d’entreprise, à un marché de plus en plus concurrentiel et à un
besoin client que l’on ne peut plus ignorer dans la démarche de conception.
Il existe plusieurs démarches de développement de projet conception, selon l’axe que l’on
souhaite donner à cette conception.
Pour ce qui est des démarches de conception de produits innovants, on trouve notamment
l’Etude et développement d’un nouveau produit [ TASS 97 ] et pour faire une synthèse de toutes les
démarches de conception de produit, M. Améziane AOUSSAT nous propose une démarche en quatre
phases :
Besoin identifié
PHASE 1 :
Traduction du besoin
Traduction du besoin par
l’entreprise
Cahier des charges
fonctionnel
Interprétation du besoin
par l’entreprise
(recherche de concept)
PHASE 2 :
Interprétation du besoin
Concepts directeurs
validés
Cahier des charges
concepteurs
Définition du produit
PHASE 3 :
Définition du produit
Dossier produit
Validation du produit
PHASE 4 :
Validation du produit
Prototype
Test utilisateur
INDUSTRIALISATION
Figure 1. La démarche conception du Labo CPN. [AOU 90]
La diversité des nombreuses démarches de conception de produits innovants démontre
qu’appliquer une démarche générale à un projet, n’aboutira pas à un développement de produit
optimisé. Il faut donc adapter la démarche au contexte de chaque projet.
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Pour obtenir cette démarche optimisée, j’ai choisi d’utiliser le schéma heuristique.
La structure même des schémas est intimement liée au mécanisme cérébral. On peut les utiliser
dans presque toutes les activités mentales qui impliquent la réflexion, la mémoire, l’organisation ou la
créativité. [BUZ 84]
Le schéma heuristique permet ici, de casser la forme linéaire de toutes ces démarches de
conception de produit, pour mieux visualiser les différentes étapes du développement produit et pour
ensuite pouvoir les réorganiser selon l’ordonnancement propre au projet mené.
PROJET INDUSTRIEL
Figure 2. Schéma heuristique du projet « Verrou auxiliaire à télécommande »
De ce schéma heuristique du projet industriel, sont ressorties, les différentes phases du
développement du produit « Verrou auxiliaire à télécommande » et les différents outils à y mettre en
œuvre. Pour ce qui est de l’ordonnancement de ces phases et outils, il s’est fait en parallèle de
l’expérimentation.
2. LA DEMARCHE DE CONCEPTION DE PRODUITS INNOVANTS A PARTIR D’UN
CONCEPT DE PRODUIT DEJA ETABLI
La démarche de conception de produits innovants adaptée à une entreprise de très petite taille et
souhaitant développer des idées de produits déjà établies, se décompose en 5 phases qui sont les
suivantes :
1.
Veilles et analyses préalables
Cette phase de veilles et d’analyses, développée en amont de tout projet de développement d’un
concept innovant de produit, permettra de prendre connaissance de l’environnement du projet, les
entreprises concurrentes, les produits déjà existants, etc…
Elle est indispensable dans ce type de contexte d’entreprise qui cherche à lancer des idées innovantes
sans secteur industriel particulier, et doit être la première étape du projet de l’étude car on ne saurait
développer un produit sans avoir connaissance de son environnement.
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Les outils qui devront être mis en place lors de cette première phase d’étude sont les suivants :
- Veille Concurrentielle (Identification des produits existants)
- Veille Technologique (Recherche d’antériorité brevets)
- Veille Commerciale (Etude du marché)
- Analyse du comportement des utilisateurs (Benchmarking sur l’usage)
- Analyse de l’environnement culturel du produit
La veille peut être technologique, concurrentielle, commerciale, informationnelle,ou encore
réglementaire ou sociétale.
Ici, la veille nous permet de nous assurer que le produit innovant que l’on souhaite développer
l’est bien, qu’il sera compatible avec son environnement et qu’un marché existe vraiment. Pour cela,
nous mettrons en place trois veilles différentes : la veille concurrentielle, la veille technologique et la
veille commerciale.
Pour que cette étude du contexte de notre futur produit soit exhaustive, il faut y ajouter une
analyse de l’aspect ergonomique du contexte à travers une analyse du comportement des utilisateurs et
une analyse de la perception du produit par le consommateur dans son environnement, avec une
analyse de l’environnement culturel du produit.
Par principe, tout projet, tout travail de conception est, à plus d’un titre, original, dans un univers
en perpétuelle évolution. Dès lors qu’il doit résoudre un problème spécifique, il diffère de ceux traités
auparavant par l’ampleur ou par des difficultés inhérentes au terrain ou aux interlocuteurs, ou par les
moyens ou les informations préalables existantes, etc… [SAM84]
Les différentes veilles et analyses préalables au projet visent à cerner avec certitude toutes ces
données spécifiques au projet mené.
Les veilles permettront au concepteur de définir, par l’analyse du marché et des concurrents, la
stratégie qu’il devra mettre en place pour se différentier.
L’analyse du comportement des utilisateurs, à travers un benchmarking sur l’usage, permet d’identifier
les caractéristiques d’utilisation du produit à concevoir.
Mais ces analyses des caractéristiques jouant sur le développement du produit, ne prennent pas
en compte les données sur l’environnement culturel du produit, c’est à dire les facteurs humains liés à
son univers, à son futur marché.
Prenons par exemple la mémoire collective. Elle nous impose des schèmes comportementaux
que l’on ne maîtrise pas forcement mais qui vont forcément agir sur la perception du produit qu’aura
le futur utilisateur.
On peut également penser que la personnalité de chacun ou la culture liée à l’environnement de
chacun pourraient avoir des conséquences sur la vision et le comportement, qu’aura le consommateur
vis à vis de ce produit.
Il est donc nécessaire de construire des outils qui permettraient au concepteur de maîtriser ces
caractéristiques culturelles, pour pouvoir ensuite mieux maîtriser le développement de son produit et
minimiser les éventuels risques de rejet de la part des consommateurs.
2. Traduction du concept produit
Cette phase sert à établir, par la mise en œuvre de plusieurs outils, un Cahier des Charges
Produit le plus exhaustif possible, pour traduire le concept de produit innovant en caractéristiques
produits techniques, sensorielles et ergonomiques. De même, cette traduction du concept produit nous
permettra de valider les nombreuses contraintes liées à la représentation du produit qui s’est construite
dans les esprits.
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Les outils qui aideront à l’établissement de ce Cahier des Charges Produit sont les suivants :
- Analyse fonctionnelle externe (Bête à cornes, Diagramme pieuvre, …)
- Analyse ergonomique (Analyse des normes)
- Analyse qualitative (Influences topologiques, Analyse sémantique)
- Analyse des Tendances Conjointes (Planches tendances, Mappings, …)
3. Définition et développement du produit
« L’objectif est de définir le produit à concevoir en prenant en compte d’une part ses
caractéristiques propres (usage, esthétique et fonctionnelle), d’autre part le processus
d’industrialisation dans le but d’établir un dossier définitif produit qui servira de guide à sa
matérialisation. » [AOU 90]
- Séances de créativité sur les solutions technologiques (Fiches idées)
- Recherche de solutions (Matrice de tri,CAO, …)
- Recherche de fournisseurs et des coûts
- Maquettage fonctionnel et d’aspect
Il est nécessaire ici de signaler l’importance des modes de représentation pour une définition
précise du concept de produit innovant. C’est pourquoi il est préférable de réaliser de nombreuses
maquettes fonctionnelles et d’aspect pour que le propriétaire de l’idée puisse être mis aussi tôt que
possible face à la réalité de son produit pour qu’il ne le rejette pas par la suite, ou pour pouvoir trouver
le plus rapidement possible des compromis entre le produit qui a été définit pour correspondre au
concept et aux espérances des consommateurs d’un côté et l’image du produit qui s’était créée dans
son esprit de l’autre.
Il est important de ne pas précipiter le déroulement de cette phase pour des raison de courts
délais au détriment de l’établissement d’un prototype qui satisfasse l’inventeur et le futur
consommateur.
4. Validation du produit
La validation du produit se fera à travers des tests utilisateurs sur les différentes maquettes
réalisées. Ces tests doivent être réalisés auprès du marché ciblé.
Puis pourront s’amorcer la production et la commercialisation du produit.
- Tests utilisateurs
- Industrialisation
5. Elargissement du concept en lignée produit
Cette étape d’élargissement du concept produit à un concept plus général pouvant amener au
développement de plusieurs autres produits innovants, est nécessaire dans un projet de ce type, pour
minimiser les risques d’échec et pour donner à l’entreprise une plus grande marge de manœuvre.
Pour pouvoir développer une gamme de produit cohérente et non concurrente, les outils suivants
sont à mettre en œuvre :
- Séances de créativité sur le concept (Fiches idées)
- Outils de représentation de l’environnement culturel d’un produit
- Représentation de la gamme de produits innovants (CAO, roughts, …)
Les outils de représentation de l’environnement culturel du produit ont permis en phase 1 de la
démarche, de définir en quoi le concept de produit innovant développé est propre à un marché
particulier. Ici, ils permettront de la même manière de définir, pour d’autres marchés que l’on souhaite
viser, les caractéristiques des nouveaux produits imaginés à partir du concept élargi, qui devront être
différents pour mieux répondre aux besoins de ces autres consommateurs.
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3. LA MISE EN PLACE DE CETTE DEMARCHE DE CONCEPTION DE PRODUITS
INNOVANTS
Il est important de noter aussi que toutes les phases de cette démarche peuvent être menées en
parallèle les unes des autres pour un gain de temps et une meilleure visualisation du produit dès le
début de l’étude.
Prenons par exemple la construction des maquettes fonctionnelles de la phase 3 de la démarche,
elles peuvent se faire au fur et à mesure du développement du Cahier des Charges Fonctionnel de la
phase 2, et vice-versa.
Pour le projet de l’entreprise ABCF promotion conseil qui consiste en la conception d’un
nouveau verrou pour porte de bureau, a été entamé le maquettage en même temps que la définition du
Cahier des charges Produit, ce qui a permis de le faire évoluer au fur et à mesure des réunions avec le
propriétaire de l’idée pour aboutir à une maquette fonctionnelle et une maquette d’aspect qui
correspondent à la fois à sa vision du produit et à celle des futurs utilisateurs.
Pour ce qui est de l’étape 5, elle ne suit pas forcément l’étape 4 mais peut se dérouler en
parallèle des étapes 2, 3 et 4, ce qui serait préférable en cas d’échec du premier produit.
Ainsi, le verrou auxiliaire à télécommande visait à sécuriser les bureaux d’entreprises contre les
nombreux vols d’objets ou d’informations qui se développent aujourd’hui, et de cette phase
d’élargissement du concept, de nombreuses idées de produits visant à privilégier la communication en
entreprise ou hors entreprise ont émergé.
CONCLUSION
La démarche de conception ne doit pas être un frein au développement des produits innovants en
petite PME et doit donc pour cela être facilement adaptable au contexte propre de chaque étude. Elle
doit pouvoir également être mise en place par une équipe projet restreinte et dans un délai de
développement très court.
C’est pourquoi cette démarche de conception de produits innovants à partir d’un concept de
produit déjà établi s’adaptera aux développements de produits similaires développés dans un contexte
d’entreprise similaire ou pourra être retravaillée pour correspondre à d’autres contextes de conception
ou d’autres démarches de conception de produits déjà utilisées dans l’entreprise.
BIBLIOGRAPHIE
[AOU 90] AOUSSAT, A. – La pertinence en innovation : nécessité d’une approche plurielle.
– Thèse de doctorat ENSAM, 1990. – N° 90ENAM0005 (210 pages).
[BUZ 84] BUZAN, T. – Une tête bien faite, exploitez vos ressources intellectuelles. – Les
éditions d’organisation, 1984. – ISBN français : 2.7081.0566.3 (164 pages).
[SAM84] SAMSON, P. – Conduire efficacement sa pensée : de l’idée au projet. – Les
Editions d’Organisation, 1984 (170 pages).
[ TASS 97 ] TASSINARI, R. – Pratique de l’Analyse fonctionnelle. – DUNOD, 1997 (155
pages).
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