Un projet conçu en 1835 pour monter en chemin de fer au sommet
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Un projet conçu en 1835 pour monter en chemin de fer au sommet
Un projet conçu en 1835 pour monter en chemin de fer au sommet du Mont Blanc avec commentaires de M. Joseph VALLOT ------------------------------------------ Article issu de la revue mensuelle du Club Alpin Français « La Montagne » - n° 3, 4me année, 20 mars 1908 Avec la participation du CAF Clermont Auvergne, pour le prêt de l’ouvrage Et Denis Paccard (Délégué Technique Régional Auvergne Alpinisme) pour les photos Page 1 sur 8 Le vieux-neuf provoque toujours des étonnements et souvent de l’admiration pour les voyants qui ont su deviner les progrès des sciences dès leur aurore. Aujourd’hui, les pentes les plus risquées des chemins de fer funiculaires ne sont plus pour nous surprendre, mais qui ne resterait saisi d’étonnement en lisant la description d’un projet de chemin de fer jusqu’au sommet du Mont Blanc, conçu en 1835, à l’aurore de l’invention des chemins de fer ! En faisant des recherches dans le catalogue de la Bibliothèque municipale de Genève pour un travail géographique, je trouvai l’indication d’un recueil factice de brochures marqué F a. 534, que je me fis soumettre. C’était un recueil de brochures, principalement sur le Mont Blanc, de tous formats, depuis l’in-8* jusqu’à l’in-36*, reliées ensemble et formant un volume billot, d’un très vilain effet, à cause de la différence de formats. Les brochures étaient des itinéraires de la vallée de Chamonix, abrégés et sans intérêt, datés de 1833 à 1838, accompagnées de l’ascension au Mont Blanc d’Atkins et d’une brochure in-8* et 16 pages intitulée : Mon rêve sur les moyens de rendre l’ascension au Mont Blanc facile et agréable, par J.L. Eggen. Genève 1835. France, qu’à l’état embryonnaire, car il n’existait à l’usage des voyageurs que la ligne de SaintEtienne à Lyon, la ligne de Paris à Saint-Germain n’étant pas encore construite. Les chemins de fer menaçaient de succomber sous les quolibets des journaux, et il ne fallait pas moins que l’envergure et la prescience de Michel Chevalier pour oser écrire : « Les chemins de fer changeront les conditions de l’existence humaine ». « Quand il sera possible de métamorphoser Rouen et Le Havre en faubourgs de Paris, quand il sera aisé d’aller, non pas un à un, deux à deux, mais en nombreuses caravanes, de Paris à Pétersbourg en moitié moins de temps que la masse des voyageurs n’en met habituellement à franchir l’intervalle de Paris à Marseille, quand un voyageur parti du Havre de grand matin, pourra venir déjeuner à Paris, dîner (il faut entendre le mot dîner comme on l’employait alors, pour le repas de midi) à Lyon et rejoindre le soir même à Toulon le bateau à vapeur d’Alger ou d’Alexandrie, quand Vienne et Berlin seront beaucoup plus voisins de Paris qu’aujourd’hui Bordeaux et que, relativement à Paris, Constantinople sera tout au plus à la distance actuelle de Brest – de ce jour, un immense changement sera survenu dans la constitution du monde ; de ce jour, ce qui maintenant est une vaste nation sera une province de moyenne taille. » Les lignes prophétiques écrites par ce grand esprit se sont réalisées, et l’on n’a pas encore été au delà. Parcourant cette brochure, je constate avec stupéfaction qu’elle renfermait un projet complet de chemin de fer au sommet du Mont Blanc, que je trouvai si curieux que j’en pris copie pour le faire connaître aux alpinistes. Ce n’était pas, à proprement parler, un chemin de fer avec locomotive, mais l’idée d’un funiculaire à grande pente était peut-être encore plus extraordinaire. A la lecture d’Eggen, on croit être victime d’une mystification en voyant citer délibérément les funiculaires à câble métallique, les tunnels du Simplon et du Mont Cenis, même le canal de Suez, celui de Panama et le barrage du Nil. Mais à la réflexion, tout s’explique, et l’on voit que, malgré les apparences, l’auteur était bien de son temps. Je n’ai pu rien trouver sur sa personnalité. Son mémoire étant écrit à Genève, il était probablement Suisse. D’après sa brochure, et de son propre aveu, il n’était pas ingénieur mais il paraît avoir été au courant des découvertes les plus récentes et des projets les plus intéressants de son époque. Je lui laisserai la parole en interrompant son récit par des explications nécessitées par les faits cités ou par son style parfois un peu obscure et difficile à comprendre. En 1835, date de la publication de la brochure d’Eggen, les chemins de fer n’étaient encore, en Page 2 sur 8 « En réfléchissant sur les dangers de l’ascension au Mont Blanc, l’auteur de cet écrit a cherché s’il n’y aurait pas quelque moyen de les éviter. Il en a imaginé un qui ne serait peut-être pas impraticable, tout extraordinaire qu’il puisse paraître. Il va donc le proposer et donner un aperçu des moyens d’exécution, des frais et des avantages qu’on en retirerait. La limite des neiges et des glaces sous notre latitude est à environ 8 000 pieds** : de là jusqu’à la cime du Mont Blanc il y en a 6 000 mais vu les inégalités de la pente on peut l’estimer à 10 000. En faisant sauter cette surface sur une largeur de 3 000 pieds au plus, près le glacier des Buissons, on obtiendrait une pente facile à escalader. » « Pour éviter la formation de nouveaux glaciers, le gouvernement sarde, ou, avec son autorisation, une compagnie d’actionnaires, établirait à partir de la limite des neiges une galerie en chemin couvert assez spacieux pour faciliter la circulation de l’air et assez solide pour résister, non aux avalanches qui ne seraient pas à craindre, mais à la couche de neiges et de glaces qui se reformeraient à la suite des temps. » plate-forme avec barrière serait établie sur le sommet. » Eggen ne négligeait aucune invention nouvelle. Le gaz d’éclairage, inventé par Philippe Lebon en 1801, avait rencontré des résistances universelles. Après que plusieurs sociétés eurent succombé, à la suite d’essais qui ne réussirent pas, ce n’est qu’en 1830 que la rue de la Paix fut éclairée régulièrement au gaz hydrogène ; c’était donc encore une grande nouveauté. « On y arriverait ainsi sans fatigue, sans danger et sans souffrir du froid, et conséquemment très peu de la rareté de l’air. L’imagination peut à peine se représenter l’effet de la transition de la galerie sur le sommet le plus élevé de l’Europe et de la vue subite de son immense horizon renfermant toute la chaîne des Alpes, l’Italie, la Savoie, la Suisse et la France. Aucune langue ne pourrait rendre la magie d’un tel spectacle.» « Si cette idée extraordinaire fût venue à l’auteur il y a vingt ou trente ans, il l’aurait gardée pour lui malgré l’exemple des ouvrages des anciens, car il aurait craint de passer pour fou ; mais dès lors, les ouvrages gigantesques exécutés dans toute l’Europe ont prouvé que rien n’est impossible à l’homme en fait de construction. On connaît les routes du Simplon, du Mont Cenis, du Splugen, du St Gothard, le chemin sous la Tamise à Londres, le canal plus entreprenant encore qui coupe l’Angleterre dans sa largeur et passe sous les montagnes à 1500 pieds audessus de la Saône, et enfin dernièrement, la destruction de deux rochers que l’on a fait sauter du milieu du Danube pour rendre ce fleuve navigable, opération que l’on avait toujours considéré comme impossible ; on pourrait ajouter le barrage du Nil que l’on exécute à présent. » Le projet d’Eggen consistait à décaper provisoirement une bande d’un kilomètre de large sur les pentes du Mont Blanc, en faisant sauter et précipiter dans la vallée le Glacier de Taconnaz sur cette largeur, depuis la Montagne de la Côte jusqu’au sommet du Mont Blanc ; puis à construire, sur la pente rocheuse ainsi mise à nu une galerie couverte en maçonnerie, destinée à la circulation du chemin de fer. Le glacier se serait ensuite reformé à la longue, recouvrant et protégeant le tunnel ainsi établi. L’auteur avait deviné la faible épaisseur du Glacier de Taconnaz, mais il supposait à tort que la surface sous-glaciaire était assez unie pour qu’on n’eût qu’à y asseoir une galerie, sans travaux de substruction préliminaires. Il ignorait aussi, sans doute, le mouvement du glacier et les énormes poussées latérales que la forme de la vallée, toujours un peu tortueuse, feraient subir à la galerie en maçonnerie qui ne résisterait certainement pas à ces poussées. « Une machine à vapeur monterait et descendrait rapidement les voyageurs dans des chars à roulettes comme aux montagnes russes à Paris, Lyon, etc. La galerie serait éclairée par le gaz et une La mention du Simplon, du Mont Cenis et du St Gothard s’applique, bien entendu, aux routes carrossables et non aux chemins de fer d’aujourd’hui qui ne pouvaient pas encore être en question. Le tunnel sous la Tamise, commencé par Brunel en 1824, ne devait être terminé qu’en 1841, mais Eggen en connaissait déjà les travaux. Quant au barrage du Nil, ce n’était pas, bien entendu, celui d’Assouan, dont il n’était pas question à cette Page 3 sur 8 époque, mais il s’agissait très certainement de celui construit par Méhémet-Ali en tête du Delta et dont les travaux furent commencés en 1833. « Tels sont les ouvrages achevés dans ce siècle et que dans le XVIIIe encore que l’on n’aurait pas osé proposer. D’autres entreprises colossales sont en projet, les deux principales sont la jonction de la Méditerranée et de la mer Rouge, et, celle de l’Atlantique et de la mer du Pacifique, qui, si elles s’exécutent, changeront la face commerciale du monde. » La prédiction s’est déjà réalisée pour le canal de Suez et se réalisera bientôt pour celui du Panama, à l’avantage des Japonais et au détriment de la vieille Europe. il est important que l’ouvrage soit fait dans quatre ou cinq mois. » « Deux parties distinctes existent dans cette opération, la destruction d’une partie du glacier et la construction de la galerie. » « A l’égard du glacier, la poudre pourrait être employée comme pour les rochers, et avec bien plus de facilité : les glaces supérieures n’ayant pas l’appui de celles inférieures, il est probable que leur poids les précipiterait rapidement dans la vallée de Chamonix, et qu’ainsi bien loin d’employer beaucoup de temps et de mines, on serait obligé d’empêcher une trop grande avalanche. On pourrait la faire durer pendant un mois. La fonte de cette masse et son écoulement seraient possibles pendant la belle saison et voici comment. En supposant la fonte de l’été sur cette pente, à un pouce par jour en moyenne et 120 jours de chaleur, elle doit être de dix pieds de glace soit la trentième partie de son épaisseur évaluée à 300 pieds en moyenne, ce qui ferait trente étés pour la fondre sans nouvelle neige. Mais il n’en faudrait qu’un à cause de l’action du soleil qui serait quinze fois plus fort dans la vallée de Chamonix que sur la hauteur moyenne de la pente des glaces et à cause des travaux des habitants pour accélérer l’écoulement de ces glaces dans l’Arve. » « A l’égard de l’écoulement, il se ferait sans causer d’inondation. » Glacier des Bossons et de Taconnaz « Tous ces grands ouvrage, exécutés ou en projet doivent prouver la possibilité de celui que l’auteur propose et dont les frais ne sont nullement en proportion avec les autres. Une partie de cet ouvrage, il est vrai, la destruction d’un glacier, n’a pas d’exemple mais combien d’autres ouvrages qui n’en avaient pas non plus quand on les a exécutés ? S’il n’a aussi aucune utilité apparente, il en a une très réelle quant au fond, ce que l’on ne peut pas dire de beaucoup de monuments fastueux. Arrivons maintenant aux moyens d’exécution qui doivent être prompts, car Page 4 sur 8 « Nous avons dit que la hauteur de la pente des glaces était de 10 000 pieds, les inégalités comprises, et que la largeur à enlever pourrait s’évaluer à 30 000 pieds au plus. En multipliant cette hauteur par la largeur et le produit par la profondeur, que l’auteur estime à 300 pieds en moyenne réduite à l’état d’eaux, cela ferait une masse de 9 milliards pieds cubes ; mais il est probable qu’elle serait beaucoup moindre parce que sur cette pente l’épaisseur de la glace ne doit pas être aussi grande que dans une vallée ou sur un plateau. » « D’un autre côté la largeur de l’Arve sous le pont neuf à Carouge est d’environ 200 pieds, sa profondeur moyenne de cinq pieds et sa vitesse en été de 500 pieds par minute. En multipliant donc la largeur par la profondeur et le produit par la vitesse, on trouvera qu’il passe sous le pont 500 000 pieds cubes d’eau par minute, ou 30 millions par heure, ou 720 millions par jour. » « Divisant maintenant les 9 milliards de pieds cubes*** par les 720 millions ou le double du volume de l’Arve en été, il faudrait douze jours et demi pour l’écoulement, ou quatre mois avec un accroissement de six pouces (il faudrait même moins de temps, vu que la vitesse augmenterait en raison de l’accroissement). Si l’Arve à Chamonix a moins de volume, son cours beaucoup plus rapide entraînerait une masse de glace équivalente. Il n’y aurait donc point d’inondation à craindre. » « Le temps de la fonte et de l’écoulement étant établi il reste une crainte à combattre, c’est que la chute des glaces pourrait fermer la vallée de Chamonix, arrêter le cours de l’Arve, former un lac qui détruirait les habitations de la vallée et ensuite causer comme à la vallée de Bagnes une inondation qui s’étendrait jusqu’à Genève. » « Cette crainte est également chimérique. En ménageant la chute des glaces de manière qu’elle durât 30 jours, cela ferait 300 millions pieds cubes par jour, dont il s’écoulerait le quart par la fonte et les travaux des habitants puisque 9 milliards de pieds cubes divisés par 120 jours fera 75 millions par jour. Il resterait donc au bout d’un mois sur le terrain entre l’Arve et la montagne 6 milliards 750 millions pieds cubes. Si cette masse paraissait encore trop grande on pourrait ménager la chute de manière à ce que la masse s’étendit de la vallée jusqu’à la limite des neiges ; alors il n’y aurait plus d’encombrement et toute crainte serait dissipée. Ajoutons que la largeur du glacier à enlever pour éviter les avalanches, serait probablement moindre de 3 000 pieds, ainsi que la profondeur estimée en moyenne à 300 pieds. » accélérer la chute des glaces dans l’Arve, et l’on obtiendrait également dans un mois la partie la plus importante de l’ouvrage, savoir la chute des glaces de la limite des neiges jusqu’au sommet du Mont Blanc. » « L’ouvrage devrait commencer le 1er mai pour être terminé le 1er juin. » La grande préoccupation d’Eggen paraît être la possibilité d’une inondation qui causerait un désastre à Genève, sa patrie. Ses calculs ne me paraissent pas éloignés de la vérité. En supposant au Glacier de Taconnaz, au-dessus du Plan Glacier, une épaisseur de moins de 100 mètres, il me paraît être dans le vrai. Le chiffre approximatif de 3 m. pour 120 jours, pour la fusion de la glace vers 3 000 m. d’altitude, est aussi assez vraisemblable, car j’ai trouvé environ 6 m. pour la fusion au Montanvert, vers 1 800 m. Quant à la supposition que la fusion serait 15 fois plus forte à Chamonix, elle me paraît très exagérée, malgré l’état très divisé de la glace, car celle-ci se serait accumulée en un immense cône de déjection qui se serait solidifié par regélation. Mais on aurait pu amener facilement la glace dans l’Arve qui l’aurait transportée à l’état de glace flottante, bien que la chose ne fût pas facile à cause des avalanches continuellement entretenues sur le cône de déjection pendant les travaux. Ces détails montrent que le projet était mûrement réfléchi et que l’auteur n’oubliait aucune particularité. Seul, le délai d’un mois pour l’exécution du travail aussi considérable que difficile et dangereux me semble extraordinairement court. « Avec la dernière précaution, la fonte ne s’opérerait peut-être qu’au bout de cinq ou six ans. Mais on éviterait toute crainte ainsi que les travaux des habitants pour Page 5 sur 8 « Voici maintenant les moyens d’exécution pour la galerie en chemin couvert. » « Aussitôt après la chute des glaces, c’està-dire le 1er juin, on commencerait le chemin couvert qui devrait être terminé en 100 jours, vers le 10 septembre afin de n’avoir pas l’année suivante à déblayer les neiges tombées pendant l’hiver. » « Ce chemin serait établi sur le sol avec le granit de la montagne ; il aurait dix pieds de largeur et dix pieds de hauteur, la voûte devrait avoir quatre à cinq pieds d’épaisseur ainsi que les parois pour résister à la couche de neiges et de glaces qui se reformerait à la suite des temps. D’après quelques données, 2 000 ouvriers seraient nécessaires pour faire cet ouvrage dans le temps prescrit, sans compter 3 ou 400 autres pour porter les vivres et d’autres objets. Ces ouvriers pourraient travailler sur toute la longueur du plan incliné ou bien seulement sur mille pieds de longueur pour faire l’ouvrage par partie. Ce dernier mode serait préférable en ce qu’il assurerait aux ouvriers un abri dans la partie terminée ; vu la rareté de l’air, ils pourraient se relever de temps en temps près du sommet. Le bois manquant pour la chaux à cette hauteur, on pourrait se servir d’un ciment propre à la remplacer. » travail en service régulier et, dans ce cas, il ne faudrait guère compter que sur un transport utile moyen de 10 kilogs par jour, ce qui, pour 400 hommes, ferait 4 000 kilogs. Il faudrait bien compter 2 kilogs pour chacun des ouvriers travaillant au chantier, en nourriture, boisson et bois de chauffage, ce qui, pour 2 000 ouvriers ferait 4 000 kilogs. On voit donc que le bataillon des 400 porteurs ne pourrait suffire qu’à entretenir les ouvriers, et qu’il faudrait compter un régiment pour le transport du ciment, du sable et de l’eau, sans compter les mineurs et les carriers qui devraient extraire les pierres. Sous ce rapport, Eggen était bien loin de compte ! C’est ici que l’on s’aperçoit de l’inexpérience de l’auteur en matière de travaux : il nous dit plus loin qu’il n’est ni ingénieur, ni entrepreneur, et il lui aurait fallu être l’un ou l’autre pour présenter un projet réalisable. « L’ouvrage terminé, on placerait à la limite des neiges une maison, une machine à vapeur et un restaurant. La machine à vapeur monterait et descendrait les chars à roulettes au moyen d’une corde comme au chemin de fer de St-Etienne où il y en a une d’une lieue de longueur sur une pente qui, sans cela, serait assez difficile à monter sur les chars à vapeur. » Sa galerie aurait eu 5 km. de longueur, depuis la montagne de la Côte jusqu’au Mont Blanc. En prenant les dimensions intérieures qu’il indique, soit 3 m. de large et 3 m. de haut et 1,5 m d’épaisseur, on arrive à un cube de maçonnerie de 125 000 mètres. Pour exécuter ce travail , 2 000 ouvriers travailleraient pendant 90 jours, ce qui fait 180 000 journées de travail. Mais, comme il faudrait supprimer les journées de tempêtes où le travail n’est pas possible, cela supposerait, en mettant les choses au mieux, que chaque homme produit un mètre cube de maçonnerie par jour. C’est sans doute là-dessus qu’Eggen a basé son calcul, mais il faut songer qu’une grande quantité des hommes seraient employés à fabriquer et à porter le mortier ; il faudrait établir sur place des carrières et en extraire toute la pierre nécessaire, et l’auteur ne semble pas avoir tenu compte du temps énorme exigé par cette extraction. Ici apparaît le funiculaire complet, à grande pente et à câble métallique, alors que la terminologie du matériel était encore mal connue du public ; les wagons étaient des chars à roulettes et les locomotives des chars à vapeur. Il faudrait, en outre, transporter à 3 000 m. d’altitude les cintres exigés par la construction d’une longueur de voûte de 300 m. et les porter ensuite continuellement plus haut pour continuer la voûte. Enfin, il faudrait porter à pied d’œuvre des quantités énormes de ciment et de sable pour faire le mortier, ainsi que l’eau qu’on ne trouverait plus guère au-dessus de 3 500 m. d’altitude. Pour transporter les vivres et autres objets, Eggen a supposé un bataillon de 300 à 400 hommes, mais ce serait bien loin d’être suffisant. En effet un homme peut porter de Chamonix à 3 000 m., 20 kilogs en une journée ; à 4 500 m., le même poids en deux jours, ce qui fait une moyenne de 15 kilogs par jour. Mais il ne pourrait pas faire ce Page 6 sur 8 « A l’égard des frais de cette entreprise, on ne peut, il est vari, les fonder que sur un plan exact de l’ouvrage ; cependant quelques données peuvent établir une certaine évaluation. Napoléon avait le projet de couvrir la route du Simplon d’une voûte de granit dans les endroits sujets aux avalanches et aux chutes de pierres. Cet ouvrage, dont l’ensemble aurait eu environ une lieue et demie de longueur, aurait coûté dix millions, ce qui, pour celui du Mont Blanc, de la moitié de cette longueur, ferait cinq millions. Mais comme ce dernier n’aurait que la moitié en hauteur et en largeur, soit le quart de la grandeur du premier, les cinq millions se réduiraient à 1 250 000 francs et même à moins si l’on réduisait pour le passage de deux chars à roulettes et la hauteur d’un homme c’est-à-dire à 8 pieds de largeur et à 6 pieds de hauteur, l’auteur ne l’a porté à dix pieds en tous sens que pour la circulation de l’air, précaution peut-être inutile vu le peu de temps que l’on resterait à monter et à descendre. Mais pour éviter tout mécompte, l’auteur laisse la somme entière et il la porte même à deux millions compris les frais de la chute du glaces. Comme les matériaux seraient sur les lieux, la plus grande dépense serait la paie des ouvriers. En l’établissant à 3 francs par jour cela ferait 300 francs pour chaque homme soit 600 000 francs ; si l’on en ajoute autant pour la chute des glaces, la poudre et d’autres frais on arrivera à la première somme, donc il est probable que les deux millions seraient le maximum de la dépense. » « Le plan achevé, un directeur, des ingénieurs, maîtres et contremaîtres, dirigeraient l’ouvrage et les ouvriers comme un régiment à la manœuvre, un grand ordre serait encore plus nécessaire là que dans beaucoup d’autres constructions. » « Voilà les moyens d’exécution que l’auteur croît devoir indiquer ainsi que les frais probables. Les ingénieurs pourront arriver à une plus grande certitude sous ces deux rapports. » montagne comme au Simplon, au Mont Cenis, et voici le temps qu’un pareil travail exigerait. » « La grande galerie du Simplon, qui a 500 pieds de longueur, a pris deux ans et demi pour le percer. D’après cette donnée, la galerie du Mont Blanc, qui en aurait 10 000, prendrait cinquante ans, et comme on ne pourrait y travailler que d’un seul côté, cela ferait cent ans. Mais comme elle n’aurait que le quart de la grandeur de l’autre, ces cent ans se réduiraient à vingtcinq ans, soit 90 fois plus de temps qu’il n’en faudrait pour le chemin proposé et en travaillant toute l’année. » « Les frais seraient à peu près les mêmes à l’égard des ouvriers, vu que leur nombre serait aussi environ la 90e partie, mais la consommation de poudre serait considérable ; ainsi, outre le temps, le total des frais serait probablement plus grand. » Voici maintenant venir les tunnels du Simplon et du Mont Cenis ! Mais ce n’étaient que de petites galeries sur routes, dont la première n’avait que 170 m. de long. N’est-il pas curieux de voir la permanence des grands passages, le chemin succédant au sentier, la route au chemin et le chemin de fer à la route, mais le trafic suivant obstinément la même voie depuis des siècles ! Enfin, ici apparaît le projet de funiculaire en galerie, presque semblable, aux projets actuels que certains ont trouvé trop hardis. Qu’eussent-ils pensé du projet d’Eggen en 1835 ! Le devis se ressent à la fois des prix payés aux ouvriers à cette époque, 3 francs par jour seulement, et surtout de l’ignorance de l’auteur en fait de construction, puisqu’il suppose que les matériaux seraient sur les lieux, ne pensant qu’à la pierre et oubliant le transport du ciment et du sable. Aussi l’auteur arrive à la somme infime de deux millions, qu’un devis tant soit peu sérieux aurait au moins quadruplée, même à cette époque. La nourriture seule des ouvriers qu’il prévoyait aurait coûté au moins un demi-million. « Il y aurait un autre moyen de construction du chemin qui éviterait la chute des glaces mais qui serait d’une longueur extrême. Ce serait de percer la Page 7 sur 8 « Les conséquences de cette entreprise méritent d’être prises en considération. Le Mont Blanc débarrassé de ses glaces et pouvant y monter sans danger, le nombre des étrangers qui y vont décuplerait pour visiter cette merveille du monde, car rien de semblable n’existerait sur la surface du globe, la prospérité du pays de Genève augmenterait considérablement. L’ascension au Mont Blanc, pour une personne, coûte actuellement 8 à 900 francs. D’après cela le droit d’ascension dans la galerie peut être porté à 100 francs. Sans doute quand toutes les personnes riches ou aisées de l’Europe auront fait cette ascension, une diminution de prix deviendra nécessaire, mais il se passera bien vingt ans avant que l’on soit obligé de descendre à dix francs. A cent francs et avec vingt mille voyageurs, la première année paierait les frais de l’entreprise évalués à plus de deux millions, et à dix francs il resterait encore un bon intérêt après les frais d’entretien. Le nombre actuel des voyageurs va à trois mille par année à Chamonix et à dix ou douze mille au Righi en Suisse ; un pareil ouvrage en attirerait bien certainement vingt mille et beaucoup plus dans les premières années. Pour entretenir leur ardeur on pourrait augmenter la facilité de l’ascension en prolongeant le chemin pour les chars jusqu’au bas de la vallée ; cette partie ne serait pas couverte. » La mémoire donne des renseignements intéressants sur cette époque. L’ascension du Mont Blanc coûtait 800 à 900 francs par personne ; en 1851, elle revenait à environ 500 francs par personne à Albert Smith et à ses compagnons qui il est vrai, agissaient peut-être un peu trop largement. L’établissement de l’hôtellerie des Grands-Mulets et le perfectionnement de la technique de l’alpinisme ont singulièrement fait baisser ces prix aujourd’hui. d’entreprendre cet ouvrage lui-même, il autorisera une compagnie qui se présenterait pour cela. Dans ce cas, un tel ouvrage est bien fait pour tenter l’esprit spéculatif des Anglais, afin d’y trouver le profit de la gloire. » « Il est possible que les idées de l’auteur paraissent trop difficiles mais qu’elles en fassent naître d’autres plus praticables peut-être. Dans ce cas, son but serait également atteint et son rêve conduirait à une réalité. » Tel fut le projet d’Eggen. Il n’a guère d’autre intérêt que celui d’une curiosité, mais je crois que, à ce titre, il valait la peine d’être tiré de l’oubli. Enfin, le nombre des voyageurs qui visitèrent Chamonix en 1835 n’était que de 3 000. Il était de 12 000 en 1835, et aujourd’hui, depuis que le chemin de fer y conduit, le nombre des voyageurs a dépassé 100 000. N’est-il pas curieux qu’Eggen ait fixé le prix de l’ascension mécanique à 100 francs et le nombre des voyageurs probables à 20 000 par été, chiffres qui ont été adoptés comme probables dans un des derniers projets de chemin de fer au Mont Blanc ! Il est très probable que le chiffre de 20 000 voyageurs, en 1835, aurait donné lieu à bien des mécomptes. « L’auteur de ce mémoire n’étant ni ingénieur ni entrepreneur, n’a aucun intérêt pécuniaire à cette entreprise ; il aime seulement à communiquer ses idées ; plusieurs ont été adoptées, et bien que celle qu’il propose dans cet écrit soit la plus extraordinaire de toutes, il ne désespère pas de la voir accueillie. Un tel ouvrage serait d’ailleurs digne d’un gouvernement, et les nombreuses constructions que le gouvernement sarde fait exécuter ou dont il autorise l’exécution prouvent que rien de grand ne lui est étranger et que s’il ne lui convient pas Glacier des Bossons en 1910 Lexique : *) in-folio (1560 comme adj. et 1688 comme subst.; lat in "dans" et lat. folio, ablatif de folium "feuille"). Se dit du format d’un livre où chaque feuille d’impression, pliée en deux, forme deux feuillets – ou folios – soit quatre pages (par abréviation, in-f°). L’in-folio résulte d’un pli croisé et correspond à une des multiples possibilités de pliage. Le pliage parallèle – tous les plis étant parallèles – et le pliage mixte – association de plis croisés et de plis parallèles – constituent les autres types de pliure. La pliure représente la première étape du façonnage : les plieuses convertissent les feuilles en cahiers, traités ensuite dans les ateliers de brochage et de reliure. Les cahiers ainsi formés comptent un nombre de pages variable mais toujours multiple de quatre. Les plis croisés les plus répandus sont l’in-folio (4 pages), l’in-4° (8 pages), l’in-8° (16 pages), l’in-16 (32 pages) et l’in-32 (64 pages). Ce type de format n’avait autrefois de signification qu’accompagné de la mention du format du papier, carré, raisin ou jésus. Cette désignation des formats en fonction des pliages disparaît progressivement devant l’augmentation des formats de feuilles. Les feuilles de papier ont des dimensions différentes, telles 37 x 47 cm pour le format couronne, 45 x 56 cm pour le carré, 50 x 65 cm pour le raisin et 56 x 76 cm pour le jésus. Ces indications de pliages sont cependant encore mentionnées dans certains catalogues d’éditeurs et demeurent, pour les bibliothécaires, des outils de mesure indiquant la hauteur des livres : un in-folio correspond ainsi à un livre de 25 à 50 cm. Dans un in-folio, la feuille est pliée une fois et chaque cahier a deux feuillets. **) pied : Le pied du Roy de France, unité maintenant désuète, était déterminé en mètre par la définition même du mètre décimal et sa loi du 19 frimaire an VIII (10 décembre 1799). Cette dernière stipulait que « le mètre est égal à 3 pieds et 11,296 lignes de la toise de Paris ». De là, un pied du Roi mesure environ 32,483 cm ***) pied cube = 34.277 l Correspondance, Franc Français et Euro : le FF de 1830 vaut 2.20 € en 2006 Page 8 sur 8