nouvelle» procedure d`expropriation

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nouvelle» procedure d`expropriation
«LA «NOUVELLE» PROCEDURE D’EXPROPRIATION
POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE :
LE «TOILETTAGE» DE LA LOI N° 76-85 DU 11 AOUT 1976
PAR LA LOI N° 2003-26 DU 14 AVRIL 2003»
Leila CHIKHAOUI
Maître de Conférences
à la Faculté de Droit de Sfax
INTRODUCTION
L’expropriation pour cause d’utilité publique (ECUP) est une
opération administrative par laquelle l’administration oblige un
particulier à lui céder la propriété d’un immeuble, dans un but d’utilité
publique, et moyennant le paiement d’une indemnité juste et préalable.
Il s’agit d’une modalité particulière d’agrandissement du domaine
des personnes publiques, par acquisition forcée à titre onéreux. C’est une
procédure exorbitante du droit commun, et qui est par conséquent,
entourée d’un ensemble de garanties au profit des particuliers 1.
Ces garanties sont en principe consacrées dans les textes relatifs à
cette procédure, et elles sont plus ou moins importantes selon les cas,
c’est à dire selon que le législateur entend protéger la propriété privée
contre les appétits fonciers de l’administration, ou si au contraire il
souhaite favoriser et faciliter les actions publiques à travers une
procédure d’ECUP simplifiée. D’ailleurs, les priorités évoluent selon le
temps et le lieu où elles s’expriment, et il est possible de remarquer des
modifications dans un sens ou dans l’autre, mais toujours dans le cadre
1
En droit tunisien, consulter notamment M. Lakhdar : “La protection de la propriété
privée immobilière par le TA ”, RTD 1983, p 235 à 304 ; F. Ben Hammed :
“L’ECUP à travers la jurisprudence du TA”, in : “L’œuvre jurisprudentielle du TA
tunisien”, ouvrage collectif sous la direction de S. Belaïd, Tunis, CERP, 1990, p
461 à 489.
142
d’une recherche d’équilibre entre ces intérêts souvent antinomiques,
voire conflictuels, à savoir l’intérêt général et les différents intérêts
privés.
Ainsi, le régime français de l’ECUP, figurant dans un code de
l’expropriation issu des décrets n° 77-392 et 77-393 du 28 mars1977 pris
en application de la loi du 3 juillet 1972, qui se caractérisait à l’origine
par une méfiance à l’égard de l’administration et une protection élevée de
la propriété privée, a évolué vers une plus grande attention accordée aux
intérêts publics de l’opération dans son ensemble 2.
Quant au régime tunisien de l’ECUP, rassemblé dans la loi
tunisienne n° 76-85 du 11 août 1976 relative à l’ECUP telle que modifiée
par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003 3, qui a remplacé en l’abrogeant
l’ancienne réglementation relative à l’ECUP, à savoir celle introduite par
le décret du 9 mars 1939 4, il évolue de nos jours vers une plus grande
attention accordée aux intérêts des expropriés, dans le cadre d’une
meilleure conciliation avec les intérêts supérieurs de la Nation en cours
de développement.
2
3
4
NB : le droit de l’ECUP a été réglementé pour la première fois en France par la loi
napoléonienne du 8 mars 1810, et profondément remanié par l’Ordonnance du 23
octobre 1958, qui a simplifié une série de procédures, avant d’être codifié en 1977.
Un décret n° 95-1115 du 17 octobre 1995 permet l’ECUP des biens exposés à
certains risques naturels majeurs. Pour un commentaire de l’ensemble du régime
français de l’ECUP, voir «Code de l’ECUP», annoté par R. Hostiou, éditions
Litec, Paris 2000.
La modification du régime tunisien de l’ECUP par la loi n° 2003-26 du 14 avril
2003 fait principalement l’objet des développements qui suivent, dans la mesure
où elle a sensiblement révisé l’ensemble du texte, puisqu’il y a eu remplacement
des dispositions des articles 2, 3 (alinéa 1er), 5, 6 (alinéa 1er), 8, 10, 11, 13, 28, 29,
30, 38 et 39 ; ajout d’un alinéa 1er à l’article 1er, d’un alinéa 3 à l’article 9, ainsi
que d’articles 2 (bis), 30 (bis) et 33 (bis) au texte d’origine ; changement de
l’intitulé de deux chapitres (chapitre I du Titre II et Chapitre I du Titre III) ; et
abrogation des articles 12, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 26, 27, 32, 37, 40, 49 et
53 ; JORT des 13-17 août 1976, p 1931 et suivantes ; et JORT n° 31 du 18 avril
2003, p 1031-1033.
Journal Officiel (de la Régence) 14 mars 1939, p 288 ; et 24 juin 1939, p 786.
143
Antérieurement à cette date, en Tunisie, le Bey avait recours à
l’expropriation chaque fois que la nécessité l’exigeait, dans toute la
mesure où le droit musulman, contrairement au droit romain, en
reconnaissait le principe lorsque l’intérêt général l’exigeait, mais
l’indemnisation, qui devait être juste, était rarement octroyée
immédiatement 5.
Par la suite, un décret du 30 août 1858 relatif à la création de la
municipalité de Tunis (pris à l’occasion de l’extension d’une voie
routière justifiant une ECUP) a formalisé pour la première fois la
procédure de l’ECUP en tant que moyen de cession forcé, mais ce décret
ne concernait que la Commune de Tunis.
Par ailleurs, l’adoption du Pacte Fondamental, le 9 septembre
1857, a suscité la conclusion de nombreux accords entre le Bey et les
puissances étrangères qui avaient des ressortissants en Tunisie et
cherchaient à protéger leurs biens, en vertu desquels l’expropriation ne
pouvait être prononcée que par décret beylical et la prise de possession
devait être précédée par le paiement préalable d’une indemnité. Ces
accords précisaient également que si le bien exproprié n’avait pas été
utilisé dans un but d’intérêt général, le propriétaire pouvait en demander
la rétrocession dans un délai d’un an qui commençait à courir à compter
du décret d’expropriation.
Enfin, la première Constitution tunisienne, octroyée par le Bey le 26
avril 1861, tout en posant le principe de l’égalité de tous devant la loi et
en reconnaissant le droit de propriété, permettait également le recours à
l’ECUP dans son article 89. Ce faisant, elle a étendu le champ
d’application du décret du 30 août 1858 à l’ensemble du territoire
tunisien.
5
Voir à ce sujet (en arabe) B. HARBI : “Le droit de propriété et l’expropriation
pour cause d’utilité publique”, revue de Législation et de Jurisprudence (arabe) n°
9, novembre 1962 ; ainsi que K. GORDAH : “L’expropriation pour cause d’utilité
publique, doctrine et jurisprudence”, revue de Législation et de Jurisprudence
(Ibid) n° 1, janvier 1978.
144
Néanmoins, suite à la révolte de Ali Ben GHADAHEM en 1864,
l’application de la constitution de 1861 a été suspendue, et il a fallu
attendre 1905 pour voir la parution d’un décret étendant le champ
d’application du décret du 30 août 1858 à l’ensemble du territoire de la
Régence, et modifiant les articles 10, 11, 12, 13 et 14 6.
Tout en traitant directement de l’expropriation, ce texte demeurait
cependant lacunaire sur plusieurs points, et le premier texte à traiter
exhaustivement de la question a été le décret du 9 mars 1939, tel que
modifié sur des points de détail par le décret du 10 septembre 1943 relatif
aux autorisations de construire et à l’urbanisme 7.
A partir de l’Indépendance, de nombreux régimes dérogatoires au
droit commun de l’expropriation tel que fixé par le décret de 1939
commencent à apparaître, tels qu’issus notamment de la loi n° 58-63 du
11 juin 1958 pour la réforme agraire de la vallée de la Medjerda qui
réglemente les opérations d’aménagement rural, ou de la loi n° 61-2 du 2
janvier 1961 sur l’expropriation des terrains non bâtis situés dans les
périmètres communaux relative à des opérations d’urbanisme, ou encore
de la loi n° 68-22 du 2 juillet 1968 créant la SONEDE, et justifiant de
nombreuses expropriations, et de la loi n° 73-21 du 14 avril 1973 relative
à l’aménagement des zones touristiques, industrielles et d’habitation.
6
7
Rappel : La révolte de A. Ben GHADAHEM a été provoquée par un doublement
de la Mejba, impôt de capitation qui est passé brusquement de 36 à 72 piastres.
Pour un commentaire, voir, entre autres Jean GANIAGE : «Les origines du
protectorat français en Tunisie1861-1881", Paris, P.U.F, 1959, ou encore Mongi
SMIDA : «Kheireddine, ministre réformateur», Tunis, MTE, 1973.
Note : ce texte a repris la loi française du 15 juin 1943, et avait pour objet de
permettre à l’administration d’intervenir davantage dans les opérations
d’aménagement à travers la diversification des instruments de planification urbaine
[Ordonnances d’architecture, Plans d’aménagement] et la création des
«associations syndicales de propriétaires» (communément dénommées «syndics»)
chargées de réaliser des plans d’aménagement dans des zones déterminées et
d’assurer les reconstructions, le remembrement ou le lotissement des propriétés (en
ce qui concerne leur création, l’administration pouvait, en cas de défaillance des
propriétaires, mettre en place les syndics de sa propre initiative).
145
La refonte de la législation relative à l’ECUP intervient en 1976
sans abroger ces textes, et sans apporter de modifications substantielles
par rapport au décret de 1939, mais elle a le mérite d’avoir introduit en
Tunisie une procédure simple, rapide et efficace pour l’administration,
tout en instaurant un minimum de garanties en faveur des expropriés,
compte tenu du fait que la constitution tunisienne du 1er juin 1959 est
venue consacrer la protection du droit de propriété dans son article 14,
selon lequel “Le droit de propriété est garanti. Il est exercé dans les
limites prévues par la loi” 8.
En 2003, le législateur a procédé au «toilettage» de ce texte, dans
le sens d’une plus grande attention accordée aux détails de l’opération
d’ECUP tout au long de cette procédure exorbitante et dérogatoire au
droit commun, en ce qu’elle permet à l’administration, pour des motifs
d’intérêt général, de s’approprier par la force (néanmoins moyennant
indemnisation) la propriété d’autrui.
D’ailleurs, le souci d’une protection accrue de la propriété privée
se remarque d’emblée dès la lecture de l’article 1er, alinéa 1er (nouveau)
de la loi relative à l’ECUP, puisqu’il est précisé que le recours à cette
procédure ne doit se faire que «d’une façon exceptionnelle et après avoir
accompli toutes les mesures de conciliation prévues [à l’article 11
(nouveau) de la présente loi]», ce qui illustre la volonté d’éviter le
recours abusif et banalisé à cette forme autoritaire d’appropriation
publique.
Dans cette œuvre de rééquilibrage entre la toute-puissance de
l’administration et les intérêts des administrés, le rôle du juge
administratif tunisien n’a pas été des moindres, car c’est notamment
l’examen d’une partie de sa jurisprudence relative aux problèmes posés
par les situations de mise en possession urgente de l’expropriant (qui
n’existent plus dans le nouveau texte), qui a inspiré certains éléments du
8
Cet article n’a subi aucune modification lors de la révision de la constitution
entérinée par la loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1er juin 2002, adoptée à l’issue
du 1er référendum constitutionnel, organisé en Tunisie le 26 mai 2002.
146
«toilettage» de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la
législation relative à l’ECUP par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003 9.
9
La question des effets de l’urgence sur l’indemnité d’expropriation n’a pas
manqué de se poser en Tunisie, du fait d’une formulation ambiguë de l’article
17(ancien) alinéa 3, de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 relative à l’ECUP, selon
lequel : “(Toutefois,) en cas d’urgence dûment déclarée dans le décret
d’expropriation, la prise de possession peut être obtenue dès la publication du
décret d’expropriation”. Cette formulation a pu faire croire à l’administration
qu’elle était dispensée du paiement préalable ou de la consignation de l’indemnité
en cas d’urgence, justifiant la prise de possession dès la publication du décret
d’ECUP, sans paiement ou consignation préalable de l’indemnité d’expropriation.
Or, le TA tunisien n’a pas entériné une telle interprétation, pourtant acceptée par le
juge judiciaire (Par exemple, on pouvait lire dans une ordonnance de référé rendue
le 14 avril 1978 par le Tribunal de 1ère Instance de Tunis dans l’affaire 94345 :
“Attendu que le décret dispose que l’expropriation est urgente et que l’immeuble
exproprié est un terrain nu ; attendu que l’avocat de l’agence demande à ce que sa
cliente soit mise en possession de l’immeuble exproprié sans consignation, nous
décidons en conséquence de permettre à la demanderesse de prendre possession de
l’immeuble exproprié”), bien au contraire, et a même sanctionné les prises de
possession par l’administration qui n’auraient pas été précédées par le paiement ou
la consignation préalable de l’indemnité d’expropriation, en fondant son
interprétation sur une lecture combinée des articles 17, alinéa 3, 11 à 15, et 2 et 16
de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 relative à l’ECUP, Aff. n° 136, Appel, Arrêt
rendu le 15 novembre 1979, AFH c/ Med. Ali Snoussi ; Aff. n° 142 du 15.11.79,
AFH c/ A. Essaïer ; Aff. n° 129, 13.12.79, AFH c/ Héritiers Salah Ben Slimane
Fitouri ; Aff. N° 138, 13.12.79, AFH c/ Néjia Ben Romdhane ; Aff. N° 100,
22.3.79 ; Aff. Du 14.2.80, AFH c/ T. Salmouna, Aff. Du 14.2.80, AFH c / T.
Zarrouk ; Aff. 14.2.80, AFH c / S. Khasref ; Aff. 13.3.80, AFH c / A. Jebali ; Aff.
27.3.80, AFH c / M. El Hani et T. Belhaj. Ainsi, pour le TA tunisien, la prise de
possession de l’immeuble exproprié par l’administration expropriante, même en
cas d’urgence dûment déclarée dans le décret d’expropriation, ne pouvait être
permise sans le versement ou la consignation préalable de l’indemnité provisoire.
Or, cette interprétation favorable à la protection de la propriété privée, était en
contradiction avec le texte même de la loi, d’autant que ni les travaux préparatoires
ni le droit comparé, ne permettaient de la justifier. Pour un commentaire, voir
Med. Salah Ben Aïssa : “Observations sur la jurisprudence du TA relative aux
effets de l’urgence sur la prise de possession en matière d’ECUP”, RTD 1984, p
839 à 851.
147
Toutefois, les réels progrès constatés à travers la lecture des
modifications apportées à l’ancien texte ainsi renouvelé et mis au goût du
jour, apparaissent à différents niveaux quelque peu contrebalancés par
certaines omissions et lacunes, laissant à l’observateur l’impression d’une
sorte d’occasion insuffisamment exploitée par le législateur qui aurait pu,
dans le cadre du projet final, aller bien au-delà de ce qui a été finalement
adopté.
Il s’agit par conséquent de présenter dans ses grandes lignes cette
«nouvelle» procédure d’ECUP en droit tunisien, qui a rénové à la fois la
phase administrative de ladite opération, au cours de laquelle sont fixées
les bases de l’opération d’expropriation par le biais d’un nouvel organe
appelé «commission de reconnaissance et de conciliation» (I) 10 ; et la
phase judiciaire qui voit disparaître les modalités les plus critiquées de la
période précédente, à savoir la mise en possession accélérée (après
simple consignation d’une indemnité dite «provisoire») et urgente (sans
paiement ni consignation d’une indemnité préalable), pour se concentrer
sur la détermination par le juge de l’indemnité d’expropriation à défaut
d’accord amiable des expropriés, et le prononcé de la mise en possession
(normale) de l’expropriant (II).
I - LA PHASE ADMINISTRATIVE DE LA PROCEDURE
D’EXPROPRIATION
La phase administrative de l’ECUP comporte certaines étapes
incontournables, dans la mesure où elles sont nécessaires à la validité de
l’ensemble de la procédure, à savoir :
* d’une part l’identification de la «partie concernée» par le projet
justifiant le recours à l’expropriation (A) 11;
* et d’autre part l’identification des parcelles à exproprier et de leurs
propriétaires ou autres ayants-droits (B).
10
11
Créée par l’article 10 (nouveau) de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 telle que
révisée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003, qui renvoie à un décret pour ce qui
est de la composition, des attributions et des règles de fonctionnement dudit
organe.
L’expression «partie concernée par l’expropriation» a été introduite dans le texte
de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la législation relative à
l’ECUP par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003.
148
A - Identification de la «partie concernée» par le projet
d’expropriation
Toute procédure d’expropriation nécessite la détermination de la
«partie concernée par l’expropriation», c’est à dire non seulement
l’autorité expropriante, à savoir celle ayant compétence juridique pour
prononcer l’ECUP, mais surtout la ou les personnes susceptibles de
bénéficier de cette procédure dans le cadre de la mise en œuvre du projet
final (1°).
En outre, toute expropriation étant en principe décidée pour un motif
d’intérêt général, la phase administrative de la procédure comporte
également la détermination par la «partie concernée» (celle qui va
bénéficier de la mesure) du projet en vue duquel est poursuivie
l’opération (2°).
1) Le droit d’exproprier et de bénéficier de l’expropriation
L’ECUP ne peut être prononcée que par la personne publique
principale, à savoir l’Etat (a), mais d’autres personnes publiques infraétatiques, peuvent également en prendre l’initiative et en bénéficier (b).
a – Le droit d’exproprier : une compétence exclusive de la
personne publique principale
La procédure d’expropriation est une prérogative de l’Etat en tant
que personne publique principale, non seulement en Tunisie, mais
également en droit français où cette exclusivité s’est maintenue en dépit
du mouvement de décentralisation des années 1982-1983 ; compte tenu
de l’atteinte que cette prérogative porte à la propriété privée.
Concrètement, l’expropriation ne peut être prononcée en Tunisie
que par l’autorité exécutive principale, c’est à dire par décret du
Président de la République.
Cette compétence exclusive de l’autorité exécutive suprême en
matière de prononciation de l’ECUP, n’empêche cependant pas d’autres
autorités infra-étatiques de la proposer, d’en prendre l’initiative et/ou
d’en bénéficier.
149
b – L’initiative et le bénéfice de l’expropriation : une
compétence de principe des personnes publiques
Les personnes publiques ont une compétence normale pour
lancer la procédure d’expropriation, il s’agit là du principe général de
l’ECUP (i) ; mais, exceptionnellement, il est possible de la déclencher au
profit de personnes privées, par dérogation à ce principe général et pour
des motifs d’intérêt général dûment établis (ii).
i - Toutes les personnes publiques peuvent recourir à
l’ECUP
En principe, l’ECUP est un mode d’acquisition qui n’existe pas
au profit des particuliers, mais uniquement en faveur des personnes
publiques, et ne peut être poursuivi que par elles ; mais cette règle
générale admet des assouplissements.
Ainsi, en France, toutes les personnes publiques (Etat,
collectivités locales, Etablissements Publics) peuvent mettre en œuvre la
procédure de l’expropriation, à condition de respecter le principe général
de spécialité, qui leur interdit d’exproprier pour des intérêts autres que le
leur propre, ce qui se traduit par exemple par le fait que l’Etat ne peut pas
exproprier au profit d’une commune et vice-versa, mais cette condition a
été assouplie par la jurisprudence.
En Tunisie également, l’initiative de l’expropriation ne revient
pas seulement à l’Etat, mais également aux Gouvernorats et aux
communes. Ainsi, lorsqu’il est fait recours à cette procédure, elle est
prononcée par l’autorité exécutive suprême, soit «au profit de l’Etat, des
conseils de gouvernorat ou de communes ou autres collectivités
publiques», selon l’expression employée par l’article 1er de la loi n°
76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la législation relative à l’ECUP.
L’alinéa 2nd de l’article 1er de la même loi, étend aux établissements
publics la possibilité d’intervenir pour prendre l’initiative de l’expropriation, dans la mesure où il précise que :
150
“Les EP peuvent également bénéficier de l’expropriation par
l’intermédiaire de l’Etat qui leur cédera l’immeuble exproprié” 12.
Les Agences Foncières, créées par la loi n° 73-21 du 14 avril
1973 relative à l’aménagement des zones touristiques, industrielles et
d’habitation, peuvent notamment bénéficier de l’ECUP dans le cadre de
l’accomplissement de leurs missions.
En ce qui concerne ces organismes, l’Etat n’intervient en pratique
que pour prononcer l’expropriation in fine, il n’en prend pas l’initiative,
et la plupart des opérations d’ECUP ont d’ailleurs été réalisées au profit
des agences foncières et de certaines entreprises publiques, notamment
la SONEDE et la STEG, chargées de missions importantes de service
12
Il convient de préciser que le texte évoque les «établissements publics» sans
préciser leur nature, ce qui ne peut qu’être interprété dans un sens favorable à
l’extension de l’initiative d’expropriation à tous les types d’EP ; étant rappelé que
cette forme de personne publique se subdivise depuis 1996 en Tunisie en
établissements publics sans autre qualificatif, dont les budgets sont rattachés pour
ordre à celui de l’Etat, et établissements publics à caractère non administratif ou
EPNA, dont les budgets ne sont pas rattachés pour ordre à celui de l’Etat, et qui
sont réputés commerçants dans leurs relations avec les tiers. Certains EPNA dont
la liste est fixée par décret sont en même temps des Entreprises Publiques; voir à
ce sujet le décret n° 97-564 du 31 mars 1997, tel que modifié par le décret n° 98752 du 30 mars 1998, par le décret n° 99-2378 du 27 octobre 1999, et par le décret
n° 2002-2199 du 7 octobre 2002 ; JORT n° 83 du 11 octobre 2002, p 2370. Les
EPNA ou établissements publics n'ayant pas le caractère administratif, sont
apparus en Tunisie dans le cadre de la loi n° 89-9 du 1er février 1989 relative aux
participations et entreprises publiques lors de sa révision par la loi n° 96-74 du 29
juillet 1996. Pour une étude des entreprises publiques, voir, entre autres,
M. Beltaïef : «L’Etat et les entreprises publiques en Tunisie», coll. L’Harmattan,
Paris, 1998 ; et en ce qui concerne les EPNA, consulter notamment M. Midoun :
«Les EPNA : des EP d’un 3ème type ?», in Mélanges Ayadi, CPU, 2000, p. 665
à 717.
151
public (production et distribution d’énergie électrique et d’eau
potable) 13.
Bien plus, la compétence de principe des personnes publiques en
matière d’ECUP n’est pas exclusive, et s’accommode éventuellement de
la reconnaissance du recours à l’ECUP au profit de personnes privées,
dans toute la mesure où l’intérêt public l’autorise et le justifie.
ii - L’intérêt général justifie exceptionnellement le
recours à l’ECUP au profit de personnes privées
En droit comparé (français) ; de simples entreprises privées
peuvent exceptionnellement engager la procédure d’expropriation :
* soit en provoquant l’intervention pour leur compte d’une personne
publique,
* soit en poursuivant elles-mêmes directement l’expropriation,
mais il s’agit en tout état de cause d’exceptions prévues par le
législateur et conditionnées par la nature d’intérêt général de l’activité
des entreprises en question.
Ainsi, les concessionnaires de distribution d’énergie électrique se
sont vus reconnaître ce droit par la loi française du 15 juin 1906,
confirmée par la loi du 8 avril 1946 et le décret du 6 octobre 1967.
13
La STEG ou société tunisienne d’électricité et de gaz est un EPIC-EPNA, qui a été
créé et organisé par le décret-loi n° 62-8 du 3 avril 1962 ; tel que modifié par la loi
n° 96-27 du 1er avril 1996. Tout en apportant de nombreuses modifications
substantielles au cadre juridique de la STEG, cette loi autorise aussi le recours à la
concession au profit d’autres opérateurs, en ce qui concerne la production
d’électricité ; et est complétée par le décret n° 96-1125 du 20 juin 1996 qui fixe les
conditions et les modalités d’octroi de ladite concession de production d’électricité
à des personnes privées. Sur cette base, une concession de production d’électricité
a été accordée à la société américaine PSEG International Limited, Sithe Power
International Limited et Marubeni Power Holding BV, en vertu du décret n° 99940 du 30 avril 1999 approuvant ladite convention signée le 24 mars 1999 entre
l’Etat tunisien représenté par le ministre de l’industrie et le consortium ; JORT n°
36 du 4 mai 1999, p 679. Quant à la SONEDE ou société tunisienne de distribution
des eaux, elle a été créée par la loi n° 68-22 du 2 juillet 1968. Elle est placée sous
la tutelle du Ministère chargé de l’agriculture en vertu de l’article 26 de la loi 87779 du 21 mai 1987.
152
Les concessionnaires privés d’opérations d’urbanisme ou de
rénovation urbaine bénéficient également en France de la possibilité de
recourir à l’expropriation par eux-mêmes ou par le biais de la personne
publique concédante, conformément au code de l’urbanisme français, au
même titre que les Sociétés d’Economie Mixte (SEM) 14.
Par ailleurs, indépendamment du fait d’engager eux-mêmes une
procédure d’expropriation, les particuliers peuvent toujours bénéficier de
biens précédemment expropriés par l’administration qui les leur cède
ensuite, à titre onéreux ou gratuit, mais uniquement s’ils réalisent grâce à
ces biens des activités d’intérêt général, comme la lutte contre la
pollution des eaux ou la protection des monuments historiques, ce qui est
expressément prévu en France par les lois du 16 décembre 1964 (eau) et
du 30 décembre 1966 (monuments).
En Tunisie, le TA s’est prononcé en faveur du bénéfice des
résultats d’une expropriation précédemment opérée par l’Etat, au profit
de personnes privées lorsque celles-ci se proposent de réaliser un projet
d’UP semblable à celui ayant motivé l’ECUP 15.
Quelle que soit cependant la personne à laquelle va bénéficier
l’expropriation, c’est à la «partie concernée par l’expropriation»
qu’incombe normalement la détermination du projet d’intérêt général –
ou plutôt d’utilité publique - en vue duquel la procédure va être menée.
2 ) Le projet d’utilité publique justifiant l’expropriation
Le projet justifiant l’ECUP doit présenter une utilité publique.
En droit comparé (français), cette utilité publique doit être expressément
définie dans un acte administratif particulier appelé «déclaration d’utilité
14
15
Voir F. Moderne : “Regards sur l’expropriation en matière d’urbanisme”, revue de
Droit Immobilier, 1979, p 148.
Voir TA, affaire n° 1117, REP, 23 novembre 1987, Héritiers Béchir AYACHI
c/ 1er Ministre.
153
publique » ou DUP 16.
16
En effet, en France, l’ECUP ne peut être juridiquement réalisée sans
l’accomplissement préalable d’une enquête publique (destinée à recueillir l’avis
des collectivités, organismes et particuliers intéressés, quant à l’utilité de
l’opération projetée, son résultat contribue à éclairer, sans porter atteinte à son
pouvoir de décision souverain, l’autorité chargée de prononcer la DUP), qui
précède l’adoption d’un acte appelé “déclaration d’utilité publique” ou DUP dans
lequel est déclarée formellement l’UP du projet : la déclaration d’utilité publique
formelle (ou DUP) succède en effet à l’enquête publique préalable (obligatoire) et
prend la forme juridique suivante : - soit un décret en conseil d’Etat, lorsque l’avis
recueilli à la suite de l’enquête publique obligatoire et préalable est défavorable,
ainsi que pour certaines catégories de travaux ou d’opérations même si l’avis est
favorable, mais dont l’importance justifie cette solennité (ex : création
d’aérodromes, d’autoroutes, de chemins de fer d’intérêt général, de canalisations
de transport de gaz ou d’hydrocarbures, de centrales thermiques, etc.) ; - soit un
arrêté ministériel ou préfectoral dans les autres cas. En France, l’enquête préalable
est toujours obligatoire, sauf pour les opérations secrètes concernant la défense
nationale, qui peuvent être déclarées d’utilité publique par décret, sans enquête
préalable, sur avis conforme d’une commission unique de contrôle des opérations
immobilières du ministère de la défense nationale (articles L.11-3 et R.11-17 du
code de l’expropriation). La légalité de la DUP peut éventuellement être contestée
devant le juge de l’excès de pouvoir qui apprécie aussi bien le respect des formes
substantielles par l’administration que le caractère d’utilité publique invoqué pour
justifier l’opération d’expropriation Ainsi, le juge administratif français fait porter
son contrôle sur l’évaluation, la mise en balance de l’utilité (publique) de
l’opération projetée avec les divers inconvénients qu’elle peut présenter, et il
annule éventuellement la DUP si les inconvénients de l’opération lui paraissent
hors de proportion avec l’intérêt qu’elle présente. Voir CE, 28 mai 1971, Ville
Nouvelle Est, Chronique Labetoulle et Cabanes, AJDA 1971, p 404 ; ainsi que
note Waline, RDP 1972, p. 454.
154
En revanche, elle continue à être simplement présumée en droit
tunisien, dans toute la mesure où l’expropriation est prononcée “pour
cause d’utilité publique”, conformément à la loi n° 76-85 du 11 août
1976 telle que modifiée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003, ce qui
signifie que le projet dont la réalisation est prévue sur les parcelles à
exproprier doit au moins – mais impérativement - être mentionné dans le
décret d’expropriation (a).
Cependant, même si l’utilité publique du projet est seulement présumée,
ce dernier est néanmoins désormais obligatoirement transmis à un organe
spécialisé, appelée «commission de reconnaissance et de conciliation»,
créé à cet effet dans chaque gouvernorat, qui peut éventuellement être
amené à examiner ce point, en cas d’oppositions motivées à elle
adressées (b).
a – Un projet dont l’utilité publique est présumée
L’exigence de l’utilité publique d’un projet constitue
normalement la raison d’être et la condition d’une opération
d’expropriation, et c’est pourquoi elle doit être recherchée. Toutefois,
l’élasticité de la notion d’utilité publique ne permet pas de cerner
facilement la nature et le bien fondé d’une opération d’expropriation,
dans la mesure où les buts de celle-ci peuvent varier en fonction du
contexte socio-politique du moment et des choix d’une époque.
Par exemple, à l’heure actuelle, l’expropriation se justifie souvent
par un nécessaire besoin d’aménagement du territoire, de modernisation
du réseau routier et ferroviaire, et de mise en œuvre d’une politique
globale de l’habitat.
Toutefois, l’utilité publique de chaque projet n’est pas appréciée comme
en droit français, à travers une enquête publique préalable, et l’acte dont
le contenu paraît ressembler à une DUP semble être en Tunisie le décret
d’expropriation lui-même, tel que prévu par l’article 1er de la loi n° 76-85
du 11 août 1976, dont le dispositif qui suit n’a pas été modifié en 2003, et
qui dispose que :
“Le décret d’expropriation devra mentionner le projet dont
la réalisation est prévue sur l’immeuble objet de cette
opération d’expropriation”.
Cet article précise d’ailleurs que l’expropriation peut porter :
155
* non seulement sur les immeubles et superficies compris dans le
périmètre des ouvrages projetés,
* mais encore sur tous les immeubles nécessaires en vue d’assurer à ces
ouvrages leur valeur, ou permettant l’exécution rationnelle d’un plan
d’aménagement approuvé. Dans ce dernier cas, l’article 1er ajoute que
le décret d’expropriation devra :
“fixer le mode d’utilisation des parcelles ou immeubles non
incorporés aux ouvrages publics et éventuellement les conditions
auxquelles leur revente sera subordonnée”.
Enfin, l’article 1er dispose qu’il peut aussi être procédé à l’ECUP
de terrains nus, complantés, insuffisamment bâtis, comportant des
constructions vétustes menaçant ruine ou reconnues insalubres, dans
le cadre d’opérations visant à l’aménagement, l’extension ou l’assainissement des villes et des zones touristiques et industrielles (urbanisme).
La loi n° 76-85 du 11 août 1976 relative à l’ECUP cite donc ces
différents types d’opérations justifiant une ECUP, ce qui renseigne sur la
nature des activités considérées comme justifiant une ECUP, mais sans
pour autant que la liste soit limitative, ni que le caractère d’utilité
publique apparaisse de manière évidente. En effet, la seule obligation
posée par le législateur est la mention du projet justifiant l’ECUP, et non
pas sa justification ou la présentation de son caractère d’utilité publique.
Toutefois, il semble clair que seule l’utilité publique peut motiver
une opération d’ECUP, comme cela figure expressément dans l’intitulé
de la loi n° 76-85 du 11 août 1976, portant refonte de la législation
relative à l’expropriation “pour cause d’utilité publique”, et l’obligation
de mentionner le projet concret ayant justifié l’ECUP ne constitue qu’une
confirmation de cette utilité publique dans les différents cas d’espèce.
Il reste en effet établi que les opérations d’ECUP sont en principe
motivées par des considérations d’intérêt général, dont la non réalisation
ouvre droit, sous certaines conditions à une possibilité de rétrocession au
profit des anciens expropriés ou de leurs ayants-droits 17.
17
Conformément à l’article 9 de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de
la législation relative à l’ECUP, telle que révisée par la loi n° 2003-26 du 14 avril
2003.
156
Le décret d’expropriation tunisien, qui se contente de mentionner
le projet dont la réalisation est prévue sur l’immeuble objet de l’opération
d’expropriation, est donc fondamentalement différent de la DUP
française. Il n’est d’ailleurs pas possible d’assimiler le décret tunisien
prononçant l’expropriation à une DUP, dans la mesure où la notion de
Déclaration d’Utilité Publique existe par ailleurs dans un tout autre
contexte, à savoir en matière de certains travaux publics réalisés par les
collectivités locales, et justifiant une contribution pécuniaire des
propriétaires riverains.
En effet, l’article 52 du Code de la Fiscalité Locale autorise la
perception d’une contribution des propriétaires riverains aux dépenses de
premier établissement et des grandes réparations réalisées par les
collectivités locales relatives aux voies, trottoirs et conduites
d’évacuation des matières liquides, ainsi qu’aux travaux d’aménagement
des quartiers résidentiels et des zones industrielles et touristiques, étant
précisé que le commencement des travaux et la perception de ladite
contribution ne peuvent avoir lieu qu’à l’issue de la parution d’un décret
déclarant ces travaux d’utilité publique 18.
Une autre caractéristique différencie en outre la DUP française
par rapport au décret d’expropriation tunisien, dans la mesure où ce
dernier emporte transfert de propriété du ou des patrimoines privés vers
le patrimoine de la personne publique expropriante ; tandis que la DUP
française n’est pas suffisante en elle-même pour consacrer ce transfert,
qui demeure subordonné à l’adoption d’un autre acte administratif, puis
18
Le code de la fiscalité locale a été promulgué par la loi n° 97-11 du 3 février
1997 ; JORT n° 11 du 7 février 1997, p 173-181.
157
au prononcé d’une décision judiciaire 19.
En droit tunisien, le décret d’expropriation ou son inscription, ont
en revanche pour effet de transférer la propriété du bien exproprié à
l’expropriant.
19
En effet, en droit français, le transfert de propriété du bien de l’exproprié vers le
domaine de l’expropriant ne peut être prononcé que par le juge. En effet, lorsque la
phase administrative s’achève, et que les déclarations d’utilité publique et de
cessibilité ont été formalisées en décisions administratives, le préfet transmet au
juge de l’expropriation du département dans lequel sont situés les biens à
exproprier, un dossier comportant les 2 actes administratifs précités, le plan
parcellaire des terrains, ainsi que les pièces justifiant l’accomplissement des
formalités relatives à l’information du public et aux notifications individuelles aux
propriétaires concernés. La transmission de ce dossier doit avoir lieu dans les 6
mois suivant l’arrêté de cessibilité ou l’acte en tenant lieu, sous peine de caducité
de l’ensemble des actes de la phase administrative de l’expropriation (ce qui
implique un recommencement de toute ladite phase). Sur la base de ce dossier [s’il
est complet et non entaché d’illégalité] le juge unique français de l’expropriation
prend un acte judiciaire spécial appelé Ordonnance d’expropriation, adopté dans
un délai impératif de 8 jours à compter de la demande du préfet, au vu de
l’accomplissement des étapes obligatoires (2 ou 3 selon les cas) de la phase
administrative. La brièveté de ce délai s’explique dans la mesure où le juge unique
de l’expropriation n’a pas à se livrer à un examen du fond de la légalité de
l’opération, ni même à apprécier sa régularité technique, puisque ce contrôle
appartient au juge administratif. L’ordonnance d’expropriation est l’acte
(juridique) judiciaire portant transfert de propriété de la ou des personnes privées
vers l’administration, qui devient dès lors propriétaire du (ou des) bien(s)
exproprié(s), avant même toute publication ou notification, ce qui entraîne une
série de conséquences : - en effet, la première conséquence de l’Ordonnance
d’expropriation est d’éteindre tous les droits que les tiers pouvaient avoir sur
l’immeuble, et les transforme en droits à indemnité, qu’il s’agisse de droits réels
ou de droits personnels ; - d’autre part, l’ordonnance d’expropriation ouvre le délai
d’exécution de 5 ans, qui commande l’exercice éventuel du droit de rétrocession ; le CE a jugé que l’Ordonnance d’expropriation valait titre d’expulsion permettant
à l’expropriant de requérir la force publique pour y procéder (CE, 18 mai 1990,
Ville de Nice, Concl. Contraires M. Fornacciari, Obs. P. Bon, RFDA 1991, p 271).
La contestation de l’Ordonnance d’expropriation ne peut faire l’objet que d’un
recours en cassation, non suspensif d’exécution, dans les 15 jours de la notification
de l’Ordonnance, et seulement pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de
forme.
158
L’article 2 (nouveau) de la loi n° 76-85 du 11 août 1976, telle que
modifiée et complétée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003, confirme
en effet que : «la propriété est transférée à l’expropriant par l’effet du
décret d’expropriation pour les immeubles non immatriculés, et par
l’inscription du décret d’expropriation pour les immeubles immatriculés
(sans préjudice des dispositions de l’article 305 du code des droits
réels)» 20.
C’est ainsi que le décret d’expropriation tunisien tient lieu à la
fois de DUP et d’arrêté de cessibilité, puisque :
*
d’une part, il doit mentionner le projet dont la réalisation et prévue,
ce qui aboutit implicitement à évoquer son utilité,
*
et que d’autre part, il est accompagné d’un plan des propriétés à
exproprier, qui identifie les parcelles et leurs propriétaires ou ayantsdroits.
En France, la DUP n’est qu’un acte préalable, qui conditionne et
permet la poursuite de la procédure d’ECUP par l’administration (en
France : le préfet) qui peut alors adopter un acte appelé “arrêté de
cessibilité” dont l’objet est de fixer au terme d’une autre enquête, dite
“parcellaire”, les parcelles à exproprier, ainsi que leurs propriétaires et
les éventuels autres titulaires de droits sur ces parcelles.
Cette identification est également une étape administrative
préalable qu’accomplit l’administration tunisienne, mais d’une manière
différente, comme nous allons le voir ultérieurement. Auparavant, le
projet dont la réalisation figurera obligatoirement sur le décret
d’expropriation, fait cependant l’objet d’un examen par une commission
nouvellement créée en 2003, à savoir la «Commission de reconnaissance
et de conciliation».
20
Selon cet article : «Tout droit n’est opposable aux tiers que par le fait et du jour de
son inscription à la Conservation de la Propriété Foncière. L’annulation d’une
inscription ne peut, en aucun cas, être opposable aux tiers de bonne foi. Le droit
inscrit ne se prescrit pas».
159
b – Un projet dont l’utilité publique peut être «examinée»
par la «commission de reconnaissance et de conciliation»
En Tunisie, avant la modification intervenue en 2003, la loi n° 7685 du 11 août 1976 portant refonte de la législation relative à l’ECUP, ne
prévoyait aucune référence au projet justifiant l’expropriation
préalablement à l’adoption du décret prononçant la mesure, et n’imposait
pas non plus la conduite d’une enquête publique préalable du type de
celle qui existe toujours en droit français 21.
21
Le texte tunisien prévoyait cependant la conduite éventuelle d’une enquête
préalable à l’opération d’expropriation, mais il s’agissait d’une procédure tout à
fait différente de celle qui existe en droit français. En effet, l’enquête dont il était
question à l’article 11 (ancien) de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 relative à
l’ECUP, ne présentait pas un caractère obligatoire par rapport à la suite de la
procédure d’expropriation. Elle faisait partie des mesures préliminaires
éventuelles, dont l’accomplissement était obligatoire et devait figurer dans le
décret d’expropriation. Ainsi, elle ne se déclenchait pas d’office préalablement à
toute opération d’ECUP envisagée, car elle n’avait vocation à être organisée que
sur la base d’oppositions motivées adressées au gouverneur dans le délai d’un
mois suivant le dépôt d’un plan parcellaire affiché au siège du gouvernorat de la
situation des immeubles à exproprier, et dont publicité aurait été fait faite par voie
de presse et de radio. En effet, toute personne ayant ou prétendant avoir un droit
sur les immeubles à exproprier, était admise, pendant ce délai, à faire une
opposition motivée entre les mains du gouverneur, concernant : - soit l’existence
du caractère d’utilité publique de l’opération ; - soit l’aspect pétitoire (c’est à dire
relatif à la propriété). Cette opposition déclenchait alors la conduite d’une enquête
sur les lieux, menée par une commission composée de l’Ingénieur
Subdivisionnaire des travaux publics compétent, et de 2 propriétaires de la
circonscription désignés par le Gouverneur. Les opposants étaient convoqués à
cette enquête par voie administrative au moins 8 jours à l’avance, et entendus au
même titre que tous les autres intéressés. Leurs observations étaient consignées au
procès-verbal adressé par le Gouverneur à l’expropriant. Cette présentation
sommaire de la procédure d’enquête telle que prévue par la loi n° 76-85 du 11 août
1976 relative à l’ECUP (avant la modification de 2003) signifie a contrario qu’en
l’absence d’oppositions motivées, il n’y avait pas lieu d’ouvrir une d’enquête. Par
conséquent, on pouvait en déduire que cette procédure ne présentait pas vraiment
les caractéristiques d’une enquête publique préalable, dans toute la mesure où elle
n’était pas obligatoire et qu’elle n’avait pas forcément toujours lieu.
160
Cependant, ceci ne signifiait pas que le projet dont la réalisation était
prévue sur l’immeuble exproprié pouvait demeurer secret ou ne pas être
communiqué aux intéressés, puisqu’il devait obligatoirement en être fait
mention dans le décret d’expropriation.
De plus, avant l’adoption du décret d’expropriation, le gouverneur
adressait aux personnes identifiées à travers le plan parcellaire, des
notifications individuelles les informant de l’intention d’exproprier leurs
biens pour cause d’utilité publique, et par conséquent, le projet dont il
était question faisait au moins l’objet d’une publicité préalable, à charge
pour les intéressés de s’informer davantage ou de s’y opposer.
Désormais, ce sont les articles 10 et 11 (nouveaux) de la loi n° 7685 du 11 août 1976 telle que modifiée par la loi n° 2003-26 du 14 avril
2003, qui réglementent ce point.
Un rôle pivot est confié à une commission permanente créée au
sein de chaque gouvernorat [article 10 (nouveau)], appelée «commission
de reconnaissance et de conciliation», obligatoirement présidée par un
magistrat, dans le cadre de la phase administrative de la procédure
d’expropriation, et notamment en matière d’examen du projet à réaliser.
Concernant le reste de la composition de ce nouvel organe, ainsi
que ses attributions et ses règles de fonctionnement, le législateur renvoie
à l’adoption ultérieure d’un décret. Or, bien que fréquent en pratique, un
tel renvoi au pouvoir réglementaire général, n’en suscite pas moins des
interrogations quant à sa justification en l’espèce, puisque l’article 10
(nouveau) de la loi relative à l’ECUP, semble suffisamment clair quant à
la mission dévolue à ladite commission, et le législateur aurait été bien
inspiré de poursuivre en indiquant la qualité et éventuellement le nombre
des autres membres susceptibles d’en faire partie, dans un souci de
sécurité des administrés et de garantie d’indépendance de cet organe,
plutôt que de laisser ce soin à l’Exécutif, déjà suffisamment omnipotent
161
dans le cadre de cette procédure exorbitante du droit commun 22.
Ainsi, la mission principale de la nouvelle commission est double,
puisqu’elle consiste à «procéder à la reconnaissance de la situation
légale et matérielle des immeubles à exproprier», et à œuvrer «pour la
conclusion d’un accord entre les parties concernées par l’expropriation
sur la valeur des immeubles à exproprier». Dans cette optique, la «partie
concernée» par l’opération d’expropriation est tenue de lui fournir un
dossier comportant «les documents et les études concernant le projet à
réaliser» ; ce qui indique au moins une obligation d’information mise à
la charge de l’administration expropriante en ce qui concerne le projet
envisagé sur la ou les parcelles objet de l’opération d’expropriation.
En fait, l’utilité publique du projet peut éventuellement être
contestée devant cette commission, mais de manière cependant aussi
indirecte et hypothétique que précédemment, ce qui en atténue
grandement l’intérêt. En effet, cet argument continue à ne pouvoir être
soulevé que de façon incidente, dans le cadre des opérations de
reconnaissance des parcelles à exproprier et des ayants-droits confiées à
la «commission de reconnaissance et de conciliation», qui ne dispose en
la matière que d’un pouvoir de réception, de consignation et d’examen
des oppositions motivées des intéressés concernant soit l’utilité publique
de l’opération, soit l’aspect pétitoire.
22
A propos du pouvoir réglementaire, consulter, entre autres J-C. Douence :
«Recherche sur le pouvoir réglementaire de l’administration», Paris, LGDJ, 1968,
et pour le cas tunisien R. Ben HAMMED : «Le pouvoir exécutif dans les pays du
Maghreb (étude comparative)», Tunis, CERP, 1995.
162
Ainsi, en cas d’opposition, la commission procède aux enquêtes
nécessaires et convoque les opposants par la voie administrative au
moins 8 jours à l’avance, les entend au même titre que tous les autres
intéressés et consigne leurs observations dans un procès-verbal établi par
ses soins, puis examine les oppositions après «avis de la partie
administrative concernée». Cette formulation de l’article 11, alinéa 3,
semble en fait assez timide lorsqu’on la compare aux pouvoirs
d’injonction qui lui sont accordés par ailleurs à l’égard de
l’administration, et qui se manifestent notamment au moment de
l’identification des parcelles à exproprier et des ayants-droits, seconde
étape importante de la phase administrative de la procédure
d’expropriation.
B- Identification des parcelles a exproprier et des ayantsdroits
L’identification des parcelles à exproprier et des titulaires de
droits immobiliers sur ces terrains, est une opération fondamentale de la
procédure d’ECUP dont il n’est pas possible de faire l’économie.
Elle découle en droit français d’un acte formel appelé « arrêté de
cessibilité » 23.
23
Il s’agit d’un acte par lequel le préfet identifie les propriétés dont l’expropriation
est poursuivie, au terme d’une enquête appelée “enquête parcellaire”, dont l’objet
est de permettre de procéder contradictoirement à la détermination des parcelles à
exproprier, ainsi qu’à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et
des autres intéressés. L’“arrêté de cessibilité” n’a pas besoin d’être motivé et peut
faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, qui
accepte en France de contrôler à cette occasion la légalité de la DUP elle-même
ayant fondé l’arrêté, et même si cette dernière n’avait pas été attaquée dans les
délais. D’ailleurs, dans certains cas, la DUP tient lieu d’arrêté de cessibilité,
lorsque la liste des parcelles ou des droits réels immobiliers en résulte,
conformément à l’article L.11-8 du code de l’expropriation.
163
En Tunisie, en revanche, l’identification des parcelles à
exproprier et des ayants-droits procède d’une délimitation réalisée par
l’administration par le biais de documents cartographiques établis au
cours de l’accomplissement de formalités préliminaires substantielles et
obligatoires faisant intervenir la «commission de reconnaissance et de
conciliation». En effet, l’identification des parcelles à exproprier et de
leurs ayants-droits n’est pas inscrite dans un acte administratif formel,
mais figure sur des documents cartographiques, dont la mouture dite
«définitive» accompagne le décret d’expropriation 24.
A cet égard, il semble d’ailleurs qu’il puisse y avoir plusieurs
types de plans au cours d’une seule opération d’expropriation, dans la
mesure où il est fait référence dans le texte à au moins trois sortes de
documents cartographiques, à savoir :
* le plan parcellaire ;
* et le plan définitif, qui peut être soit un plan de morcellement
définitif, soit un plan définitif, l’un ou l’autre de ces deux derniers
documents accompagnant, selon le cas, le décret d’expropriation.
Quoi qu’il en soit, il s’agit de documents permettant d’identifier la ou
les parcelles à exproprier avec la plus grande exactitude possible, et
qui sont établis à l’issue de l’accomplissement de toutes les étapes
inscrites à l’article 11 (nouveau) de la loi relative à l’ECUP, tout
aussi obligatoires que les mesures prévues à l’article 11 (ancien) de la
même loi.
En effet, avant 2003, l’identification des parcelles et des ayantsdroits donnait lieu à l’accomplissement de « mesures préliminaires» à
24
Note : cette identification, qui figure dans des documents cartographiques, n’a pas
la même valeur juridique que l’arrêté de cessibilité du droit français, dans toute la
mesure où il s’agit de documents simplement «joints», qui ne font par conséquent
pas grief en tant que tels, c’est à dire qu’ils ne peuvent pas être attaqués
directement par la voie du recours pour excès de pouvoir. Seul le décret
d’expropriation lui-même peut donner lieu à un recours éventuel en excès de
pouvoir devant le TA.
164
caractère obligatoire 25, sont désormais remplacées par ce que l’on
nomme les « mesures de conciliation » qui s’en distinguent sur
25
Ces mesures préliminaires destinées à identifier les parcelles à exproprier, ainsi
que leurs titulaires, étaient prévues par la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant
refonte de la législation relative à l’expropriation, puisque l’article 11 (ancien) de
ladite loi disposait que : “Préalablement à l’expropriation, il est dressé par
l’expropriant un plan parcellaire des propriétés qui seront nécessaires à l’exécution
des travaux envisagés”. En fait, dans la pratique, la décision de réaliser un projet
d’UP justifiant une ECUP commençait par la constitution d’un dossier
administratif comprenant un plan de situation, un plan parcellaire et un état
indicatif des parcelles à exproprier, ainsi qu’un rapport d’expertise de
l’administration expropriante ou de l’administration du domaine lorsqu’il
s’agissait d’introduire le bien dans le domaine privé de l’Etat, et comportant
également un bulletin de cession amiable et une note explicative indiquant ce qui
allait être réalisé sur le terrain à exproprier. L’ensemble du dossier était ensuite
transmis au gouverneur du lieu de la (ou des) parcelle à exproprier, qui organisait
la suite des mesures préliminaires en commençant par la publication du plan
parcellaire dont il devait être fait publicité suffisante auprès du public. En effet,
l’alinéa second de l’article 11 (ancien) de la loi n° 76-85 du 11 août 1976, ajoutait
que : “Ce plan est déposé au gouvernorat de la situation des biens». Une procédure
de double publicité du plan parcellaire était donc organisée, dans la mesure où : un avis de son dépôt était affiché au gouvernorat ; -complété par une publicité par
voie de Presse et de Radio. Sur la base du plan parcellaire, le gouverneur
compétent adressait ensuite par voie administrative des notifications individuelle à
tous les ayants-droit connus, les informant de l’intention d’exproprier leurs biens
pour cause d’utilité publique (sauf accord de vente à l’amiable). Ces personnes
disposaient d’un délai d’un mois pour présenter leurs observations au gouverneur.
Dans le même délai, tout ayant-droit ou y prétendant était tenu de se faire
connaître au gouverneur ou à l’expropriant. Les oppositions motivées des
intéressés pouvaient également être adressées dans le même délai au gouverneur,
qui ouvrait alors une enquête sur les lieux menée par l’ingénieur subdivisionnaire
des travaux publics, assisté de deux propriétaires désignés par le gouverneur. Les
opposants étaient convoqués à l’enquête sur les lieux au moins 8 jours à l’avance ;
ils étaient entendus et pouvaient formuler leurs observations, qui étaient
consignées dans un procès-verbal transmis par le gouverneur à l’autorité
expropriante. Le décret d’expropriation était ensuite adopté, et devait
obligatoirement être accompagné de son plan parcellaire, tout comme il devait
également mentionner l’accomplissement préalable de l’ensemble des formalités
préliminaires précitées, y compris, le cas échéant, l’enquête menée sur la base des
oppositions motivées des ayants-droits ou se prétendant tels. Il s’agissait d’une
procédure contradictoire qu’il était impératif de respecter, et le TA tunisien a
considéré ces formalités comme substantielles, leur non respect étant susceptible
d’entraîner l’annulation du décret d’expropriation en tant qu’acte à caractère
individuel, susceptible de recours pour excès de pouvoir (REP) conformément à
165
plusieurs points, notamment parce qu’elles font intervenir la
«commission de reconnaissance et de conciliation», et qu’elles portent
non seulement sur l’identification proprement dite des parcelles et des
ayants-droits, mais également sur l’évaluation du bien à exproprier.
Ainsi, la «commission de reconnaissance et de conciliation» - structure
permanente au niveau de chaque gouvernorat - est chargée à la fois :
- «de procéder à la reconnaissance de la situation matérielle et
légale des immeubles à exproprier» (1°)
- et «d’œuvrer pour la conclusion d’un accord entre les parties
concernées par l’expropriation sur la valeur des immeubles à
exproprier» (2°).
Elle doit s’acquitter de sa tâche dans un délai de 2 mois à compter de sa
saisine (renouvelable une seule fois pour une période d’un mois).
1 ) Reconnaissance des parcelles et de leurs ayants-droits
Afin de procéder à la reconnaissance de la situation matérielle et
légale des immeubles à exproprier, la «commission de reconnaissance et
de conciliation» dispose du dossier relatif au projet, ainsi que de toutes
l’article 3 de la loi n° 72-40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal Administratif.
Cependant, dans la pratique, les formalités prévues à l’article 11 (ancien) de la loi
du 11 août 1976 relative à l’ECUP étaient rarement suivies dans la mesure où
l’alinéa 9 de ce même article dispensait l’administration de les suivre : - en cas
d’urgence ; - ou en cas d’expropriation pour plus-value. Or, dans les faits, la
plupart des expropriations étaient déclarées urgentes, ce qui limitait les REP
motivés par un irrespect des mesures préliminaires, dans la mesure où cet irrespect
n’avait vocation à être invoqué qu’en cas de contestation de l’ECUP ordinaire. Il
est vrai que l’urgence elle-même pouvait être contestée, mais le TA n’était pas
toujours favorable aux arguments des expropriés. Ainsi, il a jugé qu’il n’y avait
pas de détournement de pouvoir lorsque l’administration a pris, à titre de
régularisation, un décret d’expropriation urgente d’une propriété immobilière dont
elle avait déjà disposé illégalement, par voie de fait, pour l’incorporer au domaine
public, afin d’élargir une route. Dans cette affaire, l’urgence a été justifiée alors
qu’elle était contestée par le requérant, au motif que la situation antérieure à
laquelle l’administration avait à remédier, présentait un danger auquel
l’administration devait parer d’urgence. TA, Aff. N° 727, EP. 24 décembre
1986, Chedly Jelassi c / 1er ministre, rapportée par A. Ben Hamida, in Servir,
n° 39, 1987.
166
les enquêtes effectuées concernant l’immeuble à exproprier, les ayantsdroits et autres titulaires de droits existants sur l’immeuble ; et peut
également exercer, à compter de la date de sa saisine, «toutes les
prérogatives nécessaires en vue de reconnaître les ayants-droits».
Au vu de ces éléments, et «après avoir rassemblé les données réelles et
techniques y afférentes», elle «ordonne» à la partie administrative
concernée de procéder à la publicité de l’intention d’exproprier, ce qui
indique qu’elle est dotée de pouvoirs d’injonction à l’égard de
l’administration [article 11 (nouveau) de la loi n° 76-85 du 11 août
1976 relative à l’ECUP, telle que modifiée par la loi n° 2003-26 du 14
avril 2003).
Concrètement, la publicité se fait par affichage et dépôt aux sièges
du gouvernorat, de la délégation, de la commune et de la direction
régionale du Ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières
du lieu de situation de l’immeuble, pour une période d’un mois :
* d’une liste descriptive, comportant les noms des propriétaires ou
présumés tels,
* ainsi que du plan parcellaire concernant l’immeuble à exproprier,
établi par l’Office de la topographie et de la cartographie, par un
géomètre ou tout autre organisme «dûment habilité à cet effet».
Peuvent également être utilisés pour la publicité les moyens de
communication auditifs et écrits.
Par la suite, les ayants-droits, au même titre que «toute personne
prétendant avoir un droit sur les immeubles à exproprier», sont admis à
faire «opposition motivée» entre les mains de la commission (et non plus
entre celles du gouverneur), concernant :
* soit l’existence de l’utilité publique du projet,
* soit l’aspect pétitoire.
Dans l’un ou l’autre de ces cas, la commission procède aux
«enquêtes nécessaires à cet effet», puis convoque les opposants par la
voie administrative au moins 8 jours à l’avance, les entend et consigne
leurs observations dans un procès-verbal établi par ses soins. Elle
examine ensuite l’avis de la partie administrative à propos desdites
oppositions, puis «ordonne» à cette dernière de réaliser le «plan de
morcellement définitif» de l’immeuble à exproprier partiellement, et/ou le
«plan définitif» concernant les immeubles non immatriculés.
167
On retrouve à ce niveau le pouvoir d’injonction de la
«commission de reconnaissance et de conciliation», qui s’exerce à la fin
de la phase d’identification des parcelles et des ayants-droits, en vue de
l’établissement des documents cartographiques permettant une
identification exacte des immeubles à exproprier. Ces documents doivent
en tout état de cause être établis par le biais de l’Office de la topographie
et de la cartographie, du géomètre ou de tout autre organisme «dûment
habilité à cet effet» conformément aux dispositions de l’article 11 alinéa
3 (nouveau) de la loi n° 76-85 du 11août 19876 portant refonte de la
législation relative à l’expropriation, et non pas directement par la partie
administrative concernée par l’opération d’expropriation.
Cependant, afin de contribuer à l’établissement de ces documents
graphiques, la partie administrative concernée peut requérir «les
ordonnances judiciaires nécessaires en vue de l’accès à toutes les parties
de l’immeuble à exproprier» (article 11, alinéa 3 nouveau in fine).
En fin de procédure, le «plan de morcellement définitif» ou le «plan
définitif», selon le cas, sont joints au décret d’expropriation publié au
Journal Officiel, qui doit également mentionner l’accomplissement des
formalités préliminaires obligatoires (sous peine d’annulation).
Par la suite, conformément à l’article 13 (nouveau) de la loi n°
76-85 du 11 août 1976, l’expropriant adresse une copie du décret
d’expropriation, avec une copie du document cartographique joint, au
gouverneur territorialement compétent aux fins d’affichage, ainsi qu’à
l’exproprié « et à tout autre ayant-droit lié à l’immeuble dont les droits
sont inscrits» (rajout de la révision opérée en 2003) ; et ce, afin que les
intéressés puissent prendre connaissance aussi bien du plan que du
montant de l’indemnité fixée conformément à l’article 11 (nouveau) et se
faire éventuellement connaître dans le mois qui suit leur information par
affichage et/ou par courrier.
168
2) Evaluation des biens à exproprier
Le second volet de la mission dévolue à la «commission de
reconnaissance et de conciliation» consiste à œuvrer pour la conclusion
d’un accord entre les parties concernées par l’expropriation sur la valeur
des immeubles à exproprier, suite à la publicité organisée autour de
l’opération d’expropriation. Elle convoque alors à son siège les
propriétaires ou présumés tels en vue d’arriver à un tel accord sur la base
de deux rapports :
- l’un établi par un expert de l’Etat,
- l’autre par un expert inscrit sur la liste des experts judiciaires que
les ayants-droits ou certains d’entre eux ont la possibilité de
choisir.
L’évaluation donne ensuite lieu à la rédaction d’un rapport motivé
par la commission, transmis à la partie administrative concernée par
l’expropriation, et qui s’impose à celle-ci. En effet, le texte précise que la
partie administrative est «tenue» par la valeur fixée par la commission ;
tandis que les ayants-droits doivent simplement «informer» la
commission de leur acceptation ou de leur refus de ladite valeur. Dans le
cas où la «commission de reconnaissance et de conciliation» ne parvient
pas à la conclusion d’un accord à propos de la fixation de l’indemnité
d’expropriation ; l’intervention du juge est alors possible, conformément
à l’article 29 (nouveau) de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 telle que
révisée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003, en vue d’aboutir à
l’évaluation de l’indemnité par la juridiction compétente à l’aide d’un
ensemble d’éléments cités par le texte ; étant précisé que la phase
judiciaire peut également être engagée s’il y a un litige sur le fond du
droit ou la qualité des requérants.
II- LA PHASE JUDICIAIRE DE LA PROCEDURE
D’EXPROPRIATION
Le choix du juge judiciaire en tant que juge de l’expropriation est
169
celui du droit français 26, mais aussi du droit tunisien de l’ECUP, sous
réserve des compétences revenant au TA en matière de recours pour
excès de pouvoir, conformément à la loi n° 72-40 du 1er juin 1972, telle
26
En France, la phase judiciaire fait intervenir une juridiction spéciale
d’expropriation, chargée d’une double compétence, à savoir prononcer le transfert
de propriété d’une part, et fixer le montant de l’indemnité d’expropriation d’autre
part. Cette juridiction judiciaire spéciale a été mise en place par l’Ord. de 1958, et
organisée par les lois du 26.7.62 et du 10.7.65. Elle existe dans chaque
département et se compose d’un juge unique en 1ère instance, désigné par le 1er
Président de la cour d’appel parmi les magistrats du tribunal de grande instance,
assisté d’un commissaire de gouvernement dont la fonction est exercée par le
directeur départemental des domaines dont la mission consiste à éclairer le juge de
l’expropriation en matière d’évaluation des biens, grâce à ses compétences
techniques, mais il est aussi représentant de l’Etat et partie au litige, et peut à ce
titre proposer une évaluation inférieure à celle des expropriés, tout comme il peut
interjeter appel de la décision du juge. Par ailleurs, sa présence ne fait pas
disparaître celle d’un représentant du ministère public, ce qui imprime à sa mission
un caractère parfois qualifié d’“ambigu” (expression de Mme Questiaux in
conclusions sous CE, 1er. Décembre 1968, Association syndicale des propriétaires
de Champigny-sur-Marne, RDP, 1969, p 520). Une formation collégiale est prévue
en appel, appelée “Chambre des expropriations de la Cour d’Appel”, et se
compose d’un président désigné par le 1er président et de deux assesseurs. C’est
cependant le juge administratif qui est qualifié pour statuer sur la responsabilité de
l’administration et ses conséquences indemnitaires, du fait de l’exercice de ses
activités de puissance publique à l’occasion de l’expropriation, comme par
exemple les dommages causés par l’abandon d’une procédure d’expropriation
entreprise, ou encore ceux découlant de retards dans le déroulement de la phase
administrative. Voir à ce sujet CE, 23 décembre 1970, Farsat, Concl. Kahn, AJDA
1971, p 96 ; et aussi CE, 14 mars 1975, Sté. de la vallée de Chevreuse, Chron.
Franc et Boyon, AJDA 1975, p 224 ; sans oublier CE, 13 octobre 1976, Boucher,
note J-M. Auby, RDP 1977, p 1049.
170
que modifiée ultérieurement par les lois organiques n° 96-39 du 3 juin
1996 et n° 2001-79 du 24 juillet 2001 27.
Harmonisant les textes relatifs à la répartition des compétences entre
l’ordre administratif et l’ordre judiciaire, l’article 30 (nouveau) de la loi
n° 76-85 du 11 août 1976, telle que modifiée par la loi n° 2003-26 du 14
avril 2003 précise notamment à ce sujet que :
«Les actions liées à l’ECUP, à l’exception du recours pour excès
de pouvoir, sont de la compétence des juridictions de l’ordre
judiciaire avec ses différents degrés prévus au code de procédure
civile et commerciale» 28.
27
28
Notamment par les lois organiques n° 83-67 du 21 juillet 1983, n° 91-66 du 2 août
1991, n° 94-26 du 21 février 1994, n° 96-39 du 3 juin 1996 créant des chambres
administratives d’appel et étendant la compétence du TA aux litiges tendant à
déclarer l’administration débitrice précédemment soumis aux tribunaux ordinaires
en vertu du décret beylical du 27 novembre 1888, texte lui-même abrogé par la loi
organique n° 96-38 du 3 juin 1996 qui a créé en même temps un Conseil des
Conflits de compétence chargé de régler les conflits de répartition des
compétences entre les tribunaux judiciaires et le tribunal administratif (JORT n°
47 du 11 juin 1996, p 1144) ; ainsi que par la loi organique n° 2001-79 du 24
juillet 2001 créant des chambres de Cassation, complétant l’édifice de l’ordre
juridictionnel administratif en Tunisie ; JORT n° 59 du 24 juillet 2001, p 1787. En
matière de contentieux administratif, la loi organique n° 2002-11 du 4 février 2002
autorise finalement en Tunisie les recours pour excès de pouvoir contre les décrets
à caractère réglementaire par une réforme de l’article 3 de la loi n° 72-40 du 1er
juin 1972, désormais formulé comme suit : «Le TA est compétent pour statuer sur
les REP tendant à l’annulation des actes pris en matière administrative», et
confiant leur contentieux en 1er ressort aux Ch. administratives d’appel, la
représentation en justice de l’Etat étant pour sa part confiée au 1er ministre dans les
cas de REP contre les décrets (JORT n° 11 du 5.2. 2002, p 252). Enfin, la loi
organique n° 2002-98 du 25 novembre 2002 met en conformité le texte de la
dernière phrase de l’article 19 de la loi n° 72-40 du 1er juin 1972 relative au TA
avec le texte de l’article 35 (paragraphe 1er nouveau) de la Constitution du 1er juin
1959 ; tel qu’issu de la révision opérée par le référendum constitutionnel du 26 mai
2002, entériné par la loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1er juin 2002 ; dans le
cadre duquel les décrets à caractère réglementaires modifiant les textes législatifs
antérieurs concernant les matières autres que celles relevant du domaine de la loi
(article 34 de la même Constitution), doivent être soumis à l’avis obligatoire du
Conseil Constitutionnel, et non plus à l’avis conforme du TA ; JORT n° 96 du 26
novembre 2002, p 2761.
Auparavant, l’ancienne formulation du même article était la suivante : «Le litige
relève en 1er ressort de la compétence du Tribunal de 1ère Instance de la situation
des biens, et en appel et en cassation de celle du Tribunal Administratif».
171
Le but de ce choix est de garantir les droits des justiciables en les
soumettant à leur juge «naturel» (on considère en effet le juge judiciaire
comme le “gardien de la propriété privée”) plutôt que de faire intervenir
la juridiction spéciale de droit administratif, considérée d’office comme
étant plus favorable aux intérêts de l’administration publique, même s’il
s’agit d’un raisonnement quelque peu caricatural et réducteur qui s’avère
parfois erroné 29.
En Tunisie, la phase judiciaire débute si les offres de l’expropriant
ne sont pas acceptées, ou s’il y a litige sur le fond du droit ou la qualité
des requérants, la partie la plus diligente saisissant le tribunal de 1ère
instance compétent 30.
La loi ne précise pas exactement le moment auquel peut débuter
cette phase, et il semble ainsi qu’une action puisse être engagée à trois
moments différents et pour 3 raisons différentes :
* d’une part suite au refus par les expropriés des offres de
l’administration ; c’est alors à la partie la plus diligente de saisir le
tribunal ;
29
30
En effet, il n’est pas rare que le juge administratif prenne le parti des expropriés
contre la toute puissance de l’administration dans le cadre du contentieux de
l’annulation ; mais cet aspect ne sera pas examiné dans le cadre limité de cette
étude, qui se contente de présenter la phase judiciaire devant les juridictions de
droit commun, étant par ailleurs précisé que les éventuels recours en excès de
pouvoir à l’encontre des décrets d’expropriation obéissent aux principes généraux
du contentieux de l’annulation.
En revanche, en France, l’accomplissement de toutes les étapes de la phase
administrative était auparavant nécessaire pour l’ouverture de la phase judiciaire,
mais si la preuve de l’accomplissement de ces étapes demeure aujourd’hui encore
toujours nécessaire pour permettre au juge de prononcer le transfert de propriété,
leur achèvement n’est pas impératif pour lancer la procédure judiciaire
d’évaluation de l’indemnité d’expropriation, qui peut débuter dès l’avis
d’ouverture d’enquête publique préalable à une opération d’ECUP. En effet,
enquête publique préalable, adoption d’une DUP et éventuellement d’un arrêté de
cessibilité : telles sont les phases administratives de la procédure d’ECUP en
France, ce qui montre bien la complexité de la procédure d’ECUP, et même, dans
certains cas, la lenteur qui peut en résulter ; c’est pour éviter les lenteurs
excessives que l’Ordonnance du 23 octobre 1958 relative à l’ECUP (codifiée dans
le code de 1977) a autorisé la mise en route de l’une des étapes de la phase
judiciaire, à savoir la fixation de l’indemnité d’expropriation.
172
*
*
ensuite s’il y a un litige sur le fond du droit, c’est à dire si les droits
dont se prévalent les expropriés ne sont pas clairs, ce qui peut se
manifester très tôt ;
et enfin en cas de litige sur la qualité des requérants, ce 3ème cas de
figure rejoignant presque le précédent sans se confondre avec lui,
puisqu’il concerne plus spécialement le droit d’agir des différents
titulaires de droits immobiliers sur les immeubles expropriés autres
que les individus dont le droit de propriété est établi, ce qui conduit à
une recherche de la qualité au titre de laquelle ils ont droit (ou pas) à
une indemnité.
En outre, les délais sont strictement prévus par la loi n° 76-85 du
11 août 1985 telle que complétée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003,
dans le souci d’assurer une certaine célérité au service de la sécurité des
justiciables et des deniers publics. En effet, le Tribunal de 1ère Instance
saisi dispose d’un délai de 3 mois à compter de la première audience à
laquelle a été désignée l’affaire pour se prononcer ; et la Cour d’Appel
dispose du même délai à compter de la date de sa première audience.
Quant à la Cour de Cassation, elle doit également statuer sur le recours
intenté dans les 3 mois - non pas de sa première audience - qui suivent la
date de sa saisine.
La fixation de tels délais dénote un souci de diligence de la part
du législateur, vraisemblablement motivé par la lenteur antérieure de ces
recours, source de problèmes notamment en ce qui concerne la fixation
de l’indemnité d’expropriation.
Quelle que soit cependant sa durée et le nombre de juridictions saisies,
l’intérêt de la phase judiciaire est double dans la mesure où elle permet
d’aboutir :
- d’une part à la fixation de l’indemnité d’expropriation au cas où
celle-ci n’aurait pas été fixée à l’amiable (A) ;
- et d’autre part à “autoriser” la mise en possession de l’immeuble
exproprié par l’expropriant, moyennant consignation de
l’indemnité d’expropriation (B).
173
Quant au paiement définitif de l’indemnité d’expropriation, il
«intervient au vu de la décision juridictionnelle passée en force de chose
jugée», conformément à l’article 33 (non modifié) de la loi n° 76-85 du
11 août 1976, et obéit à une série de conditions de publicité fixées par la
loi, dont la plupart n’ont pas subi de modifications substantielles, sauf,
éventuellement, dans le sens d’une plus grande exactitude quant à
l’identité des bénéficiaires, ce qui s’inscrit en tout état de cause dans le
cadre de la recherche d’une meilleure sécurité des justiciables (C).
A -LA FIXATION DE L’INDEMNITE D’EXPROPRIATION
En l’absence d’accord amiable, la fixation de l’indemnité
d’expropriation (provisoire et/ou définitive) est, en Tunisie, de la
compétence du Tribunal de 1ère instance du lieu de situation du ou des
biens à exproprier en 1er ressort ; et relève en France du juge unique de
l’expropriation. Quelle que soit la juridiction concernée, l’objectif
poursuivi consiste à maintenir un juste équilibre entre l’intérêt privé des
personnes expropriées et l’intérêt général, qui se confond en l’occurrence
avec un intérêt financier lié à la sécurité et à la bonne gestion des deniers
publics.
Dans le cas tunisien, le texte semble d’ailleurs davantage prendre
en considération ce point précis pour empêcher un enrichissement indu
des expropriés et par voie de conséquence un appauvrissement injustifié
de l’administration (1) ; tandis que le droit français évoque plutôt
l’indemnisation au sens civil du terme, c’est à dire en tant que réparation
d’un véritable préjudice causé aux expropriés (2).
Bien qu’apparemment différentes, ces deux conceptions se
rapprochent assez l’une de l’autre, dans la mesure où l’on constate dans
les deux cas le souci d’une évaluation à la fois exacte mais non
spéculative.
174
1 ) Compensation de la valeur patrimoniale du
bien exproprié
En Tunisie, l’octroi d’une indemnité d’expropriation est entourée
d’une série de conditions tendant à éviter les abus des expropriés en
matière d’évaluations fantaisistes et/ou exagérées ; et on peut davantage
l’assimiler à la compensation de la valeur patrimoniale de la propriété
plutôt qu’à une véritable indemnisation du préjudice causé par
l’opération d’expropriation. D’ailleurs, la crainte d’abus de la part des
administrés est telle qu’elle a justifié en 2003 l’ajout par le législateur
d’un article 2 (bis) à la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la
législation relative à l’expropriation, selon lequel :
«Aucune indemnité ne sera octroyée à titre d’indemnisation
des droits découlant d’actes illégaux accomplis dans le but
d’obtenir ladite indemnité».
Hormis cette situation limite, l’évaluation de l’indemnité
d’expropriation s’effectue sur la base des offres de l’administration et des
contre-offres des expropriés, et il appartient à la partie la plus diligente de
saisir le Tribunal. Lorsqu’il est saisi aux fins de l’évaluation de
l’indemnité d’expropriation, le juge dispose d’une série d’éléments lui
permettant d’en fixer la valeur.
Ainsi, conformément à l’article 4 (nouveau) de la loi n° 76-85 du
11 août 1976 sur l’ECUP, l’indemnité d’expropriation doit être fixée
d’après la valeur de l’immeuble appréciée selon sa consistance et l’usage
«effectif» auquel il était affecté à la date de publication du décret
d’expropriation, et par comparaison avec les prix pratiqués à cette date
pour les immeubles comparables situés dans la même zone. L’ajout du
qualificatif «effectif» résulte de la modification apportée à la loi sur
l’expropriation en 2003, et vise à appréhender la réalité des situations
concrètes, au-delà des apparences formelles figurant dans des documents
ou résultant éventuellement des déclarations des expropriés.
Par ailleurs, pour éviter les manœuvres spéculatives, le législateur
dispose également dans le même article, à l’alinéa 2nd, non modifié en
2003, que :
175
« Cette valeur ne peut excéder, en toute hypothèse, l’estimation
donnée au même immeuble, lors de sa dernière mutation à titre
onéreux ou gratuit, dans les contrats conclus ou les déclarations
effectuées à cette occasion, lorsque cette mutation est antérieure
de moins de 3 ans à la date de publication du décret
d’expropriation ».
Toutefois, magnanime, le législateur autorise dans la suite du
même article 4 (non modifiée non plus) la majoration d’une telle
estimation de certains montants, et notamment des frais suivants :
* des frais d’acquisition de l’immeuble (dûment justifiés), à
concurrence de 25% de la valeur de l’immeuble ;
* de la plus-value annuelle égale au taux d’escompte de la Banque
Centrale de Tunisie ;
* et le cas échéant, de la valeur intrinsèque des constructions,
plantations et autres dépenses faites sur l’immeuble pendant la
période comprise entre la mutation de référence et la date du décret
d’expropriation.
Cependant, les estimations de référence ne peuvent être retenues
que si elles correspondent aux déclarations faites par les contribuables
«au cours des 3 années précédant l’opération d’expropriation», cette
condition de délai ayant été rajoutée en 2003, ou à des évaluations
rendues définitives en vertu des lois fiscales, notamment les lois
d’amnistie (article 5, alinéa 1er nouveau).
Pour éclairer sa décision, le Tribunal de 1ère Instance peut en outre
demander une expertise dont les conditions intuitus personae sont fixées
par l’article 31 de la loi sur l’ECUP.
Ainsi, ne peuvent pas être experts :
* les propriétaires et locataires des immeubles désignés au décret
d’expropriation ou restant à acquérir ; au même titre que leurs
conjoints ou proches parents ;
* les détenteurs de droits réels sur les immeubles expropriés ; ainsi que
leurs conjoints ou proches parents ;
* tous les autres ayants-droits ou prétendus tels ; et leurs conjoints ou
proches parents ;
176
*
et d’une façon générale, toute personne pouvant être récusée en vertu
des articles 96 et 108 du CPCC ; ainsi que leurs conjoints ou proches
parents.
Le juge doit en principe nommer 3 experts, selon l’article 31
précité, à moins que les parties ne conviennent d’en nommer un seul. Les
rapports d’expertise sont remis au Tribunal dans un délai qui ne peut
dépasser un mois, sauf circonstances exceptionnelles, et l’expert qui ne
remet pas son rapport dans les délais est aussitôt remplacé sans préjudice
des dommages et intérêts auxquels il peut être condamné.
Très clairement, la loi dispose aussi qu’il ne sera tenu aucun
compte des hausses spéculatives provoquées par l’annonce des travaux
motivant l’expropriation ou par leur réalisation partielle, et pose en règle
le principe selon lequel les modifications apportées à l’état des lieux et
les actes passés par les ayants-droits dans un but spéculatif, ne donnent
lieu à aucune indemnité.
Par ailleurs, harmonisant le texte sur l’expropriation avec le code
des droits et procédures fiscaux (CDPF) promulgué par la loi la loi n°
2000-82 du 9 août 2000 31, l’article 5 alinéa 2nd (nouveau) est venu
prévoir que les administrations financières étaient tenues de fournir à
l’expropriant ainsi qu’aux juridictions compétentes et aux experts
désignés par elles, tous renseignements utiles sur les déclarations ou
évaluations fiscales afférentes aux transactions prises en considération,
«sans préjudice des dispositions de l’article 15 du CDPF», à savoir les
dispositions relatives au respect impératif du secret professionnel par les
fonctionnaires des administrations financières, sous peine de sanction et
avec impossibilité du recours à la transaction. Cette disposition qui a été
rajoutée par le législateur de 2003 – bien que les dispositions de l’article
15 du CDPF aient été entre temps abrogées - signifie que le secret
professionnel est en tout état de cause levé lorsqu’il s’agit pour lesdits
31
JORT n° du 64 du 11 août 2000, p 1874 et suivantes.
177
fonctionnaires de contribuer à l’évaluation de l’indemnité d’expropriation 32.
De même, afin d’évaluer au mieux la situation, le législateur a
imposé au tribunal saisi de l’action tendant à l’obtention de l’indemnité
d’expropriation «d’ordonner l’assignation en intervention forcée de tout
créancier ayant des sûretés réelles liées à l’immeuble exproprié dûment
inscrites» (article 29, alinéa 3 nouveau).
Quant au montant lui-même de l’indemnité d’expropriation, il est précisé
(article 6 nouveau) qu’il : «ne doit jamais être inférieur à la valeur fixée
conformément à l’article 11 (nouveau)», c’est à dire par l’intermédiaire
de la «commission de reconnaissance et de conciliation» compétente 33.
Une fois fixée par la voie judiciaire, l’indemnité d’expropriation est
opposable à tous ayants-droits éventuels, quel que soit le moment où ils
pourraient se manifester.
2 ) Indemnisation du préjudice né de l’expropriation
En France, le juge de l’expropriation est compétent pour connaître
du préjudice né de l’opération d’expropriation, et évaluer en conséquence
les indemnités à octroyer, qui doivent couvrir, conformément à
l’ordonnance de 1958 :
«l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain».
32
33
L’entrée en vigueur du CDPF avait en effet été reportée au 1er janvier 2002, afin de
laisser le temps aux contribuables, ainsi qu'à l'administration fiscale et à la justice
de s'y adapter, mais ce texte a été modifié par la loi n° 2002-1 du 8 janvier 2002
qui a révisé l’article 17 relatif au droit de communication ; prévu certaines
tolérances en faveur des contribuables ne l’ayant pas encore fait et qui
déposeraient spontanément leurs déclarations avant la fin du mois de juin 2002
afin de les inciter à accomplir leur devoir fiscal (mesure d’amnistie fiscale) ; et
abrogé les dispositions de l’article 15 du CDPF, ce qui levait déjà en principe
d’office et dans tous les domaines l’obligation du secret professionnel à l’égard
des fonctionnaires des administrations financières ; JORT n° 3 du 8 janvier 2002,
p 59.
Selon l’ancienne formulation du même article 6 : «L’indemnité définitive ne doit
jamais être fixée à une somme supérieure à la demande de l’exproprié ni inférieure
à l’offre de l’expropriant».
178
Il se prononce à ce titre sur la fixation d’une indemnité principale
correspondant à la valeur patrimoniale du ou des biens expropriés ; mais
apprécie également les éventuelles indemnités accessoires liées aux
autres chefs de préjudice.
L’appréciation du juge porte par conséquent à la fois sur les
caractères du préjudice indemnisable (direct, matériel et certain), puis sur
l’intégralité de la réparation qu’il justifie ; et pour ce faire, il s’inspire du
droit commun sur certains points et s’en éloigne à d’autres niveaux.
Ainsi, seuls les dommages matériels sont pris en compte, à l’exclusion du
préjudice moral, même si celui-ci peut exister en matière d’expropriation
(comme par exemple une personne âgée expropriée d’un immeuble
qu’elle habitait depuis longtemps) ; alors qu’en matière civile la
réparation du préjudice moral est admise depuis longtemps,
conformément au principe d’une indemnité «juste» de tout type de
préjudice. Cette restriction est liée en France à la volonté politique de
réduire les indemnités versées par l’expropriant. Le caractère direct du
préjudice ne suscite par de débat en ce qu’il est établi qu’un lien de
causalité doive exister entre l’opération d’expropriation et le préjudice
qui en résulte, comme par exemple la perte de loyers subie par le
propriétaire du fait de la rupture anticipée (et involontaire) du contrat de
location.
En revanche, les préjudices indirects n’entrent pas en ligne de
compte dans le calcul des indemnités allouées, comme par exemple le
dommage résultant pour l’exproprié d’un emprunt qu’il aurait contracté
dans le but d’acquérir le bien exproprié.
Quant à la certitude du dommage, elle est tout aussi évidente, et
signifie que ne seront pas pris en compte les dommages simplement
aléatoires ou éventuels, comme par exemple la perte de la possibilité de
réaliser un projet immobilier envisagé ; tandis que les dommages futurs
pourront être indemnisés, comme par exemple la perte de gisements dont
l’extraction était prévue et qui a été compromise par l’expropriation.
179
En fait, l’exproprié en France doit pouvoir obtenir réparation de
tout le préjudice qui lui a été causé, mais seulement de ce préjudice, pas
plus, mais pas moins. A cet effet, contrairement au cas tunisien, le juge
de l’expropriation français apprécie souverainement le montant des
indemnités principales et accessoires selon la méthode d’évaluation qui
lui paraît la plus appropriée, mais en se référant néanmoins à certains
éléments légaux incontournables.
En effet, l’indemnité principale, qui a vocation à couvrir la valeur
vénale du bien, doit tenir compte de certaines données fixées par les
textes, et notamment de la définition légale du terrain à bâtir, du principe
de la non indemnisation des servitudes d’urbanisme (sauf exceptions),
ainsi que de certains éléments préétablis, afin de permettre au juge de
procéder à une évaluation par comparaison qui consiste à rechercher des
critères d’appréciation par référence à des mutations ou à des
déclarations fiscales récentes portant sur des biens de caractère analogue
aux biens expropriés.
Quant aux indemnités accessoires, elles sont de nature variable et
peuvent tenir compte des frais que devra éventuellement supporter
l’exproprié pour acquérir un bien de même nature (indemnité dite «de
remploi», ex : frais de notaire, droits d’enregistrement, d’hypothèque) ;
de la dépréciation du restant dans le cas d’une expropriation partielle
provoquant une moins-value de la propriété, ou encore des frais de
déménagement ou de clôture lorsque l’expropriation oblige l’exproprié à
déménager et/ou à faire des dépenses pour une nouvelle délimitation de
son bien.
Quelle que soit cependant l’étendue des indemnités accessoires
susceptibles d’être accordées en France par le juge de l’expropriation,
l’intérêt public n’est pas oublié, car l’exproprié ne saurait s’enrichir au
détriment de la collectivité, et diverses dispositions ont été prévues afin
de déjouer les calculs et spéculations éventuelles des expropriés. Ainsi,
l’article L.13-14 du code de l’expropriation français dispose qu’aucune
indemnité ne sera accordée en vue de compenser des améliorations
manifestement motivées par la volonté d’obtenir une indemnité plus
élevée.
180
En tout état de cause, la fixation de l’indemnité d’expropriation
constitue l’aboutissement de la première partie de la phase judiciaire, qui
permet au juge de passer au prononcé de la prise de possession de
l’immeuble par l’expropriant, moyennant consignation de ladite somme.
B - LA MISE EN POSSESSION DE L’EXPROPRIANT
En droit tunisien, tout comme en droit comparé, la mise en
possession de l’expropriant est subordonnée au paiement ou au moins à
la consignation préalable de l’indemnité, car le transfert de propriété
n’emporte pas automatiquement une telle conséquence.
En effet, si le transfert de propriété est effectif en Tunisie dès la
publication du décret d’expropriation, et en France, dès le prononcé de
l’Ordonnance d’expropriation par le juge unique de l’expropriation, il
n’entraîne pas pour autant une mise en possession immédiate de
l’expropriant.
Celle-ci est subordonnée, en tout état de cause, au paiement ou à
la consignation préalable de l’indemnité d’expropriation telle qu’évaluée
par le juge. En effet, il convient de préciser que l’ordonnance
d’expropriation (cas français) n’a pas pour effet de mettre l’expropriant
en possession directe du bien exproprié, elle ne fait que l’envoyer en
possession, car la mise en possession effective est subordonnée au
paiement de l’indemnité d’expropriation, à juste titre dite “préalable”.
Il s’agit d’une condition suspensive.
En France, le paiement préalable de l’indemnité est même
considéré comme un principe constitutionnel fondé sur la déclaration des
droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui ne peut être écarté
que dans le cas des expropriations spéciales d’urgence.
Le montant de l’indemnité d’expropriation peut être contesté en
appel devant les chambres des expropriations des cours d’appel.
181
En Tunisie, le paiement ou la consignation de l’indemnité
constitue également une condition de la mise en possession de
l’expropriant en vertu du principe posé à l’article 2 (dans sa partie non
modifiée) de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la
législation relative à l’ECUP, selon lequel :
“L’expropriant ne peut prendre possession de l’immeuble
exproprié, que moyennant paiement ou consignation d’une juste et
préalable indemnité”.
Il convient en fait de distinguer la phase de paiement de
l’indemnité de son éventuelle consignation, dans la mesure où dans le
second cas, la somme n’est pas versée directement à l’exproprié, mais
déposée au Trésor public comme une sorte de gage, dont une partie est
obligatoirement retirée par l’exproprié sur ordre du juge pour permettre
la mise en possession de l’expropriant.
Ainsi, la mise en possession de l’expropriant obéit désormais à deux
conditions cumulatives, dans la mesure où la consignation de l’indemnité
préalablement fixée ne suffit pas au juge pour lui permettre d’ordonner la
mise en possession de l’expropriant (1) , car il doit en même temps et par
un même jugement, ordonner le retrait de ladite indemnité dans les
limites de la valeur fixée conformément à l’article 11 (nouveau), et ce,
conformément aux dispositions pertinentes de l’article 30 (nouveau) de la
loi n° 76-85 du 11 août 1976, telle que révisée par la loi n° 2003-26 du
14 avril 2003 (2).
1) La consignation de l’indemnité d’expropriation
Avant 2003, la consignation d’une indemnité provisoire
d’expropriation suffisait pour permettre au juge d’autoriser la mise en
possession de l’expropriant, tandis que le paiement définitif pouvait avoir
lieu ultérieurement, et ne constituait qu’un aboutissement ultime de
l’opération d’expropriation.
182
La consignation d’une indemnité provisoire permettait en effet
une mise en possession accélérée de l’expropriant, dans la mesure où elle
suivait la notification des offres par l’expropriant ( par lettre
recommandée avec accusé de réception, et sommation à l’exproprié de
faire connaître dans un délai de 60 jours son acceptation, ou, en cas de
refus, ses prétentions) et pouvait être prononcée par le juge avant la
clôture de l’affaire, conformément à l’article 17 (ancien) désormais
abrogé de la loi sur l’ECUP selon lequel :
“… l’expropriant peut se faire mettre en possession … à partir de
la notification des offres… et moyennant consignation : - d’une
somme déterminée suivant les règles ordinaires de la compétence
par le juge des référés, s’il s’agit de terrains non bâtis ni
complantés ; - (ou) d’une somme évaluée par le juge des référés,
après expertise, s’il s’agit de terrains bâtis ou complantés”.
Dans ce cas, le juge des référés désignait en principe un expert
unique (et non 3), sauf si la nomination de 2 ou 3 experts au maximum
lui paraissait justifiée par l’importance des constructions ou plantations
existant sur les parcelles expropriées, ou par la présence dans certains
immeubles d’installations industrielles ou commerciales complexes. Le
ou les experts remettaient ensuite leur(s) rapport(s), en 3 exemplaires,
dans un délai fixé par le juge des référés, qui ne pouvait être supérieur à
un mois, sous peine de remplacement (de l’expert défaillant) et de
condamnation à des dommages et intérêts. Sur cette base (ou sans
expertise si le terrain était nu ), le juge des référés évaluait l’indemnité
(provisoire) et en ordonnait la consignation, ce qui lui permettait
d’autoriser la mise en possession de l’expropriant, en attendant le
règlement définitif de l’affaire, conformément à l’article 20 de la loi sur
l’ECUP (également abrogé) qui disposait que :
“Le juge des référés, après examen, le cas échéant, du rapport
d’expertise et audition des parties, rend une ordonnance fixant la
somme à consigner par l’expropriant et autorisant celui-ci à
prendre possession de l’immeuble moyennant cette consignation
qui doit être effectuée à la Trésorerie Générale de Tunisie”.
183
La mise en possession rapide de l’expropriant était donc autorisée
par l’Ordonnance du juge des référés, moyennant consignation de
l’indemnité d’expropriation à la Trésorerie Générale de Tunisie, avant
même le règlement définitif de l’affaire, telle qu’autorisée par l’article 23
(ancien) également abrogé, de la loi sur l’ECUP selon lequel :
«L’indemnité offerte ... peut être consignée à la Trésorerie
Générale de Tunisie jusqu’au règlement amiable ou juridictionnel
de l’indemnité».
Désormais, il ne peut plus y avoir de mise en possession
accélérée, et la consignation d’une indemnité provisoire, évaluée par le
juge des référés, n’est plus possible pour permettre à ce même juge
d’autoriser l’expropriant à prendre possession de l’immeuble exproprié
en attendant la fixation du montant définitif de l’indemnité
d’expropriation, compte tenu de l’abrogation par la loi n° 2003-26 du 14
avril 2003 des articles 16 et suivants de la loi la loi n° 76-85 du 11 août
1976 portant refonte de la législation relative à l’ECUP.
En effet, dans le nouveau texte, le juge doit ordonner la
consignation de l’intégralité de l’indemnité d’expropriation préalablement fixée par lui, pour autoriser l’expropriant à entrer en possession
de son bien.
Ainsi, l’alinéa 3 de l’article 30 (nouveau) accorde au Tribunal de
1 instance saisi d’une action liée à l’expropriation un délai de 3 mois à
compter de la première audience à laquelle a été déclarée l’affaire pour
prononcer un jugement :
* fixant l’indemnité d’expropriation,
* autorisant l’expropriant à prendre possession de l’immeuble
exproprié après consignation de l’indemnité d’expropriation à la
Trésorerie Générale de Tunisie.
ère
De plus, par le même jugement, le tribunal doit également
ordonner «le retrait de ladite indemnité dans les limites de la valeur fixée
(…), et compte tenu de la priorité des créanciers par rapport aux
propriétaires», ce qui confère aux expropriés la garantie de pouvoir
disposer d’au moins une partie de l’indemnité d’expropriation dès le
prononcé de la mise en possession de l’expropriant.
184
2) Le retrait d’une partie de l’indemnité d’expropriation
La «nouvelle» procédure d’ECUP prend davantage en
considération l’intérêt des expropriés, dans la mesure où le juge est tenu
d’ordonner dans le cadre d’un même jugement à la fois la mise en
possession de l’expropriant après consignation de l’intégralité de
l’indemnité d’expropriation préalablement fixée par lui, ainsi que le
retrait de ladite indemnité dans la limite de la valeur fixée par la
«commission de reconnaissance et de conciliation». Ceci leur accorde la
possibilité de percevoir une somme d’argent dès le jugement permettant
la mise en possession de l’expropriant, ce qui leur permet de patienter
jusqu’au paiement définitif de l’intégralité de l’indemnité
d’expropriation.
Concrètement, la mise en possession signifie que l’exproprié est
tenu de quitter les lieux dans un délai fixé par le juge, et que s’il ne le fait
pas, il peut être expulsé, sur ordonnance judiciaire.
En outre, même si l’exproprié intente un recours à l’encontre de la
décision du tribunal de 1ère instance rendue conformément à l’article 30,
cela n’entrave pas les éléments du jugement relatifs à la prise de
possession par l’expropriant, ainsi qu’au retrait de l’indemnité (par
l’exproprié) dans les limites du montant fixé par la commission de
reconnaissance et de conciliation compétente.
En fait, c’est surtout la suppression de la procédure de mise en
possession accélérée qui a redonné toute sa vigueur à la relation étroite
entre la mise en possession de l’expropriant et la consignation d’une
indemnité juste et préalable à l’exproprié ; puisque le paiement intégral
continue en tout état de cause de pouvoir intervenir ultérieurement.
C - LE PAIEMENT DE L’INDEMNITE D’EXPROPRIATION
Le paiement intégral
subordonné :
de l’indemnité d’expropriation est
185
-
-
soit à la production de titres réguliers par le propriétaire présumé
ou le titulaire du droit exproprié : en effet, pour bénéficier du
paiement intégral de son indemnité, l’exproprié doit justifier d’un
titre régulier, et d’une inscription de la mutation de l’immeuble
(au profit de l’administration) sur ce titre ou sur le nouveau titre
soit à l’accomplissement, le cas échéant, de certaines formalités
de publicité prévues à l’article 25 de la loi n° 76-85 du 11 août
1976, qui n’ont pas subi de modification en 2003.
En effet, dans le cas où l’exproprié est dans l’incapacité de
produire un titre, ou bien si ce dernier ne paraît pas régulier, l’expropriant
est tenu de faire parvenir au gouverneur territorialement compétent un
état indiquant la situation, la nature et la contenance de la parcelle
expropriée, ainsi que le montant de l’indemnité due et le nom du
propriétaire présumé. Cet état est ensuite affiché au siège du gouvernorat
pendant un délai de 6 (six) mois, et publicité doit également en être faite
par voie de Presse et de Radio. Si aucune opposition n’est enregistrée
pendant ce délai auprès du gouverneur, ce dernier établit un état «néant»
et délivre un certificat d’affichage qui permet le versement de
l’indemnité au propriétaire présumé.
Il appartient en tout état de cause à l’expropriant de faire procéder
à l’inscription de la mutation de l’immeuble (au profit de
l’administration) sur ce titre ou sur le nouveau titre par l’administration
de la Conservation Foncière ; et ce, même en cas de «non conformité des
noms entre le décret d’expropriation et le ou les titres fonciers
concernés», conformément aux dispositions de l’article 36 (nouveau) de
la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la législation relative à
l’expropriation telle que révisée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003 ;
et sous réserve de la publication ultérieure au JORT d’un tableau
rectificatif, le cas échéant.
Dans ce dernier cas (non conformité des noms entre décret
d’expropriation et titres fonciers) l’expropriant devra fournir les pièces
suivantes à la Conservation de la Propriété Foncière :
* copie du décret d’expropriation ;
186
*
plan de morcellement définitif, en cas d’expropriation partielle,
délivré par l’office de la topographie et de la cartographie, un
géomètre ou tout autre organisme dûment habilité à cet effet 34.
Il convient d’ailleurs de préciser que tous les droits réels existant
sur l’immeuble exproprié ou sur la partie expropriée de l’immeuble sont
purgés et leur effet reporté sur les sommes consignées au titre de
l’indemnité d’expropriation par le seul fait de la parution du décret
d’expropriation pour les immeubles non immatriculé, et par l’inscription
du décret d’expropriation en ce qui concerne les immeubles
immatriculés, sans préjudice des dispositions de l’article 305 du Code des
Droits Réels.
En ce qui concerne les immeubles immatriculés, le paiement de
l’indemnité est effectué après inscription du décret d’expropriation. S’il
s’agit d’un immeuble non immatriculé, l’inscription de la mutation de
propriété du ou des particuliers expropriés vers l’administration
expropriante est attestée par une déclaration de l’expropriant selon
l’article 28 (nouveau).
D’autre part, le règlement des indemnités d’expropriation
relatives aux immeubles en cours d’immatriculation peut désormais
intervenir même s’il n’est pas statué définitivement sur la réquisition
d’immatriculation, selon l’article 38 (nouveau), alors que c’était la
34
Selon l’ancienne formulation du même article 36, toute mutation résultant d’un
décret d’expropriation était inscrite définitivement sur le titre foncier par le
Conservateur de la propriété foncière, à la réquisition de l’expropriant, au vu d’un
ensemble de pièces attestant le caractère complet de ladite mutation, à savoir : «les copies certifiées conformes par l’expropriant du décret d’expropriation et, le
cas échéant, des tableaux parcellaires rectificatifs ; - le plan de lotissement délivré
par l’office de la topographie et de la cartographie aux fins de mutation de la ou
des parcelles à distraire du titre foncier, en cas d’expropriation partielle ; - la mainlevée amiable ou judiciaire des inscriptions de privilèges, hypothèques, rentes
d’enzel ou autres droits, ainsi que des mentions de commandement, d’opposition
conservatoire ou de prénotation portés sur le titre foncier».
187
situation inverse qui prévalait avant la modification intervenue en
2003 35.
Dans ce cas, il est procédé à la consignation de l’indemnité au
profit des ayants-droits, et celle-ci ne peut être retirée que par la personne
au profit de laquelle est prononcé le jugement d’immatriculation.
En cas d’acceptation de la réquisition d’immatriculation, le décret
d’expropriation est inscrit sur le registre foncier conformément aux
dispositions de l’article 36 (nouveau), c’est à dire par les soins de
l’expropriant ; et dans le cas contraire (rejet de la réquisition
d’expropriation), l’indemnité est fixée conformément aux dispositions
applicables aux immeubles non immatriculés.
Enfin, en cas de retard dans le paiement de l’indemnité définitive,
une action en revendication de l’indemnité d’expropriation a été ouverte
en 2003 au profit des expropriés, se prescrivant par l’expiration d’un
délai de quinze (15) ans à compter de la date du décret d’expropriation,
conformément à l’article 33 (bis) nouveau de la loi n° 76-85 du 11 août
1976 portant refonte de la législation relative à l’expropriation, telle que
complétée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003.
35
En effet, l’article 38 (ancien) disposait que : «Le règlement des indemnités
d’expropriation relatives aux immeubles en cours d’immatriculation ne peut
intervenir tant que le tribunal immobilier n’a pas statué définitivement sur la
réquisition d’immatriculation».
188
CONCLUSION
Dans les développements qui précèdent, c’est la procédure
“normale” de l’ECUP qui a été présentée, et il a pu être remarqué qu’elle
obéissait, aussi bien dans sa phase administrative que judiciaire, à une
série de règles destinées à l’encadrer en tant que prérogative exorbitante
du droit commun qui permet à l’administration de s’approprier par la
force – bien que contre indemnisation - le bien d’autrui.
A cet égard, il a notamment été possible de constater que la «nouvelle»
procédure d’ECUP consacrée par le législateur tunisien en 2003, s’était
enrichie de garanties supplémentaires au profit des expropriés :
- d’une part grâce à la création d’une «commission de
reconnaissance et de conciliation» dont le rôle de médiation est
fondamental au cours de la phase administrative ;
- et d’autre part grâce à la suppression des modalités les plus
critiquées de la phase judiciaire, et notamment de toute
éventualité de mise en possession «urgente» de l’expropriant
ainsi que de la notion même d’expropriation urgente permettant à
l’expropriant de s’affranchir de l’accomplissement des formalités
préliminaires obligatoires ainsi que de la consignation de
l’indemnité d’expropriation.
En revanche, le cas de l’expropriation pour plus-value continue de
dispenser l’administration de l’accomplissement de telles mesures (article
11 (nouveau) dernier alinéa) et de justifier une procédure d’ECUP que
l’on peut qualifier d’«allégée»; et ce, afin d’éviter et de lutter contre la
spéculation.
Les dispositions des articles 41 à 48 de la loi relative à l’ECUP
sont en effet demeurées telles quelles, et continuent de régir
l’expropriation pour cause de plus-value des immeubles qui, en raison de
leur proximité d’un ouvrage public projeté, doivent retirer de l’exécution
de ces travaux une plus-value certaine dépassant 50 %.
189
Dans ce cas, les propriétaires de ces immeubles ont le choix entre
payer à l’administration une indemnité pour plus-value (établie par elle
ou à défaut par le juge compétent conformément aux articles 29 et
suivants) et conserver ainsi leur propriété ; ou renoncer à payer ladite
plus-value à l’expropriant et accepter de se faire exproprier en
contrepartie d’une indemnité d’expropriation fixée par le juge comme
dans le cadre de la procédure ordinaire d’expropriation.
Quelques autres innovations ont enfin porté sur un aspect quelque
peu méconnu de l’opération d’expropriation, à savoir la procédure de la
rétrocession éventuelle des biens précédemment expropriés.
En effet, une fois que l’expropriation est réalisée, l’expropriant
doit normalement lui donner la destination publique qui a justifié
l’opération d’acquisition forcée, mais il peut arriver que l’expropriant,
pour une raison ou une autre, renonce à son projet ou même utilise le
bien à une toute autre fin. Une telle situation est choquante, dans la
mesure où l’atteinte au droit de propriété apparaît d’autant plus forte
qu’elle n’aura servi à rien.
C’est pourquoi le législateur, soucieux de rétablir un certain
équilibre, a prévu dans ce cas la possibilité pour l’ancien exproprié de
récupérer son bien, par le biais de la procédure de la rétrocession,
soumise à un certain nombre de conditions de délais et de forme.
Il existe en fait deux délais en matière de rétrocession, puisqu’on
distingue un délai de grâce donné à l’expropriant pour réaliser l’opération
d’utilité publique projetée (5 ans à partir de la date du décret
d’expropriation) ; et un délai prévu au profit de l’exproprié pour
présenter sa demande de rétrocession, qui est de 2 ans à compter de
l’expiration du délai précédent, conformément à l’article 9, alinéa 1er de
la loi n° 76-85 du 11 août 1976, non modifié par la révision opérée par la
loi n° 2003-26 du 14 avril 2003, qui dispose ce qui suit :
190
«Si, dans un délai de 5 ans à partir de la date du décret
d’expropriation, les immeubles expropriés n’ont pas été utilisés
pour la réalisation des travaux d’utilité publique mentionnés dans
le décret d’expropriation, les anciens propriétaires ou leurs
ayants-droits peuvent, sauf accord contraire, en obtenir la
rétrocession, à condition que demande en soit faite par écrit à
l’expropriant dans les deux années qui suivront l’expropriation
du délai prévu par le présent article, et ce, sous peine de
forclusion» 36.
On constate ainsi que la demande de rétrocession doit être écrite
et adressée à l’autorité expropriante elle-même, ce qui permet de
l’assimiler à une sorte de recours gracieux.
L’assimilation est d’ailleurs d’autant plus apparente que l’article 9, alinéa
2nd (également non modifié en 2003) poursuit en disposant que :
«En cas de refus ou de silence de l’expropriant, il appartient
aux intéressés de saisir les tribunaux compétents».
Cependant, la loi ne précise pas le délai de réponse de
l’administration au-delà duquel il convient de saisir le juge, et par
analogie, on peut éventuellement appliquer les délais du recours pour
excès de pouvoir à propos des décisions faisant grief 37.
Si la rétrocession est obtenue, les expropriés sont astreints à la restitution
intégrale de l’indemnité d’expropriation précédemment obtenue (article
9, alinéa 1er in fine).
Avant 2003, la rétrocession ne pouvait pas concerner les terrains
acquis à la demande du propriétaire, et qui seraient restés disponibles
après l’exécution des travaux.
36
37
En France, le délai pendant lequel la rétrocession peut être demandée est de 30 ans
à compter de l’ordonnance d’expropriation conformément à l’article L.12.6 du
code de l’expropriation français, à moins que l’expropriant ne requière une
nouvelle DUP.
A ce sujet, consulter notamment Benson Jackson : «La notion de décisions faisant
grief dans le cadre du recours pour excès de pouvoir» ; Les Petites Affiches, 18
janvier 2000, p 14 à 20.
191
En effet, l’article 3 (ancien) de la loi sur l’ECUP autorisait les
propriétaires dont une partie des biens avait été expropriée, à requérir de
l’expropriant l’expropriation de l’ensemble de ces biens ; celle-ci pouvait
alors être prononcée par une déclaration formelle dans les 60 jours, et se
poursuivait par les étapes normales de l’opération d’expropriation,
notamment en ce qui concerne la fixation de l’indemnité 38.
Pour éviter les demandes adressées à la légère, le législateur avait
alors décidé que ne pouvait être obtenue aucune rétrocession des biens
expropriés de cette manière, c’est à dire à la demande de l’exproprié dont
une partie des biens avait été précédemment expropriée.
Cependant, face à la sévérité de ce dispositif pour les administrés, le
législateur est venu autoriser en 2003 la rétrocession des biens expropriés
à la demande des intéressés, conformément à l’article 9, alinéa 3
(nouveau), selon lequel :
«La demande de rétrocession peut porter également sur les
parties acquises conformément à l’article 3 de la présente
loi».
Par ailleurs, que ce soit en 1976 ou en 2003, le législateur tunisien
n’évoque pas la possibilité ou l’impossibilité de rétrocession en cas
d’acquisition à l’amiable, ce qui peut faire pencher l’interprétation en
faveur de la possibilité d’une rétrocession des biens expropriés de cette
manière, par analogie avec le régime français de l’expropriation qui
l’autorise dans ce cas.
Un sentiment globalement positif se dégage ainsi de l’examen
sommaire des nouvelles dispositions légales venues entourer en Tunisie
la procédure de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
38
En 2003, le législateur a raccourci de 60 à 30 jours le délai à l’issue duquel
l’administration devait prononcer l’expropriation par une déclaration formelle, en
réponse à la demande en question , conformément à l’article 3, alinéa 1er (nouveau)
de la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte de la législation relative à
l’ECUP telle que révisée par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003.
192
Toutefois, cette appréciation est légèrement tempérée par
quelques «fausses notes» regrettables, dans la mesure où la suppression
de la possibilité d’expropriation urgente décidée par le législateur le 14
avril 2003, s’est étrangement accompagnée de l’adoption de pas moins de
11 décrets d’expropriation dans chacun desquels il est possible de lire la
formule suivante : «la présente expropriation est urgente», et ce,
ultérieurement à la publication du nouveau texte, ce qui laisse planer un
doute quant à leur légalité 39.
En effet, l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales n’a
pas été reportée dans le temps, et les précisions apportées par l’article 5
de la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003 selon lequel «les expropriations
objet de décrets pris avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi
restent régies par les dispositions de la loi n° 76-85 du 11 août 1976
précitée avant d’être modifiée et complétée» ; ne concernent pas, en tout
état de cause, des décrets adoptés le même jour et publiés ultérieurement
à la publication de la loi de modification elle-même.
De plus, ces précisions elles-mêmes sont sujettes à discussion,
dans toute la mesure où les procédures d’expropriation en cours à la date
d’entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003
modifiant et complétant la loi n° 76-85 du 11 août 1976 portant refonte
de la législation relative à l’ECUP, devraient en toute logique et selon les
principes les plus élémentaires du droit, obéir aux nouvelles règles posées
par le législateur 40.
39
40
En effet, les 11 décrets dont il s’agit, portant les numéros 2003-842 à 2003-852,
sont parus au Journal Officiel de la République Tunisienne n° 32 du 22 avril 2003,
p 1057 à 1201 ; alors que les modifications apportées à la loi n° 76-85 du 11 août
1976 par la loi n° 2003-26 du 14 avril 2003, ont été publiées au JORT n° 31 du 18
avril 2003, p 1031 à 1033.
Etant néanmoins précisé que dans le cas d’espèce, c’est cependant le législateur
lui-même qui déroge à ce principe.
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Par ailleurs, la logique de l’intérêt des administrés semble ne pas
avoir été menée à son terme par le législateur de 2003, dans la mesure où
l’utilité publique de l’opération d’expropriation dans son ensemble
continue à ne pas pouvoir être réellement discutée au préalable, ce qui, en
dépit des justifications d’intérêt général que l’on peut avancer, laisse
néanmoins à l’observateur un goût d’inachevé.
Il s’agit cependant d’un sentiment somme toute «naturel» en ce
qui concerne un «monument juridique» tel que la loi sur l’ECUP, dans
toute la mesure où son édification repose sur la recherche d’un équilibre
précaire entre la poursuite de l’utilité publique de cette procédure
exorbitante et la protection des intérêts privés, opération forcément
délicate à réaliser quels que soient les efforts réels du législateur en ce
sens, et qui nécessite en tout état de cause des réajustements périodiques,
sur la base des lacunes et dysfonctionnements éventuellement constatés
au cours de la mise en œuvre des dispositions légales par l’administration
et le juge.
Par conséquent, il convient de donner au «nouveau» texte le
temps de la confrontation avec la pratique, mais il ne fait pas de doute
que les pistes de réflexion demeurent nombreuses, notamment celles
fondées sur la volonté de mieux cerner la notion si malléable d’utilité
publique et d’encourager autant que possible la «démocratisation» de la
procédure d’expropriation, afin d’éviter les effets pervers d’une
bureaucratisation réfractaire à la transparence et au débat 41.
41
Sur la notion de démocratisation de la procédure d’ECUP, voir notamment pour le
cas français Jacqueline Morand-Deviller : «Droit administratif des biens», 2ème
édition, Paris, Montchrestien, 2001, p 358 et suivantes.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
I : LA PHASE ADMINISTRATIVE DE LA PROCEDURE
D’EXPROPRIATION
A : Identification de la «partie concernée» par le projet
d’expropriation.
1 : Le droit d’exproprier et de bénéficier de l’expropriation.
a – Le droit d’exproprier : une compétence exclusive de la
personne publique principale.
b – L’initiative et le bénéfice de l’expropriation : une compétence
de principe des personnes publiques.
i - Toutes les personnes publiques peuvent recourir à l’ECUP.
ii - L’intérêt général justifie exceptionnellement le recours à
l’ECUP au profit de personnes privées.
2 : Le projet d’utilité publique justifiant l’expropriation.
a – Un projet dont l’utilité publique est présumée.
b – Un projet dont l’utilité publique peut être «examinée» par la
«commission de reconnaissance et de conciliation».
B : Identification des parcelles à exproprier et des ayants-droits.
1 : Reconnaissance des parcelles et de leurs ayants-droits.
2 : Evaluation des biens à exproprier.
II : LA PHASE JUDICIAIRE DE LA PROCEDURE
D’EXPROPRIATION
A : La fixation de l’indemnité d’expropriation.
1 : Compensation de la valeur patrimoniale du bien exproprié.
2 : Indemnisation du préjudice né de l’expropriation.
B : La mise en possession de l’expropriant.
1 : La consignation de l’indemnité d’expropriation.
2 : Le retrait d’une partie de l’indemnité d’expropriation.
C : Le paiement de l’indemnité d’expropriation.
CONCLUSION
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