Maria Teresa De Filippis

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Maria Teresa De Filippis
Maria Teresa De Filippis
Il est impossible de clore un passage dédié à la fabuleuse Maserati
250 F sans évoquer la personnalité attachante de Maria Teresa De Filippis,
encore surnommée affectueusement " il pilotino" (le petit pilote) ou encore,
avec plus de déférence au vu de ses succès, "la signorina della F 1". Elle fut
la première femme pilote de formule 1 et courut plusieurs Grand Prix en 1958
et 1959 sur Maserati 250 F.
Née à Naples en 1926, elle était plutôt intéressée par l'équitation mais
débuta cependant en course automobile en 1948, à 22 ans, à la suite d'un
pari avec ses deux frères qui pensaient qu'elle ne serait pas capable de
conduire vite en compétition. Elle s'inscrivit à la course Salerno - Cava dei
Tirreni sur Fiat 500 après s'être consciencieusement entraînée sur la côte
amalfitaine, au sud de Naples, fort riche en virages divers et variés et en
corniches surplombant la mer. Elle prit goût au sport automobile et, de 1948 à
1957, participa à de nombreuses compétitions de toute sorte sur des voitures
du plus en plus puissantes, notamment sur Osca 1100 et finalement sur
Maserati A6 GCS qui révéla au grand jour son talent évident de pilote. Elle
brilla en championnat d'Italie, obtenant la seconde place en 1954 et se faisant
remarquer par l'Officine Alfieri Maserati qui lui confia des barquettes usines
200 S et 300 S.
1958 marque ses débuts en formule 1 avec, excusez du peu, ni plus ni
moins qu'une Maserati 250 F, tenue pour la meilleure formule 1 de cette
époque et d'ailleurs championne du monde 1957 aux mains de Juan Manuel
Fangio. Cependant, l'Officine Maserati s'étant retirée officiellement de la
compétition pour des raisons financières après son sacre fin 1957, l'auto de
Maria Teresa était semi privée. Sa première inscription fut pour le Grand Prix
de Monaco en Mai 1958 mais elle ne parvint pas à se qualifier pour la course.
Nullement dépitée, Maria Teresa garda le souvenir d'un grand pas en avant
pour sa carrière. Et effectivement, un mois plus tard, elle franchit le cap des
qualifications et termina à la 10ème place du Grand Prix de Belgique sur le
très difficile et nerveusement éprouvant circuit de Spa-Francorchamps. Ce
jour-là, on a arrêté de l'appeler "il pilotino". A Monza la même année, elle frôla
l'exploit de marquer des points au championnat, étant cinquième au
classement et premier pilote italien (ça compte au Grand Prix d'Italie,
croyez-moi !) mais elle dut abandonner sur défaillance mécanique à quelques
tours de l'arrivée.
Elle participa également à plusieurs courses de formule 1 hors
championnat dont le Grand Prix de Syracuse en 1958, toujours sur Maserati
250 F, se classant à une très probante 5ième place.
Maria Teresa n'avait pas froid aux yeux et s'avérait très rapide,
endurante et courageuse. Peut-être trop rapide d'ailleurs. Le grand Juan
Manuel Fangio s'inquiétait pour elle, considérant qu'elle prenait trop de
risques dans sa volonté de prouver à tous ce qu'une femme pouvait faire. "Tu
devrais garder une petite marge de sécurité" lui avait-il conseillé. Il avait peur
qu'elle ne rajoute son nom à la longue liste du martyrologue des pilotes de
cette génération. Hors l'opinion publique n'aurait peut-être pas accepté le
décès d'une jeune femme aussi facilement que celui d'hommes et cela aurait
pu rejaillir de façon négative sur le sport automobile en général. Il faut dire
que les saisons 1958 et 1959 auxquelles a participé Maria Teresa De Filippis
furent particulièrement funestes et meurtrières avec la disparition d'Alfonso
De Portago, de Peter Collins, d'Eugenio Castellotti, de Mike Hawthorn (hors
compétition) et surtout du très cher ami de Maria Teresa, Luigi Musso, qui se
tua au Grand Prix de l'ACF (Automobile Club de France) à Reims en 1958 sur
Ferrari alors qu'il avait remporté cette même course en 1957. Parmi les
pilotes de cette période, peu arrivèrent à la retraite mis à part Fangio et
Stirling Moss, grièvement accidenté ce qui mit fin à sa carrière et lui sauva
probablement la vie. Une polémique s'engagea : fallait-il continuer à laisser
tous ces jeunes gens risquer et perdre leur vie pour des raisons futiles ?
L'Osservatore Romano, organe de presse du Vatican, posa la question de la
responsabilité des constructeurs de bolides dans cette tuerie, notamment
celle d'Enzo Ferrari qui poussait peut-être ses pilotes psychologiquement au
delà des limites du raisonnable. Le Commendatore en garda toujours une
dent contre l'Église (et ne daignera pas accueillir lui-même le Pape Jean Paul
II quand celui-ci visitera l'usine de Maranello bien plus tard dans les années
quatre-vingt, lui envoyant son fils pour le recevoir et ne lui accordant qu'une
communication téléphonique !).
Ébranlée par toutes ces morts précoces, Maria Teresa leva sans doute
un peu le pied droit de l'accélérateur. Elle ne trouva pas de volant Maserati
pour la saison 1959. A la même période, le très fameux Jean Behra, pilote
officiel Ferrari en formule 1, se fâcha avec Tavoni, le chef mécanicien de la
Scuderia, qu'il accusait de ne pas tenir compte de ses avis pour le réglage de
sa voiture. Jean Behra était un impulsif, le ton monta jusqu'à une gifle que
reçut Tavoni. Le pilote fut mis à pied sur le champ. Pour 1959, il décida de
monter sa propre écurie et mit au point, avec l'aide d'Alejandro De Tomaso
(qui deviendra plus tard, de 1975 à 1993, le propriétaire de Maserati et le
grand promoteur de la génération Biturbo), une Behra-Porsche. Cependant,
pendant quelques mois en 1959, Jean Behra ne pouvait conduire lui-même
sa voiture, étant toujours lié de façon contractuelle à Ferrari malgré son
limogeage. Il avait besoin d'un pilote et engagea Maria Teresa qui ne parvint
malheureusement pas à qualifier l'auto pour les courses du début de saison.
Elle devait se rendre à Berlin pour une compétition sur le vieux circuit de
l'Avus sur la version barquette de la Behra-Porsche mais c'est Jean Behra
lui-même, enfin libéré de Ferrari sur le plan légal, qui s'y rendit à sa place.
Celui-ci "bouillait" après plusieurs mois sans piloter en course et ce fut
l'accident fatal. La voiture se mit en travers dans le virage relevé et fut
véritablement catapultée comme sur un tremplin. Elle décolla et alla s'écraser
sur un mur en béton qui avait servi de socle à un canon anti-aérien ( DCA)
durant la seconde guerre mondiale.
Ce fut la mort de trop pour Maria Teresa qui perdait à la fois un ami et
un employeur. Elle décida de stopper là, à 33 ans, sa carrière de pilote après
11 années de courses automobiles dont les 2 dernières en formule 1. Elle se
maria l'année suivante et eut une fille, se consacrant à la vie de famille en
observant de loin le monde des compétitions automobiles. Cependant, à partir
de 1979, elle participa à des courses historiques (souvent sur Maserati),
devint la vice-présidente de l'association des anciens pilotes de formule 1 et
la présidente d'honneur du Club Maserati, firme qu'elle affectionne toujours
beaucoup. A 80 ans passés, elle conserve un bon coup de volant comme elle
a pu le montrer aux commandes d'une Maserati 4200 spider lors des
épreuves de Goodwood en Angleterre.
Elle garde toujours un œil sur la formule 1 mais déplore que " le succès
dépende actuellement beaucoup de l'électronique et de la vitesse des
voitures, plus que de l'adresse et des tripes du pilote.
« De plus, de notre temps, les pilotes étaient très proches et véritablement
amis, même appartenant à des équipes différentes. Nous voyagions
ensemble pour nous rendre sur les courses, descendions dans les mêmes
hôtels. Aujourd'hui, les pilotes semblent loin les uns des autres. Ils sautent
chacun dans son jet privé dès la fin de la course. Peu de chose reste de ce
qu'était ce sport à mon époque . »
A part Maria Teresa De Filippis, une seule autre femme, italienne
également, Lella Lombardi, parvint à passer l'épreuve des qualifications et à
prendre le départ de 12 Grands Prix entre 1974 et 1976 sur Brabham et sur
March, et même à marquer un point au Grand Prix d'Espagne 1975 en ce
classant 5ième sur March. D'autres femmes ont été inscrites au championnat
de Formule 1 mais n'ont pas réussi à être qualifiées pour une course. Il s'agit
de Divina Galica, de Désirée Wilson et de Giovanna Amati. Maria Teresa est
un peu surprise et désolée que si peu de femmes aient suivi ses traces. Elle
attribue cet état des choses aux sponsors qu'elle pense hésitants à investir
sur un pilote féminin. Elle n'en est que plus reconnaissante à Maserati de lui
avoir donné sa chance au volant de ce pur-sang noble, superbe, léger et
maniable qu'est la 250 F.

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