Pourquoi la pénurie d`essence réussit là où les autres mobilisations

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Pourquoi la pénurie d`essence réussit là où les autres mobilisations
LE HUFFINGTON POST, 23/05/2016
Pourquoi la pénurie d'essence réussit là où les autres
mobilisations anti-loi Travail ont échoué
Par Geoffroy CLAVEL
LOI TRAVAIL - C'est devenu l'épicentre de la contestation. Les blocages des raffineries et dépôts de carburants
sont en passe de réussir là où les grèves dans les transports en commun et les manifestations à répétition
ont échoué : à savoir menacer de perturber durablement la bonne marche du pays dans le but d'obtenir le
retrait de la loi Travail.
En dépit des protestations de l'exécutif, qui jure que la pénurie n'est pas à l'ordre du jour, les premiers
résultats sont là : 1 500 stations en rupture partielle ou totale sur 12.000 en France, selon le secrétaire d'Etat
aux Transports Alain Vidalies. Plusieurs départements ont du coup pris des arrêtés rationnant la distribution
de carburant, ce qui ne fait qu'alimenter la psychose médiatique, comme en témoignent les unes de la presse
quotidienne régionale de ce lundi matin.
Qu'importe si l'ensemble du territoire n'est pas (encore) touché et si les stocks stratégiques (qui représentent
l'équivalent de trois mois de consommation) sont pleins : la hantise de la pénurie d'essence s'est imposée
dans les esprits de nombreux Français qui se sont rués sur les stations-service ce week-end. Une crainte qui
pourrait faire tache d'huile et précipiter la panne sèche tant redoutée.
La voiture plus forte que la SNCF
Comment expliquer la viralité de la hantise de manquer de carburant? Techniquement, la mobilisation
touchant le secteur pétrolier est sensiblement comparable à celle des transports collectifs et notamment à
la SNCF où plusieurs journées de grève se sont enchaînées en l'espace de deux mois. Mais malgré des appels
parfois très suivis (jusqu'à 50% de grévistes selon la CGT, 1 TGV supprimé sur 2, 4 TER maintenus sur 10), la
grande pagaille n'a pas eu lieu dans les trains. La faute au service minimum qui permet à la SNCF d'anticiper
l'état du trafic, de redéployer des effectifs dans les secteurs tendus et donc d'atténuer la gêne provoquée
par les arrêts de travail.
Rien de comparable dans le domaine pétrolier où l'effet de surprise a joué à plein et déclenché une réaction
psychologique en chaîne : les premières ruptures de stock précipitent les Français dans les stations,
contraignant les autorités à décréter le rationnement de l'essence, ce qui alerte encore davantage les médias
et les automobilistes. Au final, il aura suffi qu'une petite minorité de dépôts de carburants soient bloqués
(5% selon le ministère des Transports) pour que surgisse le spectre de la pénurie dans un secteur essentiel
dans la vie quotidienne des Français.
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Rappelons que la très grande majorité des actifs dépendent de leur véhicule personnel pour se rendre au
travail. En dehors de l’Île-de-France, seule région où les transports collectifs font jeu égal avec le véhicule
individuel, plus de 7 déplacements sur 10 entre le domicile et le travail s'effectuent en voiture (chiffres Insee).
Une proportion qui frôle les 90% dans les régions rurales comme le Grand Ouest où la "pénurie" d'essence
se fait le plus durement ressentir. Agiter la menace de la panne sèche revient donc à menacer près d'un actif
sur six de ne pas pouvoir se rendre au travail.
Le cauchemar de la convergence des blocages
Contrairement aux transports en commun, créer une "impression" de pénurie d'essence est en outre
beaucoup plus aisé, tant les sites de production et de stockage des carburants sont centralisés et leurs
effectifs spécialisés. Quelques dizaines de grévistes peuvent interrompre la chaîne de fabrication ou bloquer
l'accès aux dépôts. "C'est comme un équipage de bateau. Quand sur 10 équipiers, vous en avez 5 qui refusent
de travailler, le bateau ne peut pas avancer et s'arrête. Une raffinerie c'est la même chose", résume sur
France Info Emmanuel Lépine, responsable de la branche pétrole de la CGT. Même lorsqu'une raffinerie
redémarre, il faut plusieurs jours avant qu'elle redevienne pleinement opérationnelle.
La paralysie du secteur pétrolier est donc un sujet de préoccupation central. Mais il y a pire pour le
gouvernement: la "généralisation des grèves" que la CGT et FO appellent désormais de leurs voeux. Leur
objectif? Faire converger les grèves sectorielles pour entraîner une paralysie durable de tout ou partie du
territoire français.
Le blocage des dépôts de stockage offre une première illustration de l'efficacité de ces convergences des
luttes. Alors que certains sites sont bloqués de l'intérieur par des salariés en grève, d'autres le sont de
l'extérieur par des routiers, également vent debout contre la loi Travail, qui freinent ou empêchent l'accès
aux raffineries et dépôts.
Signe que cette convergence inquiète, l'exécutif a promis qu'il n'hésiterait pas à utiliser la force pour
débloquer les dépôts tout en jurant de ne pas toucher au régime "dérogatoire" des routiers sur les heures
supplémentaires. Problème : cette première concession donne des ailes aux autres adversaires de la loi
Travail. "Si les salariés en sont d'accord, les mobilisations vont continuer, s'amplifier", a menacé le patron de
la CGT, Philippe Martinez.
Dans les ports, les dockers ont déjà rejoint les pétroliers. Et les transports en commun pourraient suivre le
mouvement. Ce lundi, la CGT RATP a appelé à une grève reconductible et illimitée à partir du jeudi 2 juin.
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