drawing hands, mc escher
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drawing hands, mc escher
DRAWING HANDS, M. C. ESCHER Matteo Wladimiro Scardovelli Maurits Cornelis Escher est né en 1898 à Leeuwarden (Hollande) et mort en 1970 à Laren (Hollande). Outre ses études en architecture et en arts décoratifs, ses voyages en Italie et en Espagne - pays dont il admirait l’architecture – ont eu une grande importance pour son travail. Il est connu pour ses lithographies à caractère mathématique et paradoxal]. Escher – peut-être second après Magritte – est l’un des artistes les plus aimés par les sémiologues, grâce au fait qu’il a réalisé beaucoup d’œuvres « illusoires », dépourvues de référent, dans lesquelles ce qui est donné à voir serait souvent impossible à réaliser dans les trois dimensions. Drawing Hands est une des œuvres les plus représentatives du travail d’Escher, probablement à cause de sa simplicité en même temps que de la force de son message. Dans ces quelques lignes, je vais essayer d’agencer trois niveaux de lecture de cette œuvre, niveaux qui vont de la « simple » description iconique jusqu’au sens culturel que l’œuvre pourrait véhiculer. Niveau 1 : la description iconique. Ce qu’on voit dans cette lithographie, en partant des marges, est un fond probablement de liège, sur lequel est attaché, en oblique, un papier avec quatre punaises. Sur ce papier, on peut voir deux tracés indiquant deux manches de chemise, manches desquelles sortent deux « vraies » mains qui paraissent tridimensionnelles, qui empoignent un crayon chacune, et qui semblent être l’une en train de dessiner la manche de l’autre. En bas à droite de la lithographie, est placée la signature de l’artiste avec la date. Niveau 2 : le récit. À partir de là, on comprend que dans cette lithographie d’Escher il n’y a pas une « simple » scène, mais un vrai « récit en image». Chaque crayon – étant en train de définir un tracé, de dessiner – nous fait plonger dans la dimension temporelle il y a un « avant », où il n’y avait pas de tracé, il y a un « maintenant », où la ligne est encore simple, et probablement il y aura un après, où les crayons compléteront le dessin en y ajoutant toutes sortes de marques qui permettront de lire les manches aussi en tant qu’objets tridimensionnels, notamment avec l’utilisation du clair-obscur. Escher a réussi à construire un paradoxe en image très raffiné, intéressant, et, pourquoi pas, très beau aussi. Il faut remarquer encore que le récit qu’Escher arrive à mettre en scène repose sur une mise en abyme très évidente. À l’intérieur de la lithographie de 28,2 x 33,2 cm, se trouve en effet un autre tableau, celui du papier attaché au liège. Il y a donc un total de deux tableaux et de trois « mondes » : celui du papier (avec les manches de chemise), celui du liège et des punaises, et le nôtre. © M. C. Escher, Drawing Hands,1948, lithographie, 28,2 x 33,2 cm Et les mains? Où se trouvent-elles? Dans le premier ou le second monde? C’est ici que réside le coup de génie d’Escher : les mains se dessinent l’une l’autre à l’ « intérieur » du monde 1 (celui du papier), mais il y a un « point » (qu’on pourrait localiser au niveau du poignet) où ce qui est propre au monde 1 « s’échappe », pour entrer dans le monde 2 – celui des gens, s’ils existent, qui ont attaché le papier au liège. Donc chaque main sort du dessin bidimensionnel du monde 1 pour rentrer dans la tridimensionnalité simulée du monde 2; mais – autre coup de génie – chaque main serre aussi un crayon qui est en train de faire le dessin de la manche appartenant à l’autre main dans le monde 1. Une sorte de « retour » au monde d’origine, pourrait-on dire. Paradoxe final : le tableau de 1 28,2 x 33,2 cm. – tableau qui, évidemment, est bidimensionnel – contient des signes iconiques à la fois bidimensionnels (les manches) et tridimensionnels (les mains). La lithographie « contient » ainsi deux « mondes », l’un bi- et l’autre tri-dimensionnel. Niveau 3 : le sens. Ce qu’on vient de décrire serait, dans le monde réel, simplement impossible. Mais, on le sait, le pouvoir des images réside aussi dans le fait qu’elles peuvent, tout comme le langage, dépasser la « réalité », et nous montrer des mondes autres, imaginaires, parfois symboliques. J’aimerais rapprocher la lithographie d’Escher du Taijitu, symbole du yin et du yang dans la culture taoïste. Ce symbole, dans sa généralité, veut signifier le fait que chaque dualité se compose en réalité de termes mêlés l’un dans l’autre (masculin/féminin, lumière/ombre, etc.). Entre ces dualités, il y a aussi la dualité créateur/créature. Escher veut-il nous suggérer que pour lui la créature est en mesure de rétroagir sur le créateur? Il y a un second paradoxe dans cette œuvre d’Escher, le paradoxe lié à l’idée d’origine. Dans le dessin, qui commence à dessiner? La main gauche ou la main droite? En effet, aucune des deux ne peut avoir commencé, parce que chacune a été créée (mais quand? comment?) par l’autre main. Cette idée a été souvent rendue dans beaucoup de cultures par la figure de l’ouroboros, ou serpent qui se mord la queue, qui représente la cyclicité infinie des mouvements de la nature. Escher était-il conscient de ces surprenantes analogies qui lient son œuvre directement à l’imaginaire des millénaires passés? PAR MATTEO WLADIMIRO SCARDOVELLI, DOCTORAT EN SÉMIOLOGIE, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL, 2010. 2