rosaria31

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ELLE - 13/12/2008 - N°HAFIBA
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Décembre 9, 2008 ELLD3285P022.pdf
elleinfohebdostory
A Rome, pour la présentation de son livre, le 1er décembre.
Rosaria Capacchione, en octobre dernier,
à Caserte, bastion de la Camorra.
mafia. Ce n’est pas quelque chose qu’on choisit. » Enfant,
Rosaria, élevée dans une famille de la classe moyenne, rêvait
d’être médecin. Mais, un jour, son père, petit actionnaire du
journal local, lui permet de s’essayer au métier de reporter.
Une révélation. En 1985, elle prend en charge la chronique
judiciaire d’« Il Mattino » à Caserte. Commence alors sa
plongée dans l’univers de la Camorra. « J’ai débuté juste après
la guerre des clans, qui, en quatre ans, a fait plus de
1 000 morts entre Naples et ici. C’était impossible de ne pas en
parler, de ne rien voir. Cela m’a tout de suite passionnée. C’est
une sorte de défi d’arriver à comprendre ce que les boss
envisagent de faire. » Mais ce défi a un prix. Très vite, Rosaria
Capacchione énerve la mafia. Dès 1992, les menaces se
précisent : coups de téléphone, lettres, filatures… En 1996, un
repenti témoigne : un plan a bien été échafaudé pour
« supprimer » Rosaria, en l’assassinant devant son journal.
« Cela ne m’a pas surprise, dit-elle. Dans ces moments-là, on le
sent, c’est dans l’air. Mais j’ai toujours surveillé mes arrières.
Parfois, des amis carabiniers m’ont même escortée de façon
non officielle. Simplement, parce qu’ils savaient que c’était
dangereux pour moi. Il faut dire que j’ai créé quelques
problèmes à la mafia avec mes articles. J’ai fait confisquer des
biens, des gens ont été incarcérés… Et puis, je ne les aime pas,
cela transparaît dans mes papiers. »
Aujourd’hui encore, Rosaria Capacchione persiste. Elle vient
de publier un livre, « L’Oro della Camorra » (L’Or de la
Camorra), qui raconte comment les Casalesi sont devenus de
riches et puissants chefs d’entreprise, influençant et contrôlant
l’économie de toute la Péninsule. Un autre « Gomorra » ?
« Non, mon travail n’a rien à voir avec celui de Roberto
Saviano, répond-elle. Je suis journaliste et je bosse sur ces
sujets depuis plus de vingt ans. Saviano, que je connais bien et
que j’ai aidé à plusieurs reprises dans ses recherches, a fait un
livre qui raconte un phénomène dans un style narratif, comme
un roman. Moi, j’expose les faits, j’ai des sources, des
documents. C’est totalement différent. » Seul point commun
entre les deux Italiens : la colère que provoquent leurs écrits.
« Mon livre peut énerver la mafia », admet Rosaria. Mais sa
détermination ne fléchit pas pour autant. « Je n’ai jamais
accepté un ordre de quiconque, pas même de mon père. Je ne
vais pas commencer aujourd’hui. Je suis comme ça : personne
ne peut m’arrêter », martèle-t-elle avec une fermeté déconcertante. Où est passée sa peur ? « Je n’y pense pas… » Et les
menaces de mort ? « Tout le monde meurt un jour… » La
famille, alors ? Le regard sombre de Rosaria s’éclaire d’une
lueur fragile : pour ses proches, oui, elle se dit inquiète, « mais
ils me soutiennent ». Rosaria est célibataire, sans enfants.
« Cela n’a rien à voir avec la mafia, s’empresse-t-elle de
préciser. Ce n’est pas arrivé, c’est tout. Et puis, je travaille trop.
Je suis au bureau de 11 heures à 2 ou 3 heures du matin.
Quand est-ce que je pourrais voir mon mari. Pour déjeuner ? »
Travailleuse acharnée, la journaliste réussit quand même à
trouver un peu de temps pour s’évader : les livres, les voyages
– le seul moment où elle n’a plus d’escorte –, Paris, qu’elle
adore… Parfois, elle rêve de tout lâcher. Cela ne dure qu’un
instant. Il suffit qu’un lecteur, croisé dans un bar de Caserte, la
salue ou lui offre un café, pour qu’elle se dise : pour lui, cela
vaut la peine de faire tout ça, non ? « Certains jours, je me sens
emprisonnée, avoue-t-elle. Mais, quand on sait que cette
prison existe seulement parce que des gens veulent vous empêcher de faire quelque chose, on tient bon. Ils veulent que
j’arrête d’écrire ? Eh bien, j’écrirai encore. Je ne céderai pas.
C’est en agissant ainsi que, le soir, je peux dormir tranquille. »
JESSICA AGACHE
Septembre 1985. Deux mois avant l’arrivée de Rosaria Capacchione à la rédaction d’« Il Mattino », Giancarlo Siani, 26 ans,
qui travaillait pour le quotidien napolitain, était assassiné par la mafia. En Italie, de nombreux journalistes ont perdu la vie pour
avoir dénoncé l’organisation criminelle. Le plus menacé aujourd’hui ? Sans aucun doute, Roberto Saviano, qui, depuis la sortie
de son best-seller « Gomorra » en 2006, partage son quotidien avec une escorte de sept carabiniers. En octobre dernier, après
avoir appris que les Casalesi menaçaient de le tuer avant Noël, Saviano a envisagé de quitter la Péninsule. Autre journaliste
dans la ligne de mire : Lirio Abbate, correspondant en Sicile de l’agence Ansa. Les magistrats sont également régulièrement pris
pour cible par les clans mafieux. L’Italie est encore traumatisée par l’assassinat du juge Falcone, qui, en 1992, avait péri avec
sa femme et ses gardes du corps dans un attentat à l’explosif. Moins de deux mois après, le juge Borsellino tombait à son tour.
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22 ELLE.13 DÊCEMBRE 2008
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Lapresse/Abaca ; Ansa/Max PPP.
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