Under the Skin

Transcription

Under the Skin
Under the Skin
de Jonathan Glazer
avec Scarlett Johansson, Jeremy McWilliams,
Lynsey Taylor Mackay
L Un film fascinant qui, sous la peau de la science-fiction, interroge le statut
de la star Scarlett Johansson et, plus largement, la puissance du cinéma.
e synopsis du nouveau film
du Britannique Jonathan Glazer
(déjà auteur de Birth) tel qu’il est
proposé sur tous les sites de
cinéma pose un problème. On y lit
qu’“une extraterrestre arrive
sur Terre pour séduire des hommes avant
de les faire disparaître”. Or il se trouve
que tout ce qui est dit dans cette phrase
n’est que suggéré dans le film, et que c’est
ce qui en fait le prix. Que voyons-nous ?
Une petite lumière dans la nuit. Dans
l’obscurité, d’étranges matières se glissent
et s’emboîtent les unes dans les autres.
Qu’est-ce donc ? Des vaisseaux spatiaux
dans l’espace (c’est le côté kubrickien
du film) ? Non. Apparemment la fabrication,
en extrême gros plan, d’un œil humain. C’est
celui d’une créature qui revêt l’apparence
d’une femme (sa peau, ses vêtements).
Sous la protection d’un mystérieux
motard, elle part errer à bord d’un pick-up
dans les rues des bourgades écossaises, à
la recherche d’hommes solitaires auxquels
elle fait très vite des avances (ces scènes
ont été filmées en caméra cachée avec de
véritables passants). En chasse. Puis elle
les entraîne dans un camion sombre où
ils se déshabillent. Mais, aveuglés par
leur désir, ils s’enfoncent et disparaissent
dans un liquide noir brillant. La femme agit
plusieurs fois ainsi, avec froideur, une totale
insensibilité, celle qu’on attache normalement
à l’être humain. Comme une psychopathe.
C’est quand même plus subtil que ne
le suggère le “pitch”, non ? Cela dit,
prenons-le au pied de la lettre, parce qu’il
est assez intéressant, au fond : Scarlett
Johansson (pas le personnage, l’actrice)
EST une extraterrestre. Elle est venue
sur Terre pour séduire tous les hommes
et a pris l’apparence d’une femme belle,
très attirante, et séductrice – c’est-à-dire
une femme qui joue de toute sa séduction
pour attirer les hommes dans ses bras
(et/ou son lit). Tous les événements
qui se déroulent dans le film peuvent
alors être pris au pied de la lettre, comme
une métaphore littérale de son pouvoir
de séduction, de son statut de star
sex-symbol ? L’insensibilité aux autres,
par exemple ? Du dédain de vedette.
On découvre aussi très vite, dans des
scènes à la lumière glacée, que Scarlett
veut (ou a pour mission d’obtenir) la peau
de ces hommes, au sens propre du mot.
Une fois dans le liquide noir, qui s’avère
translucide, leur peau se détache peu à peu
de leur corps, aspiré par on ne sait quoi,
et se met à flotter comme un vulgaire sac
en plastique au milieu de l’océan. L’effet
est saisissant.
Mais voici qu’un jour Scarlett fait monter
dans son pick-up un type qui va changer
sa vision de l’humanité, en tout cas de
sa partie masculine. Elle ne s’en rend sans
doute pas compte, mais ce type souffre
d’une maladie qui déforme son visage
(un genre d’Elephant Man). Désocialisé,
il va refuser tous les plaisirs qu’elle lui
propose. C’est la première fois de sa vie
qu’un Terrien, dont une fois de plus elle
ne peut mesurer l’étendue du malheur,
repousse ses avances. Ils ne sont donc pas
tous pareils, les hommes ?
Alors on devine que cette peau qui
n’est pas la sienne, va devenir, au contact
de la nature de la Terre, comme un sas,
une ouverture sur ce qu’est l’humanité,
cette face étrange de vie intergalactique.
Un sentiment naît en elle, puis encore
un autre, puis d’autres, dont la peur.
La nature pénètre en elle grâce à cette
pellicule poreuse. Et elle devient aussi
un danger pour elle, comme elle l’est
pour nous bien sûr. La sensibilité est aussi
une faiblesse, et elle n’échappera pas au
mal qui rôde parfois dans les forêts isolées,
au milieu des grands arbres hirsutes.
La Terre, qui n’était rien pour elle, a
pénétré en elle et va la détruire.
Tout comme le monde entre dans
notre cerveau grâce au cinéma, par
ses détours et ses fantasmagories, nous
ouvre à lui mais nous fait aussi découvrir
des choses, des actes, des informations
que nous n’aurions sans doute jamais
soupçonnées ou même eu envie
de connaître. Il n’y a pas de connaissance
sans prise de risque. Quel film fascinant.
Jean-Baptiste Morain
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25.06.2014 les inrockuptibles