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N°20 - Juin 2015 Journal de la 20e promotion PHR de l’ESJ Lille Banlieues & Campagnes JEUNESSE TERRITOIRES OUBLIÉS EN Panorama d’une génération en quête d’équilibre, à l’ombre des tours et en rase campagne. PP. 3-41 HEBDOS LOCAUX : place aux héritiers SPHR : Éric Lejeune passe le relais PP. 58-59 PP. 52-53 OUVERTURE ÉDITO JEUNESSE DU BITUME ET DES PATÛRES LE CHAMP DES TOURS ENTRE TERRES ET TOURS, DES JOURNAUX À RÉINVENTER L Sommaire a jeunesse, on en parle à longueur de temps. Elle est au cœur du débat politique. Elle est la France de demain. On la vante, on la montre du doigt, comme si elle était une et indivisible. Pourtant, elle a de multiples visages. Du Kanak venu faire ses études en métropole aux jeunes artistes dunkerquois, en passant par le paysan du Lot-et-Garonne et les danseurs de la banlieue lilloise, nous avons ratissé large. Alors grandir sur le macadam ou apprendre à marcher sur le sentier des vaches impliquent-ils les mêmes problématiques ? À première vue, non… Tous ne regardent pas Chasse et pêche et ne zappent pas de W9 à NRJ 12. Les clichés ne sont pas figés. La jeunesse est en mouvement. La PHR également. Elle s’intéresse aux usages des lecteurs, et cherche à séduire un nouveau public. Et pourquoi pas ces jeunes ? Banlieue, campagne, même combat ? D’un bout à l’autre de la France nous avons rencontré ces jeunes, aux problématiques... pas si différentes. Impression Riccobono Imprimeurs Tremblay-en- France PHRases Une publication de l’ESJ Lille 50 rue Gauthier de Châtillon 59 000 Lille - France PHRASES 07 La tentation de l’extrême droite 08 Les apprentis du décrochage 10 Dossier : Jeunes en campagne 16 Enquête sur Lillenium 18 Kit de survie 20 Félix et Mady, parcours exemplaires 22 Lille-Sud, terre d’abstention La 20e promotion PHR de l’École supérieure de journalisme de Lille. Rédactrices en chef Aïna Roger, Anne Leburgue Rédacteurs en chef adjoints Amélie Bouclet, Rémy Eylettens, Nina Dworianyn, Arthur Conanec Rédacteurs en chef technique Laura Oudart, Pierre Julienne Rédacteurs Lucile Richard, Arthur Asquin, Pierre Veillé, Clément Varanges, Alice Douchet, Paul Descamps Directeur de la publication Pierre Savary 06 Grand Paris, petite tambouille 09 Kanak : de la case à la métropole ANNE LEBURGUE, ARTHUR CONANEC, NINA DWORIANYN OURS 04 Les médias en territoires oubliés SOMMAIRE La jeunesse en territoires oubliés 24 Le permis à la campagne AÏNA, JOURNALISTE POUR TOUJOURS Légende 27 Une grossesse au vert pp. 3-41 28 Le haut débit en débat pp. 42-43 30 Le parkour forme la jeunesse pp. 44-45 32 Foot : rencontre avec un arbitre Carte des hebdos de France Trombinoscope 25 Des scooters pour booster l’emploi C’est arrivé près de chez vous 33 Boxe : un emploi au bout des gants pp. 46-85 REMERCIEMENTS Laurent Brunel, pour ses aller-retour depuis Barcelone, ses faux-airs de Catalan énervé, mais aussi et surtout pour sa patience, ses nuits blanches et son sourire. Laurie Moniez, pour avoir toujours été là, pour ses relectures jusqu’à pas d’heure, pour son honnêteté et son soutien. Yves Sécher, pour ses conseils de routard de la PAO. Pierre Savary, pour son soutien et sa présence bienveillante. Le SPHR, pour avoir toujours répondu à nos très nombreuses sollicitations, et pour soutenir la filière depuis vingt ans déjà. Les imprimeries Riccobono, pour avoir pris soin de notre petit magazine. 2 Il manque une page à ce magazine de fin d’année. Celle que nous aurions aimé écrire avec Aïna. Sa plume, son talent, son incroyable sourire, sa rage de vivre, sa rigueur, son amour des autres, son envie de construire, sont autant de mots qu’il manque dans ce PHRases. Aïna était major de cette 20e promo PHR. Un pilier pour ce groupe de quatorze étudiants si soudés. Elle était aussi la rédactrice en chef de ce mag consacré à la jeunesse qui se bat. Le 16 mai dernier, à 21 ans, elle nous a quittés, sereine. Son diplôme en poche, quelques mois avant ses camarades. Elle qui aurait tant aimé finir l’année et exercer son métier de journaliste était promise à une belle carrière. À l’heure où nous bouclons ce magazine, Aïna peut être fière de sa promo. Ses camarades ont tout donné, au-delà des larmes et de l’absence, pour que leur amie soit présente, avec délicatesse, dans chacune de ces pages. Merci Aïna pour cette magnifique leçon de vie. L AURIE MONIEZ, RESPONSABLE DE L A FILIÈRE PHR À L’ESJ LILLE JUIN 2015 34 Centres sociaux, le point de repère 36 Hip-hop à Lille-Sud 37 MC Circulaire : interview 38 Fructôse, l’expérience culturelle 40 Éleveurs, l’amour vache 41 Une discothèque en campagne Fructôse, à Dunkerque LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS PROXIMITÉ LES MÉDIAS DONNENT LA PAROLE AUX JEUNES Les quartiers, les petits patelins... Rien à y faire, rien à y voir ? Pas pour tous les médias. Certains donnent même la parole aux habitants pour casser les clichés et contrecarrer la stigmatisation. LILLE-SUD : QUARTIER POPULAIRE ON THE AIR Étudiants et habitants sur les ondes L’écart entre la réalité urbaine des quartiers populaires et le traitement médiatique de celle-ci est dû à plusieurs raisons. La principale étant la méconnaissance quasi-totale des journalistes de ces milieux, dont ils sont d’ailleurs rarement issus. « Ils n’y ont presque aucun réseau », déplore Lucas. Un problème que Noémie Coppin [instigatrice du projet] a voulu résoudre avec Lille en quartiers. « Les étudiants en journalisme pourront faire leurs armes dans les quartiers où ils n’iraient pas naturellement. » Seulement, Lucas est réaliste. Les étudiants restent un ou deux ans, le temps d’obtenir leur diplôme, puis s’en vont. « C’est un projet qui ne peut fonctionner que si l’on travaille activement avec les habitants du quartier. L’objectif final est de former les non-professionnels aux méthodes journalistiques, pour PHRASES 4 Une partie de l’équipe du Bondy Blog réfléchit aux sujets proposés. D Maxime Saraiva (à gauche), Michael Guiheux, étudiant (à côté), animent la première émission de la saison 2015. qu’ils puissent se débrouiller seuls. » Mais les habitants n’adhèrent pas. Le projet est mis en stand-by pour un temps . Jusqu’en 2013, où l’on célèbre les 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Lucas Roxo, qui sort de l’école avec un mémoire sur les quartiers et l’immigration, reprend le flambeau. Il renoue avec les habitants et rameute les étudiants : « À force de piger, j’avais besoin d’un peu d’interaction ». Les réunions de rédaction reprennent. Tout ce petit monde se mélange. Les uns filent des tuyaux aux autres. La première émission est finalement enregistrée le 17 avril 2015. Les micros et la régie son s’installent au centre social Lazare Garreau, près de la salle de spectacle du Grand Sud. Les reportages audio se succèdent. « Les lieux sont riches, il y a beaucoup de choses à faire », soutient Lucas Roxo. « Mais on est attendu au tournant. BONDY BLOG : DIX ANS DÉJÀ ! e jours en jours, la « famille Bondy Blog » s’agrandit. Son seul but : casser l’image négative de la banlieue. « Nous, on revendique l’ordinaire. » Nordine Nabili, président de l’association Bondy Blog, n’oublie jamais de donner ce conseil à ses blogueurs. Créé en 2005 par le magazine suisse L’Hebdo pour suivre les émeutes en banlieue, ce sont aujourd’hui quelques jeunes, ou moins jeunes, qui y contribuent. Tous ne sont pas de Bondy, certains viennent même de Paris. Il faut dire qu’en dix ans, le blog a fait son petit bonhomme de chemin. Relayé par Libération, il dispose aujourd’hui d’une notoriété certaine dans le monde du journalisme. La rédaction s’agrandit chaque semaine. Connu par Internet, par des amis, ou juste curieux, beaucoup de jeunes rejoignent l’équipe. Tous les mardis, les blogueurs se retrouvent pour une réunion de rédaction. Trop sérieux s’abstenir, ici l’ambiance est conviviale, familiale même. Chacun parle en toute liberté, mais une règle règne : l’écoute. Les sujets s’enchaînent, tous sont validés. « C’est très rare qu’on nous refuse un sujet », explique Sarah, blogueuse depuis cinq ans. « On a une vraie R ue Richard Wagner, Espace Senior, le 31 mai 2015 à 17 h. Des jeunes sont attroupés à l’entrée, après l’enregistrement d’une émission de radio. Le ciel est noir. Les cumulonimbus menacent d’éclater. Quelqu’un lance, à travers la vitre de sa voiture : « Je rentre sur Lille, je peux déposer quelqu’un ? » Mais, ne sommesnous pas déjà à Lille ? Ou bien le mot “sud”, quand il est accolé à celui de la ville pour désigner son quartier le plus étendu et le plus peuplé, évoque-t-il trop le soleil pour que les Lillois le reconnaissent ? Lille-Sud, le paria de toute la ville. Pour effacer cette mauvaise réputation du quartier, des étudiants de l’École supérieure de journalisme de Lille lancent, en 2012, l’émission radiophonique Lille en quartiers. « L’idée est apparue en 2011, détaille son rédacteur en chef, Lucas Roxo, après une conférence sur les rapports entre quartiers et médias. Ces derniers en parlent peu ou mal. On a tous en tête des méthodes journalistiques douteuses à ce sujet : des journalistes qui demandent à un tel de brûler une voiture pour satisfaire un besoin d’article, etc. » HABITANTS HABITANTSDES DESTERRITOIRES TERRITOIRESOUBLIÉS OUBLIÉS liberté de ton, on parle des problématiques des gens, on essaie de donner une autre vision des quartiers », renchérit Latifa, au Bondy Blog depuis deux ans. Le but des contributeurs est le même : parler de ce qu’ils vivent au quotidien. De l’autolib’ au massacre de Sétif, tout – ou presque – est permis. C’est ce que viennent chercher les blogueurs. « On nous guide, on nous donne des conseils. C’est un bon tremplin si on veut être journaliste », explique Rouguy, contributrice. Comme chaque semaine, Nordine Nabili clôture la réunion, avec quelques mots, qui restent dans la tête de tous : « Tenez vos promesses ». NINA DWORIANYN LE PATELIN : LA PLUME DANS LA BOUE L Il y a près de 40 % de chômage. Souvent en reportage, on me dit : je veux bien te parler, mais en échange, tu fais quoi pour moi ? » Voir un peu plus loin que l’autoroute et la voie de chemin de fer qui séparent Lille-Sud du centre, serait déjà un bon début. Reste à proposer un traitement journalistique de qualité. Défi que Lille en quartiers est bien décidé à relever. PIERRE JULIENNE « On est attendu au tournant. En reportage on me dit : je veux bien te parler mais en échange tu fais quoi pour moi ? » LUCAS ROXO JUIN 2015 e Patelin.fr, c’est la campagne du support web leur permet de multiracontée par ses jeunes habitants. plier les genres de reportage mais aussi « Si tu vis dans un patelin où il n’y d’attirer un lectorat plus jeune, qu’ils a pas de transport en commun à part souhaitent intégrer au projet : « C’était un car toutes les trois heures ; si tu dois le support le moins cher et le plus adapté faire dix kilomètres avant de trouver à nos volontés. » En effet, leur média une boulangerie ou une pharmacie ; ou se veut participatif. L’équipe souhaite si le seul événement de l’année chez toi que le site fonctionne de manière c’est la ducasse ou la foire d’été, ce site autonome, sans leur contribution. est pour toi. » « Nous voudrions former des jeunes À l’occasion du premier hackaton de aux techniques du journalisme pour l’ESJ Lille, « 24 h pour créer un média », qu’ils puissent alimenter le site. » Un six étudiants, originaires de petits vilconcept qui pourrait d’ailleurs suslages, ont lancé un site web d’actualité citer des vocations auprès des jeunes tout droit venu des campagnes. Inspirés L’équipe du Patelin menée par Anaïs Denet (au centre) habitants des campagnes : « L’aspar le Bondy Blog, ces jeunes journalistes pect formation est important pour souhaitent donner un nouveau regard sur ces explique Mathieu Habasque, journaliste télé du nous. Il permettrait de créer un mélange social territoires où ils sont nés : « Il faut changer l’image Patelin. La qualité et le choix des sujets sont leurs au sein des écoles de journalisme, parfois trop du bouseux pas très évolué. Il y a des personnes priorités : « Le but n’est pas de faire du Groland. élitistes ». C’est aussi la vocation de la filière PHR... dans l’ombre que les médias ne vont pas chercher. Les reportages doivent être beaux esthétiquement.» ALICE DOUCHET Ces gens ont de véritables histoires à raconter », Photo, vidéo, son. Chacun sa spécialité. Le choix hackaton.esj-lille.fr/patelin/ PHRASES 5 JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS RÉFORME TERRITORIALE POLITIQUE GRAND PARIS, PETITE TAMBOUILLE JEUNESSE : LA TENTATION DE L’EXTRÊME Le dessein du projet originel était de réduire les inégalités dont sont victimes les jeunes du nord et de l’est de la petite couronne en redistribuant les richesses entre départements. Mais face au conservatisme des élus locaux, c’est une métropole a minima qui se prépare. En 2014, 30 % des moins de 35 ans avaient l’intention de voter pour le Front National. En Mayenne, le parti frontiste est arrivé en tête dans 15 communes aux élections départementales de mars 2015. Mais pourquoi les jeunes sont-ils tentés par l’extrême droite ? U n apartheid territorial, social, ethnique s’est imposé à notre pays. » Les mots de Manuel Valls lors de ses vœux à la presse le 20 janvier dernier ont fait grand bruit. Ils reflètent néanmoins la polarisation croissante entre l’ouest et le nord de Paris et sa petite couronne. En effet, la Seine-Saint-Denis, département le plus jeune de France métropolitaine selon les chiffres de son Conseil départemental, est aussi celui le plus touché par le chômage en Île-de-France, en particulier chez les jeunes. Il atteignait plus de 32 % chez les 15-24 ans en 2011 (Insee). De même, les indicateurs relatifs à l’absence de diplôme et aux proportions d’employés et d’ouvriers témoignent d’une homogénéisation croissante du territoire et d’un écart grandissant avec l’ouest de Paris. Une des intentions affichées par la mission de préfiguration sur la Métropole du Grand Paris (MGP) était donc, selon les documents de présentation, de « développer une meilleure solidarité entre territoires » et de « réduire les inégalités territoriales ». La métropole, dans sa version de la loi Maptam* promulguée en janvier 2014, devait regrouper Paris et les trois départements de la petite couronne au sein d’une structure très intégrée avec une forte péréquation financière et prévoyait la disparition des intercommunalités. Une métropole light Seulement, le projet métropolitain s’est heurté au conservatisme des élus locaux, désireux de préserver leurs recettes financières et leur pouvoir de planification urbaine. Ceux-ci ont voulu renforcer les établissements publics territoriaux (EPT), futur échelon intermédiaire entre les communes et la métropole, pour affaiblir la MGP. C’est ce qu’expliquait dans la Gazette des communes le politologue Patrick Le Lidec en charge du master Gouvernance métropolitaine à Sciences Po : « Il ne faudrait pas que ces EPT deviennent une solution PHRASES Manuel Valls a accepté, sous la pression des élus locaux, de revenir sur l’article 12 de la loi Maptam qui prévoyait la création d’une métropole puissante. ©20 minutes de repli pour vider la métropole de tout contenu et échapper à la solidarité. On sent aujourd’hui cette tentation chez nombre d’élus des territoires les plus riches. » Les élus ont obtenu le respect du principe de neutralité budgétaire, cela signifie que la MGP ne conservera que la croissance de l’impôt et rétrocédera le reste aux communes, en attendant la définition progressive de ses compétences qui devrait s’achever en 2020. Seul problème, une élection présidentielle aura lieu d’ici là et rien ne garantit que les transferts s’opéreront ensuite. Le projet métropolitain rencontre déjà une forte opposition d’une grande partie de la droite mais aussi des parlementaires communistes. Ces deux groupes se sont retrouvés plusieurs fois alliés de circonstance au Sénat. Une première fois lors de l’examen du projet de loi Maptam en 2013 et à nouveau en juin 2015 lors de la deuxième lecture du projet de loi Notre**, lorsqu’ils ont de concert voté le report d’un an de la création de la métropole. Selon Patrick Le Lidec, ceci s’explique 6 par la peur de ces élus de perdre à terme leur fief, à cause de la dilution à prévoir de certaines singularités territoriales : « La polarisation a été acceptée et même encouragée par les élus de droite et de gauche, qui y ont trouvé leur compte. La concentration de la richesse d’un côté, celle de la pauvreté de l’autre, se traduit par une homogénéisation de la composition sociale des circonscriptions électorales. Tout cela engendre de la stabilité politique et, donc, de la stabilité de carrière ». Jeunes d’extrême droite lors d’un rassemblement de la Manif pour tous. ©RFI À CLÉMENT VARANGES * Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ** Loi de nouvelle organisation territoriale de la République « La polarisation a été encouragée par les élus de droite et de gauche qui y ont trouvé leur compte. » PATRICK LE LIDEC JUIN 2015 quinze ans, j’avais déjà mes opinions. Mais à cet âge-là, j’estime qu’on n’a pas à les exprimer », raconte Romain*. Ce Mayennais d’origine a grandi du côté de Château-Gontier. « Ma mère a plus tendance à voter socialiste, mon père, lui, a voté Sarkozy en 2007. Ils ont leurs idées mais ne s’impliquent pas trop sur le plan politique », explique le jeune homme de 21 ans. Si son frère vote à gauche, lui est impliqué dans la mouvance d’extrême droite. « On évite de parler politique lors des repas de famille. On fait en sorte que ça se passe bien », ajoute ce pâtissier. Rien ne prédestinait pourtant Romain à adhérer à ces idées extrêmes. « À l’époque, j’ai longtemps trainé avec un groupe de blacks qui venaient de l’Île Maurice. Ces mecs-là dealaient quand je sortais avec eux. Je me suis rendu compte qu’ils ne faisaient que profiter du système », raconte le Mayennais. Le système, social et politique, est le point de cristallisation de sa colère. « Je ne vote pas pour le FN. Je ne supporte pas Marine Le Pen. Elle est à mettre dans le même sac que les autres partis politiques. Je me sens plus proche des idées de son PHRASES père ou de Génération Identitaire », confie le jeune homme. Depuis septembre, il a emménagé à Strasbourg, près d’un quartier difficile. Un changement d’ambiance radical par rapport à son patelin de province. « Derrière chez moi, ils construisent une grosse mosquée. Pour moi ce n’est pas normal. La France est un état laïc depuis plus d’un siècle, mais nous sommes de tradition catholique, non ? », questionne Romain. « L’islamisation et l’immigration » seraient donc les principales causes d’inquiétude de ces jeunes qu’on entend répéter : « On n’est plus chez nous ». L’artisan poursuit : « je vais très régulièrement dans une salle de sport au centre de Strasbourg. À chaque fois, on me regarde bizarrement quand je parle français. » Ravalement de façade Francis*, lui, vote Front National depuis qu’il est en âge de placer un bulletin dans l’urne. « J’ai toujours baigné là-dedans. Ma grand-mère a été secrétaire départementale du bureau à Lille », affirme ce gaillard de 28 ans. Mayennais d’origine, il a roulé sa bosse dans le Sud avant de revenir sur ses terres natales. 7 Une fois installé, il s’implique de plus en plus dans le parti jusqu’à devenir membre de la sécurité du Front National pour certains meetings. C’est grâce à ses connaissances au FN, et dans le milieu du football, que Francis a pu accèder aux coulisses des grand-messes du parti d’extrême droite. « Même avec l’arrivée de Marine, le parti n’a pas beaucoup changé. Le Front National s’est aseptisé en façade, mais en coulisses le discours reste le même », concède Francis avant de glisser : « La vieille garde a tourné le dos à la nouvelle direction. Beaucoup, notamment les jeunes, se dirigent vers des groupes tels que Génération Identitaire ». Il faut dire que la guerre ouverte entre Marine et Jean-Marie Le Pen n’a pas arrangé les choses. « Cette histoire est ridicule et nuit à l’image du parti ». Mais les guerres intestines ne l’ont pas dissuadé de continuer à voter pour le Front. « Je vote systématiquement FN au premier tour. S’ils ne sont pas présents au deuxième, je vote contre la gauche. Les gauchistes, ce n’est pas mon truc. » PIERRE VEILLÉ * Les prénoms ont été changés JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS ÉDUCATION ÉDUCATION LES APPRENTIS DU DÉCROCHAGE C’est l’un des grands chantiers d’éducation du quinquennat de François Hollande. Le décrochage scolaire a touché 140 000 jeunes en 2014. En milieu rural, le phénomène concerne principalement les jeunes apprentis. 3 QUESTIONS À MARYSE ESTERLE, SOCIOLOGUE ET SPÉCIALISTE DU DÉCROCHAGE SCOLAIRE 1 Parmi les causes du décrochage, les résultats scolaires et le manque de motivation. I l y a dix ans, ce genre de situation n’existait pas » regrette Jean-Marie Mollon-Deschamps, directeur du Centre d’Information et d’Orientation (CIO) de Mayenne. Avec ses collègues, il est en première ligne pour lutter contre le décrochage scolaire. D’après l’INSEE, le nord du département serait le secteur au plus fort potentiel d’augmentation de décrocheurs scolaires de la région Pays de la Loire dans les prochaines années. « En 2014, ils étaient 66 recensés au CIO de Mayenne. Cette année, nous en avons 55. Les chiffres restent plus ou moins stables mais c’est toujours très important », décrit le directeur. Parmi ces élèves, près de la moitié sont issus des filières d’apprentissage. « Orientation zapping » Comment expliquer que des jeunes décrochent d’une formation censée les professionnaliser ? « Aujourd’hui, quand cela se passe mal, il y a une rupture directe entre les jeunes et leur patron. Lors d’une mauvaise expérience, l’apprenti finit par rejeter totalement le métier et la formation dans laquelle il est engagé et se retrouve donc sur le carreau », explique le responsable du CIO. PHRASES Cette situation serait due, avant tout, à un changement de génération, et de mentalité. « On vit à une époque où les jeunes fonctionnent à travers une orientation plaisir ou zapping », affirme Jean-Marie Mollon-Deschamps. Avant d’ajouter : « Il y a quelques années, les élèves finissaient leur formation ou intégraient le monde du travail ». Cette facilité à accéder au marché de l’emploi en milieu rural est le résultat d’une forte tradition d’embauche des très jeunes en Mayenne. Il était possible, dès seize ans, de trouver un travail dans le nord du département, notamment dans les métiers de l’artisanat. « Ici, nous accueillons tous types de public. Nous fonctionnons de deux manières avec les élèves décrocheurs. On leur propose une solution rapide avec des mesures scolaires, voire un accompagnement avec la mission locale », explique le responsable du CIO de Mayenne. Si le problème est plus profond, le CIO propose à l’élève un bilan d’orientation approfondi : « On retrace ainsi tout son parcours scolaire et familial. Le but est qu’il se rende compte d’où il vient », détaille Jean-Marie Mollon-Deschamps. Un premier pas avant de savoir où l’élève veut aller. PIERRE VEILLÉ 8 Existe-t-il un profil type de décrocheur ? Non, il n’en existe pas. Nous avons cherché au cours de nos différentes études. Les jeunes en situation de décrochage ont le plus souvent vécu des échecs scolaires et appartiennent à des familles défavorisées. On retrouve aussi, en général, plus de garçons que de filles. 2 Quels sont les principaux facteurs de décrochage scolaire ? Il y a en a trois principaux. Dans un premier temps, les résultats scolaires et la motivation qui en découle. Ensuite, il y a la famille. Comment elle envisage l’école et le soutien apporté à ses enfants. Pour finir, l’environnement social du quartier dans lequel évolue l’élève. C’est-à-dire les personnes qu’il fréquente au jour le jour. 3 Ce phénomène touche-t-il plus les élèves en apprentissage ? Il touche avant tout les jeunes en lycées professionnels. Certains, qui sont entrés dans cette formation, se trouvent déçus de l’enseignement où ils se heurtent à trop de théorie à leur goût. D’autres n’ont pas le niveau scolaire suffisant pour réussir. JUIN 2015 KANAK : DE LA CASE À LA MÉTROPOLE Chaque année, de jeunes étudiants néo-calédoniens quittent leur paradis pour une cité universitaire. Qui dit études, dit exil : un déchirement pour certains, une grande aventure pour d’autres. IL MANQUE SA PUTAIN DE PHOTO ! P artir, c’est affronter l’inconnu. Mais c’est aussi une fierté. Cela signifie qu’ on vole de nos propres ailes », explique Jean-Jacques Selefen. Pour cet originaire de Lifou, dans les îles Loyauté (Nouvelle-Calédonie), membre de la tribu Xodre, c’est un sentiment étrange : « Au pays, on ne devient pas adulte à 18 ans. En fait, on est toujours sous l’autorité de l’aîné, qu’il soit de la famille ou du clan. En France, on se retrouve seul ». Un monde nouveau Cette solitude, ajoutée aux problématiques nouvelles, a poussé la Maison de la Nouvelle-Calédonie à accompagner ces étudiants ultra-marins [venant d’Outre-Mer]. Comme l’explique Agnès Siraud, chef de service, responsable de près de 2000 Néo-Calédoniens, « ils doivent « L’igname sauvage et la nourriture du pays m’ont manqué. » accepter un monde plus impersonnel. Mais faire également face à une nouvelle monnaie et à un climat plus difficile. » Batailler avec l’administration pour trouver un logement, demander des bourses et donc gérer seuls leur capital en créant un compte dans une banque française : autant de difficultés pour des jeunes qui demandent rarement de l’aide. Parfois par sentiment d’infériorité, souvent par respect. Des démarches difficiles pour de jeunes gens qui n’ont connu que l’ambiance apaisée d’un village où vit l’ensemble de leur famille. On change du tout au tout. Compliqué également de troquer le short pour le pantalon, le débardeur pour le pull et le manteau. « En France, j’étais en claquettes et en short même en hiver. Je n’aimais pas les chaussettes. Les gens me prenaient pour un fou ! », confie Jean-Jacques. « Je ne savais pas ce qu’était une adresse mail » L’envie de réussir est forte. Mais après deux semaines de grisaille, quand les premières feuilles commencent à tomber, le mal du pays se fait sentir. Une mélancolie accentuée par la télévision : « On voit les coups de mitraillette à Marseille, les bagarres qui tournent mal… Seulement, on a fait une promesse : revenir entier ! » L’acclimatation ne se fait jamais facilement. 9 « On a fait une promesse : revenir entier ! » JEAN-JACQUES «En général, si ça craque, ça lâche au premier semestre », explique Agnès Siraud. La distance, la fête, les problèmes financiers peuvent entraîner des jeunes dans la précarité. C’est le cas de Jean-Baptiste, rentré plus tôt que prévu. « En arrivant, je ne maîtrisais pas vraiment le français, l’informatique ça n’allait pas du tout non plus. Je ne savais pas ce qu’était une adresse mail. Puis j’ai commencé à déconner. A sortir. Au pays, on dit boire comme un blanc et se saouler comme un kanak... Au final, la maison de la NouvelleCalédonie m’a rapatrié mais je ne regrette pas cette expérience. » Son ami de Lifou, non plus : « Je suis tombé sur beaucoup d’ultra-marins qui m’ont aidé. On a fait des repas ensemble. J’ai eu l’impression de retrouver ce que j’avais perdu en prenant l’avion. » Aujourd’hui, Jean-Jacques se sent grandi. Il a pris de l’assurance et est devenu une sorte de modèle pour son village : « Petit, je pensais que les Blancs étaient meilleurs que nous en tout. Désormais, je sais qu’il n’y a rien de plus faux ». ARTHUR CONANEC JUIN 2015 BRUNO GUERMONPREZ, SOCIOLOGUE « LA FRANCE RESTE ATTACHÉE À DÉFENDRE L’AGRICULTURE» Bruno Guermonprez enseigne depuis une trentaine d’années à l’Institut supérieur d’agriculture (ISA) de Lille. Son domaine : les politiques agricoles et la place de l’agriculture dans l’économie et la société. JEUNES EN CAMPAGNES UN SANG NOUVEAU ABREUVE NOS SILLONS En France, est-il vrai qu’il y a de moins en moins de jeunes agriculteurs ? Depuis 1960, oui. Avec le phénomène de modernisation des pratiques agricoles, le pays a subi une forte diminution des exploitations. Depuis, on voit son nombre divisé par deux tous les vingt ans. En 1900, un agriculteur nourrissait quatre personnes, en 2020 il en nourrira environ cent. Le monde agricole court-il à sa perte ? Je ne pense pas. La France est un des rares pays qui reste attaché à défendre une agriculture avec des agriculteurs. Certes, ils sont moins nombreux à s’installer : 80 par an et par département, contre environ 150 il y a 20 ans. Mais il faut prendre en compte le taux de reprise d’exploitations, qui s’améliore. Qui reprend ces exploitations ? Ce sont les enfants d’agriculteurs qui sont de plus en plus formés. Ce qui évolue, c’est l’utilisation des exploitations de ces nouvelles générations. Elles s’orientent vers l’agrandissement et la modernisation avec des stratégies d’associations pour rendre le travail plus acceptable socialement. La vente directe est elle-aussi mise en avant. Les grandes cultures sont privilégiées face aux élevages, plus pénibles et gourmands en espace. Les jeunes qui s’installent sans avoir de parents agriculteurs investissent-ils dans les mêmes productions ? C’est assez difficile de reprendre une exploitation seul. Cela se fait dans des régions où le prix du foncier est bas, comme dans les zones montagneuses. Ils pensent plus en terme de création d’entreprise, en investissant dans des élevages originaux ou dans la vente directe. Mais cela dépend du lieu. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l’hérédité sociale reste forte. À la campagne, tout n’est pas rose. Mais, en quête d’économies et d’une meilleure qualité de vie, étudiants et néo-ruraux prennent d’assaut les contrées autrefois délaissées. L’occasion de relever la tête... et de sortir de la sinistrose PROPOS RECUEILLIS PAR L AURA OUDART Bruno Guermonprez PHRASES 10 JUIN 2015 PHRASES 11 JUIN 2015 LE CHAMPS DES TOURS LE CHAMPS DES TOURS “ J’AI PRÉFÉRÉ LA BIÈRE AUX ENDIVES ! ” JEUNES EN CAMPAGNE GRAINES DE PAYSANS Agriculture à deux vitesses, surcharge de travail, perspectives floues… Le monde agricole se transforme. Malgré les incertitudes, des jeunes continuent à y croire. Paul-Marie va traire les vaches avec ses parents lorsqu’il rentre des cours. D ès mon premier stage dans une ferme, j’ai eu le coup de foudre. » En 2004, après des études d’ingénieur agronome, le Nordiste Mathieu Glorian devient stagiaire dans le Gaec de son parrain, producteur de fromage. L’objectif est de reprendre peu à peu le groupement avec deux de ses amis. Mais la partie est remise. « J’étais déjà en couple à l’époque, pas eux. Ils ne voulaient pas s’engager sur le long terme, sachant qu’être agriculteur est souvent un gros handicap pour trouver l’âme sœur », avance Mathieu. En 2006, il est embauché comme animateur par la Confédération Paysanne et commence à mûrir un nouveau projet d’installation. L’élevage ? Trop contraignant pour ce père de trois enfants : « Avec Rosa [sa femme, institutrice], nous voulions conserver un fonctionnement paritaire dans le foyer. Je n’ai pas voulu sacrifier ma vie familiale. » Il s’oriente alors rapidement vers la fabrication de bière, et envisage de devenir paysan producteur de houblon. « J’aurais pu faire des endives, j’ai préféré la bière, explique-t-il. C’est plus valorisant. Et plus à la mode ! » En 2010, il fait la connaissance de François Théry, paysan bio à Gavrelle, petit village du Pas-de-Calais à mi-chemin entre Arras et Douai. Une formation express de brasseur et quelques essais dans le jardin plus tard, ce dernier lui construit un local sur son exploitation. « Il m’a accordé une confiance incroyable et m’aide énormément ; presque plus que de raison ! », se réjouit Mathieu. Avec un père instituteur et une mère au foyer, le trentenaire originaire de l’agglomération lilloise n’a aucune entrée sur le monde agricole à l’origine. Il s’aide alors du réseau et des connaissances accumulées durant son passage parmi les sympathisants de José Bové pour obtenir différents financements solidaires. Aujourd’hui, sa production hebdomadaire de 200 litres n’est pas viable, mais pas de panique : « La phase de test s’achève, et elle est concluante. Le produit plaît et la clientèle revient. » Il reste désormais à investir pour pouvoir vivre de J PHRASES « Plus tard, je voudrais reprendre la ferme de mes parents » PAUL-MARIE LEROY cultivent des « patates », du blé, du maïs, des petits pois, etc. Régulièrement, il les aide. « Je travaille à la ferme les week-ends, les vacances, le soir en revenant de l’école. » Du temps de ses parents, pour devenir agriculteur, un bac professionnel suffisait. Aujourd’hui, la plupart des jeunes se destinant au métier, ont un bac+2. « Il faut au minimum un BTS. C’est normal, on utilise de plus en plus de technologies, ce qui nécessite plus de compétences. » Les exploitations sont aussi de plus en plus grosses. « Elles sont donc plus difficiles à gérer. » Pour lui, l’agriculture de 12 demain, c’est « de plus grandes entreprises et l’utilisation de toujours moins de produits phytosanitaires ». Cela ne lui fait pas peur. « Tant que mes parents travailleront sur l’exploitation, ça ne sera pas difficile d’avoir une vie à côté. » Et après ? « Je serai tout seul. Il faudra que je prenne un salarié. » Paul-Marie a déjà un projet en tête. « Nous habitons sur une route passante. J’aimerais faire de la vente directe : transformer des produits laitiers par exemple. » Comme dirait Obélix : « Mais ils sont fous ces jeunes ! » AMÉLIE BOUCLET JUIN 2015 MATHIEU GLORIAN Mathieu assure le service de sa bière, L’épinette sa bière. Et faire son trou dans le monde chaotique d’une agriculture à deux vitesses : « Les pouvoirs publics encouragent l’agrandissement du fossé. Connaissant bien le système, j’arrive pour le moment à trouver des soutiens. Mais c’est très difficile pour les jeunes de se lancer quand des industriels comme Ramery et sa ferme des Mille vaches écrasent le secteur. » PAUL DESCAMPS “ JE SUIS MON PROPRE PATRON ” PAUL-MARIE, UN GAULOIS DANS L’ÂME e suis dedans depuis tout petit. » Il n’est pas tombé dans la marmite mais Paul-Marie Leroy, du haut de ses 18 ans, a quelques points communs avec le fameux Gaulois. Fils d’agriculteurs, il n’envisage son avenir que dans ce milieu. « Pour toujours être chez soi et dehors. » Le jeune homme brun aux yeux bleus est étudiant en BTS Analyse et conduite de systèmes d’exploitation (ACSE) à Hazebrouck (62). « Plus tard, je voudrais reprendre la ferme de mes parents. » Comme une évidence… Ils possèdent un élevage de 80 vaches et « Avec ma femme, nous voulions conserver un fonctionnement paritaire dans le foyer. Je n’ai pas voulu sacrifier ma vie familiale. » J e ne me voyais pas faire autre chose. » Benoît Delplanque, 31 ans, est à la tête d’une exploitation de 60 vaches laitières, 15 vaches allaitantes, 4 400 poulets et 60 hectares de cultures. « Je suis mon propre patron », explique le jeune PHRASES agriculteur installé depuis cinq ans. C’est à la fois un avantage et un inconvénient. « La traite des vaches est une contrainte pour le week-end mais je suis libre d’organiser mon emploi du temps ! » À cela s’ajoute la variété de ses tâches. « Je fais de la maçonnerie, de la menuiserie, de la soudure, etc. » Depuis son installation, il fait partie de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles), majoritaire en France. « Quand on est seul sur un gros dossier, c’est difficile de se défendre. » Être syndiqué lui permet donc d’être « appuyé sur des sujets importants comme les mises aux normes ». Un soutien pour les enjeux actuels comme futurs. « Même six mois à l’avance, on a du mal à avoir des perspectives… Pour les jeunes agriculteurs, c’est l’inconnu. Par exemple, les intérêts des 13 emprunts sont sur quinze à vngt ans et un contrat pour la vente du lait, sur six mois ! » C’est encore plus compliqué pour ceux qui ne sont pas issus du milieu. « Un ami dont les parents ne sont pas agriculteurs, s’est installé en Mayenne où c’est moins cher, illustre-t-il. Il n’a pas le droit à l’erreur. Il faut encore plus de motivation ! » Pourquoi ? « Les prix de reprise sont plus raisonnables quand c’est la famille. » Des aides à l’installation ont été mises en place. Elles sont conditionnées à un certain niveau d’études. Aujourd’hui, ce niveau augmente. « Il ne faut pas être idiot », rit Benoît. Il se souvient ainsi de la réaction de sa conseillère d’orientation au collège : « Quand mes parents lui ont dit que je voulais être agriculteur, elle a répondu : “ Pourquoi ? Il n’apprend pas à l’école ? ” » AMÉLIE BOUCLET JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS JEUNES EN CAMPAGNE UNE VIE AU VERT Campus Vert, c’est un principe : accueillir des jeunes dans des studios à la ferme. Marie-Agnès Lenglet, agricultrice aux Attaques (62), fait partie du diposotif depuis 2001. Marie-Agnès Lenglet a ouvert son Campus Vert en 2002. N Arthur travaille dans une exploitation de trente vaches laitières. LE BONHEUR EST DANS LE COMTÉ L ’agro-industrie a détruit le tissu rural », assène Arthur Brachet. L’Ardennais de 26 ans et son Angevine de compagne, Amélie Macera, ont pris leurs quartiers à la ferme de l’Aubépine, à Moissey, dans le Jura. Issu de familles de cadres et de travailleurs sociaux, le couple, qui s’est rencontré durant des études d’ingénieur agronome à Dijon, apprend le métier de paysan bio. Passée par la pharmacie et l’herboristerie, Amélie est à l’initiative du projet. Arthur lui a emboîté le pas avec enthousiasme. Après avoir envisagé d’intégrer un Institut d’études politiques (IEP), il s’est ravisé, estimant qu’ « on ne change pas le monde en faisant des sciences politiques ». Sensibilisé à l’écologie de longue date, il souhaite désormais « être constructif » en agissant à son échelle. Des idées qui impliquent des sacrifices. « On ne regrette rien, mais on souffre un peu de l’éloignement avec nos amis », concède Amélie. PHRASES « On ne regrette rien, mais on souffre un peu de l’éloignement avec nos amis. » Amélie Macera Installé à Dole, le couple investira à la fin du mois de juin « une maison magnifique, dans des dépendances au milieu de [leurs] bêtes ». Un peu exilés, certes, mais ils en avaient marre des grandes villes et étaient à la recherche d’une meilleure qualité de vie. « Un bar sympa dans le village nous suffirait ! », s’exclame l’enthousiaste Angevine. Depuis janvier 2015, les apprentis paysans travaillent dans une exploitation de trente vaches laitières. Envoyée dans une fruitière coopérative, leur production est destinée à la fabrication de Comté. Le comté, une filière solidaire Grâce à l’AOC qui protège le fromage, le lait de leur secteur est « le mieux payé de France. » Producteurs, affineurs, distributeurs… Toute la filière Comté est solidaire et prend les décisions collégialement. « Ailleurs, les laitiers sont seuls face aux gros collecteurs, explique Arthur. Ici, nous 14 avons un meilleur pouvoir de négociation. » Dans un secteur en difficulté, le salut des fromagers franc-comtois passe par une communication très développée, orientant leurs produits vers le haut de gamme. Si ce choix « énerve un peu » Arthur, Amélie précise : « On se permet d’être exigeant car on débute juste. On verra bien jusqu’où ira notre projet en se frottant à la réalité ! » Leur rêve ? « Acquérir une ferme à taille humaine, la plus autonome possible, en produisant nous-mêmes leur nourriture et celle du bétail. » Les deux ingénieurs-paysans se donnent jusqu’à fin 2016 pour mûrir leur projet avant de passer aux choses sérieuses, partir en quête de subventions, etc. Une chose est sûre, s’ils persistent, ils ne manqueront pas d’offres pour reprendre une affaire : quand ils ont passé l’annonce qui a débouché sur leur emploi actuel, pas moins de sept agriculteurs avaient sollicité leurs services… PAUL DESCAMPS JUIN 2015 ous avons pensé à créer des chambres d’hôtes mais c’était difficile d’assurer le petit-déjeuner et la traite. Nous avons donc opté pour Campus Vert. » Marie-Agnès Lenglet, est membre de l’association Campus Vert depuis quatorze ans. Le contact, la valorisation de son patrimoine et le complément de revenu : ces avantages l’ont convaincue de créer un studio dans sa ferme. « Un élève en BTS à Coulogne (62) est venu faire une enquête sur l’opportunité de créer un Campus Vert. Nous nous sommes dit que c’était intéressant. » Marie-Agnès et Hubert se laissent convaincre : ils ont un bâtiment agricole qui correspond aux critères et aiment le contact. « Ça nous a permis de valoriser notre patrimoine en transformant un bâti agricole en studio. » Mais, c’est également un revenu supplémentaire sans augmenter la charge de travail. « Nous nettoyons juste les chambres quand un étudiant arrive et quand il repart. » À cela s’ajoute l’obligation de convivialité. « Par exemple, nous organisons un apéro à la rentrée. » Un studio à prix modéré « Les étudiants arrivent et posent leurs valises. » Les studios sont tout équipés et le loyer est modéré. « Ici, ils vont de 248 € à 259 € pour des logements de 21 m2 à 25 m2. » Seul inconvénient pour les étudiants : ils ne sont pas sur leur lieu d’études. Les sites doivent, toutefois, se situer à moins de UN PEU D’HISTOIRE L’association a été créée en 1995 par trois agriculteurs du secteur de Béthune (62). « Des universités décentralisées ont été construites, mais les villes moyennes n’étaient pas capables d’accueillir tous les étudiants », explique Odile Colin, directrice de Campus Vert. « Avec les mises aux normes, certains bâtiments et corps de fermes n’étaient plus utilisés. » En faire des logements étudiants était donc un moyen de les valoriser. Pendant plus d’un an, l’association s’est développée autour de Béthune. Elle s’est ensuite étendue à tout le Pas-de-Calais et puis à la région. Aujourd’hui, Campus Vert est présent sur les douze sites universitaires du Nord-Pas-de-Calais. « Depuis les années 2000, nous sommes dans la phase nationale. » Le concept est transposable dans toutes les régions. « Le hic, c’est de trouver le financement. » L’objectif actuel est de se développer en Bretagne et en Picardie. Par exemple, en Bretagne, il y a quelques logements autour de Rennes mais aucun près de Vannes et Lorient. PHRASES 15 quinze minutes d’un centre universitaire. « Nous sommes à la campagne donc, dans l’idéal, c’est mieux d’avoir un moyen de locomotion », reconnaît-elle. Même s’il existe un système de covoiturage. « Ici, ils sont trois à avoir leurs cours à Calais (62), mais ils n’ont pas les mêmes horaires donc chacun a sa voiture. » Échange ville/campagne Campus Vert permet aussi à des jeunes de la ville de découvrir un milieu parfois inconnu pour eux. « Je ne pense pas qu’ils aient des a priori. C’est plutôt une méconnaissance et parfois une idée bucolique du monde agricole. » Cependant, « il ne faut pas se leurrer, globalement, les gens qui viennent au Campus Vert ont l’habitude de vivre à la campagne », note l’agricultrice. Et de conclure en riant : « Au début, j’avais peur que le bruit des vaches les incommode. Ils m’ont dit que non, que c’était leur réveil-matin. Ça gêne un peu plus quand c’est le coq à 3 h du matin ! » En 2015, les loyers de Campus Vert, dans le NordPas-deCalais, vont de 243 € pour 21 m2 à 558 € pour 60 m2. AMÉLIE BOUCLET Site internet : www.campusvert.com JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS Des précédents plus ou moins concluants Le centre commercial a été conçu par le cabinet d’architectes Rudy Ricciotti ©Rudy Ricciotti Architectes. Le B’Twin village à Fives Situé sur l’ancien site Altadis de 184 000 m², il compte 350 employés. Ce centre Decathlon est ouvert depuis 2010. Sur la trentaine de personnes qui travaillent dans le magasin, seules deux habitent dans le quartier du Petit Maroc. « Parfois, il y a une différence entre la réalité et ce que ressentent les habitants, avance le chargé de mission de la Maison du Projet. Il n’y a pas d’études avec des pourcentages à moyen terme. C’est délicat d’imposer le recrutement. Si une personne a postulé et n’a pas été recrutée, cela peut créer de la rancœur. » LILLE-SUD LILLENIUM OU LA PROMESSE D’EMBAUCHE DES JEUNES DU QUARTIER Depuis 2010, le quartier de Lille-Sud est en pleine mutation, architecturale et économique. Le projet de pôle commercial Lillenium s’inscrit dans cette dynamique. Son ouverture a été présentée comme l’une des solutions au chômage qui touche les jeunes du quartier. LILLENIUM EN CHIFFRES PHRASES U ne friche, rue de Marquillies, face à l’Hôtel de police de Lille-Sud. Entouré de grilles et de grands panneaux qui annoncent la création de 900 emplois, le site intrigue. Dans le cadre de la requalification du quartier, les promoteurs Vicity et Nacarat vont construire un centre commercial : Lillenium. Situé à l’entrée de la rue du Faubourg des Postes, il s’étalera sur 56 280 m2, « soit la moitié d’Euralille ». Sur six étages dont deux en sous-sol, il accueillera l’hypermarché E.Leclerc, un hôtel trois étoiles d’une centaine de chambres, cent boutiques, des bureaux, un parking, un parc pour 300 vélos, etc. Il faut ajouter à cela une cité des enfants de 1 300 m². « Cette antenne de la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris expliquera les techniques aux plus jeunes. Par exemple, comment on construit un bâtiment », développe Alexis, chargé de mission à la Maison du Projet de Lille-Sud. Le permis de construire a été validé le 27 septembre 2012 par la mairie de Lille. Le centre commercial devait être livré en 2013. Cependant, la construction n’a pas encore démarré. « Un recours administratif a fait perdre deux ans, explique le chargé de mission. 56280 m la taille du terrain 2 Un riverain et avocat a trouvé une faille dans le permis : le non-respect d’un délai. Il a fallu deux ans pour éclaircir ce point. » Le tribunal administratif a débouté le requérant que le promoteur lillois Vicity a attaqué pour recours abusif. Ouverture en 2017 « Aujourd’hui, nous sommes en phase de commercialisation des cellules. La concurrence est féroce. Ça se passe bien », indique Anne Beaumeister, la communicante de Vicity. Le nom des enseignes retenues ne sera dévoilé qu’à l’ouverture. « Nous essayons d’avoir une certaine diversité : mode, beauté, restauration, etc. » L’ ouverture devrait avoir lieu en 2017. Quant aux travaux, « nous espérons qu’ils débuteront cet été, en juin ou en juillet, voire septembre maximum », confie Alexis. Ils devraient durer deux ans. « Il y a pas mal de réalisations à faire : pour le parking souterrain, par exemple, il faudra évacuer la terre. C’est toute une organisation, même pour accéder au site. » Le promoteur a lancé des appels d’offres pour les cellules commerciales. « Aujourd’hui, plus rien ne s’oppose au projet. » dont : 5 000 m2 pour l’hypermarché 22 000 m2 pour les 100 boutiques 4 800 m2 de bureaux 2 000 m2 de restaurants 16 Début juin, les travaux n’ont pas encore débuté. 140 K€ coût de Lillenium Source : Vicity JUIN 2015 Lillenium devrait créerLégende des emplois dans ce quartier où le chômage des jeunes est l’un des plus élevés de Lille, ce qui explique la réticence des institutions à communiquer ces chiffres. En effet, la création de ce pôle commercial permettrait l’embauche de 500 personnes pour la construction et 900 à l’ouverture. Romain Demettre, dirigeant de Vicity, déclarait à la Voix du Nord en 2011 que cela engendrerait des embauches, « dont 70 à 80 % à la population de proximité ». Mais ces emplois sont-ils vraiment garantis ? Leclerc s’est engagé Pour la phase de construction, une clause d’insertion a été signée avec la ville. « Un certain pourcentage d’heures de travail sur le chantier, au moins 5 %, est réservé à des jeunes en insertion, notamment les habitants du secteur », explique le chargé de mission. Pour la suite ? Une charte a été établie entre la direction du Leclerc et la ville de Lille. « Il s’engage à travailler en partenariat avec Pôle Emploi, développe Anne Beaumeister. Cela dépendra bien sûr des profils recrutés et des compétences. Le nombre d’habitants du quartier recruté en résultera. » Si leurs profils ne correspondent pas, leur part sera moins importante. Seule cette enseigne s’est inscrite dans le processus. Elle ne représente à elle seule qu’un quart de la création d’emplois annoncées. Mais « il n’y a pas de charte ni de convention pour les autres sociétés, reconnait-elle. Elles sont donc libres de monter [ou non] un partenariat avec les acteurs locaux de l’emploi. Nous embaucherons aussi pour faire vivre la structure Lillenium, par exemple dans la direction et l’organisation ». PHRASES Le recrutement n’a pas encore commencé. Il devait être mis en place par la Mission locale de Lille-Sud, qui n’a pas encore eu d’informations ni de consigne à ce sujet. Y aura-t-il des formations spécifiques mises en place, comme cela a été le cas pour le casino Barrière ? Anne Beaumeister n’écarte pas l’idée. « C’est possible, affirme-t-elle. Mais nous ne le saurons qu’au moment de la phase de recrutement. » Certains acteurs locaux et habitants restent sceptiques voire méfiants, devant ces chiffres. « Ils ont promis ça pour la construction de la Halle de Glisse, mais, d’après ce que l’on m’a dit, seul un jeune du quartier a été employé pour la construction », explique Rachid El Ouahab, un responsable du centre social Lazare Garreau. Le projet Lillenium a été mis en avant par la ville comme créateur d’emplois pour les habitants du quartier mais il n’a pas encore eu de conséquence concrète à l’heure actuelle. « Ça fait bien, avance-t-il. Nous avons eu une réunion publique pour nous expliquer Lillenium. Les commerciaux devaient proposer des projets qui embaucheraient le plus possible de gens du quartier. C’est Leclerc qui a été retenu. » Et de compléter : « Il devait y en avoir une autre pour qu’on ait plus d’informations. Je l’attends toujours ». Ce à quoi le chargé de mission rétorque : « Il y a eu plusieurs réunions publiques à Lille Sud à cause des nombreux nouveaux aménagements. La dernière date de 2012. Il n’y a pas de concertation spécifique, car il n’y a plus forcément besoin de l’annoncer ». Lillenium devrait créer des emplois mais l’embauche de jeunes du quartier dépendra du volontariat des enseignes… AMÉLIE BOUCLET 17 Le Casino Barrière Il a été inauguré le 29 novembre 2009. Cette entreprise emploie plus de 279 personnes dont 125 Lillois. Un partenariat sur au moins trois ans avait été mis en place avec la Maison de l’Emploi. Celleci a recruté des croupiers. Ainsi, trente-neuf Lillois, Hellemmois et Lommois qui étaient éloignés de l’emploi ont été embauchés. Il s’agissait soit de personnes au chômage depuis longtemps, soit de femmes isolées, soit de travailleurs handicapés. Des formations aux métiers du casino avaient aussi été mises en place. EssenSole Village à Lille-Sud Situé entre le périphérique sud et la rue de Marquillies, il regroupera un centre de recherche et de développement, de design, de production industrielle, et un magasin showroom de 3 000 m2, dédié à l’équipement du pied. Le groupe Oxylane devrait l’ouvrir d’ici la fin de l’année à Lille Sud. En tout, 254 personnes y travailleront mais il permettra la création nette de 120 emplois. Le groupe a signé une charte où il s’engage à travailler avec la Mission locale. JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS LIFESTYLE EN MODE BANLIEUSARD OU CAMPAGNARD, À CHACUN SON KIT DE SURVIE En terrain hostile, un mauvais équipement et une catastrophe est vite arrivée. Voici la panoplie parfaite Booba: «Aucune cité n’a de barreaux» Tous les dimanches, y a derby Pour taxer des films chez les copains qu’ont le net Hips tea Aie phone Bombe lacrymale douleur optimale Mettre des coups de boules Plein d’mouches à brin Surtout pour le tire-bouchon Car le GPS s’y perd Casque pour tenir chaud Posey sur le macadam Posey dans la paille Pour toujours garder la pêche La meilleure planque Pour tracer sa life Eul rêve à Jacky D’jogging dans Pour pas mettre de brin sur mes Air Mix les cho7 Carte d’identité Comme une seconde peau Air mix 2.0 PHRASES 18 JUIN 2015 Pour voir la vie en rose PHRASES 19 JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS ÉDUCATION FÉLIX ET MADY, DEUX JEUNES BANLIEUSARDS AUX PARCOURS EXEMPLAIRES Venir d’un milieu défavorisé, enclavé, comme celui de la banlieue ne signifie pas forcément l’échec scolaire ou professionnel. Félix et Mady se sont battus et ont gagné. MADY, 20 ANS : “ JE NE LÂCHE JAMAIS RIEN ” FÉLIX, 23 ANS : “ JE VOULAIS SORTIR DE CETTE GALÈRE ” F élix, Rémois de 23 ans, est un jeune homme ambitieux. Son souhait ? S’en sortir malgré un quotidien difficile, et un contexte familial non adapté pour la réussite scolaire. Dès ses 6 ans, il fait face à des lacunes d’apprentissage, il confond sa droite et sa gauche et a des problèmes de langage. « J’ai dû faire mon CP avec une orthophoniste. J’avais du mal à m’exprimer. » C’est un enfant agité, que l’on a du mal à comprendre. Le déclic Une galère qui se poursuit quelques années encore puis c’est le déclic. « Quand j’avais 16 ans, mon père a fini par nous quitter, ma mère, mon frère et mes deux sœurs. Ma mère était assistante maternelle, nous avons dû déménager en HLM. » Félix a honte. Il n’ose plus inviter ses copains : « Là où on vivait c’était trop petit, il n’y avait pas de place pour recevoir ». Il a du mal à se faire accepter par les autres car il ne peut pas s’habiller à la mode. C’est à ce moment là qu’il se prend en main. « Je PHRASES M ady n’a que 20 ans mais elle est déjà très mature pour son âge. Pleine de projets pour l’avenir, elle n’a pas froid aux yeux et n’hésite pas à se mettre en danger. Issue du 93 et noire de peau, elle a su dépasser les barrières des préjugés, et elle en est fière. « J’étais obligée d’être meilleure que les autres dans mes études secondaires, je devais prouver pourquoi j’étais là. » Sa famille ne l’empêche pas de faire des études mais elle supporte assez mal la vie en cité. « Avec mes deux frères et ma sœur jumelle, on habitait à Sevran. Le lieu n’était pas évident ». voulais sortir de cette galère et je savais que pour cela il fallait que je sois bon à l’école. » Félix est motivé et décide d’être avec des gens « meilleurs », ça lui donne envie de progresser. Comme un défi. Poussé par sa famille et ses professeurs, il se tourne vers un lycée privé de Reims. Il s’oriente vers une 3e professionnelle qui lui donne sa chance. Un BEP comptabilité en poche, il continue avec un Bac STG mention Très Bien. Téméraire et courageux, il s’embarque vers une classe préparatoire économie et commerce pour rattraper ses lacunes. « En STG, on ne mettait pas l’accent sur le littéraire, la culture générale. Alors quand je suis arrivé en prépa, le décalage était important. » Une claque Félix ne compte pas s’arrêter là et entreprend des études longues. « Je voulais intégrer une école de commerce mais elles étaient toutes trop chères... Je me suis donc tourné vers l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) à Lille, en L3 management et sciences sociales. » 20 « Je ne veux pas que l’on retienne mes origines, mais plutôt mon parcours. » Aujourd’hui, Félix prend conscience qu’il n’est plus un petit garçon. « Je me suis pris comme une claque dans la figure. J’ai tellement travaillé dur pour réussir mes études. Finalement, même avec un Bac mention Très Bien, je galère sur le marché du travail. » MADY Elle passe ses années de collège en ZEP, dans une des villes les plus pauvres de France. « Là-bas, j’étais perçue comme une intello, mes amies ne comprenaient pas pourquoi je prêtais autant d’intérêt aux études. » C’est à ce moment-là qu’elle se démarque et décide de braver le jugement de ses amies et de sa famille éloignée. « C’est assez mal vu de faire des études longues. Pour eux, je vais finir mes études à 30 ans, je serai célibataire et sans enfant. Mais moi, je m’en fiche. » « J’ai dû faire mon CP avec une orthophoniste. J’avais du mal à m’exprimer. » FÉLIX Grâce à son parrain de Frateli (association de parrainage de jeunes étudiants boursiers à haut potentiel par des professionnels), ses professeurs, son frère et ses sœurs, il a trouvé l’aide dont il avait besoin pour tenir et réussir. Aujourd’hui, il projette de continuer ses études en Master innovation et management du luxe à l’IAE de Paris. Mais sans oublier que : « rien n’est acquis, il faut toujours se battre ». Peur de rien C’est grâce à sa professeure d’allemand qu’elle prend conscience de son potentiel. « Je m’en souviendrai toujours. C’est elle qui m’a parlé de la filière Abibac. Elle m’a convaincue et surtout elle avait préparé tout le dossier. Même les photocopies ! C’est là que je me suis dit que peut-être, des gens croyaient en moi. » AÏNA ROGER ET L AURA OUDART JUIN 2015 PHRASES chologie à la S or- ©Christine Andréa Poon-Photographe Courageuse, elle s’est forcée à changer d’environnement et d’amis, pour grandir plus vite. Elle débarque au collège au Raincy. « J’évitais le lycée en secteur ZEP et j’avais un meilleur enseignement donc plus de possibilités pour les études supérieures. » Au collège, elle travaille pour son bac général mais aussi pour un bac allemand, une double charge de travail : c’est l’Abibac. Jamais vaincue Mady ne cache pas sa fierté d’avoir tracé sa route, seule. « Je suis une fille qui ne lâche jamais rien. Je ne veux pas que l’on retienne de moi mes origines sociales mais plutôt le parcours que j’ai entrepris. » Dès la 2nde elle subit beaucoup de pression. Soumise à la compétition, Mady devait être « la meilleure ». L’Abibac en poche, elle est perdue. Elle ne connaît rien aux études supérieures, sa marraine de Frateli l’aide et l’oriente. Elle se dirige vers une prépa littéraire au Raincy, mais abandonne au cours de l’année. Elle se rend compte que ce n’est pas sa voie. Elle tente une licence de psy- 21 bonne, mais là non plus, pas de coup de cœur. « Ça a été une année de flottement, j’avais besoin de réfléchir. » Un parcours jallonné d’embûches mais Mady n’a pas peur, elle sait gérer les difficultés. Aujourd’hui en 3e année de droit à Paris-Descartes, elle se dit pleinement épanouie. « Le droit est fait pour moi. Ce n’est pas évident mais je trouve ça très formateur psychologiquement. Je suis très contente d’y être.» Même pour l’avenir, ses projets sont ambitieux, elle aime se mettre en danger. Pour son master 1 ou 2, elle souhaite voguer vers l’étranger. « Pour un master en droit public des affaires, il faut souvent aller à l’étranger. Bien sûr ça me fait un peu peur mais je me force à sortir de ma zone de confort. Je trouve que ça n’a que des avantages. » Une belle leçon de courage. « Avant, j’écoutais les autres plutôt que moi-même, j’avais besoin de repères. Aujourd’hui, je me suis prise en main et je suis fière de ce que je suis devenue. » AÏNA ROGER ET LAURA OUDART JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS FAOUZY HANANE : « LES ACTIONS SONT MEILLEURES QUE LES PAROLES » Faouzy Hanane habite le quartier depuis des années. Aujourd’hui expert comptable, il a décidé de s’engager politiquement. Pour lui, c’est une façon de prendre les choses en main. Face au match, dos aux urnes © Pierre Gautheron ABSTENTION UNE JEUNESSE RÉVOLTÉE CONTRE “ LES VENDEURS DE RÊVE ” Aux dernières élections départementales, le taux de participation n’excédait pas 36 % (contre 26 % aux européennes de 2009 et 31 % aux cantonales de 2011). Entre défiance, misère et système scolaire défaillant, enquête sur une jeunesse « oubliée » qui semble ne plus y croire. D imanche 29 mars 2015, jour d’élection départementale à Lille-Sud. Une épaisse couche nuageuse recouvre le ciel. Les rafales de vent n’en finissent plus. Mais les nombreux supporters présents cet après-midi au stade du quartier semblent avoir renoncé au cocooning. Couverts de leur doudoune, capuche et bonnet sur la tête, les jeunes affrontent la rude météo pour supporter les footballeurs du FC Lille-Sud. Le stade est animé mais les bureaux de vote, eux, sont quasi déserts. Ce dimanche, vers 15 h, au bureau numéro 608, les permanents font un premier bilan « Je n’ai vu passer qu’une vingtaine de jeunes sur la journée », constate l’un d‘entre eux. À la sortie, Rachid, 21 ans, fait partie de ceux-là. Une exception selon Faouzy Hanane, présent sur les lieux « À droite, ils mentent. à gauche, ils ne disent pas la vérité. » K AMEL PHRASES depuis le matin. « J’ai fait mon devoir de citoyen , affirme le jeune homme, je m’étais renseigné avant, j’avais un peu suivi alors j’y suis allé. » Pour lui, le vote est une chose importante : « Ceux qui ne votent pas sont inconscients. Je le dis haut et fort, ce sont des cons ! » À ses côtés, Farid. Il l’a accompagné jusqu’aux urnes mais ne partage pas son avis. « J’ai 17 ans. Je n’ai pas encore l’âge de voter mais je n’irai pas, ça ne sert à rien. Rien ne changera. » Méfiance et défiance Autour du stade, les klaxons des voitures retentissent. Lille-Sud mène face à Sin-le-Noble. Malgré le froid, le terrain ne désemplit pas. Kamel et Bilal sont venus supporter leur équipe. Adossés aux rambardes, un œil sur le match, les élections ne les intéressent pas : « Non, nous n’avons pas voté. » Entre deux encouragements, ils avouent ne plus rien espérer : « Des promesses et des paroles en l’air, voilà tout. C’est la jungle ici, il n’y a pas de boulot. C’est toujours la même merde. On n’y croit plus ». Pour ces jeunes, les élus n’ont plus aucune crédibilité. « À droite, ils mentent. À gauche, 22 ils ne disent pas la vérité », conclut Kamel. Quelques carrés de pelouse plus loin, la buvette du club est animée. Les allées et venues n’en finissent pas. Une dizaine d’enfants jouent à la console, encadrés par Zaineddine. Il sert les boissons chaudes et les pâtisseries préparées par les mamans du quartier. « Ici on se débrouille. Le budget est restreint alors on s’arrange avec les habitants. On manque de moyens. » Lui non plus ne s’est pas rendu aux urnes aujourd’hui. Les départementales sont bien loin de ses préoccupations. Un autre supporter confie : « Les élections ? Quelles élections ? Je ne vote pas. Les politiques, c’est zéro ». La défiance reste le maître mot en cet après-midi pluvieuse. Rien d’étonnant pour le président du club, Mustafa El Idrissi : « Aucun jeune n’a voté ici. Ils sont bien trop déçus. Et ceux qui ne le sont pas encore le seront bientôt, affirme-t-il. On leur a promis des choses, mais ils n’ont rien eu ». Au fil des discussions, les témoignages s’accumulent mais les conclusions sont les mêmes. Pas un seul n’est allé voté aujourd’hui. « Les politiques servent leurs intérêts personnels. Ils sont cupides », af- JUIN 2015 La jeunesse fantôme des isoloirs. © Pierre Gautheron firme Aïssa, 27 ans, en formation pour devenir éducatrice. « Il y a eu des changements, mais ils n’ont pas été faits dans notre intérêt. On veut du travail. On veut du concret, pas des belles aires de jeux. » Salah Djebien, habitant et animateur de Lille-Sud n’est pas étonné par la forte abstention dans le quartier. « Ces jeunes sont dans la misère et les politiques ne font rien de concret. C’est impossible pour eux d’y croire », conclut-il. Des débats, des discussions, il y en a eu. Mais ils n’ont jamais abouti à des réponses constructives : « Pendant les rencontres avec les politiques, les jeunes viennent pour vider leur rage mais ils n’y croient plus ». Le dialogue semble rompu. À l’entrée du centre social, un groupe de filles discute. Elles sont trois. Yania, la vingtaine, avoue ne pas voter : « Je voterai peut-être pour les présidentielles, c’est plus important. Celles-ci ne servent à rien. » Farah et Yasmine ne partagent pas l’avis de leur amie : « Il y a des pays où les gens n’ont pas le droit de vote. C’est un comportement irresponsable ». La plus discrète, Farah, met en avant un autre aspect, la famille : « J’y suis allée parce que mon père me l’a demandé. » Pour une partie d’entre elles, la cellule familiale intervient dans le choix. De manière négative parfois : « Ils voient la déception de leurs parents. Ils n’ont plus envie de voter », remarque Salah Djebien. « L’école a un rôle à jouer » À l’étage du centre social, Khalid Felhahi aide les adolescents après l’école. Il tente de leur transmettre le devoir de citoyen, tant bien que mal. « J’essaie de leur en parler subtilement mais cela ne les intéresse pas. Ils n’ont plus d’espoir », constatet-il. « Tu es au courant, toi, Sofia ? », demande l’animateur à une adolescente du quartier. « Des élections de quoi ? On vote pour qui ? » PHRASES Au fond de la salle, Sofiane, un autre adolescent, termine sagement ses devoirs. « Oui, je suis au courant des élections. Mais ce sujet n’est pas abordé à l’école. Jamais. » Rachid El Hmam, animateur sportif, soutient le discours de Sofiane. Il admet que les enseignants n’éduquent pas suffisamment les élèves. Mais il tient à les défendre : « Les familles et les écoles ont un rôle à jouer mais c’est compliqué pour elles. Celles-ci travaillent dans des conditions difficiles et ne peuvent pas tout faire. Il faudrait un enseignement adapté ». Marouane, 20 ans, tire les mêmes conclusions : « C’est une ZEP. Les conditions sont particulières. C’est trop compliqué de capter leur attention. On a d’autres soucis majeurs ». Il a voté aux élections, mais lui-même n’y croit plus. « On a peur de voter. Peur de faire le mauvais choix, encore une fois. » Jacques Staniec coordonne le programme d’études intégrées à Sciences Po Lille, qui vise à favoriser la réussite scolaire d’élèves d’origine modeste. Proche de Patrick Kanner, il considère que « ces jeunes sont victimes de l’institution scolaire ». Pour le professeur, les politiques ont une part de responsabilité. « Il y a une incapacité à tisser des liens. Dans ce contexte, la population reste en retrait et a le sentiment d’être abandonnée. Il ne faut pas juste penser pour eux, mais aussi avec eux. Il faudrait leur redonner espoir dans l’éducation, les institutions et l’avenir. » L’abstention des jeunes à Lille-Sud semble être la conséquence d’un quotidien de plus en plus lourd à supporter. La révolte d’une population trop souvent oubliée. Pour les politiques, les « vendeurs de rêves », comme les surnomme Marouane, la tâche se révèle difficile. Le constat est simple, selon ce jeune habitant : « Ici, la baguette magique, on n’y croit plus… » ALICE DOUCHET 23 Comprenez-vous le désintérêt des jeunes ? Bien sûr, puisque moi-même je suis déçu. Les politiques leur ont fait des promesses qu’ils n’ont pas tenues. Tout le monde y croyait, moi le premier. Cette déception ne date pas d’hier. L’abstention des jeunes est aussi l’expression des parents déçus. Le devoir citoyen n’est pas transmis et les jeunes ne se sentent pas concernés pour la simple raison qu’on ne leur demande pas leur avis. Ils sont mal informés. Des rénovations sont faites mais en surface seulement. Comme le groupe de rap IAM le dit dans une de ses chansons : « C’est toujours la même merde derrière les couches de peinture ». Pourquoi avez-vous décidé de vous engager politiquement ? Je vis dans ce quartier depuis des années. Je suis conscient des nombreux problèmes puisque je les ai vécus. Les politiques sont loin de nous, loin de nos préoccupations. Comment peuvent-ils changer ou améliorer les choses dans ces conditions ? Je ne veux plus qu’ils s’occupent de nous. Je vais faire les choses moi-même. Les actions sont meilleures que les paroles ! Quelles seraient les solutions ? Il faut que les élus soient plus proches des gens du quartier. Ils ne peuvent pas comprendre ce qu’il se passe puisqu’ils ne vivent pas ici. Faire tomber les barrières entre les politiques et les habitants pourrait être un premier pas. Organiser ce qu’on appelle des descentes citoyennes, en opposition aux descentes de police. Le principe est simple, aller à la rencontre des habitants pour discuter avec eux. Il faudrait également les sensibiliser davantage et les informer sur les élections. La mise en place d’une politique de proximité est importante. La flamme citoyenne n’est pas éteinte. Je suis persuadé qu’il reste une petite étincelle, ce n’est A.D pas perdu. Il y a encore un espoir ! JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS ROULEZ JEUNESSE MOBILITÉ LE PERMIS À LA CAMPAGNE, UNE PRIORITÉ À NE PAS GRILLER Le calme, la nature... Habiter à la campagne peut être un rêve pour beaucoup. Sauf pour les adolescents qui songent à tracer leur route et découvrir d’autres horizons. Avoir le permis de conduire reste la seule solution. Exemple avec deux Nordistes, Manon et Florian. DES SCOOTERS POUR BOOSTER L’EMPLOI GUÉRANDAIS Pour les jeunes désargentés, pas évident de financer un permis ou un véhicule, donc de trouver un emploi. À Guérande, plusieurs associations se sont fédérées pour briser ce cercle vicieux. « C’est vrai qu’ici le permis est nécessaire. On a envie d’avoir notre liberté le plus vite possible, même s’il faut avoir la voiture qui va avec, évidemment ! » S ans moyen de locomotion, certaines personnes sont contraintes de refuser des offres d’emploi. » Tel est l’amer constat dressé par Catherine Bazire, directrice de La Passerelle. Cette association, installée à Guérande, a pour cheval de bataille la lutte contre le chômage. Elle dispose d’un accord avec Pôle emploi, qui lui délègue l’accompagnement de personnes. En retour, La Passerelle transmet les informations nécessaires à l’actualisation de leurs situations. Parmi les actions mises en place, Mob’île, un service de location de scooters, a été créé à l’automne 2014 en partenariat avec la Mission locale, la Fédération des maisons de quartier de Saint-Nazaire (FMQ) et le Conseil départemental. La FMQ propose ce service depuis plus de vingt ans. « À Saint-Nazaire, nous avons mis à disposition jusqu’à quarante machines, explique Christine Ramond, la direc- « Il y a deux auto-écoles dans le village, c’est vraiment un avantage. Sinon, avec ma sœur, on aurait été obligés d’aller à une auto-école de Cambrai. Ici on peut y aller à pied. Souvent le moniteur vient nous chercher chez nous pour la conduite et nous y dépose à la fin. » « Pour le moment, on s’arrange avec les parents d’amis qui habitent ici. Lorsque nous sommes plusieurs à terminer les cours à la même heure, on revient à quatre dans la voiture. Cela nous permet d’éviter une heure de bus ! Avec la voiture, nous sommes chez nous en vingt minutes environ. » À la sortie de l’autoroute A26, une longue départementale nous conduit tout droit à un village de 1 500 âmes, Gouzeaucourt. Pas énorme, mais c’est un bourg qui offre une multitude de services : commerces, pharmacie, médecins, établissements scolaires... On peut facilement y vivre en autarcie, mais lorsqu’on est jeune, ce n’est pas si simple. Pour se rendre à Cambrai, la ville la plus proche (distante de 15 km), il faut comp- PHRASES « Autour de moi, j’ai des amis qui ont déjà le permis et qui viennent en voiture au lycée à Cambrai. Pour sortir, nos parents nous amènent en ville quand ils peuvent, sinon il faut prendre le bus et patienter en ville jusqu’à la séance de cinéma par exemple. C’est contraignant... » ter sur les quatre bus de la journée, aux horaires calqués sur les cours. Retrouver des amis en ville à 16 h ? Impossible, pas de bus. Papa et maman ne peuvent vous y conduire ? Désespoir... Florian, 17 ans, et Manon, 16 ans, sont frère et sœur et en plein apprentissage du permis. Ils sont inscrits dans les deux auto-écoles du village, il ne leur reste que quelques mois de conduite. Bientôt « libérés, délivrés... » De gauche à droite : Christine Ramond, Aurélie Bazire, Yannick Ulmann et Catherine Bazire. précise Catherine Bazire. « Ce service n’est pas destiné à faciliter les loisirs. D’ailleurs, les déplacements ne doivent pas dépasser un périmètre de 25 à 30 km », poursuit-elle. 53,20 € par mois À mi-chemin de l’année d’expérimentation, aucun vol, aucune grosse casse ni souci majeur ne sont à déplorer. Il ne fait aucun doute que l’initiative va perdurer, et le parc s’agrandir. « Nous souhaitons être victimes de notre succès », lance Yannick Ulmann avec malice. En effet, cette volonté de « booster l’action » n’est pas innocente. « Le véritable objectif est de faire prendre conscience aux pouvoirs publics de l’enjeu majeur qu’est la mobilité, assure le jeune directeur. En presqu’île, il y a un vrai problème à ce sujet. » Les bénéficiaires? Des jeunes en quête de formation, suivis par la Mission locale, et des allocataires RSA en recherche d’emploi. Aucun critère d’âge, mais il faut obligatoirement être titulaire du permis AM (ancien BSR). Il est possible de louer les scooters à la journée (4,40 €), pour un entretien d’embauche par exemple, à la semaine (15,10 €) ou au mois (53,20 €). Casque, coffre et antivol sont fournis. « Les locations se font sur-mesure, en fonction du contrat décroché par nos usagers. Si besoin, la durée maximum d’un mois est renouvelable », 2 ÊTRE MONITEUR D’AUTO-ÉCOLE À LA CAMPAGNE Façade en briques rouges, l’auto-école La Belle Conduite, tenue par Aurélie et Pascal, est installée depuis maintenant dix ans à Roisel, bourg picard d’environ 1 700 habitants. « Nos élèves viennent essentiellement du milieu rural. Ils ont tous besoin du permis de conduire pour continuer leurs études et trouver un travail, comme beaucoup de jeunes, mais ce besoin se fait plus sentir en milieu rural », confirme la monitrice. « On visite beaucoup de domiciles à la campagne, on vient chercher les élèves chez eux et on les ramène après les heures de code, ce qui ne se fait pas en ville. De plus, je trouve qu’à la campagne il y a une ambiance familiale, nous les connaissons bien. Il y a aussi un côté affectif, les élèves se confient souvent à nous. » trice. Grâce à l’amélioration du réseau de transports, dix-huit suffisent désormais, et nous avons pu en prêter quelques-uns à nos voisins guérandais. » D’abord cinq, puis six, au vu du succès de l’opération lancée en juillet dernier. 18 451 étudiants Transports : Le Flop 3 des villes étudiantes les moins bien desservies 3 1 14 409 étudiants 30 460 étudiants L AURA OUDART LUCILE RICHARD 24 JUIN 2015 PHRASES 25 Appel aux pouvoirs publics PAUL DESCAMPS 1 ClermontFerrand 2 Reims 3 Limoges Une quinzaine de lignes de bus 2 citadines et 2 lignes de bus 33 lignes + 5 de trolley-bus Pas de ligne de métro Pas de ligne de métro Pas de ligne 1 ligne de tram 2 lignes de tram Pas de ligne Pas de station Pas de station Pas de station 1 gare proche du centre-ville 1 gare proche du centre-ville 2 gares JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS SANTÉ UNE GROSSESSE AU VERT Églantine habite dans un patelin du Pas-de-Calais. Elle a fait le choix de vivre au calme. En mars, la jeune femme est tombée enceinte. Comment gére-t-elle sa grossesse loin de la ville et des structures médicales ? L a campagne, ses grandes étendues de nature, la tranquillité, le silence. Un atout charme qui séduit une partie de la jeunesse. Mais, lorsque les jeunes femmes tombent enceintes, le bonheur dans le pré peut-il se transformer en cauchemar ? « C’est une question d’organisation et d’adaptation », estime Églantine, 23 ans, enceinte depuis le mois de mars 2015. Cette amoureuse du monde rural, ne le quitterait pour rien au monde. « J’ai toujours vécu à la campagne, mon conjoint aussi. On ne se voit pas vivre ailleurs. » Son village de 1 600 habitants, du Pas-de-Calais, se trouve à trente minutes de route de la maternité, située à Calais. « À chaque fois, je dois prendre une matinée ou un après-midi pour aller à mes rendez-vous. Mais pour l’instant ça va, je ne suis qu’au début de ma grossesse. » Églantine a de la chance, elle réside dans une des régions les mieux dotées en maternités, comme l’explique Nadège Lochet, sage-femme libérale à Audruicq. « Le Nord-Pas-de-Calais est un territoire à forte natalité. C’est une chance car les maternités se sont multipliées. Le trajet maison-maternité n’excède pas 30 minutes. » Dans d’autres régions, comme dans le Sud, la natalité est moins forte, il y a donc moins d’hôpitaux. « Dans ces territoires-là, plus de femmes accouchent chez elles car il y a une heure trente voire deux heures de route. » Après l’accouchement, le médecin du village prendra le relais pour aider Églantine. « Il y a toujours un suivi » Églantine ne prévoit pas d’accoucher chez elle. Ce qui ne l’empêche pas de passer sa grossesse au vert. « J’adore être au calme, avoir du terrain. C’est vraiment le lieu idéal pour nous. Mon conjoint sera toujours là pour m’emmener à l’hôpital quand je ne pourrai plus conduire. » Une chance que n’ont pas forcément d’autres jeunes femmes, qui se retrouvent bloquées chez elles. Un problème envisagé et pris en charge par les régions. « Il y a toujours un suivi pour les femmes enceintes. Il existe la Protection Maternelle et Infantile (PMI), les sages-femmes du conseil départemental ou encore, les Unités Territoriales de Prévention et d’Action Sociales (UTPAS). Ces organismes se déplacent chez les femmes enceintes et assurent les soins », ajoute Carine Massa, sagefemme libérale à Hazebrouck. Le monde rural, si paisible, ne devient donc pas un lieu hostile lors de ces grossesses. Outre les organismes d’Etat, les sages-femmes libérales sont là aussi pour faciliter les déplacements de ces futures mamans. « Nous leur rendons beaucoup service en étant implantées dans les petites villes ou les gros villages. Lorsque je me suis installée en 2013, j’ai eu un afflux rapide de clientèle. Je me suis rendue compte que le territoire d’Audruicq en avait besoin », indique Nadège. Eglantine, de son côté, profite de son petit village en attendant le mois de décembre avec impatience. Et sans stress. L AURA OUDART PHRASES 26 JUIN 2015 PHRASES Trois chiffres clés sur la maternité en France 14 KM 679 535 Entre 2001 et 2010, 1/5 des maternités a fermé en France Métropolitaine. Sources : INSEE, dress 27 Une femme accouche en moyenne à 14 km de son domicile. + de 30 Min Pour 8 départements en France le temps de trajet et de plus de 30 min. Alors que 50 % des femmes mettent moins de 17 min au niveau national. JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS TECHNOLOGIE LE HAUT DÉBIT EN DÉBAT À l’heure où les grandes métropoles naviguent à des vitesses très élevées, certaines communes rament encore. En plus d’une distance physique, c’est une distance numérique qui vient agrandir la fracture contre laquelle doivent lutter les jeunes générations. L e problème commence là où s’arrête le débit. C’est le constat que doivent tirer quelques communes. Comme le petit village d’Escobecques, à seulement vingt minutes de la capitale des Flandres. « Alors, c’est pour quand l’internet ? », ironisent les autochtones. Ils font pourtant partie des 98,3 % de la population desservie par l’ADSL. En théorie. « Une vraie galère » Il semble que rien ne fasse défaut aux Escobecquois. Mais un mégaoctet vous manque et tout est désœuvré. « C’est une vraie galère. Envoyer et recevoir des e-mails, ça va. Mais si vous avez le malheur d’y ajouter une importante pièce-jointe, c’est fichu » , expose d’emblée Alain Cambien, le maire de la commune d’à peine 300 habitants. Pour travailler ou même jouer, certains des 80 jeunes du village se sentent exclus. « Pour des cours, pour échanger en direct, pour travailler, c’est vraiment problématique. Pour télécharger un document pour le lycée, il faut parfois plusieurs heures... », explique l’un d’entre eux. Le sombre bilan des jeunes étudiants revient en boucle. « On minimise l’impact, alerte le maire, mais cela peut être vraiment excluant pour les utilisateurs, les jeunes en particulier », conclut-il. Julien, étudiant, abonde dans ce sens : « Ne serait-ce que pour les jeux de guerre en ligne, par exemple. Le duel n’est plus dans le principe même du jeu, mais dans celui qui pourra réagir plus vite grâce à sa meilleure connexion », sourit-il, un brin amer. Alors, las d’attendre prostrés devant un écran qui se fige, Escobecques et vingt-deux autres municipalités se sont 100 % FIBRE, UNE PROMESSE À DÉFINIR C’est sûr, en 2020, plus personne ne sera exclu du très haut débit. Tout le monde pourra regarder la télévision, en bavardant au téléphone, et en téléchargeant (légalement) des dizaines de films. Même dans le Larzac ! C’est en tous cas la promesse faite par les opérateurs et soutenue par l’État. En pratique, tout le monde ne bénéficiera pas de plusieurs centaines de Mégaoctets/seconde. « C’est très cher de tirer un nouveau réseau pour porter la fibre optique. Ce qu’on étudie actuellement, c’est pousser le réseau cuivré à son maximum », explique Laurent Herbois. La promesse de ne plus laisser des zones dans l’ombre semble être respectée : « En jouant avec le cuivre, on pourrait atteindre du 30 Mo/seconde, ce qui conviendrait largement à de petites communes ». Même si l’entretien du réseau cuivré coûte cher, les lignes tirées dans les années 70 ne sont pas près de mourir. « On étudie financièrement comment ne pas faire disparaître prématurément le cuivre, affirme l’employé de chez Orange. L’entretien de la fibre ne coûtera quasiment rien, exceptées les dépenses liées à la main-d’oeuvre, mais cela restera toujours moins cher pour le moment de garder le cuivre pour les petites communes et de développer son potentiel. » SOLUTIONS DES ALTERNATIVES AU RÉSEAU CUIVRÉ WIMAX Le nom de ce mode de réception promet un débit du tonnerre. C’est par les ondes hertziennes (comme celles de la télévision) que se propagent les données. En théorie, c’est près de 70 Mo/ seconde sur une dizaine de kilomètres à la ronde que propose le Wimax. En pratique, c’est entre 2 Mo/s et 10 Mo/s, ce qui est déjà assez rapide. PHRASES 28 regroupées afin de crier leur ras-le-bol. « Avec les maires des communes alentours, on a décidé d’unir nos demandes, mais pour l’instant, même l’unité n’y fait rien », regrette Alain Cambien. Pertes électromagnétiques Il s’agit pourtant bien plus de considérations techniques que de décisions politiques. Laurent Herbois, employé chez l’opérateur historique Orange, explique comment une telle situation perdure : « Le réseau cuivré, qui permet de délivrer l’ADSL, connaît des pertes électromagnétiques au fur et à mesure que le câble s’allonge. Aujourd’hui, on essaye de réfléchir à des alternatives autres que la fibre, trop coûteuse, mais qui résoudront tout de même le problème de ces ville ». À cela s’ajoutent des « frais d’installation et d’entretien élevés » qui rendent les opérations difficiles. Et c’est bien là le nœud de la question pour le village qui se situe à cinq kilomètres du central de raccordement d’Haubourdin. SFR, en charge du secteur sur lequel se trouve Escobecques, avait promis à la bourgade des travaux pour début 2015. En attente, pour l’instant. « On en avait entendu parler, et on sait que le maire effectue les démarches... mais on attend toujours une réponse de l’opérateur », se résigne un habitant. Et même si le maire a aperçu SATELLITE « quelques techniciens en bordure de ville », rien d’officiel ne lui a pour le moment été communiqué. Village sous répondeur Au désespoir du web vient s’ajouter celui du téléphone, mobile ou non. « On nous a dit que le village était couvert en 4G, ou au moins 3G, mais il y a parfois de grosses carences. Pour le téléphone domestique, c’est difficile d’avoir suffisamment de COURANT PORTEUR Le CPL est l’abréviation de Courant Porteur de Ligne. Vous l’aurez compris, il s’agit là de transmettre des données par le réseau électrique d’EDF. En pratique, cette méthode est peu fréquente, même si le débit est correct. L’installation d’un tel système se fait le plus souvent à la maison, pour un réseau local. Recevoir l’internet haut débit par voie satellitaire constitue une bonne solution de remplacement. Le prix des matériels ayant considérablement diminué ces dernières années, il est possible d’obtenir partout en France ce type de réseau. Certains départements subventionnent d’ailleurs l’achat du modem et de la parabole. JUIN 2015 réseau pour le peu que l’on soit sur l’ordinateur, ou en train de regarder la télévision », désespère Julien, dont les amis sont ultra-connectés. À l’heure où 512Ko suffisent à effectuer les formalités, c’est trop peu pour vivre une vie « normale ». Et pour cause : « La télévision demande d’avoir un débit d’au moins 4 Mo. Si on y ajoute le téléphone et l’ordinateur dans le même temps, c’est vrai que cela devient difficile… », concède PHRASES Laurent Herbois. Pour ce qui est de la promesse du raccordement métropolitain à 100 % de la fibre d’ici à 2020, le spécialiste de chez Orange tempère la promesse : « En réalité, ce ne sera pas 100 % fibre. Ce sera la fibre dans toutes les grosses métropoles, et un débit revu à la hausse dans les communes en marge comme à Escobecques » [lire ci-contre]. Tout le monde le connaît. Sur portable, tablette, et même sur la télévision, on y a accès. Le problème : si le réseau domestique est déplorable, le réseau sans-fil qui sera émis le sera tout autant. Il s’agit ici d’une autre source d’émission que votre Box. Les ondes radio de la WiFi sont donc propagées par un réseau aérien, et peuvent être captées par celui qui possède une antenne de réception. 29 RÉMY EYLETTENS WI-FI JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS Abdellah réalise un salto arrière à l’entraînement, au Pôle Deschepper de Roubaix. LE CHAMP DES TOURS « La logique peut vous mener d’un point A à un point B. L’imagination peut vous mener partout. » A. Einstein. Les traceurs en ont fait une devise. NOUVELLE DISCIPLINE LE PARKOUR FORME LA JEUNESSE De sacrés phénomènes déambulent dans les rues de Roubaix (Nord). Plus connus sous le nom de traceurs, ce sont les 80 licenciés de l’association Parkour 59. Une jeunesse physique abonnée aux prouesses techniques. C hevelure teintée de rouge, pendentif jaune vif : Kim Cleton arbore des airs de chasseuse indienne. Elle en a d’ailleurs toutes les qualités : un regard perçant, une posture gracieuse, tout en souplesse et en agilité. Seulement, en lieu et place des plaines, elle arpente les trottoirs et franchit les murs. En fait, elle traque les meilleurs spots pour s’entraîner…Ou, selon le jargon du parkour, pour tracer. « J’ai fait beaucoup de sports différents : du break, de l’équitation, de la boxe française, de l’escalade. Je suis tombée par hasard sur une vidéo de parkour. C’est le sport qu’il me fallait. » Kim a 22 ans. Elle découvre le parkour en septembre dernier. Elle vient alors d’obtenir son brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport. « J’avais envie de grimper partout. En même temps, je veux enseigner le sport. J’ai donc pris contact avec Larbi Liferki, le président de l’association Parkour 59. » parkour depuis un ou deux ans maximum. Il ne faut pas s’attendre à voir des Yamakasis [film de Ariel Zeitoun] sauter dans tous les sens. On en a quand même quelques-uns qui débordent d’énergie et qui ont une très bonne détente. Ils peuvent te faire un salto arrière sur place. » Pour autant, les muscles ne suffisent pas. Pour tenir sur leurs pattes, ces acrobates cultivent aussi l’équilibre mental. Là-dessus, Amine est encore plus exigeant : « Ils ne doivent pas prendre des risques inconsidérés. C’est la mentalité qu’on leur inculque à l’entrainement : observation, concentration, maîtrise de soi. » La ville devient un terrain de jeu… Ici, la place François-Mitterrand, près de la gare Lille-Europe. L’imagination des traceurs n’a pas de limite. L’investissement de la ville est quant à lui plus hésitant. Yann Masia, vice-président de Parkour 59 déplore l’absence, dans la métropole lilloise, de salles réservées au parkour. « On doit jongler entre la salle Buffon, la salle Lejeune et le Pôle Deschepper. On perd du temps dans l’organisation. On ne peut pas non plus investir dans des infrastructures sérieuses, puisqu’il faudrait les déplacer d’un lieu à un autre. » Une situation qui s’étend à l’échelle nationale : il n’ y a pas de fédération française de parkour, même si c’est un français, David Belle, qui a créé Athlète mental Après six mois d’entraînement intensif, cette sportive chevronnée commence son service civique début mars. « Il faut une certaine condition physique, que j’avais déjà un peu au départ, heureusement. Mais le mental reste le plus important. Il faut surmonter sa peur. » Il n’y a cependant pas que la peur du vide qui guette les traceurs : « Il ne faut pas craindre de se ridiculiser, surtout devant les gars. Entre Kaïna, une fille de 16 ans, et moi, règne un esprit de compétition. Amical , bien entendu. Chacune chambre l’autre, on se marre, et ça l’aide à dépasser ses blocages ». Amine a dépassé les siens depuis belle lurette. Animateur de 19 ans, en contrat d’avenir au sein de l’association, il pousse les jeunes à se surpasser. « La plupart font du la discipline. « Le parkour est né en France, mais il est bien plus développé dans les pays anglo-saxons, s’étonne Yann. À Londres, tu trouves des parkour-park sans problème. » Le fossé se creuse encore outre-Atlantique. Yann l’observe : « Aux États-Unis, le Ninja Warrior, qui se rapproche le plus du parkour, est très développé. Les tenants de la discipline négocient en ce moment avec le comité olympique pour que l’art du déplacement devienne un sport olympique. On ferait un sacré bond en avant ! » En attendant que le rêve se réalise, l’association multiplie les projets, qu’elle sou- met à la ville dans l’espoir de recevoir des financements. Et continue de trimbaler ses jeunes entre salles de gym et spots de rue. Yann y reste très attaché : « Le parkour se développe d’abord sur des lieux qui ne sont pas faits pour au départ ». Un banc, un muret, un lampadaire. Chaque élément du décor urbain peut servir au parkour. Mais pour cela, le traceur doit être créatif. À chaque entraînement, Amine le répète : « C’est l’essence même de la discipline. Émancipez-vous des contraintes, transformez votre environnement en terrain de jeu ! » PIERRE JULIENNE «Tracer à plusieurs, ça te donne des idées de figures, et ça aide à te surpasser ! » Matthieu. « Le parkour se développe d’abord sur des lieux qui ne sont pas faits pour… au départ. » YANN MASIA PHRASES 30 JUIN 2015 PHRASES 31 JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS FOOTBALL BOXE “ JE PASSE POUR UN EMMERDEUR ! ” UN EMPLOI AU BOUT DES GANTS Le temps passe et les connexions se font de plus en plus nombreuses entre urbains et ruraux. Cependant, les rencontres de football dominicales restent un théâtre où s’affichent les antagonismes. À 25 ans, l’arbitre Benjamin Maugé en est le témoin privilégié. Chargé d’études marketing la semaine, il vient de siffler la fin de sa 12e saison sur les gazons. L’ancien champion du monde de boxe Christophe Tiozzo a fondé la première Académie qui porte son nom après les émeutes de 2007 à Villiers-le-bol. Elle vise à donner accès à la boxe au plus grand monde et à favoriser l’insertion professionnelle. À quel niveau exercez-vous ? Je suis arbitre régional, affilié au club de Quiberon, ma ville d’origine. J’arbitre donc à travers toute la Bretagne, principalement en DSE (7e échelon national). Il m’arrive également de faire la touche pour des matchs de CFA et CFA 2. Avec quatre équipes en L1 (en comptant Nantes), le foot professionnel breton se porte bien. Les petits clubs aussi ? Pas tous. Ici, la distinction est assez nette entre villes et campagnes. En zone rurale, les clubs sont souvent bien mieux structurés. L’encadrement y est fidèle et plus nombreux, les infrastructures souvent en meilleur état, il y a de la place pour recevoir le public... En ville par contre, il n’y a pas assez de moyens pour financer tous les clubs. Dans la banlieue de Lorient par exemple, sept clubs évoluent à mon niveau. Trouver un terrain décent pour tout le monde, c’est presque mission impossible. Quelles sont les conséquences de ces inégalités ? Pour moi, il est plus difficile d’arbitrer dans les clubs de banlieue à moyens réduits. Souvent, leurs terrains sont également utilisés en semaine pour les loisirs, et je dois notamment me battre pour avoir des filets en bon état. Quand je constate une irrégularité, je passe directement pour un emmerdeur qui veut les enfoncer. Pas les meilleures conditions pour commencer un match ! Une fois, j’ai également dû arrêter une partie une demi heure parce que les supporters se tenaient trop près du terrain. Mais je comprends certains comportements : assister à un match entre des tours et derrière une grille qui fait vraiment prison, ce n’est pas très agréable... Footballistiquement, y a-t-il de vraies oppositions de style entre campagnards et banlieusards ? Pas toujours. Mais dans l’ensemble, ça joue beaucoup mieux en ville. Plus de passage, plus de joueurs techniques qui viennent de centres de formation... À la campagne, le jeu est plus physique et basé sur la solidarité. Je dois donc faire preuve de pédagogie quand les deux mondes s’affrontent. Les jeunes de cité sont rapidement frustrés, partent plus au quart de tour, après un contact ou une parole mal Benjamin Maugé (au centre), fier d’arborer le drapeau breton au Stade de France. perçue. Quand je sens que ça va être un match à cartons, j’attends un peu avant de mettre le premier. L’espoir d’un emploi En douze saisons d’arbitrage, tu as remarqué des évolutions ? Je n’ai pas remarqué de changements profonds. Par contre, j’ai vu évoluer certains clubs. J’ai en tête l’exemple d’un club vannetais, l’Association sportive des Turcs de l’Ouest. Il y a quelques années, ça se passait toujours très mal chez eux. Il y avait un manque cruel d’organisation, beaucoup de bagarres, des arbitres frappés, etc. Puis peu à peu, la communauté turque – mais pas que – s’est soudée pour mieux encadrer les équipes. Avant, j’aurais presque eu peur d’y aller, aujourd’hui c’est un plaisir. Ils sont chaleureux, accueillants, proposent aux arbitres sandwich et boisson... Leur accession au niveau régional joue certainement aussi. En-dessous, les juges de touches sont fournis par les clubs, ce qui favorise la mauvaise foi et engendre souvent des tensions ! L’Académie met en relation ses boxeurs assidus et volontaires avec des entreprises partenaires qui présentent leurs métiers et proposent, le cas échéant, formations et emplois. « Douze académiciens ont retrouvé un emploi grâce à nous », se félicite Frantz Basinc, président du club depuis un an. Le parcours d’insertion professionnelle est très encadré, il faut être licencié du club depuis au moins six mois et être sélectionné par l’entraîneur. « Le volontaire signe ensuite une charte d’engagement et fait valider son projet professionnel par le pôle insertion », détaille le président. Christophe Tiozzo a eu l’idée de ces Académies après les émeutes de 2007 à Villiersle-Bel. L’ancien champion du monde des super-moyens WBA** a voulu ouvrir des salles de boxe dans les quartiers délaissés pour canaliser la violence et faire de l’insertion par le sport. Celle de Villiers-le-Bel a été fondée en avril 2008, c’est la première des dix-huit académies qui portent son PROPOS RECUEILLIS PAR PAUL DESCAMPS « En zone rurale, les clubs sont souvent bien mieux structurés. » Benjamin Maugé (en bas à gauche) sur la pelouse, prêt à jouer... PHRASES T he Eye of the Tiger résonne dans la salle de l’Académie Tiozzo à Villiers-le-Bel, rythmé par les coups sourds des gants sur les sacs de frappe. Ludovic se livre à une séance de shadow-boxing*. Il se remet tout juste de son dernier combat, disputé il y a une semaine. « J’ai perdu par arrêt de l’arbitre au deuxième round », explique-t-il, les dents serrées. Mais pas question pour lui de jeter l’éponge : « J’ai pris une semaine de repos et je m’y suis remis. Enfiler les gants, ça fait du bien ». Ce club de boxe, il en a entendu parler sur Internet. Il a d’abord vu le nom Tiozzo : « Je me suis dit : “Ah ça je connais” C’est un grand nom de la boxe ». Puis il a appris l’existence du parcours d’insertion professionnelle de l’Académie Tiozzo. Il a alors quitté Dijon dont il est originaire. « Je suis parti parce que niveau emploi, je n’avais plus rien là-bas », résume-t-il. JUIN 2015 nom. Aujourd’hui, grâce à elle, ce sont 115 licenciés qui ont accès à la boxe. Jean est l’un d’eux. Il est venu au noble art « par admiration pour François Pavilla », un boxeur martiniquais des années soixante. Une légende sur son île d’origine. La boxe avant tout Jean n’est pas là pour trouver un emploi mais pour apprendre à boxer, tout simplement. Il participe chaque semaine à tous les entraînements. « Ça t’apporte force, endurance et vitesse, explique-t-il. Et, ici, on peut pratiquer dans des conditions idéales. Il y a deux rings et du bon matériel. » Et même s’il descend du ring avec la lèvre inférieure gonflée et ensanglantée, le jeune homme vante l’atmosphère de l’Académie : « Au club, l’ambiance est familiale, car si tu commences à boxer méchant, l’autre va te rendre les coups plus fort. Ce n’est pas le but à l’entraînement ». Jean bat en brèche « J’ai quitté Dijon parce que niveau emploi, je n’avais plus rien là-bas. » LUDOVIC BENJAMIN MAUGÉ 32 Ludovic a trouvé l’Académie Tiozzo de Villiers-le-Bel sur Internet, attiré par le nom de l’ancien champion du monde. PHRASES 33 le cliché selon lequel son sport est violent : « Au contraire, la boxe permet de se fixer des objectifs et de relativiser certaines choses. Je sais que dehors, ça ne sert à rien d’en venir aux mains. Tu as tout à y perdre. Mieux vaut passer son chemin et tracer sa route ». CLÉMENT VARANGES * Boxe dans le vide devant un miroir **World Boxing Association Jean s’entraîne trois fois par semaine sans relâche. JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS LILLE-SUD “ LE CENTRE SOCIAL ? C’EST NOTRE POINT DE REPÈRE ! ” Lille-Sud est un quartier « au bout de tout ». Au milieu des nouvelles habitations, se dressent deux géants : les centres sociaux Lazare Garreau et de l’Arbrisseau. Deux institutions qui permettent aux jeunes d’échapper à la rue. Même après la fermeture du centre social, les jeunes restent ensemble. Ils se sentent ici comme chez eux. U n quartier presque exclu de la ville, peu de transports en commun, peu d’espaces de loisirs. Pourtant, dans les rues, les jeunes ne zonent pas. Dès 18h, la plupart se réfugient dans les centres sociaux. En arpentant les rues, le regard est intrigué par une masse de béton, une « soucoupe » comme disent les habitants. Le centre social Lazare Garreau est posé là, au milieu d’immeubles encore en travaux ou flambant neufs. Quelques rues plus loin, c’est son homologue que l’on découvre. Bloc soviétique « Après le centre, ils rentrent chez eux, il n’y a plus rien à faire. Personne ne s’occupe d’eux en dehors de nous. » RACHID EL HMAM PHRASES ou vaisseau spatial ultra-moderne, il est impossible de le rater. Le nom et le logo du centre social de l’Arbrisseau sont inscrits en grosses lettres sur le portail. Les deux centres sociaux ne manquent pas d’attirer l’œil. Comme un pied de nez à la rue. Mais alors, quel est leur véritable rôle pour les jeunes du quartier ? Une liberté de mouvement L’accueil des 16-25 ans ne peut pas se faire de manière classique. « Ce ne sont plus des enfants, on ne peut pas leur dire de venir de telle heure à telle heure, ni leur imposer une activité », explique Rachid El Ouahab, le coordinateur du secteur jeunes adultes du centre social Lazare Garreau. C’est pourquoi ici, l’accueil se fait en soirée, de 18 h à 21 h, voire plus. C’est dans une petite salle, au rez-de-chaussée, qu’ils se retrouvent tous. Autour d’une table, d’un billard ou d’un babyfoot, ils viennent 34 ici chercher des réponses, un défouloir, ou simplement une présence. « C’est un accueil libre, il n’y a pas de contrainte. En fait, c’est une réponse à un besoin », poursuit Rachid. Le but est d’attirer les jeunes pour qu’ils puissent fréquenter le centre social. « On essaie de nouer un lien avec eux, on s’identifie en tant qu’animateurs, on instaure une relation de confiance. C’est compliqué parfois. » Compliqué mais réussi. À l’année, environ 150 jeunes passent par le centre social, selon les actions. Une cinquantaine vient très régulièrement, pour une recherche d’emploi, des activités sportives ou des séjours. La plupart débarquent dès l’enfance. « Mes frères sont venus, du coup j’y suis allé aussi. Aujourd’hui, c’est un lieu de rencontre, on se donne rendez-vous ici. Le centre social ? C’est notre point de repère », indique Younesse, 22 ans. La notion d’accueil est importante, primordiale, pour Rachid El Ouahab : « Le JUIN 2015 centre social est une maison de quartier intergénérationnelle, avec des projets collectifs, dans lesquels les jeunes doivent s’impliquer ». C’est en effet la contrepartie : les jeunes sont accueillis mais ils doivent donner un peu de leur temps et s’impliquer dans les projets et la vie du centre social. Certains font partie du conseil d’administration, d’autres montent des projets. Younesse, casquette sur la tête, affalé sur une chaise, parle du centre comme de sa seconde maison. Il a réussi à « monter des projets ski, plusieurs fois, pour pouvoir partir avec les autres ». Sans le centre social, le natif de Lille-Sud avoue qu’il n’aurait peut-être jamais vu la neige. Au centre social de l’Arbrisseau, les objectifs sont les mêmes : « On cherche à favoriser l’insertion sociale et professionnelle, on est là pour écouter et apporter des réponses », explique Reda Ghali, coordinateur du secteur jeunesse. Le but est alors de mettre en avant les valeurs de respect, de tolérance, de partage et de solidarité, qu’ils n’apprendraient pas dans la rue. Il poursuit : « On aide les jeunes à monter des projets autonomes, comme des séjours. Mais on organise aussi des débats, sur PHRASES la citoyenneté notamment, avec des associations. On parle de la place des jeunes dans la société ». Les 16-25 ans font partie d’une tranche d’âge spécifique, qui n’a pas les mêmes besoins que les plus jeunes. « Ils attendent beaucoup de nous, parfois leurs parents sont moins présents, alors c’est vers nous qu’ils se tournent. On adapte notre offre pour eux, il faut savoir être innovant parce qu’ils sont vite blasés ! », plaisante Reda. Pour les jeunes, une chose est claire : sans le centre social, ils ne feraient rien. « J’ai rejoint la troupe de danse du centre, dans laquelle je suis très impliqué. Ça m’a aussi permis de partir en voyage, de sortir du quartier », annonce Kévin, 17 ans. Une liberté cadrée, qui répond parfaitement à leurs besoins et à leurs problématiques. exemple, on devait avoir des emplois pour les jeunes… Mais au final ils ont embauché d’autres personnes. Avec le projet Lillenium, ça va être pareil : toujours des paroles en l’air », peste Rachid El Hmam. Malgré les venues des politiques, la plupart des problématiques des jeunes restent sans réponse. « Ils demandent plein de choses. Nous sommes les seules personnes à qui ils peuvent tout dire », explique Karim Dahmani, animateur. « Je sais que je peux les aider. Juste être attentif et savoir être à l’écoute pour les guider, ça les aide », poursuit-il. Sans le centre, les jeunes resteraient sans réponse. Les autres instances prennent peu la peine de les écouter. « Heureusement qu’on les accueille », indique Karim. Laissés pour compte ? Le centre social est un lieu clé du quartier, une seconde maison pour tous ceux qui le fréquentent régulièrement. « Ça devient presque un automatisme de venir ici ! », s’amuse Marouane, 20 ans, habitué du centre Lazare Garreau. Yasmine, Yania et Farah, trois copines, parlent et rient très fort dans le hall. Quand on leur demande pourquoi, à 19 et 20 ans, elles ressentent encore le besoin de venir au centre social, la réponse est unanime : « C’est notre maison ici ! » « Aujourd’hui, ils viennent pour se défouler ou pour parler. On doit être là pour eux à tout moment », renchérit Rachid El Hmam, éducateur sportif et animateur. Assis sur un banc, le regard posé sur les jeunes qui jouent au foot, Rachid parle avec une once de regret, parfois même avec un peu de colère. « Après le centre, ils rentrent chez eux, il n’y a plus rien à faire. Personne ne s’occupe d’eux en dehors de nous. » Avant, ils pouvaient se retrouver dans la salle de la Chênaie, à deux rues du centre social Lazare Garreau. Mais aujourd’hui, elle est fermée, privant le quartier de complexe sportif. « Depuis la fermeture de la salle, je pense qu’une quinzaine de jeunes sont en prison », annonce Rachid. Depuis, ils doivent aller à Loos ou à Porte de Douai pour pouvoir jouer au foot. « C’est quand même incroyable : nous devons aller à la salle, ce n’est pas la salle qui vient à nous », regrette-t-il. Derrière la salle de sport, il y avait un réel accueil. « Du coup, maintenant, ils retournent à leurs magouilles… », déplore Rachid. À travers le sport, c’est tout un travail qui est fait. « Parfois, on doit rattraper l’éducation des parents. Par exemple, un jeune est arrivé, il ne savait pas dire une phrase sans placer une insulte. Aujourd’hui, ça va mieux. Bien sûr, ça prend du temps. Rien ne se fait en un jour. » Des paroles mais peu d’actes Pour ne rien arranger, la plupart des promesses des politiques volent en éclat. Le quartier se métamorphose, mais pas au rythme ni à l’avantage de la population. « Ça casse les motivations, les jeunes ne croient plus en la politique. Ça nous décrédibilise aussi : on relaie des promesses qui ne sont jamais tenues. Avec le Grand Sud, par 35 Mot d’ordre : convivialité « Juste savoir être à l’écoute pour les guider, ça les aide. » K ARIM DAHMANI Les sourires sont sur toutes les lèvres. Animateurs comme jeunes ne se voient pas ailleurs. Bilal, stagiaire, n’a jamais cessé de venir. « J’ai été relogé avec ma famille à Mons-en-Baroeul quand j’avais 11 ans. Aujourd’hui, j’en ai 19 et je ne veux pas partir d’ici. C’est comme revenir aux sources ! » Pour Rachid El Hmam, le centre social est « un endroit où tout le monde se réunit. Un point de repère, parfaitement situé géographiquement dans le quartier ». Tout favorise l’écoute : « Le cadre est posé, rien n’est pressé. Les jeunes se sentent à l’aise, on les comprend mieux et ils nous comprennent mieux », poursuit-il. Tout le monde parle du centre social, c’est un point fort, une institution indispensable. « S’il n’y avait pas le centre social, les jeunes seraient dans les rues », avoue Rachid. Il conclut : « Le mieux, c’est quand on se rend compte que le centre social a pris le dessus sur la rue » NINA DWORIANYN JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS CULTURES URBAINES PLOUCSTA RAP QUAND LE HIP-HOP EFFACE LA FRONTIÈRE DU PÉRIPH’ MC CIRCULAIRE : ON N’EN A PAS FAIT LE TOUR Un langage fleuri qui sent bon la campagne, un accent et des punchlines efficaces : le style du rappeur MC Circulaire a traversé les frontières vendéennes au point de devenir un genre. MC Circulaire, peux-tu présenter ta carrière et nous expliquer le ploucsta rap ? Je suis MC Circulaire, morbihano-vendéen exilé en Suisse, dix ans dans le “Rap Game” et prophète du ploucsta rap en toute humilité… Du coup, c’est du rap de plouc, pour et par les ploucs. En transmettant sa passion du hip-hop aux plus jeunes, le danseur Sammy Adel (au centre) fait bouger les frontières du quartier de Lille-Sud. O n va leur montrer qu’à Lille-Sud y’en a qui sont chauds, qu’à Lille-Sud ça freestyle sévère* ! ». Ultimes répétitions avant la représentation. Sammy Adel, 26 ans, motive ses jeunes danseurs. Les ados de la troupe « 109 » sont invités à participer à un gala de danse. Ils peaufinent leur chorégraphie de hip-hop au centre social de l’Arbrisseau. Sammy, natif du quartier, mène la danse avec exigence : « Dans mon travail, je veux que les choses soient bien faites. Je ne me prends pas au sérieux, mais ça, c’est du sérieux ». Pour tirer le meilleur de chacune de ces graines de danseurs, il n’hésite pas à hausser le ton quand la bande d’adolescents s’éparpille à chahuter. Un simple rappel à l’ordre de cet expert du popping** et du lockin’***, et toutes les têtes se recentrent sur lui. Ce grand frère un peu ours, au regard tendre et plein de bienveillance pour les jeunes du quartier. Sammy est entré dans le milieu du hip-hop il y a 9 ans. « Je m’y suis mis sérieusement il y a 4 ans. J’ai pris des cours sur Roubaix, Tourcoing, Villeneuve d’Ascq… Il y avait des cours à LilleSud. Mais les tarifs n’étaient pas accessibles pour un jeune du quartier. » Il se souvient, tout sourire : « J’ai commencé à danser pour délirer avec des copains. Pour impressionner les filles aussi ! » Ce qui n’était au début qu’une distraction est devenue sa profession : il est aujourd’hui chargé de développement culturel au centre social de l’Arbrisseau. « C’est la seule chose que j’aimais et que je voulais faire, à un moment de ma vie où je n’avais pas de travail. » Il s’est formé, et transmet aujourd’hui sa passion aux jeunes de 12 à 25 ans. De sa détermination est née la troupe « Eclec’Street », puis plus récemment « 109 », en janvier 2015. Pour le plaisir de s’affronter sur scène INFO PRATIQUE Centre social et culturel de l’Arbrisseau / www.larbrisseau.com PHRASES Lille-Sud est un quartier en pleine mutation urbaine, mais il reste malgré tout enclavé par sa situation géographique. À l’emplacement des anciens remparts de la ville, dont le démantèlement a commencé après la première guerre mondiale, se trouve aujourd’hui le boulevard périphérique. Le « rempart de pierres » s’est transformé en « rempart routier ». Rachid El Ouahab est éducateur au centre social Lazare Gareau. Pour cette figure du quartier – il y travaille depuis quinze ans – même si l’isolement des habitants n’est plus aussi flagrant qu’il y a quelques années, il reste une réalité : « On entend parfois encore des jeunes dire : “Je vais à Lille”. Dans leurs esprits, ce sont deux territoires différents. Ils ne se sentent pas 36 Lillois, mais habitants de Lille-Sud. Lille, c’est une autre ville ». Les démonstrations et les battles**** de hip-hop organisées par Sammy, et son riche réseau dans le milieu des cultures urbaines, attirent des danseurs qui n’auraient jamais mis les pieds à Lille-Sud s’il n’y avait pas ces rencontres. « Aujourd’hui, j’ai gagné la confiance des habitants et des acteurs du milieu du hiphop. Nous avons organisé un grand battle il y a quelques mois. Nous avons reçu des gens du coin, mais aussi d’Arras, de Paris, et même d’Amsterdam ! Il n’y avait pas de récompense à la clé, comme il peut y en avoir parfois. Ils se sont juste déplacés pour le plaisir de s’affronter. » La passion de Sammy l’a emmené loin, jusque de l’autre côté de l’Atlantique. « Je suis allé à Los Angeles. L’Amérique, ça fait rêver les jeunes. Pourtant je ne me suis pas “retrouvé” là-bas. Humainement, la grande expérience, c’est l’Afrique. » Il a le projet de la faire partager aux jeunes. La petite troupe se mobilise pour récolter des fonds qui leur permettront de partir au Sénégal, si tout va bien, à la Toussaint. « Je n’ai pas la prétention de favoriser la mobilité des jeunes. Mais c’est certain que ce « concept » qu’est le hip-hop favorise les rencontres. Il peut participer à les faire grandir plus vite que d’autres. » En attendant de s’envoler pour l’Afrique, à Lille-Sud aujourd’hui, ça freestyle sévère. ANNE LEBURGUE * Ça bouge grave ! ** Le popping est une danse dont le principe de base est la contraction et la décontraction des muscles en rythme *** Le lockin’ est un type de danse funk rattaché à la culture hip-hop **** Les battles sont des défis de danse entre deux danseurs JUIN 2015 Qui t’inspire dans le rap ? J’écoute surtout les classiques : Dre, Nwa, Public Enemy, Mos Def, Dmx, Krs One etc... Mais en ce moment, j’écoute de la trap*, je vais peut être m’y mettre d’ailleurs. Qu’est-ce-que tu fais en ce moment ? En ce moment, je bois une bière... (rires) J’ai enregistré de nouveaux morceaux, dont un feat avec Patrick51. Ça devrait sortir cet été. Beaucoup de monde veut voir notre groupe aux quatre coins de la France. Seulement, il y a peu de concerts qui se goupillent, donc avis aux programmateurs, on ramène du monde en général. Grandir en Vendée, est-ce qu’il y a pire ? Ah y’a pire que de grandir en Vendée, j’aurais pu grandir à Paris.Et à l’heure actuelle, je ferais de la house... Dans Demain, c’est trop tard (1 500 000 vues sur Youtube), tu plains la France qui « squatte » les arrêts de cars à boire de la Valstar. Que penses-tu de la politique menée envers la jeunesse des bleds paumés ? C’est simple, y’a pas de politique menée envers la jeunesse rurale. On est la France oubliée. Ils en ont rien à foutre les politiciens… Pas nombreux, pas dangereux, on ne rapporte pas de voix. Autant te dire qu’ils s’en beurrent le c.. de la jeunesse à la campagne. Ils construisent un parc pour les petits et espèrent ramener une famille ou deux. De temps en temps, ils repeignent un skate-park à l’abandon. Ils se battent pour que leur bourgade soit élue ville fleurie. Ils ajoutent à cela un playground en gravier, emballé c’est pesé. espagnol. Tant que t’as le frisson quand les basses partent, fais-toi plaisir. Tu dis dans une chanson, que les vieilles fraises tiennent des propos racistes. Aujourd’hui, il semble que le Front National attire également les jeunes... Je n’ai aucun avis sur la question. J’en ai rien à foutre de la politique d’autant plus qu’ils n’en ont rien à cirer de moi. Je n’ai jamais voté, c’est leur jeu avec leurs règles… Ils ne m’ont pas attendu pour y jouer et ils ne parviendront pas à me faire croire que je pourrais éventuellement arbitrer. Toujours pas de page Wikipédia mais tu es cité sur celle de la Valstar … Pas de page Wiki ? Je sais pas si je vais m’en remettre...On n’est pas hyper présent sur le net parce qu’on a autre chose à foutre. Et puis parce que ça prend du temps, qu’on n’a pas envie d’envoyer une photo du plat de mogettes qu’on va bouffer pour que les gens nous disent: c’est génial des mogettes ! On préfère lâcher des morceaux et puis rester sur l’essentiel ! À quoi ressemblerait, selon toi, la campagne sans le foot et la mobylette ? Manquerait plus qu’ils nous prennent l’alcool… On picolerait plus, mais vu ce qu’on torche déjà, je ne sais pas si c’est humainement possible. On se ferait encore plus chier et, pareil, c’est difficile à imaginer... ARTHUR CONANEC * Hip-Hop électro Comment expliques-tu le phénomène hip-hop en campagne ? Je ne sais pas. Y’a pas mal de points communs entre la campagne et la banlieue. Même si évidemment, il y a beaucoup de différences, il y a le même ennui. Tous deux sont des milieux populaires. Dans l’un comme dans l’autre, on se sent exclu. Du coup, on partage la même colère… Et puis après, c’est la musique. Tu p e u x écouter du f lamenco sans être « J’en ai rien à foutre de la politique d’autant plus qu’ils n’en ont rien à cirer de moi. » PHRASES 37 JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS HANGAR DES MOUETTES : L’ART PREND SON ENVOL DE L’ART SUR LE PORT LES RAMIFICATIONS DU JOKELSON D « Jokelson & Handsaem, entreprises maritimes » : un bâtiment à l’abandon dont la jeunesse dunkerquoise s’est emparée il y a une dizaine d’années. Au « Joke », ils se retrouvaient pour organiser des concerts, des performances, ou encore des rencontres artistiques. Ses portes et ses fenêtres sont aujourd’hui condamnées. Pourtant, son esprit perdure. Sur le Môle, le vent n’est pas près de s’arrêter de souffler. Il propage les initiatives artistiques et culturelles sur le port industriel. © Flavie Leleux DE L’ENTREPÔT DES SUCRES ÉMANE FRUCTÔSE N ous avons toujours ouvert les bâtiments avant de les avoir. Au bout d’un moment, la mairie en a marre de devoir changer les serrures », raconte Benoît, amusé. Le plasticien vidéaste est l’un des premiers artistes à s’être installé sur le Môle 1 du port industriel de Dunkerque. Ici se dressent plusieurs entrepôts désertés, marqués par l’usure du temps et l’air marin. Un cadre empreint de l’âme portuaire dunkerquoise propice à la création et à l’inspiration. L’association Fructôse a vu le jour en 2008, sur ce vaste site de 3 000 m2. La naissance de cette fabrique artistique trouve son origine dans le Jokelson. La vie de ce lieu de diffusion était gérée par plusieurs associations. « Il y a eu des petits clashs et les gens sont partis. Emilien, l’un des artistes qui fréquentaient le site a décidé de rester et d’investir le bâtiment voisin, l’entrepôt des sucres », explique Benoît. Au début, ils étaient quatre à squatter cette bâtisse désaffectée de 1 000 m2. « Jeff et Anna, qui occupaient eux aussi les lieux, nous ont soumis l’idée d’officialiser les choses. Ils nous ont proposé d’aller voir la communauté urbaine de Dunkerque pour présenter un projet d’accueil et d’accompagnement », se souvient Benoît. Avec du temps, de l’obstination et de l’huile de coude, ce qui était le squat d’une poignée d’artistes s’est transformé en une véritable ruche autour de l’entrepôt des sucres. Les projets pluridisciplinaires y fourmillent. En résidence temporaire ou pour l’année, musiciens, plasticiens, ou encore performers sèment l’art sur le Môle*. Clémence de La Ducasse devant la porte du Joke. PHRASES * Un Môle est un brise-lames, une construction telle une digue ou une jetée, établie devant un port 38 JUIN 2015 ans le hangar des mouettes, on sculpte, on peint, on illustre… A l’occasion de Dunkerque 2013, capitale régionale de la culture, Fructôse a bénéficié d’une subvention de près d’un million d’euros pour la création d’espaces de travail. Une vingtaine de modules, adaptés à toutes les disciplines, ont été inaugurés en octobre 2014. Pour un loyer de 30 à 50 euros, les artistes disposent d’un atelier où créer et développer leur pratique. « Nous leur demandons une participation active dans la vie du collectif en contrepartie du faible loyer », explique Marlène, chargée de communication de l’association. Pour obtenir un atelier, il faut déposer un dossier, puis passer par « la petite communion » : une commission composée d’un salarié de Fructôse, trois artistes et un membre du conseil d’administration. © Fructôse LA DUCASSE DANS LES CONTAINERS O n a eu l’envie de retrouver quelque chose d’un peu plus léger, comme à l’époque du Joke. » Clémence travaille à Fructôse. Elle s’est lancée en 2011 dans le projet La Ducasse**, accompagnée de quelques amis. Dans un cadre moins formel, moins institutionnel, la vocation de cette association de bénévoles est d’organiser des micro-événements dans des containers du port, sur le Môle. Les copains bricoleurs se sont retroussés les manches, et se sont attelés à métamorphoser l’un des anciens caissons métallique de transport de marchandises qui avait échoué sur le site. Dans le container résonnent aujourd’hui les accords des musiciens à l’occasion de soirées concerts. Au fil des événements, ses parois intérieures se tapissent de gravures, de collages artistiques, ou de sérigraphies. JOKE, CE MAG’ N’EST PAS UNE BLAGUE ANNE LEBURGUE L © Fructôse ** La ducasse est une fête traditionnelle de village, en Belgique et dans le nord de la France PHRASES 39 a couverture de notre premier numéro, c’était la photo de la façade du Jokelson. Son nom est dédié à ce lieu mythique. » Cyril est le directeur de publication du Joke magazine. La rédaction s’est installée dans l’entrepôt des douanes fin 2014. L’équipe de Fructôse lui a fait une petite place dans ses bureaux administratifs. Ce trimestriel gratuit à destination des 15/25 ans, a été créé en 2014 par des étudiants issus de l’université du littoral. « Il centralise l’information sur les événements, la vie culturelle et artistique de Dunkerque et ses environs, explique Cyril. Notre objectif, c’est que les gens arrêtent de dire qu’à Dunkerque, il ne se passe rien. Ça bouge. Il y a de plus en plus de Lillois qui débarquent. Avant c’est nous qui allions sur Lille pour faire la fête, maintenant c’est l’inverse ! » JUIN 2015 LE CHAMP DES TOURS LE CHAMP DES TOURS TESTÉ POUR VOUS RENCONTRES ÉLEVEURS, L’AMOUR VACHE Parmi les agriculteurs, les éleveurs sont les plus touchés par le célibat. Comme Jean-Rémy, ils souffrent d’un isolement social et géographique. LA PYRAMIDE, PHARAON DE LA JEUNESSE AUDOMAROISE Chemise blanche et coupe au gel. Bienvenue à la “Pyra”, lieu phare de la fête en campagne. Deux d’entre nous l’ont testé le temps d’une soirée. T Et pourtant... L’amour est dans le prè. J ean-Rémy a 26 ans et vit à Saint-Médard, un petit hameau à vingt minutes de route d’Agen. Il n’a jamais quitté sa région et travaille dans l’exploitation agricole de son père. « On a des vaches laitières et des vaches à viandes, un sacré boulot. » Le célibat, Jean-Rémy connaît : « Depuis plusieurs années, il ne se passe rien dans ma vie. » Malheureusement, la situation du jeune éleveur n’est pas un cas isolé. « Au-delà de mes amis agriculteurs, c’est l’ensemble des corps de métiers qui est concerné ici. » Le jeune homme évoque, avec le sourire, un ami vendeur de voitures « très beau gosse » mais célibataire endurci. Jean-Rémy a déjà connu la vie de couple, « mais ça n’a jamais duré. Vivre avec un éleveur demande des sacrifices ». Si certaines régions rurales attirent un nombre croissant de citadins en quête d’une qualité de vie meilleure, ce n’est pas le cas dans ce petit coin de paradis, au bord de la Garonne. « C’est vrai, ici les jeunes sont partis, il ne reste plus que les vieux », confie Nina, étudiante à Lille et originaire de Lapouleille, non loin de Saint-Médard (Lot-et-Garonne). « C’est aussi une question d’opportunités, beaucoup de gens se rencontrent PHRASES au boulot, explique Jean-Rémy. Moi au travail, la seule personne que je croise, c’est mon père. » Toutefois le jeune éleveur ne provoque pas la chance. « Je ne suis pas fan des rencontres un peu forcées. » Alors peu d’espoir pour ces dames de le croiser lors d’un speed-dating ou de l’une de ses déclinaisons, l’agri-dating, un rassemblement destiné exclusivement aux agriculteurs. « Je préfère les rencontres “naturelles”, en boîtes de nuit ou ailleurs. » Jean-Rémy ne consulte pas non plus les sites web destinés à trouver l’âme sœur, « pour une simple et bonne raison : je n’ai pas d’ordinateur, ni d’accès internet. » Quant aux émissions telle L’amour est dans le pré ? « Jamais je n’envisagerai d’y participer. » Une émission dont le succès est constant depuis dix ans et qui se targue d’avoir engendré nombre de mariages et grossesses. « Mais les agriculteurs ne la voient pas forcément d’un bon œil », affirme Christophe Giraud, sociologue à l’université Paris Descartes. « Ils se sentent souvent moqués. Ils ont le sentiment que cette émission nourrit les clichés dont ils sont déjà l’objet. » S’il souhaite battre en brèche ces a priori, le sociologue reconnaît que « lorsqu’on 40 se lance dans ce métier, il faut parfois subir de longues périodes de célibat. Toutefois, dans l’ensemble, les agriculteurs ne sont ni plus ni moins célibataires que les autres catégories socio-professionnelles. » Il est nécessaire de distinguer les grandes exploitations des petites, qui sont les plus touchées par le célibat. Les éleveurs, par exemple, rencontrent davantage de difficultés. Leurs exploitations sont souvent situées dans des zones reculées, loin des bassins d’emploi. Ils peinent à y attirer d’éventuelles compagnes. « Contrairement à ce qu’il se passait il y a quarante ans, les femmes sont émancipées, surtout financièrement. Elles sont peu nombreuses à vouloir y renoncer », explique le sociologue. Des contraintes qui n’effraient pas Jean-Rémy, l’éleveur bovin du SudOuest : « Je ne changerais de vie pour rien au monde. » Christophe Giraud, sociologue, enseignant à l’université Paris Descartes ournez à gauche », indique la douce voix du GPS. Le véhicule s’engouffre dans un petit chemin de campagne à travers champs. Il fait nuit noire. Tel un phare de la Côte d’Opale, le projecteur de La Pyramide balaye le paysage champêtre. À une dizaine de kilomètres de Saint-Omer, dans le patelin de Serques, entre les contrées de - préparez-vous - Moulle, Houlle et Bayenghem-lès-Éperlecques, se dresse un bâtiment au sommet pointu . Les lumières qui émanent de ses extrémités lui donnent un air d’ovni. La bande son d’X-Files se prêterait parfaitement à l’endroit. Mais ce sont bien les tubes, plus ou moins actuels, qui viennent briser le calme campagnard. Un samedi soir printanier à Serques, il est minuit passé. Quelques jeunes sont déjà présents. Seuls deux se déchainent sur le podium central de la piste de danse, déserte. Il fait froid. Chair de poule sur les bras, un petit tour au bar devient rapidement indispensable. Dylan, un jeune de 18 ans et ami du patron, tient fièrement l’unique bar de la discothèque. Ici, pas besoin de se ruiner. Le cocktail coûte en moyenne cinq euros. Une obligation selon Fabien Bozec, le propriétaire : « Le pouvoir d’achat est trop bas dans ce secteur. Je suis obligé de pratiquer des tarifs attractifs ». Ce palais de la “ cuite pas chère ” se remplit peu à peu. Un Cuba Libre dans le gosier, une bonne dose d’audace, il est temps d’aller enflammer le dancefloor. Une cinquantaine de personnes est répartie aux quatre coins de l’établissement, qui peut en contenir plus de 1 000 selon le boss. Les « Est-ce que vous êtes là ce soir ? » Les jeunes se chauffent sur le dancefloor. petits courageux qui se déhanchent ne passent pas inaperçus. Ici tout le monde se croise, il est quasi-impossible de perdre ses copains, à moins qu’ils ne soient allés se réfugier dans le carré VIP. Comme toute boîte qui se respecte, la “ Pyra ” propose un coin privé. Quelques marches au dessus du parterre des danseurs, trois lettres géantes brillent : VIP. À la bonne franquette Une vingtaine de mètres carrés, des canapés en velours. Un groupe de jeunes engage rapidement la conversation. Une atmosphère intimiste et bon enfant règne. « Nous venons dans ce club parce que ce n’est pas loin et ce n’est pas la même ambiance qu’en ville. C’est plus familial », précisent-ils. L’un d’entre eux se dirige vers le fumoir. Pas besoin de “ se les cailler ” pour “clopper”. Devant la porte de la minuscule pièce enfumée, une dizaine de personnes. « On ne fume pas sa cigarette à l’intérieur, ça sent trop le tabac. Tout le monde reste devant le temps de s’en griller une », indique un vigile. Le DJ vient vite interrompre ce moment de convivialité. « Sauteeeez, sauteeeez, sauteeeez », lance-t-il dans le micro. Le mot magique est prononcé. Les groupes se précipitent sur le dancefloor. « Est-ce que vous êtes là ce soir ? Je ne vous entends pas ! » Les jeunes se défoulent, endiablés par la house music. Au milieu, l’un d’entre eux fait le show. Il attire les regards grâce à ses talents de jumpstyler. Sourire aux lèvres, quelle que soit la mélodie, il jumpe, encore et toujours, jusqu’à en laisser tomber la chemise. À l’aise… Bobos, flambeurs et cagoles circulez ! La “ Pyra ” n’est pas faite pour vous. Ici, c’est la fête comme à la maison. Comme on l’aime. LUCILE RICHARD ET ALICE DOUCHET ARTHUR ASQUIN « Moi, lorsque je suis au travail, la seule personne que je rencontre, c’est mon père. » JEAN-RÉMY JUIN 2015 Un joli jumper. PHRASES Nicolas, le DJ, balance sa meilleure playlist de house music. 41 JUIN 2015 PAUL ARTHUR 1 2 LUCILE 3 PIERRE 6 1 - PAUL DESCAMPS 3 -AÏNA ROGER 06 71 54 15 72 In memoriam [email protected] 2 -ARTHUR CONANEC 07 89 55 88 23 [email protected] 10 5 ANNE 4 -LUCILE RICHARD LAURA 8 AMÉLIE NINA 4 PIERRE AÏNA RÉMY 1 1 ARTHUR 7 5 -NINA DWORIANYN 12 7 -PIERRE JULIENNE 06 21 44 93 62 06 98 73 89 43 [email protected] pierrejulienne.maen @gmail.com 06 88 10 62 15 6 -ANNE LEBURGUE [email protected] 07 82 07 71 63 [email protected] 9 ALICE 13 8 -PIERRE VEILLÉ 10 -AMÉLIE BOUCLET 12 -ARTHUR ASQUIN 9 -LAURA OUDART 11 -RÉMY EYLETTENS 13 -ALICE DOUCHET 06 43 39 56 95 [email protected] 06 86 64 09 97 [email protected] 06 86 50 58 02 [email protected] 06 35 48 74 68 [email protected] 07 62 41 24 68 [email protected] 06 84 46 22 74 [email protected] CLÉMENT 14 14 -CLÉMENT VARANGES 06 33 35 51 53 [email protected] C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS SOMMAIRE P.48 Les champions de la PHR P.71 ClapdefinpourWilliamsCaptier P.50 L’Aisne Nouvelle : retour aux sources P.72 Loindesyeux,loinducœur? P.51 Réforme territoriale : réorganiser P.73 Jeu:«T’asd’beauxyeux,tusais» sans se cantonner P.74 L’impressionwaterlessRiccobono P.52 Histoires de familles et de presse P.75 FleurPellerinredistribuelescartes P.54 La PHR fait peau neuve P.76 Lesdétaillantsdepresseenpleinecrise sur le numérique P.78 Lesgratuits,unesecondeviepourlaPHR? P.56 À Biarritz, la PHR s’amuse P.79 LePohertapedanslemille P.58 SPHR : Vincent David remplace P.80 Mensuelsrugby,essaistransformés? Éric Lejeune P.60 La PHR délie les langues P.82 KévinLourenço,croqueurd’actualités P.84 PHR,filièredecœur P.62 Mais qui est donc Publihebdos ? P.64 Les jeunes journalistes au service des hebdos P.66 Dossier : le traitement de Charlie Hebdo par la PHR P.70 Liberté hebdo : sur le fil du rasoir Pour les 20 ans de la filière PHR de l’ESJ Lille, retrouvez les portraits des anciens au fil des pages du magazine... C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS TOP 3 FACE À LA CRISE LES CHAMPIONS DE LA PHR Dans un secteur sinistré, la presse hebdomadaire régionale résiste mieux que la moyenne, emmenée par quelques locomotives qui ne connaissent pas la crise. Les trois leaders révèlent les secrets de leur succès. 1 LA MANCHE LIBRE, L LEADER INCONTESTÉ es années passent et rien n’y fait, La Manche Libre reste en tête dans le secteur de la PHR. Son directeur général, Benoît Leclerc, détaille les points forts de cette insolente réussite. Une vocation départementale dès l’origine, élargie dans les années 80. Une ligne éditoriale intemporelle qui ne se préoccupe pas de plaire ou d’être consensuelle. 2 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS Jean-Michel Maussion, directeur de publication du Courrier Cauchois. LE COURRIER CAUCHOIS, SOLIDEMENT ANCRÉ N otre hebdo est très populaire dans sa zone de diffusion [de Rouen à Fécamp, en passant par Le Havre]. Ce qui fait notre succès est notre relation particulière avec les lecteurs. » Jean-Michel Maussion, directeur actuel du journal créé en 1948, peut compter sur un lectorat attentif et fidèle. « D’une blague, une rubrique a même vu le jour : Le Courrier Cauchois à travers le monde. Les gens s’approprient le journal et se prennent en photo avec lui quand ils sont en voyage. » Fort d’une rédaction centrale basée à Yvetot, et de deux micro-locales, à Fécamp et Lillebonne, le canard est très réputé dans le pays de Caux. Il suffit de se présenter pour couvrir un événement, et la question revient comme un leitmotiv : « C’est pour Le Courrier ? » « Les lecteurs apprécient grandement la plus-value apportée par les journalistes, confie le directeur. Ces derniers connaissent sur le bout des doigts les villages et les gens. On sait donc personnaliser les articles, pour intéresser les acheteurs. » Bon deuxième depuis plus d’une dizaine d’années, Le Courrier Cauchois bénéficie d’un taux de pénétration de plus de 50 %. Avec la poussée pressante du numérique, le journal compte bien tenir le cap avec une ligne claire : « Pas de web gratuit. Internet nous permet d’être complémentaire au papier, et nous a permis d’augmenter notre nombre d’abonnés». RÉMY EYLETTENS Une information de proximité qui s’ouvre également aux grands faits politiques, culturels, économiques, sociétaux, régionaux, ainsi qu’à l’actualité nationale et internationale. 3 De nombreuses agences locales et un large réseau de diffusion pour être au plus proche des lecteurs. Une maquette rénovée régulièrement. Une modernisation constante de l’outil de production, pré-presse et impression, pouvant offrir jusqu’à 128 pages « tout-quadri ». Une extension progressive de l’activité plurimédias : création en 1982 de la première station radio indépendante de Normandie, Tendance Ouest : présence sur internet depuis 2000, lancement de deux gratuits à Caen et Rouen en 2009. PAUL DESCAMPS 20 QUELQUES CHIFFRES 68 039 EXEMPL AIRES DIFFUSÉS JOURNALISTES Benoît Leclerc, directeur général de La Manche Libre. 42 ans Chef d’édition au Parisien Un bon papier qui marque Gaëtane Bossaert Modèle journalistique ? ILS ONT FAIT LA PHR 850 Boulette ? Oublier la pellicule en cours de photo Un souvenir ? Intervenant marquant ? Alain Puiseux L’année en général, l’ambiance Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Attentats du RER Paris PHRASES 150 CORRESPONDANTS LOCAUX POINTS DE VENTE Expression de ta promo ? Je suis surbooké ! 48 7 ÉDITIONS LOCALES Lieu favori à L’écoLe ? BiB doc 01 re JUIN 2015 Samuel Thomas, rédacteur en chef du Messager. LE MESSAGER, L EN QUÊTE DE NOUVEAUTÉS e Messager, c’est LE journal du Chablais », expose Samuel Thomas, rédacteur en chef de toutes les éditions du journal. Avec une diffusion de près de 24 000 exemplaires sur un territoire d’environ 100 000 habitants, le titre est très bien implanté. « Nous sommes très ancrés localement, confirme Samuel Thomas, même si je n’irais pas jusqu’à dire qu’on se porte bien. Ce n’est le cas d’aucun journal dans le monde actuellement. » Le troisième hebdo le plus diffusé est dans la même situation que beaucoup d’autres : « Le challenge permanent est de chercher de nouveaux lecteurs en conservant les anciens ». Pour atteindre cet objectif, la rédaction de Thonon-les-Bains et les autres ont récemment suivi une formation sur les attentes des lecteurs. Le rédacteur en chef tranche : « Plus personne n’achète le journal pour une photo légende sur la galette des rois. Il n’y a aucune retombée de ce côté-là ». Le Messager va donc faire évoluer son contenu, celui produit par les journalistes mais aussi celui des correspondants. Désormais, quand ces derniers se rendront à un conseil municipal ou intercommunal, ils seront dédommagés mais il n’y aura pas systématiquement d’article publié dans le journal. Ce sera uniquement le cas s’il y a un sujet d’intérêt à rapporter. Aux journalistes, sa consigne est simple « Oser et entreprendre. Les lecteurs veulent des sujets qui les surprennent ». CLÉMENT VARANGES PHRASES 49 JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS L’AISNE NOUVELLE C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS RÉFORME TERRITORIALE « Il ne faut plus forcément penser en terme d’articles papier ». © : Gaël Hérisse. RETOUR AUX SOURCES RÉORGANISER SANS SE CANTONNER Fusions de régions, de cantons... Les journaux d’actualités locales se trouvent eux aussi impactés. Pour la réforme territoriale, Jean-Michel Desaunay, rédacteur en chef du Courrier de la Mayenne, explique comment sa rédaction a fait face. N Le quadri-hebdomadaire L’Aisne Nouvelle, dirigé par Samir Heddar, s’est réorganisé en avril 2015. Le journalisme de terrain est remis à l’honneur. J ’avais besoin qu’on clarifie les différentes postures au sein de la rédaction ». Samir Heddar est un rédacteur en chef qui sait où il va. Son franc parler peut parfois bousculer ses interlocuteurs mais il motive toujours pour aller de l’avant. C’est dans cette optique qu’il a décidé, en avril dernier, de réorganiser son journal et son équipe. « On ne savait pas qui faisait quoi et quand. C’était brouillon. » Avec trois locales (Saint-Quentin, Ternier et Guise), des postes différents (sport, locale, départementale, desk, photo, fait-divers), des bureaux éloignés, et quatre parutions dans la semaine (lundi, mardi, jeudi, samedi), la communication et l’organisation du journal étaient compliquées. « La polyvalence nuisait à la rédaction. Un journaliste devait aller sur le terrain, écrire son papier, monter des pages, relire les papiers de correspondants, écrire pour le web... Il fallait revoir cela. » Chacun son rôle Il repense alors toute l’organisation du métier. « J’ai créé deux groupes : des journalistes de terrain et ceux éditeurs ». Désormais, les journalistes dits de terrain renouent avec le cœur du métier, l’humain, le contact, la chair. Ils écriront leur papier en rentrant et ça s’arrête là. Les éditeurs prennent ensuite le relais. « Il y a Grand reporter à France Football PHRASES Expression phare de ta promo ? 39 ans « Enfiler un pull », nom de code pour aller boire un coup Arnaud Tulipier Un travail d’équipe Cela peut étonner, ou même déranger, mais le rédacteur en chef l’assure : tout se fait en équipe. « Notre force, c’est notre petit nombre. Nous sommes tous dans les mêmes locaux donc si un journaliste de terrain n’est pas d’accord avec l’éditeur, ils en discutent. Pour l’instant, il n’y a pas eu de grincements de dents. » Samir reste prudent mais il voit sa courbe des ventes se redresser. « Certains ont plus de temps pour aller sur le terrain, ils sont donc plus proches des habitants. Ils se retrouvent davantage dans nos papiers. » En mettant l’accent sur le traitement web (photo, vidéo, brève, live) l’audience internet croit, elle aussi. Pas de doute, le rédacteur en L AURA OUDART chef est satisfait. CE QU’ILS EN PENSENT Journaliste de terrain Olivier de Saint Riquier, responsable adjoint des locales. Ancien fait-diversier. « C’est un confort, on a que ça à faire : aller chercher de l’info. Il y a une grande confiance dans les éditeurs. On est sûr que nos articles ne vont pas être déformés. On est en train d’adopter un bon rythme de croisière. » Journaliste éditeur Mélanie Chof far t, éditrice. Ex-journaliste localière. « Je trouve que c’est une bonne formule. Ça donne plus de temps aux journalistes pour aller sur le terrain. C’est un gain de temps important. De mon côté j’ai plus de recul sur les articles, je suis plus vigilante sur les erreurs dans les papiers. » Modèle journalistique ? Intervenant Gérard Ejnès Boulette ? Sûrement, mais on ne me l’a jamais dit Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Ça remonte.... 50 marquant ? Éric Maitrot Un souvenir ? Lorsque je suis revenu comme intervenant Lieu favori à L’écoLe ? Surnom ? Nono ILS ONT FAIT LA PHR un vrai boulot de mise en valeur des articles. » Samir en est convaincu, sa méthode est gagnante. « L’éditeur va évaluer si le titre, le chapô, la photo, sont assez vendeurs pour le print comme pour le web. Il gère la mise en forme. Il peut aussi décider d’un article pur web. » Ils s’occuperont aussi de monter les pages, relire les papiers des correspondants et ceux des journalistes. Autre changement, les trois locales sont maintenant dirigées par un seul rédacteur et un adjoint pour une meilleure organisation. Le choix des communautés de communes Face à cette réduction drastique, il a fallu casser les habitudes du journal en optant pour une nouvelle organisation. « Nous avons donc choisi les communautés de communes. Les nouveaux cantons ne représentaient rien pour les Mayennais. Par exemple, Lassay se retrouvait dans le même canton que Commer alors que les actualités des uns et des autres ne les intéressent pas » [NDLR: les villes sont distantes de 30 kms] affirme Jean-Michel Desaunay. Avant d’ajouter : « Pour le journal, j’estime que l’avenir est aux communautés de communes. Elles représentent quelque chose pour les Mayennais, au contraire des cantons. » Que ce soit pour l’édition de Mayenne ou de Laval, les actualités des communes se lisent en forme d’escargot. « On part d’abord des grosses villes du département et ensuite on fait le tour des communautés de communes en s’éloignant Jean-Michel Desaunay et sa rédaction ont délaissé les cantons. petit à petit », détaille le rédacteur en chef. Après deux mois de mise en application, cette nouvelle organisation n’a pas perturbé les lecteurs. « Nous n’avons eu aucun retour positif ou négatif. Alors que d’habitude, quand quelque chose ne va pas, les gens sont prompts à réagir. La transition s’est faite en douceur », se réjouit Jean-Michel Desaunay. PIERRE VEILLÉ « Nous avons donc choisi les communautés. Les nouveaux cantons ne représentaient rien pour les Mayennais ». JEAN-MICHEL DESAUNAY UNE RÉFORME QUI A CHAMBOULÉ LES HEBDOS ? 02 La sortie ous avons pris la décision de changer le déroulé du journal avant les élections départementales d’avril », raconte le patron de la rédaction. Dès le mois de février, dans la salle de conférence, journalistes et personnel administratif échangeaient sur le nouveau sens de lecture du journal. Sous le regard bienveillant des Unes de journaux vieilles de plusieurs dizaines d’années accrochées aux murs. C’est ici qu’une partie de la décision s’est faite. « Avant la réforme, notre journal était organisé par canton. Cette dernière a fait passer en Mayenne le nombre de cantons de 32 à 17. On ne pouvait donc pas conserver cette configuration », détaille le rédacteur en chef. e JUIN 2015 V otée en mars 2015, la réforme territoriale remodèle en profondeur le paysage administratif français. Quid de la pagination des journaux d’actualités locales ? Aux quatre coins de la France, la situation est variable. « Ici on continue de mettre les infos en fonction des villages et non des cantons », explique, avec son accent chantant, Bruno Aufrère, directeur du Progrès de Saint-Affrique. « La réforme n’a eu aucun impact sur le journal », conclu l’homme du Sud. À Saint-Malo, au Pays Malouin, même son de cloche : « La réforme n’a rien changé pour nous. Nous gardons l’organisation par canton même si la réforme ne colle pas aux espaces de vie des habitants », explique Samuel Sauneuf, rédacteur en chef. Entre Valence et Avignon, à La Tribune de Montélimar, s’il n’y a pas eu de changements majeurs une réflexion est en cours. « Le journal est organisé par bassin de vie. Auparavant, la pagination était par canton », explique Laure Ostwald, rédactrice en chef. Avant de poursuivre : « Un des cadres du journal est venu me voir pour que l’on change la pagination de son édition. On ne peut pas faire édition par édition. Il faut une P.V. réflexion globale pour ne pas perturber nos lecteurs. » PHRASES 51 JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS MÉDIAS La famille Anglument devant le château d’Ilbarritz près de Biarritz. À L’OUEST, FAMILLE DE PRESSE D eux régions, un giron : familial. Les Anglument ont fait du Poitou-Charentes et du Limousin les berceaux de leurs journaux. Au total, six hebdomadaires, tels Info-éco ou Le Confolentais, gérés par deux groupes de presse : Edit France et Public Media. Roger Anglument a fondé le premier en 1995. Le second, en 1998. Mais il ne s’est pas lancé dans l’aventure en novice : « J’ai été journaliste dans la presse havraise. Puis directeur départemental de L’Union de Reims, avant d’être le rédacteur en chef de Centre Presse à Poitiers. » De l’expérience, donc. Une famille aussi : derrière chaque homme de presse, il y a une femme. Ainsi, Martine Anglument possède des parts dans la société de son mari, qu’elle accompagne depuis 1994. « Je connais mon mari, et j’ai confiance en lui : le journalisme, c’est son métier. Il en fait depuis longtemps, et il aime ça. » Cette enseignante en lettres et arts plastiques a même pris une année sabbatique, en 1994, pour accompagner son mari repérer les lieux et mettre en place Edit France. Ils ont donc quitté Merlieux-et-Fouquerolles en Picardie pour s’installer à Payré, dans la Vienne. « Pour que l’affaire fonctionne, il fallait qu’il se sente bien dans sa peau, et que le nid soit réuni. » Nid il y a, car petit il y eut. Bastien Anglument est aujourdh’ui journaliste multimédia et travaille comme secrétaire de rédaction au Journal de Civray. « J’ai fait mon stage de 3e chez France 3, puis un autre en fin de licence, chez Public Media. » Chez papa, Public Media donc. Mais il n’a joui d’aucun traitement de faveur. « J’ai commencé petit, avec le nettoyage et les étiquettes. Les responsabilités, je les ai acquises peu à peu ! » IMPRIMER EN LIGNÉE : HISTOIRES DE FAMILLES ET DE PRESSE Jean-Michel Desaunay (à gauche), rédacteur en chef du Courrier de la Mayenne, aux côtés de la famille de Guébriant. EN MAYENNE, SUCCESSION ASSURÉE S i dans 15 ans, l’entreprise fonctionne encore, ce sera une véritable réussite professionnelle », explique Loïk de Guébriant à l’aube de la retraite. S’il est temps pour lui de se mettre au vert, le nouveau propriétaire du Courrier de la Mayenne ne devrait pas changer de nom. En effet, deux de ses fils ont depuis quelques années repris le flambeau. Jean-Baptiste et Bertrand se sont investis dans l’entreprise familiale. L’un est responsable commercial, l’autre est contrôleur de gestion. Un cadeau empoisonné ? Pas vraiment, selon le patriarche : « Ils ont de la chance de se lancer avec une entreprise, à eux maintenant de la diversifier». Pour l’instant, Loïk de Guébriant assure toujours un rôle de PDG, influe sur la ligne éditoriale mais se défend de toute intrusion : « Je laisse les pleins pouvoirs à Jean-Michel Desaunay, et découvre les articles après leur publication ». La transition est en marche. Elle permet au Breton de se tourner vers une autre occupation : le tourisme, par le biais du château de Craon. Encore un bien qui devrait rester dans le giron familial. Modèle journalistique ? Déjà journaliste Petit, tu te voyais ? Journaliste à La Montagne Ondine Millot Un souvenir ? Le congrès à Arcachon Boulette ? Jamais PHRASES L’IMPARTIAL N’A QU’UNE FAMILLE B ienvenue chez toi, Simon ! » Voilà comment un journaliste de la rédaction a accueilli le jeune Simon Rouxel. Au plus grand soulagement d’Anne Deval-Ostorero, responsable de la publication, qui voit son neveu franchir les portes de la rédaction : « Il fallait une continuité, elle est assurée ». La maison reste donc dans la famille, une histoire qui dure depuis plus de cent ans, soit la cinquième génération qui s’engage dans L’Impartial de la Drôme. Pour l’instant, Anne Deval-Ostorero reste solidement à la tête de la rédaction, elle compte lâcher les rênes petit à petit mais « souhaite garder un rôle de consultante ». Ce sera au tour de Simon Rouxel de prendre les décisions, et ce pour une quinzaine de salariés. Conscient de sa jeunesse, il sait d’ores et déjà qu’il lui reste un certain nombre de choses à apprendre : « C’est grâce au savoir-faire des différents salariés que je me ferai respecter dans le milieu professionnel ». UNE « PRESSE » QU’ ÎLE FAMILIALE Intervenant marquant ? Alain Puiseux Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? La Coupe du monde 98 Lieu favori à L’écoLe ? machine à café 52 Surnom ? Nico 41 ans Petit à petit, les grands groupes de presse font leurs nids en régions. Publihebdos à l’ouest, Ebra à l’est, Sud-Ouest en son fief, La Voix préserve ses terres du Nord, quand Hersant parsème tout le territoire. Du reste, d’autres, plus petits, gèrent leurs canards en famille. Simon Rouxel et Anne Deval-Ostorero. ILS ONT FAIT LA PHR Nicolas Faucon C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS 03 N ul homme n’est une île. » Mais pourquoi pas une famille ? Comme celle de Thierry Verret, qui a racheté, en 2000, Le Phare de Ré, l’hebdomadaire local. L’homme de presse, actuel directeur de publication du groupe Sophia (La Recherche et L’Histoire), a également repris Le Littoral en 2011. Le temps de lui faire remonter la pente et d’en confier les rênes à sa fille, Bertille Schmidt. Celle-ci quitte alors Paris et cède à l’appel du large (et du tirage) pour s’installer à La Rochelle avec son mari. Elle est désormais directrice générale, tandis que lui s’occupe de la partie commerciale. L’air iodé n’a en rien érodé son enthousiasme : « Je suis ingénieur de formation, mais je fais ça avec passion. Et mon père me fait entièrement confiance ». D’un sourire espiègle, elle précise : « Il valait mieux, car j’ai toujours été une fille indépendante ». Une indépendance qui a gagné chaque étage du Phare, puisque le journal n’a plus de rédacteur en chef depuis 2010. Et s’en porte très bien. « Soit ils avaient le melon, soit ils étaient trop engagés politiquement. » Pour autant, les journalistes ne sont pas inféodés à la politique locale : « On ne doit pas leur cirer les pompes, mais il faut bien vivre ensemble », fait valoir la Rochelaise. « Nous devons avant tout faire notre travail en bonne intelligence. » En quinze ans, Le Phare de Ré est devenu rentable et Le Littoral tire à 7000 exemplaires. Mais le chemin parcouru pour en arriver là n’a pas été une sinécure. « Avant notre arrivée, le journal était imprimé en noir et blanc. » Mais ça, c’était avant. Désormais, pour attirer ses lecteurs, Le Phare émet en couleur. Hélène Payras et Paul Didier. L’OPINION INDÉPENDANTE : SAGA FAMILIALE…ET TOULOUSAINE O n ne choisit pas sa famille », se lamentent certains moutons noirs. D’autres, par contre, choisissent leur journal. Comme L’Opinion Indépendante, à Toulouse. Un titre que Hélène Payras, l’actuelle rédactrice en chef, a racheté avec son ex-mari en 1987. Elle se souvient : « Le journal allait disparaître. On a développé le contenu rédactionnel. C’est désormais le leader en matière d’annonces légales en Haute-Garonne ». Si ces annonces sont une manne financière non négligeable, elles ne suffisent pas à constituer un journal. Car pour bénéficier du régime fiscal propre à la presse d’information politique et générale, il faut des articles, des chroniques… Bref, des journalistes. « Nous avons créé une page culturelle et une page politique. » Pour cela, rien de tel qu’un journaliste écrivain, Christian Authier, lauréat d’un prix Renaudot en 2008. Une plume au service d’une ligne éditoriale libre. « Nous nous permettons d’attaquer tous les bords », affirme Mme Payras. Paul Didier, associé et fils de madame, acquiesce d’un hochement de tête. Mais si l’union fait la force, chacun respecte néanmoins l’indépendance d’autrui : « Je m’occupe de l’administratif et Paul du développement web. Il ne faut pas de direction bicéphale » , détaille Hélène. Ce qui n’empêche pas la famille d’être attaché à son canard : « Nous avons envie de le transmettre. Nous avons beaucoup d’affection pour ce journal. Eh, nous sommes tous Toulousains ! Et puis ce n’est pas n’importe quel bien, c’est un produit intellectuel. » e JUIN 2015 PAR PIERRE JULIENNE ET ARTHUR CONANEC Bertille Schmidt et Thierry Verret. PHRASES 53 JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS SUR LE WEB LA PHR FAIT PEAU NEUVE SUR LE NUMÉRIQUE Le constat est indéniable : le support numérique prend de plus en plus de place dans l’offre d’information. 38 % des lecteurs possèdent une tablette et 53 % un smartphone. Alors pas question d’être à la traîne ! Voici quelques nouveautés qui méritent un coup d’œil. 1 PAR LUCILE RICHARD GRAND ZOOM SUR L’ACTU L’Echo de l’Ile-de-France nous en met plein les yeux dès l’arrivée sur son site. Complètement relooké depuis mars dernier, le journal est passé d’une version 1 à une version 4 : le grand écart ! Et c’est plutôt réussi. Très moderne, ce site est le dernier né du groupe Sogémédia. Il n’est certes pas encore terminé, mais visuellement il est percutant. Le dernier article mis en ligne s’affiche automatiquement en Une. Le journal, qui couvre trois départements, a voulu un site classe et moderne. Il y a une meilleure identification des lieux avec la présence des numéros des départements, donc plus de visibilité pour les internautes. Ne manquent plus que les widgets tels que la météo, la plate forme d’annonces légales et un moteur de recherche de formation professionnelle (nationale) qui ne sauraient tarder. www.echoidf.fr LE VOTE DU PUBLIC sera toujours présent, la barre de vote, mise en place début 2015. Ainsi, les internautes pourront toujours donner leur avis à la fin des articles mis en ligne. Il leur suffira juste de répondre à la question : « Quelle est votre réaction ? » en cliquant soit Journaliste à La Voix du Nord PHRASES Petite, tu te voyais ? 37 ans Géographe ou Haroun Tazieff. J’adorais les volcans. Gaëlle Caron Boulette ? Prendre une photo en cour d’assises Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? 54 marquant ? Frédéric Baillot Un souvenir ? Le voyage à Chambéry La coupe du monde de football en France ET EN PRESSE NATIONALE ? www.lobservateurducambresis.fr Modèle journalistique ? Intervenant Serge July www.memorialdelisere.fr sur « enthousiaste », « amusé(e) », « indifférent », « triste » ou « en colère ». Une idée plutôt chouette qui permet à chacun de s’exprimer en dehors des commentaires. Lieu favori à L’écoLe ? La cour Surnom ? Nono ILS ONT FAIT LA PHR Le Mémorial de l’Isère a lancé le 19 mai dernier son nouveau site baptisé « mémolive » et s’est offert une cure de jouvence. Anciennement chez Oyez, c’est maintenant la News Company qui l’héberge. Il est désormais plus épuré, plus moderne et plus « punchy ». Le journal a choisi de supprimer et de rajouter certains widgets, dont ce réservoir d’infos. Il propose aux internautes les actus locales et nationales et des informations internationales ! Depuis le 1er juin, l’AFP propose au journal dix à quinze dépêches par jour pour alimenter le flux d’infos mondiales. Les journalistes se chargent de choisir quelles informations mettre en ligne. De ce fait, le lecteur a toutes les infos sur un plateau. Pourquoi aller voir ailleurs ? LA MATINALE DU MONDE : LE FORMAT INNOVANT 2 Les sites du groupe Sogémedia vont connaître un nouveau changement d’ici quelques semaines. Ils seront tous calqués sur le modèle des sites du Courrier d’Hirson et de La Thiérache. Résultat : des sites plus fonctionnels. Mais un widget 3 DE L’INFO EN DIRECT 04 e JUIN 2015 D epuis début mai 2015, le Monde a lancé une nouvelle application : La Matinale. Quasi révolutionnaire, elle permet au journal du soir de créer un rendez-vous avec ses lecteurs, le matin. Emmanuelle Chevallereau, responsable éditoriale, PHRASES explique : « Ce que l’on a voulu, c’est avoir un objet fini, et pas un objet de flux. La Matinale délivre l’équivalent d’un journal chaque matin dès 7h. Et il n’y a pas de réactualisation. » Le but est de présenter l’actualité d’une manière plus ludique, « un peu à la manière de Tinder », 55 plaisante Emmanuelle Chevallereau. Le lecteur gagne ainsi du temps : « L’application permet d’être bien informé sans avoir besoin de trier soimême les articles dans la masse d’informations », poursuit la responsable éditoriale. Avec un nombre d’articles limité, seul l’essentiel de l’information est proposé. Pas forcément besoin d’être abonné, quelques articles sont disponibles gratuitement. L’équipe n’est composée que de sept personnes, dont trois pour l’édition et une rédactrice de nuit basée à Washington. « Le travail rédactionnel est fait par toute la rédaction : on prend des articles des Décodeurs, du journal, du magazine et du web. Mais on a aussi des productions exclusives pour l’application », annonce Emmanuelle Chevallereau. Le succès est au rendez-vous, les retours sont excellents : « Le 25 mai nous étions déjà à 160 000 téléchargements », indique-t-elle. Transposer ce modèle à la presse hebdomadaire régionale, est-ce envisageable ? « Le champ des possibles est large. Il faut voir les tranches d’âges des lecteurs, et leurs usages. » Les lecteurs et leurs usages, c’est bien à cela qu’il faut prêter attention aujourd’hui. « La presse est en perpétuelle recherche de transformation. Le modèle papier n’est plus viable alors on s’adapte aux lecteurs », conclut Emmanuelle Chevallereau. NINA DWORIANYN JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS CONGRÈS Dernier repas, un axoa dans la joie. À BIARRITZ, LA PHR S’AMUSE Réunis en congrès les 28 et 29 Juin 2015, les participants ont lié l’utile à l’agréable. Deux jours rythmés par des ateliers et des spécialités basques. Entre deux ateliers, avant la montée des marches. À la Cité de l’Océan, Bruno Hocquart de Turtot et Vincent David (à droite) comme des poissons dans l’eau (et les bulles). PHRASES Buffet servi, tous à table ! 56 JUIN 2015 PHRASES Arcangues... Comme un air de Rolland Garros. 57 JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS PRÉSIDENCE SPHR CHANGEMENT : VINCENT DAVID REMPLACE ÉRIC LEJEUNE À LA BARRE DU SPHR Après six ans à la présidence du Syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale (SPHR), ERIC LEJEUNE, L’APPEL DU LARGE O SI ÉRIC LEJEUNE ÉTAIT.... - une ville : Londres - un acteur : Anthony Hopkins - une chanson : Riders on the Storm (The Doors) - un objet : le couteau Laguiole (gravé à mon nom offert par un ami éditeur pour mon départ) - un sportif célèbre : Sugar Ray Léonard - un livre : Le Chardonneret de Donna Tartt - un animal : l’écureuil de la Caisse d’Épargne - un héros : Spiderman Directeur adjoint de France bleu, en charge du numérique PHRASES Vivement l’avenir Féminisation des équipes, réglementation des annonces légales, mise en place du jeu Le mois des hebdos, passage au numérique... La liste de projets marquants est longue. Mais Éric Lejeune retient bien plus : « La présidence c’est beaucoup de rencontres et de souvenirs impérissables ». Comme le congrès européen de la presse hebdomadaire régionale à Mulhouse, sa rencontre avec Frédéric Mitterrand, les participations au prix littéraire... Les souvenirs sont nombreux mais l’ancien président ne regrette rien: « Ce n’est pas dans ma nature d’avoir des regrets », précise-t-il. Aujourd’hui, le père de famille compte se consacrer à des projets « plus personnels ». Sans pour autant perdre de vue le SPHR. « Cette famille de presse fait partie de mes passions. J’aurai toujours la même envie dans dix ans... » ALICE DOUCHET - un journal : La Presse de Vesoul, évidemment ! - une citation : « C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses » - un journaliste : David Carr - un plat : la cancoillotte chaude Expression phare de ta promo ? “ Ça se règlera autour du baby ” Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? La tempête de 99 58 L e congrès s’est passé à merveille » se réjouit Vincent David, « avec des grands hauts et quelques petits bas ». Le directeur des éditions du groupe PMSO élu lors de l’ouverture du congrès a notamment apprécié la qualité des intervenants. « La prestation de Cécile Dupont (directrice de La gazette ariégeoise) m’a impressionné. C’est le type de personnalité qui incarne l’avenir de la PHR. » Une presse dont il connaît les difficultés, « dans l’ensemble nos ventes baissent, même si nous résistons mieux que la PQR ». Maigre consolation. Afin d’enrayer le phénomène et donner un nouvel élan à la presse locale, le nouveau président souhaite « une intégration intelligente du numérique au sein des rédactions ». « Je suis un optimiste de nature. » VIVENT DAVID C’est un des chantiers qui attendent le nouvel homme fort du syndicat. D’ailleurs ses premières semaines en tant que président sont bien remplies. Congrès de la presse agricole, renégociations des tarifs postaux pour la presse et de multiples rendez-vous dont les vingt ans de la filière PHR à L’ESJ-Lille. Mais à court terme, le remplacement de William Captier est une de ses préoccupations majeures. L’emblématique président de la commission sociale du syndicat part en retraite après trente-deux ans de bons et loyaux services. « C’est Santé ! un job à plein temps, qui nécessite des connaissances les ardeurs des jeunes talents. « C’est vrai, il y a juridiques et des qualités de négociateurs hors pair. » une fuite des cerveaux vers les presses plus rémunéMais pour le moment, « nous n’avons personne ». ratrices. » S’il souhaite se rapprocher des salaires Il s’agit pourtant d’un un poste clé, puisque Légende pratiqués en PQR, le néo-président ne fait pas en septembre s’ouvriront les négociations sur la de mystère : « Ce ne sera jamais le cas, nous ne revalorisation de la grille salariale des journalistes. sommes pas sur le même modèle économique ». « Je suis un optimiste de nature, mais je suis scep- N’en déplaise aux anciens de la filière PHR qui tique quant à l’issue de ces discussions. » Vincent l’ont chambré sur le sujet, lors de son discours David craint que les négociations trainent pour, pour les 20 ans de la filière. au bout du compte, s’achever sur un statu quo. Il Mais Vincent David compte sur la jeune géy a quinze ans une offre était sur la table, « rien de nération née avec le web. « À eux de dépoussiérer mirobolant », mais les syndicats l’avaient refusée. l’image parfois vieillotte de la presse locale et de Pourtant, Vincent David en a conscience, les renforcer son lien avec la modernité. » faibles salaires de la presse locale peuvent freiner ARTHUR ASQUIN ILS ONT FAIT LA PHR Modèle journalistique ? Norman Mailer Journaliste 38 ans d’énergie, mais l’ex-président ne regrette rien « Ces années m’ont permis d’évoluer. Une telle fonction change forcément un homme ». Intervenant marquant ? JeanPierre de Kerraoul Lieu favori à L’écoLe ? Surnom ? Ils n’ont jamais osé me le dire Erwann Gaucher Petit tu te voyais ? ILS ONT FAIT LA PHR VINCENT DAVID, MAÎTRE À BORD BaBYfooT Bertrand Prevost 05 e JUIN 2015 39 ans Journaliste à La Dépêche de Tahiti PHRASES Expression de ta promo ? « Pika Pika ». La chanson d’un groupe de rock de l’ESJ Leçon de surf à Biarritz n se sent plus léger ! » Ultime réunion du bureau du SPHR lors du 42e congrès à Biarritz pour Éric Lejeune, l’ancien président, tire sa révérence. « Je laisse place à la nouvelle équipe pleine d’entrain » confie-t-il. Pour le directeur de presse, c’est la fin d’une belle aventure, mais il ne compte pas quitter le syndicat. « J’ai eu un véritable coup de cœur pour la profession il y a bientôt trente ans. Je serai membre jusqu’à la fin de ma carrière ». Le « coup de cœur » a eu lieu dans les années 80. Éric Lejeune, pur autodidacte, commence à travailler en PHR et rejoint le syndicat en 1989. Vingt ans plus tard, il en prend les rênes. Plus qu’un poste de président, c’était pour lui une manière de renvoyer l’ascenseur, « C’est avec eux que j’ai appris mon métier parce qu’il n’y a pas d’école de directeur en PHR ». Sa nomination était un symbole fort à ses yeux : « la reconnaissance de ses pairs ». Les deux mandats qu’il a effectué durant six ans lui ont demandé beaucoup de temps et Éric Lejeune a passé la main à Vincent David en marge du 42e congrès, à Biarritz. Modèle journalistique ? Un genre : le portrait. Boulette ? Foirer la Une du PHRases… La saLLe Pao Intervenant marquant ? Yves Sécher Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Le passage du XXe au XXIe siècle 59 Lieu favori à L’écoLe ? Un souvenir ? 06 L’interview de Max Romeo Petit, tu te voyais ? Pirate, j’adorais Albator ! e JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS PATRIMOINE LA PHR DÉLIE TOUTES LES LANGUES PICARDIE Picard, basque, breton ou alsacien, la presse hebdomadaire n’oublie ses origines. Petit tour d’horizon de canards qui explorent le patrimoine linguistique des régions. JEAN-MARIE FRANÇOIS, CONTEUR D’SIN COIN J BRETAGNE ’ai arrêté la pêche pour le picard », plaisante Jean-Marie François. Pour sûr, le sexagénaire est un passionné. Depuis maintenant treize ans, sa chronique Histoire en picard ouvre Le Journal d’Abbeville, dans la rubrique Min coin. « Chés diries à Jean-Marie, Jean-Marie ch’est mi : Diseu, Berdleu, Cratcheu, Conteu, pi... un molé minteu! * » Des contes à rires, des légendes, des histoires inspirées du patrimoine local. « Les gens du coin ne connaissent pas toujours l’histoire de leur région », précise Jean-Marie François. Le spécialiste du parler picard souligne l’attachement des lecteurs pour ces rubriques régionales : « J’ai appris qu’un abonné découpait chaque semaine mes histoires pour les envoyer à un membre de sa famille expatrié dans une autre région ». Que l’on soit bilingue picard-français ou non, un petit dictionnaire de traduction permet le décodage de ces papiers écrits dans la langue romane. YA ! DEIZ HA BLOAZ LAOUEN DEOCH* L ’hebdomadaire breton fête ses dix ans et n’a pas sa langue dans sa poche. Inspiré de la Setmana, un journal occitan, Ya a gardé la même structure qu’à ses débuts. Yann Fanch Jacq, le fondateur, accompagne toujours Gwennolé Pavec, le seul journaliste. « C’est du bénévolat, il fait ça en plus de son travail à l’école Diwan** », raconte le rédacteur. Du pain béni pour les 1300 abonnés du canard à qui la langue est tirée ! Un engagement sans couleur politique car ici seul le gwen ha du*** compte. « C’est quand on quitte le pays qu’on prend conscience de ce qui importe réellement », théorise Yann Fanch. Un voyage qui aurait du être réalisé par de nombreuses autees personnes. Pourtant, à 61 ans, il ne veut plus perdre son temps à convaincre les bretonnants à lire en breton. Toutefois il reconnaît qu’ « un nouveau lecteur ne se “ trouve pas sous le sabot d’un cheval ” ». ARTHUR CONANEC * Bon anniversaire à toi ** école bilingue *** blanc et noir : drapeau breton Gwennolé Pavec, rédacteur en chef ANNE LEBURGUE *Les histoires de Jean-Marie, Jean-Marie c’est moi : raconteur (diseur), beau parleur, embobineur, conteur, et... un tout petit peu menteur! PYRÉNÉES ATLANTIQUES HERRIA, UN JOURNAL QUI COLLE AUX BASQUES I l y a en France entre soixante et soixante-dix mille locuteurs basques. Notre journal a sa base et donc son lectorat », explique Peio Jorajuria, rédacteur en chef du journal. Si Herria ne compte que deux salariés, la rédaction bayonnaise s’appuie sur une cinquantaine de bénévoles. « Nous avons une quarantaine de correspondants qui parcourrent le Pays Basque des deux côtés de la frontière. » Le journal traite de l’actualité locale mais n’exclue pas l’actualité nationale quand elle peut être abordée par le prisme basque. Un seul objectif : « défendre la culture basque et sa langue ». L’hebdomadaire a fêté l’an dernier ses 70 ans et est aujourd’hui le plus vieux journal basque. Si l’hebdomadaire a tiré jusqu’à 10 000 exemplaires dans les années 60, aujourd’hui il fonctionne essentiellement par le biais d’abonnements. Le journal n’est proposé ALSACE qu’à 180 exemplaires par semaine dans quelques kiosques. En revanche il compte plus de 1 000 abonnés et certains reçoivent leurs numéros outre-atlantique. « Pour nous, c’est un gage de sécurité. Nous avons un prévisionnel sur nos revenus et nos dépenses. On cherche de nouveaux lecteurs par des opérations de communication. Notamment en le distribuant gratuitement dans des villages ou dans des écoles bilingues. » ARTHUR CONANEC 37 ans PHRASES Modèle journalistique ? Florence Aubenas Boulette ? Se battre avec un mec de la promo Lieu favori à L’écoLe ? Intervenant marquant ? Un tête à queue en voiture, Laurent Brunel conduisait Frédéric Baillot Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? une pièce avec Le Pen au 2e tour des gros poufs 60 Un souvenir ? 07 Surnom ? L’absent. Je sortais beaucoup et seul Journaliste chargé du multimédia à Voix de l’Ain Petit, tu te voyais ? Étienne Grosjean Garde-pêche ou avocat ILS ONT FAIT LA PHR e JUIN 2015 E L’AMI HEBDO : LE ZITUNG DE L’EST* n Alsace, un journal né il y a plus d’un siècle, n’a jamais délaissé son identité. Très attachés à leur dialecte local, les Alsaciens savent qu’en lisant L’Ami Hebdo, ils pourront y trouver leur compte. « Depuis 1960, le journal comprend des rubriques en français et en allemand, explique Bernard Deck, directeur de la publication. Puis en 1980, il y a eu un regain pour la langue régionale. Nous avons donc introduit, en plus de l’allemand, une partie dialectale à notre journal. » Avec 600 000 locuteurs du dialecte alsacien, le journal ne peut (et ne veut) se passer de ces rubriques : « Au niveau du service des abonnements, il arrive souvent que des vieilles personnes ne s’adressent à la rédaction qu’en alsacien ! » Même si six journalistes sur sept sont originaires de la région, le journal fait appel à une aide extérieure : « Nous n’écrivons pas les articles en alsacien et en allemand. Ce sont des collaborateurs qui le font pour nous. Les rubriques en alsacien représentent actuellement 3 % de la pagination et celles en allemand, 5 % ». Les lecteurs peuvent, par exemple, trouver le programme TV en allemand ou des rubriques, écrites en alsacien, sur des thèmes que les lecteurs connaissent déjà comme le baccalauréat, le printemps… Une manière ludique qui permet de découvrir ou de redécouvrir la langue tout en s’informant. *Le journal de l’Est PHRASES LUCILE RICHARD 61 JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS ÉCONOMIE MAIS QUI EST DONC PUBLIHEBDOS ? de Publihebdos de Publihebdos Publihebdos est aujourd’hui le groupe qui rassemble le plus de journaux de PHR en France. En 2014, il a racheté les hebdomadaires du groupe SEPR. Francis Gaunand, président du directoire, donne quelques clés sur l’entreprise. Deux stratégies « Nous voulons développer les hebdomadaires qui sont dans le groupe : en print et en numérique. D’une part, nous voulons renforcer le leadership en local avec les marques de nos journaux. C’est le cas par exemple pour Le Trégor et Le Pays Malouin. Ça nous permet d’asseoir notre position avec le numérique et d’avoir un complément de revenu permettant d’aider le modèle économique qui est chahuté en ce moment. D’autre part, nous voulons informer le plus grand monde avec un autre modèle. C’est le cas avec Normandie actu ou le petit dernier Côté Toulouse. Il y a des équipes spécifiques, même si elles peuvent bénéficier de l’appui des journaux papiers. » Francis Gaunand, président du directoire de Publihebdos. AU REVOIR INDESIGN, SCP… BONJOUR V3+ ! Le groupe équipe ses titres d’un nouveau logiciel de montage. En 2015, Publihebdos, ce sont : En 2015, Publihebdos, ce sont78 : hebdomadaires payants 78 hebdomadaires payants 15 journaux gratuits 15 journaux gratuits Des rachats à venir? « Nous sommes de plus en plus vigilants et très sélectifs. Il faut que ça ait du sens en matière de territoire et de développement, que les journaux puissent compléter un dispositif ou répondre à une stratégie de développement, qu’ils ne soient pas trop chers et qu’on puisse vite rentabiliser l’achat, qu’ils ne soient pas trop dépendants des annonces FRANCIS GAUNAND légales et de la publicité. » RACHAT CROIX DU NORD, C’EST (PRESQUE) FAIT PHRASES 62 rédaction de l’hebdomadaire chrétien. Outre l’arrivée d’une éditrice (Bénédicte De Chivré), et le départ de deux journalistes (dont le rédacteur en chef), l’organisation devrait rester inchangée. « Nous étions déjà passés sur InDesign avant le rachat, et étions déjà sur les réseaux sociaux. Les quelques modifications restantes seront sans doute sur le site web, avec une interface plus simple, propre au groupe Publihebdos », résume Thomas RÉMY EYLETTENS Levivier. JUIN 2015 37 ans Journaliste à Sud-Ouest PHRASES La fermeture du camp de migrants à Sangatte lèle de gratuits, Publihebdos n’a pas hésité à se lancer dans le rachat de SEPR. « Pour Croix du Nord, c’est différent, concède Thomas Levivier. Mais pour des titres comme Voix du Jura ou Voix du Midi qui appartiennent également à SEPR, le groupe porte un fort intérêt. Au-delà des gratuits, pour les titres rachetés comme Croix du Nord, c’est surtout une pérennité qui est assurée. » Par ailleurs, les changements engendrés par le rachat ne devraient pas bouleverser la Séverine Guillemet Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? F in octobre 2014, le groupe Publihebdos s’implique dans le rachat de la Société d’Édition de la Presse Régionale (SEPR), à laquelle appartient Croix du Nord. Depuis, le mastodonte possède une participation majoritaire à 70 %. « Pour les 30 % restants, c’est toujours en attente. Cela devrait se faire bientôt, du moins c’est en cours », précise Thomas Levivier, rédacteur en chef de l’hebdomadaire chrétien lillois. Très impliqué dans le développement paral- ILS ONT FAIT LA PHR Aurore Ymonnet, Le Républicain Sud-Gironde: « Le passage d’InDesign à la V3 a été plus simple que ce que j’imaginais. Le logiciel a des avantages comme la simplicité des cartons, le système “ tétris ” de la mise en page où tu dois imbriquer tes blocs de façon homogène. Par ailleurs, InDesign permettait une plus grande liberté, tu pouvais vraiment prendre en main tes pages, ce que la V3 limite un peu plus je trouve. C’est valable surtout quand on fait la Une et le dossier. » Francis Gaunand, président du directoire de Publihebdos: « C’est un système éditorial plus élaboré, plus performant que celui que nous avions auparavant. Il permet la publication sur le web. Je pense qu’il a plus d’avenir. Il est beaucoup plus adapté aux utilisateurs que sont les journalistes. » DONNÉES ET PROPOS RECUEILLIS PAR NINA DWORIANYN, AMÉLIE BOUCLET ET ANNE LEBURGUE Modèle journalistique ? Raphaëlle Bacqué Intervenant marquant ? Frédéric Baillot Un souvenir ? Un reportage dans un gallodrome Petite, tu te voyais... Boulette ? Un sujet Lire ou danser, mais pas bidonné... travailler ! 63 08 e JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS JEUNES JOURNALISTES COMMENT PEUVENT-ILS SERVIR LES HEBDOS ? INITIATIVES ET PARTAGE JULIEN VEYRE, 29 ANS Avec l’arrivée du numérique, les jeunes journalistes sont attendus de pied ferme dans les rédactions pour apporter des idées fraîches. Et leur présence devient un enjeu primordial pour les éditeurs de presse locale. Journaliste sportif à Voix de l’Ain À la sortie de l’école, les jeunes journalistes ont été formés à proposer des sujets, et surtout à prendre des initiatives. Pour ma part, à Voix de l’Ain, j’ai très vite eu la responsabilité des pages Sports. J’ai aussi travaillé à la création du Mensuel Rugby et son application pour smartphones. Les jeunes comme les plus vieux ne sont pas indispensables à une rédaction, mais savoir créer ce melting pot peut permettre de canaliser des ardeurs ou de bénéficier d’expériences de chacun. Au final, créer une rédaction hétérogène permet d’apprendre en permanence et de nourrir le débat. LE RÉFLEXE NUMÉRIQUE ANTOINE BAYET, 30 ANS Directeur de l’information numérique, délégué aux nouveaux médias, chez France Info Il y a des temps et des formats différents. Le jeune journaliste apporte son expérience de rapidité dans l’écriture d’articles factuels. Il sait également comment réagir, quels réflexes avoir, et comment préparer l’information en amont. Les nouveaux outils font également partie de son savoir, pour gagner un temps primordial dans la conception d’infographies, d’histogrammes, de cartes interactives, etc. Il sait aussi débattre des pratiques du web. C’est un consommateur d’information numérique qui saura accrocher de nouveaux lecteurs. Le web est l’affaire de tous, et avoir quelqu’un de neuf peut aider. Même à l’heure du virage numérique, le papier demeure, doit demeurer, au premier plan. Il faut lui laisser une place primordiale et réussir à le développer. Le jeune journaliste peut apporter ce renouveau. Avec l’expérience des anciens, il peut travailler à varier les traitements de l’information. Faire un top 5 des anecdotes de la fête du village, c’est bien mieux que de faire un compte-rendu de celle-ci. On peut également intéresser des lecteurs à des sujets qui, de prime abord, ne les séduiraient pas. Par exemple, on peut insérer du local (personnalités, gastronomie, etc.) dans un portrait de sport, et le sujet touchera un plus grand nombre de lecteurs. Le jeune journaliste doit jouer là-dessus. ©Christophe Abramowitz / Radio France LE REGARD CURIEUX PLANA RADENOVIC, 29 ANS PHRASES 64 35 ans Pdg de N’ayons pas peur des mots JUIN 2015 PHRASES L’actu marquante ? Ne pas être un vieux briscard, ne pas avoir vu une kyrielle de choses glauques et morbides, tout cela peut permettre au jeune arrivant d’exprimer une vision novatrice et curieuse des évènements. Il y a un éternel étonnement, encore plus dans la fraîcheur des débuts. L’autre avantage de cet œil neuf est la simplicité qui peut être apportée dans l’écriture. Les papiers peuvent, de fait, être plus accessibles auprès de personnes qui ne suivent pas forcément certains faits précis. Lille 2004, la naissance des maisons folie Geoffrey Sébille JASON ESNAULT, 24 ANS Journaliste au Journal d’Ici Modèle journalistique ? Intervenant Thomas VDB Boulette ? Ne jamais avoir demandé une carte de presse Petit tu te voyais ? Batteur de Queen 65 marquant ? Fred Baillot Un souvenir ? Un premier emploi qui a mal tourné Lieu favori à L’écoLe ? L’amphi Surnom ? Geoff ILS ONT FAIT LA PHR Fait-diversière à La Voix du Nord RENOUVELER LE PAPIER 09 e JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS ATTENTATS CONTRE CHARLIE HEBDO PRISE D’OTAGE À DAMMARTIN-EN-GOËLE : LE JOURNAL LA MARNE SUR LE COUP UN COUP D’ŒIL SUR LE TRAVAIL DES JOURNALISTES À gauche et à droite, deux des pages spéciales du journal consacrées aux évènements. À gauche, la page contenant l’interview du maire de Dammartin-en-Goële, encerclée par des articles traitant sur le lendemain, Le jour d’après, avec un ton plus léger. Enfin, un témoignage d’un artiste de la région revenant sur la disparition de Wolinski. Vendredi 9 janvier : la journée vient à peine de commencer quand les médias relayent l’info : les frères Kouachi sont localisés et retranchés dans une imprimerie à Dammartin-en-Goële, le secteur du journal La Marne. À droite, une page photos sur le rassemblement à Dammartin-en-Goële. 10 000 personnes ont défilé pour la liberté d’expression. Impossible pour le journal de mettre toutes les photos... Les deux pages sur le déroulé de la prise d’otages. Heure par heure, les journalistes ont retraçé tous les évènements vécus sur place. La deuxième prise d’otages dans une épicerie casher à Vincennes est également présente dans le résumé. Des photos, des témoignages de gendarmes ainsi que du gérant de l’imprimerie viennent compléter cette première page. L’accès à Dammartin-en-Goële était bloqué par le GIGN et la gendarmerie. PHRASES La rédaction sort dix pages spéciales sur la prise d’otage. Indispensable pour Carine Thomas : « C’était un rappel des faits parisiens, des faits dammartinois, les hommages des villes du Nord de la région 77. Nous avons aussi évoqué la mort de l’une des victimes de Charlie Hebdo, la première, qui était du Sud du 77. » Une double page sur le déroulé de l’opération aussi. « On voulait rendre les choses vivantes en faisant un déroulé des évènements, minute par minute, dans un encadré. » Les vagues de solidarité ont 66 maire de Dammartin-en-Goële aussi, ainsi que le témoignage d’un employé d’une entreprise située juste à côté. Les autres journalistes sur place, Pascal et Arnaud, ont traité les évènements avec un angle plus décalé : « Arnaud, par exemple, est resté comme nous jusqu’à l’assaut. Il était au plus près et a raconté l’assaut façon « Testé pour vous ». Une journée éprouvante, forte en émotions et en souvenirs : « Ce qui montre aussi que ce n’était pas une journée comme les autres, c’est que j’ai été contacté par une radio italienne pour témoigner des évènements en direct ! », s’étonne Gurvan. « J’ai expliqué que je ne parlais pas italien, mais ils voulaient absolument un journaliste local sur place. Alors j’ai expliqué ce que je savais en français pendant dix minutes et une traduction a ILS ONT FAIT LA PHR Delphine Decourcelle 35 ans Journaliste au Républicain été faite en direct. » La PHR, toujours au plus près de l’info. LUCILE RICHARD JUIN 2015 PHRASES La Voix du Nord Actualité particulière, édition particulière Sur la seconde page, la fin de la prise d’otage est racontée. Le mini portrait de l’adolescent accro à Twitter y figure également, une sorte d’immersion dans l’assaut d’Arnaud Dewaste vient terminer cette double page. aussi trouvé une place dans l’édition du mercredi 14 janvier. L’interview du Intervenant marquant ? Hervé Leroy Un souvenir ? Boulette ? Revenu sans aucun son d’un reportage radio à l’île d’Oléron Surnom ? Doune Images et pdf de la double page © La Marne les communiqués de presse. Mais Gurvan et ses collègues s’activent. « Nous voulions prendre des photos et surtout recueillir des témoignages d’habitants, nous avons pu bouger. J’ai suivi un jeune de 17 ans pendant une heure qui prenait ça à la légère, il tweetait régulièrement sur les évènements et il était contacté par des chaînes du monde entier, ça l’amusait beaucoup ! » Modèle journalistique ? C ’est le branle-bas de combat. Habitué à couvrir l’actualité de Dammartin-en-Goële, Gurvan Abjean, un des journalistes de La Marne, écoute les infos au volant de sa voiture : « J’ai appris la présence des deux preneurs d’otages sur la route du boulot. Je roulais et j’ai entendu l’information à la radio. À ce moment, mon directeur des ventes me prévient par téléphone. J’ai tout de suite appelé la rédaction pour dire que je me rendais sur place ». Quatre autres journalistes le rejoignent, sur les six que compte la rédaction. « Les deux autres sont restés pour avoir des informations par les réseaux annexes et les relayer sur internet », explique Carine Thomas, rédactrice en chef. « Au final, les journalistes restés à la rédaction avaient plus d’informations que nous. Quand nous sommes arrivés, les autorités ne communiquaient pas », ajoute Gurvan. Les journalistes sont confinés au gymnase de Dammartin-en-Goële en attendant La fête des 10 ans de la filière Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Un braqueur en série surnommé « le Gominé » 67 Lieu favori à L’écoLe ? BaBYfooT 10 e JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS ATTENTATS CONTRE CHARLIE HEBDO OLIVIER DE SAINT-RIQUIER : “ IL FAUT TOUJOURS RAMENER AU LOCAL ” Si les médias nationaux et internationaux ont traité les attentats de ce début d’année pendant plus d’une semaine, les titres de PHR ont suivi ces faits de manière locale. Olivier de Saint-Riquier, journaliste à L’Aisne nouvelle de Saint-Quentin, témoigne. > Le 7 janvier « J’étais aux Assises lorsque la nouvelle est tombée. Le soir même, notre rédacteur en chef, Samir Heddar, a décidé de lancer un rassemblement dans la ville. C’était notre rôle, en tant que journalistes, de participer à ces événements au niveau local. » Deux cents personnes répondent présents. Le lendemain, le journal fait sa Une sur un fond noir, les articles reprennent les dépêches AFP qui retracent le déroulé des attentats du 7 janvier. Les autres articles parlent du rassemblement local. > Le 8 janvier « Ça nous tombe sur la gueule dès le lendemain. J’étais encore au tribunal. J’apprends, via les réseaux sociaux, que les frères Kouachi ont braqué une station essence à Villers-Cotterêts. Cette zone n’entre pas dans notre secteur. On s’est posé la question avec Samir : j’y vais ou pas ? » Au fil de la journée, Olivier apprend que les suspects seraient toujours sur place, il décide donc d’y aller. « C’était sans précédent. Il y avait le GIGN, le GIPN, le Raid, la BRI, des hélicoptères tournaient au-dessus de nous [les journalistes]. Nous cherchions les policiers qui eux-mêmes traquaient les suspects. » Grâce à Twitter, il apprend qu’il se passe quelque chose à Corcy. « J’y vais et je croise le GIGN qui déboule à toute vitesse. » Durant tout ce temps et au fil de la journée, Olivier tweete ce qu’il voit et prend des photos. Ses tweets seront relayés par le site du journal. « Je ne voulais pas en dire trop. Les débats sur les informations que donnaient les journalistes le 7 janvier amenaient à réfléchir. Lorsque j’étais à Corcy, je préférais parler d’un petit village de l’Aisne. » Olivier est alors au cœur de la traque, il suit le GIGN qui fouille chaque maison. « Il y en a même un [membre du GIGN] qui m’a demandé un cachet pour le crâne, c’était déconcertant ! » Le reste de la journée, il attendra avec les autres journalistes, derrière une barrière de sécurité. « On avait beaucoup de demandes d’interviews. La BBC a appelé au journal, CNN a demandé des images au Courrier Picard, mes tweets étaient repris par Le Figaro. » Vers 1h du matin, il décide de rentrer à Saint-Quentin. > Le 9 janvier Veille de bouclage et journée de la prise d’otage à Dammartin-en-Goële. « C’était beaucoup trop loin de notre secteur et au niveau local, cela ne nous aurait rien apporté de plus. » Quatre pages sont dédiées aux attentats. Pour les autres articles : des reprises de l’Union (journal concurrent) et de l’AFP sur les derniers événements et des articles sur les rassemblements prévus pour le week-end. « Quant à moi, j’ai décidé de faire un déroulé de la traque à VillersCotterêts heure par heure. J’ai anglé sur le fait que l’espace d’une journée, l’Aisne était devenue le centre du monde. Il faut toujours ramener au local. » L AURA OUDART « On avait beaucoup de demandes d’interviews. » OLIVIER DE SAINT-RIQUIER Le journal local a plusieurs fois bouleversé sa pagination. ILS ONT FAIT LA PHR L’ACTU EN 3 TWEETS PHRASES Légende Lucie Croes Modèle journalistique ? 32 ans Journaliste à L’Observateur du Valenciennois 68 JUIN 2015 PHRASES Bruce Toussaint Les manif’ anti-CPE J ournaliste au quadri-hebdomadaire L’Aisne nouvelle depuis 2008, Olivier de Saint-Riquier était fait-diversier depuis plusieurs années. Depuis ce début d’année, il occupe le poste d’adjoint aux locales. C’est lui qui a couvert les événements visant l’attentat de Charlie Hebdo. Il a été au plus près des événements, de la traque des frères Kouachi pendant le braquage d’une station essence à VillersCotterets, à la découverte de leur passage au restaurant Quick de Laon. Des événements qui resteront gravés dans sa mémoire. « J’apprends par une de mes collègues qu’apparemment les frères Kouachi seraient passés manger au Quick de Laon, le mercredi 7 janvier. Ce n’était que des rumeurs et, au début, je n’y ai pas trop prêté attention. » Le lendemain, la rumeur devient plus crédible grâce à une source d’un de ses collègues. Olivier appelle la police de Laon qui confirme les faits. « Ils m’ont expliqué que deux personnes ressemblant au portrait-robot se seraient arrêtées au Quick aux environs de 15h30 – 16h30. » Olivier décide de faire une brève web. « Il y a eu un débat au sein de la rédaction car je voulais employer le conditionnel et mon chef voulait mentionner l’exclusivité. Le conditionnel n’a pas été retenu. » Le lendemain, 15 janvier, l’édition du jeudi sort en kiosque. Olivier décide de ne pas angler sur les faits car ce repas dans un fast-food « prête à sourire ». « J’ai remarqué qu’aucun média n’avait retracé le parcours des suspects entre la Porte de la Villette et le braquage à Villers-Cotterêts. J’ai donc fait mon article sur leur parcours, en mentionnant leur arrêt au Quick de Laon. » Le journal en a fait sa Une. Olivier rappelle qu’au niveau local, même pour des attentats de cette ampleur, il faut penser aux lecteurs du coin. « Si les gens veulent des détails sur les attentats, ils ne vont pas nous lire. Ils nous attendent sur ce qu’il se passe dans l’Aisne. Il faut en permanence arriver à trouver des angles intéressants. » Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Olivier de Saint-Riquier se souvient encore du jour de la traque. © Gaël Hérisse > Le 13 janvier Un souvenir ? Une intensive au Pays Briard Intervenant marquant ? Hervé Frasque Surnom ? Lulu ! Lieu favori à L’écoLe ? Les canapés de La saLLe de pause 69 11 e JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS TRIBUNAL SEMEUR HEBDO LIBERTÉ HEBDO : SUR LE FIL DU RASOIR CLAP DE FIN POUR WILLIAMS CAPTIER Le tribunal de commerce a prononcé le 17 juin la liquidation judiciaire avec poursuite d’activités de Liberté Hebdo. Le jour même de l’audience, une offre de reprise a été déposée. À soixante ans, Williams Captier a pris sa retraite d’éditeur et de directeur de publication du Semeur Hebdo en septembre 2014. A L iquidation avec poursuite d’activités : ce 17 juin le tribunal de commerce de Lille Métropole s’est prononcé sur le sort de Liberté Hedbo, en redressement judiciaire depuis le mois d’août 2014. Une offre de reprise ayant été déposée, il n’est pas encore l’heure de mettre la clé sous la porte du dernier journal “coco” du Nord-Pas-de-Calais. Avant de se rendre à “l’audience de la dernière chance”, Mathieu Hébert, le délégué du personnel, ne faisait pas de pronostics : « On ne sait jamais trop à quoi s’attendre. Ce n’est pas la loterie, mais presque. À la première convocation, nous pensions que la situation financière ne nous laisserait aucune chance. Pourtant, ils ont été sensibles à notre cause : “Vous avez un rôle social à jouer, il est important que vous restiez en vie” ». Alors qu’ils arrivaient plus confiants à l’audience de réexamen en avril, l’accueil fut différent. Le tribunal a tiré la sonnette d’alarme qualifiant la situation du canard de « très dégradée ». Le renouvellement de la période d’observation a pourtant été accordé en dépit des doutes émis par les juges. Canard en chute libre L’hebdomadaire lillois est en souffrance financière depuis trois ans. Il ne reste aujourd’hui qu’un seul journaliste : le rédacteur en chef, le secrétaire de rédaction et un autre journaliste ont été licenciés depuis le début de l’année 2015. Dur de boucler les pages du journal « sans vie de rédaction » regrette Mathieu Hébert. Des conditions précaires de travail qui ne lui font pourtant pas baisser les bras. Pour lui, Liberté Hebdo, c’est avant tout « une PHRASES « 13 à la douzaine » et « PHR pas peu fiers ». Rédac’ chef adjointe à La Semaine de Metz Expression de ta promo ? 33 ans ment social de l’hebdomadaire. Le 22 juillet, le tribunal de commerce examinera les offres de reprise. D’ici-là, pour eux, on croise les doigts. ANNE LEBURGUE Williams Captier a quitté Seumeur Hebdo à l’occasion des 70 ans du journal en septembre 2014. Le titre a été vendu au groupe Presse et Médias du Sud-Ouest. il a été le grand témoin des évolutions qu’a connu la presse ces dernières décennies. « C’est sans doute celle qui a su le mieux se transformer et prendre les bons virages, juge-t-il, nous tissions du lien social bien avant Facebook et nous continuons à en créer bien plus. » CLÉMENT VARANGES WILLIAMS CAPTIER TOUJOURS À LA CARTE L’ex-directeur du Semeur Hebdo a une autre particularité : il collectionne les menus et les programmes des congrès du SPHR ! « Le premier auquel j’ai participé était celui de Strasbourg en 1979, se rappelle-t-il. En tout j’en ai fait trente-six. Je n’en ai raté qu’un seul, celui de Mulhouse en 2011, et j’ai bien sûr demandé à ce qu’on me rapporte les menus. Ça me permet de retrouver des souvenirs, de me replonger dans les bons moments. » DÉCÈS DE JEAN-PIERRE BONIS UNE VIE AU SERVICE DE LA PRESSE Modèle journalistique ? SORJ CHALANDON Petite, tu te voyais ? Collègue de bureau Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Les élections présidentielles 70 Lieu favori à L’écoLe ? Intervenants marquants ? Aurélia Salinas ligne éditoriale critique sur le capitalisme, qui donne la parole à des personnes qui veulent changer les choses ». Il n’est pas carté au parti communiste, mais est très attaché à l’engage- Hervé Leroy et Laurent Brunel ILS ONT FAIT LA PHR Mathieu Hébert, dernier journaliste de Liberté Hebdo. près quarante et une années passées au Semeur Hebdo, Williams Captier tire sa révérence. Rien ne le destinait pourtant à devenir directeur du journal dans lequel il fit ses premiers pas en 1973 comme correspondant. Il obtient même son diplôme d’avocat quelques semaines après être devenu administrateur général du Semeur, à seulement 21 ans. « Mais je n’ai jamais exercé », s’amuse-t-il. « Ce qui m’a le plus frappé dans le métier de journaliste, retient l’ancien directeur du Semeur, c’est le contact avec les gens. J’ai eu la chance de rencontrer l’abbé Pierre et Sœur Emmanuelle. Mais aussi des anonymes qui se demandaient pourquoi on venait les voir alors qu’en fait ils avaient beaucoup de choses à raconter. » Car Williams Captier estime que la presse hebdomadaire régionale a une mission humaniste : « Notre rôle est de relayer les actions positives qui sont réalisées. » Le jeune retraité de la presse a également présidé pendant quatorze ans la commission sociale du SPHR avec deux réalisations d’envergure : une refonte de la grille salariale et surtout un accord de branche sur les droits d’auteur. « Nous sommes la seule forme de presse qui a réussi à le faire », se félicite-t-il. À la commission sociale comme à la tête du Semeur Hebdo, La cour 12 e JUIN 2015 J ean-Pierre Bonis était un patron comme on n’en fait plus. « Si l’un de nous se mariait ou partait en retraite, il faisait toujours un discours assez émouvant », se souvient Maryse Courtoisier, responsable des annonces légales à La République de Seine et Marne. « Il avait une grande mémoire et beaucoup de culture. » Directeur du journal de 1981 à 2001, puis membre du Comité de surveillance pendant dix ans, il est mort le 1er juin à 79 ans, sans jamais vraiment quitter PHRASES son canard. Quand elle évoque son ancien patron, qui a commencé comme journaliste en 1966, Maryse Courtoisier décrit un travailleur chevronné au caractère bien trempé : « Quand il tapait du poing sur la table, on faisait comme il disait. Il avait une boîte à faire tourner. » Héritée de son père, elle était à la pointe: « Il aimait la technologie. On avait toujours du matériel dernier cri. » Avec lui, l’une des figures marquantes de la PHR disparaît. PIERRE JULIENNE 71 JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS JEU OUTRE-MER “ T’AS D’BEAUX YEUX, TU SAIS ” LOIN DES YEUX, LOIN DU CŒUR ? Certaines destinations font envie. Loin des vaches normandes, le journal Nouvelles Semaine couvre l’actualité des Caraïbes. Un journal pour trois départements d’Outre-mer. À qui sont ces beaux regards du congrès ? Trouvez-les et remplissez les cases ! 1 1 3 2 4 6 2 9 8 5 5 6 7 8 7 4 72 ILS ONT FAIT LA PHR Benoist Pasteau 29 ans Front page editor à Europe 1 PIERRE VEILLÉ * « Après la pluie, le beau temps » en créole JUIN 2015 PHRASES Les élections municipales Les journalistes de la rédaction servent aussi de relais pour les médias de la métropole. Une manière de contrer les clichés des journaux nationaux ? « On trouve qu’il y a souvent une exagération. Parfois on a l’impression que l’on se trouve à Kingston. Certes, il y a de vrais problèmes sociaux mais la solidarité entre les habitants empêche l’explosion », analyse le rédacteur en chef. Un éloignement géographique qui se fait 9 Actu marquante de ton année à l’ESJ ? Casser les clichés aussi sentir avec le syndicat de la Presse Hebdomadaire Régionale (SPHR). Affilié à celui-ci, Nouvelles semaine reçoit les actualités du groupement des titres de PHR. « De temps en temps, on les appelle quand on a un problème. Mais étant donné notre éloignement, ce n’est pas notre interlocuteur privilégié », regrette Jacques Dancale. Loin de la métropole, le journal fait aussi la part belle à la langue locale : le créole. « On fait souvent des clins d’œil dans les titres et dans les papiers. Ici, le créole est la langue parlée tous les jours », affirme Jacques Dancale. Après un démarrage difficile, Nouvelles Semaine a fait son trou. Une réussite due à son ancrage local ? « Casse pas la tête, la plie y farine, soleil va revenir. »* 6. Florent Rimbert 7. Bruno Hocquart de Turtot 8. Betül Balkan 9. Éric Lejeune PHRASES avant tout centré sur l’actualité politique, « ce qui fonctionne le plus », comme le confirme Jacques Dancale. Et pour la couvrir, il s’organise autour d’une rédaction unique basée à la Baie-Mahault, en Guadeloupe. « Nous avons des correspondants qui nous envoient les informations locales. Lorsque nous ne pouvons pas nous déplacer nous-même, la Martinique n’est qu’à une demie heure de vol de la Guadeloupe. » 1. Loïc de Kerraoul 2. Vincent David 3. Williams Captier 4. Alain Marchi 5. Martine Cameau I l aura fallu cinq ans pour que le journal Nouvelles Semaine fasse son trou. « Nous sommes rentables depuis deux ans », se réjouit Jacques Dancale, rédacteur en chef de l’hebdomadaire d’Outre-Mer. Pour ce titre d’informations locales l’aventure a commencé le 8 avril 2010 Aujourd’hui,le journal emploie une douzaine de personnes, dont cinq journalistes, et traite les actualités de la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. « Soit un énorme bassin de population. Rien que sur la Guadeloupe et la Martinique, cela représente 800 000 habitants », explique Jacques Dancale. Les deux îles bénéficient d’une version papier. Pour la Guyane, c’est une version numérique qui est proposée aux lecteurs. « Le temps d’acheminement du journal vers ce département était trop long. Nous avons donc opté pour la solution digitale », raconte le rédacteur en chef. Présent sur trois territoires, le canard est 3 Modèle journalistique ? Le style « Le Monde » Les intensives, les projets avec les généralistes Intervenants Un souvenir ? marquants ? Lieu favori à L’écoLe ? Bertrand Labasse et Hervé Leroy La SaLLe de beLote 73 13 e JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS IMPRIMEUR RÉFORME DES SUBVENTIONS RICCOBONO : DU PAPIER TOUT BEAU, RECYCLÉ FLEUR PELLERIN REDISTRIBUE LES CARTES L’imprimerie verte, c’est le pari des usines Riccobono. Le secret : un papier 100 % recyclé et une impression sans eau. Légende Depuis 2009, l’entreprise propose une impression « verte » Thierry Doll, directeur commercial Delphine Kwiczor Journaliste à Nord Littoral PHRASES Anecdote ? 31 ans Je me suis déguisée en prostituée au Peuple Belge pour une photo d’illustration. ILS ONT FAIT LA PHR Boulette ? Battue avec une fille de la promo et je ne regrette pas ! Un souvenir ? Les larmes de fin d’année Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Barack Obama 74 L’absence de « mouillage » préserve le papier : cela implique moins de pertes dues au démarrage de la presse et aux repiquages. Adieu la gâche liée au réglage encre et eau. Bye bye les pertes dues aux étirements de la bande sous l’effet de l’humidité. Chez Riccobono-imprimeurs, on imprime sur du papier tout beau et recyclé. Du100 % écologique, labellisé par des organismes garants d’une gestion durable des forêts. La technologie a fait des progrès, oublié le papier écolo « papyrus à grumeaux ». Déchiqueté, filtré, désencré puis repulpé, le progrès a fait disparaître les défauts pelucheux du papier recyclé du passé. Thierry Doll l’assure : « Il n’a rien à envier aux supports les plus qualitatifs ! » PUBLIREPORTAGE Q uel est le point commun entre Le Courrier français, Le Régional, Le Républicain d’Uzès, ou encore Le Patriote ? Leur imprimeur ! Toutes les pages de ces hebdomadaires sortent des rotatives du groupe Riccobono. Implantées aux “sept” coins de la France, ses usines mettent sous presse quotidiens et hebdomadaires nationaux, ainsi que de nombreux titres de PHR. « Vous nous envoyez votre fichier lundi à 12 h. Nous vous livrons mardi à 12 h », assure Thierry Doll, le directeur commercial. « Les rotatives des usines sont en activités 24/24 h. Nous sommes en mesure d’imprimer plusieurs millions d’exemplaires par jour », ajoute-t-il. Depuis 2009, l’entreprise propose une impression « verte », lancée sur rotatives sans sécheur et Waterless. Waterquoi ? Waterless, c’est un procédé d’impression sans eau. Celui-ci permet une économie qui peut atteindre plusieurs centaines de milliers de litres d’eau par an comparé à une imprimerie traditionnelle à volume comparable, et la suppression des adjuvants chimiques. La ministre de la Culture et de la communication Fleur Pellerin a rencontré les éditeurs de presse le 2 juin dernier. Elle leur a annoncé trois mesures phares : des aides directes élargies, une aide postale ciblée et la création d’un fonds d’aide à la création de médias. L a presse dans son ensemble a bénéficié de 820 millions d’euros d’aides en 2014, directement ou indirectement. La principale, l’aide au transport postal, est aussi celle qui évolue le plus. Accordée jusqu’ici à tous les titres de presse, elle va désormais, d’après les préconisations de la Cour des comptes, être réservée à deux catégories : la presse d’information politique et générale et la nouvellement créée « presse de la connaissance et du savoir ». « Nous sommes en mesure d’imprimer plusieurs millions d’exemplaires par jour .» Régime sec pour les divertissements Les grands perdants sont les magazines considérés « de divertissement » (people, loisirs, programmes télés). Les hebdos Téléstar et Télépoche verront par exemple leur budget amputé de 5 millions d’euros. Laurence Pieau, directrice de la rédaction de Closer, parle de « mise à mort de la presse populaire ». Son homologue d’Auto Plus, Laurent Chiapello, regrette une « inégalité de traitement » et prédit des conséquences sociales dramatiques : « Des centaines de titres vont fermer et des milliers de personnes seront licenciées ». Mais ce constat alarmant ne prend THIERRY DOLL Modèle journalistique ? Sylvie Larrière. Ce n’est pas pour lui cirer les pompes! Intervenant marquant ? Maurice Decroix Lieu favori à L’écoLe ? La cafet’ 14 e JUIN 2015 Fleur Pélerin lors de son discours à l’occasion des 90 ans de l’ESJ LILLE. © Xavier Rauffet « Des centaines de titres vont fermer et des milliers de personnes seront licenciées. » L AURENT CHIAPELLO, AUTO PLUS PHRASES pas en compte la redistribution des sommes économisées, estimées entre 50 et 70 millions d’euros. Ainsi, les aides directes aux titres d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires ne seront plus réservées aux quotidiens. « La démocratie n’a pas de périodicité », claironne Fleur Pellerin. Ces titres recevront des aides quelle que soit leur fréquence de parution. La presse hebdomadaire régionale n’est a priori pas touchée par la réforme. Elle se trouve dans la catégorie la mieux subventionnée et devrait y rester. Une aide supplémentaire Par ailleurs, le fonds stratégique d’aide à l’innovation va être élargi et un fonds spécifique d’aide à la création de médias sera mis en place. Ce dernier aura pour mission d’« accompagner les besoins 75 d’investissement et de fonctionnement des structures émergentes », dixit la ministre. Le sociologue des médias Jean-Marie Charon, à l’initiative de cette mesure, estimait nécessaire de créer un « incubateur » pour favoriser et suivre la transition numérique. Qui pourra en bénéficier ? « Ce n’est pas encore défini, répond le sociologue. Nous en sommes encore au stade des déclarations d’intentions. » Pour Fleur Pellerin, les bénéficiaires devront en contrepartie faire preuve d’une « dynamique éthique et volontariste » (en signant une charte de déontologie par exemple). Enfin, une aide reste commune à toute la presse, la TVA à 2,1% (au lieu de 20%). La ministre compte batailler avec les instances européennes pour maintenir ce taux avantageux. PAUL DESCAMPS JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS “ NOUS SOMMES DEVENUS UN SHOWROOM ! ” LES DÉTAILLANTS DE PRESSE EN PLEINE CRISE L’ENVERS DU DÉCOR Ils se lèvent à l’aube et découvrent nos journaux les premiers. Ce sont eux qui divulgent le fruit de notre travail. Et, ils souffrent. J ’ai eu envie de tenir un tabac-presse très tôt. Ça doit être inné », sourit Pascal Lemaire. Depuis cinq ans, le jeune quinquagénaire tient avec sa femme Véronique “ La Boutique du Fumeur ”, institution lilloise située place de Béthune. Derrière le comptoir, un mur de paquets de cigarettes. Au fond de l’établissement, une cave à cigares. Mais surtout, un impressionnant étal de journaux et magazines, qui traverse la pièce de part en part. Plus de 3 000 titres s’y affichent. « C’est presque trop, mais je trouve notre rayon très beau ! », lance Pascal. Trop, car certaines parutions ne sont jamais vendues. « L’Expansion par exemple, on en reçoit toujours une pile qui repart telle quelle », poursuit-il. HAZEBROUCK “ QUAND UN LECTEUR DISPARAÎT, IL N’EST PAS REMPLACÉ. ” LILLE À Versailles, les halles du quartier Notre-Dame sont toujours animées. Et plus encore ce samedi, jour de marché. NomLAVAL breux, les passants s’arrêtent au kiosque de Serge Queste et repartent avec leur lecture du week-end sous le bras. Le marchand de journaux est aux premières loges pour observer l’évolution du lectorat de la presse. Et, selon lui, il ne se renouvelle pas : « Je vois des gens de toutes les tranches d’âge et de toutes les catégories sociales et professionnelles. Mais quand un lecteur disparaît, il n’est pas remplacé. Il n’y a pas de “vrais jeunes” qui viennent au kiosque, j’entends par là ceux qui ont une vingtaine d’années. Ils sont nés avec des écrans et n’achètent pas le journal papier. Mais je les comprends, ils ont toujours connu ça et il est impossible de revenir en arrière ». En revanche, en ces temps de marasme pour la presse, Serge Queste estime que les hebdomadaires régionaux s’en tirent bien : « Je suis étonné de voir à quel point Toutes les nouvelles résiste bien par rapport aux grands quotidiens nationaux, qui, eux, s’effondrent. Je vends 50 à 60 exemplaires par semaine des Nouvelles. Cela varie selon les unes mais les ventes se maintiennent ». BAISSE DES VENTES AU SULLYS, AUSSI L es gens sont moins intéressés par les journaux d’informations locales aujourd’hui », affirme Thierry Lebeau, 54 ans. Le gérant du bar tabac Le Sullys est propriétaire depuis seize ans de ce petit bistrot à quelques encablures de la Mayenne, à Laval. Pour ce quinquagénaire, père de deux enfants, les titres de PHR, tel que Le Courrier de la Mayenne, souffrent avant tout d’un problème de lectorat. « Il ne faut pas se leurrer, Le Courrier de la Mayenne, c’est pour les gens d’un certain âge. Les jeunes d’aujourd’hui n’achètent pas de journaux de PHR. Ça ne les intéresse pas », analyse-t-il. Les journaux peinent à se vendre, en témoignent les invendus qui restent sur le comptoir. « Parfois, lors d’évènements ponctuels tels que le festival Les 3 Eléphants, j’en vends beaucoup plus qu’à l’habitude. Sinon, les gens vont sur internet pour avoir des informations », regrette cet amoureux du papier. « Mais la baisse ne touche pas que la PHR, c’est général. La presse nationale est plus durement touchée je trouve », tempère le patron. Devise de promo ? Journaliste au Courrier Cauchois Bon courage pour la mairie. 29 ans Un mot d’ordre ? Surprendre Intervenant marquant ? Hervé Un souvenir ? Leroy Boulette ? Euh ... panne de réveil !? Les larmes du red chef en fin d’intensives Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Lieu favori à L’écoLe ? BaBYfooT Montée du FN aux Régionales PHRASES 76 PIERRE VEILLÉ Surnom ? Martin matin Martin Drouet PAUL DESCAMPS VERSAILLES CLÉMENT VARANGES ILS ONT FAIT LA PHR Quant aux hebdos locaux, on ne peut pas dire qu’ils soient en tête des ventes. « Liberté Hebdo, on en vend généralement deux sur les trois qu’on reçoit. Croix du Nord, on ne l’a même pas », explique le commerçant, qui s’estime victime des systèmes d’abonnements. « Nous sommes devenus un showroom. Les gens feuillettent puis s’abonnent en rentrant chez eux », soupire-t-il. Pourtant, la distribution de presse reste leur deuxième source de revenus, à égalité avec les jeux mais après la vente de tabac. Contraint de diversifier son offre pour s’assurer un revenu correct, le couple se dit toutefois heureux d’exercer cette activité : « Nous n’avons aucune visibilité sur l’avenir, mais on espère rester ici jusqu’à la retraite ! » JEAN-BENOÎT FORTANT : “ J’AI CHOISI CE MÉTIER POUR LE LIEN SOCIAL ” 15 e JUIN 2015 PHRASES I l est bientôt 19h à Hazebrouck. Tous les commerçants ferment leurs portes, sauf Jean-Benoît, assis en terrasse face à son commerce La Maison de la Presse. Presque tous le connaissent ici, sa boutique ne désemplit pas. « J’ai choisi ce métier pour le lien social », confiet-il. Installé en tant que marchand de presse depuis deux ans, ce qui l’anime c’est le contact, les rencontres, les habitués. Lorsqu’on le questionne sur son travail au quotidien, le commerçant est lucide. « Bien sûr qu’on l’a dure. Notre taux de commission sur la vente de journaux est ridicule. Nous ne sommes pas maîtres de ce que l’on vend, et c’est bien le problème. » Selon lui plusieurs facteurs sont à pointer du doigt. « Je ne vends pas de pain. Pourtant, le boulanger, lui, vend la Voix du Nord ! À chacun 77 son travail, non ? » Confiant dans l’avenir de la presse locale, il émet tout de même quelques réserves. « La génération actuelle est celle de la zapette, du jetable, du numérique, des tablettes. Elle ne prend pas le temps. » Autre ombre ---au tableau, les formules d’abonnement : « Lorsque les éditeurs pratiquent des prix cassés sur les abonnements avec en prime des cadeaux, comment voulez-vous attirer les clients ici ? C’est de la concurrence déloyale ». Pour s’en sortir, il investit dans les jeux à gratter, la librairie, la carterie, le relais colis. Loin d’être défaitiste, il préfère se concentrer sur l’aspect social de son commerce. « On a toujours dit : le maire, le curé et l’instit. Je pense que la quatrième personne importante dans une ville, un village, c’est le marchand de presse. » L AURA OUDART JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS NOUVEAU CAP ANNIVERSAIRE LE GRATUIT, UNE SECONDE VIE POUR LA PHR ? LE POHER TAPE DANS LE MILLE Faire payer l’info sur Internet... ou développer le papier gratuit ? Les groupes de presse de PHR sont nombreux à privilégier cette seconde option. Seul moyen d’attirer de nouveaux lecteurs. Une métamorphose qui n’est pas sans conséquence sur le contenu du journal. Dans le Centre Bretagne, un événement a marqué l’actualité de la presse. Le Poher, à l’aube de ses vingt ans, a publié son millième numéro. Un anniversaire de taille pour ce 36 pages édité dans le mille-feuilles de la presse hebdomadaire régionale. H E alls de gare. Salles d’attente. Rues commerçantes. Ils sont parmi nous. Lancés en 2010 dans plusieurs grandes villes où le groupe Publihebdos s’est implanté, les gratuits ont trouvé leur place. L’hebdomadaire Côté Quimper, par exemple, tire à 25 000 exemplaires, avec un taux de retour de 0,01 %. Un suucès désarmant quand on sait dans quelle situation se trouve Metronews, le quotidien gratuit dont TF1 a décidé d’interrompre l’édition papier. Francis Gaunand, président du directoire chez Publihebdos, analyse à son échelle la situation des gratuits, et leur réussite : « On les distribue dans les centres-villes. Ils sont proches des gens, et de nos annonceurs. Nous visons l’audience la plus large possible. » Ce qui n’est pas une sinécure. « Une information généraliste est plus difficile à vendre qu’une info spécialisée. » Avec 830 000 exemplaires diffusés au gré de plus de 70 titres hebdomadaires, l’entreprise sait ce qu’elle fait. « Le local, c’est notre ADN. On veut faire vivre les pays. » Tous les gratuits n’affichent pas une forme olympique : TF1 a annoncé fin mai qu’il interrompait la version papier de Metronews. trains qui arrivent en retard, il les redirige vers le web. Du reste, un gratuit papier qui fonctionne, ce sont des journalistes et des commerciaux. Le rédacteur en chef quimpérois le vit au quotidien : « Il faut savoir faire des compromis, sans que cela devienne un empiètement. On peut écrire pour un gratuit sans perdre sa conscience de journaliste ». Car un journal, s’il veut vivre, doit vendre. Et pour cela, articles et publicités sont aussi indispensables. Dès lors, que faire quand le lecteur ne veut plus payer ? Francis Gaunand l’a compris : « On n’est pas dans une crise de la presse, mais dans celle du payant ». Presse et pub, sœurs ennemies ? Et un pays qui vit, c’est un citoyen qui lit. Sébastien Joncquez, rédacteur en chef de Côté Quimper, le sait. Et si le canard se maintient à flot, c’est qu’il s’intéresse au lecteur : « On favorise l’information positive dans nos pages. Pas de polémique, pas de faits divers, pas de politique. C’est le lecteur qui le demande ! » Les PIERRE JULIENNE LE GRATUIT FAIT DES PETITS Pascal Pallas, rédacteur en chef de Côté Toulouse (titre gratuit édité par Publihebdos et lancé le 19 mars) : « Ce n’est pas un journal d’opinion. Ni un agenda loisirs. Nous fournissons de l’information “concernante” au lecteur. Aujourd’hui, nous tirons à 45 000 exemplaires. Et avec notre ancrage local, on a de l’info exclusive. Il le faut. La gratuité ne suffit pas à attirer les lecteurs. » Pauline Le Diouris, rédactrice en chef de Le Mans ma ville (édité par Loire Hebdo et lancé le 20 mai) : « Mon but, en tant que journaliste, est d’intéresser le lecteur. Que cela soit gratuit ou non, ça ne change rien. Seulement, on évite l’information anxiogène. Je pense que presse payante et gratuite sont complémentaires. Nous, nous faisons de l’info pratique et à consommer. Qui pousse à agir. Et ça fonctionne. Les liens sociaux s’en trouvent renforcés ! » Journaliste à La Semaine des Pyrénées PHRASES La triplette magique ! 30 ans Modèle journalistique ? J-M Manach Boulette ? Les « rares » fois où j’ai oublié de me réveiller... Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Intervenant marquant ? Ils sont tous géniaux Un souvenir ? L’année en général, l’ambiance Accident de Fukushima 78 Surnom ? Binôme ou l’ours des Pyrénées Mathieu Houadec Expression de ta promo ? ILS ONT FAIT LA PHR Lieu favori à L’écoLe ? BiBLio 16 e JUIN 2015 ntre les Monts d’Arrée et les Montagnes Noires, le Poher est un pays à part. Avec une identité, une géographie typique et un journal. Un hebdomadaire qui a pris de l’altitude cette année, jusqu’à devenir un roc dans un paysage de granit. “Like a Rolling Stone”, le journal a fait mentir le dicton : pierre qui roule peut aussi amasser de la mousse. S’il a été racheté en 1999 par Le Télégramme, à la rédaction, on ne l’a pas vécu comme un caillou dans la chaussure. D’ailleurs Marcel Quiviger, directeur du Poher et rédacteur en chef du Télégramme, rappelait à l’occasion du millième numéro : « Jamais Le Télégramme n’est intervenu dans la ligne éditoriale du journal ». Une indépendance qui ne laisse pas de marbre. Au sein de la rédaction, on se satisfait de cette collaboration. « C’est bien d’avoir une structure comme Le Télégramme derrière nous. Cela nous assure un appui logistique de taille », explique Thierry Le Corre, journaliste. Une émancipation également vis-à-vis du fondateur du titre Christian Troadec, maire de Carhaix-Plouguer et leader du mouvement des « bonnets rouges ». « Les manifestations bretonnes ont été un bon indicateur pour le journal. Nous avons traité le sujet sans prendre parti, en laissant L’équipe du Poher, dans la rédaction de Carhaix. la parole aux différents protagonistes », rappelle Laurent Marc, rédacteur en chef du Poher. Selon lui, le journal est encore « considéré à tort comme le journal de Christian Troadec ». Pourtant, ce dernier CHRISTIAN TROADEC, LE POHER RANGER Le candidat à la présidentielle de 2017 est heureux de voir son bébé devenir un jeune adulte. Défenseur du Kreizh Breizh (Centre Bretagne), l’idée lui est venue de créer un journal qui embrasse les frontières du pays. « Les deux quotidiens (Ouest-France, Le Télégramme) locaux étaient très départementalisés. Or le Poher se situe à cheval sur trois départements, explique l’élu. On a eu de la chance : dès la première année, nous sommes devenus bénéficiaires. » Pour Christian Troadec, le rôle du Poher était de valoriser le Centre Bretagne et ses habitants. Montrer les attraits économiques du pays, relayer les initiatives et accompagner les habitants dans les difficultés du quotidien : le véritable rôle d’un Poher Ranger. « Il fallait prendre fait et cause pour la défense du Centre Bretagne, lâche le Finistérien. Un combat que je mène encore aujourd’hui. » PHRASES 79 rappelait à l’occasion d’une interview pour la chaîne Tébéo que l’hebdo ne se dérangeait pas pour « l’égratigner ». Preuve que ce sont de bons journalistes d’après lui. Indépendant et autonome, bien ancré sur le territoire, il est temps maintenant pour Le Poher de regarder vers l’avenir. Pour son rédacteur en chef, cela passe par une présence plus forte sur internet : « Pour l’instant, nous n’avons qu’une page Facebook, c’est une vitrine ». Selon lui, il va également falloir composer avec les nouvelles populations s’implantant dans le Centre Bretagne. « Notre lectorat est plutôt rural, affirme Laurent Marc. Seulement, l’arrivée de “rurbains” va modifier notre manière de travailler. Nous devrons nous adapter si l’on veut durer vingt ans de plus. » ARTHUR CONANEC « Le journal est encore considéré à tort comme le journal de Christian Troadec. » L AURENT MARC JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS SUPPLÉMENT MENSUELS RUGBY, ESSAI TRANSFORMÉ ? Cocotte, tampon, caramel, cathédrale... Quand la PHR chausse les crampons, elle ne fait pas dans la dentelle. Coup de projecteur, sur deux projets, deux visions, deux mensuels. LA VOIX DU RUGBY Nicolas Gosselin (à gauche) et Julien Veyre (à droite), duel de piliers. J uin 2013. La fin d’une belle saison pour le rugby de l’Ain. Oyonnax grimpe en Top 14 et Bourg-en-Bresse en Pro D2. Julien Veyre, journaliste à Voix de l’Ain, et son rédacteur en chef Nicolas Bernard s’en réjouissent. « On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. » Cet exploit sportif est l’occasion pour les deux amateurs de sport de créer un nouveau supplément pour l’édition papier. Ils transforment rapidement l’essai. Deux mois plus tard, le premier numéro du Mensuel Rugby est lancé. Une fois par mois, le petit nouveau est encarté dans le journal. Les capitaines, la mêlée, les agents, les familles : à chaque mois son thème, traité de A à Z. Pour les amateurs « d’actu chaude », les deux journalistes ont tout prévu. En janvier 2014, Voix de l’Ain lance en complément sa première application mobile spécialisée en ovalie. « L’appli du Mensuel permet de suivre les matchs en direct, l’évolution de la saison et bien d’autres choses. Elle est totalement gratuite. » Bien accueilli par les clubs du département, le complément booste les ventes du papier de 2,3 % en moyenne lors de sa sortie (par rapport à la moyenne mensuelle). Un succès qui a inspiré Le Républicain. Il y a un an, l’hebdo du Sud-Ouest lançait Oh Valie. À première vue, les deux suppléments semblent identiques. En apparence seulement : « Nous n’avons pas du tout le même public, alors c’est difficilement comparable, constate Julien Veyre. Même si nous nous adaptons en cas de grosse actu, nous sommes vraiment tournés sur le format magazine dans le style. Nous avons des rubriques similaires, les petits clubs par exemple, mais je trouve que nous les traitons de manière LE RAFFUT D’OH VALIE Se placer dans la mêlée 80 à notre présence sur le net, il faut nous habituer à y être en permanence », poursuit Nicolas Gosselin. En effet, aujourd’hui c’est aux journaux de s’adapter aux usages des lecteurs. « Les gens attendent de nous le lien social, alors on le leur donne ». ILS ONT FAIT LA PHR Vincent Cappoen NINA DWORIANYN 32 ans « En trois mois, notre page a atteint les 750 “j’aime”. On peut dire qu’il y a un vrai engouement ! » Pigiste à la recherche d’un poste NICOL AS GOSSELIN JUIN 2015 PHRASES Allez on va faire un gros baby Le but d’Oh Valie est de conquérir d’autres secteurs et de doper les ventes du dernier numéro du mois (le mensuel est distribué gratuitement avec le journal). Sur la vente au numéro, l’impact est difficile à cerner : « Nous avons un numéro qui a cartonné parce que Sud-Ouest était en grève, et sur le deuxième nous avions un gros fait divers en Une », commente Nicolas. Pourtant sur Internet, l’évolution est bel et bien là. « En trois mois notre page Facebook a atteint les 750 “j’aime”. On peut dire qu’il y a un vrai engouement ! », annonce le journaliste. Peu à peu, Oh Valie se fait une place. « Avant, le journal était assez passif sur Internet. Mais le mensuel nous permet de réellement booster ce côté-là. » Le tout est de se faire connaître du lectorat, de se faire une place. « Au départ nous n’avons pas assez mis en valeur le mensuel. Mais aujourd’hui, on est bien présent et il ne faut pas que l’on se relâche. Si le lecteur arrive à s’habituer Modèle journalistique ? EDWY PLENEL différente. Chaque mensuel a mis sa patte. Ainsi, nous ne développons qu’un seul angle par numéro et travaillons beaucoup le côté visuel. Chez Oh Valie, les sujets sont plus diversifiés et plus nombreux dans un magazine qui compte plus de pages ». Mais le journaliste bressan n’en dira pas plus à propos du “petit frère” comme il le surnomme : « Eux regardent ce qu’on fait, pas nous », plaisante-t-il. Entre l’Est et l’Ouest, c’est le début d’un choc frontal, digne d’une entrée en mêlée. Au sujet de ses projets de développement, Julien souhaite rester discret mais ne manque pas d’humour : « Je n’en dis pas plus. Je ne souhaite pas que nos idées se retrouvent dans Oh Valie… » ALICE DOUCHET À chaque sortie, le Mensuel booste les ventes de 2,3 % en moyenne. Intervenant marquant ? Gaëtane Bossaert Un souvenir ? Ambiance terrible de franche camaraderie pendant le congrès à Brive-la-Gaillarde Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Les élections présidentielles 81 Lieu favori à L’écoLe ? Surnom ? Vince PHRASES de l’Ain. Nous ne sommes pas tout à fait dans le même registre. Nous avons choisi de nous éloigner du côté sportif, pour se rapprocher de l’associatif, du bénévolat, des histoires à raconter en fait », indique Nicolas Gosselin. La cause ? Dans le secteur du Républicain, la plupart des clubs sont amateurs. « On cherche moins à être dans le résultat qu’à raconter des histoires comme les grandes gueules de la région, les bastons, les mythes. On cherche à s’éloigner de ce que Voix de l’Ain fait parce que ce n’est pas porteur pour nous ». La différence est pourtant minime. Au niveau du contenu, les deux mensuels cherchent à se rapprocher du format magazine. L’expression de ta promo ? L e mensuel rugby du Républicain (Lot-et-Garonne et Sud Gironde) pousse ses premiers cris. Né en 2015, il est encore en construction. « Lors de mon entretien d’embauche, on m’a demandé ce que je pouvais apporter au journal. J’ai proposé cette idée parce que Julien Veyre nous en avait parlé en cours, et je trouvais que c’était un projet intelligent », explique Nicolas Gosselin, ancien étudiant de la 19e promotion de la filière PHR de l’ESJ Lille, et à l’origine de la création d’Oh Valie. Un projet intelligent, surtout en Aquitaine, terre de rugby. « C’est le sport le plus fédérateur ici, puis il y avait des intérêts commerciaux : quand on parle de rugby, les annonceurs sont intéressés », poursuit le jeune journaliste. Oh Valie n’est pourtant pas une simple copie du mensuel Rugby de Voix de l’Ain. Nicolas reconnait l’influence du journal, mais nie avoir voulu faire un copier-coller : « Bien sûr que le point de départ c’est Voix 17 e PaS Le ru ! JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS PORTRAIT KÉVIN LOURENÇO, CROQUEUR D’ACTUALITÉ Un jeune journaliste de la 19e promotion PHR de l’ESJ Lille utilise son talent de dessinateur au service de l’information. Pour éclairer les lecteurs, Kévin Lourenço manie aussi bien les guillemets de citations que les bulles de bandes dessinées. Quand l’information devient bande dessinée Kévin Lourenço considère qu’il n’est pas possible de pousser la dérision en presse locale aussi loin que dans la presse satirique, qu’il dévore avec passion en tant que lecteur. « Je pense qu’on ne peut pas se permettre d’émettre un avis franchement tranché. Il ne s’agit pas d’un journalisme militant. » Dans L’Axonais, il traite sous forme de reportage dessiné, des sujets variés, de la fermeture d’un bar café littéraire au gala de boxe. « Je pense que le reportage BD intrigue le lecteur. Il peut déclencher un “tilt” et l’attirer sur un domaine qui ne suscite pas son intérêt au premier abord », explique-t-il. Et d’ajouter : « Je me souviens avoir appris au tout début de ma formation à l’ESJ que le regard du lecteur est immédiatement accroché vers les photographies et les illustrations. Inconsciemment, c’est ce qu’il regarde en premier lorsqu’il ouvre son journal. Ces images pourront guider ses choix de lecture ». Avec son crayon, Kévin Lourenço transforme les personnes en « personnages », et les met en scène dans les cases de ses planches de bandes dessinées. « J’ai de bons retours de la part des gens concernés. Ils sont aussi surpris et amusés lorsqu’ils découvrent que le journaliste qu’ils ont rencontré est aussi le dessinateur. » Il exerce aujourd’hui avec plaisir un métier alliant ses deux passions. L’ ambition du journaliste pour le futur, c’est Charlie Hebdo : « J’en rêve depuis l’époque du collège. Si j’y arrive un jour, je serai le plus heureux des hommes ! » « Dans le monde de l’édition, les ventes de BD sont en progression par rapport aux romans. Rien ne m’interdit de penser qu’il pourrait en être de même dans la presse locale. Je pense que c’est une tendance qui va se développer dans les années à venir. » VINCENT GÉRARD, ÉDITEUR ANNE LEBURGUE Légende POUR DÉCOUVRIR UN PEU PLUS SON COUP DE CRAYON Kevin Lourenço alimente régulièrement son blog : http://suntodessinateur.tumblr.com/ On y retrouve des dessins qu’il réalise pour L’Axonais, mais aussi des travaux plus personnels. Ce blog permet à l’artiste de se lâcher et de pousser davantage la caricature et l’humour noir qu’il affectionne. ILS ONT FAIT LA PHR Simon Playoult Journaliste au Syndicat Agricole Autoportrait de Kévin Lourenço, alias Sunto. 82 JUIN 2015 PHRASES Anecdote ? 23 ans Modèle journalistique ? Intervenant TINTIN Boulette ? Un camarade a foncé sur une bagnole en Rosalie Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Attentats de Boston 83 marquant ? Pascal Jacquart Un souvenir ? Surnom ? Michto PHRASES dans la presse locale. Je pense que c’est une tendance qui va se développer dans les années à venir ». Vincent Gérard se réjouit d’avoir recruté Kevin Lourenço dans son équipe et souligne son talent. Lors de la remise des diplômes, on s’est lancé un défi : placer nos surnoms dans les discours U n crayon pour écrire l’actualité, un autre pour la dessiner : Kévin Lourenço, 27 ans, est entré dans le monde de la presse hebdomadaire, carnet de croquis sous le bras. « Mon père travaille dans l’édition. Il y avait énormément de livres à la maison. J’ai commencé à m’intéresser à la bande dessinée et au dessin de presse très jeune. » Ce journaliste a grandi en se nourrissant du Canard enchaîné, d’Hara-Kiri, ou encore de Charlie Hebdo : « Cabu, c’est pour moi le plus grand, le maître. Mon admiration pour lui, pour Charlie, n’est pas née après les événements de janvier, elle remonte à mon enfance ». Issu de la filière Presse Hebdomadaire Régionale de l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille, il travaille depuis sa sortie de l’école à Soissons pour L’Axonais. Au sein du journal, il exerce le métier de journaliste de presse écrite. Son joli coup de crayon vient ponctuellement animer les pages de l’hebdomadaire. Avant son entrée dans le journalisme, il a d’abord suivi une formation en bande dessinée et graphisme à l’école des Beaux-Arts de Tournai (Belgique). Ce sérieux bagage artistique lui permet aujourd’hui de capter et retranscrire avec aisance les événements qu’il rapporte dans les pages du journal. « Pour des sujets qui s’y prêtent, je réalise des reportages dessinés », explique ce croqueur d’informations. Le classique papier « article + photographie » prend alors la forme d’une planche de BD. « Ce type de format permet d’apporter une pointe de fantaisie, un brin d’humour et de pédagogie que l’on ne peut pas toujours se permettre dans un article », ajoute-t-il. Son directeur de publication, Vincent Gérard, est à l’initiative de cette proposition originale : « L’Axonais est le seul titre de PHR en France à proposer ce nouveau genre de reportage ». L’idée lui est venue en découvrant le travail de Guy Delisle. « Il est l’auteur de Pyongyang, et des Chroniques de Jérusalem. Je trouve cela génial de raconter la vie en la dessinant », explique-t-il. Et d’ajouter : « Dans le monde de l’édition, les ventes de BD sont en progression par rapport aux romans. Rien ne m’interdit de penser qu’il pourrait en être de même Planche de bande dessinée réalisée par Kévin Lourenço, extraite de L’Axonais. Le mobilhome pendant le congrès Lieu favori à L’écoLe ? BaBYfooT 18 e JUIN 2015 C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS PASSION NORDIQUE COUPLES A PHR, FILIÈRE DU CŒUR La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit ? Pas à l’ESJ Lille en tout cas : en PHR, de nombreux couples ont vu le jour. Des histoires pas comme les autres dans un monde pas comme les autres : le journalisme. PAR PIERRE JULIENNE UN BÉBÉ CANARD I ls n’ont encore culotté aucun enfant. Mais en ont déjà mis un sous presse. « On a créé Le Sans-Culotte en 2007. Guillaume connaissait bien la Vendée, dont il est originaire. Il y a une identité très forte là-bas. C’était le lieu rêvé pour se lancer. » Le couple a donc installé la rédaction entre « le lit et la fenêtre ». Ces deux anciens de la 7e promo PHR ont co-signé la ligne éditoriale. « À l’école déjà, on ne rentrait pas dans le moule. Après le stage d’été, on a travaillé dans plusieurs canards différents, ce qui nous a permis de mûrir notre projet : on ne voulait pas travailler pour un titre qui serait à la botte de grandes enseignes commerciales à cause de la pub. » Ils ont donc potassé un lourd dossier-projet intitulé Créer un journal, comme d’autres bachotent Bébés pour les nuls. Ils ont même demandé conseil auprès d’Anne Carpentier, fondatrice de La Feuille, hebdo satirique et indépendant du Lot-et-Garonne. Le résultat : un mensuel à trois euros le numéro, dépourvu de publicité. Mais même si les premiers pas du Sans-Culotte coïncident avec ceux de La Brique, journal de critique sociale à Lille, Marie Coq tient à faire le distinguo : « Nous ne sommes pas là pour faire un journal engagé. Nous voulions seulement pouvoir traiter n’importe quel sujet, sans aucune contrainte. Nous dénonçons quand il y a matière à le faire ». Politiques de gauche comme Marie Coq, 35 ans et Guillaume Fonteneau, 38 ans, rangent le courier des lecteurs « sous les verres d’apéro ». de droite, démarches commerciales suspectes, ils passent tout au crible. Une tâche ardue : « Le niveau d’exigence de nos lecteurs est encore plus grand comme nous sommes un journal indépendant. Ils nous font confiance, nous n’avons pas le droit à l’erreur ». Marie Coq et le Marteau-Piqueur Aujourd’hui, Marie occupe le poste de rédactrice en chef, aux côtés d’un autre journaliste. Guillaume, s’il a quitté le métier pour devenir responsable d’espaces verts, reste membre de l’Association qui PHRASES « C’est un scandale » et « Ça passe crème ». À la recherche d’un poste L’expression de ta promo? 25 ans NOCES DE PORCELAINE Modèle journalistique ? MES CAMARADES Actu marquante quand tu étais à l’ESJ ? Intervenant marquant ? Hervé Leroy et Laurent Brunel La mort de Nelson Mandela et la libération Lieu favori des otages français en à L’écoLe ? Syrie. La cour 84 Surnom ? Charly ILS ONT FAIT LA PHR Charlotte Provin édite le journal. Et il a toujours son mot à dire. « Il sert de garde-fou, confie Marie. En conférence de rédaction, si on n’est pas d’accord, il me rentre dedans. On le surnomme le Marteau-piqueur. Ça nous arrive d’avoir des prises de bec. Heureusement! C’est grâce à cela que Le Sans-Culotte existe encore. » Il n’aurait cependant pas vu le jour sans une première rencontre, amoureuse, à l’ESJ : « On s’est mis ensemble dès la soirée d’intégration ». La genèse du Sans-Culotte remonte loin dans le passé. Quant à l’avenir : « On voudrait trouver un local pour sortir le journal de la maison ». Même chez les canards, le bébé doit un jour quitter le nid familial. vec eux, le journalisme a trouvé son yin et son yang. « Lui, c’est plutôt un Stakhanov, une brute de travail ! », confie Hélène avec amusement. « Moi, je suis plus dans le flou artistique. » Les différences ne manquent pas entre ces deux anciens PHR, très complémentaires. « Ce que j’admire chez lui, poursuit Hélène, c’est son énergie. Il écrit très vite. » Benoît, lui, reconnaît chez Hélène une « vraie touche-à-tout ». Elle joue de la flûte traversière en harmonie. Sa marotte à lui, ce sont les oiseaux. Il y a consacré un bimensuel : La France colombophile. Deux passions bien implantées dans leur région. Benoît est rédacteur en chef de L’Indépendant du Pas-de-Calais. Elle, chef de cabinet d’un élu de la commune de Blendecques. « On s’est rencontré avant l’école. On travaillait pour deux titres concurrents, sur le secteur de l’Audomarois-Cambrésis. Mais on n’a jamais voulu travailler ensemble. On ne voulait pas de rapports hiérarchiques. » Ils ont eu une fille, Marie, en 2005. Un amour qui perdure malgré des opinions politiques divergentes : « Hélène a des penchants communistes, moi, c’est plutôt centre-droit ». À l’ESJ, cela ne les a pas non plus empêchés d’avoir des manières différentes (et originales) de travailler. « Je me souviens d’un exercice d’écriture que j’ai fait en cinq minutes à 2 heures du matin. J’ai eu la meilleure note. Benoît et Hélène Cailliez Hétuin, Elle, c’était lors de l’épreuve d’expression libre au concours. Il 40 ans, ont abonné leur fille fallait s’inspirer du carambar Marie à Mon Quotidien. qui était posé sur notre table « Elle fera du journalisme si elle d’examen. Elle a fait un truc sur le souhaite ! » la fellation ! » Le plus mémorable reste la déclaration d’amour de Benoît : « Je faisais un article sur le village de Nortkerque qui inaugurait son géant pour le carnaval. Je l’ai décrit avec les traits d’Hélène ». L’effet de surprise est monnaie courante entre eux. Mais plus répandu dans l’écriture d’Hélène : « Je passe mon temps à mettre des points d’exclamation partout, lui à les enlever ! » L’équilibre du yin et du yang : ce couple PHR a trouvé le secret de la longévité. 19 e JUIN 2015 Aurélie Beaussart, 32 ans, et Jacques Taquet, 52 ans, sont les parents de Solal, éponyme du 1er roman d’Albert Cohen. UNION DE TERRAIN Q ui a dit que les filières étaient hermétiques à l’ESJ ? Jacques Taquet entre à l’école en 1978 pour le master généraliste, quand Aurélie sort diplômée de la 9e promo PHR en 2004. « Nous nous sommes rencontrés sur le terrain. Il était rédacteur en chef d’une radio locale, tandis que je faisais un stage à L’Observateur de l’Avesnois. » Elle faisait ses armes, lui connaissait le coin. Il était aimable et ouvert. Elle était curieuse et rêvait d’apprendre. « Les gens ne se rendent pas compte des réalités de notre travail, explique Amélie. Jacques connaît les contraintes du métier. Quand j’étais responsable des faits divers, j’ai été appelée un 31 décembre à cause d’une fusillade entre forains. J’ai dû lâcher tout le monde en plein repas ! Mais Jacques comprenait très bien. » S’ils ne sont pas trop regardants sur leur emploi du temps respectif, ils le sont davantage sur leur travail. Ainsi, l’un se fait toujours le critique de l’autre : « Nos conversations sont toujours enrichissantes. Le métier de journaliste, de toute façon, tu l’apprends tous les jours ! » Ils emménagent à Reims en 2005. Deviennent parents en novembre 2013. Mais ne souhaitent pas travailler ensemble : « On l’a fait une fois, lors d’un festival de cinéma à Jeumont. Le rapport hiérarchique était bizarre, nous n’avons pas voulu répéter l’expérience ». Il est donc toujours journaliste indépendant, pendant qu’elle travaille à la locale de L’Union, à Reims. Une séparation indispensable pour préserver l’union qui compte le plus : la leur. (2) (1) L’ESJ a fêté vendredi 12 juin ses 20 ans de mariage avec la filière PHR. Une centaine d’anciens étaient présents. La promo 16 s’est prêtée au jeux, comme de nombreux autres, les pieds dans la paille et fourche à la main (1) pour tourner en ridicule les clichés qui collent à la peau de la presse locale. Le buffet a, quant à lui, réuni les journalistes de demain et leur papa lapin, Frédéric Baillot(2). PHRASES 85 JUIN 2015 ÉCOLE SUPÉRIEURE DE JOURNALISME DE LILLE La plus ancienne des 14 écoles de journalisme reconnues par la profession La meilleure école de journalisme de France (dernier classement Le Figaro StreetPress) Formations (de la L1 au Master 2) et prépas au journalisme : ∫ Académie ESJ Lille (de la Licence 1 à la Licence 3) ∫ Licence pro PHR Presse écrite/web ∫ Licence pro Journaliste Sportif ∫ Master 2 Journaliste et Scientifique ∫ Master management médias en ligne s ancienne des ∫ des Double diplôme ESJ Lille et 14 écoles de Sciences Po Lille journalism ∫ Télépréparation aux concours des écoles de journalisme ∫ Prépa égalité des chances aux concours des écoles de journalisme www.esj-lille.fr @ESJLille facebook.com/esj.lille