Homélie du Pr René CHAMUSSY, Recteur de l`Université Saint
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Homélie du Pr René CHAMUSSY, Recteur de l`Université Saint
1 Homélie du Pr René CHAMUSSY, Recteur de l'Université Saint-Joseph Enterrement du P. Jean Ducruet, s.j. 16 mars 2010 C'est dans la paix et la sérénité que nous nous retrouvons aujourd'hui autour de Jean Ducruet. « Dans la paix et la sérénité» parce que nous vivons dans la foi ce dernier déchirement, « dans la paix et la sérénité », parce que c'est ainsi que lui-même a vécu ces longues et douloureuses dernières semaines. Reste à nous ressouvenir pour que lui qui a été si souvent un meneur et un incitateur, poussant à réaliser tant et tant de choses, puisse demeurer pour chacun comme une présence paisible et lumineuse, intermédiaire essentiel entre celui qui nous fait vivre et nous, laborieux serviteurs liés à tant de tâches. Il nous faut donc parler de Jean Ducruet, parler d'un homme qui se voulut toujours un peu hors normes, metteur en scène de sa propre vie, une vie très centrée sur les choix qu'il fit, sur les engagements qu'il prit et qu'il n'avait pas l'habitude de laisser filer. «Je n'ai pas le choix ... » avait-il coutume de dire en prévision de telle ou telle décision. En fait, nous savons tous que chacun de nous a toujours le choix. Mais Jean Ducruet s'imposait à priori le plus difficile laissant à délibération les modalités de traitement de tout ce qu'il entreprenait. Pour lui, les grandes options s'imposaient. Il restait à les vivre. Et c'est ce qu'il voulut faire réaliser tant au plan national que professionnel que religieux. Au plan national, c'est d'abord son engagement en tant que citoyen français qui le préoccupa d'abord. La guerre en effet vient l'arracher au noviciat et après un bref engagement dans ce que l'on appelait alors les « chantiers de jeunesse », il se retrouva bientôt en « service de travail obligatoire» en Allemagne ... Je ne suis pas prêt d'oublier telle ou telle longue soirée de bombardement dans le sous-sol de la bibliothèque de la rue 2 Huvelin où il nous narra les multiples péripéties qu'il traversa alors, dans ses tentatives pour recouvrer la liberté. Puis les années de formation passées, il se retrouva, toujours solide témoin de son engagement français, mais déjà voué à cette nouvelle patrie, le Liban. - Le Liban ? Jean Ducruet s'engagea en ce pays et l'assuma sans partage. Lucide, il ne cachait jamais les failles et les malheurs de ce pays. Mais il était là et il vécut tout cela comme il devait le vivre, heureux d'être reconnu par les plus hautes autorités du pays, satisfait de se voir consacré en 2001 par le 1er ministre comme Vice-Président du comité consultatif national libanais de bioéthique - C'est dans cet esprit qu'il traversa la longue guerre libanaise, sauvant ce qu'il pouvait sauver d'une Université si rudement malmenée, colmatant les brèches, réparant ce qui pouvait être réparé, faisant s'étendre les activités de l'USJ sur tout le territoire du Liban, tentant toujours de faire prévaloir l'esprit de dialogue et le courage pour reconstruire ce pays déchiré et qu'il voulait voir libéré, et uni. Jacques Chirac dira ce qu'il faut dire en lui remettant la Croix de Commandeur de la Légion d'Honneur: le P. Ducruet ? Un grand serviteur de la pensée et de la culture française dans un Liban qui est devenu naturellement sa seconde patrie». Mais le Liban de Jean Ducruet, c'est avant tout le Liban qu'il découvre avec l'Université Saint-Joseph, le haut lieu de son engagement professionnel. Nous avons déjà évoqué son combat pour l'Université dans la guerre du Liban. Il sut faire beaucoup plus, remodelant l'Université comme « Université privée libanaise », lui donnant la capacité de se construire pour elle-même toujours en liaison avec la Compagnie de Jésus, mais toujours plus autonome et dépendant avant tout de son propre Conseil, un Conseil que lui-même, vingt ans durant sut animer avec la fougue qu'on lui connaît tentant avec toujours plus de force d'imprimer dans la tête et le cœur de ceux qu'il rencontrait les valeurs qu'il voulait toujours prôner et qui font encore aujourd'hui l'essentiel de ce qu'il nous faut vivre : le service du pays, la compétence, l'ouverture aux valeurs spirituelles, le dialogue entre tant de différences. Ce sont d'ailleurs ces mêmes valeurs qui l'animaient alors que 3 dans le même temps, de 1981 à 2001, il jetait les bases d'une structure nouvelle pour l'Hôtel-Dieu de France. Au terme de son rectorat, il choisit de se reconvertir dans un centre d'éthique, choix symbolique pour un homme qui souffrait véritablement de tant de déficiences dans la pratique professionnelle de ceux qu'il côtoyait. Reste à évoquer le cœur de ce qui faisait agir Jean Ducruet, son engagement religieux. D'autres que moi pourraient sans doute mieux parler de ce compagnon fidèle et simple qui sut vivre pleinement cet engagement religieux qu'il avait choisi. Mais je pense que là était la source de l'émotion visible qui le saisissait au regard des pauvres, des malades et tant de ceux qu'il croisait et qui vivaient dans le désarroi. Par delà cette austérité d'apparence qu'il semblait vivre, il y avait cette chaleur humaine, signe de cette bonté de Dieu, dont il ne voulait pas se départir. Nous l'avons vu pleurer sur le Liban, sur l'Université... pas de doute qu'il pleura aussi beaucoup sur cette foule d'inconnus, d'amis et de compagnons qui le suivaient. A notre tour maintenant de l'accompagner dans la paix et la sérénité. Puisse-t-il rester pour chacun d'entre nous un indéfectible compagnon.