Éloge funèbre1 de M[onseigneur]2 le Prince de Chimay, prononcé

Transcription

Éloge funèbre1 de M[onseigneur]2 le Prince de Chimay, prononcé
Éloge funèbre1 de M[onseigneur]2 le Prince de Chimay, prononcé, le 25 Mai 1843, à la séance publique de la Société archéologique de Béziers. Qui diligit proximum, legem implevit. Celui qui aime son prochain, a accompli la loi de Dieu. St-­‐Paul aux Romains.3 MESSIEURS, Un des plus dignes descendants de Pierre-­‐Paul Riquet m'écrivait il n'y a pas longtemps encore: J'éprouve pour l'honorable Société Archéologique ma part de la reconnaissance que lui doit toute ma famille, et je lui en donnerai toutes les preuves qui dépendront de moi; et déjà la mort, l'impitoyable mort, posait en lui le germe de la cruelle maladie qui l'a conduit au tombeau ! Il n'est plus ce prince de Chimay, qui fut pour les pauvres si charitable, pour notre Société si généreux; il n'est plus, mais nos regrets lui survivent. 1
Ce texte a été imprimé dans le Bulletin de la société archéologique de Béziers, tome IV pour l'année 1841, Béziers, [1843], pp. 261-­‐275. Sauf indication contraire (signalée entre crochets), l'orthographe de l'auteur, M. Jacques Azaïs (1778-­‐1856), président de cette vénérable société savante, a été respectée. 2
e
Il est d'usage constant, depuis la fin du XV siècle de faire précéder le titre princier de la Maison de Chimay du prédicat Monseigneur. On en trouve une foule d'exemples dans les anciennes chroniques, la comptabilité publique et les archives diplomatiques; voir à titre illustratif le texte du traité de Senlis (23 mai 1493) dans l'édition d'Ernst Münch (Margaretha von Oesterreich, Oberstatthalterin der Niederlande: Biographie und Nachlass; nebst allerlei Beiträgen zur politischen und Litterargeschichte des 15. und 16. Jahrhunderts, Leipzig & r
Stuttgart, 1833, Urkunde N 9., pp. 380-­‐407), p. 402: "Item: De la part de mesdits seigneurs roy des Romains et archiduc, sont dénommez conservateurs pour les marches de Flandres et d'Arthois, monseigneur de Nassau, ensemble les gouverneurs de Lisle, d'Arras, et baillys desdits pays, chacun en son endroict; [pour la marche] de Haynault, monseigneur le prince de Chimay [...]". Il est incontestable que le prince dont l'éloge funèbre est rapporté ici, portait ce prédicat; on se contentera de citer la première édition allemande d'une partition de Jacques P. J. Rode (1774-­‐1830), imprimée vers 1818 (Vingt-­‐Quatre Caprices, en forme d’études pour le violon seul dans les vingt-­‐quatre tons de la gamme, composés et dédiés à Monseigneur le Prince de Chimay, Leipzig: au Bureau de Musique de C. F. Peters, Platten-­‐Nummer 1461, 1 planche & 49 pages gravées, in-­‐folio) et un courrier officiel adressé en 1841 par la ville de Chimay au Ministre belge de l'Instruction publique (État de er
l'instruction moyenne en Belgique 1830-­‐1842: Rapport présenté aux chambres législatives le 1 mars 1843 par M. le ministre de l'Intérieur, précédé d'un exposé de la législation antérieure à 1830 et suivi du texte des lois, arrêtés et circulaires de 1815 à 1842, Bruxelles: Em. Devroye et Cie, 1843, voir pp. XXXI, 402), voir p. 143-­‐144: "E. Adhésion du conseil communal de Chimay aux conditions de la circulaire du 31 mars 1841. 21 avril 1841. Monsieur le Ministre, [...] Sous le gouvernement des Pays-­‐Bas, notre collège, à la sollicitation de monseigneur le prince de Chimay, fut doté d'un subside de fl. 1,200 [...] et pour donner à nos efforts plus de chances de succès, nous priâmes monseigneur le prince de Chimay de nous prêter encore une fois ce noble et généreux appui, qui jamais n'a manqué à sa ville. Cet auguste médiateur vient d'obtenir ce qui faisait l'objet de nos vœux et de nos démarches [...] [signé] Ch[arles] Deltombe." 3
Rom., c. XIII, v. 8b alias Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains, chapitre 13, verset 8, seconde partie. Le verset complet: Nemini quidquam debeatis nisi ut invicem diligatis; qui enim diligit proximum legem implevit, peut également se traduire par: Vous n'êtes redevable à personne de quoi que ce soit, sinon de l'Amour; car celui qui aime son prochain se conforme à la Loi. L'amour est ici défini comme le "plérôme de la loi" (en grec plèroma tou nomou), ce qui signifie littéralement: le "remplissage" (accomplissement) des obligations qui découlent de la Loi divine. 1 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. Mes collègues m'ont imposé la tâche douloureuse de les exprimer dans cette séance publique et solennelle: heureux, si je réponds à la confiance dont ils m'ont honoré ! François-­‐Joseph-­‐Philippe4 de Riquet naquit à Paris5 le 216 novembre 1771. Victor-­‐Maurice de Riquet, comte de Caraman, son père, lieutenant-­‐général des armées du roi, grand croix de l'ordre de Saint-­‐Louis, et Anne-­‐Gabrielle d'Alsace d'Henin-­‐Liétard, princesse de Chimay7, sa mère, développèrent en lui, par une éducation soignée, toutes les qualités qui constituent l'homme du monde, l'homme d'épée et l'homme de bien; mais c'est la nature seule qui avait, si je puis m'exprimer ainsi, implanté dans son âme cette indicible bonté, cette générosité à toute épreuve, cette bienfaisance sans bornes, dont toutes les actions de sa vie portèrent l'empreinte. 4
Etant donné le nombre exceptionnel de personnages de premier plan nommés "Philippe de Chimay" qui ont porté successivement le titre de pair, comte, et/ou prince de Chimay au cours des 7 derniers siècles, il a semblé opportun d'en dresser une nomenclature simplifiée. Les illustres devanciers de Philippe VIII (dont il est er
question ici), dont les dates de naissance et de décès sont indiquées entre parenthèses, furent: Philippe I ème
ème
(1396-­‐1467), pair de Chimay; Philippe II (1436-­‐1482), 2 comte de Chimay; Philippe III (1496-­‐1549), 2 ème
ème
prince de Chimay; Philippe IV (1525-­‐1595), 4 prince de Chimay; Philippe V (1619-­‐1675), 8 prince de ème
ème
Chimay; Philippe VI (1646-­‐1688), 10 prince de Chimay; Philippe VII (1736-­‐1804), 15 prince de Chimay et, ème enfin, Philippe VIII, 16 prince de Chimay (1771-­‐1843). Une Liste révisée des dynastes de Chimay 1317-­‐2015 me
est en cours d'élaboration; elle a pour vocation de remplacer une liste incomplète publiée par M Marie Cornaz sur la manchette de son ouvrage musicologique (Les princes de Chimay et la musique: une famille de e
e
mélomanes au cœur de l'histoire, XVI -­‐XX siècle, Tournai: La Renaissance du Livre & Dexia, 2002, 271 pp.), qui figure également dans l'histoire généalogique des comtes de Caraman, parue sous la plume de M. Philippe Montjovent dit "de Montjouvent" (Les Riquet de Caraman, Paris: Christian, 2002, 543 pp.). Ce dernier ouvrage, hélas! truffé d'erreurs quant à l'histoire de la Maison de Chimay (seuls ses six derniers chefs du nom et des armes sont issus de cette famille), comporte néanmoins un grand nombre de données généalogiques et topographiques dignes d'intérêt, qui se sont avérées utilisables après avoir été méticuleusement vérifiées. 5
Philippe VIII de Chimay naquit dans l'ancien hôtel de La Tour d'Auvergne, que ses parents avaient acheté le 30 mai 1764, et qui prit dès lors le nom d'hôtel de Caraman. Cet hôtel a changé plusieurs fois de numéro au cours de son histoire et son ancienne adresse "1533, rue de la Barrière Saint-­‐Dominique, district des Invalides" (en ème
1789) correspond à l'actuel "28, rue Saint-­‐Dominique", dans le VII arrondissement de Paris; il abrite en 2015 la Maison de la Chimie. 6
La date de naissance correcte est le 20 novembre 1771. Le 21 novembre correspond à la date de son baptême. Voir la note 8 ci-­‐après. 7
Son Altesse la princesse Marie-­‐Anne-­‐Gabrielle-­‐Josèphe-­‐Françoise-­‐Xavière de Chimay et du Saint Empire, dite, dans sa jeunesse Mademoiselle d'Alsace, née le 29 mars 1728 à Lunéville et décédée le 6 messidor an VIII (25 juin 1800) à l'hôtel de Caraman, à Paris, quatre ans avant son frère aîné (Archives départementales de la Seine, Acte d'état-­‐civil reconstitué, abrévié "ECR"). Le comte de Caraman l'avait épousée le 26 octobre 1750 dans la chapelle du château ducal de Lunéville (Archives départementales de Meurthe-­‐et-­‐Moselle, 5mi 328 R18bis) et ème
elle était fille de Son Altesse Alexandre-­‐Gabriel-­‐Joseph d'Hénin-­‐Liétard d'Alsace (1681-­‐1745), 12 prince de Chimay et du Saint-­‐Empire, grand d'Espagne de première classe, premier pair des comtés de Hainaut et de Namur, etc. et de Son Altesse la princesse Gabrielle-­‐Françoise de Beauvau-­‐Craon et du Saint Empire (1708-­‐
1758). 2 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. II avait été tenu sur les fonts de baptême8 par Philippe-­‐Gabriel-­‐Maurice d'Alsace, prince de Chimay9, son oncle maternel. A peine âgé de quatorze ans, et déjà reçu chevalier de Malte de minorité, il entra comme surnuméraire dans les gardes du corps, compagnie de Noailles. Il passa lieutenant presque aussitôt dans le régiment de hussards d'Esterhasy en garnison à Rocroy, et suivit, comme aide de camp, son colonel10 aux camps de Metz et de Saint-­‐Omer. Le comte de Caraman, son père, commandant militaire supérieur de la Provence en 1787, 1788 et 1789, l'appela auprès de lui. Il continua sous son père, toujours comme aide de camp, les études pratiques de l'art militaire qu'il avait commencées sous le comte d'Esterhasy. Les troubles, qui éclatèrent dans la Provence en l'année 1788, ayant empêché le comte de Caraman de faire sa tournée ordinaire sur le Canal du Midi, son jeune fils, âgé de dix-­‐sept ans, la fit à sa place. Naturellement observateur, le jeune Caraman fit par écrit pendant sa tournée, une foule d'observations judicieuses qui furent déposées dans les archives du Canal du Midi où on les consulte encore. Cependant le mouvement révolutionnaire, qui s'était déjà manifesté dans la Provence, y avait fait en 1789 de rapides et d'immenses progrès. Une émeute populaire éclate à Aix. Le comte de Caraman, à la tête de quelques troupes, veut faire rentrer dans l'ordre les séditieux. Il est assailli, de tous côtés, de coups de pierre et de coups de feu. Le jeune Caraman qui vole au secours de son père avec quelques dragons, reçoit un coup de feu lui-­‐même; mais sans s'occuper de sa blessure, il met son chapeau sur la tête de son père qui, dans la mêlée, a perdu le sien, l'arrache à une mort certaine, et protège sa retraite jusqu'à la caserne. 8
Son Altesse le prince de Chimay était représenté par Jacques Simon, cuisinier, et la marraine, Son Altesse la princesse Maria Franziska Josepha de Salm-­‐Salm (1731-­‐1806), épouse de Son Altesse Johann Georg Adam, prince de Starhemberg (1724-­‐1807), ministre plénipotentiaire de Leurs Majestés Impériales et Royales dans les Pays-­‐Bas, représentée par Marie-­‐Marguerite Fichu, femme de Joachim Gueneur, cocher. (Archives départementales de la Seine, Acte d'état-­‐civil reconstitué, avec de grossières erreurs de lecture, non décelées par M. Montjovent...) 9
ème
Son Altesse Philippe-­‐Gabriel-­‐Maurice-­‐Joseph d'Alsace d'Hénin-­‐Liétard (1765-­‐1804), comte de Boussu, 15 prince de Chimay et du Saint Empire, grand d'Espagne de première classe, colonel au service de la France. 10
Il s'agit d'un gentilhomme d'origine hongroise, Galánthai és Fraknói Gróf Esterházy Bálint László (francisé en comte Valentin Ladislas d'Esterhazy de Frakno), né en France à Le Vigan (Cévennes, département du Gard) le 22 er
octobre 1740, maître de camp du régiment de Hussards de son nom, qu'il avait levé par commission du 1 février 1764. Voir la Table historique de l'État militaire de France depuis 1758 jusqu'à présent, Paris, 1766, page 101. 3 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. Bientôt il suit son père à Marseille où des bandes de forcenés commettent les plus affreux désordres. La ville est occupée militairement: mais l'occupation militaire, loin de calmer les séditieux, ne fait qu'accroître leur irritation, attisée d'ailleurs par le soleil brûlant du Midi. Ils se portent en foule sur la maison Borelly, brisent les portes; la maison va être envahie, pillée, démolie, lorsque le jeune Caraman arrive à la tête d'un détachement de dragons; il charge les pillards, les dissipe, et la maison Borelly reste debout et les richesses qu'elle renferme sont sauvées du pillage. Des cris de vengeance contre le jeune Caraman, se font entendre de toutes parts: sa mort est résolue. Il est surpris un jour et enveloppé par une bande furieuse d'hommes armés qui crient à la lanterne ! On descend déjà la lanterne à laquelle on veut l'attacher... il pousse son cheval, il charge seul les furieux, les fait fuir devant lui, s'ouvre un passage, et la lanterne pour cette fois attend en vain une victime. La belle conduite du jeune Caraman ne fut pas sans récompense. De retour à Paris avec son père, il reçut le brevet de capitaine de cavalerie. Paris était devenu le théâtre de mouvemens populaires qui promettaient une moisson trop abondante, pour que beaucoup de ces Marseillais, qui avaient déjà l'habitude du pillage et du désordre ne prissent pas la route de la capitale. Ces Marseillais étaient, dit Montgaillard, des forçats, des vagabonds, des bandits des provinces méridionales, des assassins d'Arles et d'Avignon, réunis à des brigands accourus des provinces limitrophes d'Italie. Ils éclatèrent en menaces contre le comte de Caraman et contre son jeune fils, qui échappèrent à leur fureur en se réfugiant dans les Pays-­‐Bas. Les dangers que courait Louis XVI en France ne permirent pas au jeune Caraman d'en rester plus longtemps éloigné. II revint à Paris, bien résolu à défendre son Roi, et à verser pour lui jusqu'à la dernière goutte de son sang; et ce ne fut que sur l'ordre exprès que Louis XVI lui en donna lui-­‐même, qu'il partit pour l'armée des princes. Il prit d'abord du service dans la légion de Rohan; mais cette légion, après une campagne très-­‐pénible, étant sur le point de s'embarquer pour Saint-­‐Domingue, il entra, en qualité d'adjudant-­‐major, dans un régiment de Hussards autrichien. Il fit plusieurs campagnes, reçut, le 24 août 1796, une forte blessure au bras droit, au moment où il attaquait à Friedberg une batterie d'artillerie, et alla rétablir à Hambourg sa santé fortement altérée par sa blessure et les fatigues des campagnes précédentes. Ce ne fut qu'après de longues souffrances qu'il parvint à rétablir sa santé. 4 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. L'amour de son pays triompha des sentimens qui lui avaient mis les armes à la main, sentimens honorables peut-­‐être dans leur principe, mais peu d'accord dans leurs effets avec les devoirs que l'homme en naissant contracte envers son pays; et comme, à raison de son jeune âge, il n'avait pas été porté sur la liste des émigrés, il revint à Paris où il lui fut enfin permis de se livrer exclusivement à son amour pour les arts. L'étude des belles-­‐lettres avait dominé les études du jeune Caraman; mais il s'était secondairement occupé de peinture et de musique. Heureusement organisé pour ces deux branches des beaux-­‐arts, il y avait fait d'immenses progrès. De retour à Paris, il vit les grands artistes, se perfectionna avec eux; et comme musicien surtout, il rivalisa de talent avec les hommes supérieurs de l'époque. Que d'autres admirent cette gloire militaire, dont les lauriers croissent dans la destruction, sont teints de sang et arrosés de larmes ! J'aime ces talents agréables qui donnent aussi de la gloire à ceux qui y excellent, mais qui jettent quelques fleurs sur notre existence, sans porter la plus légère atteinte à notre repos. François-­‐Joseph-­‐Philippe de Riquet, déjà comte de Caraman, succéda en 180411 à Philippe-­‐Gabriel-­‐Maurice d'Alsace, prince de Chimay, son oncle et son parrain. Erigée en principauté en l'année 1486 par l'archiduc Maximilien d'Autriche, alors roi des Romains, plus tard Empereur d'Allemagne, en faveur de Charles de Croy, la seigneurie de Chimay passa successivement de la maison de Croy à la maison 11
C'est le 24 juillet 1804 que François-­‐Joseph-­‐Philippe de Caraman releva le flambeau dynastique sous le nom ème
de Philippe VIII de Chimay. Son Altesse Alexandre d'Alsace d'Hénin-­‐Liétard, 12 prince de Chimay et du Saint-­‐
Empire, grand-­‐père maternel de Philippe VIII, ayant officiellement été autorisé à relever le nom et les armes de la Maison de Chimay par lettres-­‐patentes impériales données à Vienne le 4 septembre 1735, il avait fait sa er
joyeuse entrée à Chimay le 21 juillet 1737. Ayant trouvé la mort le 18 février 1745, Thomas I (1732-­‐1759), son ème
fils aîné, encore enfant, lui avait succédé comme 13 prince de Chimay et du Saint-­‐Empire. Ayant épousé en er
avril 1754 Madeleine Le Peletier de Saint-­‐Fargeau (1723-­‐1794), il s'était éteint 15 ans plus tard, le 1 août ème
1759, ne laissant qu'un fils unique, né posthume le 9 septembre 1759, qui lui avait succédé comme 14 prince de Chimay et du Saint-­‐Empire, sous le nom de Thomas II (1759-­‐1761). A sa mort, survenue le 2 mars 1761, à l'âge de 16 mois, l'infortuné petit prince avait laissé pour héritier son oncle Philippe (1736-­‐1804), frère puîné de ème
son père. Devenu 15 prince de Chimay sous le nom de Philippe VII et ayant sans doute ressenti la nécessité d'assurer sa postérité, il avait épousé en 1762 Laure de Fitz-­‐James (1744-­‐1814), dame d'honneur de la reine ème
Marie Antoinette et fille de Charles, 4 duc de Fitz-­‐James, pair et maréchal de France, dont il ne laissa toutefois pas d'enfants. Décédée quatre ans plus tôt, en 1800, sa soeur Marie-­‐Anne de Chimay avait laissé trois garçons de son mariage avec Victor-­‐Maurice, comte de Caraman: Victor, Maurice et Philippe. Appelé à succéder à son père comme chef de Maison, Victor avait été écarté. Quant à Maurice, le deuxième fils, il n'avait lui-­‐même que des filles et sans doute était-­‐il trop attaché à la France pour abandonner nom et nationalité, comme l'exigeaient les règles de succession de la Maison de Chimay: il se contenta des comtés de Boussu et de Beaumont, assortis de leurs châteaux respectifs. Encore célibataire, c'est donc le troisième fils, son neveu et filleul François-­‐Joseph-­‐Philippe de Caraman, que Philippe VII désigna par testament comme prince-­‐héritier de Chimay et du Saint-­‐Empire, appelé à inaugurer, sous le nom Chimay-­‐Caraman, un nouveau chapitre dans ce seul et même grand livre qu'est l'histoire généalogique de la Maison de Chimay, jamais écrite à ce jour. En histoire dynastique, on désigne en effet par «maison» la succession des familles qui ont possédé une terre titrée, tandis que le terme «famille» désigne les branches d'un lignage en filiation masculine. 5 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. d'Aremberg12 et de la maison d'Aremberg à la maison d'Alsace dont le dernier rejeton la transmit au jeune comte de Caraman. Cette principauté, qui releva d'abord des Empereurs d'Allemagne, releva ensuite des Rois d'Espagne qui, en l'année 1680, en cédèrent la suzeraineté aux Rois de France; elle fut alors incorporée au Hainaut français. Elle f[ai]sait partie en 1804 du département de Jemmape. Le jeune comte de Caraman devint donc Prince de Chimay, sans cesser d'être Français. Il épousa l'année suivante Thérèse de Cabarrus, fille du comte de Cabarrus, ministre et favori du Roi d'Espagne Charles IV, et issu d'une ancienne et noble famille, connue en Espagne sous le nom de Cabarros, qui s'était établie en France vers l'année 1600, et avait formé à Bayonne un grand établissement commercial. Le comte de Cabarrus institua la célèbre Banque des Philippines, et fut ministre des finances du Roi Joseph. Bien peu de personnes du sexe ont possédé la beauté, les grâces, l'amabilité et les qualités de l'esprit et du cœur qui distinguaient Thérèse de Cabarrus. La nature semblait avoir fait le prince de Chimay tout exprès pour elle; ils s'unirent, et toutes les sympathies qui rendent heureuse l'union de l'homme et de la femme, se réunirent pour faire le bonheur des deux époux. Le salon du Prince de Chimay devint un des premiers salons de Paris. La Princesse et lui en f[ai]saient les honneurs avec une politesse exquise dont les habitués de l'ancienne cour étaient d'autant plus étonnés, qu'ils en croyaient le secret perdu. Un concert f[ai]sait le charme de la plupart des soirées. Les messes de Chérubini y étaient parfaitement exécutées. L'auditoire se composait du cardinal Caprara, du duc de Boufflers, du comte de Forbin, du duc de Gaëte, du cardinal Mauri, du duc de Choiseul, de Gérard, de Dupaty, d'Alexandre Duval, de Soumet, et de tout ce que la capitale renfermait de dames remarquables par leur beauté, leurs talens, l'agrément de leur conversation, l'élégance de leurs manières ou leur amour pour les arts. Chérubini lui-­‐même conduisait l'orchestre. On distinguait parmi les exécutans Rode et Baillot pour le violon, Lamarre pour la basse, Frédéric Duvernoy pour le cor. C'était un monde de féerie, où les beaux-­‐arts berçaient ce songe que nous appelons la vie de leurs plus douces illusions. Il est d'autres illusions plus séduisantes pour l'homme, mais qui troublent et agitent le songe au lieu de l'embellir. Occupons-­‐nous un moment de ces illusions qui agirent aussi sur le Prince, trop haut placé pour résister à leurs séductions. 12
lire: d'Arenberg. 6 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. En l'année 1807, le Prince fut nommé par Napoléon Président du canton de Chimay. Il fit, à peu près à cette époque, une statistique de sa principauté qui lui valut, de la part du gouvernement impérial, une approbation très-­‐flatteuse. Nommé chef de cohorte en 1809 pour marcher contre les Anglais qui menaçaient Anvers, il leva en peu de jours, un bataillon de 800 hommes qui ne fut licencié qu'après la retraite de l'armée anglaise. Il reçut de Louis XVIII, en 1814, la croix de Saint-­‐Louis et le brevet de Colonel de cavalerie. Le département de Jemmappe fut enlevé presque en entier à la France par le traité de 181413, et le canton de Chimay qui resta français, fut réuni au département des Ardennes14. Le Prince fut nommé, dans ce dernier département, membre de la chambre des députés15, où il se fit remarquer par l'indépendance et la sagesse de ses opinions. Il vota souvent avec la minorité, et dans les matières importantes, il fit part au public de ses opinions par la voie de la presse. Les hommes politiques se souviennent encore de celle qu'il publia16 sur la prétendue amnistie de 1815 qu'il voulait pleine, entière et sans restriction. 13
Premier traité de Paris du 30 mai 1814. Voir: Jakób Leonard Borejko Chodźko [Comte d'Angeberg] (introd.) & Baptiste Capefigue (éd.), [Bibliothèque diplomatique:] Le Congrès de Vienne et les traités de 1815, précédé et suivi des actes diplomatiques qui s'y rattachent, avec une introduction historique [et une carte], Paris, 1864, voir tome I, CCXVIII [218] & 1964 pp., page XXI et suivantes. Voir aussi: J. Baurin, Chimay sous le régime français, in: Publications de la Société d'Histoire et d'Archéologie du Pays de Chimay [= Cercle Émile Dony], tome 3, 1937, p. 26. 14
Le 18 août 1814, par une ordonnance qui réunit aux départements du Nord et des Ardennes divers cantons conservés à la France par le traité de paix conclu entre Sa Majesté et les Alliés, Sa Majesté Louis XVIII, roi de France et de Navarre, détache les cantons de Dour, Merbes-­‐le-­‐Château, Beaumont et Chimay du département er
de Jemmapes, qu'il s'apprête à céder (amputé de ces quatre cantons) aux alliés et à Guillaume I des Pays-­‐Bas-­‐
Unis. Par la même ordonnance, ces quatre cantons, qui n'ont donc jamais cessé d'être français, sont ensuite "distribués" entre deux départements: Dour, Merbes et Beaumont sont réunis au département du Nord (le er
premier, à l'arrondissement de Douai; art 1 ; les deux autres, à l'arrondissement d'Avesnes; art. 2) tandis que Chimay est réuni au département des Ardennes (arrondissement de Rocroi; article 3: «Les cantons de Chimay [=canton du département de Jemmapes], de Valcour [=Walcourt], de Florenne, de Beauraing et de Gédinne [=cantons du département de Sambre-­‐et-­‐Meuse], seront réunis au département des Ardennes et à l'arrondissement de Rocroy». 15
C'est le 22 août 1815 que Philippe VIII de Chimay fut élu député par le grand collège électoral du département des Ardennes, avec le plus gros score, soit 103 voix sur 120 votants et 239 inscrits; il siégea dans la minorité de la "Chambre introuvable" et ne se représenta pas aux élections qui suivirent la dissolution du 5 septembre 1816. Voir: Almanach royal pour l'année bissextile M.DCCC.XVI présenté à Sa Majesté par Testu, Paris, 1816, p. 101 (TABLEAU des membres de la Chambre des Députés par ordre alphabétique, Messieurs, [...] Le Prince de CHIMAY [deux petites croix: Chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-­‐Louis et de l'Ordre de Saint-­‐Jean de Jerusalem] (Ardennes), rue de Babylône, n. 18) & p. 110 & p. 296. 16
Malgré toutes nos recherches, nous n'avons pas encore été en mesure de retrouver le texte de cette opinion publiée par voie de presse, sans doute vers la fin de 1815 ou le début de 1816. 7 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. Par le traité conclu à Paris le 20 novembre 181517, le canton de Chimay, enlevé à son tour18 à la France, fut uni avec la Belgique au royaume des Pays-­‐Bas. Force fut au Prince de suivre le sort de ses terres et de sa principauté. Le Roi des Pays-­‐Bas19 lui accorda, pour lui et pour ses enfans mineurs, des lettres d'indigénat, l'incorpora à l'ordre équestre du Hainaut20 et lui envoya la clef de Chambellan. Les Etats-­‐
provinciaux21 dont il fit partie, le députèrent à la seconde chambre des États-­‐
Généraux; mais bientôt le Roi Guillaume le fit passer à la première chambre. La Princesse le suivit en Belgique: et Bruxelles et Chimay héritèrent de ces soirées délicieuses dont il ne resta à Paris qu'un agréable souvenir, accompagné d'inutiles regrets. Le prince fut d'abord chevalier, puis commandeur de l'ordre du Lion Belgique22. En 1823, il fut nommé bourguemestre23de Chimay. Pendant son administration, les routes qui sillonnent sa principauté furent complètement restaurées; il en fut établi de nouvelles; la ville fut assainie, éclairée, pourvue de trottoirs; les promenades furent rétablies et embellies; de belles fontaines s'élevèrent sur les places publiques; le collège et l'hospice reçurent une organisation nouvelle; un pensionnat fut établi pour les demoiselles, une école chrétienne pour les jeunes gens; une classe gratuite de géométrie, appliquée aux arts et métiers, d'après la méthode de M. Charles Dupin, fut ouverte aux ouvriers; une compagnie de sapeurs-­‐pompiers fut instituée; et, ce qui est peut-­‐être sans exemple, c'est que, malgré les dépenses sans nombre qu'entraînèrent les améliorations et les embellissements exécutés par le Prince, la dette énorme dont était depuis longtemps grevée la ville de Chimay, fut entièrement acquittée. Charleroi, chef lieu de l'arrondissement dont Chimay faisait partie, n'avait point de chambre de commerce. Le Prince, pour qui la création d'un établissement utile était une bonne fortune, démontra la nécessité de cette chambre et en obtint l'établissement à Charleroi. Il remplit, avec zèle et assiduité, les fonctions de président qui lui furent conférées. Il saisit, pendant sa présidence, toutes les 17
Second traité de Paris. C'est à dire, après tous les autres cantons du defunt département de Jemappes, déjà cédés au royaume-­‐uni des Pays-­‐Bas par le premier traité de Paris. 19
er
Guillaume I . En néerlandais: Willem I, koning der Verenigde Nederlanden. 20
En néerlandais: Ridderschap. Cette institution éphémère, calquée sur celles qui existaient dans les provinces septentrionales des Pays-­‐Bas, avait pour vocation de réunir tous les aristocrates de la province de Hainaut et de leur conférer une certaine forme de représentation politique. 21
Les Etats de Hainaut. 22
En néerlandais: Orde van de Nederlandse Leeuw. 23
Lire: Bourgmestre, variante belge du maire. 18
8 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. occasions de rendre service, sans nuire au pays qui l'avait adopté, aux Français, ses anciens compatriotes. Charles X lui en témoigna pour eux sa reconnaissance, en lui envoyant la décoration de la Légion d'Honneur24. C'est ici le lieu d'observer que la Belgique et la Hollande, réunies sous un même sceptre, sous une même administration, n'éprouvaient pas l'une pour l'autre cette sympathie qui fait un tout homogène des membres d'un même corps. La différence des religions était une cause grave d'antipathie: la Belgique catholique romaine et la Hollande protestante ne pouvaient se donner cordialement la main. Mais tout le mal n'était pas là; le Roi des Pays-­‐Bas, plus Hollandais que Belge, immolait souvent, sans le vouloir, les intérêts de la Belgique à ceux de la Hollande. Séduit par cette idée que les habitans d'un même empire doivent parler la même langue, il avait fait trop tôt de la langue hollandaise la langue officielle des deux pays; et comme quiconque ne parlait pas la langue officielle, parvenait difficilement aux emplois publics, presque tous les fonctionnaires imposés à la Belgique étaient Hollandais. Cette autre cause d'antipathie était pour les Belges plus grave peut-­‐être que celle résultant de la différence des religions, car vous connaissez, Messieurs, la puissance de l'attrait qui pousse de nos jours vers les fonctions publiques les hommes de tous les pays. Ajoutez que le royaume des Pays-­‐Bas avait de grosses sommes à payer aux puissances européennes qui avaient concouru à le former; de là d'énormes impôts qui ruinaient les Belges, convaincus qu'une pensée, favorable à la Hollande, en dirigeait la répartition. La nature des choses avait dont créé dans les deux chambres des Pays-­‐Bas, une opposition tenace, qui, loin de concourir au maintien de l'union opérée en vertu du traité conclu à Vienne le 9 juin 181525, ne songeait qu'aux moyens d'en secouer le joug. Outre les luttes qu'engageait souvent contre lui l'Opposition Belge, le gouvernement des Pays-­‐Bas avait à combattre une autre opposition, composée d'anciens patriotes hollandais, se souciant fort peu de la différence des religions, peu sensibles aux avantages qu'obtenaient les Hollandais sur les Belges, mais passionnés pour les glorieux souvenirs de la république26, et aigris par les atteintes que portait la royauté constitutionnelle aux antiques libertés du pays. Ces deux oppositions, quoique très-­‐
24
Le 17 février 1830. Cette date est celle de l'acte final du Congrès de Vienne. 26
En néerlandais: Bataafse Republiek. 25
9 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. distinctes dans leur principe, étaient souvent réunies par la haine qu'elles portaient l'une et l'autre au gouvernement. De 1816 à 1830, elles lui devinrent graduellement plus hostiles. Placé entre ces deux oppositions, et ne partageant ni leurs préventions ni leurs passions politiques, mais croyant servir le Roi en n'adoptant pas des mesures dont il prévoyait les fâcheuses conséquences, le Prince ne cessa de voter avec une indépendance consciencieuse, appuyant le gouvernement lorsqu'il proposait des mesures qui pouvaient faire oublier à la Belgique et à la Hollande leur disparité d'origine, se réunissant à l'opposition lorsque les mesures proposées tendaient à accroître leur antipathie. C'est ainsi que, lors de la discussion de la loi relative à l'abattage et à la mo[u]ture, loi qui acheva de dépopulariser en Belgique le gouvernement des Pays-­‐Bas, il donna un vote négatif, au risque de mécontenter le Roi Guillaume qui ne cessait de le combler de bienfaits. Tout le monde connaît le contre-­‐coup que ressentit la Belgique de la révolution française de juillet 1830. Portée au comble, la haine des Belges contre le gouvernement des Pays-­‐Bas, se déchaîna avec fureur; la Belgique se leva tout entière, et le Roi Guillaume fut forcé par les circonstances de convoquer les Etats-­‐généraux à La Haie. Fidelle à ses sermens, le Prince, après avoir comprimé à Chimay un mouvement insurrectionnel que le clergé et les partisans de l'indépendance Belge y avaient excité, traversa au péril de sa vie, pour se rendre à La Haie, un pays en pleine insurrection. Il siégea à la première chambre, vota pour la séparation administrative de la Belgique et de la Hollande, réunies néanmoins sous un même sceptre; fit partie de la commission chargée de modifier dans ce but la loi fondamentale, et fut un des plus fermes appuis du Roi des Pays-­‐Bas, quoique les habitans de Bruxelles, même ceux de Chimay, d'autant plus irrités contre lui qu'ils étaient plus passionnés pour l'indépendance de la Belgique, menaçassent sans cesse de porter le fer et le feu dans ses propriétés. Dans ces pénibles circonstances, il apprit que la Princesse de Chimay, atteinte d'une maladie grave, venait, par avis de médecins, de partir pour Nice, où elle allait demander une santé meilleure à un climat plus doux. Il obtint un congé, mais il n'en profita qu'après le départ pour l'Angleterre du Prince d'Orange auquel il resta uni d'âme et de cœur avec les fidelles sujets qui ne désespéraient pas encore de sa cause. 10 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. Proscrit en Belgique pour avoir racheté et conservé ainsi au Prince d'Orange ses chevaux de prédilection que le gouvernement Belge avait mis en vente, le Prince de Chimay conserva jusqu'à la paix le titre de membre de la première chambre des Etats-­‐Généraux. Il espérait toujours que la Belgique et la Hollande finiraient par s'entendre; mais la politique de l'Europe anéantit cet espoir: il devint sujet du Roi des Belges27, sans avoir regret aux preuves nombreuses de fidélité qu'il avait données au Roi des Pays-­‐Bas. Il passa un hyver à Nice auprès de la Princesse dont la santé parut un moment se rétablir. Bientôt elle redevint souffrante; et ramenée à Chimay, elle y rendit le dernier soupir en 183528, vivement regrettée par toutes les personnes qui avaient eu l'honneur de la connaître, et sincèrement pleurée par les pauvres qui perdirent en elle la mère la plus tendre et la plus compatissante. Son nom est encore à Chimay dans toutes les bouches, son souvenir dans tous les cœurs. Après la conclusion de la paix, le Prince se présenta au Roi Léopold, et lui exposa franchement les motifs de sa conduite qui fut approuvée. Il se fit présenter aussi à la cour de France, et reçut du Roi29 et de la famille royale l'accueil le plus gracieux. La dignité de chambellan lui fut conservée; mais il s'était affranchi peu à peu des illusions de la politique et de l'ambition, et, complètement désenchanté, il dit adieu pour toujours aux affaires publiques. J'admire, m'écrivait-­‐il le 12 février 1839, le courage de ceux qui vont affronter les orages de ces tumultueuses assemblées dont j'ai fait partie plusieurs fois dans ma vie, et dont il ne me reste que les plus tristes souvenirs, tandis que l'étude des beaux-­‐arts m'a toujours aidé à supporter les circonstances les plus difficiles. Environné de deux fils et d'une fille (1)30 qui l'aimaient, s'il est possible, plus qu'il ne les aimait, et dont l'âme, comme un miroir fidèle, réfléchissait les précieuses qualités de la sienne; il fit succéder, aux orages de sa vie, cette quiétude de la vie de famille, dont l'homme ne connaît bien le prix qu'au déclin de ses jours, et qui est bien douce surtout pour celui qui, en passant au travers des grandeurs humaines, a su en apprécier le magnifique néant. 27
er
Léopold I , roi des Belges prêta serment le 21 juillet 1831, à Bruxelles. 15 janvier 1835. Elle repose dans le caveau familial, sous l'actuelle sacristie. 29
Louis-­‐Philippe d'Orléans 1773-­‐1850, roi des Français du 9 août 1830 au 24 février 1848. 30
Page 270, note (1): Le prince de Chimay a eu trois enfans. L'aîné, Prince Joseph de Chimay, après avoir consacré une partie de sa fortune a créer le Prytanée de Menars, suit avec distinction la carrière diplomatique. Le second, Prince Alphonse de Chimay, avait commencé au service des Pays-­‐Bas une brillante carrière militaire qu'il a dû quitter à la paix. Une fille [Louise], qui a épousé le marquis du Hallay-­‐Coetquen, complète la famille du Prince. 28
11 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. Il fit un séjour délicieux du château de Chimay bâti sur un rocher d'une élévation prodigieuse. Une salle de spectacle, dont les décorations furent peintes par Desgoty, Cicéri et Gineste, s'éleva sur la façade principale. Les appartements furent distribués et décorés avec un goût admirable. Derrière le château, une terrasse ombragée de massifs de lilas et de rosiers offrit à l'œil étonné un magnifique panorama, et un parc d'une immense étendue rivalisa, par la variété de ses sites, la beauté de sa végétation, le goût qui avait présidé à sa belle distribution, avec tout ce que l'Angleterre offre en ce genre de plus remarquable. C'est dans ce séjour enchanté que le Prince s'appliqua à développer le goût naturel qu'ont les habitans de Chimay pour la musique. Une musique militaire qu'il avait depuis longtemps organisée, et qui en 1826, avait remporté à Mons le premier prix d'exécution, devint par les soins du Prince, plus nombreuse et mieux exercée. La musique, cet art ravissant dont nos croyances religieuses mettent les accords au nombre des délices qui seront, dans un monde meilleur, la récompense des élus, continua d'être pour le Prince une source abondante de jouissances dans celui-­‐ci. Dans un concert qu'il avait institué à Chimay, et qui avait lieu régulièrement le premier dimanche de chaque mois, les œuvres sublimes d'Haydn, de Mozart, de Béethowen, étaient exécutés, avec des chœurs et un orchestre complet. Chimay était depuis longtemps une espèce de sanctuaire des beaux-­‐arts. Chérubini avait composé à Chimay son premier opéra; Auber y préluda à ses succès; Rode et Osborne n'avaient pas dédaigné de s'y faire entendre, et madame Malibran y laissa les plus agréables souvenirs. Les églises de Chimay eurent une large part à la munificence du Prince. Toutes les chapelles, celles surtout de l'église principale, furent restaurées, et enrichies de statues et de tableaux qui attestent à la fois la générosité du Prince, sa piété et son goût éclairé pour les arts. C'est en l'année 1838, lors de l'inauguration de la statue de Riquet, son illustre ayeul, que nous le vîmes pour la première fois, à Béziers. Je ne serai pas accusé de flatterie, quand je dirai que l'aimable douceur de sa physionomie, la noblesse et l'élégance de ses manières, la spirituelle urbanité de son langage, et je ne sais quel charme dont j'ai senti l'effet, mais que je ne puis définir, lui gagnèrent tous les cœurs. Il devint membre de notre Société, ne dédaigna pas de lui faire part de ses travaux et de ses recherches, lui envoya un savant mémoire sur la principauté de Chimay, et acquit des droits éternels à notre reconnaissance par les prix qu'il mit à notre disposition et qu'il nous laissa le soin de distribuer. 12 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. Il perpétua, par une belle lithographie qui est en grande partie son ouvrage, le souvenir de la fête de Riquet; et sur l'observation qui lui fut faite que le costume des Biterroises n'y était pas exactement reproduit, il m'écrivait, le 10 août 1839: J'avais bien remarqué de l'originalité dans la mise d'une foule de très-­‐jolies personnes, mais je crois être très-­‐excusable d'avoir été plus occupé de leurs charmantes et séduisantes figures que de leur costume dont le mérite dépendait d'une élégance de taille toute méridionale. Je ne puis me lasser, Messieurs, de puiser des citations dans la correspondance du Prince; il m'a écrit beaucoup de lettres; le style en est parfait; je les lis quelquefois, et le plaisir que j'ai à les lire, tempère, en augmentant toutefois mes regrets, la douleur que sa mort m'a causée. Censeur du Canal des deux mers à la mort de M. le duc de Caraman, son frère31, qui fut aussi notre collègue32, souvent notre guide et toujours notre bienfaiteur et notre appui, il parut plus fréquemment dans nos contrées. Le procès, intenté par le domaine aux descendans de Riquet, fixa presque dans ces derniers temps, sa résidence à Toulouse. Là il se consola, par un acte de piété filiale, des lenteurs et des désagrémens d'une odieuse chicane. Le lieu où avait été enseveli [Pierre-­‐Paul de] Riquet33, était ignoré; convaincu, par un heureux pressentiment, qu'à Toulouse était sa sépulture, le Prince consulta les vieilles archives Toulousaines, fit d'actives recherches dans les églises, et finit par découvrir les précieux restes de son immortel ayeul dans l'église métropolitaine Saint-­‐Etienne, au pied du pilier d'Orléans. 31
er
er
Le frère aîné du prince de Chimay, Victor-­‐Louis-­‐Charles (Victor I ), 1 duc de Caraman, était mort le 25 décembre 1839 à Montpellier. 32
L'éloge funèbre du duc de Caraman avait été prononcé à Béziers, par ce même M. Jacques Azaïs, en 1840. 33
Pierre-­‐Paul de Riquet a fait l'objet de nombreuses études et plusieurs biographies lui ont été consacrées; une thèse universitaire à valu à M. Michel Adgé, un doctorat d’État d’Histoire (La Construction du Canal Royal de la Jonction des Mers en Languedoc, Montpellier, 2011) et c'est lui qui, avec M. Guy Vallery-­‐Radot, président émérite de l’association Riquet et son Canal a préfacé la dernière biographie sortie de presse en 2013 sous la plume d'une ancienne secrétaire-­‐générale adjointe aux Voies Navigables de France (VNF): Mireille Oblin-­‐Brière, Riquet, le génie des eaux: portrait intime, Toulouse: Privat, 2013, 526 pp. Pour un premier aperçu biographique, on peut toujours consulter: Honoré Fisquet, Pierre-­‐Paul Riquet, baron de Bonrepos, in: Dr. Ferdinand Hoefer (dir.), op. cit., tome XLII: Renoult à Saint-­‐André, Paris: Firmin Didot, 1866, pp. 314-­‐316: [...] On commença à naviguer, depuis Naurouse jusqu'à Toulouse, dans les premiers jours de 1672, et le canal fut mis en état du 17 au 25 mai 1681. Riquet était mort six mois auparavant, lorsqu'une lieue seule du canal restait a creuser, laissant à ses deux fils la gloire de l'achever: honneur si digne d'envie que Vauban, envoyé par Louis XIV en mai 1686, pour en examiner toutes les merveilles, «eût préféré, disait-­‐il, la gloire d'en être l'auteur à tout ce qu'il avait fait ou pourrait faire à l'avenir». Une statue en bronze, dont l'exécution fut confiée à David (d'Angers ), a été par souscription érigée à Riquet le 21 octobre 1838, sur une des places publiques de sa ville natale. [...] Son fils aîné, Riquet (Jean-­‐Mathias), maître des requêtes, puis président à mortier au parlement de Toulouse, fut associé à l'entreprise du canal du Languedoc et y mit la dernière main. Il mourut à Toulouse, le 30 avril 1714. Son second fils, Pierre-­‐Paul, porta le titre de comte de Caraman (voy. ce nom). Histoire du canal du Languedoc, par les descendants de P.-­‐P. Riquet. — Andréossy, Hist. du canal du Midi — Decampe, Éloge de P.-­‐P. Riquet; o
Paris, 1812 — Comte de Caraman, Guide du voyageur sur le canal du Midi; 1836, in-­‐8 . — Documents inédits. 13 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. J'eus l'honneur de voir le prince à Toulouse peu de jours après cette découverte34; il était si heureux de l'avoir faite, que je doute que le gain du procès, dont il poursuivait le jugement, l'eût satisfait davantage. Il voulut que sa découverte eût un retentissement proportionné à la joie qu'il en avait éprouvée; de là la médaille d'or qu'il nous chargea de décerner au poète qui l'aurait célébrée en plus beaux vers. Bien rares sont les hommes dont l'âme affranchie des passions ignobles qui dégradent l'humanité, n'est accessible qu'aux sentiments nobles et généreux. Vous êtes déjà persuadés, Messieurs, que le prince était du petit nombre de ces hommes; mais si quelque chose manquait à votre conviction, daignez m'écouter encore un moment: j'ai bientôt fini. A Chimay le Prince prescrivait, au commencement de chaque hyver, de nombreux travaux qu'il f[ai]sait exécuter par les ouvriers qui manquaient d'ouvrage. Souvent il bouleversait sa terre sans nécessité, sans utilité même, pour donner aux hommes inoccupés d'honnêtes moyens d'existence. Il avait une liste particulière des personnes que leur âge ou leurs infirmités rendaient impropres au travail, et sa prévoyante bienfaisance ne manquait jamais de prévenir leurs besoins. Mystérieuse pour les pauvres honteux, sa charité s'exerçait publiquement lorsqu'elle était publiquement implorée; jamais il n'éconduisit le malheureux qui lui tendait la main. 34
Jean-­‐Denis Bergasse (Pierre-­‐Paul Riquet et le canal du Midi dans les arts et la littérature, 1982, p. 236-­‐237) relate la cérémonie qui se déroula le 28 juillet 1842 à Toulouse: "Sur l'invitation de sa famille, le conservateur des archives départementales, un docteur en médecine, un avocat à la Cour royale et l'architecte du département adjoint au maire de Toulouse vont à Saint-­‐Étienne pour procéder à la recherche du sépulcre. L'acte de sépulture précisait l'inhumation dans la nef, et une tradition de famille, paraît-­‐il, devant le pilier d'Orléans. Après avoir soulevé plusieurs dalles, apparaît tout à coup une voûte dont le prolongement conduisait à l'entrée d'un caveau. Son entrée était encombrée de terre, on procéda à une fouille méticuleuse récompensée par la découverte de quatre cercueils adossés aux murs latéraux, et superposés deux en deux. Les deux squelettes supérieurs appartenaient à des sexes différents et les crânes bien conservés furent attribués à un vieillard et à une femme assez jeune. Les deux squelettes inférieurs, de sexes différents étaient assez détruits et c'est alors qu'on eu recours à un critère qui ne manque pas de piquant: "Les fragments de crâne que nous avons pu recueillir -­‐ précise le procès-­‐verbal -­‐ et les os longs indiquent suffisamment que ces sujets avaient l'un et l'autre fourni une longue carrière". On en conclut qu'il s'agissait des squelettes de Riquet et de sa femme et de Mathias et de sa deuxième épouse, née Broglie. Le procès-­‐verbal conclut:"Ces circonstance nous ont paru satisfaire à l'objet de nos recherches. Nous avons rassemblé ces débris et les avons fait poser dans une caisse, qui, scellée des armes de M. le prince de Chimay, a été rétablie dans le caveau". Sur les trois expéditions [du procès-­‐verbal], l'une fut pour les archives du Canal, l'autre pour la préfecture et enfin la dernière, placée dans un flacon de cristal, fut déposée auprès du cercueil. À quelques temps de là, une inscription en lettres d'or fut apposée sur une plaque de marbre noir: EN AVANT DE CE PILIER/SONT ENSEVELIS LES RESTES/DE PIERRE PAUL DE RIQUET/BARON DE BONREPOS/AUTEUR DU CANAL DES DEUX MERS/NÉ A ER
BÉZIERS EN 1604/ET MORT LE 1 OCTOBRE 1680/LE CAVEAU QUI LES RENFERME A ÉTÉ RETROUVÉ/EN 1842 PAR LA PIEUSE SOLLICITUDE D'UN DE/SES DESCENDANTS ET LA VÉNÉRATION D'UNE/FAMILLE S'UNIT ICI, EN PRÉSENCE DE DIEU/A L'HOMMAGE DÉJÀ RENDU PAR LA RECONNAISSANCE/PUBLIQUE AU GÉNIE BIENFAISANT QUI A CRÉÉ/ LA PROSPÉRITÉ DU LANGUEDOC/Diligam te Domine fortitudo mea;/Dominus firmamentum meum/et refugium meum et liberator meus/ Ps. 17, v. 1. Cette inscription est placée sur le pilier d'Orléans, dans l'église métropolitaine de Saint-­‐Étienne, à Toulouse. Le descendant dont il est fait mention est le prince de Chimay". 14 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. Arrivait-­‐il quelque désastre à Chimay ou dans les environs ? il courait sur les lieux, estimait les dommages, prodiguait les consolations, et, ce qui vaut mieux, ouvrait sa bourse. Etait-­‐il absent ? sur le rapport de ses agens, des secours étaient ordonnés, et peu de temps s'écoulait entre le dommage éprouvé et l'intervention de la main secourable qui s'ouvrait pour le réparer. Il était chevalier grand'croix de l'ordre de l'Etoile polaire de Suède; mais savez-­‐vous, Messieurs, ce qui lui avait valu cette haute distinction ? Elle était le prix des soins qu'il avait lui-­‐même donnés, et des secours de toute espèce qu'il avait prodigués, en 1814, aux militaires Suédois que leurs blessures avaient forcés de s'arrêter à Chimay. A son arrivée à Béziers en 1838, son premier soin est de mettre à la disposition de M. le Maire une somme d'argent qu'il le prie de faire distribuer aux pauvres. Fait-­‐il une tournée sur le Canal ? tout absorbé qu'il est par l'examen des détails et de l'ensemble des travaux que nécessite la conservation et le perfectionnement de l'œuvre de son ayeul, il semble n'avoir pas d'autre affaire que de secourir les employés qui lui font connaître ou dont il devine les besoins. Il était à Mons président du jury35. Sa conscience le force de voter contre un accusé, père d'une nombreuse famille et ne paraissant pas arrivé encore à ce point de perversité qui rend difficile, sinon impossible, le retour au bien. Outre ses honoraires de juré, le prince fait remettre au condamné une somme de cinq cents francs pour qu'il s'acquitte envers la justice, et se charge de nourrir et d'entretenir sa famille pendant toute la durée de la peine d'emprisonnement prononcée contre lui. A la fin de l'année 1843, le Prince entreprend ce fatal voyage qui pour lui sera le dernier. Avant son départ de Chimay, il fait de larges distributions d'argent, de vivres, de linge et de vêtements aux pauvres de la ville et de la contrée, il tâche de prévenir tous les besoins qui pourront se faire sentir en son absence. Il arrive à Toulouse, et quoique son arrivée soit, pour les pauvres de cette capitale du Midi, l'apparition d'une providence nouvelle qui ne laisse aucun besoin sans secours, le cœur du Prince n'est pas moins tout entier à Chimay; il craint que ses prévisions n'aient été insuffisantes, il souffre de la souffrance des pauvres qui imploreront des secours et n'en obtiendront pas, et voici la lettre qu'il écrit à un vénérable ecclésiastique, confident de ses bonnes œuvres: Je ne vous oublie ni vous ni nos pauvres, malgré les importantes affaires qui me retiennent ici. L'hyver doit être bien 35
Cour d'assises, siégeant à Mons, en Hainaut belge. La date de l'affaire à laquelle il est fait référence ici n'a pas encore pu être retrouvée. 15 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015. rigoureux à Chimay, puisqu'il l'est dans le Midi. Je ne pense jamais sans peine, quand je suis devant un bon feu, qu'il y a tant de pauvres qui souffrent du froid. Je fais mettre à votre disposition une nouvelle somme pour aider quelques familles en dehors de la liste des pauvres. Cette année ne sera pas des plus heureuses pour moi; mais enfin, avec quelque économie, elle me permettra des secours que je trouve toujours insuffisants en raison de ma bonne volonté. L'avant-­‐veille de sa mort36, une lettre demandant de nouveaux secours, arrive à Toulouse. On lui en donne connaissance pendant son agonie. Le besoin de faire du bien, ce besoin si puissant sur son âme, ranime un moment ses forces presque éteintes. L'ordre est sur-­‐le-­‐champ expédié à Chimay de délivrer à son pieux correspondant une somme bien supérieure à celle qu'il aurait osé espérer. C'est dans de telles dispositions, et après avoir reçu les secours de notre religion sainte, que le 2 mars 1843, le prince de Chimay s'est endormi dans les bras de l'Éternité. Sa fin a été noble, courageuse, calme, résignée, chrétienne. Souvenons-­‐
nous qu'il fut animé pour ses semblables de cette ardente charité qui court au-­‐devant de toutes les misères, soulage toutes les infortunes, ne recule devant aucun sacrifice, conserve sa généreuse et infatigable activité tant qu'il reste un malheureux à secourir; et espérons que Dieu lui aura rendu, dans le ciel, le bien qu'il a fait sur la terre. J[acques] AZAÏS, Président. 36
Le prince étant mort le 2 mars 1843, l'arrivée de la lettre doit être datée du mardi 28 février 1843. 16 © Château de Chimay. Tous droits réservés. Mars 2015.