ETUDE DE CAS : COMPARAISON DE DEUX FONCTIONNEMENTS
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ETUDE DE CAS : COMPARAISON DE DEUX FONCTIONNEMENTS
ETUDE DE CAS : COMPARAISON DE DEUX FONCTIONNEMENTS ETATS-LIMITES ©Carine GIBOWSKI (2009). En ligne sur detour.unice.fr Master 2 de psychologie clinique et gérontologique Résumé : Le choix se porte sur deux études de cas de structure états-limites. Le but est essentiellement de mettre en lumière ma propre réflexion par rapport à cette structure, et ces différentes modalités de fonctionnement. Mots Clés : Fonctionnement, Etats-limites, manipulation, instrumentalisation Mme B : aimer en extériorité Lorsque j’ai commencé à suivre Mme B, mon choix pour une étude de cas s’est très vite posé sur elle. La raison en revient au travail de positionnement que j’ai du effectuer auprès de cette personne. En effet, établir une relation de confiance avec elle a nécessité beaucoup de constance et de rigueur de ma part, afin de ne pas me laisser prendre au jeu de l’instrumentalisation sur un plan personnel. Le travail clinique que j’ai entamé avec cette personne m’a permis d’avancer dans la différenciation de mon identité professionnelle par un travail de prise de distance par rapport au fonctionnement manipulateur de Mme B. Ainsi, cela m’a permis d’élaborer un projet d’intervention différé dans le temps, et d’apprendre à poser des objectifs intermédiaires au travail clinique que je voulais entamer avec elle. Cela c’est traduit par le fait de répondre a minima à son fonctionnement (en la laissant m’utiliser) afin d’entamer un travail de verbalisation et peut-être d’élaboration du deuil de son mari. Anamnèse Madame B. est une dame âgée de 83 ans. Elle est veuve depuis décembre 2007 et a vécu avec son mari durant près de cinquante ans. Elle a un fils qui réside avec sa seconde femme près de la maison de retraite. Madame B. a deux petits enfants, issus du premier mariage de son fils. Elle a entretenu des rapports réguliers avec le premier de ses petits-fils jusqu’à l’âge de 15 ans. Elle ne l’a plus fréquenté par la suite, et suppose que « la mère lui a bourré le crâne ». Elle dit ne pas connaître son second petit-fils, et précise qu’aujourd’hui « ils ne voient leur père que pour l’argent ». Elle fait le récit de cette séparation avec émotion, et précise qu’elle aimait beaucoup son ancienne belle-fille, bien « que ses parents n’étaient pas comme [son mari et elle] ». Le petit-fils de Madame B. a tenté de la recontacter récemment, mais cette dernière n’a pas souhaité le rencontrer : « si je m’attache et qu’il s’en va encore, après c’est trop de peine ». Madame B. est née à Paris en 1926. Ses parents ont divorcé alors qu’elle était très jeune. Elle décrit cette séparation comme « un calvaire qui a duré 12 ans et qui a laissé [sa] mère sur la paille ». Entre 8 et 12 ans, elle a vécu dans l’Yonne où elle était placée chez un couple de personnes âgées qu’elle appelle « ses grands-parents », mais avec lesquels elle n’a aucun lien de parenté. De la période où elle vivait là-bas, Madame B dira qu’elle y était particulièrement « protégée » et que le couple « ne [la] laissait rien faire, même pas sortir, ils *l’+ aimaient beaucoup ». Elle attribue les raisons de ce placement au fait que sa mère n’avait pas le temps de s’occuper d’elle, étant donné qu’elle travaillait. Elle rencontre son mari lors d’un bal, mais prend la précaution de préciser qu’elle « trouve cela frivole ». Elle le décrit comme quelqu’un de « très utile » : « il faisait tout pour moi : les courses, le ménage, la cuisine, je n’avais qu’à mettre les pieds sous la table ». Lorsque leur fils est âgé de cinq ans, ils partent vivre à Dakar et y resteront pendant 20 ans. Au Sénégal, elle exerce la profession de secrétaire à l’inspection du travail, puis à la faculté des lettres. Son mari est chef du personnel dans une entreprise de construction. Elle garde de cette période de très bons souvenirs : ils y vivaient confortablement et y avaient beaucoup d’amis. Elle ne s’occupera cependant que peu de son fils qu’elle décrit comme un « enfant turbulent, qui faisait les quatre-cent coups1 ». Elle explique que le boy chargé de le surveiller « ne l’élevait pas correctement ». En ce qui la concerne, elle se considère « comme une mère normale, qui travaillait». Elle a du mal à saisir l’esprit aventurier de son fils et précise que ni son mari, ni elle n’étaient comme cela. Elle estime aujourd’hui que son fils à beaucoup changé, et qu’il est beaucoup plus sage. Ils quittent Dakar quelques temps après l’indépendance du pays, ils ont alors une cinquantaine d’années. De retour en France, son mari exerce le métier de plombier-chauffagiste à son compte, tandis qu’elle s’occupe de secrétariat de l’entreprise. M. B apprend qu’il est atteint d’un cancer en 2007 et décèdera au mois de décembre de la même année. A notre premier entretien, Madame B expliquera qu’elle a été très surprise de la mort de son mari : selon elle, le médecin ne leur avait rien dit, elle ne savait pas qu’il était malade. Plus tard, elle avouera ne pas s’être rendu-compte de ce qui se passait : « je planais, quand on allait le voir à l’hôpital, il était mourant et je ne me rendais compte de rien, même le jour de l’enterrement, je planais aussi, je n’ai pas compris qu’il était mort ». Madame B. vivra à domicile durant quelques semaines, où elle reçoit régulièrement la visite d’une aide ménagère. Suite à une chute, elle décidera d’entrer en institution. Elle fait un court séjour dans une résidence qui ne lui convient pas. Elle entre alors dans l’établissement où j’exerce le 26 septembre 2008. 1 Elle relatait notamment un épisode où il a tenté de mettre le feu à la maison. La difficulté du deuil A son entrée en institution, Madame B. évoque des difficultés à faire le deuil de son mari et semble déprimée. Je la rencontrerai à 11 reprises de façon informelle, dans sa chambre ou dans le couloir. D’une relation instrumentale au mari … Mme B a été mariée plus d’une cinquantaine d’année. Son mari est décédé en décembre 2007, soit environ 1 an avant notre rencontre. Dès son entrée en institution, Mme B a clairement exposé toute la difficulté qu’elle a à faire le deuil de son conjoint. Elle évoque son décès d’emblée, avec beaucoup d’émotion. Lorsque je la questionne davantage sur le manque qu’elle ressent depuis la disparition de son conjoint, Mme B me dira qu’aujourd’hui, elle n’a plus personne pour s’occuper d’elle. En effet, M. B est décrit par sa femme comme « quelqu’un de très utile », « qui faisait tout pour elle » : des tâches ménagères à la gestion du budget, Mme B énumère toute une série d’activités qu’il prenait en charge. Cependant, elle ne semble pas en mesure d’en dire davantage à propos de son mari. Il est compliqué pour elle de parler de lui en termes d’être et de laisser entendre quelque chose de l’identité de sa personne : ainsi, elle évoque le métier de son mari, ce qu’il était en mesure de faire pour elle, mais à aucun moment elle n’évoquera les valeurs qu’il pouvait défendre, l’opinion qu’il aurait pu avoir sur des sujets variés. Elle n’est pas en mesure d’envisager ce qu’il aurait pu penser. Chaque fois que le sujet vient durant l’entretien, elle répondra soit en termes de conduite (« il était travailleur »), soit en terme générique (« c’était quelqu’un de normal »). Ce qui ressort du discours de Mme B, c’est que le manque qu’elle ressent depuis le décès de son mari est davantage le manque de ce à quoi il lui servait, c’est-à-dire un homme à tout faire, plutôt que de ce qu’il était dans son identité. En effet, la dimension subjective de M. B est absente du discours de sa femme, elle n’emploie d’ailleurs jamais son prénom. Cette perception de son mari, essentiellement une définition instrumentale de ce qu’il était, laisse apparaître une faille dans le mode de fonctionnement de Mme B : cette version objectivée de son mari est un obstacle à son deuil, puisqu’il est difficile d’intérioriser sa personne s’il n’est pas considéré dans une dimension plus abstraite. Ainsi, Mme B ne peut, à l’heure actuelle, avoir accès à la subjectivité de son mari. La représentation qu’elle a de lui s’arrête a ce qu’il faisait, et elle est incapable d’imaginer ce qu’il aurait pu penser par exemple. Pour le moment, Mme B compense cette difficulté à intérioriser son défunt mari par la reproduction du système qu’elle formait avec lui auprès de son fils. … à une relation instrumentale au fils Depuis le décès de son mari, Mme B. entretient une forte relation de dépendance à la présence de son fils. Elle dit à ce sujet avoir besoin qu’il soit près d’elle et aimerait que cela soit permanent. Le fils de Mme B vit à quelques kilomètres à peine de la résidence, et vient lui rendre visite tous les deux jours ou l’emmène à l’extérieur. Mme B évoque régulièrement que cela ne lui suffit pas, mais elle parvient à comprendre qu’il ne soit pas avec elle en permanence « parce qu’il a sa vie, il a du travail ». La encore, lorsqu’elle parle de son fils, Mme B évoque essentiellement ce qu’il fait pour elle, « il m’aide bien » me dira-telle alors que je la questionnais sur ses relations avec lui. Elle se soucie beaucoup de la santé fragile de son fils, en pensant essentiellement aux implications qu’une immobilisation engendrerait pour elle2. Les visites de son fils sont donc très importantes pour elle, « parce que ça fait une présence ». Les relations qu’entretiennent Mme B. et son fils n’ont pas toujours été aussi positives pour elle. En effet, la manière avec laquelle elle évoque son fils à l’âge de l’adolescence est très différente de ce qu’elle peut en dire actuellement. Elle parle de lui comme un enfant dont « on ne pouvait rien en faire ». Elle le décrit comme quelqu’un de turbulent, faisant beaucoup de bêtises. En ce qui concerne son rôle de mère, elle dira simplement « j’étais une mère normale, je travaillais ». Elle précise qu’elle et son mari ont beaucoup fait pour lui, comme lui offrir des cours supplémentaires mais que cela n’a « jamais rien donné ». Elle relève que le boy qui était à leur service ne l’élevait pas bien. La maternité garde chez Mme B un caractère très externe. Il ne semble d’ailleurs ne pas y avoir de conception élaboré de ce que peut être une mère. Ici, l’identité de mère fait totalement défaut, Mme B considérant une fois encore que posséder un enfant suffit à faire d’elle une mère. Dans son discours, elle oppose son fils, aventurier, au couple qu’elle formait avec son mari en disant qu’eux « n’avaient rien à voir avec ça ». Mme B. semble donc désintéressée de l’éducation de son fils : elle en parle de façon très détachée, et ne semble pas concernée par la question. L’enfant ne leur ressemble pas, il est vécu comme un étranger. Selon elle, il a aujourd’hui bien changé : « il est bien plus comme nous ». Mme B fera à plusieurs 2 L’absence de visites. occasions le lapsus en prononçant « mon mari » au lieu de « mon fils », lapsus qu’elle relève d’elle-même en ajoutant « bientôt je vais le prendre pour mon mari ». Elle voit ce type de confusion comme un signe de vieillissement. Après s’être longtemps désintéressée de son fils, dont la différence en faisait une personne incompréhensible pour elle, Mme B. a renoué contact avec son enfant, mais sur le seul mode relationnel qu’elle est en mesure de mettre en place actuellement : c'est-à-dire une relation instrumentale. Dans les faits, elle tente de l’utiliser de la même façon qu’elle utilisait son mari : en terme d’actes concrets, elle ne les différencie pas l’un de l’autre. On remarque que durant l’enfance de son fils, il était au contraire mis à l’écart du couple, ce qui témoigne d’une différenciation mère/enfant restée externe, réactionnelle : rencontrant la différence de son fils, et donc sa subjectivité, Mme B s’en détourne. Aujourd’hui, s’il est devenu acceptable de déplacer les étayages permettant de maintenir sa sécurité de base de son mari vers son fils, ce n’est pas parce que Mme B a accepté ce qu’il est, mais parce qu’il n’est plus perçu comme différent, « il est bien plus comme nous ». Cependant, nous pouvons nous demander ce qu’il adviendra de Mme B lorsque ce dernier ne pourra venir lui rendre visite. Il est nécessaire d’explorer davantage de son fonctionnement global pour déterminer si Mme B pourrait entreprendre un travail d’intériorisation de son mari, ce qui pourrait lui permettre d’entamer le processus de deuil. L’être aimé, pieds et poings liés De façon générale, nous pouvons voir que Mme B mesure l’amour qu’on lui porte au degré de liberté que la personne lui laisse, et il en va de même pour l’affection qu’elle porte aux autres. En effet, selon elle, plus une personne fait de choses pour elle, et plus celle-ci l’aime. C’est donc par une emprise sur l’Autre qu’elle témoigne de son affection. En cela, plus sa marge d’autonomie est étroite, plus Mme B. aime et se sent aimée. Cette façon de percevoir les choses lui semble venir de l’enfance, et de la manière dont elle a été élevée par ce qu’elle nomme ses grands-parents. Nous pouvons supposer que cette interprétation du mode d’éducation qu’elle a reçu de ces personnes vient ici étayer une sécurité affective rendue précaire par l’absence de sa mère. En effet, les raisons qu’elle attribue à son placement laissent entendre que Mme B a vécu cet évènement comme une mise en position d’objet, et que ce n’est que de cette place qu’elle peut être aimée par sa mère : « elle l’a rencontrée à l’épicerie du coin, par hasard, le lendemain j’étais partie avec eux. Vous vous rendez-compte, elle m’aimait tellement ». Lorsque Mme B fait le récit de cet évènement, elle laisse ainsi entendre que sa mère ne savait pas réellement à qui elle confiait sa fille, et ne faisait pas grand cas de son enfant. Nous pouvons ici supposer que le vécu d’abandon ressenti à l’époque à nécessité la mise en place de mécanismes compensatoires lui permettant d’interpréter le manque de considération de sa mère comme une marque d’affection. La résultante directe de ce type de fonctionnement est le discours que Mme B tient au sujet des personnes qui l’ont prise en charge entre 8 et 12 ans : « ils ne me laissaient rien faire, je ne pouvais même pas aller jouer au bout du chemin avec mes petites copines de classe, ils m’aimaient tellement ». Ainsi, en ressort un mode de fonctionnement s’appuyant sur l’instrumentalisation. En sommes, les évènements de vie de Mme B laissent entendre un certain nombre de carences élaboratives et une différenciation Moi/Autre déviante. L’élaboration déviante d’une structure psychique Le niveau de différenciation Moi/Autre de Mme B étant faible, son niveau d’intégration l’amène à se confondre aux personnes qui l’entourent. Mme B a du mal à concevoir la subjectivité, et son degré d’intégration de son identité est relativement faible. Mme B a en effet eu des difficultés à se confronter à la dégradation des autres résidants et souhaitait par exemple avoir le regard tourné vers le jardin durant les repas. Cependant, nous pouvons noter une nette amélioration de son comportement au cours des mois écoulés dans l’établissement. Si Mme B ne fréquente pas d’avantage les lieux communs de la résidence, elle n’éprouve plus de peur face aux autres personnes. Néanmoins, le fonctionnement actuel de Mme B se situe autour de l’instrumentalité : il est clair que cette personne éprouve des difficultés à concevoir l’Autre autrement qu’en terme utilitaire. Mme B éprouve cependant de forts sentiments pour les personnes sur lesquelles elle s’étaye : elle semble en effet ne pas connaître d’autre mode relationnel que celui basé sur l’instrumentalité. Ainsi, lorsqu’elle parle de son mari comme quelqu’un de très utile, l’émotion qu’elle exprime témoigne de toute l’affection qu’elle lui portait. Mme B a donc placé sa sécurité affective sous le couvert de la relation instrumentale à l’autre. Ainsi, si elle n’a pas été en mesure d’assumer une position de sujet aboutie, elle a en revanche était capable de faire porter ses propres désirs par son conjoint. En terme structurel, la question se pose de savoir dans quelles mesures le fonctionnement actuel de Mme B vient témoigner du niveau d’intégration de son psychisme au cours de sa trajectoire de vie. En cela, nous pouvons faire plusieurs remarques : la première est que la relation qu’elle a établie avec son mari ne semble jamais avoir pris une autre tournure que celle de l’instrumentalité. Si, au cours de nos entretiens, Mme B ne s’est pas particulièrement épanchée sur ses biens matériels (ce n’est pas un thème central de son discours), elle a en revanche beaucoup insisté sur la possession des personnes : elle n’emploie jamais les prénoms de ses proches et s’exprime essentiellement comme suit « mon fils », « mon mari », « ma belle-fille ». Cela semble nous mener sur la piste d’une problématique de l’avoir plutôt que de l’être, même si cela n’est pas manifeste. L’indifférence face à la question du genre est un facteur en faveur d’une structure de type état-limite. Mais comme nous l’aborderons plus tard dans la thématique théorique, la relation de Mme B à son mari laisserait entendre une élaboration déviante de l’identité étayée sur une relation au conjoint, lui donnant accès à une forme spécifique et rudimentaire de subjectivité : n’étant pas en mesure d’assumer elle-même ses choix, Mme B s’en remet à un autre pour réaliser ses désirs. Le fort degré d’adaptation à l’institution et le rapport entretenu avec son fils vont dans le sens de cette hypothèse, puisque tous deux viennent alimenter le fonctionnement de Mme B. Mme D, une femme pas comme les autres Le choix de cette étude de cas n’est pas anodin, puisque Mme D m’a posé un problème tout particulier. Longtemps en effet la relation que j’entretenais avec cette personne comme plus élaborée qu’elle n’était. N’ayant pas de ressenti d’instrumentalisation, je pensais que Mme D avait accès à une forme d’Altérité. Cela m’a bien entendu questionnée sur mon positionnement face à cette dame et m’a permis d’évoluer dans l’élaboration de l’identité de psychologue. Anamnèse Mme D est une femme âgée de 97 ans. Elle est entrée en institution suite à une attaque cérébrale survenue il y a quatre mois. Elle souffre aujourd’hui d’une hémiplégie flasque de coté droit, ce qui la rend incapable de marcher ou d’effectuer la moindre action du coté droit. Jusqu’à son accident, Mme D. vivait seule. Elle gérait l’intégralité de son quotidien et était bénévole auprès de la Croisade des aveugles, une association religieuse destinée à récolter des fonds pour les personnes atteintes de cécité. Quelques mois avant son accident, Mme D a été agressée par deux personnes alors qu’elle rentrait chez elle avec l’argent de la quête : « ce devait être des jeunes ». Elle explique que son corps ne fonctionne plus comme avant depuis cet accident. Elle n’en garde pourtant aucune séquelle organique. Mme D est née en région parisienne. Sa mère était infirmière, « elle soignait la première femme de [son] père ». Lorsque Mme D est âgée de 2 ans, sa mère quitte le foyer familiale pour vivre avec un homme qui « ne savait ni lire, ni écrire. Vous vous rendezcompte, alors que mon père était médecin ». A ce propos, Mme D relève régulièrement le caractère irrationnel de la décision de sa mère « ce n’était pas raisonnable. Elle n’a fait qu’écouter son cœur, elle n’a jamais écouté sa raison ». Le père de Mme D, médecin militaire, obtiendra la garde de ses quatre enfants : « c’est lui qui nous a élevé, mais c’était surtout ses ordonnances qui s’occupaient de nous […] il nous emmenait partout ». Elle le décrit comme quelqu’un de fidèle, qui ne les a jamais abandonnés, contrairement à sa mère. C’était un homme d’une stature imposante, séduisant et intelligent, « un homme magnifique ». La mère de Mme D ne bénéficie pas de tant d’éloges : « ma mère était une mauvaise femme. Et aujourd’hui, je rachète l’âme de ma mère ». Elle a continué à voir ses enfants de temps en temps, mais selon Mme D, elles n’avaient pas réellement de rapports. Mme D épouse son premier mari à l’âge de 17 ans. Elle ne présente pas ce mariage comme un choix de sa part « ma mère m’a mariée » et en parle de façon plutôt péjorative : « la première fois que j’ai vu mon mari nu, j’ai cru avoir épousé un infirme, un monstre ». A l’âge de 18 ans, Mme D accouche d’un petit garçon dont elle a nié la grossesse « quand j’ai accouché, je ne savais même pas que j’étais entrain d’accoucher. J’ai demandé au médecin ce que c’était là, entre mes jambes, et il m’a répondu que c’était mon bébé. On ne savait rien de tout ça à l’époque ». Le premier mari de Mme D, prénommé Jean, est décédé durant la seconde guerre mondial. Alors âgée de 24 ans, elle commence à travailler comme infirmière des hôpitaux de Paris. Mme D rencontre Pierre, son second mari, alors qu’elle effectuait un rapatriement sur Nice. Pierre travaille comme ingénieur de la ville. Elle l’évoque comme « le seul homme *qu’elle ait+ jamais aimé ». Pierre élèvera le fils de Mme D comme son propre enfant. Elle le perçoit comme une personne protectrice (« il me disait : je ne veux plus voir une seule larme dans tes yeux»). Son fils décède à l’âge de 10 ans, des suites d’un AVC : « je l’ai retrouvé comme endormi dans son lit, on aurait dit un ange ». Mme D avait alors 28 ans. Mme D et son mari emménagent en PACA pour raison professionnelle. Mme D travaillait à l’époque avec « un grand neurologue » qui lui avait donné comme mission de « sauver les pauvres enfants » dans la région sud. Mme D a exercé son métier d’infirmière durant 50 ans. Elle dit à ce sujet qu’elle est « devenue infirmière comme on entre en prêtrise », dans le sens où elle y a « sacrifié [sa] vie privée ». Quelques temps après avoir pris sa retraite, Mme D apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein : « mon mari est décédé une semaine après qu’on m’ait opérée de mon cancer du sein ». A ce sujet, Mme D estime que le fait de savoir sa femme malade l’a épuisé, et que son cancer du sein l’a tué. Mme D vivra alors seule, entouré par son neveu, la seule famille qui lui reste aujourd’hui. Elle a investi la paroisse de son quartier et y noue des liens importants, notamment avec le prêtre de l’église. Elle œuvre avec lui pour la Croisade des aveugles, et fait beaucoup de démarches humanitaires. Lorsque nous nous rencontrons pour la première fois, Mme D se trouve dans une colère manifeste : elle est entrée dans la résidence depuis 15 minutes, et bien qu’elle ait choisit elle-même l’établissement, rien ne lui convient. Le règlement de l’établissement est au départ sa cible privilégié, puis le directeur, les aides-soignantes, les infirmières. Je lui propose alors de la rencontrer régulièrement, afin de déterminer avec elle l’origine de cette souffrance. Entre grandeur d’âme et âme grandiose De prime abord, Mme D exprime un rapport à l’Autre basé sur la dévotion et vectorisé par son métier d’infirmière. En effet, Mme D se présente comme une personne autonome (« rendez-vous compte, je vivais seule jusqu’à mon accident, je faisais tout »), et dévouée aux autres (« j’ai besoin d’aider les autres : j’ai été infirmière durant cinquante trois ans, puis j’ai été bénévole pour la croisade des aveugles »). Mais si a priori cela peut laisser supposer un rapport à l’Autre positif, le comportement de Mme D laisse entendre une part d’extériorité importante de ses supports identitaires. L’extériorité se traduit en premier lieu par la forme de son discours : à chaque rencontre, Mme D me rappelle qu’elle a été infirmière, et qu’elle a beaucoup aidé les autres. Cette revendication identitaire laisse transparaitre que Mme D n’a pas intégré ces éléments de son vécu. Par ailleurs, sous l’apparence de l’autonomie elle aussi revendiquée (« rendez-vous compte ») se dissimule un rapport instrumentale à l’Autre l’inscrivant dans une dépendance identitaire et divisant les personnes en deux catégories : les aidants et les aidés. Mme D se situe donc dans la catégorie des aidants, ce qui lui donne une valeur supérieure aux aidés, perçus de façon positif sur le plan affectif mais également comme de faibles créatures à protéger (« mes malades, c’était comme mes petits. Je les aimais » « des qu’il y avait un malade, il me le fallait », « ce sont de pauvres gens »). Ainsi, le métier de Mme D a était un support narcissique important : il lui permettait d’assurer la positivité de son Moi par une activité socialement acceptable et de répondre ainsi à ses propres besoins narcissiques (valorisation du Moi et de négativité de l’Autre). Le fait de venir en aide aux plus démunis lui permettait donc de se positiver sous un alibi altruiste. Le caractère externe de sa démarche d’aidant vient également se manifester dans la mise en avant du caractère prestigieux de sa profession « j’ai travaillé avec le Dr Untel, vous le connaissez surement, c’était un éminent chirurgien spécialisé dans le cancer du cerveau ». Au sein de l’institution, la revendication d’une part de sa carrière d’infirmière, et d’autre part du caractère prestigieux de son parcours professionnel a une double fonction : une fonction que je qualifierais de mégalomaniaque, venant faire écho à sa soudaine perte d’autonomie motrice, destinée à rétablir la démesure de son Moi (Moi grandiose) et donc sa légitimité identitaire ; mais également une fonction hiérarchisante à des fins manipulatoires vis-à-vis des soignantes, destinée à instaurer un rapport dominant/dominé avec le personnel médical sous le couvert d’un discours centré sur la perte (« Vous vous rendez compte de ce que je suis devenue, moi qui est tant fait pour les autres. J’étais une excellente infirmière, je travaillais pour les hôpitaux de paris. J’ai été infirmière durant cinquante trois ans […] les infirmières d’ici ne font pas bien leur métier, il faut dire qu’elles ne sont pas aidées »). Mme D se retrouve donc placée au sommet de sa propre échelle de valeur, dominant ainsi l’ensemble des soignantes qui lui doivent, selon elle, un respect particulier du fait de son âge, de sa grande expérience dans le domaine médical et de ses compétences hors pairs en tant que soignante. Dans un même mouvement, Mme D se différencie des autres résidants en dévoilant sa conviction qu’elle est en droit d’être traitée comme une personne privilégiée. Le sentiment de grandeur et d’omnipotence de Mme D est également vectorisé par le rapport qu’elle entretient avec Dieu. Mme D exprime ainsi la colère qu’elle éprouve envers celui qu’elle nomme le Tout-Puissant : « pourquoi il me fait ça, moi qui est tant donné pour les autres ». Mme D révèle ainsi l’origine de sa démarche philanthropique : le « besoin d’aider les autres » s’accompagne d’une stratégie destinée à utiliser les personnes secourues comme monnaie d’échange pour éviter les souffrances. Etant donné la bonté de son âme, Dieu devrait donc protéger Mme D. Au lieu de cela, Dieu lui a envoyé de nombreuses épreuves. Le rapport adaptatif de Mme D à son milieu étant particulièrement performant, elle trouve justification à cet état de fait au travers d’une position de martyr (« mon métier d’infirmière, c’était un sacerdoce », « ma vie est un sacerdoce »). Mme D se représente alors comme un sacrifice humain destiné à racheter non pas sa propre âme, qui n’est que bonté (« c’est Dieu lui-même qui s’occupe de mon âme »), mais celle de sa mère, qu’elle décrit comme une mauvaise femme « je rachète l’âme de ma mère ». Mme D montre donc l’alternance de deux Moi : l’un est socialement hyper-adapté, répondant dans l’absolu aux valeurs reconnues comme bonnes dans la société (altruisme, humour, dévotion, valorisation de l’autre et tolérance) ; l’autre est d’avantage vindicatif, emprunt d’une agressivité non assumée envers l’institution au sens restreint (les soignants, le règlement de l’établissement) comme au sens large (la société actuelle), la poussant à la confrontation. De l’infirmière à l’infirme: l’histoire d’une identité diffuse Mme D fonctionne donc dans l’institution sur un mode clivé. Elle est en mesure de s’attirer les bonnes grâces des soignants en se montrant particulièrement valorisante envers eux et réceptive à l’échange affectif. Ainsi, lorsque Mme D estime que la relation avec le soignant est valorisante pour le Moi, elle fonctionne sur un mode explicitement indifférencié (« vous êtes comme moi, vous aimez vos patients »). A contrario, lorsque le personnel ne répond pas à sa demande et qu’elle se retrouve directement confrontée à sa perte d’autonomie (cela se produit notamment lorsque les soignants ne cèdent pas à sa demande de rester dans son lit), Mme D voit sa sécurité de base voler en éclat, et avec elle la positivité de son Moi. Par ailleurs, ce fonctionnement réactionnel face à son handicap laisse entendre un faible niveau de différenciation Moi psychique/Moi organique : même si Mme D ne semble pas particulièrement coquette, il est très difficile pour elle d’être confronté au regard de l’autre lorsqu’elle est en fauteuil (d’où sa volonté d’être alitée). Elle revendique alors sa légitimité identitaire en dévalorisant l’autre de manière acerbe, allant parfois jusqu’au passage à l’acte (violence envers un soignant, menace de se jeter au sol, de mettre fin à ses jours, qui témoigne de l’extériorité de la différenciation Moi/Autre). Mme D a tendance à se victimiser lorsqu’elle devient agressive envers les autres, ce qui vient signer les carences de sa position de sujet. Elle n’est pas en mesure d’assumer l’entièreté de ses actes : elle nie l’incident, ou le transforme en quelque chose dont l’origine est extérieure à elle. Ainsi, un jour où elle frappa une soignante avec la potence pendue au dessus de son lit, elle m’exprimera dès mon arrivée, et sur un ton enfantin « j’ai malencontreusement lâché la potence et elle a atterri dans le visage de l’infirmière […] je ne comprends pas pourquoi les infirmières m’en veulent, je suis pourtant si gentille avec elles ». Mme D n’est donc pas en mesure d’assumer la négativité, qu’elle rejette alors sur les soignants. Les carences de la position de sujet de Mme D s’expriment également dans sa difficulté à assumer une responsabilité morale : d’une part, la revendication de l’idéologie altruiste qu’elle défend témoigne de son caractère externe (les valeurs morales ne sont pas intériorisées), et d’autre part, Mme D tente régulièrement de se confronter aux limites institutionnelles en exigeant ce que le règlement interdit. Mme D se montre alors vindicative envers ce dernier et souhaite rencontrer le directeur de l’établissement (« je vais lui dire ma façon de penser »). Bien entendu, lorsque Mme D rencontre le directeur, elle n’assume pas ses propos et se montre particulièrement conciliante. De façon générale, son récit de vie est emprunt de théâtralité, chaque évènement est romancé de façon à lui conférer un caractère irréel. Cela s’explique par les difficultés de Mme D à intérioriser son vécu. Mme D fonctionne par rapport à un absolu : les évènements comme les personnes sont soient idéalisées, soient dévalorisées. Elle éprouve de grandes difficultés à prendre en compte les contraintes du réel, et lorsqu’elle s’y trouve confrontée, elle les rejette violemment. Ce fonctionnement se retrouve dans le discours qu’elle tient concernant ses parents : au père « magnifique » s’oppose la mère, « une mauvaise femme ». Le père de Mme D est vécu comme protecteur. C’est en partie dans le rapport qu’elle a entretenu avec lui qu’elle a placé sa sécurité de base « mon père ne nous a pas abandonné, contrairement à ma mère ». Le fonctionnement adaptatif de Mme D a été suffisamment performant pour transposer ce type de rapport à d’autres hommes : ainsi, au cours de la vie de Mme D, différents personnages sont venus assurer sa sécurité affective (son père, son mari, le Dr Untel, et enfin le prêtre de la paroisse). Le maintien de ce type de relation a permis à Mme D de maintenir une position identitaire positive tout en assurant sa sécurité de base. Chacune de ses personnes a visé à être valorisante pour le Moi, donnant à Mme D le sentiment d’être une personne hors du commun (« mon mari me disait : je ne veux plus voir une larme dans tes yeux », au sujet du Dr Untel « il m’a envoyé en mission, il souhaitait que j’aille sauver ces pauvres gens dans le Sud », a propos du prêtre « il a dit une messe pour moi, il le fera encore la semaine prochaine »). Le rapport instrumental entretenu avec les personnes de l’autre genre témoigne d’une carence élaborative importante dans la différenciation des positions de genre. La féminité est en effet très peu présente dans le discours de Mme D, ou a tendance à être évacuée : Mme D a un rapport à la sexualité très externe, et fait un récit traumatisant de la rencontre avec l’autre sexe (« la première fois que j’ai vu mon mari nu, j’ai cru avoir épousé un infirme, un monstre »). Il en va de même pour la position de mère qui se définit par la possession d’un enfant et traduit l’absence d’élaboration d’une identité de mère : tout d’abord nié (déni de grossesse), le fait d’être mère deviendra un élément de valorisation venant nourrir le récit de martyr lorsque son fils décède. Mme D tient à propos du décès de son fils un discours emprunt d’inauthenticité, théâtrale et romanesque : « il était allongé là, on aurait dit un ange », « je n’ai plus de larmes aujourd’hui, c’est la pire chose qu’il puisse arriver dans la vie ». Le caractère externe de sa position féminine s’affirme alors dans la réponse qu’elle formule lorsque je la questionne sur sa féminité « je me sens une femme, puisque j’ai eu un mari et un enfant, je suis toujours une mère aujourd’hui ». La question du genre est posée, mais de façon rudimentaire qui n’est pas structurant pour l’organisation du psychisme. Ainsi, il semble que l’élaboration de la structure psychique de Mme D ait déviée de sa trajectoire, orientant la différenciation de l’Identité et de l’Altérité vers une problématique de l’avoir. Cette déviation structurelle prend source dans d’importantes carences de la différenciation du Moi et de l’Autre. Un père tout-puissant, une mère décevante Le caractère instrumental des relations que Mme D a pu entretenir avec les personnes ayant jalonnées son existence, les relations anaclitiques actuelles avec les soignants, la difficulté de Mme D à assumer ses choix, mais aussi son rapport au corps, laissent entendre des carences élaboratives importantes dans la différenciation Moi/Autre installant la définition de chacun dans une confusion entre l’avoir et l’être. L’histoire de vie de Mme D laisse à supposer que l’abandon par sa mère à l’âge de deux ans l’a plongé dans une carence affective et identitaire importante. En effet à l’âge où s’effectue pour l’enfant la différenciation du Moi et de l’Autre, le rejet de la mère trop négatif pour le Moi a rendu impossible l’identification de l’enfant au parent du même genre. La différenciation avec le parent du même genre s’effectue de manière réactionnelle part le biais de supports externes et caricaturaux. En découle l’image d’une mère absolument mauvaise, une définition basée sur l’extériorité où la subjectivité n’est appréciée que de façon rudimentaire. Mme D ne sera donc en mesure de définir sa mère qu’au travers de la souffrance qu’elle a endurée : une femme infidèle et déraisonnable. En miroir, le rapport au père absolument bon, idéalisé va orienter Mme D vers une identification au parent de l’autre genre : en ce sens, comme nous l’avons vu, Mme D n’a pas réellement investi sa féminité3, mais elle a en revanche très fortement investi sa position d’infirmière, un rapport d’aidant médical identifié au rôle du père (« Mon père était médecin militaire. Il a toujours fait pour les autres, il s’est sacrifié pour nous4 »). Le père de Mme D est perçu comme un homme de prestance, tout-puissant. Cependant, elle estime également qu’il était particulièrement sévère, et finalement peu présent (« ce sont surtout ses ordonnances qui nous ont élevé »). Nous pouvons supposer que le père de Mme D fonctionnait également sur un mode relationnel anaclitique créant une relation de dépendance où l’enfant sera toujours en quête de reconnaissance de sa part. S’étayant luimême sur des éléments externes prépondérants (notamment le prestige de sa position sociale), lorsque Mme D a entamé ce travail d’identification au père, la différenciation Moi/Autre s’est structurée dans une confusion entre l’avoir et l’être. A l’adolescence, Mme D a transposé cette problématique au niveau idéologique en s’étendant à un domaine plus 3 4 C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que son hémiplégie vient négativer son rapport au corps. A propos du fait qu’il ne se soit jamais remarié. abstrait : de ce fait, être aidant se traduit pour Mme D par avoir des malades (« dès qu’il y avait un malade, il me le fallait »). Mme D a donc inscrit son parcours de vie dans une quête originale : celui de trouver des malades à aider, des personnes sensiblement moins signifiantes qu’elle, de se les approprier afin de satisfaire un besoin de valorisation personnelle dissimulé derrière une démarche philanthropique. En ce sens, la trajectoire élaborative de Mme D semble être celle d’une structure étatlimite que je qualifierais de réussie. En effet, le rapport adaptatif au milieu que Mme D a créé a montré suffisamment de souplesse pour lui permettre de fonctionner tout au long de sa vie en étant en mesure de placer sa sécurité de base sous la relation à d’autres hommes que son père, tous représentant de la figure paternelle. L’absence de projet de vie est également à souligner, puisque Mme D semble avoir été ballottée par les évènements successifs de sa vie, sans jamais y laisser entendre la moindre prise de décision de sa part. L’absence d’élaboration de la temporalité la rendant incapable d’assumer son propre désir, Mme D l’a placé dans les mains des hommes qui ont compté pour elle (« je suis descendue à Nice parce que le Dr Untel m’avait donné une mission », « je n’ai plus de larmes […] mon mari me disait : je ne veux plus voir une larme dans tes yeux ») ou dans celle du destin, voire de Dieu lui-même. Epilogue thérapeutique Au jour d’aujourd’hui, Mme D se trouve dépossédée du rapport au monde qui lui permettait d’assurer la légitimité de son Moi : devenue hémiplégique, Mme D ne peut plus venir en aide aux autres, et plus encore, elle se retrouve dans la catégorie de personnes la moins souhaitable (les personnes aidées). Le faible niveau d’élaboration de la temporalité est mis en exergue par son incapacité à assimiler certaines carences organiques comme un signe de l’âge (le fait de voir sa peau ridée n’est pas un effet du temps mais de la déshydratation). Cela traduit également le faible niveau de différenciation Moi organique/Moi psychique de la personne. Mme D se vit donc comme une handicapée, mais pas comme une dame âgée. Pour assurer la légitimité identitaire, Mme D a tendance à négativiser le milieu où elle se trouve. Dans un premier temps, je me suis essentiellement concentrée à travailler avec Mme D sur la décharge émotionnelle. Le but était de parvenir à un niveau de communication permettant de comprendre réellement quels pouvaient être les enjeux de Mme D dans sa position actuelle. Par la suite, ma démarche thérapeutique a essentiellement consisté à tenter de trouve un nouvel étayage identitaire lui permettant de s’inscrire de nouveau dans une trajectoire vitale, c’est-à-dire à restaurer l’état antérieur de son système. Si dans un premier temps, j’ai tenté d’assurer moi-même cette fonction en essayant d’élaborer avec elle un projet de vie a minima, j’ai fini par saisir que le caractère ahiérarchique de ma position ainsi que ma féminité étaient un obstacle à un tel investissement de sa part. Actuellement, je travaille conjointement avec le nouveau directeur d’établissement, ancien infirmier militaire, à proposer à Mme D d’investir un nouvel étayage similaire à celui que pouvait être son père, et ainsi rétablir sa sécurité de base. Parallèlement, je tente d’étayer la différenciation Moi psychique/Moi organique conjointement avec le kinésithérapeute, personnage qu’elle a affectivement investi. Conclusion au sujet des études de cas Le choix se porte sur deux études de cas de structure états-limites. Le but est essentiellement de mettre en lumière ma propre réflexion par rapport à ces structures, puisqu’elles s’expriment dans chacun des cas de façons tout à fait différentes. Ainsi, s’il a était simple pour moi de repérer les mécanismes manipulateurs dont Mme B faisait usage avec moi, telle n’a pas été le cas avec Mme D. J’ai ainsi été happée par son jeu, souhaitant voir dans la relation que nous entretenions un rapport plus élaboré que ce qu’il était. Si cela me renvoi à ma propre volonté d’être utile en tant que psychologue dans l’expression de la subjectivité d’autrui, il est également à supposer que le fonctionnement de Mme B puisse tendre vers la perversité morale.