le dilemme des entreprises familiales du luxe

Transcription

le dilemme des entreprises familiales du luxe
68IJ6A>Iw
AKB="=:GBÎH/A:9>A:BB:9:H:CIG:EG>H:H;6B>A>6A:H9JAJM:
6JI:JGH
JEAN-NOËL KAPFERER
LVMH-Hermès :
le dilemme des entreprises
familiales du luxe
Les récentes péripéties LVMH-Hermès mettent en lumière la transformation de l’industrie du luxe.
Il sera de plus en plus difficile aux petites entreprises, souvent familiales, de résister aux appétits
des grands groupes de luxe tels LVMH, PPR, Pernod-Ricard, Richemont et autres.
c
omme la crise récente
l’a montré, les pays
émergents ont permis
aux entreprises du luxe de compenser la baisse des marchés occidentaux. Les résultats spectaculaires
annoncés au troisième trimestre
2010 par LVMH en attestent. Le
développement sur ces nouveaux
marchés demande de très importants investissements en ouverture
de magasins dans les grandes villes
et en communication. Or les bénéfices ne pourront assurer à eux seuls
leur financement. Où trouver les
capitaux nécessaires ?
C’est un dilemme pour les entreprises
familiales, qui craignent de perdre le
contrôle et, nous disent-elles, leur
âme, si elles font appel aux marchés
financiers et se font diluer. Cependant, si le créateur et ses descendants directs sont attachés à l’entreprise, les générations qui suivent ont
souvent moins d’affectio societatis.
D’où leur tentation de pousser à des
solutions leur offrant une porte de
sortie au travers d’une ouverture du
capital. C’est d’ailleurs la voie choisie
par une tout autre industrie, celle des
banques d’affaires et autres fonds
de private equity (Goldman Sachs,
Blackstone, KKR bientôt).
,
OLIVIER TABATONI
DÉVELOPPER DE LA
CROISSANCE RENTABLE
Simultanément, les grands groupes de
luxe cotés en bourse sont soumis à la
pression des actionnaires et leur impératif de création de valeur : ils doivent
développer des stratégies de croissance rentable. La croissance externe
s’inscrit dans ce contexte, en particulier pour contrer leurs concurrents des
autres groupes de luxe. La lutte entre
LVMH et PPR pour Gucci en est un bel
exemple. Mais la stratégie de croissance externe a ses limites.
DISPOSER DE
BLOCKBUSTERS
Si Gucci ou Louis Vuitton ont un succès
indiscutable, rien ne garantit que ces
marques conserveront indéfiniment
leur charme. Les grands groupes de
luxe constituent donc des « écuries »
de marques en devenir, qui ont pour
vocation de remplacer celles qui auront
perdu de leur lustre. Ainsi, tels des venture capitalists, les groupes de luxe
investissent aussi dans des entreprises
qui ne sont pas encore rentables et qui,
pour certaines, ne le seront jamais. On
observe d’ailleurs que les marques de
luxe europé-ennes soutiennent l’émergence de nouveaux créateurs en Asie.
Il devient alors nécessaire de dispo-
ser de block-busters pour assurer les
résultats financiers trimestre après trimestre. L’offensive LVMH sur Hermès y
trouve sans doute ses sources : besoin
de croissance externe et réduction de
la volatilité des cash-flows.
Dans une stratégie de croissance rentable, si la rentabilité a un impact linéaire
sur la création de valeur, la croissance
a elle un impact exponentiel. Voici
pourquoi une entreprise très profitable comme Hermès a tant à gagner à
générer un supplément de croissance.
Ce serait pain béni pour LVMH s’ils
étaient capables d’y participer.
Selon Bain & Co, la Chine deviendra le
marché numéro un du luxe en 2015.
Or si Hermès est bien en tête des marques qui symbolisent le luxe au Japon,
hier pays phare du luxe, en Chine l’entreprise n’apparaîtrait pas dans le top 5
ou top 10 de celles-ci. De plus, le Japon
est un luxe âgé : selon les études, 19 %
des consommateurs du luxe y ont
moins de 45 ans, tandis qu’en Chine
on en compte 80 %. Ces clients jeunes,
et aussi surtout masculins, sont tournés vers un luxe d’extériorisation alors
qu’Hermès représente le luxe discret.
Certes, tout excès d’ostentation engendre sa demande inverse. Encore faudra-t-il pouvoir attendre.
En Chine, les riches sont partout désor-
JANVIER FÉVRIER MARS 20116C6ANH:;>C6C8>ÎG:C•(-
?:6C"CDÍA@6E;:G:G!
:ME:GI;G6Cv6>H9:H
B6GFJ:H#Professeur et
chercheur, titulaire de la chaire
Pernod-Ricard sur le Management
des marques de prestige, il
enseigne la « stratégie de luxe »
dans les programmes exécutifs
des grandes marques et des plus
grandes universités internationales.
Membre de plusieurs conseils
d’administration, il conseille
activement les entreprises du monde
entier sur leurs problématiques de
marque. Il est l’auteur de quatre
ouvrages de référence internationaux :
The Luxury Strategy, Strategic Brand
Management, Reinventing the Brand
et Rumors.
DA>K>:GI676IDC>!
EGD;:HH:JG9:;>C6C8:
6A¼>6:6>M"B6GH:>AA:#
Il enseigne dans de nombreuses
institutions internationales et a été
professeur visitant à la Kellogg School
of Management et à la Haas Business
School à Berkeley.
Associate fellow à Oxford, il enseigne
régulièrement dans les programmes
exécutifs de grandes sociétés
multinationales et a développé pour
ces sessions des jeux de simulation
portant sur la création de valeur.
mais, pas uniquement dans les trois
villes phares. Cela pose la question de
la croissance du nombre de points de
vente Hermès dans le pays. Hermès
peut-il générer seul cette croissance ?
Sans parler du virage internet à prendre dans un pays où 840 millions de
personnes seront on-line demain, avec
un internet totalement différent de celui
que nous connaissons en Europe et
aux États-Unis.