c pkoi jt mdr = c`est pourquoi j`étais mort de rire Bien que l`on parle

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c pkoi jt mdr = c`est pourquoi j`étais mort de rire Bien que l`on parle
Education et Sociétés Plurilingues n°4-juillet 1998
c pkoi jt mdr = c'est pourquoi j'étais mort de rire
Sami BEAUDOUX, avec la collaboration de David BILSKY
Bien que l’on parle ici de langage informatique, il ne s’agit pas d’un
quelconque langage de programmation, mais du langage employé entre
utilisateurs d’un ordinateur. On supposera aussi qu’être utilisateur d’un
ordinateur signifie avoir un rapport plus approfondi qu’une simple relation
de travail avec la machine, mais en comprendre le fonctionnement, les
"coins et recoins" et les "manies".
Il est de mise, depuis quelques temps, de limiter la vision du monde
informatique à quelques images d’Epinal. On le remarque tout
particulièrement au niveau du langage que l’on attribue à ceux qui utilisent
l’informatique. Ceux-ci sont crédités en tout et pour tout de deux mots,
cyber et virtuel, accolés par la suite à tout et n’importe quoi: cyber-flash,
cyber-love, univers virtuel, réalité virtuelle...
Pourtant le langage informatique est loin d’être limité à ces exemples. Il
possède de nombreuses caractéristiques bien définies, tout en laissant une
grande liberté aux utilisateurs.
Les caractéristiques
Le langage informatique est avant tout condensé. Les échanges entre ses
utilisateurs doivent être rapides et il est fréquent de voir des contractions de
mots, d’expressions, et ceci dans toutes les catégories d’utilisateurs.
L’exemple parfait est celui des IRCiens, les utilisateurs de l’Internet Relay
Chat, un outil de dialogue en direct entre plusieurs personnes sur un réseau
(plusieurs ordinateurs connectés). Pour ces personnes il est essentiel d’aller
au plus vite (une connexion au réseau coûte de l’argent). A cet effet, on
contracte ou on transforme en sigle certains mots: "pourquoi" devient
"pkoi", "mort de rire" se transforme en "mdr", "message" en "msg". On
peut noter qu’il arrive que plusieurs contractions d’un même mot existe.
Cependant la solution la plus utile, la plus rapide et la plus esthétique
l’emporte sur l’autre par l’effet d’un "darwinisme" informatique, motivé
par les choix des utilisateurs.
Parallèlement à la contraction, un vocabulaire de plus en plus précis
apparaît dans l’informatique, surtout à cause de la multiplication des
innovations: la quantité d’information véhiculée par les échanges augmente
au fil du temps.
S. Beaudoux, Le langage informatique
Ainsi, les processeurs furent d’abord nommés d’après leur catégories de
production et leurs fréquences de fonctionnement (ce sont les x86), puis il y
eut des processeurs dont le nom remplaçait les caractéristiques techniques
(la série des "Pentiums"), enfin le dernier développement, celui des
processeurs à technologie MMX. Il est intéressant alors de voir que pour
quelqu’un connaissant ces processeurs, le x86 est un processeur générique
(c'est-à-dire sans marque, mais avec une architecture de fonctionnement
commune à tous les fabricants), alors que le Pentium et le MMX recouvrent
la marque d’un fabricant de processeurs, avec, cette fois un système de
fonctionnement plus spécifique. En conséquence, une personne qui parle
aujourd’hui d’un K6, parle d’un processeur, en donnant par ce simple nom
des informations sur la marque du fabricant, l’architecture du processeur,
les capacités mathématiques, etc... ce qui aurait été impossible il y a
quelques années par la simple évocation d’un x86.
Par combinaisons de ces grands principes, on arrive à un langage clair,
concis, structuré et très évolutif. Evolutif car la grande nouveauté qu’est la
mondialisation des échanges fait qu’un mot créé n’importe où sur le globe
peut être totalement accepté par la communauté informatique très peu de
temps après. Cette tendance permet la création continue de néologismes.
Ces néologismes peuvent être créés à partir de diverses origines.
Par exemple, les mots en "...ware", comme "freeware", "cardware" et
autres proviennent tous d’un phénomène de contraction associé à un
phénomène de caractérisation. A l’origine, le software (par opposition à
hardware) représente tout ce qui est logiciel informatique, c’est-à-dire les
programmes. Par contraction, on ne garde que "ware", et par association,
on ajoute un préfixe qui décrit la ou les caractéristiques du programme. Si
l’on veut parler d’un programme gratuit, dont les droits sont dans le
domaine public, on parle de "freeware", littéralement "programme gratuit".
On peut trouver ainsi "shareware", programme dont une partie seulement
est accessible au utilisateurs (share = part), l’autre partie étant débloquée
après paiement d’une somme; "cardware", où l’auteur accorde le droit
d’utiliser le programme gratuitement en échange d’une carte postale. On
voit bien qu’il s’agit d’un domaine ou le néologisme peut apparaître très
rapidement, car la création d’un nouveau mot peut se faire selon une base
communément acceptée: on trouve ainsi des termes originaux, mais
valables et compréhensibles, comme "beerware", "mailware"...
L’autre moteur de la création de néologismes est la recherche. Les
nouvelles technologies informatiques introduisent des termes nouveaux
comme "Z-buffering" ou "rasterization" (qui concernent tous deux des
techniques informatiques de traitement de l’image) dans le vocabulaire des
S. Beaudoux, Le langage informatique
utilisateurs. Le Z-Buffering consiste à classer des objets en trois dimensions
dans un ordre croissant d’éloignement par rapport à l’utilisateur, le long
d’un axe z définissant la profondeur, afin d’obtenir un rendu d’image 3d
valable. La rasterization, elle, concerne le placage des textures sur des
surfaces en trois dimensions.
La souplesse du langage informatique est en fait un véritable bouillon de
culture, prétexte à tous les moyens d’expression pouvant améliorer la
compréhension entre usagers. Les "Smileys" illustrent cet exemple; il s’agit
de combinaisons de caractères formant des visages orientés à 90° vers la
gauche, traduisants une expression particulière de la personne qui l’écrit:
par exemple ;-) signifie "clin d’œil", et :-o "étonnement" (pour voir le
smiley correctement, penchez votre tete sur la gauche et considérez que les
deux points ou le point virgule constituent les yeux du smiley). On les
trouve principalement dans les communications écrites entre utilisateurs,
soit pour souligner une information à son interlocuteur, soit pour exprimer
ses sentiments sur une question particulière. On trouve souvent ces
symboles sur les pages Internet des particuliers pour souligner une
plaisanterie, on un passage que son auteur trouve drôle.
Telles sont les quatre principales caractéristiques du langage informatique:
concision, fort pouvoir explicatif, évolution et mutations rapides, champ
d’expérience pour de nouveaux moyens d’expression. Cependant ces
caractéristiques laissent une certaine liberté aux diverses catégories
d’utilisateur. Voici quelques exemples.
Les IRCiens
Ce sont des utilisateurs qui sont extrêmement spécialisés dans la
contraction des termes, car ils utilisent un système de communication en
direct. Il s’agit en conséquence d’un milieu assez fermé car le "newbie" (le
débutant) peut avoir du mal à apprendre ce langage particulier. De plus il
s’agit d’un moyen de communication anonyme, d’où un certain état
d’esprit de méfiance. Les IRCiens utilisent des termes très condensés: ct =
c’etait, c = sait ou c’est, pkoi = pourquoi, ban = bannissement, nick =
pseudonyme, op = operateur, msg = messages eclairs, opper = donner des
pouvoirs, mdr = mort de rire...
Les programmeurs
Ils utilisent un langage simple, proche de celui de tous les jours. Cependant,
ils ont pour cactéristique d’utiliser des expressions très particulières,
relevant de leur activité. Ainsi un programmeur peut parler de "Murphy"
sans expliciter son propos, un autre programmeur saura qu’il parle de
l’ensemble des "lois de Murphy", qui caractérisent les lois de chaos
S. Beaudoux, Le langage informatique
maximum en informatique (et qui prédisent par exemple qu’un programme
informatique ne peut être exempt d’erreur s’il est écrit d’un seul trait). De
même les programmeurs utilisent des expressions particulières, qui
prennent appui sur des expressions courantes. Par exemple, "simple comme
bonjour" devient "simple comme pi". Cependant la tendance à la
contraction est moins marquée que dans les autres groupes. C’est pourtant
chez eux qu’apparaissent une grande partie des néologismes techniques ou
se rapportant aux programmes.
Les pirates
Comme les IRCiens, ils ont une volonté d’anonymat. En conséquence ils
possèdent parfois plusieurs pseudonymes, et le font savoir par l’utilisation
de la contraction "AKA", "Also Known As" (connu aussi comme...), suivie
de leur(s) pseudonyme(s). Les pirates tirent parti des nouvelles
technologies pour créer des néologismes: s’ils utilisent un programme
couramment, on voit souvent le nom de ce programme devenir un verbe, et
être utilisé dans la conversation courante. Ils apprécient plus ou moins les
contractions, mais, afin de se démarquer au maximum, ce sont les plus
grands utilisateurs de “smileys”.
On peut voir que le langage informatique de chaque groupe est
reconnaissable. Il existe d’ailleurs des cloisonnements entre ces groupes.
Mais il est très rare qu’un groupe soit fermé aux entrées des individus.
Cette pratique est favorisée d’ailleurs par l’existence de textes qui
recensent les dernières modes de chaque groupe, notamment les dernières
orientations du langage. Les pirates en particulier ont pour vocation de
répandre leur manière de voir, et il est très facile de trouver des
renseignements sur leur langage, leurs habitudes...
Cette étude permet donc de voir qu’il existe un langage informatique bien
différent de ce que l’on imagine: changeant, précis... En aucun cas il ne
s’agit d’une mode passagère ou d’un phénomène mineur à étudier d’un œil
distrait. Il obéit à des règles et à un certain code de conduite.
Implications sociales: machine et sociabilité
Il serait totalement utopique de vouloir appréhender totalement ici un tel
phénomene. On peut cependant discerner, en plus des tendances décrites
plus haut, quelques faits intéressants.
D’abord, le langage informatique est ouvert aux nouveaux arrivants. Il
n’est pas rebutant car il a pour vocation de simplifier les rapports au
maximum. Un vocabulaire de base en informatique permet l’intégration
dans un groupe, le reste s’apprenant en majorité sur le tas, et toute personne
peut l’apprendre rapidement.
S. Beaudoux, Le langage informatique
Le langage informatique dessine une carte des états d’esprit. Il est étonnant
de voir que le langage à vocabulaire fortement commercial se trouve aux
Etats-Unis et en Europe de l’Ouest, alors que les autres parties du monde
sont beaucoup moins commerciales. Les échanges s’y produisent plus
spontanément, avec une locomotive conduite par l’Australie et le Canada.
Plus spécifiquement, il n’est pas rare qu’un logiciel payant aux Etats-Unis
ou en Europe trouve un jumeau mieux conçu et gratuit en Australie. Cela se
ressent énormément au niveau du langage informatique (d’ailleurs le .com
que l’on retrouve principalement dans les adresses Internet américaines
signifie "commercial"). De même il est rare qu’un programmeur américain
crée un "freeware" ou distribue un "tutorial" (didacticiel) gratuitement, ce
qui arrive frequemment en Australie, Afrique du Sud, Europe de l’est...
Enfin, le langage informatique est très "démocratique". Il n’évolue pas en
fonction d’une instance dirigeante, ni en fonction d’un groupe de décideurs.
C’est l’usage qui détermine le succès d'une expression, d'un mot. Nombre
de pirates, par exemple, créent des expressions ou des néologismes, afin
d’être démarqués dans leur groupe, mais peu survivent à une immersion
dans le langage courant. Et on ne peut nier que ce sont très souvent les
meilleurs qui demeurent.
En conclusion, on s’aperçoit que le langage informatique n’est ni plus
compliqué, ni plus rébarbatif, ni plus inutile que ses confrères. Il possède
une histoire, un acquis, un vocabulaire... Il est vrai qu’il évolue très vite,
mais cela ne l’en rend que plus intéressant, car il est élaboré sans cesse par
des milliers de personnes, qui l’utilisent, l’optimisent, le transforme. Il
pourrait même se révéler être un champ d’expérimentation parfait pour le
futur de la linguistique.
Si vous cherchez un site internet sur le jargon informatique français:
www.mygale.org/05/jargonf/
Si vous désirez joindre l’auteur sur Internet: [email protected]

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