Rencontres A Double Sens

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Rencontres A Double Sens
Rencontres A Double Sens
Compte rendu du 1er Spectacle-débat autour de « Dale Recuerdos XXI
(je pense à vous) » à la Maison des Métallos – 18 avril 2010
En présence des spectateurs,
Des participants : Jean-Pierre Duplant, Renée Fauguet-Zejgman, Jacqueline Gascon, Annette
Goldstein, Claude Guérin, Aliette Lucot, Roger Saligny, Joseph Reiss
Du metteur en scène : Didier Ruiz
De son assistant : Thierry Vu Huu
La rencontre était animée par Florence Castera, consultante en ingénierie de projets « culture,
éducation, insertion ».
Ce spectacle-débat a généré de nombreuses questions autour de la mémoire et de l’importance de
la transmission. Au-delà de ces thématiques, intrinsèquement liées au spectacle de Didier Ruiz,
nous avons cherché à déceler, à partir de l’expérience menée avec ces 9 amateurs, ce
qu’interrogent les pratiques participatives. Les questions posées lors de ce spectacle-débat
pourront servir de fils conducteurs lors des rencontres finales des 2 et 3 juillet. Les réponses
qu’apportent ici Didier Ruiz et les participants ne sont qu’une des façons possibles d’envisager ces
démarches participatives et interactives.
► Comment recrute-t-on et mobilise-t-on les habitants ? Qu’est-ce qui motive des amateurs à
participer à ce genre de projet ?
Pour la plupart, les participants ont été recrutés via des associations dans lesquelles ils sont
personnellement impliqués (la commission des séniors, des associations de sauvegarde du
patrimoine du quartier, des associations solidaires…). Travailler en lien avec le tissu local semble
ainsi fondamental.
Nombre d’entre eux ne savaient pas vraiment à quoi ils allaient participer : « j’ai un peu eu
l’impression de me faire piéger » « j’ai reçu un courrier qui m’invitait à un groupe de parole
autour de la mémoire ». Ils ne savaient pas non plus que ce projet les conduirait à monter sur
scène : « Au départ je pensais vraiment que j’allais raconter mes souvenirs juste à Didier Ruiz alors
on se laisse un peu aller et je ne pensais vraiment pas que j’allais me retrouver sur scène à
raconter tout ça à des centaines de personnes. »
► Sur cette question de la mobilisation, on a remarqué que les participants avaient tous plus ou
moins la même origine. Comment parvient-on à mobiliser l’ensemble des populations d’un
quartier (en l’occurrence le 11e arrondissement) et doit-on tenter à tout prix de
« représenter » cette diversité ?
Pour Didier Ruiz, ce projet n’a pas pour but de rentrer dans un cadre ethno-historique. Il ne s’agit
pas non plus de reconstituer une mémoire locale. S’il y a un sens à ce projet, c’est plutôt, à travers
l’art, d’aller vers l’universel. Le hasard lui a fait rencontrer ces personnes et il n’a pas cherché à ce
que son projet soit nécessairement représentatif des minorités du quartier. Le plus important est
de montrer des hommes et des femmes qui, à travers leurs souvenirs, témoignent de cette
universalité.
► Pour les personnes qui ont participé à ce projet, quel nouveau statut cette expérience leur
donne-t-elle ? Deviennent-ils « acteurs », « comédiens », « amateurs » ?
Une personne du public est intervenue en soulignant que sur scène, elle avait vu « des acteurs et
non des comédiens. Chacun raconte sa vérité avec une vraie authenticité ».
Lors d’une précédente édition de Dale Recuerdos, à Moscou, la pièce a été remarquée et vient de
remporter le premier prix du Golden Mask Festival en Russie dans la catégorie « Innovation » . A
cette occasion, la pièce a été reprise à Lyon cette année, avec les personnes âgées russes qui
avaient créé cette 20e édition de Dale Recuerdos à Moscou. Dans ce cas (toutefois très isolé) de
reprise d’une telle expérience, la question du changement de statut des participants se pose une
nouvelle fois : de « personnes agées », deviennent-ils « comédiens professionnels » après être
passés par le statut d’ « acteurs amateurs » ?
► La démarche artistique : Comment travaille-t-on avec des amateurs ? Quel regard le metteur
en scène pose-t-il sur cette création ?
Le travail mené a été très limité dans le temps (3 semaines de répétitions avec les participants).
C’est pourquoi Didier Ruiz a dû être très directif.
Le spectacle se construisant sur les souvenirs de ces 9 personnes âgées, il apparaît en effet
nécessaire de poser des limites. Les participants pourraient passer des heures à les raconter et le
travail prendrait des années. Fixer un cadre très précis peut concourir à la réussite de ces projets.
C’est dans une certaine contrainte qu’ont pu s’exprimer des souvenirs particulièrement forts.
La méthode de Didier Ruiz est la suivante : au cours d’entretiens individuels, il a recueilli un grand
nombre de souvenirs à partir desquels il a fait une sélection. Cette sélection a ensuite été soumise à
l’approbation de chacun des participants avant de faire l’objet d’un travail de mise en scène.
Les choix opérés par le metteur en scène sont très personnels et varient donc selon ses intérêts du
moment et la période de création. Didier Ruiz est de manière générale très attaché aux souvenirs
d'odeurs et à ceux des premières rencontres. En revanche, certains éléments qui l’intéressaient à
une période donnée n’ont aujourd’hui plus d’intérêt particulier pour lui. Par exemple, lors des
premiers projets, Didier Ruiz avait accordé une grande place aux musiques de vieilles réclames or
celles-ci n’apparaissent pas du tout dans ce spectacle. On est donc bien en présence d’un regard
artistique, d’une subjectivité qui ordonne la création.
► En tant que metteur en scène, pourquoi choisir de travailler à partir de ces témoignages
plutôt que de textes plus classiques ? En quoi ce projet transforme-t-il son rapport aux
créations « professionnelles » ?
A travers ce projet participatif, le metteur en scène recherche une spontanéité et une force parfois
difficile à retrouver chez des comédiens professionnels qui travaillent à partir de textes. Cette
spontanéité passe bien souvent par l’improvisation, ce « mystère de la première fois » dont parle
Didier Ruiz.
« Didier nous a interdit d’écrire. A chaque fois où l’on a raconté nos souvenirs, nous avons brodé. Il
fallait qu’à chaque fois, ce soit comme un premier jet » nous raconte Annette.
Ce projet participatif change et affine son regard d’humain sur les autres êtres humains, ce qui
nourrit ses projets plus « classiques » en montrant une palette plus riche de cette humanité qui est
tellement difficile à percevoir.
► Qu’applaudit-t-on ? Plus largement doit-on regarder avant tout (et uniquement) la
performance artistique ou doit-on nécessairement prendre en compte la valeur sociale de ces
projets? Peut-on observer ces œuvres de manière critique en fonction de critères uniquement
esthétiques?
La question n’a pas vraiment trouvé de réponse mais a soulevé de nombreuses interrogations. Est-ce
que l’on applaudit différemment ce type de spectacle ? Ici les participants acceptent de dévoiler
leur intimité. Finalement si on applaudit la performance, n’applaudit-on pas aussi une vie ?
► « Et après ? » : Dans la vie des participants qu’est-ce-que cela va changer concrètement et
comment évaluer ces transformations ?
Il peut être difficile de mesurer l’impact de ces projets sur les participants.
Pour Jacqueline: « Cela nous a permis avant tout de nous connaître, de créer des liens. On se fera
sans doute par la suite une grande bouffe. »
La première grande réussite de ce projet est sans doute de créer du lien social. Didier Ruiz
entretient d’ailleurs toujours des liens avec des participants aux précédents projets.
Pour Joseph : « Cette confession publique m’a fait extrêmement plaisir. Je ne croyais pas que ce
que j’avais vécu pourrait vraiment intéresser des gens. Et je ne me croyais pas capable d’écrire
quoi que ce soit personnellement et encore moins d’interpréter sur scène mes souvenirs. Mais
Didier Ruiz m’a sorti les vers du nez et il en a tiré une tapisserie…, une mosaïque si on veut. Ce
projet a pour moi été très enrichissant et ce retour sur soi-même est très important. »
► Plusieurs fois, il a été demandé s’il y avait des captations (vidéo, sonores…) ou des
retranscriptions par écrit des témoignages. Ces questions abordent plus largement la
temporalité et la pérennité de ces projets. Chaque expérience étant vraiment unique, comment
envisager une diffusion de ce spectacle ?
Pour Didier Ruiz, ce travail doit vraiment rester éphémère et ne doit pas être emprisonné. C’est un
moment unique à partager ensemble.
Cette expérience particulière se fait donc dans un temps bien précis mais également dans un espace
très défini. Pour Aliette, « le fait que ce spectacle ait été créé à la Maison des Métallos est
vraiment important par rapport à l’histoire du lieu. C’est beau que dans cette maison résonne la
parole de gens simples. ». L’idée d’ancrage local et surtout du sens que le lieu donne à ce spectacle
est ici primordiale.
Ces rencontres étaient organisées par l’association A Double Sens, en
partenariat avec :