Acte II, Scène 1, Le Mariage de Figaro, Beaumarchais
Transcription
Acte II, Scène 1, Le Mariage de Figaro, Beaumarchais
Acte II, Scène 1, Le Mariage de Figaro, Beaumarchais Support : Acte II, Scène 1, Le Mariage de Figaro, Beaumarchais Pierre Augustin Caron de Beaumarchais est né à Paris en 1732 dans un milieu aisé et cultivé. Il quitte l’école à 13 ans pour travailler avec son père, horloger. A 21 ans, il doit se battre pour la première fois pour défendre ses droits à propos d’un brevet d’horlogerie. Toute sa vie, il luttera à coups de pamphlets (écrits satiriques généralement violents, dirigés contre quelqu’un, un groupe ou une institution) redoutablement efficaces contre financiers et nobles plus puissants que lui. Il s’enrichit, poursuit son ascension sociale, devient un agent de Louis XV tout en commençant à écrire pour le théâtre. Il écrit Eugénie (1767), un drame bourgeois, et un Essai sur le genre dramatique sérieux (1767), qui reprend les idées de Diderot sur le théâtre, dont la fonction est à la fois morale et civique. Dans les années 1770, il est jeté en prison pour avoir frappé un duc et intente un procès victorieux à un haut personnage, Goëzmann. Il compose Le Barbier de Séville, qui se heurte à la censure (on lui reproche son insolence contre les puissants en place). Beaumarchais réduit en trois jours la pièce, qui passe de 5 à 4 actes ; elle remporte un grand succès (1775). Difficulté accrue avec Le Mariage de Figaro, que Louis XVI interdit de faire représenter, jugeant la pièce dangereuse par ses attaques contre l’aristocratie et l’ordre social tout entier ; Défendue par le frère du roi et la reine, la pièce sera jouée en 1784 et obtiendra un immense succès. Beaumarchais, qui en 1777 avait soutenu avec l’aide du gouvernement français les insurgés d’Amérique, contre les Anglais, lance un grand projet d’édition des œuvres complètes de Voltaire. A la Révolution, il pourrait apparaître comme victime de l’ordre ancien mais il en a trop tiré profit. Il est suspect ; il donne une suite au Mariage de Figaro, un drame larmoyant, La Mère coupable (1792), qu’il situe en France révolutionnaire. Il est menacé et proscrit. Il meurt en 1799, après la reprise triomphale de sa dernière pièce. Neuf ans après Le Barbier de Séville (1775) (ou la précaution inutile), qui met en scène l’entreprise victorieuse de séduction de Rosine, menée par le Comte aidé de Figaro, Beaumarchais fait représenter Le Mariage de Figaro (1784) (ou la folle journée) qui en est la suite et dont l’intrigue se déroule trois ans après celle du Barbier de Séville. Dans le château d’Aguas-Frescas, près de Séville, Figaro, devenu concierge et valet de chambre du Comte Almaviva, doit épouser le jour même Suzanne, la camériste de la comtesse. Après le piège tendu au comte Figaro et son entourage, Almaviva a obtenu que le mariage du valet et de la servante soit différé (I,10). Il s’agit maintenant pour la comtesse de reconquérir son époux dont elle va se voir confirmer con infidélité par sa camériste. Dans cette entreprise, elle sera secondée par Figaro et Suzanne. La comtesse constitue donc la figure centrale de l’acte II, alors qu’elle n’avait fait qu’une discrète apparition à la fin de l’acte I. La scène 1 de l’acte II met en scène la comtesse et sa femme de chambre. Problématique : Quel est l’intérêt de cette scène dans laquelle apparaissent deux femmes qui pourraient être rivales (le comte convoite l’une et délaisse l’autre) ? Axes de lecture : I- 1. Une alliance décisive 2. Un beau portrait de femme Une alliance décisive 1) Un lieu de confidences intime et féminin Après l’acte I, qui se déroulait dans la chambre promise par le comte à Figaro et Suzanne, l’acte II se déroule dans la chambre de la comtesse. C’est un lieu toujours intime mais l’espace social est différent. La chambre est luxueuse (« superbe », conforme à la position sociale de son occupante). Cette chambre est meublée, alors que la chambre de l’acte I était en cours d’aménagement (« à demi démeublée »). Cette chambre est pleine de souvenirs amoureux pour la comtesse. On trouve « un grand lit en alcôve », symbole d’une atmosphère sensuelle ; « une bergère », un grand fauteuil qui suggère une atmosphère propice aux confidences et aux conversations. C’est un lieu dans lequel on se retranche, loin des oreilles indiscrètes (« Ferme la porte »). Cette chambre est le refuge de la comtesse, délaissée par son mari, mais aussi le lieu de travail de Suzanne. On trouve deux accessoires : l’éventail (présent sur la scène) dont se sert la comtesse, et le ruban (absent) qui occupe une place importante dans la conversation. Ce lieu clos et intime est en opposition avec l’extérieur (le hors-scène), visible de la comtesse et de Suzanne mais invisible du spectateur. Cet espace extérieur est le domaine du comte, évoqué de manière vivante par Suzanne (« Ah ! », « voila », « deux, trois, quatre »). La chasse à laquelle se livre le comte est l’activité aristocratique par excellence, ce qui prouve la classe sociale du comte. Mais on ne peut s’empêcher de penser aux proies féminines, allusion à son tempérament. Le comte part à la chasse : elles peuvent prévoir un plan de contre-attaque. La comtesse ne manque pas de le relever : « Nous avons du temps devant nous ». 2) Le tact (délicatesse) de Suzanne Les deux personnages en présence sont séparés par une distance sociale : maîtresse et servante. Suzanne vouvoie la comtesse, alors que Suzanne est tutoyée. La comtesse donne des ordres à Suzanne : « ferme la porte », « conte moi tout », « ouvre ». D’autre part, Suzanne respecte la comtesse (« madame »). Ces deux femmes ont cependant des relations privilégiées : la comtesse traite plutôt Suzanne comme en confidente qu’en femme de chambre. Elle la traite également comme femme partageant sa condition de femme, capable de la comprendre. Il y a une confiance entre les deux femmes qui aboutit à une franchise : « conte moi tout dans le plus grand détail », à quoi Suzanne répond « je n’ai rien à cacher à madame ». Suzanne doit annoncer à la comtesse que son mari est infidèle et qu’il a tenté de la courtiser. C’est un difficile aveu que doit faire Suzanne à sa maitresse. Suzanne a l’habileté de se présenter comme une servante, un objet que le seigneur cherche à « acheter ». Elle remplace le verbe « séduire » employé par la comtesse par le verbe « acheter » ; elle insiste sur le pouvoir abusif que le comte cherche à exercer : « Monseigneur n’y met pas tant de façon ». Elle ne se place pas comme une femme qui a pris la place de la comtesse dans le cœur du comte. « Monseigneur » ne place pas Suzanne comme rivale ; cela s’oppose au mot « servante », ce qui montre leur différence sociale, ce qui justifie aux yeux du comte qu’il peut acheter Suzanne comme un vulgaire objet. Suzanne se montre pleine de tact : elle épargne l’amour propre de la comtesse. Elle suggère également que le comte est jaloux : « pourquoi tant de jalousie ». Cela montre que le comte aime encore sa femme, puisqu’il a agi par jalousie. Elle s’oppose à l’affirmation de la comtesse : « il ne m’aime plus du tout ». 3) L’intrigue principale nouée autour d’une triple alliance Cette triple alliance est composée de Figaro, Suzanne et la comtesse. L’intrigue principale (réussir à se marier et déjouer les pièges du comte) trouve une alliée très déterminée : la comtesse. Elle le déclare catégoriquement : « tu épouseras Figaro ». Le comte est « l’ennemi » commun et les deux femmes deviennent désormais alliées : la comtesse a été informée de l’infidélité de son mari. Les opposants à cette alliance sont donc le comte, qui a argent et pouvoir ; allié avec Marceline, puisqu’elle est amoureuse de Figaro. L’attitude de Suzanne à la fin de la scène marque son soulagement de ne pas avoir blessé sa maitresse. Sa joie de revoir son futur époux, qui apparait comme un sauveur des deux femmes s’exprime par la répétition de la même phrase, précédée par l’interjection « Ah ! ». Elle est satisfaite du soutien de sa maitresse. Cependant, aucune des deux femmes ne prennent d’initiatives, et s’en remettent à Figaro. Elles sont impatientes de le voir arriver : « viendra-t-il ? ». Par le mouvement (courir) et le chant, Suzanne exprime sa joie de voir l’homme qu’elle aime, l’homme qui peut sauver la situation. II- Un beau portrait de femme 1) Une femme troublée Son attitude et sa gestuelle exprimées par les didascalies, montrent qu’elle est troublée : elle se « jette dans une bergère », elle joue avec l’éventail, et demande d’ouvrir la croisée, ce qui lui permet de voir le comte aller à la chasse. La comtesse ne tient pas en place. Son trouble s’exprime par une agitation physique et une nervosité ; Suzanne ne manque pas de lui faire remarquer : « madame parle et marche avec action ». Entre le moment où elle s’assoit et le moment où elle se promène, la comtesse est calme et en proie à ses pensées. Elle s’échappe hors du moment présent ; les points de suspension montrent qu’elle se réfugie dans le non-dit. On trouve des interrogations vagues « Eh bien Suzon ? » Ces répliques ne s’adressent plus à Suzanne mais à elle-même (« laissons »). 2) Une femme blessée Le comtesse vient de se voir confirmer ce qu’elle pressentait (I,10) : son mari la trompe, la délaisse. C’est un constat douloureux et sans appel : « il ne m’aime plus du tout ». La comtesse fait une généralisation : « tous les hommes sont bien capables », « comme tous les maris ». Suzanne est mise en garde, mais ces paroles pourraient être blessantes pour Figaro et Suzanne. La comtesse culpabilise. C’est sur cette culpabilité qu’elle insiste et revient sur son cas personnel. La comtesse est meurtrie et incapable d’agir/de réagir. Elle n’imagine pas qu’elle pourra reconquérir son mari. 3) Une femme attendrie La comtesse apprend en même temps qu’elle est vénérée par Chérubin. Une intrigue secondaire (aux liens étroits avec l’intrigue principale) se dessine. Chérubin cristallise cette intrigue secondaire. Ces deux femmes ne parlent que d’hommes ; c’est la comtesse qui amène Chérubin dans la conversation (« et le petit page était présent ? »). Suzanne comprend tout de suite l’intérêt de continuer d’entretenir ce dialogue sur Chérubin. La question de la comtesse sur la présence de Chérubin traduit une surprise, de l’émotion et même du plaisir (« souriant »). La comtesse attire encore le regard masculin, même si elle est « imposante ». La réponse de Suzanne est une allusion précise à l’acte I scène 8. Malgré le trouble qu’il occasionne à la comtesse, elle adopte une attitude maternelle (« moi qui l’ai toujours protégé », « quelle enfance »). Elle s’amuse des puérilités de ce « gamin » mais son attitude se fait plus ambiguë (didascalies « rêvant » et phrases ponctuées de points de suspension). Elle emploie le terme « folie », auquel on ajoute souvent l’adjectif « amoureuse(s) ». Ces points de suspension montrent mais ne révèlent pas les sousentendus de sa pensée, qu’elle garde pour elle-même. Elle ne se reconnait pas dans l’image imposante que Chérubin se fait d’elle (« Est-ce que j’ai cet air-là Suzon ? »). Elle ne dédaigne pas l’hommage que lui rend le jeune page. Elle fait cela pour adoucir la terrible nouvelle et pour prouver que la comtesse peut encore plaire. Suzanne fait preuve de délicatesse, mais en insistant sur Chérubin, elle ancre davantage Chérubin dans l’esprit de la comtesse et inconsciemment, elle favorise la naissance d’une éventuelle intrigue amoureuse entre la comtesse et Chérubin. Suzanne ne prend pas Chérubin au sérieux, mais comme un divertissement pour détourner l’attention de la comtesse sur Chérubin (« ce petit démon-là »). Elle parle de lui comme étant le filleul de la comtesse. Suzanne est suffisamment proche de lui pour le taquiner Conclusion : Cette scène donne la tonalité générale de l’acte II (tonalité féminine). La comtesse est émouvante dans son désarroi. Suzanne s’impose par sa gaieté et sa vivacité ; elle réconforte sa maitresse en faisant preuve de franchise et de tact. Elle la soutient durant tout l’acte II, jusqu’à ce que la comtesse retrouve sa combativité et son espoir d’initiative dans les dernières scènes (24 à 26) de l’acte. Dans cette scène se dessine une seconde intrigue parallèle à l’intrigue principale : la comtesse se montre attendrie par l’amour de Chérubin, que Suzanne lui révèle et met en valeur. On a un horizon d’attente : est-ce que la comtesse va répondre à l’amour de Chérubin ?