La diversité culturelle en Europe et dans le monde
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La diversité culturelle en Europe et dans le monde
La diversité culturelle en Europe et dans le monde Jean-François BOITTIN, Ministre Conseiller pour les Affaires économiques et Commerciales, Chef de la Mission économique française aux Etats-Unis Renaud DONNEDIEU DE VABRES, Ministre de la Culture et de la Communication Anne HIDALGO, Parti Socialiste, Secrétaire Nationale à la Culture et aux Médias Jean MUSITELLI, Conseiller d’Etat, Président du Conseil d’Administration de l’Institut National du Patrimoine Grégory PAULGER, Directeur de la Culture, de la Politique audiovisuelle et des Sports à la Commission européenne Le débat est animé par Jacques FANSTEN, Réalisateur et Membre de l'ARP. Jacques FANSTEN Nous serons peut-être un peu moins lyriques car pour une fois, Jack Ralite n’est pas présent dans cette salle. Je pense toutefois que son ombre doit planer quelque part. Le débat de ce matin est devenu récurrent à Beaune. Il a longtemps tourné autour de l’exception culturelle, et nous nous sommes aperçus que nous nous heurtions à une difficulté sémantique. Le terme d’exception culturelle peut être considéré comme ayant été inventé ici. Nous avons toujours parlé d’exception culturelle dans le sens où la culture devait constituer un sujet à part dans les négociations commerciales, et beaucoup de personnes comprenaient que nous considérions notre culture comme exceptionnelle – ce qui n’a jamais été le propos. Nous sommes progressivement arrivés à une autre expression davantage compréhensible par nos interlocuteurs, qui est celle de « diversité culturelle ». Nous verrons aujourd’hui comment cette notion de diversité culturelle peut être définie. Nous sommes passés d’une position défensive à une position probablement plus offensive, car nous revendiquons la défense d’une valeur. Nous pouvons aujourd’hui agir dans deux domaines pour promouvoir la diversité culturelle. D’une part, l’Europe, dans le traité proposé actuellement, parle explicitement de diversité culturelle – bien que la remise en cause des aides y figure. D’autre part, depuis quelques temps, l’Unesco trava ille à l’élaboration d’une convention qui proclamerait la nécessité de défendre la diversité culturelle. Nous saluons la continuité de l’action de l’Etat - au-delà des alternances politiques - dans la défense de l’exception culturelle, puis de la diversité culturelle. Outre notre Ministre actuel, je souhaite saluer la présence de Catherine Tasca et de Jacques Toubon - qui devrait arriver plus tard -, qui ont aussi été Ministres de la Culture. Lorsque nous parlons de diversité culturelle, parlons-nous de protection des cultures minoritaires ? Parlons-nous de mise sur un pied d’égalité de toutes les cultures ? Parlons-nous de la création d’un marché libre des cultures qui permettrait à la plus puissante de gagner ? Parlons-nous de protection du patrimoine ou d’échange entre les cultures ? Je vous signale que Grégory Paulger a longtemps été le Directeur de Cabinet de Viviane Reding. Renaud DONNEDIEU DE VABRES, Ministre de la Culture et de la Communication Je voudrais d’abord vous remercier de m’avoir invité. Je remercie l’ARP d’être le moteur de cette réflexion, dont j’ai ouï dire qu’elle était à Beaune parfois électrique, mais toujours constructive. Nous avons beaucoup de mérite à nous enfermer dans cette salle alors que Beaune bénéficie d’un patrimoine cultur el exceptionnel, tant en termes de monuments qu’en termes de viticulture. Je suis heureux d’être parmi vous, car ce sujet est pour moi très important. En un mot, parler de diversité culturelle revient à exprimer un projet politique emblématique et concret. Lorsque la France s’exprimait sur l’exception culturelle, nous étions parfois perçus dans le monde comme d’éternels donneurs de leçons qui ont une habitude conceptuelle universelle et qui veulent toujours tout théoriser. Avec le glissement sémantique de l’exception culturelle vers la diversité culturelle, nous nous trouvons face à un projet politique absolument essentiel. Ce projet représente l’ambition de proposer au monde, dans le dialogue, l’égale dignité de toutes les cultures et le rayonnement des valeurs qui nous sont chères. Aujourd’hui, il est aussi important de parler de diversité culturelle dans notre pays que sur la scène internationale. Ce principe d’égalité est fondamental, et suppose qu’il existe la possibilité d’un échange. Il faut aussi que soient mis en œuvre de manière concrète les termes de cet échange : parler de diversité culturelle revient à parler de la liberté de créer, du respect de chaque forme de culture et d’identité et de la circulation des œuvres et des créations. Ces éléments de valeur se déclinent aussi de manière tout à fait concrète car ils constituent des enjeux économiques et financiers pour cet art - le cinéma - qui est aussi une industrie dans une mondialisation où ne peuvent régner exclusivement les lois du marché. Nous devons donc envisager dans le débat aujourd’hui comment peut être garantie à chacun la liberté de créer, d’échanger et de réaliser des œuvres, et comment le droit du plus faible peut être également reconnu et protégé. Une convention internationale est en préparation sur ce sujet à l’Unesco, et je crois qu’elle progresse dans les esprits. Ne nous rassurons pas à bon compte, car nous nous retrouverons assez rapidement au pied du mur. Dans le contexte de violence internationale actuelle, chacun reconnaît, je crois, comme principe politique majeur le fait que chaque identité puisse s’affirmer et être reconnue et respectée – sous réserve que les identités ne soient pas attentatoires aux droits de l’homme. Au-delà de cette ouverture rendue possible par la technologie et par la mondialisation, il doit exister la possibilité concrète de défendre juridiquement le droit de chacun à protéger ses œuvres et cette liberté. Je reviens de Shanghai, où j’ai assisté à la réunion du Réseau pour la promotion et la politique culturelle - en marge de la visite d’Etat du Président de la République. Cela a permis de prolonger la concertation nécessaire entre un certain nombre de pays moteurs, afin que l’affirmation d’une compétence spécifique de l’Unesco dans ce domaine soit de plus en plus partagée et reconnue. Dans ce domaine, la sémantique a beaucoup d’importance. Je disais ce matin à Dan Glickman que les mots ne sont jamais neutres. L’utilisation du terme de « piraterie » représente une erreur, car ce terme est sympathique : pour les plus jeunes de nos concitoyens, être pirate constitue un défi. Lorsque nous parlons de « bien culturel », je pense que ce terme n’est pas très élégant et requiert un effort d’imagination : il ne légitime pas en soi le fait de souhaiter disposer de règles spécifiques. Je prononce ces paroles en présence d’un éminent représentant de la Commission européenne. Je souhaite aussi saluer la présence parmi nous, aujourd’hui, de Catherine Tasca. Mon pays essaie de promouvoir la spécificité nécessaire des règles et des compétences juridiques dont doit disposer l’Unesco pour protéger concrètement la diversité culturelle. J’ai la même position lors des débats tenus au sein de la Commission européenne. Je défends tout simplement le droit, pour chaque Etat, non pas de fermer ses portes et de pratiquer un protectionnisme rétréci ou chagrin, mais de se préoccuper concrètement de ce que chaque talent et chaque identité puissent rayonner. Tout comme dans les domaines de la santé et de l’environnement, nous devons disposer de règles spécifiques. Si l’OMC a pu s’arroger un certain nombre de compétences, c’est parce qu’il s’agit, dans le domaine des échanges, de la seule organisation internationale qui dispose de capacités juridiques - et notamment d’un mécanisme de règlement des différends. Le fond de la politique française est d’affirmer que dans d’autres domaines (la culture, la santé et demain l’environnement), nous veillons à ce que les organisations internationales compétentes disposent de cette capacité de règlement des litiges. Nous sommes donc au pied du mur. En discutant avec un certain nombre de nos partenaires, je m’aperçois que ce souci de diversité culturelle, aujourd’hui, constitue un projet politique à part entière. Dans la poudrière qu’est devenue la scène internationale, nous voyons à quel point le souci des identités, du droit et d’un certain nombre de principes culturels représente une composante essentielle du système. Au-delà des pétitions de principe, nous allons arriver au débat juridique. La probléma tique sera la suivante : dans le domaine culturel, disposerons- nous de possibilités de dérogation juridique, et l’Unesco bénéficiera-t-il de compétences permettant de faire reconnaître la spécificité de l’activité culturelle et artistique ? Je trace dans ce domaine un parallèle avec ce qui est prévu dans le projet de Constitution européenne : ce principe de diversité culturelle est devenu un principe constitutionnel et affirmé comme tel. Ne nous méprenons pas : je ne suis pas le chantre du protectionnisme, et nous sommes particulièrement préoccupés par la circulation des œuvres. Au-delà des coproductions, un public de plus en plus large doit s’ouvrir à nos projets et à nos créateurs. Nous devons affirmer et faire reconnaître ces spécificités nécessaires. L’ancien premier ministre espagnol, José María Aznar, figure parmi mes amis politiques théoriques. Cela fait partie de la diversité démocratique de l’Europe, et nous avons intérêt à la protéger à l’intérieur de la famille du Parti Populaire Européen. Je le souligne en présence d’Anne Hidalgo. Il en est de même, au sein du Parti Socialiste, au sujet de la Constitution européenne. Dans la famille de la droite humaniste européenne, certains considèrent que l’exception culturelle constitue le réflexe d’une culture en déclin - dixit José María Aznar -, et certains considèrent au contraire qu’il s’agit d’une stratégie extraordinairement offensive. Je voulais ainsi poser le débat, et je crois que nous pourrons le nourrir de manière très concrète. Les professionnels que vous êtes ont, dossier par dossier, des attentes légitimes qui sont parfois contradictoires car les intérêts des auteurs ne sont pas ceux des producteurs, les intérêts des distributeurs ne sont pas ceux des réalisateurs, etc. Nous devons évoquer cela aujourd’hui de manière très libre à travers ce principe de diversité culturelle. Aujourd’hui, cette dimension prend une tournure nouvelle du fait des évolutions de la technologie. D’une certaine manière, permettez- moi de vous dire que cela a créé un pont entre nous et nos amis américains. A une certaine époque, l’affrontement entre Jack Valenti et le cinéma européen était absolument frontal. Aujourd’hui, nous nous trouvons face à un défi : la technologie rend théoriquement possible l’accès à l’œuvre de chacun. Nous devons cependant faire en sorte que cet échange international rendu théoriquement possible par la technologie ne soit pas factice. Il faut faire en sorte que cette liberté n’occasionne pas une destruction de la liberté et de la diversité de création. Je vous remercie de votre invitation. Nos concitoyens doivent comprendre que ce débat n’est pas technocratique. Lorsque nous parlons de Bruxelles ou de l’Unesco, nous parlons d’une valeur qui est le respect concret de liberté et de la diversité de création, ce qui est tout de même le grand message du cinéma. Jacques FANSTEN Je vous remercie d’avoir posé deux jalons que nous garderons dans ce débat, et qui sont l’aptitude à résister et le problème des compétences juridiques – particulièrement de l’Unesco. Je souhaiterais savoir si ce qui vient d’être défini par le Ministre convient à Anne Hidalgo. Anne HIDALGO Il existera dans mon propos une certaine continuité avec ce que vous venez d’exprimer – sauf sur le thème des amitiés politiques avec Monsieur Aznar : je suis plutôt en phase avec Monsieur Zapatero, qui est favorable au Traité constitutionnel et à une approche offensive sur les sujets qui nous préoccupent. Le débat sémantique est important : par rapport au concept d’exception culturelle, la diversité culturelle véhicule une image sans doute moins arrogante - particulièrement vis-à-vis des pays qui ne sont pas membres de l’Union Européenne. Ne nous y attardons cependant pas trop : ces deux notions de diversité culturelle et d’exception culturelle font aujourd’hui partie de notre patrimoine européen commun. Nous sommes attachés à la défense des biens culturels – utilisons ce terme tant que nous n’en aurons pas trouvé un qui soit plus parlant et plus fort. Nous sommes attachés à la diversité, et nous sommes déterminés à lutter contre une mondialisation non maîtrisée. Une uniformisation des produits culturels et une marchandisation à tout crin surviendraient si nous ne mettions pas en place des outils non pas de protection, mais de régulation. A travers le monde et à l’intérieur de l’Union, la culture n’est pas une marchandise comme les autres. Ces deux termes d’uniformisation et de marchandisation sont nés au moment où la mondialisation s’est développée, notamment au travers des industries culturelles. Ces deux termes signifient que nous ne souhaitons pas que ces activités soient considérées comme des marchandises comme les autres. Ce débat est plus que jamais d’actualité, et la bataille n’est pas encore gagnée – loin s’en faut. A travers cette bataille, la formation politique à laquelle j’appartiens défend sa conception de la liberté de création. Cette liberté de création a pour corollaire la liberté du public, car l’uniformisation et le formatage empêchent toute liberté de choix du public. La diversité et l’exception culturelle doivent fonder de manière pratique les politiques que nous avons à construire, aux niveaux tant national qu’européen. La notion d’exception culturelle, née récemment, a été inscrite dans notre patrimoine commun par plusieurs gouvernements successifs, sous l’impulsion notamment de François Mitterrand, de Jacques Toubon, de Catherine Tasca et de tous les Ministres de la Culture qui se sont succédés. Cette notion a d’ailleurs été, d’une certaine façon, entérinée par le traité de Maastricht – qui a été pourtant très décrié. Cette notion représente aujourd’hui un acquis – d’ailleurs conforté dans le Traité constitutionnel. Puisque vous faisiez référence, Monsieur le Ministre, au débat relatif à ce Traité, je signale que je suis résolument favorable à ce même Traité. La culture ne constitue pas la seule raison de ma position sur ce sujet, mais je suis attachée à la défense de la diversité culturelle et à la lutte contre l’uniformisation. Attention de ne pas revenir en arrière sur ce qui constitue, aujourd’hui, un acquis fondamental. Au-delà de ce qui figure dans le Traité constitutionnel, les politiques de l’Union doivent concrétiser cette affirmation forte. Des outils existent déjà au niveau européen - la directive Télévision sans Frontières, etc. -, mais nous devons conforter concrètement cette notion de diversité culturelle. Cette action volontariste doit être poursuivie à l’intérieur des frontières de l’Union pour donner à cette notion les outils juridiques, mais aussi financiers, qui lui permettent d’exister. Pour être cohérents dans notre approche politique, nous devons par exemple augmenter le budget actuel de l’Union européenne en matière culturelle. Nous ne pouvons pas consacrer 0,1 % du budget européen à la culture et aux médias tout en déclarant que nous sommes attachés à la diversité culturelle et que nous souhaitons que l’Europe constitue une véritable force non pas protectionniste, mais offensive dans les négociations menées avec le reste du monde. Des moyens financiers suffisants doivent être affectés dans l’espace européen à la diffusion des œuvres et à la circulation des artistes ; la création européenne pourrait ainsi émerger et s’amplifier. Dans cette affaire, il est aussi question de la construction de notre identité européenne. Celle-ci passe sans doute beaucoup plus par la mise en place d’outils de promotion de la diversité culturelle que par la mise en place d’outils qui concernent le champ économique. La culture renvoie à notre histoire, à notre patrimoine commun et aux valeurs qui font qu’un jour peut-être, l’ensemble des citoyens des Etats membres de l’Union se reconnaîtront véritablement dans une identité européenne. Ces questions représentent donc un enjeu fondamental. L’Europe constitue un point d’appui très important dans ce combat, mais la convention en débat à l’Unesco est aussi un thème majeur. Le contenu de cette convention – même si celleci n’est pas encore finalisée – est magnifique. Cependant, là encore, si nous ne voulons pas en rester à un discours incantatoire, il nous faut aussi donner une force contraignante à cette convention. Je sais qu’un consensus existe à ce sujet au sein de notre assemblée, notamment au sujet de la force qui doit être donnée à l’article 19 de cette convention. Je crois que nous nous trouvons à un moment charnière pour ces deux notions de diversité et d’exception culturelle. Nous devons être entendus du reste du monde comme n’étant pas un groupe de privilégiés qui essaie de protéger ses frontières, mais comme étant un groupe de pays soucieux de véhiculer une certaine conception de la démocratie - qui ne peut pas se concevoir sans la liberté de création et sans la liberté de choix du public. Nous devons être cohérents en nous dotant des instruments juridiques et financiers de politique interne à l’Europe et en étant rassemblés pour porter cette volonté d’une convention de l’Unesco qui dispose d’une force réellement contraignante – notamment dans le cadre des négociations internationales relatives au commerce. Pour démontrer que l’Europe n’a pas une démarche arrogante ou de repli sur soi, nous devons aussi peut-être, comme les USA le font, renforcer nos liens bilatéraux avec un certain nombre de grands pays du Sud – je pense par exemple au Brésil – qui ont une conception assez proche de la nôtre quant à l’importance de la culture dans les négociations internationales. Nous devons leur montrer qu’à travers les outils que nous souhaitons mettre en place tant au niveau européen qu’au niveau international, nous agissons aussi en faveur de la démocratie et de la reconnaissance de l’ensemble des Etats du monde. Les Européens ne cherchent pas simplement à défendre leurs privilèges de nantis. Jacques FANSTEN Nous sommes pour l’instant très consensuels, et nous allons aborder des questions un peu plus polémiques. Le Traité européen soutient la diversité culturelle, mais les clauses qui incitent à la suppression des aides d’Etat n’ont pas été supprimées. Il y a quelques années, nous avons largement débattu du thème de la convergence : les tuyaux primaient sur le contenu. La commissaire qui a été notre alliée durant nos combats récents, Viviane Reding, ne s’occupe plus de la culture mais des tuyaux et du contenu. Grégory PAULGER Je voudrais faire avec vous une visite guidée du Traité constitutionnel sous l’angle de la diversité culturelle. Il est vrai que le Traité actuel est plutôt défensif : il parle beaucoup de respect, et peu de promotion. Le nouveau Traité constitutionnel représente cependant un saut qualitatif : l’article 3 stipule que « l’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et veille à la sauvegarde et au développement de sa diversité culturelle ». Nous passons donc d’une attitude passive à une attitude active, car il apparaît un objectif nouveau qui est de promouvoir la diversité culturelle. Je pense que ce saut qualitatif doit influer de façon systémique sur l’interprétation donnée à l’ensemble du texte. Par exemple, dans les dispositions qui traitent des aides d’Etat, la disposition qui avait trait à la culture dans l’ancien Traité est reprise : les aides qui ont trait à la culture sont compatibles avec le marché intérieur. La disposition n’a pas changé en elle- même, mais le système a changé car il a pour but de promouvoir la diversité culturelle. Prenons un autre exemple. Dans le domaine du commerce international, le texte stipule que le Conseil des Ministres statue à l’unanimité pour la négociation et la conclusion d’accords dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Vous n’avez pas cité cette disposition dans son entièreté. Grégory PAULGER Vous avez raison, Monsieur le Ministre. Je n’ai pas cité cette disposition dans son entièreté. Le Conseil des Ministres statue à l’unanimité pour la négociation et la conclusion d’accords dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Je n’ai pas laissé passer cet aspect des choses. Grégory PAULGER Je pense que cette disposition est très forte, car il est beaucoup plus aisé de démontrer l’existence d’un simple risque d’atteinte à la diversité culturelle, d’autant plus que cette atteinte n’a même pas besoin d’être grave ou sérieuse. Je pense que cette disposition très forte a une valeur supérieure à celle qui figure à l’article 133-6 du traité de Nice. La culture relève essentiellement du principe de subsidiarité : les Etats membres agissent et sont compétents en premier lieu. Dans le nouveau Traité constitutionnel, l’Union a une compétence d’appui et de soutien. Elle peut intervenir pour assister les Etats membres dans des actions à finalité européenne. Plusieurs domaines sont concernés, et j’en citerai deux : l’industrie et la culture. Pour la culture, nous passons de l’unanimité – qui empêche pratiquement toute évolution – à la majorité qualifiée – ce qui est de meilleur augure pour décider d’actions en faveur de la culture. La nouvelle proposition de programme « Culture » disposerait d’un budget de plus de 400 millions d’euros, soit plus du double du montant actuel. Paradoxalement, l’article relatif à l’industrie nous a permis de faire le plus en matière de diversité culturelle, car le cinéma constitue bien une industrie – bien qu’elle soit culturelle. C’est sur la base de cet article - qui pose le principe de décisions à la majorité qualifiée - qu’a été décidée la suite des programmes MEDIA. En juillet, la Commission a proposé un nouveau programme MEDIA doté d’un budget de plus d’un milliard d’euros. Le budget du programme précédent s’élevait pour sa part à 400 millions d’euros. Le soutien communautaire porterait sur des actions concrètes de promotion de la diversité culturelle : développement et distribution des œuvres - au moyen tant d’aides automatiques que d’aides sélectives -, la promotion des œuvres et le soutien aux projets-pilotes. Monsieur le Ministre a évoqué le bouleversement occasionné par les nouvelles technologies. Le programme est donc sur la table, et je vais vous donner un exe mple concret de la manière dont il promeut la diversité culturelle. Considérons le mécanisme d’aides automatiques à la distribution : en 2002, 50 millions d’entrées ont été réalisées, grâce à ces aides, dans des pays européens - hors pays d’origine. Ces entrées ont généré des recettes de 25 millions d’euros qui ont été réinvesties dans d’autres films. Nous donnons donc aux distributeurs et aux cinéastes européens un accès à d’autres publics ; nous permettons aussi au public européen d’avoir accès à des films qu’il n’aurait, autrement, pas pu connaître. 90 % des films qui circulent en Europe le font avec l’aide du programme MEDIA. Jacques FANSTEN J’entends bien votre discours, mais j’ai quand même l’impression qu’il est contradictoire avec notre opinion. Nous n’avons pas forcément le sentiment que les œuvres européennes circulent en Europe. Nous n’avons pas l’impression que dans chaque pays, le public ait accès à d’autres films que les films nationaux ou américains. Vous nous parlez de 50 millions d’entrées réalisées par des films européens hors de leurs frontières. Je peux témoigner du fait que nous avons le sentiment que les œuvres ne circulent - et de très loin - pas suffisamment. Dans ce domaine, les initiatives européennes n’ont pas été d’une efficacité évidente. Nous parlons aujourd’hui de cinéma, mais ce phénomène est encore plus net dans le domaine télévisuel : les chaînes de télévision diffusent des programmes soit nationaux, soit américains. Avez-vous le sentiment que les œuvres circulent bien ? Grégory PAULGER Oh, non ! Elles ne circulent pas bien, ou du moins pas suffisamment ! La part de marché des films non nationaux (hors USA) a varié entre 7,5 % et 11 % ces dernières années. La part de marché moyenne des films américains a été de 85 %. Les films nationaux ont une part de marché moyenne d’environ 7,5 %. Il n’existe pas seulement un problème de circulation des films européens non nationaux : les films nationaux n’ont pas non plus accès à leur propre marché. Au Royaume-Uni, il est par exemple très difficile de voir un film anglais ; je dois souvent aller à Paris pour en voir un. Les structures verticales, dans ce secteur économique, sont telles qu’en dehors de Londres, le public n’a accès qu’aux films américains. Jean-Jacques ANNAUD Je sursaute sur mon siège. Les 50 millions d’entrées dont vous parlez concernent effectivement des films de nationalité – officiellement – européenne, mais ils sont généralement de langue anglaise et produits en Angleterre. La première cinématographie européenne est française, mais nos films ne voyagent que très peu. Ce que j’entends ne prend jamais en considération nos problèmes de terrain : comment faire parler de nos films en prime time ? Le monde a changé, et les problèmes ne se règlent pas uniquement dans un bureau. Comment faire pour que nos films bénéficient de la même visibilité que les films américains ? Comment faire pour qu’en France, les présentateurs de prime time invitent les vedettes allemandes ? Je ne sais pas si quelqu’un, dans cette salle, connaît le nom de ces vedettes allemandes - dont le succès est massif dans leur pays d’origine. Le de Funès allemand s’appelle Otto, et je ne l’ai jamais vu à la télévision française car nous n’avons pas de langue commune. La solution à long terme n’est pas seulement de faire apprendre l’anglais à nos enfants, mais de leur faire apprendre au moins une autre langue de nos voisins : l’italien, l’espagnol et l’allemand. Renaud DONNEDIEU DE VABRES La nécessité de la circulation des œuvres suppose une production d’œuvres, et donc un soutien concret aux productions nationales. Pouvons-nous nous attendre à une évolution de l’attitude de la Commission européenne vis-à-vis des aides publiques nationales, notamment en faveur du cinéma ? Je prépare ma prochaine stratégie… Grégory PAULGER Vous avez bien raison, Monsieur le Ministre, de préparer votre prochaine stratégie. Je souhaiterais d’abord répondre à la première question. Les films qui circulent le mieux en Europe en-dehors de leur pays d’origine avec l’aide du programme MEDIA sont les films français - qui ne sont en général pas tournés en anglais -, puis les films anglais et les films danois. Je conviens du fait que la part de marché des films non nationaux (hors USA) est insuffisante. L’objectif du programme MEDIA est de faire passer cette part de marché à 20 % en 2012. Il existe clairement une tension entre un traité économique qui stipule que les aides d’Etat sont en principe interdites et un autre traité qui commence à intégrer de manière plus active le concept de diversité culturelle. Un article du Traité permet à la Commission de considérer que les aides à la culture sont autorisées - à condition que certaines règles soient respectées. La finalité du programme MEDIA est d’agir en complémentarité avec les Etats membres. Nous n’avons pas cherché à dupliquer leur action. C’est pourquoi nous intervenons surtout en amont et en aval de la production : les Etats membres dépensent près de vingt fois plus que l’Union dans le soutien des films, et 85 % de ces dépenses sont consacrées à la production. Les aides nationales sont donc absolument essentielles pour la promotion, voire la survie du cinéma européen ; nous ferons tout notre possible pour qu’elles puissent perdurer. Renaud DONNEDIEU DE VABRES A mon avis, cette annonce devrait fa ire l’objet d’une dépêche urgente de l’AFP. Les propos qui viennent d’être tenus sont très importants. Renaud DELOURME, Union de l’Edition Vidéographique Indépendante J’ai lu il y a une dizaine de jours une interview de Pascal Lamy, de la Commission ; le journaliste notait qu’en matière de diversité culturelle, la règle de l’unanimité était conservée. Pascal Lamy a répondu qu’il n’en était rien, et que le principe de la majorité qualifiée était adopté : il s’agit d’inverser la preuve pour recourir à une décision à l’unanimité. Nous nous trouvons donc face à un problème de sémantique : à quel moment un risque peut-il être identifié ? Grégory PAULGER Evidemment, cette disposition doit être testée au cas par cas. La charge de la preuve incombe à quiconque veut démontrer qu’un projet d’accord risque de porter atteinte à la diversité culturelle. L’existence d’un tel risque est assez facile à prouver. Pour l’option de nonsubordination, la convention de l’Unesco parle de « dommages sérieux » et de « menaces graves ». Le Traité européen pose des conditions beaucoup moins strictes : l’atteinte n’a même pas besoin d’être réelle, car il suffit qu’il existe un risque. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Ce que vient de déclarer Monsieur Paulger a une grande importance. Le dispositif prévu dans le projet de Constitution est, de ce point de vue, très protecteur et affirme des principes très clairs. La barre est placée beaucoup moins haut que dans la convention de l’Unesco. Le mécanisme retenu par l’Europe reconnaît bien la spécificité de l’action culturelle. Jacques FANSTEN Pouvez-vous nous parler du programme MEDIA ? Grégory PAULGER Je crois que son budget de plus d’un milliard d’euros exprime son importance. Ce programme MEDIA comporte des objectifs ; je viens de citer l’un d’entre eux, qui est de faire passer la part de marché des films non nationaux (hors USA) à 20 % en 2012. Le programme est organisé en cinq chapitres : la formation, la distribution, le développement, la promotion et les projets-pilotes. Je pense que les professionnels présents dans la salle connaissent bien ces mécanismes. Il existe quelques innovations, telles que l’intégration des aides au financement : nous avons tiré les leçons de notre expérience avec la Banque Européenne. Nous avons inclus dans le nouveau programme quelques mécanismes qui facilitent l’accès aux financements des petites et moyennes entreprises de l’audiovisuel, en utilisant des techniques telles que la garantie de bonne fin. Nous cherchons à simplifier au maximum les procédures administratives. Les négociations progressent de manière assez satisfaisante, car un consensus émerge parmi les Etats membres. Au Parlement européen, le rapporteur voit ce programme d’un très bon œil. Ce programme devrait être adopté en 2006. Il est prévu que le Parlement européen procède à un vote en séance plénière en avril 2005. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Dans le programme « MEDIA », un chapitre très important concerne la distribution des œuvres : les lignes d’intervention budgétaire seront renforcées. Nous venons aussi d’évoquer la responsabilité de l’audiovisuel vis-à-vis de la notoriété des œuvres, des talents, des artistes, des créateurs et des réalisateurs. Je profite de la présence conjointe de Catherine Colonna et de David Kessler pour souligner l’importance extrême de ce sujet. Tant dans l’information que dans les horaires de programmation, cette dimension est tout à fait essentielle. Cette découverte d’œuvres d’autres pays européens représente un sujet crucial ; de ce point de vue, l’audiovisuel – tant privé que public – doit assumer de lourdes responsabilités. Je souhaite que des débats et des rencontres aient lieu sur ces questions pour étudier les propositions concrètes que nous pouvons faire à la Commission. Il est toujours important de chercher des financements là où ils se trouvent, et si le budget européen est considérable dans ce domaine, nous ferons en sorte qu’il soit dépensé. Anne HIDALGO Le Traité constitutionnel nous donne une base juridique forte. Des instruments européens d’intervention existent déjà, tels que le programme MEDIA et la directive « Télévision sans frontières ». Arte pourrait aussi avoir une dimension bien plus européenne, au lieu d’être franco-allemande. Globalement, tout reste cependant à construire et à consolider entre les différents Etats membres. Cela passe par une volonté politique : en France, un consensus existe entre la droite et la gauche sur ce sujet. L’Espagne est aussi, aujourd’hui, très offensive dans ce domaine. Je crois beaucoup à la notion d’avant-garde : au niveau européen, un groupe de pays pourrait s’organiser politiquement pour promouvoir ces idées et leur donner un contenu réel. Au-delà de la volonté politique d’un groupe de pays, nous devons aussi convaincre les nouveaux entrants qui ont plutôt, globalement, une logique atlantiste qui ne correspond pas forcément à la nôtre. Cela ne se fera pas sans la mobilisation européenne des professionnels : organisations professionnelles, associations telles que la vôtre… Il nous faut créer les conditions d’un rapport de forces vis-à-vis des pays les plus frileux par rapport à notre attitude. Cela est aussi vrai dans d’autres domaines : l’Europe sociale reste en grande partie à construire, mais sans la Confédération Européenne des Syndicats, nous serions encore plus loin du compte. En outre, l’Union européenne est offensive dans le domaine de l’égalité hommes- femmes, et cela est largement dû au lobby européen des femmes. Il revient donc aux professionnels de s’organiser, même si les responsables politiques doivent aussi être au rendez-vous. Jacques FANSTEN Nous avons ici le sentiment qu’il est parfois plus facile de mobiliser les professionnels que de faire avancer les responsables politiques. Je salue maintenant la présence de Jacques Toubon, qui vient d’être réélu Président d’Eurimages. Pendant longtemps, je ne suis pas certain qu’Eurimages ait correspondu à l’idée que nous nous faisons de la diversité culturelle. Nous avons plutôt eu le sentiment qu’Eurimages préférait l’« europudding ». Je pense que la situation a, depuis, évolué. Jacques TOUBON Le règlement d’Eurimages a été réformé depuis le début de cette année. Nous avons considérablement avancé dans l’appréciation des films qui nous sont soumis. La coproduction représente un moyen automatique de favoriser la distribution et l’exploitation des films hors des frontières nationales. Eurimages est le seul système de soutien financier à la coproduction de films en salle qui existe en Europe. Je souhaite que le programme MEDIA s’intéresse au soutien d’une structure qui finance des coproductions qui sont ensuite automatiquement diffusées dans les pays concernés. J’interviens à ce sujet car beaucoup d’argent est dépensé pour soutenir la distribution non nationale, et les chiffres communiqués par Grégory ne sont pas très encourageants. Jacques Fansten vient de déclarer que les responsables politiques ont parfois du mal à suivre. J’aimerais bien que, pour une fois, les professionnels présents ici suivent le parlementaire européen que je suis. Je voudrais attirer votre attention sur deux dangers. Le premier danger vient de la directive sur le marché intérieur, dont le calendrier parlementaire est parallèle à celui du programme MEDIA : une première lecture devrait survenir au printemps 2005. Il s’agit de permettre la libre circulation, la libre circulation et le libre établissement pour les services - comme cela a été fait pour les marchandises depuis la création du Marché commun. A l’heure actuelle, les services audiovisuels sont inclus dans cette directive. Lorsqu’elle est interrogée, la Commission répond que la directive « Télévision sans frontières » continuera à s’appliquer dans le domaine « culturel », mais qu’en ce qui concerne la liberté d’établissement des prestataires de services, c’est la nouvelle directive qui s’appliquera. Cela signifie qu’après avoir relevé de la Direction générale de la Culture puis de la Direction de la Société de l’Information, l’audiovisuel risque de relever demain de la Direction générale du Marché intérieur – qui se moque complètement de ce qu’elle qualifie d’« enclaves culturelles ». Nous devons nous battre pour que l’audiovisuel soit exclu de la directive « services », car il existe un article de dérogation ; pour l’instant, la mobilisation est faible. Seuls deux Français sont présents au sein de la commission qui s’occupe de ce sujet, et les autres membres sont plutôt sensibles à la logique libérale. Le gouvernement français a pris, dans les groupes de travail qui examinent la directive depuis six mois, des positions extrêmement nettes dans ce domaine. Quelques autres pays – peu nombreux – suivent la position de la délégation française, mais il est clair que les professionnels doivent se mobiliser très rapidement et très vigoureusement. J’en viens au second danger. Une procédure d’infraction est en cours au sujet de l’étiquetage en français. La position de la Cour de Justice est la suivante : elle admet que les Etats nationaux prennent des dispositions particulières au titre de la protection du consommateur, mais elle se montre très peu sensible à l’argument de la diversité culturelle. Au titre de la diversité linguistique, la vente de T-shirts étiquetés en anglais ne peut pas être entravée dans notre pays. A travers cette mise en demeure apparaît donc l’idée que la diversité culturelle est un objectif secondaire par rapport aux objectifs économiques. Je suis membre du Parlement européen depuis trois mois, et je peux vous affirmer que j’ai entendu beaucoup d’opinions très négatives sur les questions que nous évoquons ce matin. Il existe maintenant – et particulièrement, comme l’a dit Anne Hidalgo, avec les dix nouveaux entrants – une réelle majorité qui pense que les impératifs du libre échange priment sur les questions de diversité culturelle. Ces nouveaux membres font d’ailleurs preuve de nationalisme culturel, et nous devons nous appuyer sur cet élément. Comme en 1993, les hommes politiques ne réussiront à défendre nos idéaux que si les professionnels se mobilisent, en particulier à Beaune. J’attends de vous que vous nous donniez les armes de la victoire. Jacques FANSTEN Je pense – et j’espère – que le message a été reçu. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Heureusement, nous ne pouvons pas opposer un bloc contre un autre. Je vais donner la liste des pays qui sont en train de se mobiliser sur le thème de « l’exception audiovisuelle » : les délégations nationales qui partagent la ligne française sont celles de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Estonie, de la Grèce, de la Pologne et du Portugal. Faisons attention à bien associer l’ensemble des nouveaux membres à notre démarche. Je suis très attentif à ce qui se passe aujourd’hui en Pologne, et ma convergence de vue avec mon homologue polonais est totale. Cela n’est pas toujours le cas avec d’autres pays. Je pense notamment au Brésil : nous sommes tout à fait en phase avec le gouvernement brésilien sur le plan des principes généraux de la diversité culturelle, mais d’autres sujets sont beaucoup plus conflictuels. Je pense par exemple à la piraterie : l’approche brésilienne est ultra- libérale, et le gouvernement brésilien ne comprend pas les préoccupations qui sont les nôtres. A chaque réunion – officielle ou officieuse – de ministres européens, j’essaie de mobiliser mes homologues. Jacques FANSTEN Les pays qui se préoccupent de la piraterie sont les USA, la France et l’ensemble des pays qui disposent d’une industrie culturelle. Nous avons souligné devant les Américains que la diversité culturelle représente aujourd’hui un outil qu’ils ont eu tendance à vouloir éliminer, alors qu’il constitue une réponse au problème de la piraterie. En effet, un pays dépourvu d’industrie cinématographique n’a aucune raison de se protéger contre la piraterie. Le Brésil est justement un exemple de pays dépourvu d’industrie cinématographique et qui a tendance à considérer que la piraterie représente un échange comme un autre. Il y a deux ans, nous nous étions un peu accrochés, en ce lieu, avec un commissaire européen. Celui-ci nous affirmait que nous pouvions dormir tranquilles, car le principe de l’exception culturelle était reconnu par l’OMC. Je souhaiterais avoir l’avis de Jean-François Boittin sur ce sujet. Jean-François BOITTIN Ne tirez pas sur le pianiste. J’ai senti parfois une certaine hostilité de la part du public lorsque Grégory s’est exprimé. Je dois dire qu’il a toute ma sympathie, car il a choisi de s’exprimer dans une langue qui n’est pas nécessairement sa langue maternelle, ce qui constitue un handicap considérable que je vis régulièrement. En outre, ce n’est certainement pas de son fait si la culture ne représente que 0,1 % du budget communautaire, alors que l’agriculture en représente 50 %. Je crois que tous les Etats membres partagent une lourde responsabilité dans ce domaine, et que la Commission ne peut pas être mise seule en cause. Je vais parler avec la franchise de celui qui a à la fois l’avantage et l’inconvénient de voir son pays et l’Europe d’un point de vue extérieur. Nous ne devons pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. La sémantique est en effet extrêmement importante, et il est bon que la France ait choisi de porter très haut l’étendard de la diversité culturelle. La France a d’autant plus de mérite qu’historiquement, nous n’avons sans doute pas été de très bons élèves de la diversité culturelle : cela n’était certainement pas le cas au 18e siècle lorsque le français était la langue de toutes les cours européennes, cela n’a certainement pas été le cas vis-à-vis des provinces françaises, et cela n’était certainement pas le cas lorsque nous enseignions à un certain nombre d’élèves africains que leurs ancêtres étaient les Gaulois. Ce retour à une certaine humilité ne peut être qu’apprécié par l’ensemble des pays du monde. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Notez que récemment, 750 millions de téléspectateurs chinois ont assisté à un spectacle français. Jean-François BOITTIN C’est exact, et c’est très heureux. La sémantique est importante. Nous nous sommes battus à l’OMC pendant 30 ans pour imposer la spécificité agricole. Au bout de 30 ans d’efforts sans résultat, les bureaucrates bruxellois ont inventé le concept de multifonctionnalité. Ce terme ne convainc pas davantage nos interlocuteurs américains, australiens ou brésiliens qui jugent qu’il ne s’agit que d’une nouvelle appellation du le bon vieux protectionnisme français. Après avoir parlé pendant longtemps d’exception culturelle, nous parlons maintenant de diversité culturelle, mais un grand nombre de délégations étrangères nous répondent qu’il ne s’agit que d’un nouvel habillage de l’exception culturelle qui ne sert qu’à masquer nos desseins protectionnistes. Venons-en à la règle du jeu. Nous n’avons pas réussi à imposer dans le cadre de l’OMC en 1993, comme le disait Jacques Toubon, le concept de spécificité ou d’exception culturelle. L’audiovisuel est classé dans la catégorie des services, au même titre que les transports maritimes et les activités financières. Personne ne peut rien y changer. Nous vivons malheureusement dans un monde international dans lequel les ordres juridiques sont parallèles. Vous ne pouve z pas obtenir de l’extérieur de l’OMC un changement des règles de l’OMC. Je prends un exemple totalement différent : nous sommes en train de réaliser des avancées considérables pour mettre en œuvre le protocole de Kyoto sur l’environnement. En termes écono miques, cela représentera un handicap important pour les industries européennes. Or nous ne pourrons pas nous en prévaloir pour redresser les termes de la concurrence internationale avec les USA. Nous n’avons pas pu résoudre ce problème fondamental dans le cadre de l’OMC car le projet européen, lancé à Doha, de faire adopter dans le cadre de l’OMC un certain nombre de règles de régulation économique internationale est mort en juillet à Genève. Jacques FANSTEN Les négociations en cours à l’OMC ont été suspendues à une certain moment. Nous avons le sentiment que ces négociations ont été remplacées par un certain nombre d’accords bilatéraux conclu par les Américains. Cette stratégie semble constituer un risque pour la cause que nous défendons. Jean-François BOITTIN Effectivement, une pause a été observée par l’OMC après l’échec assez cinglant de Cancún. Soyez rassurés : dans les deux ou trois ans qui viennent, les débats menés à l’OMC ne concerneront pas l’audiovisuel. L’agriculture restera au centre des préoccupations. La bataille frontale a été remplacée par une guerre d’escarmouche. En premier lieu, la définition de règles générales sur les subventions en termes de services à l’OMC doit être l’objet de notre vigilance ; les Américains, comme beaucoup d’aut res pays, subventionnent à l’occasion leurs sociétés de services lorsqu’elles deviennent déficitaires – comme par exemple les compagnies aériennes. En second lieu, nous devons être attentifs au dossier des accessions à l’OMC : à chaque fois qu’un nouveau pays y dépose sa candidature d’adhésion, l’ambassadeur américain et l’ambassadeur français dans ce pays essaient d’infléchir sa politique en matière audiovisuelle. Je soupçonne même les négociateurs américains d’aller au-delà des souhaits exprimés par leurs propres professionnels – représentés ici par Dan Glickman ; je peux néanmoins me tromper. En troisième lieu, les accords bilatéraux représentent un terrain d’intervention des USA, car la politique commerciale américaine a glissé du multilatéralisme vers le bilatéralisme. Pris isolément, les pays de taille petite ou moyenne ont peu de capacité de résistance face aux USA. Les USA tentent d’extorquer ainsi un certain nombre de concessions – essentiellement en termes d’accès au marché. Nous avons discuté avec nos collègues de l’USTR de la Chilean solution (solution à la chilienne), qui m’a beaucoup inquiété. J’ai tout de suite imaginé que nous allions être tous rassemblés au milieu du stade de Santiago, avec les conséquences que nous pouvons imaginer. C’est en fait moins grave que cela, mais ce n’est quand même pas très satisfaisant pour nous : cela consiste à dire que la télévision hertzienne peut garder les règles que nous souhaitons, à condition que les marchés des nouvelles technologies numériques (câble, satellite…) soient totalement ouverts. L’USTR se donne l’objectif de conclure le maximum d’accords bilatéraux en ce sens. Il faut reconnaître que le succès américain n’est que partiel : lorsque la question a été posée aux Australiens - qui sont des négociateurs difficiles -, les Américains n’ont pas obtenu satisfaction. Ne dormons donc que d’un œil. Francis PARNY, Vice-Président du Conseil Régional d’Ile-de-France Monsieur Fansten, vous avez jugé, je crois, après les interventions de Monsieur le Ministre et d’Anne Hidalgo, qu’un consensus existait globalement. Cela ne correspond cependant pas tout à fait aux textes et aux déclarations dont nous pouvons avoir connaissance sur les questions dont nous débattons ce matin. Très sincèrement, je dois vous dire que l’ensemble des propos provenant de la tribune continuent de me préoccuper énormément quant à la défense de la diversité culturelle. L’article 167-1 du projet de Constitution européenne stipule que « seront considérées comme incompatibles avec le marché intérieur les aides apportées par les Etats au moyen de ressources d’Etat, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Nous pouvons être inquiets et nous demander si la Région Ile-de-France pourra continuer à développer son fonds d’aide à la création cinématographique dans les conditions qu’elle souhaite. Lorsque nous interrogeons les instances bruxelloises, il nous est répondu : « Ne vous inquiétez pas, aucune crainte n’est à avoir à l’horizon 2006 ou 2007 ». Or lorsque des principes sont inscrits dans un texte constitutionnel, c’est dans l’optique de les appliquer un jour ou l’autre. J’ai bien noté que cet article est suivi d’un autre article qui admet le principe de dérogations. Peut-être pourrions- nous défendre la diversité culturelle sous cette forme. Je crois que le glissement de l’exceptionnalité vers la diversité n’est pas satisfaisant, car l’exceptionnalité représente un a priori qui est posé – ce que je pense important, et la diversité voit l’obligation pour neuf Etats de faire la preuve de sa mise en cause. Je pense qu’il est difficile de présenter un tel changement comme une avancée. Comme l’a dit Monsieur Toubon d’une manière très claire, ce projet de Constitution place la question de la diversité culturelle sous l’égide d’une orientation économique qui porte un nom. Monsieur le Ministre, il faut accepter qu’il existe quand même une diversité d’opinions dans ce pays ! Jacques TOUBON Il y a des limites à tout ! Je voterai oui à la Constitution ! Nous ne sommes pas ici dans une réunion du Parti Communiste ! Francis PARNY, Vice-Président du Conseil Régional d’Ile-de-France Je ne suis pas sûr qu’une unanimité existe dans cette salle sur cette question. Un débat démocratique est souhaité dans ce pays - y compris par le Président de la République -, et il serait bénéfique que divers points de vue puissent s’exprimer. Jacques TOUBON Je n’ai pas parlé de la Constitution, mais de la directive « services » qui n’a rien à voir avec la Constitution ! Elle s’applique au Traité actuel ! Parlez de ce que vous connaissez ! C’est de la paresse ! Francis PARNY, Vice-Président du Conseil Régional d’Ile-de-France Je voulais simplement attirer l’attention de l’auditoire sur le fait qu’il existe des approches différentes de cette question. Nous avons parlé de biens culturels et nous pouvons, dans cette salle, nous entendre sur le fait que la culture représente un bien commun de l’humanité que nous avons à partager. Après la Libération, un consensus s’est dégagé en France autour de l’idée qu’un certain nombre de biens communs de l’humanité ne pouvaient pas passer sous les fourches caudines d’un choix économique. Cette idée a présidé à la naissance des services publics comme moyen de préserver l’égalité de l’ensemble des citoyens dans l’accès à des biens communs. La Charte de l’Unesco adopte exactement ce point de vue. Je terminerai en lisant son article 5 qui se réfère aux droits de l’homme : « Les Etats affirment, conformément à la Charte des Nations-Unies, aux principes du droit international et aux instruments universellement reconnus en matière de droits de l’homme leur droit souverain d’adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité d’expression culturelle sur leur territoire, et reconnaissent leur obligation de la protéger et de la promouvoir sur leur territoire à l’échelle mondiale ». Cela correspond à une autre conception de la défense du patrimoine commun qu’est la culture. Jacques FANSTEN Il est facile de faire des procès d’intention. En présentant le débat, j’ai signalé l’ambiguïté de la Constitution qui promeut la diversité culturelle tout en posant des obstacles aux aides d’Etat. Il est trop facile de critiquer un soi-disant consensus mou. Il est aussi prévu que nous parlions maintenant de l’Unesco. Les effets de tribune sont faciles à obtenir, mais ils ne sont pas indispensables. Il est trop facile de critiquer un soi-disant consensus mou, car nous étions les premiers à poser ces problèmes. Catherine TASCA A ce stade du débat, vous ne pouvez pas en effet être accusés d’être consensuels, et c’est une bonne chose. Je pense que ce thème de la diversité culturelle est beaucoup moins consensuel que nous ne pourrions l’espérer. Sans revenir sur le débat séma ntique exception/diversité, le choix du terme de «diversité » a au moins l’intérêt de faciliter le dialogue avec un grand nombre d’Etats et de professions dans le monde. Ce choix représente cependant un compromis, et nous ne devons pas perdre de vue que l’objectif de départ reste l’exception culturelle, qui consiste à se donner les moyens, dans la mesure du possible, d’exclure les biens et services culturels des seules règles du commerce international. Nous devons exercer une veille très attentive, comme l’a souligné fort justement Monsieur Boittin. Plusieurs aspects de la diversité culturelle font en effet débat même entre nous, même au sein de l’Union européenne et sans aucun doute à l’échelle mondiale. Notre débat prend en compte la construction européenne et les combats qui ont été les nôtres, mais prend assez peu en compte le reste du monde. Or dans le cadre de la mondialisation, la diversité culturelle ne pourra être défendue que si nous convainquons un grand nombre de pays de se joindre à notre combat. De ce point de vue, la bataille pour la convention de l’Unesco est très importante. J’affirme que la diversité culturelle n’est pas l’objet d’un consensus au sein de l’Union européenne, car le principe de la diversité culturelle insiste sur le devoir des Etats de la promouvoir sur leur propre territoire. Cela ne correspond pas aujourd’hui à la politique affichée par tous les partis de l’ensemble des pays, nous le savons bien. Restons donc vigilants. Quelqu’un a rappelé tout à l’heure que la France n’a pas non plus été toujours exemplaire sur le plan de la diversité. La diversité linguistique est par exemple un sujet soigneusement évité sur le territoire français. La diversité culturelle pose aussi la question des rapports Nord-Sud. Aujourd’hui, les partisans de la convention de l’Unesco voient bien qu’il existe deux catégories de pays : certains sont déjà producteurs dans le domaine culturel à des niveaux divers et sont donc conscients de leurs intérêts économiques et politiques, et de très nombreux autres pays ont pour première préoccupation leur développement économique et leur entrée sur la scène économique internationale. Pour le moment, ce dernier groupe ne voit pas l’intérêt de lutter pour la diversité culturelle. Ne restons donc pas trop nombrilistes : nous avons besoin de cette convention de l’Unesco. L’enjeu politique de la diversité culturelle n’est pas seulement la préservation des identités et surtout pas seulement des identités telles qu’elles existent aujourd’hui -, mais aussi l’indépendance des différents pays. Que deviendrait un pays qui abandonnerait sa capacité d’expression culturelle forte et qui ne serait plus qu’un simple récepteur de biens et services culturels pensés ailleurs ? Jacques FANSTEN Il est effectivement important de garder le temps de réfléchir aux enjeux de la convention de l’Unesco. Férid BOUGHEDIR, Réalisateur tunisien Je voudrais rebondir sur les déclarations d’Anne Hidalgo et de Catherine Tasca sur les cinématographies du Sud. Il faut en effet lancer un véritable cri d’alarme, car tout un pan des cultures de l’humanité disparaîtrait si le cinéma ne permettait pas de les faire connaître, et si la cinéphilie mondiale ne permettait pas à des réalisateurs des pays pauvres de faire la preuve de leur talent. La France peut-elle éternellement continuer à être le soutien financier de la diversité culturelle dans les pays du Sud ? Evidemment non, et ces pays devraient se prendre en charge. Malheureusement, la culture ne représente pour les gouvernements africains que la dernière roue du carrosse. Ils se montrent beaucoup plus sensibles à la possibilité de signer des accords bilatéraux avec le géant américain. La politique adoptée doit être offensive et non pas seulement protectrice, et nous devons faire preuve de prosélytisme vis-à-vis des nouveaux membres de l’Union européenne et des chefs d’Etat africains : la signature d’accords d’association de l’Union européenne avec les pays du Sud devrait être subordonnée au respect de la diversité culturelle. Pour certains pays, cela sera malheureusement plus facile que de respecter les droits de l’homme. Jacqueline MEIDO-MADIOT Je représente le groupe des Etats ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) auprès de l’Union européenne. Je ne peux pas ne pas intervenir juste après l’intervention de Catherine Tasca et de Férid Boughédir. Contrairement à ce que vient d’affirmer Férid Boughédir, les pays ACP se sont dotés du traité de Dakar qui a été signé en 2003 par l’ensemble des Ministres de la Culture des 79 Etats concernés. Ce traité affirme que la culture doit absolument être intégrée à toutes les politique de développement dans le cadre des conventions passées avec l’Union européenne. Je suis assez inquiète, car l’OMC et les USA ont parfaitement analysé l’impact du traité de Dakar et de la convent ion de l’Unesco. Dans tous les accords bilatéraux passés avec les pays ACP et concernant le développement figure maintenant l’obligation de ne pas signer la convention de l’Unesco. Jacques FANSTEN Quelle force a la convention de l’Unesco, par exemple vis-à-vis de l’OMC ? Ne risque-t-elle pas de se révéler comme un leurre ? Jean MUSITELLI Cher Jacques Fansten, pensez-vous qu’un leurre mobiliserait tant d’énergie à la fois en sa faveur et en sa défaveur ? Nous ne pouvons pas encore préjuger du résultat, mais nous devons poursuivre nos efforts pour aboutir à une adoption de ce texte par l’Unesco. Il y a encore quatre ou cinq ans, l’Unesco était une organisation en perte de vitesse. Nous avions pris l’habitude de traiter des questions d’échanges de biens et services culturels dans les enceintes économiques et commerciales. La France et certains autres pays ont souhaité que les questions culturelles soient abordées dans les enceintes qui y sont consacrées – même si ces questions ont aussi une dimension économique. La France a aussi pour objectif de créer un rapport de forces international plus favorable à nos thèses. Nous devons donc mobiliser les pays européens autour de nous, mais il nous faut aussi entendre l’appel provenant des pays en voie de développement qui ne disposent d’aucune industrie culturelle propre à protéger. Le modèle français de soutien à la création est admirable, et nous voulons l’universaliser. Encore faut- il que ce modèle prouve sa capacité durable à produire de la diversité au plan intérieur dans tous les sens du mot - et à aider au rayonnement de la diversité extérieure. Cet objectif est à la fois très ambitieux et très modeste, car nous voulons uniquement agir sur le plan juridique. Ne nous cachons pas qu’il est très difficile de crédibiliser et de donner une force opératoire à ce projet. Nous aurions néanmoins tort de nous priver de ce levier juridique qui détermine des possibilités d’action extrêmement importantes. Comme l’a rappelé Monsieur Boittin, la force de l’OMC réside dans le socle normatif sur lequel elle est assise, ainsi que dans l’organe juridictionnel qui lui permet de trancher des conflits. Le principe de cette convention est de mettre en place deux ou trois dispositions très fortes qui donnent un début de consistance à ce qui pourrait constituer un droit en matière de culture. Celui-ci ne serait pas concurrent du droit commercial en vigueur, mais dès lors que l’application de ce droit commercial aboutirait à des conséquences très négatives – dommages graves ou menaces sérieuses –, il permettrait de faire prévaloir des règles et des principes culturels. Nous affirmons tout simplement qu’il existe une légitimité des principes culturels qui est au moins égale à celle des règles commerciales. Ensuite vient un problème d’articulation qui est plutôt complexe, mais nous n’avons pas non plus de raison de considérer que le droit doit rester figé. Les évolutions du droit international se font suivant des synchronies très différentes : l’évolution du droit commercial a été très rapide ces quinze dernières années, et nous devons tenter d’introduire des éléments de rééquilibrage pour faire reconnaître des principes de valeurs culturelles. Ce projet de convention donne une base juridique et une légitimité aux politiques de soutien public. Nous savons bien que de nombreuses cultures sont vouées au dépérissement face au développement de la globalisation. Ce projet de convention cherche aussi à fixer un certain nombre de bornes au droit commercial, sans en contester le bien-fondé. Les organisations spécialisées et les organisations à compétence générale telles que l’OMC doivent donc désormais, si nous souhaitons aboutir à une mondialisation un peu mieux contrôlée, travailler de manière complémentaire et non pas en s’ignorant les unes les autres. Nous ne pouvons certes pas influencer le droit de l’OMC, mais nous pouvons à travers ce texte inciter l’OMC à prendre en considération un certain nombre de principes propres à la culture, comme nous le faisons - avec des résultats plus ou moins probants - dans le domaine de l’environnement. Il s’agit donc de créer un outil qui dispose d’un mécanisme de règlement des différends, car nous croyons qu’un droit autonome nécessite d’être porté par une juridiction. Face au vide actuel, un droit pourrait ainsi émerger. Quelle en sera l’efficacité ? Comme tout outil en général, cela dépendra de l’usage qui en est fait. Une véritable volonté politique de s’en servir sera nécessaire. Si cet outil est laissé en jachère ou si les Etats ne le ratifient pas, il ne servira à rien. Les Américains sont passés par trois phases : ils ont d’abord considéré que ce projet était farfelu et que l’Unesco ne servait à rien – ils y sont d’ailleurs revenus entre-temps -, puis se sont mis en colère lorsqu’ils ont découvert que ce projet était sur la table, et manifestent maintenant une certaine volonté de négocier. Nous avons en effet pris bien soin d’expliquer qu’il ne s’agissait pas d’un accord commercial, qu’il n’était pas dirigé contre les droits de l’homme et qu’il ne s’agissait pas de protectionnisme déguisé. Nous nous trouvons cependant à la veille d’une bataille très difficile. Les adversaires de ce projet ne manifestent pas une opposition frontale car nous avons su nous créer à l’Unesco un rapport de forces très favorable, mais ils clament la nécessité de trouver un compromis entre la diversité culturelle et la liberté des échanges commerciaux. Cependant, l’avant-projet représente déjà un compromis : il manifeste la volonté d’aboutir à une articulation constructive entre la liberté des échanges commerciaux – qu’il n’est absolument pas question de restreindre – et la diversité culturelle dont il faut reconnaître la légitimité et le bien-fondé. Nous ne devons donc pas nous laisser entraîner sur ce terrain. Jacques FANSTEN Cela ne constitue-t-il donc pas une étape ? Ne devons-nous pas réfléchir à une extension de ce projet de convention ? L’OMC régit les échanges économiques, et ne devons- nous pas commencer à parler d’un OMDC qui serait l’Organisation Mondiale de la Diversité Culturelle – et non l’Organisation Mondiale de la Disparition des Cultures ? Jean MUSITELLI J’ai indiqué que cela représentait une étape, mais dans un processus, c’est la première étape qui est la plus importante. Je pense qu’il s’agit du début d’un long processus de rééquilibrage. Vous parlez d’une Organisation Mondiale de la Diversité Culturelle, mais une agence du système des Nations-Unies a déjà vocation à s’occuper de la culture : elle s’appelle l’Unesco. Peut-être avons-nous pendant trop longtemps négligé tout le parti que nous pouvions tirer de cette organisation. La position des autorités françaises est de proclamer la nécessité du renforcement du système des Nations-Unies : c’est de là que peuvent apparaître des règles internationales de bonne conduite. Chacune des institutions spécialisées doit dire le droit, en cherchant ensuite une compatibilité avec les règles commerciales. L’OMC elle- même, sur ces questions culturelles, ne peut pas travailler en bonne connaissance de cause ; elle n’a aucune compétence technique dans ce domaine. A mon avis, la meilleure solution est donc de renforcer l’Unesco, qui a vocation à devenir le fer de lance de la diversité culturelle. Jean-François BOITTIN Je voudrais soutenir les propos de Jean Musitelli. Le travail réalisé pour cette convention représente un investissement majeur de la diplomatie française. L’effort fourni est considérable ; il est sans doute indispensable, car il nous permet de sortir d’une attitude universellement perçue comme frileuse pour évoluer vers une démarche positive. Le risque est d’être pris au mot et de nous voir rétorquer qu’il existe une convention sur la diversité culturelle à l’OMC, et que nous devrions prendre quelques engagements dans le domaine audiovisuel lors des prochaines négociations à l’OMC. Nous devons être extraordinairement vigilants sur ce sujet. Je voudrais attirer votre attention sur un point très important. Chacun, ici, pense certainement que l’OMC est un organisme à la solde des USA. Rassurez-vous, car le Congrès américain considère que l’OMC est un instrument infernal créé par les Européens pour brider l’unilatéralisme américain – et il a de bonnes raisons de le penser, car nous sommes sortis vainqueurs de plusieurs contentieux. Nous sommes aujourd’hui extrêmement focalisés sur un débat euro-américain, mais cette vision est dépassée. Depuis l’échec de Cancún survenu il y a un an, l’économie mondiale a évolué à un rythme absolument sidérant : le Brésil est en passe de devenir la ferme du monde, et les agriculteurs américains se font maintenant un sang d’encre. La Chine se développe au rythme de 8 % par an, mais ce chiffre passe à 40 % par an si nous prenons en compte la seule industrie manufacturière. Les quotas textiles vont disparaître le 1er janvier, et les Chinois vont s’approprier 70 % du marché textile mondial. L’Inde est devenue aujourd’hui le fournisseur de logiciels du monde. Ces pays disposent déjà d’une industrie audiovisuelle, de même qu’un pays comme l’Egypte. Tous ces pays ont leur propre production et leurs propres consommateurs, et ne se sentent pas forcément tellement menacés par les Américains - pour des raisons évidentes de langue et de culture ; ces pays seront aussi, demain, nos interlocuteurs. Comprenons bien qu’une grande partie du Sud nous concurrence déjà, et que nous risquons – comme dans le domaine agricole – de nous retrouver rapidement aux côtés des USA dans une attitude de défense commune. Cela est difficile à croire aujourd’hui, mais je vous donne rendez-vous dans cinq ans. Les paris sont ouverts. Jacques FANSTEN Je tiens à rassurer Jean Musitelli. Mes questions sont assez provocatrices, mais il est clair que nous soutenons le travail très important effectué à l’Unesco. Michel GAUTHERIN, Membre du SFA et du Bureau de la Coalition Française pour la Diversité Culturelle Certains souhaitaient, au départ, aboutir à un traité international de même nature que celui qui a mis en place l’OMC pour protéger l’ensemble de l’économie de la culture. Or toute l’histoire de la mise en place de coalitions au plan international a permis de mesurer que ce n’était pas le bon chemin. La solution la plus adaptée nous a été rappelée par Jean Musitelli. La démarche américaine est centrée sur la négociation d’accords bilatéraux, ce qui représente un moyen très astucieux de contourner l’obstacle. Quel est l’attitude des uns et des autres à cet égard ? Aujourd’hui, des pays sont engagés dans des accords bilatéraux qui les empêchent de développer toute activité de production audiovisuelle. La Nouvelle-Zélande, par exemple, s’en mord les doigts car elle ne peut plus s’affranchir d’un tel accord. En réalité, les engagements bilatéraux en cours de négociation engagent les pays concernés dans une voie de non-retour. Les professionnels se mobilisent au plan international ; les coalitio ns formées dans un grand nombre de pays en attestent. Le Congrès de la Fédération Internationale des Acteurs vient de se réunir à Budapest : 70 pays - dont les USA - et plus de 100 organisations y sont représentés. Une résolution y a été votée à l’unanimité sur la question de la diversité. Le point de vue des Américains évolue donc, mais la question est de savoir si cette évolution est suffisamment rapide. Nous mettons en effet du temps à nous mobiliser, et la rapidité des négociateurs commerciaux est bien supérieure. Arriverons-nous à obtenir que plus de 140 pays signent d’ici à la fin 2005 un traité qui soit de portée suffisante, ou aboutirons-nous à un texte mitigé et peu opérationnel ? Cette décision est aujourd’hui dans les mains des responsables politiques. Les discours du gouvernement sont tout à fait satisfaisants de notre point de vue. Sur le terrain, comment pouvons- nous faire avancer notre cause dans nos rapports bilatéraux avec les différents pays ? Ce traité ne doit pas être défensif. Certains pays du Sud ne disposent d’aucune industrie audiovisuelle, et diffusent sur leurs écrans des images qui ne sont pas les leurs. Nous ne devons pas défendre notre pré carré franco- français, mais nous inscrire dans un contexte beaucoup plus ouvert. Le sommet de la francophonie se tiendra dans quelques semaines. Nous espérons que notre coalition sera reçue pour pouvoir proposer aux gouvernements un appel qui empêche que ces questions soient oubliées dans les discussions internationales. Jacques FANSTEN Avant de passer aux conclusions, je retire de ces échanges la conviction que lors des 15èmes Rencontres, nous organiserons encore un débat sur la diversité culturelle. Anne HIDALGO A l’issue de ce débat passionnant, très franc et très ouvert, j’ai la conviction que davantage d’Europe est nécessaire. Des outils européens sont indispensables pour être offensifs dans le soutien à la création et à la diffusion. La Commission n’est pas en cause : ce sont les Etats membres qui font aussi cette Europe. A travers les positions et les politiques des Etats membres, des moyens doivent être consacrés à une Europe de la culture qui n’existe pas encore complètement. Il nous faut davantage de régulation internationale. Nous plaçons des espoirs dans la convention de l’Unesco, mais nos espoirs ne sont pas béats car nous sommes conscients des obstacles à surmonter. Nous avons cependant réussi à créer un rapport de forces favorable en nous alliant à de très nombreux pays. Les USA ont réagi en adoptant des stratégies de contournement, notamment à travers des accords bilatéraux. La mobilisation des gouvernements et des professionnels nous permettra peut-être d’aboutir. Il nous faut soutenir l’élaboration de cette convention et la création d’une juridiction internationale qui constitue un organisme de recours en cas de litige. Nous ne sommes pas pour autant rassurés. Il n’existe pas un consensus mou d’une part, et une défense de la création, de la diversité culturelle et de la démocratie d’autre part. La situation est tout de même un peu plus complexe. Nous voyons qu’il n’existe pas de consensus au niveau international et au niveau européen, ni même au niveau français – je ne soutiens pas forcément toutes les initiatives du gouvernement, même si je respecte le travail fourni par Monsieur le Ministre tant au niveau international qu’au niveau européen. Il est urgent de repenser l’économie de la culture et des médias. Vous allez parler tout à l’heure du téléchargement des œuvres, avec tous les problèmes qu’il pose. Nous devons avancer très vite dans ce domaine, aux niveaux tant national qu’international ou européen. Ma conviction est que la gratuité n’est pas de ce monde, du moins pas dans le domaine culturel. La gratuité n’est donc pas de ce monde - sauf peut-être en amour, comme me le faisaient remarquer quelques collègues avec lesquels je parlais de ce sujet hier soir. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Le sujet de la convention de l’Unesco et de la diversité culturelle s’inscrit dans une conjoncture internationale très particulière. Cette atmosphère de violence et d’affrontement modifie la position d’un certain nombre de pays. Par certains aspects, cette conjoncture lourde de menaces nous a fait, tous ensemble, gagner la bataille des valeurs. La revendication du droit à l’identité et aux racines est, je crois, de plus en plus partagée. Chacun peut mesurer les risques pour la paix et la sécurité internationale lorsque ces valeurs sont battues en brèche. De ce point de vue, les clivages sont en train de changer de nature. J’ai tenu des discussions avec nos amis américains sur la convention en préparation à l’Unesco. Face à ces menaces, chaque pays regarde la situation d’une manière différente, et considère la culture comme un élément qui s’inscrit dans une stratégie politique globale – et pas seulement comme un sujet relatif aux loisirs. Ce point est très positif. La question des droits de l’homme a été évoquée tout à l’heure. La radicalisation des esprits est en effet, actuellement, notre lot quotidien. Le respect des racines et de l’identité a comme limite le respect des droits de l’homme. Réussirons- nous à créer dans les domaines de la culture, de la santé et de l’environnement des lieux de responsabilité politique à côté de ceux qui existent pour les échanges économiques internationaux ? Le débat d’aujourd’hui tourne autour de la capacité juridique qui sera donnée ou non à l’Unesco. Ce sujet est difficile. Nous bénéficions d’un certain nombre de soutiens, mais la bataille n’est pas gagnée. Notons que dans un autre domaine tel que l’environnement, la position française est aussi suivie par un nombre croissant de pays. Nous avons gagné la bataille des valeurs, car le souci de la défense de la diversité et de l’identité est maintenant largement partagé. Je souhaite maintenant introduire le débat de cet après- midi. J’ai entendu avec un grand plaisir les propos courageux d’Anne Hidalgo. Parmi les plus jeunes de nos concitoyens, la valeur dominante est la liberté absolue. Nous apparaissons vite comme issus d’une autre époque, car nous n’avons pas réussi à inculquer la valeur du respect de la diversité et de la création. Nous devons faire preuve de beaucoup d’imagination dans ce domaine. Nous en avons discuté ce matin avec nos amis américains. Nous ne sommes pas des censeurs : l’accès à la musique et au cinéma via l’Internet peut représenter une chance, à condition que la diversité soit préservée. Nous devons accompagner les offres légales qui se développent en ligne. De grands artistes tels que Tarantino ne partagent absolument pas notre combat et nous considèrent d’une certaine manière comme des ringards car pour eux, la valeur de liberté absolue rendue possible par Internet s’impose avant toute chose. J’aimerais que vous inventiez un autre terme que celui de piraterie, qui a une connotation très sympathique pour les plus jeunes de nos concitoyens. Jacques FANSTEN Je remercie notre Ministre. L’année dernière, nous avons lancé l’appel de Beaune au sujet de la vidéo. Où en sommes- nous aujourd’hui ? Renaud DONNEDIEU DE VABRES Cette question est très importante car si elle n’est pas correctement maîtrisée, elle bouleverse la chronologie nécessaire des interventions et des responsabilités des différentes parties. J’avais compris, suite aux Rencontres de Beaune de l’année dernière, que vous souhaitiez une certaine clarification et une sorte de police des frontières. Je crois que des éléments d’information incontestables doivent être mis à la disposition de chacun. C’est la raison pour laquelle le CNC a décidé de créer un baromètre de la vidéo. Dans les prochaines semaines, des éléments d’information seront disponibles pour rendre la filière transparente. Il existe aussi l’épineux problème de la grille de prix des DVD. Il faut faire preuve de beaucoup de souplesse et d’intelligence dans ce domaine : je ne pense pas qu’il doive exister un prix fixe et définitif pour un DVD. Aujourd’hui, d’une certaine manière, c’est Chicago. Nous devons savoir maîtriser la date de sortie d’un DVD et la manière dont il sert à des promotions commerciales. Je compte intervenir auprès de mon collègue de l’Economie et des Finances afin que la Direction Générale de la Concurrence se saisisse de cette question. Les règles de chronologie des médias doivent être scrupuleusement respectées dans notre pays car sinon, c’est l’ensemble de votre secteur qui s’en trouverait bouleversé. Je ne suis hostile ni au DVD ni à Internet, mais un certain nombre de règles sont à confirmer et, le cas échéant, à revisiter. Je souhaite que le CNC réunisse en permanence les différents professionnels – dont les intérêts sont contradictoires. La distribution et les exploitants des salles doivent être entendus de la même manière que les autres partenaires – éditeurs, auteurs… Les pouvoirs publics pourront toujours, en liaison avec les professionnels, faire évoluer les règles d’accès aux comptes de soutien tant automatique que sélectif. Nous serons un partenaire extrêmement vigilant, et l’Etat saura aussi prendre ses responsabilités dans l’octroi des aides, dans l’automaticité des aides et dans la manière dont nous sanctionnerons le cas échéant ceux qui s’écarteront de la règle du jeu. Jacques FANSTEN Le Président de l’ARP, Pierre Jolivet, a récemment tourné un film avec de nombreux sourds et malentendants. Il a découvert, en discutant avec eux, que toute leur culture cinématographique était anglo-saxonne, puisqu’ils ne pouvaient regarder que les films soustitrés. Or les films en français ne le sont pas. Les sourds et malentendants sont en France au nombre de 2,5 millions. La Ville de Paris fournit un effort en faveur des handicapés, et Titra Film travaille sur ses sous-titrages. Nous voudrions ajouter un codicille à notre appel de Beaune de 2003 : ne faut- il pas mettre en place une mesure pour qu’à partir du 1er janvier 2005, il ne sorte plus de DVD en français sans sous-titres ? Renaud DONNEDIEU DE VABRES C’est un très beau sujet, c’est une cause nationale que rappelle régulièrement le Président de la République. Cela concerne le DVD et l’audiovisuel. Nous avons dans ce domaine des objectifs ; des amendements ont été récemment votés. Nous devons ensuite être concrets et nous engager financièrement. Ayons la franchise d’avouer que des arbitrages doivent parfois être effectués. Le soutien à la relocalisation d’un certain nombre de tournages peut par exemple s’exercer au détriment d’autres causes sociales urgentes. Les améliorations, malheureusement, ne s’opèrent que progressivement. Jacques FANSTEN Une fois n’est pas coutume : nous allons vous adresser nos remerciements. Depuis longtemps, les auteurs français demandent une meilleure organisation de leur système de retraite. Le Premier Ministre a soutenu très officiellement le projet de réforme, et vous avez fait de même. Apparemment, la représentation nationale va aussi le soutenir à l’unanimité. Au nom des auteurs, nous voulons vous remercier de cette avancée sociale. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Le président de séance me met dans l’embarras, car je ne suis pas du tout certain que ce sujet soit totalement consensuel. Il faudra en effet appliquer de manière juste et équilibrée ce principe qui nous réunit tous. La charge devra être répartie de manière équilibrée entre les intéressés et les producteurs. C’est un sujet qui fâche. Ce sujet qui fâche fera l’objet d’une concertation avant que des mesures réglementaires ne soient prises. Je ne veux pas non plus que la capacité financière des producteurs soit menacée. Fabienne SERVAN-SCHREIBER, Productrice (Cinétévé) Hier soir, les députés ont voté une loi : le gouvernement a décidé d’asseoir la collecte de la redevance sur la taxe d’habitation, ce que nous demandions depuis longtemps. Malheureusement, sur le plan financier, le montant de la redevance a été baissé de 116,5 euros à 116 euros, alors que nous demandions un relèvement à 117 euros. Cela représentera une baisse 20 millions d’euros des sommes récoltées en 2005. Les résidences secondaires ont en outre été exonérées, ce qui représentera une baisse de 60 millions d’euros des sommes récoltées au bénéfice de l’audiovisuel public pour 2005, et de 150 millions d’euros les années suivantes. Je voulais mobiliser toute la profession car comme toujours, le cinéma et les œuvres vont en pâtir. Renaud DONNEDIEU DE VABRES Si nous voulons évoquer ce sujet très important, il faut en aborder tous les aspects. Si nous traitons du problème du financement de l’audiovisuel, nous devons aussi signaler la mesure nouvelle qui figure dans le budget 2005 : le crédit d’impôt du cinéma est étendu à l’audiovisuel, ce qui représente tout de même 34 millions d’euros. Cette mesure n’était pas facile à adopter, car cela fait de très nombreuses années qu’elle était attendue et qu’elle pouvait poser des problèmes de structure, comme toute réforme de l’Etat. A partir du moment où la redevance audiovisuelle sera adossée dans son prélèvement à la taxe d’habitation, la fraude sera fortement réduite. C’est la raison pour laquelle cette réforme a été conçue, et un certain nombre d’économies seront réalisées puisque les fonctionnaires affectés à cette tâche seront redéployés vers d’autres services. Cette nuit, la représentation nationale a décidé pour la première fois de fixer un plancher pour les sommes reversées à l’audiovisuel. Nous pouvons certes toujours faire davantage, et la redevance audiovisuelle est bien supérieure dans certains pays. J’ai suivi hier soir en temps réel l’évolution de la situation à l’Assemblée, en coordination avec l’Hôtel Matignon. Je pense que la fixation de cette garantie représente un élément très important. Vous avez certes raison d’être très vigilants, et je le serai aussi. Permettez- moi de vous dire que nos responsabilités doivent être partagées : vis-à-vis de nos concitoyens, nous devons légitimer une intervention à travers cet axe audiovisuel. De ce point de vue, nous sommes tous sur le même bateau. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à ce que soit créé ce crédit d’impôt pour l’audiovisuel et à ce que soient renforcés les fonds régionaux pour l’aide au cinéma – je me tourne là vers nos partenaires des collectivités territoriales. Dans la région Centre, je figure d’ailleurs parmi les pères fondateurs de l’APCVL. Ce soutien à la production audiovisuelle française ne constitue pas un refus d’ouvrir la porte à d’autres. Nous tiendrons des discussions sur le soutien – ou non – du CNC aux films tournés en France et qui sont parfois réalisés par des sociétés étrangères ; aucun sujet n’est tabou. Nous pouvons toujours faire mieux, mais je crois que nous avons tout de même franchi des étapes. Je peux vous affirmer que le Ministre de la Culture et de la Communication que je suis est très attentif à ce qu’il existe un parfait lien entre les deux pôles de mon Ministère : la culture et la communication. Patrick BLOCHE, Député J’ai assisté au débat d’hier soir, et la version qu’en donne le Ministre – avec tout le respect et l’amitié que je lui porte – ne correspond pas exactement à ce que j’ai vécu. Je suis certes député de l’opposition, mais j’ai constaté qu’un certain nombre d’amendements déposés par des collègues de la majorité et qui visaient à assurer un financement minimum de l’audiovisuel public en 2005 n’ont pas été adoptés. Comme le disait Fabienne ServanSchreiber, un amendement déposé par deux collègues de l’UMP prévoyait que la redevance ne soit pas arrondie à l’euro inférieur (soit 116 euros) mais à l’euro supérieur (soit 117 euros), ce qui aurait représenté 22 millions d’euros de plus pour l’audiovisuel public. Cet amendement a été rejeté. De la même façon, j’étais porteur d’un amendement de suppression de l’exonération des résidences secondaires, et il n’a pas été adopté. D’autres amendements visaient au maintien d’une redevance pour les résidences secondaires tout en accordant des abattements de 40 ou 50 %. Toutes ces mesures ont été repoussées. Monsieur le Ministre évoque l’amendement Martin-Lalande relatif à la garantie du gouvernement, mais il aurait été plus simple de garder le principe de la compensation intégrale des exonérations de redevance à caractère social. Il aurait d’ailleurs fallu porter le plafond à 520 millions d’euros. Un certain nombre de collègues de la majorité essayaient d’ailleurs de passer de 440 millions d’euros à 480 millions d’euros, et les plus entreprenants essayaient de monter à 500 millions d’euros, pour ne pas dire 520 millions d’euros. Tous ces amendements ont été retirés par Monsieur Martin- Lalande. Je regrette d’ailleurs – mais cela est peut-être dû au modèle de discussion du projet de loi de finances – que le budget de l’audiovisuel public ne se discute pas au moment des dépenses c’est-à-dire au moment des discussions sur le budget de communication auxquelles participera Monsieur le Ministre -, mais qu’il se discute en première partie de loi de finances, au moment des recettes. De mon point de vue, un rapport de forces très défavorable à la production audiovisuelle et cinématographique existait hier dans l’hé micycle. Le rapporteur général et le gouvernement ont été intraitables. Il manquera 70 millions d’euros à l’audiovisuel public en 2005. Attendons maintenant les corrections, mais nous pouvons douter de leur venue. La production de documentaires est en crise, la production de fictions est mal financée et la TNT ne démarrera sans doute pas avant la fin 2005. C’est la réalité du débat parlementaire auquel j’ai participé hier.