L`Affaire Colonna Une Bataille de Presse

Transcription

L`Affaire Colonna Une Bataille de Presse
L’Affaire Colonna
Une Bataille de Presse
© Éditions Jean Paul Bayol, 2009
Gérard Amaté
L’Affaire Colonna
Une Bataille de Presse
Avant-propos
L’Affaire Dreyfus, à laquelle celle de
Colonna a été comparée, présentait plusieurs aspects. Il y a eu l’affaire
d’espionnage proprement dite, et les
erreurs judiciaires commises par trois
tribunaux militaires successifs, qui
condamnèrent Dreyfus à deux reprises,
et acquittèrent Esterhazy. Il y a eu aussi
une bataille de presse qui partagea l’opinion publique, et eut de telles
conséquences politiques qu’on nomma
ce moment de l’Histoire la Révolution
dreyfusarde.
Ces deux aspects se retrouvent aussi,
à des degrés divers, dans l’affaire
Colonna.
Il y a eu l’affaire du meurtre, et l’entêtement
de
plusieurs
tribunaux
d’exception à trouver Colonna coupable.
Il y a eu aussi, lors du procès en appel,
le début d’une bataille de presse qui
n’est peut-être pas terminée. Elle
opposa ceux que le déroulement du
procès scandalisait à ceux qui voulaient
à tout prix la condamnation de l’accusé.
L’ouvrage présent rend compte de ces
1
engagements. Il se base sur les articles
que les principaux quotidiens en ligne
ont consacré au deuxième procès
Colonna : Le Figaro, 20 Minutes, Le
Monde, Libération, Le NouvelObs qui,
sur Internet, fonctionne en quotidien. Le
Parisien, France-Soir, l’Humanité ont
aussi été sollicités, ainsi que divers sites
d’information spécifiques au web, dont
Rue89.
Il était apparu, durant les débats, que
le camp de ceux qui hurlaient à la mort
de Colonna était mené par Libération,
tandis que Le Figaro entraînait ceux qui
dénonçaient une mascarade de justice.
La mise en perspective de ces deux
positions permet de constater qu’elles
ne devaient rien au hasard. C’est en réalité l’ensemble de la grande presse liée
au PS et au PC qui fut, dans cette
affaire, du même avis que la police et la
justice d’exception.
À droite comme à gauche de cette
presse, on se révolta au nom des principes d’indépendance et d’équité de la
justice, et l’on ne se priva pas de dénoncer les mensonges concertés des
policiers.
Les héritiers de Jaurès, Blum, et du
dreyfusisme avaient, en la circonstance,
2
l’air d’être ceux de Drumont, Maurras et
l’Action Française. Ce n’est sans doute
pas pour rien.
3
Quelques repères chronologiques
1997
6 septembre : Attaque de la gendarmerie de Pietrosella. Les gendarmes
sont neutralisés, leurs armes dérobées,
et les assaillants font sauter le bâtiment.
1998
6 février : Le préfet de Corse Claude
Érignac est tué à 21 heures 05 devant
une salle de concert à Ajaccio.
9 février : L’assassinat est revendiqué
par un groupe anonyme, qui mentionne
en guise d’authentification l’utilisation
d’une arme volée à la gendarmerie de
Pietrosella. Bernard Bonnet est nommé
préfet de Corse, en remplacement de
Claude
Érignac,
par
Jean-Pierre
Chevènement.
L’enquête est menée par la Division
Nationale Anti-Terroriste (la DNAT),
dirigée par Roger Marion.
16 novembre : Bonnet fait parvenir au
4
procureur de la République une note
faisant état des révélations de deux de
ses indicateurs. Elles mettent en cause
Andriuzzi et Castela d’abord, Ferrandi
ensuite.
10 décembre : Bonnet réitère et
complète ses informations.
1999
8 février : Dernière note de Bonnet au
procureur.
6 mai : Le préfet Bonnet est mis en
examen et écroué dans l’affaire des
paillotes.
21 et 22 mai : La DNAT arrête Didier
Maranelli, Pierre Alessandri, Marcel
Istria, et Alain Ferrandi, ainsi que cinq
autres personnes. Les téléphones portables de Maranelli, Alessandri et
Ferrandi aident à les confondre.
22 mai : Yvan Colonna est mis en
cause dans Le Monde. Lui et son frère
donnent le soir une interview à TF1.
Nuit du 22 au 23 mai : Maranelli livre
les noms de Joseph Versini, Martin
Ottavioni et Yvan Colonna. Il désigne ce
dernier comme le tueur.
5
23 mai : Les policiers interpellent
Ottavioni et Versini, mais ne mettent pas
la main sur Colonna.
30 mai :
Andriuzzi.
Arrestation
de
Vincent
1er octobre : Roger Marion devient
directeur central adjoint de la police
judiciaire.
2 décembre : Arrestation de Jean
Castela.
2000
26 octobre : Alessandri revient sur ses
aveux et affirme qu’Yvan Colonna n’était
pas présent sur les lieux du crime.
19 décembre : Une lettre manuscrite
d’Yvan Colonna parvient à la presse. Il y
déclare son innocence.
2001
2 août : Clôture de l’enquête sur
l’assassinat de Claude Érignac. Le cas
de Colonna est disjoint.
2002
7
6
mai :
Alain
Ferrandi,
Didier
Maranelli, Pierre Alessandri, Marcel
Istria, Martin Ottaviani, Joseph Versini,
Vincent Andriuzzi et Jean Castela sont
renvoyés devant une cour d’assises
spéciale.
2003
2 juin : Ouverture du procès des huit
accusés.
20 juin : Interrogé, Pierre Alessandri
met hors de cause Yvan Colonna et
Marcel Istria. Maranelli, Ottaviani et
Ferrandi confirment que Colonna et
Istria ne faisaient pas partie du commando.
4 juillet : Arrestation d’Yvan Colonna.
Nicolas Sarkozy déclare publiquement
qu’il s’agit de « l’assassin du préfet
Érignac ».
11 juillet : La cour spéciale condamne
Alessandri et Ferrandi à la réclusion
criminelle
à
perpétuité,
comme
coauteurs de l’assassinat. À trente ans
de prison Andriuzzi et Castela comme
commanditaires du crime. À vingt-cinq
ans Maranelli pour avoir couvert les
tueurs. À vingt ans Ottaviani et Istria
pour les avoir transportés. À quinze ans
Joseph Versini pour sa participation à
7
l’attaque de la gendarmerie de
Pietrosella. Istria, Andriuzzi et Castela
se disaient innocents. Ces deux derniers
font appel.
2004
27 septembre : Devant l’imminence
d’une clôture de l’enquête concernant
Colonna, Pierre Alessandri écrit au juge
Le Vert et se dénonce comme le tireur
qui a abattu le préfet.
14 octobre : Alessandri réaffirme sa
déclaration devant le juge Thiel.
2006
23 février : Andriuzzi et Castela sont
acquittés en appel : l’équipe de Roger
Marion avait maquillé les procèsverbaux qui avaient servi à les faire condamner en première instance. Ils sont
condamnés pour d’autres faits à huit et
dix ans de réclusion.
21 mars : Ils sont mis en liberté conditionnelle.
2007
5 janvier : Nicolas Sarkozy se félicite
devant la presse que Colonna soit en
8
prison.
14 janvier : Dans son meeting
d’investiture comme candidat aux
élections présidentielles, il réitère et
loue « la République réelle », « celle qui
met en prison » Yvan Colonna. Le maintien de celui-ci sous les verrous est ainsi
mis au rang d’une promesse électorale.
12 novembre : Début du premier
procès Colonna.
9
Hollande et Chevènement
Quand on demande son avis à JeanPierre Chevènement sur Yvan Colonna,
il le donne volontiers. C’est ce qu’il fit,
par exemple le 16 février 2009, sur RTL,
aux alentours de 7 heures 50. Le procès
en appel venait juste de s’ouvrir et son
issue lui semblait certaine. Il était parfaitement au courant de l’affaire,
puisqu’il était ministre de l’Intérieur à
l’époque du crime. L’accusé était sans
aucun doute l’assassin du préfet. Il en
voulait pour preuve « que plusieurs
membres du commando ont désigné
Yvan Colonna comme le tireur. » Le journaliste lui objecta : « ... Et se sont
rétractés. »
Alors,
Jean-Pierre
Chevènement fit un énorme mensonge :
« Mais ils se sont rétractés longtemps
après avoir été condamnés. »
En réalité, ils l’avaient fait avant, en
2000 et 2001, ou au plus tard en 2003,
pendant le déroulement de leur procès,
lorsqu’on les avait interrogés à ce sujet.
Ceux qui ne veulent pas croire à ces
rétractations en donnent pourtant cette
explication : les terroristes n’avaient
plus rien à perdre, puisqu’ils avaient
10
déjà été lourdement condamnés, à perpétuité pour deux d’entre eux.
Ce n’est cependant pas dans cet ordre
que les choses s’étaient passées. Aucun
d’eux n’avait encore été condamné
quand ils revinrent sur leurs aveux, et
tous aggravaient leur cas en affirmant
l’innocence du principal suspect. S’ils
mentaient à la Justice pour protéger
l’assassin, elle saurait s’en souvenir au
moment du verdict. S’ils disaient la
vérité, il leur faudrait alors payer seuls
le prix du meurtre, et ce ne serait pas
gratuit non plus.
L’urgence de sauver un complice ne
pouvait que faiblement motiver leurs
rétractations : Colonna était encore
libre lorsqu’ils les firent. On ne peut pas
dire non plus qu’ils s’alignaient sur une
ligne de défense qu’avait choisie le fugitif. Celle-ci ne fut connue qu’en janvier
2001, lorsqu’il affirma son innocence
par une lettre à la presse. La première
rétractation, celle d’Alessandri, datait
d’octobre 2000. Avant elle, personne ne
mettait sérieusement en doute la culpabilité de Colonna.
La carrière ministérielle de JeanPierre Chevènement s’est arrêtée le 29
août 2000, quand il démissionna du
11
ministère de l’Intérieur. Il avait occupé
ce poste au gouvernement Jospin depuis
1997. Il protestait alors contre les
accords de Matignon, qui reconnaissaient les mouvements indépendantistes
corses. Tel est le combat du leader souverainiste : celui de la République, une
et indivisible. Le séparatisme corse y est
un ennemi avec qui on ne pactise pas.
Dès les débuts de son ministère, il
avait eu à endurer l’attaque de la gendarmerie
de
Pietrosella,
puis
l’assassinat du préfet Claude Érignac
avec une arme dérobée dans cette gendarmerie. On ne s’étonnera pas qu’il ait
voulu réagir vigoureusement. Il nomma,
pour succéder au préfet tué, un homme
de
confiance,
Bernard
Bonnet,
aujourd’hui célèbre pour avoir organisé
dès sa nomination un attentat sur le territoire dont il avait la charge. On ne peut
guère prétendre qu’il s’embarrassait
des moyens pour arriver à ses fins.
Sa tâche la plus urgente était de
retrouver les assassins de son prédécesseur. Il s’en acquitta en recueillant
personnellement les renseignements qui
menèrent à l’arrestation des coupables.
Ainsi qu’à celle d’un certain nombre
d’innocents dont deux d’entre eux,
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Andriuzzi et Castela, furent acquittés en
appel après avoir, en première instance,
écopé d’une peine de trente ans de
réclusion. Ils avaient pu prouver que,
dans leur cas, la police avait élaboré un
faux pour qu’il y ait parmi les coupables
toutes les personnes dénoncées à
Bonnet par ses indicateurs.
On comprend, dans ces conditions, que
Chevènement n’exprime aucun doute sur
les aveux, recueillis en garde à vue, qui
ont accusé Colonna ; et ce malgré les
rétractations de leurs auteurs, qui expliquent avoir été conduits par les policiers
à faire de fausses déclarations. Dans
cette affaire la police a toujours été couverte, jusque dans ses turpitudes
avérées. Par le préfet Bonnet qui, en
Corse, prêchait d’exemple, par le commissaire Marion, patron de la Division
Nationale Anti-Terroriste, et par le ministre qui leur donnait ses instructions.
C’est-à-dire, pendant trois ans, JeanPierre Chevènement lui-même.
Cet homme de devoir avait ainsi les
meilleures raisons du monde pour
clamer haut et fort la culpabilité d’Yvan
Colonna. Il faisait tout simplement de
son mieux pour que la justice avalise,
par une condamnation de l’accusé, l’ac13
tivité policière dont il avait été le premier responsable.
C’est un peu pour les mêmes raisons
qu’un étrange silence environna les dirigeants socialistes pendant que le procès
se déroulait. Ils n’y trouvaient rien à
redire, ni rien à commenter. À part
François Hollande, qui soudain déclara,
peu avant le verdict, « moralement inacceptable et politiquement intenable » la
comparaison que l’on commençait à
faire entre Dreyfus et Colonna.
Ce n’est pas qu’il voulait rompre avec
la discrétion observée par le PS. Il
venait, au contraire, la justifier.
L’Affaire Dreyfus avait été un épisode
fondateur de la gauche française. Elle y
avait pris de meilleures couleurs légalistes, et avait imposé, dans une
République encore incertaine de son
option démocratique, les valeurs de la
Grande Révolution, les droits de
l’homme, et l’indépendance de la justice.
Ces grands principes constituaient, en
même temps que les théories socialistes,
le socle idéologique de la SFIO, dont le
PS était l’héritier.
Pour ce qui est du socialisme luimême, les Socialistes n’y tenaient plus :
14
cela les faisait rire quand ça ne les scandalisait pas. Ils ne se réclamaient que
d’un surcroît de compassion à l’égard
des malheureux, et des principes républicains si bien affirmés durant l’affaire
Dreyfus. Que ceux-ci vinssent à manquer, et c’était un peu de la poésie du PS
qui s’envolait. C’est pourquoi François
Hollande, gardien de l’appareil, était
venu s’indigner que l’on compare
Dreyfus et Colonna. Il en allait de la
réputation du Parti. Celui-ci aurait sans
doute dû s’inquiéter des manquements à
l’équité qui faisaient la une des journaux
lors du procès en appel. Mais il ne le
pouvait plus.
15
16
Un consensus politique pour rétablir
la Cour de Sûreté de l’État
On n’était plus en 1981, quand Robert
Badinter, dans la foulée de la peine de
mort, abolissait aussi la Cour de Sûreté
de l’État. (Et la Sûreté est l’autre nom de
la Police). C’était une cour composée de
magistrats civils et militaires, à l’exclusion de tout jury populaire. Elle avait été
instaurée par de Gaulle pour expédier les
membres de l’OAS sans autre forme de
procès. Son existence était contraire aux
principes d’indépendance de la justice, et
d’égalité des citoyens devant la loi.
Quand on la supprima, on considéra
cependant que les soldats n’étaient pas
des citoyens comme les autres. Aussi
conserva-t-on une version adoucie de la
Cour de Sûreté de l’État, seulement
composée de magistrats civils, et faite
pour juger les crimes et délits militaires.
En 1986, à l’occasion du retour de la
droite aux affaires, le domaine de compétence de cette Cour fut élargi aux
affaires de terrorisme. C’est-à-dire,
comme avant 1981, aux civils. Le gou17
vernement Chirac n’osa toutefois pas
redonner son nom à cette institution
gaulliste, ni même lui donner un nom
quelconque. Il l’appela cour d’assises
spéciale, sans plus de précision.
La gauche, revenue au pouvoir, ne se
contenta pas d’accepter le rétablissement de cette juridiction d’exception.
Elle fit mieux. En 1992, elle en banalisa
l’existence, en élargissant sa compétence au trafic de stupéfiants en bande
organisée.
Si bien qu’aujourd’hui tout Français,
pourvu qu’il en ait l’âge, et qu’il se soit
rendu coupable d’activités aussi communes que la détention de stupéfiant, ou
la manifestation outrée de ses convictions, peut se retrouver jugé par une
cour d’assises spéciale, avec un jury
composé de magistrats irrécusables qui
sont aussi des correspondants privilégiés des services secrets ou de la DCRI.
Tout dépend de la qualification qu’on
voudra bien donner à l’acte commis.
Le PS, si farouchement attaché aux
principes républicains, se trouve ainsi
gêné pour dénoncer cette justice d’exception.
Il
a
participé
à
son
établissement. S’il lui arrive encore
d’être repris par des pulsions droits18
del’hommistes, c’est sur des questions
techniques ou des problèmes d’opportunité. La question de fond ne se pose pas
pour lui. Par exemple, il peut mettre en
doute la compétence des policiers qui
fournissent à la cour spéciale les accusés qu’elle juge, ou bien dénoncer
l’opportunité d’une qualification de terrorisme, comme dans l’affaire des
inculpés de Tarnac.
Dans le cas de Colonna, ces motifs
légers d’indignation n’étaient même pas
utilisables. L’enquête a entièrement eu
lieu pendant le gouvernement Jospin,
sous
l’autorité
de
Jean-Pierre
Chevènement, puis de Daniel Vaillant, et
le dossier fut directement dirigé vers
cette cour d’assises spéciale que les
socialistes ne haïssaient point. Ils
n’avaient, en conséquence, aucun sujet
de se plaindre du déroulement des opérations.
L’État avait justifié le retour de la
Cour de Sûreté de l’État par des raisons
humanitaires. Il avait expliqué qu’on ne
pouvait exposer un jury populaire à la
malveillance des terroristes ; il fallait
des tribunaux dont les jurés seraient des
magistrats professionnels. Rien ne prouvait que les organisations terroristes
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fussent, sur ce point, plus dangereuses
que la maffia ou les psychopathes en
tout genre, mais cette explication parut
à l’époque satisfaisante.
Dès sa première affaire, en 1987, la
cour condamna à perpétuité Georges
Ibrahim Abdallah sans avoir recours aux
preuves juridiques ni à la prise en
compte des témoignages, et sur la seule
base des données fournies par les services secrets. On crut à une bavure
judiciaire, provoquée par l’émoi d’une
vague d’attentats à Paris au même
moment.
La presse s’en scandalisa quand
même, et puis elle s’habitua : c’était en
réalité le fonctionnement normal de ces
étranges tribunaux. Dans le cas
d’Abdallah, on sut plus tard, par le
Verbatim d’Attali rapportant un entretien de Reagan avec Mitterrand, que sa
condamnation avait été exigée par les
États-Unis, qui étaient partie civile dans
cette affaire.
En 1992, l’extension des compétences
de la cour spéciale aux affaires de drogue
se fit sans soulever de vagues. On ne
s’alarma pas du développement de cette
nouvelle justice, qui amoindrissait les
droits de la défense, et dont l’indépen20
dance à l’égard de l’exécutif n’était plus
garantie. Il fut admis qu’elle ne déparait
pas parmi d’autres juridictions d’exception, comme les conseils de prud’hommes
ou les tribunaux de commerce qui, pour
être particulières, n’étaient pas attentatoires aux libertés publiques. C’était en
tout cas l’avis des principaux partis de
gouvernement qui, à droite comme à
gauche, avaient en charge la République.
On ne s’étonnera pas, en conséquence, de la façon dont la presse
rapporta l’activité des deux tribunaux
qui, successivement, condamnèrent
Yvan Colonna à la perpétuité. Elle n’avait
pas à se faire plus républicaine que la
République. Elle commenta ces procès
comme s’il allait de soi qu’ils pouvaient
être équitables.
21
Le procès en première instance
En 2003, le procès des présumés complices de Colonna n’avait pourtant guère
brillé par son équité. La justice spéciale
avait eu la main lourde pour tout le
monde, qu’il y eût ou non des preuves
d’une implication dans l’assassinat du
préfet : perpétuité pour les exécutants,
Alessandri et Ferrandi ; trente ans pour
les commanditaires, Andriuzzi et
Castela (car ici, contrairement à la vie
ordinaire, les ouvriers étaient plus gratifiés que leurs patrons) ; mais aussi vingt
ou vingt-cinq ans pour les complices,
Istria, Otaviani et Maranelli ; et quinze
ans de réclusion pour Versini, qui avait
refusé de prendre part au meurtre.
Trois des condamnés criaient encore
leur innocence, mais le tribunal n’avait
pas fait dans le détail. C’était une version moderne de « Tuez-les tous, Dieu
reconnaîtra les siens ». La presse avait
noté le comportement étrange du président, qui oubliait de poser les bonnes
questions aux accusés et aux témoins.
Elle s’était également étonnée que le
22
préfet Bonnet, dont les informations
avaient servi à démasquer le commando,
et qui réclamait d’être entendu comme
témoin, ne soit pas appelé à la barre.
Mais comme, de toute façon, personne
ne doutait que les accusés fussent coupables, ce jugement ne fit pas scandale.
Les jurés avaient certes eu le jugement
sévère et l’entendement embarrassé :
du moins n’avaient-ils pas condamné
d’innocents, croyait-on. Trois ans plus
tard, il fallut déchanter.
Andriuzzi et Castela, condamnés à
trente ans de réclusion, avaient fait
appel. On les avait considérés comme
les donneurs d’ordre du commando
dirigé par Ferrandi. Ces trois hommes
avaient été dénoncés d’emblée au préfet
Bonnet par son informateur principal,
Corte. Son autre informateur n’avait
livré, quant à lui, que les seuls noms
d’Andriuzzi et Castela. C’est dire si la
culpabilité de ces deux-là ne faisait
aucun doute aux yeux des policiers. Les
procès-verbaux établis par la DNAT
avaient parfaitement confirmé ce que
les informateurs avaient révélé.
En appel, il s’avéra que l’un de ces
procès-verbaux était un faux, perpétré
par le commandant Lebbos, qui avait
23
procédé à l’interrogatoire. Le tribunal
prononça la relaxe d’Andriuzzi et
Castela, qui furent condamnés sans
preuve pour deux faits de plasticage
jamais élucidés, jusqu’à concurrence
des huit années de prison qu’ils avaient
accomplies. On encensa le président du
tribunal, qui avait mené les débats de
manière exemplaire. Certains s’étonnaient même qu’il en fût ainsi, et
supposèrent que l’affaire d’Outreau
avait rendu la justice prudente à l’égard
des certitudes policières, ou bien qu’elle
profitait de l’occasion pour s’en affranchir un peu.
Quoi qu’il en soit, un parfum d’indépendance judiciaire flottait autour de la
cour d’assises spéciale lorsque s’ouvrit
le premier procès d’Yvan Colonna.
La famille et les amis en venaient
presque à se réjouir qu’il n’y eût pas de
jury populaire, tant l’opinion était persuadée qu’Yvan était coupable. Un
avocat de la défense, Me Pascal
Garbarini, déclarait : « Je pense qu’on
aura droit à un procès honnête et équitable, où les droits de la défense seront
respectés. »
Cela signifiait, certes, qu’il n’en avait
aucune certitude, mais qu’il allait jouer
24
le jeu ; et puisque la défense semblait se
satisfaire des conditions qui lui étaient
offertes, on aborda ce procès comme s’il
avait lieu devant une cour ordinaire. Son
issue, d’ailleurs, ne faisait pas de doute.
Un miracle avait sauvé Andriuzzi et
Castela. Rien ne permettait de penser
qu’il en serait de même pour Colonna.
Patricia Tourancheau se fendit de
deux articles le même jour dans
Libération. L’un, très équilibré, présentait les principaux points sur lesquels
allaient respectivement s’appuyer la
défense et l’accusation : absence de
preuve pour l’une, dénonciations crédibles pour l’autre.
Le second article, sensiblement plus
long, démontait les rétractations qui
depuis 2000 et 2003 innocentaient
Colonna. Libération les qualifiait de
rétropédalage. Son opinion était faite,
en dépit des faiblesses de l’accusation,
qui n’avait que des aveux rétractés à se
mettre sous la dent.
Le Figaro, remarquant les mêmes faiblesses, n’était pas d’un avis si ferme. Il
concluait cependant : S’il pourrait en
effet être difficile de démontrer que
Colonna est le tueur du préfet Érignac, il
devrait néanmoins être aisé pour l’accu25
sation d’apporter les preuves de sa participation à l’organisation de l’homicide.
C’était à peu près l’opinion générale :
cela signifiait perpétuité pour l’accusé
dans tous les cas de figure.
Les avocats de Colonna voulaient réitérer ce qui avait réussi dans le procès
en appel d’Andiuzzi et Castela : dénoncer les méthodes de la police, que le
pouvoir politique avait mise sous pression. Avant l’ouverture des débats, ils
demandèrent le témoignage de Claude
Guéant, Secrétaire général de l’Élysée,
et précédemment Secrétaire du ministre
de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. L’homme
de confiance du nouveau président
avait, une semaine plus tôt, reçu à l’Élysée un témoin capital de l’accusation,
Roger Marion, qui avait dirigé l’enquête.
La défense exigeait qu’il vienne s’en
expliquer. Cela promettait des débats
animés, qui n’épargneraient pas le pouvoir en place. Au-delà de cette
polémique, on attendait surtout la comparution des membres du commando
qui, après avoir dénoncé Colonna, l’innocentaient. On examinerait leur
crédibilité, et l’issue du procès dépendrait de leur prestation. On n’imaginait
pas qu’à part cette incertitude il puisse
26
y avoir d’autre surprise. On se trompait.
Colonna fut entendu le deuxième jour.
On le trouva arrogant, pour un assassin.
Il est vrai qu’il plaidait non coupable.
Son père témoigna le même jour. Il se
montra grandiloquent, et incapable
d’expliquer pourquoi, dans un premier
temps, il avait cru que son fils était bien
le tueur du préfet Érignac : il avait, à
l’époque, envoyé une lettre d’excuses à
la famille de la victime. Ça commençait
plutôt mal pour l’accusé.
Colonna était aussi jugé pour l’attaque de la gendarmerie de Pietrosella,
où avait été dérobée l’arme avec
laquelle on avait tué le préfet. Elle avait
servi de signature, afin que l’on sache
que c’était le même commando qui avait
attaqué la gendarmerie et abattu Claude
Érignac.
Les deux gendarmes victimes de l’attaque témoignèrent. Ils avaient été
neutralisés, transportés, ligotés puis
abandonnés dans le maquis par le commando : ils avaient eu tout le temps
d’examiner leurs agresseurs. Ceux-ci
portaient des cagoules, mais l’un d’entre
eux avait été entr’aperçu, un homme
« au profil émacié, des sourcils broussailleux, qui se rejoignent au milieu du
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front ». Ce n’était pas du tout Colonna.
La défense essaya d’exploiter cette
petite faille. Le président y coupa court
avec un trait d’humour qui amusa la
presse. Tout baignait encore.
C’est le quatrième jour que le soupçon
s’installa. Le médecin légiste vint à la
barre. Les trois balles qui avaient abattu
le préfet, l’une à bout touchant, les deux
autres à une distance d’environ
soixante-dix centimètres, étaient toutes
mortelles. La première d’entre elles
l’avait couché au sol. Elles avaient
toutes suivi une trajectoire rectiligne, en
dépit de la situation du tireur qui, pour
la première, était placé derrière le
préfet, dans une rue montante. La position du bras pour une telle trajectoire
impliquait que l’assassin était au moins
de la même taille que le préfet (un mètre
quatre-vingt-trois), et probablement un
peu plus grand. Colonna mesurait un
mètre soixante-dix. Il lui manquait treize
centimètres pour être le tireur. Ces
constatations n’étaient pas à proprement parler une surprise. Le résultat
d’expertise du légiste était connu depuis
longtemps. On attendait surtout sa
confirmation ou non par les expertises
balistiques.
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Il y avait deux experts en balistique,
témoins de l’accusation, qui étaient
convoqués ce jour-là. Le premier, JeanClaude Piferini, s’excusait : il était
malade. Le second, Guy Hémon, respirait la santé, mais il n’avait pas le temps.
Il avait écrit au président du tribunal
qu’il était « trop occupé pour se présenter ». Celui-ci gronda : « Nous le
reconvoquerons pour lui faire comprendre l’utilité de sa présence. » On sut en
fait, dès le lendemain, qu’il ne viendrait
jamais : le bruit courait qu’il n’y avait
aucun moyen de l’y obliger.
Les parties civiles contestèrent les
conclusions du médecin légiste. Celui-ci
revint à la barre. Il expliqua longuement, avec force démonstrations
scientifiques et techniques comment il
avait procédé, ce qui eut le résultat souhaité par les contestataires : sa
déposition se perdit dans l’exposé de
détails incompréhensibles au commun
des mortels. Pour finir, on lui demanda
s’il était expert en balistique. Il dut
reconnaître que non. Dans l’attente
qu’un tel expert vienne conforter ses
affirmations compliquées, on mit son
témoignage entre parenthèses.
Le lendemain commencèrent à défiler
29
les témoins visuels du crime. La plupart
n’avaient pas vu grand-chose, mais deux
d’entre eux pouvaient donner quelques
détails. Le premier n’avait aperçu de
loin que deux hommes, et non trois. Or
deux membres du commando, Ferrandi
et Alessandri (qui s’était par la suite
désigné comme le tireur), avaient avoué
leur présence sur les lieux du crime.
Cela ne laissait pas de place à Colonna
pour y être aussi. Le second témoin était
plus intéressant. Non seulement il
n’avait vu que deux hommes, mais il
avait pu les distinguer : aucun des deux
ne correspondait à l’accusé. Cela ne
prouvait rien cependant : ces témoins
n’avaient vu aucun de ces deux hommes
tirer. L’assassin pouvait encore être un
troisième, qui avait échappé à leur
regard.
Le jour suivant on entendit MarieAnge Contart. Elle aussi n’avait vu que
deux hommes, mais l’un d’eux était l’assassin. Il était à trois mètres d’elle, et
tenait encore son arme à la main. Leurs
regards s’étaient croisés. « Il était blond
cendré, avait de petits yeux enfoncés
avec de grosses poches en dessous, un
regard perçant, des sourcils clairs, bas,
proches des yeux comme s’il n’avait pas
30
d’arcades, la bouche fine, le menton
pointu vers le bas, les joues creusées,
une barbe de quatre ou cinq jours qui
allait avec ses cheveux. »
Cela ne correspondait pas du tout à
une
description
de
Colonna.
Reconnaissait-elle en lui l’homme
qu’elle avait vu ce jour-là ? « Non, je
suis formelle. »
Le lundi suivant, ce fut au tour des
enquêteurs de comparaître. Leur supérieur hiérarchique ne donna pas
l’impression qu’il disait toute la vérité.
Roger Marion était certain de la culpabilité de Colonna, comme il était certain
de la sincérité des aveux qui avaient
dénoncé en lui l’assassin. Il y avait,
disait-il, assisté. Mais à la question précise de savoir s’il était présent lorsque
Didier Maranelli avait le premier donné
au commandant Lebbos le nom de
Colonna, il finit par crier : « Non ! ».
Lorsqu’on lui demanda la raison de
cette malencontreuse absence, il l’expliqua par la soudaine envie d’aller
s’acheter une bière et un sandw ich. On
admira qu’un si haut fonctionnaire fasse
lui-même ses petites courses, et l’on
s’émerveilla qu’il les fît à deux heures
du matin, un dimanche de Pentecôte.
Qu’il fût ou non présent aux aveux
31
avait une certaine importance. Le commandant Lebbos, déjà condamné pour
avoir utilisé à des fins personnelles les
moyens professionnels dont il disposait,
et passible des assises pour avoir falsifié
un procès-verbal, n’offrait aucune
garantie d’honnêteté professionnelle.
On ne pouvait exclure qu’il ait extorqué
à Maranelli des aveux mensongers,
comme celui-ci le prétendait.
Le même jour, l’ex-préfet Bonnet
témoignait aussi. Il confirma n’avoir
jamais reçu de son indicateur le nom du
tireur, et même avoir des doutes sur
l’implication d’Yvan Colonna dans l’affaire. Sa source lui avait bien parlé d’un
Colonna, mais elle avait omis d’en préciser le prénom (et c’était bien dommage,
puisqu’il y a cent quinze Colonna dans
l’annuaire pour la seule ville d’Ajaccio).
Les autres policiers furent plus
convaincants. Le commissaire Frizon
présenta de façon crédible sa thèse de la
spontanéité des aveux. Le contrôleur
général Veaux défendit celle de la
confection d’alibis par Colonna durant
sa cavale. Cela expliquait notamment
celui qu’il avait pour l’attaque de la gendarmerie
de
Pietrosella :
un
restaurateur jurait qu’il était dans son
établissement, à Ajaccio, avec son fils,
32
au moment des faits.
L’audition du juge Bruguière laissa
une impression plus mitigée. Le juge
anti-terroriste avait, en mars 1998, procédé à une reconstitution, avec des
figurants. La plupart des témoins
n’avaient vu que deux hommes sur la
scène du crime. Il en avait placé trois,
sur la foi du seul témoin qui en avait
observé autant, et qui n’était pas sûr
qu’ils fussent ensemble : il ne lui avait
pas semblé qu’ils venaient tous de la
même direction.
Ce n’était plus une reconstitution,
mais la simple illustration d’une hypothèse. C’est pourtant la seule qui, en dix
ans, aura eu lieu. La justice ni l’instruction n’en voulurent jamais d’autre.
Quand on demanda au juge Bruguière
les raisons de son choix, qui contredisait
la plupart des témoignages, il eut cette
réponse de bon sens : « Les témoins
peuvent se tromper. » Il oubliait de préciser que lui aussi.
En fin de semaine déposèrent les
femmes des membres du commando
déjà condamnés. Elles avaient toutes
impliqué Colonna dans un premier
temps, et la plupart s’étaient rétractées.
Elles ne furent pas très convaincantes.
33
Jeanne Ferrandi surtout, dont le témoignage était important, ne se souvenait
de rien. Les assassins s’étaient retrouvés chez elle, la nuit du crime. Elle avait
autrefois dit qu’il y avait Yvan Colonna.
Elle se présenta à la barre dans un état
pitoyable, encore mal remise d’une
grave dépression. Elle n’était pas sûre
des souvenirs qui lui restaient, et le plus
souvent elle avait oublié.
Valérie Dupuis, l’ex-compagne de
Didier Maranelli, n’était pas sûre non
plus de la date exacte où Yvan Colonna
était passé chez elle. Nicole HuberBalland, la compagne de Joseph Versini,
livra un témoignage partiel : on sentait
qu’elle cachait encore des choses.
Michelle Alessandri, qui était passée
prendre son mari chez les Ferrandi, le
lendemain matin du crime, était affirmative : Colonna n’était pas parmi les
assassins.
Le policier qui avait à l’époque
recueilli la déposition où elle disait le
contraire fut catégorique : elle n’avait
subi aucune pression pour avouer la présence de Colonna chez les Ferrandi.
Cependant, à y regarder de plus près,
les témoignages des femmes, qui
34
avaient l’air désastreux pour la défense,
l’étaient tout autant pour l’accusation.
Jeanne Ferrandi expliqua que le commissaire Frizon, qui avait fait si bonne
impression en défendant la thèse de la
spontanéité des aveux lors des gardes à
vue, avait, pour obtenir les siens, braqué
son arme de service sur la tempe de son
enfant de trois ans.
On apprit que le policier qui avait
interrogé Nicole Huber-Balland lui avait
d’abord
montré
le
procès-verbal
d’Alessandri, où figurait le nom de
Colonna.
Françoise Dufour, qui avait supervisé
l’interrogatoire de Michelle Alessandri,
admit qu’on avait fait voir à celle-ci les
aveux de Maranelli. Les interrogatoires
avaient été poreux, et les pressions
manifestes.
Pour couronner le tout, les doutes de
Valérie Dupuis, quant au jour où
Colonna était passé chez elle, étaient
assez récents. Ils dataient de 2005,
quand elle avait été convoquée chez le
juge Levert. Valérie Dupuis avait été la
première à évoquer le nom d’Yvan
Colonna durant l’enquête. C’est à cause
de cela que les policiers étaient allés
chercher des aveux le concernant. Elle
disait qu’il était venu voir son mari le
35
lendemain matin du crime, et cela avait
paru suspect.
Mais s’il se trouvait chez elle à ce
moment-là, il ne pouvait se trouver au
même moment à cinquante kilomètres
de là, chez les Ferrandi où étaient
encore réunis les auteurs de l’assassinat, ainsi que le prétendaient les aveux
depuis lors rétractés de Jeanne Ferrandi
et Michelle Alessandri.
Le témoignage de Valérie Dupuis
n’avait jamais été rétracté ni contesté. Il
offrait à Colonna le meilleur des alibis. Il
ne devint incertain qu’après une convocation du témoin chez le juge Levert, qui
lui demanda, sept ans après les faits, si
elle était vraiment sûre de la date exacte
à laquelle elle avait vu Colonna.
Tout cela n’avait pas échappé aux
observateurs, chez qui le doute s’était
installé. Ils avaient pensé que le témoignage des membres déjà condamnés du
commando serait le point central de ce
procès. Ils en attendaient désormais
bien plus qu’un intérêt dramatique. Ils
en attendaient des certitudes : les
auteurs et les complices du crime sauraient au moins si Colonna y avait ou
non participé.
Maranelli fut entendu avant les
autres. Il passait juste après les femmes,
36
le même jour. Son ex-compagne, Valérie
Dupuis, avait été la première à citer
Colonna. Il avait été, lui, le premier
membre du commando à le dénoncer.
On savait, par les policiers eux-mêmes,
que les interrogatoires n’avaient pas été
étanches. L’aveu primordial de Maranelli
n’en revêtait que plus d’importance. Il
expliqua qu’on le lui avait extorqué, et
qu’il avait signé une fausse déclaration.
On n’était pas obligé de le croire sauf
que son interrogatoire avait été mené
par le commandant Lebbos, avec qui
tout était possible. Roger Marion avait
certes juré qu’il y avait assisté, mais
avait finalement reconnu qu’il s’en était
absenté au moment critique.
Maranelli revendiquait par ailleurs sa
participation au crime (il avait fait le
guet), et réaffirmait devant la cour que
l’accusé n’y était pas mêlé.
Alessandri, qui avait écopé comme
Ferrandi d’une réclusion criminelle à
perpétuité, s’accusait d’être l’auteur des
coups de feu sur le préfet. On lui reprocha le caractère tardif de cet aveu (il
l’avait fait en 2004) qui en compromettait la crédibilité. Il avait cependant
affirmé dès 2000 l’innocence de
Colonna. C’était quelques mois avant
que ce dernier ne la revendique dans
37
une lettre à U Rimbubu. Jusqu’alors,
personne n’avait imaginé que le fugitif
ne soit pas l’assassin.
Alessandri expliqua qu’il ne s’était
pas dénoncé en 2003, lors de son
procès, parce qu’il n’était pas encore
prêt à assumer totalement son acte.
C’était une explication qui en valait une
autre, mais lorsqu’on le questionna sur
le modus operandi du meurtre, il refusa
de répondre. En ce sens, il se conformait
à une tradition de la lutte armée, qui est
de ne jamais donner le détail des opérations. Ce refus d’en dire plus, au motif
qu’il ne faut pas renseigner l’ennemi, ne
faisait pas l’affaire de l’accusé. Les
témoignages qui l’innocentaient en restaient au stade de vagues déclarations :
ils n’étaient pas circonstanciés.
Alain Ferrandi n’avait pas eu à se
rétracter, il n’avait jamais dénoncé personne. Le chef du commando confirma
que celui-ci se composait de sept personnes. C’était le nombre auquel était
arrivée la police, et qu’il avait validé
sans discuter. Seules six personnes
avaient été condamnées. Il restait pour
Colonna la place du septième. Ferrandi
démentit que ce soit le cas, mais refusa
« d’entrer dans le factuel ». En déses38
poir de cause, Yvan Colonna le questionna directement : « Alain, je vais te
parler franchement. On m’a accusé à
tort. Maintenant, il faut dire les choses,
dire la vérité, que je n’y étais pas. Alain,
je te le demande : j’y étais ou j’y étais
pas ? »
Ferrandi consentit à faire un effort,
mais sans se départir de sa ligne de
conduite, qui était de n’apporter par luimême aucune information :
« Je sais que tu es un homme d’honneur. Si tu avais participé à cette action,
tu l’aurais revendiquée. Par conséquent,
je te confirme que tu n’y étais pas. »
L’effet fut désastreux. On retint qu’il
n’avait pas voulu apporter un témoignage direct de l’innocence de Colonna.
Joseph Versini n’avait pas participé à
l’assassinat de Claude Érignac. Il s’était
déclaré, au dernier moment, incapable
de tuer un homme. Il purgeait une peine
de quinze ans de réclusion pour avoir
attaqué la gendarmerie de Pietrosella en
compagnie de ceux qui allaient tuer le
préfet. Il était éligible à une libération
conditionnelle. Il n’avait pas grand intérêt à affirmer à la barre une complicité
renouvelée avec les assassins. Il fut
pourtant catégorique : Colonna n’avait
39
pas participé à l’attaque de la gendarmerie. Il avait autrefois dit tout le
contraire. Il s’en expliqua en ces
termes :
« Faut dire ce qu’eux veulent sinon, on
s’en sort plus. Je reconnais aujourd’hui
que j’ai eu un manque de courage. J’ai fait
que répéter ce que les flics me disaient. »
Il refusa lui aussi de détailler l’action
pour laquelle on l’avait condamné.
Ferrandi, qui ne voulait jamais donner
aucun renseignement aux autorités,
avait très facilement concédé que son
commando comprenait sept hommes. À
la reprise des débats, Colonna émit une
hypothèse qui contrecarrait cet aveu :
« J’ai le sentiment qu’ils ont fait le choix
de prendre le risque de me faire
condamner à perpétuité, bien que je sois
innocent, pour protéger quelqu’un d’autre ou quelques-uns. »
Martin Ottaviani avait servi de chauffeur. Il précisa qu’il était un moment
sorti de sa voiture pour faire le guet.
Cela pouvait expliquer qu’un témoin ait
vu trois personnes au lieu de deux sur la
scène du crime.
Marcel Istria n’avait pas dénoncé
Colonna, et pour cause : il se disait par40
faitement
étranger
à
l’affaire.
Condamné à vingt ans de réclusion, il
n’avait pourtant pas fait appel, contrairement à Andriuzzi et Castela. Il
espérait une prochaine libération conditionnelle, et n’avait pas voulu risquer
une condamnation plus lourde en
seconde instance. Il n’avait rien à dire
sur la participation ou non de Colonna
au commando, puisqu’il en ignorait tout,
mais il témoigna des conditions dans lesquelles s’était déroulée sa garde à vue.
Contrairement aux autres, il n’avait ni
femme ni enfant. On ne pouvait exercer
de pression sur lui en menaçant sa
famille. Alors, on le frappa, la tête
cognée contre le mur, et les claques sur
les oreilles « pour faire éclater les tympans ».
Maranelli aussi s’était plaint de violences physiques. Le commandant
Lebbos gardait au contraire un merveilleux souvenir de ces interrogatoires.
« L’ambiance était excellente », déclarat-il. Un peu plus tard, une amie de son
ex-femme, citée par la défense, vint
apporter une précision sur l’heureux
caractère du policier : « C’est un homme
extrêmement violent. »
Après ces témoignages, l’accusé dut
41
justifier ses quatre ans de cavale. Elle
n’avait, selon lui, pas été immédiate. On
avait arrêté les premiers membres du
commando le 21 mai 1999. Le 22 mai,
Colonna fut averti qu’un article du
Monde le citait parmi les suspects. Avec
son frère et son beau-frère, également
soupçonnés, il donna une interview à
TF1 pour affirmer qu’il n’avait rien à
voir avec cette affaire. Le 23 au matin,
les gendarmes vinrent l’arrêter. Ils ne le
trouvèrent pas chez lui, mais, contrairement à ce qui avait été dit, il n’était pas
en fuite pour autant. Sa journée de
berger commençait à 3 heures du matin,
quand il se levait pour aller aux chèvres,
et finissait à la tombée du jour. Il avait
dormi quelques nuits sur place, et
n’était redescendu de la montagne que
le 26, pour apprendre en chemin qu’il
était devenu l’homme le plus recherché
de France. Il prit la fuite à ce moment-là.
Il la justifia par les dizaines d’arrestations qu’on opérait en Corse à cette
époque, où les suspects restaient en
prison pendant des mois et des années
avant d’être libérés, blanchis de tout
soupçon. Il n’avait pas voulu en passer
par là. Il avait préféré attendre en
liberté que la situation s’éclaircisse,
42
mais il n’était pas parti de l’île, en dépit
des propositions qu’on lui avait faites de
s’en aller à l’étranger.
On examina ensuite son emploi du
temps le jour du crime. Il n’avait pas à
proprement parler d’alibi. Comme d’habitude, il s’était occupé des chèvres et
avait livré du bruccio, en compagnie de
son associé. Il en avait terminé à la
tombée de la nuit, vers 18 heures, c’était
en février. Il était passé prendre une
douche chez sa tante, où il se lavait
habituellement, car il y avait chez lui un
problème de pression d’eau. Un grand
nombre de témoins l’avaient vu à
Cargèse jusqu’à 20 heures.
Ces témoignages ne semblaient pas
concertés. Ils avaient été recueillis en
1999, le jour de sa disparition dans le
maquis. Ils étaient tous concordants,
sans être identiques. Ils ne garantissaient pas que Colonna n’avait pu être à
9 heures du soir à Ajaccio, pour tuer le
préfet, mais ils lui laissaient à peine le
temps d’y aller. Ils contredisaient le
témoignage que la police avait obtenu
plus tard de Michèle Alessandri, lors de
son interrogatoire : elle y indiquait que
Colonna était chez elle à 17 heures 30,
en compagnie de son mari et d’autres
43
membres du commando qui quittaient
Cargèse pour Ajaccio.
Surtout, ils laissaient supposer un
bien invraisemblable hasard. En effet, le
préfet était arrivé très en retard au
concert devant lequel les tueurs l’attendaient.
Ceux-ci
allaient
repartir
lorsqu’ils virent apparaître Claude Érignac. Colonna ne pouvait pas non plus
être arrivé à l’heure au rendez-vous
mortel, s’il était parti à 20 heures de
Cargese. On pouvait imaginer que l’assassin soit venu seul. On ne pouvait pas
penser qu’il avait prévu le retard de sa
victime.
Le dernier témoin était Claude
Guéant, Secrétaire général de l’Élysée,
et éminence grise du président Sarkozy.
On lui demanda la raison de son entrevue avec Roger Marion, une semaine
avant l’ouverture du procès. C’était, prétendit-il, parce que celui-ci avait trouvé
sur son répondeur une menace de mort
proférée avec un accent corse. Le
Secrétaire général avait proposé à l’excommissaire et tout nouveau préfet une
protection renforcée que celui-ci refusa.
C’était, en somme, pour informer au
plus haut niveau de l’État de ce coup de
téléphone sans conséquence que Roger
44
Marion aurait sollicité et obtenu un
rendez-vous à l’Élysée. Quant aux soupçons de subornation de témoin, Claude
Guéant les trouvait ridicules : « Je n’ai
en aucune façon influencé le témoin,
pour la simple et bonne raison que nous
n’avons pas évoqué le fond. »
La défense avait demandé qu’une
nouvelle reconstitution du crime soit
organisée après celle, très imparfaite,
du juge Bruguière en mars 1998. Le président du tribunal avait reconnu que
« des hypothèses nouvelles ont été abordées » depuis l’ouverture des débats. Il
ne pouvait décemment pas s’y opposer.
La défense tablait sur les témoignages
oculaires qui innocentaient Colonna, et
dont la reconstitution primitive, effectuée bien avant l’arrestation du
commando, n’avait pu tenir compte.
Contre toute attente, le président refusa
qu’on procède à cette mise à jour. Il
rejeta la demande de reconstitution.
C’était apparemment pour une raison
de principe connue de lui seul, puisqu’il
n’épargna ni la peine, ni le temps, ni
l’argent qu’aurait coûtés une reconstitution. Il ordonna, pour calmer la défense
et les observateurs du procès, le déplacement de la cour à Ajaccio, afin que
45
chacun se fasse une idée des lieux. Il
résuma bien l’inutilité de cette coûteuse
escapade, par une morale tout aussi inutile : il laissait « à chaque partie le soin
de tirer les enseignements qu’elle
estime devoir en tirer. »
Et déjà la partie civile faisait part des
siens : « Certes, il n’y a pas d’indices
matériels. (...) Mais c’est parce que tout
a été fait pour qu’il n’y en ait pas. »
Ce qui rappelait étrangement l’hypothèse en vogue, selon laquelle les deux
tours de New-York avaient été détruites
par le Mossad et la CIA. Ce fut pourtant
la thèse complotiste qui eut les faveurs
de la cour d’assises spéciale. Le 13
décembre 2007, après cinq heures de
délibération, elle condamnait Yvan
Colonna à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de Claude
Érignac. Au bénéfice du doute, titrait
avec amertume Le Figaro.
Cette condamnation laissait une
impression bizarre. On n’avait pas douté
d’elle avant que le procès ne s’ouvre,
puisqu’on croyait généralement que
Colonna était coupable. Mais le procès
n’avait pas pu le démontrer. C’était
plutôt le contraire qui s’était passé :
l’expertise médico-légale ou le témoi46
gnage de Marie-Ange Contart, qui avait
vu l’assassin de près, dédouanaient
Colonna. On avait alors envisagé qu’un
acquittement soit possible, et l’on s’était
rendu compte, à l’énoncé du verdict,
qu’on n’y avait jamais vraiment cru.
Bien qu’il ne soit pas en phase avec les
débats qui s’étaient tenus, il ne surprenait personne. Les nationalistes et les
avocats de Colonna dénoncèrent une
condamnation décidée à l’avance dans
un procès politique.
La presse n’en était pas là. Il y avait
eu un consensus entre elle et la justice
antiterroriste, fondé sur l’opinion partagée d’une culpabilité de l’accusé.
Celle-ci n’était plus certaine, mais la
cour n’avait pas fait une impression exécrable. Le procès s’était déroulé dans
une ambiance acceptable, et l’on avait
même souligné la qualité du dialogue
que le président du tribunal avait instauré avec Yvan Colonna. La culpabilité
n’avait été prononcée qu’à la majorité
des jurés. Il semblait donc que les
magistrats avaient eu des avis partagés,
et l’on pouvait encore comprendre que
les partisans d’une condamnation l’aient
emporté. Certains membres du com47
mando, et particulièrement le chef,
Ferrandi, n’avaient pas été très nets
dans leurs témoignages en faveur de
l’accusé. La police avait affirmé sans
faille la certitude qu’il était l’assassin.
L’enquête avait été contestée, mais pas
au point d’être remise en cause fondamentalement. Le verdict semblait
abrupt, mais il y avait eu des éléments
qui le justifiaient.
Colonna faisait appel, et la presse
voulait encore croire en la justice antiterroriste. Rue89 ou Le Figaro, qui plus
tard s’indigneront de la façon dont l’appel
se
déroulera,
résumaient
l’impression générale : La justice est
passée. Elle repassera. Dans quelques
mois.
48
49
Le procès en appel :
les camps se forment
L’indulgence avec laquelle la cour
d’assises spéciale était encore considérée avait aussi son revers. On ne
dénonçait pas en elle une héritière brutale de la Cour de Sûreté de l’État. On la
créditait au contraire d’une grande
sagesse, puisque son jury n’était composé que de magistrats professionnels.
Elle n’avait, en conséquence, pas droit à
l’erreur.
Le premier procès n’avait pas
répondu à cette exigence, puisqu’il y
avait des doutes sur la culpabilité du
condamné. On attendait de l’appel que
ces doutes soient levés. Bakchich résumait le problème : Ce lundi, onze ans
après l’assassinat du préfet Érignac,
débute le procès en appel d’Yvan
Colonna, condamné en première instance à la perpétuité. Avec un seul but,
obtenir plus qu’une demi-vérité.
20 Minutes titrait Yvan Colonna : Un
nouveau procès en appel pour faire
toute la lumière.
Ces quotidiens ne demandaient qu’à
être convaincus. 20 Minutes colportait
50
encore cette légende défavorable à l’accusé : quand Colonna est finalement rattrapé, quatre ans plus tard, puis jugé,
les nationalistes se rétractent.
Ce n’était pas exact, puisque les
rétractations dataient d’avant. Il ajoutait
aussi : Lors du premier procès, la
défense avait marqué des points en
dénonçant les errements de l’enquête,
marquée à l’époque par une guerre des
polices. Mais ses efforts avaient été
détruits par les témoignages à la barre
des membres condamnés du commando
et de leurs épouses.
Toutefois, l’accent mis sur le témoignage de Ferrandi, Une phrase à double
sens qui avait pesé lourd dans le verdict,
sonnait comme une demande d’éclaircissement à ce sujet.
Les journalistes accordaient à la question de ces témoignages une importance
plus ou moins grande selon leur degré
de conviction en la culpabilité de
Colonna.
Dans Rue89, Philippe Madelin se
posait trois questions : Dans l’équipe
des exécuteurs, étaient-ils deux ou
trois ?, (...) Faire parler les indices, mais
là aussi, pas de preuves, (...) Quelle était
la motivation du meurtre ? Elles ne
51
concernaient que la scène et le mobile
du crime. C’était vouloir en rester aux
faits et ne plus tenir compte des dénonciations.
Dans Libération au contraire, Patricia
Tourancheau ne voyait qu’elles : Les
témoins corses ont bien tenté de
dédouaner Yvan Colonna, mais les
phrases ou réponses toutes faites qu’ils
ont servies à la barre, sans un regard
pour l’accusé, n’ont pas pesé lourd face
à la lecture exhaustive des procès-verbaux qui l’incriminaient. Les cinq
avocats de la défense risquent donc de
buter sur le même obstacle. Comment
expliquer que les conjurés aient pu
accuser sans raison un ami, même en
fuite, s’il était innocent ? Verdict le 13
mars.
Elle faisait sienne la version de la
police, et n’en critiquait aucun aspect.
Sans aller jusqu’à un tel excès, Le
Monde était dans le même état d’esprit.
Il n’abordait, dans son article, que le
problème des dénonciations. Dans l’ensemble, la presse partait encore d’un
préjugé défavorable à l’accusé, mais ce
n’était plus du tout le même qu’auparavant. Elle demandait cette fois-ci à voir
52
la preuve de sa culpabilité.
Le premier procès s’était déroulé
dans une ambiance d’exquise urbanité.
La douceur des débats avait permis à la
cour d’éluder les questions gênantes
que tout le monde se posait. Elle avait
montré toute sa patience et sa sollicitude en se déplaçant à Ajaccio, sur les
lieux du crime, mais avait refusé, raide
comme la justice, de procéder à la
reconstitution
que
demandait
la
défense. En définitive, Colonna s’était
fait étrangler comme autrefois les familiers du Grand Turc, avec un cordon de
soie. En appel, il changea radicalement
de comportement. Il ne voulait pas que
les juges puissent à nouveau équilibrer
les anomalies judiciaires de leur comportement par des démonstrations
d’humanité et presque d’affection destinées à éviter le scandale.
Il refusa que sa famille vienne déposer pour compléter son interrogatoire
de personnalité : « La question n’est pas
de savoir si je suis un bon époux ou pas,
un bon garçon ou pas, ce qui compte,
c’est si je suis coupable ou innocent. »
Il fixait aussi son niveau d’exigence à
l’égard du tribunal : « J’attends plus de
combativité de la part des juges ici pré53
sents pour savoir comment l’instruction
a été faite. J’ai trouvé bizarre l’an dernier que seuls mes avocats posent des
questions aux trois juges d’instruction
venus à la barre. Enfin, vous ferez ce
que vous voulez, ce n’est pas à moi de
vous dicter votre conduite. »
Et tandis que le président Wacogne
continuait son questionnaire d’usage
comme si de rien n’était, l’accusé creva
l’abcès : « J’ai quelque chose à dire.
Depuis des années il y a une vérité absolue, qui veut que je sois l’assassin. En
2003, lors de mon arrestation, le président a asséné que j’étais le meurtrier. Il
n’y a de présomption d’innocence que
pour ses amis. Il affirme : « Je pense ce
que je dis, et je dis ce que je pense. » Le
président s’est engagé, il a reçu à de
nombreuses reprises les parties civiles.
Il leur a même dédié un meeting au
Bourget. Il s’est engagé à leurs côtés. Je
dis que le président de la République a
pris parti contre moi. (...) Ici, c’est un
procès politique, un procès d’État. »
Personne n’osa réagir à cette déclaration. Le président, d’abord estomaqué,
protesta de l’indépendance du tribunal :
« La cour n’a pas reçu de pression politique, aucune. Ce que vous dites est
54
désobligeant et je ne veux plus l’entendre. » La réponse fusa : « Alors, si je n’ai
plus le droit de m’exprimer, vous n’avez
qu’à m’expulser ! » L’incident était clos.
La presse le rapporta diversement,
mais personne ne contesta les propos de
Colonna. Ils étaient d’une justesse trop
évidente. L’AFP glissa seulement ce mot,
arrogant, pour qualifier l’accusé. Le
Figaro s’écarta du sujet en évoquant
l’audition future des membres du commando
qui
lui
avaient
été
si
défavorables en première instance. Le
risque serait grand que la cour ne
déduise une fois de plus de leurs
échanges hermétiques - si d’aventure ils
étaient réitérés - que sa vraie famille,
c’est celle-ci, qui le renie et le
condamne.
Sans se projeter si loin dans l’avenir,
Le Monde s’employa plutôt à consolider
la réputation du président Wacogne,
soulignant sa patience, ses efforts de
pédagogie et presque sa bonté.
Seul Libération contre-attaqua. Sa
chroniqueuse
judiciaire,
Patricia
Tourancheau, prenait acte du succès
obtenu par Colonna quand il avait clamé
haut et fort le caractère politique de son
procès, mais retournait contre lui cette
55
apparente victoire. Elle le trouvait autoritaire, têtu ou ironique, parfois
vindicatif comme un leader nationaliste.
Ce qui, tout en lui donnant un profil
d’assassin, en faisait le chef du vaste
complot grâce auquel tant de témoignages étaient en sa faveur. Elle
concluait en effet en jouant sur un mot :
D’entrée de jeu, Yvan Colonna a donné
le ton de son procès sous pression.
Il ne s’agissait pas, sous sa plume, des
pressions qui avaient motivé la déclaration de Colonna, celles que le président
de la République pouvait exercer sur
l’institution judiciaire, mais de celles
qu’allaient subir juges et témoins de la
part de l’accusé.
L’affaire de la gendarmerie de
Pietrosella, évoquée le lendemain, ne suscita guère d’écho dans la presse. Elle était
pourtant d’importance. L’arme du crime
avait été volée dans l’attaque de cette
caserne. Il était admis que le même commando (à l’exception de Maranelli
souffrant ce jour-là) avait procédé à celleci et tué Claude Érignac. Il fallait donc
que Colonna y ait participé pour être l’assassin du préfet, mais les preuves
manquaient. En première instance, on
l’avait condamné pour ces faits en vertu
56
du raisonnement suivant : puisque c’était
lui l’assassin, on pouvait être sûr qu’il
avait aussi participé à l’attaque de la gendarmerie. Le chroniqueur du Figaro,
Stéphane Durand-Souffland, ne se satisfaisait point d’une telle logique dans son
article Les points faibles de l’accusation
contre Colonna.
Il rappelait qu’en 2007 l’avocat général avait demandé la peine maximale en
avouant le faire sans preuve décisive :
« Si ça ne vous suffit pas, je n’y peux
rien, je ne vais pas inventer des éléments », avait-il déclaré aux jurés. Le
journaliste soulignait avec ironie l’inconsistance du dossier : En 2003, au procès
du commando alors que M. Colonna
était en fuite, un détail avait focalisé
l’attention : les sacs de jute utilisés pour
aveugler les gendarmes kidnappés
empestaient la salaison. Fort utile pour
confondre M. Versini, charcutier de son
état. À présent qu’il est définitivement
condamné, on se contente d’évoquer des
« sacs de pommes de terre » sans odeur
particulière. Nul fumet de fromage de
chèvre, en tout cas, pour accabler Yvan
Colonna.
La journée qui suivit aurait dû être
faste pour l’accusation. On y entendait
57
les dépositions émouvantes et dignes de
la famille Érignac. Le crime y apparaissait dans l’horrible banalité de ses
conséquences, ce qui aurait dû permettre d’oublier un moment qu’on était
dans un procès politique. L’accusé n’en
laissa pas le loisir au tribunal. Invité à
s’exprimer, il refusa en ces termes :
« Ma seule réaction, c’est de m’adresser
à la cour. Je n’ai rien à voir avec l’assassinat du préfet Érignac. Je ne
m’adresserai pas à sa famille. Lors de
mon premier procès, je l’ai fait et on a
dit que je faisais preuve d’un cynisme
inacceptable. »
Dans
Libération,
Patricia
Tourancheau relata cette déclaration en
inversant l’ordre des propositions. Elle
la faisait commencer par « Je ne
m’adresserai pas à la famille », et finir
par « Je veux dire à la foule que je n’ai
rien à voir avec l’assassinat. »
Ce qui brossait le portrait d’un
Colonna agressif à l’égard de la famille,
méprisant envers la cour, puisqu’il ne
s’adressait plus à elle mais à la foule, et
craintif au point de ne pas prononcer le
nom de la victime. Le titre promettait
d’ailleurs cette description d’un tueurné : La froideur de Colonna face à
58
l’émotion du clan Érignac.
Ce même jour témoigna le médecin
légiste, Paul Marcaggi, dans l’indifférence générale. Il n’apportait rien de
neuf aux médias. Il réitérait les conclusions qu’il avait avancées en première
instance : le tireur était probablement
bien
plus
grand
que
Colonna.
L’accusation lui opposa de nouveau qu’il
n’était pas balisticien : ses propos n’engageaient que lui. L’avocat général
Jeannier trouva ce témoignage suffisamment nul pour résumer ainsi la
situation : « Finalement, de la scène de
crime, on ne connaît rien ! »
C’était maladroit, car cette obscurité
englobe évidemment le tireur, remarquait Stéphane Durand-Souffland dans
Le Figaro. Le balisticien désigné par
l’instruction, et qui s’était dit en 2007
trop occupé pour se déplacer, refusait à
nouveau de venir. L’accusation n’en avait
pas cherché d’autre. La défense produisit le sien, Aurèle Mannarini, qui
d’emblée fut l’objet d’une exceptionnelle
entreprise de dénigrement. Avant même
qu’il n’ait fait sa déposition spontanée, et
contrairement au Code de procédure
pénale, l’accusation et les parties civiles
le submergèrent de questions.
59
Il s’agissait d’un retraité de l’industrie
armurière qui avait déjà expertisé
devant un tribunal d’assises. Il n’était
pas agréé auprès des tribunaux, mais la
plupart des experts ne le sont pas, et
ceux de l’accusation, qui n’étaient en
définitive jamais venus, ne l’étaient pas
non plus.
Aurèle Mannarini était affublé de
quelques ridicules. Il s’était présenté à
la barre avec son rapport d’expertise
dans un sac de supermarché, ce qui
avait fait beaucoup rire. Il s’était intéressé durant son existence à une foule
de sujets bien éloignés de son champ
professionnel. Il avait notamment trouvé
une médication qu’il pensait efficace
contre la propagation du virus du sida.
Ce n’était pas à proprement parler une
lubie. Le médicament avait fait l’objet
d’une publication scientifique et d’une
série d’expérimentations qui étaient toujours en cours.
Pendant trois quarts d’heure l’accusation s’en donna à cœur-joie. Mannarini,
humilié, finit par hausser le ton.
L’audience fut suspendue.
Le lendemain matin, la défense
demanda à la cour de lui donner acte de
60
la violation des règles de procédure
pénale qui avait eu lieu, ce qu’elle ne fit
pas,
se
déclarant
incompétente.
L’accusation, réalisant soudain que son
comportement de la veille pouvait
constituer un motif de cassation, s’insurgea. Elle prétendit qu’elle avait agi de
façon légitime.
La défense se proposa de traiter dorénavant les témoins à charge comme on
avait traité l’expert en balistique,
puisque c’était apparemment permis
dans cette enceinte. À bout de nerfs,
l’avocat général Tessier s’écria : « Audelà de la volonté de vendetta affichée
par la défense sur les témoins à
venir… »
L’outrance de ce propos souleva l’indignation de toute la salle. Le président
suspendit l’audience jusqu’à quatorze
heures. À la reprise des débats, l’avocat
général s’excusa, et Aurèle Mannarini
put enfin déposer : « Le tireur qui a tué
le préfet mesure au minimum un mètre
quatre-vingt-cinq. » Un homme de la
taille d’Yvan Colonna « aurait eu une
position physiologiquement impossible,
anti-naturelle et stupide. »
La presse s’abstint en général de sou61
ligner les dehors risibles d’Aurèle
Mannarini dont on s’était tellement
moqué. Elle retint surtout la passe
d’armes qui avait eu lieu entre la
défense et l’accusation, et la montée des
tensions qu’elle révélait. Stéphane
Durand-Soufflant rendit à l’expert cet
hommage discret : il n’y a jamais eu de
reconstitution en présence du légiste et
du balisticien désigné par les juges
d’instruction, formalité mise en œuvre
dans le moindre crime crapuleux. Quant
au balisticien en question, il n’a jamais
daigné se présenter devant une cour
d’assises. Alors oui, on peut moquer M.
Mannarini, son cabas, ses certitudes qui
épousent providentiellement celles de la
défense : mais lui, il est venu.
Contrairement à la plupart des commentateurs, Le Nouvel Observateur et
Libération prenaient ouvertement le
parti de l’accusation dans cette polémique. Pour le Nouvel-Obs, les propos
de l’avocat général Tessier n’étaient
plus un dérapage, mais un simple
reproche. Il ne trouvait pas déplacée ni
irrégulière la façon dont on avait interrogé Aurèle Mannarini et sous-titrait au
contraire Le témoin s’énerve. Il expliquait enfin la réclamation des avocats
62
concernant l’illégalité de cet interrogatoire par la prestation elle-même du
témoin, qui les aurait embarrassés.
Dans
Libération,
Patricia
Tourancheau fut encore plus tranchante.
Sous un titre d’une élégance douteuse,
L’expert fait un bide au procès Colonna,
elle mettait en doute sa qualité : Aurèle
Mannarini se dit balisticien. Sa déposition alambiquée a tendu les débats de
part et d’autre. Elle oubliait de préciser
que si les débats avaient été tendus, cela
avait commencé bien avant la déposition
de l’expert, en raison des propos humiliants que l’accusation avait tenus sur sa
personne avant qu’il ne dépose. Une
ligne plus bas, elle le traitait de professeur Tournesol. Elle concluait par un
trait d’esprit sa relation du témoignage
d’Aurèle Mannarini : À se demander si
la défense ne s’est pas tiré une balle
dans le pied.
Tout au bonheur de démolir ce
témoin, elle ne s’était pas aperçue
qu’elle venait de rater son article. Elle
avait passé sous silence ce qui faisait ce
jour-là la une des autres journaux.
En fin d’audience, après Mannarini, le
commissaire Vinolas avait déposé.
63
64
L’affaire Vinolas :
les camps s’affrontent
Didier Vinolas, ancien Secrétaire
général de la préfecture d’Ajaccio, avait
été le bras droit de Claude Érignac.
C’est lui qui avait annoncé, une demiheure après le crime, la mort de son
mari à Dominique Érignac. C’était un
témoin de l’accusation. On attendait de
lui l’évocation de ce moment tragique,
mais il se livra à un tout autre exercice.
Il révéla avoir été informé en 2002,
par une source digne de foi, que deux
autres personnes, jamais inquiétées,
avaient participé à l’attaque de la gendarmerie
de
Pietrosella.
Cela
corroborait une hypothèse de la
défense, selon laquelle cette attaque
n’avait pu s’effectuer à seulement six
personnes, comme le prétendait la
police. Elle impliquait une composition
différente du commando qui avait tout à
la fois attaqué la gendarmerie et tué le
préfet. Le scénario qu’avait établi l’enquête s’en trouvait démenti, et la
certitude policière d’une culpabilité
d’Yvan Colonna compromise.
65
Vinolas avait tout de suite livré cette
information au procureur Yves Bot, et
lui avait présenté son informateur. Bot
était un ami personnel de Nicolas
Sarkozy. Il était en passe de devenir procureur général de Paris, en charge de
l’anti-terrorisme. L’instruction, effectuée
par les juges Bruguière, Thiel et Le Vert,
n’avait pas été close dans le cas
Colonna : Vinolas pensait que son information serait versée au dossier.
En 2003, il demanda au chef du RAID,
Christian Lambert, qui venait d’arrêter
Yvan Colonna, s’il était au courant de
son information. Celui-ci en ignorait
tout. En 2004, Vinolas communiqua à
Lambert, devenu préfet, les éléments
dont il disposait.
Au premier procès, en 2007, il avait
témoigné, mais sans évoquer cette information. Il pensait que les enquêteurs,
qui passaient après lui, le feraient. Il
n’en avait rien été. Certes, le commissaire Veaux avait alors déclaré
« Colonna a peut-être le profil du tueur,
mais il y en a d’autres » et avait nommé
quelques autres personnes, parmi lesquelles celles qu’on avait signalées à
Vinolas. Mais de l’information ellemême, point de trace.
66
C’est pourquoi le 29 décembre 2008,
un mois avant que ne s’ouvre l’appel, le
commissaire Vinolas avait transmis une
note de synthèse au greffe du parquet
général de Paris, qu’il avait aussi
envoyée au président Wacogne, ainsi
qu’au fils aîné de la famille Érignac.
Seule la défense ne l’avait pas directement reçue. Elle aurait dû lui être
communiquée
par
le
président
Wacogne, mais celui-ci ne l’avait pas
transmise. Quand on lui en demanda la
raison, il eut cette étrange explication :
il ne lisait pas le courrier envoyé par les
témoins. Pas même lorsqu’il s’agissait
de hauts fonctionnaires. Il préférait
réserver aux audiences publiques la
découverte de ces courriers, cela préservait la fraîcheur des débats. On sut
plus tard qu’il ne lisait pas non plus ceux
que lui adressait le parquet : celui-ci
précisa qu’il avait quant à lui communiqué au président Wacogne la note de
synthèse de Vinolas, afin qu’il la verse
au dossier.
Ces événements provoquèrent un
grand émoi médiatique, au point que
dès le lendemain le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, crut bon
d’intervenir. Il se disait « interpellé »
67
par ces révélations. « C’est à la justice
de faire toute la lumière, de savoir pourquoi, si cette personne avait bien
communiqué ces noms à la date qu’elle
a évoquée, ça n’a pas été versé au dossier. » Or il y avait eu deux absences de
communication de pièces. La première
avait été de ne pas verser l’information
de Vinolas au dossier d’enquête, et la
seconde de ne pas communiquer à la
défense la note de synthèse qui réparait
ce regrettable oubli.
Luc Chatel ne parlait que du premier
de ces manquements aux règles, celui
des enquêteurs. Celui qu’avait commis
le président Wacogne disparaissait,
caché par l’autre. On ne pouvait ainsi
plus comparer ni rapprocher les comportements de la police et du président
du tribunal. Ce dernier avait pourtant
agi de façon remarquable : en ne communiquant pas à la défense la note de
synthèse du commissaire Vinolas, il
avait violé le principe d’équité de la justice. En écartant la même pièce que
celle rejetée par les enquêteurs, il suscitait des doutes sur son indépendance à
l’égard du pouvoir exécutif. C’était justement ce qui ne devait pas apparaître.
Le porte-parole du gouvernement l’avait
68
masqué en concédant qu’il y avait un
problème au niveau de l’enquête. Ce
dernier point posait moins de problèmes. On pouvait supposer que les
policiers mis en cause par les révélations de Vinolas se justifieraient
facilement et, au pire, les parties civiles
pouvaient rebondir. Ces éléments nouveaux, expliquaient-elles déjà, n’avaient
aucune importance : qu’il y ait ou non
deux coupables de plus n’apportait pas
la preuve d’une innocence de Colonna.
La presse cependant bruissait de
cette éventualité. L’hypothèse en était
devenue légitime, puisque l’enquête
était ouvertement mise en cause.
Le site du Nouvel Obs attendit
presque vingt- quatre heures avant d’en
prendre acte. Il titra le lendemain soir
par un obscur et précis Les avocats de
Colonna
porteront
plainte
pour
« entrave à la manifestation de la
vérité », où l’arbre cachait la forêt.
L’événement n’était pas la plainte, mais
l’entrave qu’elle dénonçait. Il soustitrait cependant en citant Vinolas : Un
« risque de laisser condamner un innocent ». Dès le lendemain, il rachetait
tant d’audace par un article intitulé La
lecture du dossier Colonna est inchan69
gée, selon un avocat des parties civiles,
qui laissait toute la place au point de vue
de ces dernières.
Libération avait également choisi la
plainte pour événement avec La défense
de Colonna va porter plainte contre X,
qui indiquait à ses lecteurs l’endroit où
il n’y avait rien à voir, puisque personne
ne croyait que cette plainte aboutirait.
Ailleurs, on sut être plus pertinent.
France-Soir affichait Le témoignage de
Didier Vinolas jette le discrédit sur l’enquête Érignac, et Le Figaro Les avocats
de Colonna dénoncent un « scandale
d’État ».
Patricia Tourancheau resta muette
après le raté de son article sur
Marannini, qu’elle avait envoyé un vendredi soir. On n’eut de ses nouvelles que
le lundi matin. Elle n’avait rien perdu de
son courage en dépit des circonstances,
et avait écrit deux nouveaux articles. Le
premier, tout empreint d’une prudence
inédite, reconnaissait quelques carences
au dossier d’accusation. Rien de grave
cependant, des balourdises de pandores. Le deuxième, intitulé Les
révélations d’un commissaire troublent
le procès Colonna s’ouvrait sur cette
interrogation : coup de tonnerre ou
70
pétard mouillé ? Elle donnait sa réponse
à la fin : Aujourd’hui, la cour d’assises
spéciale devrait convoquer à la barre
des témoins imprévus tel qu’Yves Bot,
devenu procureur général, et Christian
Lambert, directeur de cabinet du préfet
de police de Paris. Il y a fort à parier
qu’ils soutiennent n’avoir reçu « aucun
renseignement utile » de l’ex-Secrétaire
général du préfet Érignac.
Le Monde avait fait dans la même
veine, avec moins de franchise. Il s’inquiétait toutefois que deux suspects
seraient encore en liberté.
L’accusation avait averti la presse
dans les couloirs du palais de justice : le
témoignage des policiers allait rassurer
tout le monde. Ils ne faillirent point à ce
devoir, mais avant eux comparut le
magistrat, qui ne leur facilita pas le travail.
Yves Bot reconnut avoir rencontré
Vinolas, en avoir référé à Claude Guéant,
Secrétaire général du ministère de
l’Intérieur, et, sur les conseils de celui-ci,
l’avoir dirigé vers Christian Lambert,
alors patron de la DNAT. Il contesta seulement que Vinolas lui eût appris
l’existence des deux suspects à propos
desquels on dérangeait pourtant de si
hauts fonctionnaires. C’était bien com71
préhensible. S’il l’avait su, il aurait dû en
faire état aux juges d’instruction chargés
du dossier. Or il ne l’avait pas fait.
Christian Lambert ne confirma pas les
propos de Bot. Il nia que celui-ci ou
Vinolas aient tenté de le contacter à
l’époque. Il reconnaissait avoir rencontré ce dernier, mais tout à fait par
hasard, deux ans plus tard, dans un
avion. Le voyage avait été pénible, en
raison de l’insistance de Vinolas à vouloir parler de son idée fixe. Les deux
suspects, dont il avait su les noms à
cette occasion, ne valaient pas la peine
qu’on s’en occupe. Il s’agissait de deux
personnes étrangères à l’affaire.
Philippe Frizon, numéro deux de la
DNAT à l’époque, confirma qu’on pouvait circuler, il n’y avait rien à voir.
Jacques Nodin, ancien sous-préfet de
Corte, avait, selon Vinolas, mis en relation celui-ci avec son informateur. Il
démentit formellement.
Tous présentèrent leur collègue
comme un homme souffrant de dérangement mental, ou traumatisé par le
drame qu’il avait vu de près. On soulignait l’amertume qu’il avait d’une
carrière ratée et son besoin maladif de
reconnaissance sociale. L’avocat général
Kross, manifestement convaincu par une
72
si touchante unanimité, crut bon de
décrire le cas Vinolas avec une citation
d’Audiard : « Comment réussir dans la
vie quand on est con et pleurnichard. »
C’était osé, s’agissant d’un témoin
dont il avait lui-même demandé l’audition en raison de sa parfaite
honorabilité.
73
74
La fin précipitée de l’épisode
Vinolas :
le combat fait rage
La veille, Colonna avait déclaré au
président : « J’affirme que vous êtes en
mission pour me faire condamner au
nom de la raison d’État alors que de
hauts fonctionnaires savent que je suis
innocent. »
La défense avait demandé un renvoi
du procès pour complément d’information, demande rejetée. Les sujets
d’étonnement et les motifs d’indignation
s’accumulaient, entre les fautes de procédure, les contradictions des témoins,
leurs mensonges évidents (Lambert
avait même affirmé sous serment que
l’arrestation de Colonna s’était faite
sans l’aide d’indicateur, alors que, de
notoriété publique, on connaissait même
la somme qu’il avait fallu verser, trois
cent mille euros) et l’ambiance affreuse
des débats, où l’on voyait un procureur
insulter le témoin qu’il avait lui-même
convoqué.
La presse, débordée par cet afflux
d’informations, les traita en ordre dispersé.
75
France-Soir mettait en avant les accusations que la défense avait lancées
contre la cour : La défense demande le
renvoi du procès, Yvan Colonna : « Vous
êtes en mission pour me faire condamner ! »
et
Me
Gilles
Simeoni :
« Coupez-lui la tête tout de suite ! »
Dans Le Figaro, Stéphane DurandSouffland tentait de maintenir un juste
équilibre dans sa relation des événements et des différents argumentaires.
Cependant, sous des apparences encore
déférentes à l’égard du tribunal son président – Didier Wacogne est par ailleurs
un magistrat respecté et expérimenté,
l’exaspération perçait : il parlait d’un
certain flottement procédural, et surtout
concluait un paragraphe où il n’était
question que de la défense et de la cour,
par cette réflexion surprenante : Le premier qui fera la faute perdra la partie. Il
actait ainsi que les juges, et non pas les
parties civiles, apparaissaient comme
les adversaires principaux de l’accusé.
C’était, à mots couverts, dénoncer la
partialité de la cour, et donc sa légitimité à mener le procès.
Cet aspect du problème était ailleurs
passé sous silence. On s’intéressait surtout aux suites de l’affaire Vinolas. Le
76
Parisien reconnaissait qu’il y avait Des
doutes sur les révélations de Vinolas.
Libération, lui, n’en avait pas. Sous le
titre Vinolas : des « révélations » toujours plus opaques, Renaud Lecadre
était catégorique : La baudruche se
dégonfle.
De son côté, le Nouvel Obs commenta
en donnant la parole à Christian
Lambert : Colonna : l’ancien chef du
raid contre Vinolas. On apprenait dans
les sous-titres que le commissaire
Vinolas était du genre psycho-rigide, un
être extrêmement vertical. On informait
qu’il s’était défendu d’avoir agi par
esprit partisan, en assurant n’être pas
un sous-marin (du PS), mais on précisait, à toute fin utile, qu’il était actuel
fonctionnaire à la mairie du XVIIIe (PS,
donc).
Le Monde, qui jusqu’ici avait été
plutôt d’accord avec le Nouvel Obs et
Libé, refusait de participer au jeu de
massacre dont Vinolas était l’objet.
Avec Petits mensonges entre amis au
procès Colonna, Yves Bordenave posait
cette question : « En septembre 2002,
un haut fonctionnaire en possession
d’informations relatives à la fuite de M.
Colonna n’intéresse pas plus que cela
77
les locataires de la place Beauvau ? »
(Claude Guéant et Nicolas Sarkozy).
Un deuxième article enfonçait le clou.
Son titre, Les révélations de Didier
Vinolas contredites par les responsables
policiers et judiciaires cités, était chapeauté d’une phrase en exergue qui
invalidait ces dénégations : L’avocat de
Colonna : « Donc des noms, il y en a
eu. »
Le Monde n’allait pas jusqu’à remettre en cause la machine judiciaire
autour de Colonna. Il n’en déplorait que
les errements, liés à ceux de la police.
Stéphane Durand-Souffland s’attaqua
au cœur du problème. Il se désintéressait de l’aspect factuel des révélations
de Vinolas : En réalité, le débat est ailleurs.
Si
ce
dernier,
policier,
collaborateur éminent de M. Érignac,
cité de surcroît par le ministère public, a
vraiment rencontré au fil des années le
procureur de Paris, le chef du Raid, le
sous-préfet de Corte Jacques Naudin,
pour aborder le fond du dossier, il est
invraisemblable que la procédure ne le
mentionne nulle part.(...) La réponse,
sur le fond, du parquet général ne saurait masquer le problème de forme que
la défense mettra en exergue : l’inéga78
lité des armes, qui ne dépend pas de la
crédibilité d’un témoin.
La défense demanda une récusation
du président, qui lui avait caché la note
de synthèse de Vinolas. La cour d’appel
de Paris n’y fit pas droit au motif que cet
acte ne faisait « qu’étayer l’impartialité
du président qui a réservé les éléments
figurant dans ce document au débat
contradictoire dans le cadre de la collégialité de la cour d’assises. »
Peu auparavant, trois des cinq avocats
de Colonna avaient mis à exécution leur
menace de quitter le procès si un complément d’information n’était pas
ordonné pour vérifier les assertions de
Vinolas, puisque d’autres témoins
avaient juré qu’elles étaient fausses.
Ces derniers avaient eu la partie
facile. Le commissaire avait, comme il
est de règle, protégé son informateur, et
en l’absence de garanties offertes à
celui-ci, refusé de donner son nom.
L’informateur n’avait donc pas témoigné, ni a fortiori confirmé les révélations
de Vinolas.
Le président Wacogne finit par accéder à la demande de complément
d’information formulée par la défense,
et suspendit les débats, mais pour deux
79
jours ouvrés seulement. Le temps pour
deux assesseurs à ce procès de réentendre à huis clos Didier Vinolas, recueillir
le nom de son informateur, interroger ce
dernier, et obtenir de lui le nom des suspects qu’il avait autrefois désignés. La
défense dénonça des conditions minima
qui ne permettraient pas d’éclaircir quoi
que ce soit. La suite lui donna raison,
bien au-delà de ses craintes.
L’informateur se trouvait être un
ancien membre de la direction centrale
des RG aujourd’hui à la retraite, le commandant Poirson. Il nia tout. Il ne savait
absolument rien de la Corse ou de ses
habitants. Il n’avait jamais indiqué le
nom d’aucun suspect à qui que ce soit. Il
n’avait jamais rencontré personne à ce
propos. C’est à peine s’il connaissait
Vinolas. Il n’avait fait que le croiser de
rares fois tout au long de sa carrière.
Cela lui suffisait cependant pour en faire
un portrait psychologique fouillé, le
même que celui précédemment brossé
par Christian Lambert : un être amer,
torturé par ses insuccès, et dont l’esprit
avait été dérangé par cet assassinat
auquel il avait presque assisté.
Toutefois, cela n’échappa à personne :
dans sa déposition, Yves Bot avait
80
reconnu qu’il avait rencontré l’informateur de Vinolas. Les assesseurs
n’avaient pas eu pour mission de vérifier
si Michel Poirson disait la vérité. Ils
avaient réentendu Bot dont la déclaration démentait celle de Poirson, mais
n’avaient pas confronté les deux
hommes.
Avant que l’ex-commandant Poirson
n’apparût à la barre, son identité,
jusqu’alors secrète, avait fait l’objet
d’une indiscrétion dont Libération avait
eu la primeur. Patricia Tourancheau
s’était aussitôt employée à démolir ce
futur témoin : un officier passe-muraille
« falot, nonchalant, limite mytho » pour
certains policiers, un homme vénal « qui
aurait déjà tenté de monnayer des
tuyaux en 2002 avec… sa hiérarchie »,
« 50 plaques [500 000 euros, ndlr], soidisant pour rémunérer des sources du
milieu du grand-banditisme. » (...) Il finit
par confier en juin 2002 les deux noms à
Didier Vinolas en échange de 300 000
euros pour ses indics. Bref, un imposteur qui pourrait bien avoir inventé
l’affaire de toutes pièces pour escroquer
des sommes importantes. Elle avait en
outre, et pour faire bonne mesure, disserté sur la fragilité psychique de
81
Vinolas. Tant il est vrai qu’il faut être
deux pour une arnaque, le faisan et sa
poire.
Après l’heureuse surprise de sa déposition, toutes les préventions de Patricia
à l’égard de Poirson avaient disparu. Il
était redevenu un estimable policier des
RG. Elle parlait encore d’argent, mais
sur un ton plus apaisé, comme d’une
pratique normale aux renseignements
généraux, et ne mettait plus en doute
l’intégrité de ce fonctionnaire. Elle citait
longuement toutes ses protestations
d’innocence. Elle accordait tant de
crédit à son témoignage, qu’elle avait
retrouvé, pour commencer son article,
l’heureuse expression des jours anciens,
quand toute la police convoquée à la
barre était venue cracher sur Didier
Vinolas : il s’agissait, décidément, d’un
pétard mouillé.
Il y avait bien ce petit problème que la
déposition sous serment de Michel
Poirson était contraire à celle d’Yves
Bot, également déposée sous serment.
Elle l’évoquait, mais c’était pour
conclure : Ce supplément d’information
réclamé à cor et à cri par la défense
d’Yvan Colonna embrouille et obscurcit
encore un peu plus les débats.
82
L’impression d’une embrouille était en
effet générale, mais ce n’était pas dans
le sens où l’entendait Patricia. Le Figaro
titrait Le procès Colonna s’enfonce dans
la confusion, Le Monde Le procès
d’Yvan Colonna sombre dans la confusion la plus totale, 20 Minutes Le procès
d’Yvan Colonna en cale sèche.
Toutefois, si la journaliste de
Libération pensait que l’obscurité était
la conséquence du supplément d’information, il semblait plutôt au reste de la
presse qu’elle résultait de son incomplétude.
20 Minutes posait le problème : Il
(Poirson) indique aussi ne pas avoir rencontré, à la demande de Vinolas, le haut
magistrat Yves Bot, proche de Sarkozy,
pour parler de l’affaire. « Ce nom ne me
dit rien du tout », déclare-t-il. Problème,
déposant lundi dernier devant la cour
d’assises, Bot avait reconnu avoir rencontré « X ». Aveu réitéré devant les
magistrats du supplément d’information : « Ce nom correspond en effet à
mon souvenir », a déclaré Bot à propos
de Poirson.
Dans Le Monde Yves Bordenave proposait la solution : Il ne devrait pas être
83
difficile en les mettant face à face, de
savoir qui de M. Bot ou de M. Poirson a
dit la vérité. Ensuite, M. Vinolas devrait
être confronté à ses détracteurs. Enfin,
dans le cas où la crédibilité de ce dernier ne serait pas entamée, resteront les
informations versées au dossier concernant M.A. et E.A. (les deux suspects non
inquiétés).
Dans Le Figaro, Stéphane DurandSouffland répondait au parquet général
qui traitait d’« enfumage » les questions
posées par le témoignage de Vinolas, et
réclamait qu’on les écarte afin que « les
débats commencent ». Le journaliste
remarquait à nouveau que ce n’est ni la
défense ni la partie civile qui a fait citer
Didier Vinolas. C’était le ministère
public. Il était donc bien mal placé pour
demander maintenant qu’on oublie ce
témoin.
C’est pourtant à cet avis que se
rangea le tribunal. Vinolas avait donné
aux deux assesseurs les noms des suspects que Poirson affirmait ne pas
connaître. L’enquête, en fait, ne les avait
pas totalement ignorés. L’un avait été
entendu en 1998, l’autre en 1999. Celuici était mort depuis six mois dans un
règlement de compte. On ne pourrait
84
plus rien en tirer. L’autre avait été interrogé parce qu’il possédait une 205
blanche semblable à celle qui avait
démarré en trombe, le soir du crime, à
proximité du lieu où le préfet venait
d’être assassiné. Il n’avait pas été
inquiété, mais il faut dire qu’à cette
époque la police était sur une tout autre
piste que celle du commando dirigé par
Ferrandi. Elle était sur la piste agricole,
qui avait donné lieu à des dizaines d’arrestations
inutiles.
La
défense
argumenta que les deux suspects
n’avaient été entendus qu’à la périphérie de l’enquête principale. Elle
demandait en conséquence un autre
complément d’information.
L’accusation soutint que les deux suspects avaient déjà été interrogés, et
qu’il n’y avait pas besoin de le faire à
nouveau. Elle exigeait qu’on en revînt
aux choses sérieuses.
Libération ne parlait plus de pétard
mouillé mais, de façon plus menaçante,
d’un pétard (qui risquait de sauter) à la
figure (de la défense).
Sous le titre « Erik A. et Michel A. »,
suspects
embarrassants,
Patricia
Tourancheau expliquait que ces suspects étaient, en fait, embarrassants
pour la défense. L’homme à la 205
85
blanche avait été un ami de l’ex-mari de
la sœur d’Yvan Colonna. Cela faisait de
cet individu, à supposer qu’il soit impliqué dans l’affaire, une personne de
l’entourage de l’accusé. Patricia n’osait
pas dire un complice, mais le cœur y
était. La morale de cette histoire se
tirait d’elle-même : la cour rendrait service à Colonna en abandonnant cette
piste si compromettante pour lui.
C’est en effet ce qu’elle fit.
Considérant que tous les éclaircissements relatifs aux révélations de Vinolas
avaient été apportés, la cour refusa d’ordonner
le
deuxième
supplément
d’information réclamé par la défense.
Elle affirmait que « les déclarations de
Didier Vinolas ne constituaient pas un
élément nouveau » et qu’il n’y avait
« pas lieu de procéder à des vérifications supplémentaires ».
L’incident était clos, ainsi que le
constata l’Humanité, avec un discret
soulagement : La cour referme la parenthèse Vinolas. La plupart des journaux
commentèrent sobrement l’événement,
qui sifflait la fin de la récré. Libération
eut le triomphe modeste et se contenta
de reprendre une dépêche de l’AFP :
Procès Colonna : la cour refuse de nouvelles investigations.
86
France-Soir n’arrivait pas à réaliser
que l’épisode était définitivement terminé. Sous le titre Procès Colonna – La
défense estime que « ce dossier exhale la
pourriture », Isabelle Horlans s’acharnait
encore : on apprend par le 19-20 de
France 3 qu’un des deux personnages
apparus dans le complément d’information aurait été arrêté, en octobre 1998, et
qu’une perquisition à son domicile aurait
permis de saisir « des armes et un blouson provenant de l’attaque de la
gendarmerie de Pietrosella ». Interrogée
hier soir, la défense a indiqué que, « si
l’information est vraie, alors le procès
doit s’arrêter immédiatement ».
C’était trop tard. Le lendemain commençait l’audition des témoins oculaires
du crime.
87
Les pro-colonna prennent l’avantage
Cinq d’entre ces témoins étaient excusés, pour des raisons diverses, mais les
plus importants se présentaient. On
apprit en revanche que le commandant
Georges Lebbos de la Division Nationale
Anti-Terroriste ne viendrait pas. Son
témoignage était pourtant capital. Il
avait recueilli les premiers aveux qui
dénonçaient Colonna, et sur lesquels
toute l’accusation reposait. Son contreinterrogatoire par la défense était
essentiel. Les auteurs des aveux
s’étaient rétractés en expliquant qu’on
leur avait extorqué de fausses dénonciations. Il importait que la défense puisse
le démontrer et, pour cela, elle ne pouvait se passer de questionner Lebbos.
Celui-ci avait, dès avant le procès,
fourni un certificat médical pour justifier son absence future. Le président du
tribunal n’en avait pas informé la
défense, qui ne l’apprenait que maintenant. Sommé par elle de s’en expliquer,
il eut cette réponse : « Le 9 février, je
n’avais pas reçu de certificat. C’est le
88
greffier qui s’occupe de ces choses. Moi,
j’ai d’autres chats à fouetter. »
On savait déjà qu’il n’avait lu ni le
courrier de Vinolas, ni la communication
que lui en avait faite le parquet.
Stéphane Durand-Souffland ironisa dans
Le Figaro : La venue à la barre d’un
témoin capital ne ferait donc pas partie
non plus des priorités du président, qui
doit trouver le temps long pendant les
suspensions.
Libération était, pour quelques jours,
privé
des
services
de
Patricia
Tourancheau. Est-ce pour cela qu’il
mentionna la défection d’un Lebbos
« enquêteur majeur et maître d’œuvre
des coups fourrés », selon les avocats ?
Le Monde restait dans les limites précisées par Luc Chatel au début de
l’affaire Vinolas, et qu’il avait jusqu’à
présent respectées. Il dénonçait le comportement du policier, mais épargnait le
président du tribunal : Un témoin
cherche à ne pas comparaître.
Le Nouvel Obs n’avait rien remarqué
de tel. Il se contentait de noter, à propos
des excusés : Il s’agit pour la plupart de
témoins oculaires de l’assassinat du
préfet Érignac, le 6 février 1998 à
Ajaccio, pour lequel Yvan Colonna a été
89
condamné à perpétuité en première instance fin 2007.
Ce qui permettait à la suite de produire tout son effet : « C’est quand
même très bizarre », a réagi Philippe
Lemaire, avocat de la veuve et des
enfants du préfet. Le Nouvel Obs ébauchait ainsi la thèse d’une omerta parmi
les témoins corses, alors qu’en l’occurrence c’était le refus de comparaître
d’un policier qui posait à la justice un
véritable problème.
La polémique n’eut pas le temps d’enfler. Déjà, le premier témoin oculaire
avait témoigné. Il s’agissait de Joseph
Colombani, collaborateur du préfet Érignac avec lequel il avait noué « une
relation professionnelle devenue amicale », basée sur un amour commun de
la musique classique.
C’est lui qui avait invité le préfet au
concert, devant lequel il attendait son
arrivée. Il était à vingt ou vingt-cinq
mètres du crime lorsqu’il eut lieu. Il
décrivit les tueurs comme deux hommes
de haute taille et précisait, catégorique :
« J’ai vu Yvan Colonna à la télé en 1999.
Je le redis en mon âme et conscience, il
n’est pas l’homme qui a achevé Claude
Érignac. »
Ce témoignage n’inspira pas la verve
90
des
chroniqueurs
judiciaires
à
Libération ni au Nouvel Obs, qui se
contentèrent de reprendre la dépêche
AFP. Celle-ci était laconique sur le
nouvel incident de séance qui s’était
produit. 20 Minutes en faisait plus longuement état, et France-Soir décrivit la
scène : Son regard se porte alors sur la
veuve du préfet et ses enfants, il écarte
de son corps ses bras ballants en un
geste d’excuse. « Dernière chose : j’ai
bien compris que ce que je dis est difficile à entendre pour Mme Érignac. Je
parle en conscience. Je dis ce que j’ai vu
et entendu. Je suis un homme libre, honnête. » Le président Didier Wacogne,
sur un ton rigolard où perce l’ironie :
« Vous vous décrivez donc comme un
témoin idéal ? » Un murmure sourd
dans la salle, offusquée par la démonstration de partialité. Joseph Colombani,
rougissant, est congédié dans un brouhaha indigné.
Le soir et le lendemain, on entendit
Marie-Ange Contart, qui était le principal témoin oculaire. Elle avait vu
l’assassin d’assez près, deux ou trois
mètres, il avait encore son arme à la
main. Leurs regards s’étaient croisés. Il
s’agissait d’un homme plus grand
qu’elle (elle mesurait un mètre soixante91
quinze), blond non seulement de cheveux (il aurait pu porter une perruque)
mais aussi de poil (il avait une barbe
naissante). Il avait le visage émacié, les
lèvres minces.
Rien qui pût ressembler à Yvan
Colonna.
Le Monde titra : Procès Colonna :
« Non, ce n’est pas lui que j’ai vu » et 20
Minutes : « Je suis sûre et certaine que
ce n’est pas Colonna le tireur. »
France-Soir insista sur « le calvaire »
qu’elle avait vécu, dès lors que son
témoignage ne cadrait plus avec la thèse
des enquêteurs : « Au début, on n’arrêtait pas de me dire que j’étais le témoin
numéro un, que j’étais quelqu’un de très
important, on me traitait bien. Du jour
au lendemain, j’ai eu l’impression d’être
une pestiférée. Je n’étais plus rien. » À
l’arrestation du commando, personne ne
lui demande si elle reconnaît l’un des
hommes interpellés : pas de convocation, pas de tapissage derrière la glace
sans tain. En revanche, la juge Laurence
Le Vert, en charge de l’instruction, veut
qu’elle identifie Colonna. Elle est suivie,
placée sur écoutes illégales, plusieurs
fois cambriolée : « Tout a changé pour
moi à partir du moment où j’ai dit que ce
92
n’était pas M. Colonna. »
Le Figaro insista sur la fermeté de ce
témoignage : « On pourra me présenter
l’assassin dans dix ans. Si c’est lui, je le
reconnaîtrai » mais « je suis sûre et certaine : ce n’est pas Monsieur Colonna
que j’ai vu ce soir-là. » Et sur sa crédibilité : « Je ne l’oublierai jamais, quand on
est croupière, il faut être physionomiste. »
Le Nouvel Obs fit son possible pour
amoindrir l’effet produit par Marie-Ange
Coutart. Il titra : L’un des témoins de
l’assassinat du préfet Érignac ne reconnaît pas Colonna, comme si c’était la
première fois que cela arrivait, et
comme si d’autres témoins avaient fait
le contraire. Il laissa croire que le
témoin doutait elle-même de ce qu’elle
avait vu : La jeune femme a tenu à souligner que tout s’est déroulé très vite,
cinq à six secondes, dans cette petite
rue, mal éclairée. « D’autres personnes
auront certainement vu autre chose que
moi », a-t-elle dit.
Libération fut plus radical encore
dans son traitement de l’information. Il
n’en parla pas du tout. En 2007, il avait
trouvé ce témoignage très important, et
93
lui avait consacré un long article. En
2009, pas une ligne.
Il faut dire que les événements se précipitaient. Dans l’après-midi, la défense
était revenue sur le certificat médical de
Lebbos, que le président Wacogne ne lui
avait pas communiqué.
« Qu’est-ce que c’est que cette cour ?
On a l’impression d’être devant une
junte birmane ! » Me Sollacaro, précisait France-Soir, était sorti de ses
gonds : « On nous cache tout ! M. le président, vous êtes personnellement mis
en cause. Vous êtes indigne de présider
les débats. Vous êtes disqualifié. Vous
devez vous lever et partir ! » L’audience
avait été suspendue.
C’est cet incident que Libération avait
choisi de privilégier : La défense de
Colonna demande au juge « de partir ».
Le reste de la presse s’en était moins
ému : Violent incident, avait dit FranceSoir, Audience en pointillés, remarquait
20 Minutes.
Le Figaro, qui avait déjà traité l’affaire du certificat non communiqué, ne
revint pas dessus.
Le Parisien, le Nouvel Obs soulignaient l’espèce d’agression dont le
président Wacogne avait été l’objet (la
94
défense s’en prend au président, elle lui
demande de partir), et concluaient en
rapportant la réaction du magistrat face
aux accusations terribles qu’on venait
de lui lancer : « il y a des limites ! »
C’était une réponse bien timide. Le
lendemain, Patricia Tourancheau s’en
inquiétait dans un article bizarrement
intitulé : Acculé, le président recule face
à la défense. (S’il reculait, comment voulait-elle qu’on l’acculât ?)
Elle n’était en tout cas pas contente
de lui, fragilisé, débordé, qui a perdu
pied. Elle avait tort, probablement. La
défense passive du président avait aussi
ses vertus, d’escamotage, principalement. Il en fit preuve dès la journée
suivante, en fin d’après-midi.
On entendait ce jour-là le célèbre
Bernard Bonnet et, à sa suite, le peu
médiatique Jean-Pierre Colombani.
Bonnet réitéra sa prestation de première instance. Il dit sa conviction
personnelle de la culpabilité de Colonna.
Il ne la fondait plus seulement sur les
révélations de ses informateurs, et principalement celui qu’il désignait sous le
pseudonyme de « Corte ». Leur crédibilité était entamée depuis que la justice
avait innocenté Andriuzzi et Castela,
95
qu’ils avaient également dénoncés. Il
insistait surtout sur l’amitié entre
Colonna et certains membres du commando, qui le rendait susceptible d’avoir
partagé un crime avec eux. Cela, précisait-il, ne lui permettait pas d’affirmer
que Colonna était coupable.
France-Soir insista sur l’expression de
ce doute : « Des éléments précis et
convergents me font dire aujourd’hui
qu’ils rendaient tout à fait crédible dès
cette époque (fin 1998, ndlr) l’implication d’Yvan Colonna dans l’assassinat du
préfet, a-t-il dit lors de sa déposition en
tant que témoin au procès du berger de
Cargèse. Ces éléments ne me permettent pas de dire qu’Yvan Colonna est
l’assassin du préfet Claude Érignac, je
ne le sais pas, mais ils convergent pour
rendre crédible le fait qu’Alain Ferrandi
vous a choisi pour intégrer le commando. »
Le Nouvel Obs afficha au contraire les
convictions personnelles que le témoin
avait présentées : Lundi, Bernard
Bonnet, qui a succédé au préfet Claude
Érignac, a jugé « tout à fait crédible
l’implication d’Yvan Colonna » dans cet
assassinat.
« Des éléments précis, convergents
96
me fondent à dire aujourd’hui qu’ils rendent tout à fait crédible l’implication
d’Yvan Colonna dans l’assassinat du
préfet Érignac », a déclaré Bernard
Bonnet, 61 ans et aujourd’hui préfet à la
retraite.
Ni le Nouvel Obs ni France-Soir ne
rendirent compte du témoignage du
capitaine Colombani qui, il est vrai,
avait eu lieu à une heure tardive, devant
un public réduit. Lors du premier
procès, il n’avait pas été appelé à la
barre. On ne s’attendait à aucune révélation fracassante de sa part. Sa
déposition fit pourtant, selon Le
Parisien, l’effet d’un coup de tonnerre :
Fin 1998, « sur ordre de Paris », relatet-il, Yvan Colonna est placé sur écoute.
Le Monde continuait à relever les dysfonctionnements de la police dans cette
affaire, tout en se gardant de remettre
en cause la cour d’assises spéciale. Yves
Bordenave titrait dans le quotidien du
soir le récit troublant d’un ancien policier, ce qui était presque la même chose
que témoignage troublant d’un ancien
des RG pour Stéphane Durand-Souffland
dans Le Figaro. Tous deux citaient les
propos de l’ancien capitaine des
Renseignements Généraux : en décem97
bre 1998, il y avait des policiers des renseignements généraux qui pensaient
qu’Yvan Colonna était l’assassin.
Décembre 1998 ?, s’interrogeait Yves
Bordenave, Soit cinq mois avant l’interpellation, le 20 mai 1999, du commando
et la fuite d’Yvan Colonna, le 24 mai.
Cinq mois avant les aveux de Didier
Maranelli, le premier à mettre en cause
le berger de Cargèse. Or, policiers,
magistrats instructeurs et ministère
public affirment que le nom d’Yvan
Colonna n’est apparu qu’à ce momentlà, pendant la garde à vue des membres
du commando et de leurs épouses, entre
les 20 et 23 mai 1999. Jusqu’à cet épisode, le nom du berger de Cargèse ne
figurait nulle part.
Stéphane Durand-Souffland nota seul
le parti pris du président Wacogne de ne
pas exploiter ce témoignage. Il citait longuement l’intervention d’Yvan Colonna :
« L’an dernier, les juges Thiel et Le Vert,
ainsi que le commissaire Marion ont dit
à cette barre que mon nom avait été
donné spontanément par M. Maranelli.
Ce dernier a ensuite affirmé que ce sont
les policiers qui le lui ont soufflé en
garde à vue, en précisant : « On sait que
c’est le tueur ». On sait maintenant que
98
mon nom était cité cinq mois auparavant : donc, les juges et M. Marion ont
menti. »
Le président Didier Wacogne : « Vous
leur poserez des questions, on verra. »
L’accusé : « Je tiens à faire cette
observation. Mon nom était dans les
tablettes, il faut savoir comment et pourquoi. »
Le journaliste du Figaro concluait son
article en évoquant le dernier échange :
L’accusé, très poliment : « Mais ça ne
vous interpelle pas, vous, le témoignage
de M. Colombani ? »
Le président : « Je ne peux pas répondre à cette question. »
C’est exact, sans quoi il trahirait son
opinion personnelle, ce qui serait malvenu, même devant des bancs de la
presse clairsemés.
Les journalistes qui avaient raté le
témoignage de Colombani n’eurent pas
l’occasion d’y revenir. Le même jour, la
défense avait demandé une reconstitution des faits en présence « de toutes les
parties ». C’est-à-dire en présence des
six membres du commando condamnés
en 2003, des témoins oculaires du
crime, d’Yvan Colonna, ainsi que des
experts balisticien et légiste, rapportait
99
la presse.
Aucune de ces parties n’allait dans le
sens d’une culpabilité de Colonna. Le
lendemain à 10 heures du matin, le tribunal rejetait cette demande de
reconstitution. C’était une décision difficilement défendable. En première
instance, la cour d’assises spéciale
n’avait pas osé la prendre avec une telle
brutalité. Elle avait du moins ordonné
un déplacement sur les lieux du crime. Il
n’était malheureusement pas possible
de réutiliser un tel expédient.
Le Nouvel Obs et Libération, reprenant l’AFP, firent semblant de confondre
ce déplacement de la cour en 2007 avec
une véritable reconstitution : Le parquet
général et les parties civiles s’étaient
opposés à cette reconstitution au motif
qu’elle n’apporterait rien d’utile et
qu’un transport sur les lieux avait déjà
eu lieu en première instance, le 9
décembre 2007.
Le Nouvel Obs précisait même : Lors
de cette visite sur les lieux, les membres
du commando avaient refusé de s’y
rendre. À huis clos, les magistrats et
l’accusé s’étaient rendus à la gendarmerie de Pietrosella (Corse-du-Sud), où
avait été dérobée en septembre 1997
100
l’arme avec laquelle a été tué le préfet
Érignac, puis à Ajaccio. Cela revenait
presque à attribuer aux membres du
commando la responsabilité du rejet de
la demande de reconstitution, et légitimait l’explication qui en était donnée : à
ce stade des débats (...), la cour ne
constate pas l’incomplétude de l’instruction
ni
l’apparition
d’éléments
nouveaux.
France-Soir, au contraire, déployait
les raisons qu’avait eues la défense de
demander cette reconstitution, et Le
Figaro citait longuement la réaction
d’un avocat de Colonna, Me Gabarini : Il
se lance dans un discours dépité tenant,
aussi, de la supplique et qui, réellement,
émeut par sa sincérité : « La confiance
était déjà bien entamée, il n’y en a plus
du tout. Nous nous disons : « C’est
plié ». Pas d’incomplétude dans l’information, dites-vous ? Mais alors le sort
d’Yvan Colonna est scellé ! Va-t-on plaider courbés, pour mimer ce que nous a
dit M. Colombani (décrivant l’attitude
du préfet Érignac au moment de son
assassinat, NDLR) ? Nous ne sommes
pas des pitres ! Qui la connaît, ici, la rue
Colonel-Colonna-d’Ornano (lieu de l’assassinat) ? Par votre refus, vous nous
101
détruisez, vous entrez vous-mêmes dans
la machine qui nous détruit. Nous avons
déjà accepté de renverser la charge de
la preuve (qui incombe en principe à
l’accusation). Ce renversement, il ne
nous fait pas peur, mais il faut aller à
Ajaccio. Nous prenons un risque en le
demandant. Mais là-bas, vous verrez
qu’on ne se trompe pas. »
Le reste de la presse, qu’elle fût ou
non favorable à l’accusé, commenta plus
sobrement ce refus. Il n’était pas absolu
et avait été prononcé « en l’état ». On
attendait de voir.
Les jours suivants, deux policiers succédèrent à Jean-Pierre Colombani.
Frédéric Veaux, contrôleur général à la
Direction centrale de la police judiciaire,
s’employa à démontrer qu’Yvan Colonna
était un nationaliste corse. Ce dernier
en convenait volontiers. Et un militant
toujours actif au moment de l’assassinat
du préfet. L’accusé démentit : il prétendait au contraire avoir cessé de militer
plusieurs années auparavant, à la naissance de son fils.
Le commissaire Philippe Frizon, de la
Division
Nationale
Anti-Terroriste,
témoigna pendant six heures, étalées
sur deux jours. Il détailla les circons102
tances dans lesquelles les membres du
commando avaient fait leurs premiers
aveux, mettant en cause Yvan Colonna.
Il s’agissait selon lui d’aveux sincères et
spontanés. Ils concordaient parfaitement, alors que toutes les précautions
avaient été prises pour que les suspects
ne puissent communiquer entre eux ni
savoir qui avait dit quoi. La défense prétendait
au
contraire
que
les
interrogatoires avaient été poreux, et
que la version d’un Colonna assassin
avait été transportée par la police d’un
interrogé à l’autre, depuis la déposition
initiale de Michelle Alessandri, soit
directement, soit en agitant les procèsverbaux
où
tous
les
noms
apparaissaient.
Pour démontrer une telle assertion,
elle avait trouvé un nouvel argument. Le
commando avait été confondu grâce aux
portables de Didier Maranelli et Alain
Ferrandi. Ceux-ci avaient à l’époque présenté des alibis qui les situaient loin de
la scène du crime, à Cargese ou ses
environs, au moment de l’assassinat.
Mais ils s’étaient téléphoné huit fois
dans la demi-heure qui avait précédé, et
tous ces appels venaient d’Ajaccio. Ils
avaient alors cessé de nier, et étaient
103
passés aux aveux.
La défense avait épluché ces appels
téléphoniques. Leurs localisations précises ne cadraient pas avec le scénario
jusqu’ici retenu. Un quart d’heure avant
que ne débute le concert où devait se
rendre le préfet, les assassins se trouvaient encore loin de là, aux environs de
l’aéroport d’Ajaccio. Une demi-heure
plus tard, alors qu’Alain Ferrandi devait
être, selon ses aveux, posté dans la rue
de l’assassinat, son portable le situait
toujours aux alentours de la préfecture.
Les aveux du commando concordaient
entre eux, certes, mais étaient en
contradiction avec les données de la
téléphonie.
« Qui ment », demandait la défense,
« les portables ou les aveux ? »
Cet argument n’était pas imparable :
il arrive, pour diverses raisons, que les
portables ne s’accrochent pas à la borne
la plus proche. Mais il était troublant.
Outre Le Monde et Le Figaro, qui
titrèrent La défense soulève une nouvelle faille de l’enquête et Le scénario
du crime contesté, Le Parisien était
aussi gagné par un doute sérieux : Les
portables au cœur des débats.
Ce n’est pourtant pas cette trouvaille
104
de la défense pour contrer le témoignage
du commissaire Frizon qui allait le mieux
servir sa cause, mais un autre point,
évoqué par le témoin sans qu’il en
mesure l’importance. C’était à propos
d’Alain Ferrandi. Frizon précisait qu’il
avait été mis sur écoute dans le cadre de
la procédure, à partir du 8 décembre
1998, et que des conversations entre
Ferrandi et Yvan Colonna y étaient apparues.
L’existence d’écoutes précoces impliquant Yvan Colonna ne constituait pas
une nouvelle. On savait depuis le témoignage de Colombani que la police en
avait effectuées. Mais celles avec
Ferrandi avaient eu un cadre légal, et
elles n’avaient pas été versées au dossier.
On n’en apprenait l’existence qu’à
l’occasion de ce témoignage. Cela commençait à faire beaucoup de choses qui
auraient dû être versées au dossier et ne
l’avaient pas été, confirmant le soupçon
d’une instruction effectuée seulement à
charge.
Dans Le Figaro, Durand-Soufflant faisait part de sa stupéfaction : Autre
élément mis en avant mercredi par la
défense d’Yvan Colonna : l’absence au
105
dossier d’écoutes téléphoniques d’Alain
Ferrandi mentionnant l’accusé et opérées fin 1998, soit plusieurs mois avant
les premières mises en cause du berger
de Cargèse. « Pourquoi ces écoutes judiciaires ne sont-elles pas au dossier ?
Pourquoi attend-on aujourd’hui pour
apprendre leur existence ? », a demandé
Me Simeoni. Selon la défense, c’est une
manière de cacher le fait que les enquêteurs connaissaient le nom d’Yvan
Colonna bien avant l’issue de l’enquête
et qu’il a été « soufflé » aux membres du
commando au moment de leur garde à
vue en mai 1999. Une accusation réfutée par les responsables policiers
entendus mardi et mercredi.
France-Soir faisait son titre avec une
exclamation d’un avocat de Colonna
« On a décidé que cet homme était coupable ! », et développait dans l’article :
Me Patrick Maisonneuve estime, le premier, que l’absence de ces écoutes
judiciaires au dossier est le fruit d’une
« décision délibérée » : « Ce n’est pas
un oubli, ce n’est pas une erreur, on a
décidé que cet homme était coupable ! », s’indigne le pénaliste parisien.
Me Pascal Garbarini dénonce « une stratégie qui consiste à dissimuler des
106
pièces à la défense ! ». Me Gilles
Simeoni s’inquiète : « Où est le procès
équitable ? Où commence et où finit le
mensonge des juges d’instruction ? »
Les convictions du Nouvel Obs luimême semblaient ébranlées. L’article
était intitulé Un nouveau rebondissement dans l’affaire Colonna : La défense
a dénoncé l’absence au dossier
d’écoutes téléphoniques mentionnant
Yvan Colonna fin 1998. Ceci accréditerait la thèse selon laquelle le nom du
berger aurait pu être « soufflé » aux
membres du commando au moment de
leur garde à vue en mai 1999.
Seul, Libération restait fidèle à son
poste, aux côtés de la police. Tous ces
détails de portables ou d’écoutes téléphoniques ne l’intéressaient pas. Il n’y
voyait qu’arguties et manœuvres dilatoires des avocats de Colonna : Me
Simeoni a passé trois heures, hier matin,
à aiguillonner le commissaire Frizon de
la Division nationale antiterroriste
(DNAT) qui a supervisé les interrogatoires. La défense sème la confusion
pour tenter de dédouaner Yvan Colonna,
qui serait un simple « leurre » jeté en
pâture pour « protéger » le véritable
tueur.
107
Dans un article adjacent, la courageuse Patricia Tourancheau colmatait
les brèches avec une longue planche, où
elle ne doutait pas de la spontanéité des
dénonciations. En conclusion, elle récusait d’avance les rétractations qui ne
manqueraient pas d’être réitérées dans
les prochains jours par les membres
condamnés
du
commando,
leurs
épouses et ex-compagnes : (...) ces autoaccusations et rétractations en série ont
du mal à gommer les dizaines de pages
du dossier noircies d’aveux.
108
109
Les témoignages des membres
du commando et de leurs compagnes :
les anti-Colonna près de succomber
Le témoignage de Nicole HuberBalland, ex-compagne de Versini, et
surtout celui de Michelle Alessandri,
semblèrent donner raison à Patricia
Tourancheau. Toutes deux expliquèrent
qu’elles avaient, dans un premier temps,
cédé à la pression policière.
Nicole Huber-Balland avait, disaitelle, répété les noms figurant au
procès-verbal d’Alessandri, que le lieutenant Gencé lui avait montré. Celui-ci
démentit qu’elle ait pu les lire, tout en
reconnaissant qu’il avait exhibé ce
procès-verbal.
Michelle Alessandri était la clé de
voûte des aveux rétracté. Elle avait été
la première à dénoncer Colonna, les
autres avaient suivi. Il importait que sa
rétractation soit ferme. En première instance, elle était encore en dépression et
avait produit un effet lamentable. Elle
allait mieux mais, on le verra, n’était pas
encore tout à fait guérie. Elle avait
autrefois dit qu’elle avait vu Colonna
110
chez elle, le lendemain matin du crime,
en compagnie des deux autres assassins, Ferrandi et son propre mari. Elle
expliquait maintenant qu’elle l’avait
rajouté sous l’insistance des policiers,
qui tenaient absolument à ce qu’il soit
chez elle avec les deux autres, ce matinlà. Pressée de questions par la partie
civile, elle finit par se mettre à pleurer,
ce qui était émouvant, mais ne constituait pas en soi une réponse suffisante.
Le Parisien mit en avant ces larmes,
dans un papier intitulé Une ex-accusatrice de Colonna éclate en sanglots.
Stéphane Durand-Souffland résuma
l’impression produite : Elle fait peine,
cette femme qui se noie doucement,
mais elle convainc si peu que Me
Lemaire, conseil de Mme Érignac et de
ses enfants, renonce, avec une grande
élégance, à l’accabler davantage.
Patricia Tourancheau, rassérénée
sans doute par d’aussi piètres prestations, produisit un article équilibré où,
pour une fois, les propos favorables à
l’accusé étaient correctement présentés. Il faut dire qu’ils avaient été tenus
par Michelle Alessandri, ce qui en atténuait beaucoup la portée. D’ailleurs,
l’article avait pour titre l’une des
111
phrases les plus malvenues de ce
témoin : « J’ai accusé Yvan Colonna à
tort, sans penser aux conséquences. »
C’était bien mal formulé : en se donnant
cette excuse pitoyable, elle prenait sur
elle la responsabilité de ses aveux, et
dédouanait les policiers des pressions
qu’elle leur reprochait.
La dépêche de l’AFP rendant compte
de cette audition se terminait par le
point de vue d’un policier qui avait interrogé Michelle Alessandri : « Son récit
était vraiment sincère et spontané », a
assuré ce policier antiterroriste, Jérôme
Broglio. « Elle nous a dit s’être libérée
d’un secret qu’elle n’avait pu jusque-là
livrer à qui que ce soit. »
Le Nouvel Obs se satisfit de cette
assertion. Il reprit la dépêche d’agence.
L’Humanité, qui commentait l’affaire
de loin en loin, communiquait à ses lecteurs le même point de vue, vaguement
habillé, selon sa tradition, avec les oripeaux de la contestation. Dans Les
femmes du commando face à Yvan
Colonna, Sophie Bugnot concluait :
Après une première partie de procès
favorable à la défense, où aucun témoin
du meurtre n’identifie Yvan Colonna, où
la preuve est faite que l’enquête fut un
112
désastre, la venue des femmes des
condamnés assurant un service minimum peu crédible, et surtout le défilé
des membres du commando, à partir
d’aujourd’hui, qui ont dédouané le
berger du bout des lèvres en 2007,
ouvre une nouvelle page d’un procès
bringuebalant.
Elle n’osait le dire aussi ouvertement
que cela se faisait à Libération, mais elle
aussi s’alignait d’avance sur l’opinion
policière qu’il ne fallait accorder aucun
crédit aux rétractations des dénonciateurs.
Au Monde, Yves Bordenave continuait
à relever les fautes commises durant
l’enquête : Commando Érignac : « Un
policier est venu et a dit : La messe est
dite. » Il revenait sur ce qui était passé
presque inaperçu par le reste de la
presse : la communication à l’ex-compagne
de
Versini,
durant
son
interrogatoire,
du
procès-verbal
d’Alessandri. (...) le nom de Colonna a-t-il
été dévoilé spontanément par les auteurs
de l’assassinat ? Aux dires du commissaire Frizon, entendu pendant plus de six
heures mardi et mercredi, les interrogatoires ont été absolument étanches.
« Lors des interpellations, nous avons
113
veillé à ce que les suspects ne se croisent
pas et il n’y a eu aucune porosité entre
les différentes auditions », a-t-il certifié.
Il semble qu’avec Nicole Huber-Balland,
il y a eu une exception.
France-Soir titrait Les femmes des
condamnés dénoncent les pressions
policières : Aujourd’hui, toutes insistent
sur le caractère impitoyable des questionnements.
L’avocat
général
Jean-Claude
Kross
juge
Michèle
Alessandri
« peu
crédible ».
Me
Chabert, conseil de l’État, l’excuse sur
le mode ironique : « Ce serait gravissime pour elle si elle disait la vérité.
Vous savez où elle habite… » À Cargèse,
où vivent les Colonna. Michèle s’effondre. Yvan Colonna explose : « Vous
voulez que je vous parle des gardes à
vue ? Mon père, en sortant, s’est mis à
pleurer devant les caméras. J’ai vu mon
père pleurer comme jamais de ma vie !
Un policier a vidé son chargeur devant
mon frère Stéphane. Un autre a braqué
le fils Ferrandi, âgé de 4 ans ! Je n’exonère personne par rapport à ce qui a été
dit pendant la garde à vue mais il y a eu
des pressions ! »
Patricia Tourancheau avait beaucoup
compté sur les imprécisions du com114
mando pour aider, comme en première
instance, à la condamnation de l’accusé.
Cette fois-ci pourtant, Colonna et ses
avocats ne se contentèrent pas de
vagues rétractations. Ils allèrent chercher, au-delà des pressions et des
manipulations que les témoins disaient
avoir subies, la raison profonde de leurs
premières accusations. En définitive,
Joseph Versini et Didier Maranelli reconnurent avoir cédé pour protéger
d’autres membres du commando jamais
inquiétés. Ferrandi, qui n’avait jamais
dénoncé personne, confirma qu’il y avait
encore des complices en liberté.
France-Soir soulignait : Les membres
du commando innocentent fermement
Colonna. Il rapportait le moment fort de
chaque témoignage, l’effet de masse
était impressionnant.
Versini : Yvan Colonna l’interpelle en
corse, s’excuse, attaque en français :
« On m’accuse à tort, tu vois ton avocat
et tu ne lui dis pas que j’y suis pour
rien ?
- Je l’ai dit plus tard…
- Que tu aies subi des pressions, je
veux bien l’entendre. Mais tu restes des
mois, des années sans rien dire alors
que je suis recherché, que Marion (chef
de la DNAT) me veut mort ou vif !
115
Pourquoi ?
- T’étais en cavale. Il y avait d’autres
gens. C’était peut-être pour les protéger…
- Peut-être ?
-…»
Maranelli : « d’autres gens ont
échappé à la Division nationale antiterroriste. (...) Il s’agit d’un groupe de
personnes qui a conçu et participé aux
deux opérations (Pietrosella et Ajaccio).
Stop ! (...) Ça arrangeait tout le monde
de fixer le dossier à sept. La DNAT et
nous. » Me Maisonneuve développe :
« Les policiers voulaient Colonna et le
groupe, lui, ne souhaitait pas que les
investigations se poursuivent dans d’autres directions. »
Ferrandi : « Yvan Colonna n’a jamais
fait partie du groupe. Sa proximité avec
les villageois (de Cargèse) ne fait pas de
lui un coupable. Je connais Yvan
Colonna et j’ai de l’estime pour ceux qui
relèvent le défi pastoraliste. Je répète : il
n’a jamais fait partie de notre groupe. »
20 Minutes se livra à peu près au
même exercice, utilisant pour titre une
apostrophe de Colonna à Ferrandi, dont
la déclaration ambiguë au premier
procès avait, croyait-on, motivé la
condamnation du berger : « Alain, je te
116
demande d’être clair, je joue ma vie
ici ! »
Libération plia sous le choc. Un premier article Au procès Colonna, la
défense marque un point commençait
ainsi : Après quatre semaines de procès,
elle a fini par extirper à deux membres
du commando que c’est « pour protéger
d’autres
gens »
qu’ils
auraient
« accepté » de mettre le nom d’Yvan
Colonna « soufflé » par les policiers. La
conclusion en était : La défense a
marqué là un sacré bon point et sapé
l’accusation qui repose sur les aveux des
membres du commando.
Le lendemain, Patricia Tourancheau
confirmait ce repli tactique avec « Le
nom de Colonna m’a été soufflé ». Elle
finissait, en citant Maranelli, puis
Ferrandi : « J’ai été contraint de rajouter
un X [aux 5 X membres du commando,
ndlr] et de mettre le nom d’Yvan
Colonna dessus. En tant que cofondateur du groupe, je dis qu’Yvan Colonna
n’en faisait pas partie. » Pour la défense,
Me Maisonneuve lui soumet alors les
propos de Joseph Versini : « Sans vous
demander leur identité, dites-nous si oui
ou non il a pu exister d’autres personnes
non identifiées et si parler d’Yvan
117
Colonna permettait de ne pas les évoquer. » Après un long silence, Maranelli
hésite puis lâche : « C’est exact. » Enfin,
Alain Ferrandi, chef du commando
condamné à la perpétuité, a enfoncé le
clou : « Il est évident que des gens n’ont
pas pu être arrêtés. Nous étions plus
nombreux au sein du groupe sur les
faits. »
Le Nouvel Obs était plus sobre : Les
membres du Commando dédouanent le
berger.
La partie de la presse qui s’était montrée jusqu’alors la plus favorable à
l’accusé n’était pas satisfaite. Elle voulait maintenant des démonstrations
d’innocence. Les révélations du commando confirmaient les doutes soulevés
par l’affaire Vinolas ou par l’analyse des
portables. Elles détruisaient le scénario
du crime défendu par les policiers, mais
n’en proposaient pas un autre. Il restait
trop de zones d’ombre qu’il semblait
encore possible d’éclaircir.
Le Parisien titra : Procès Colonna : les
conjurés cultivent le flou. Il insistait
pourtant sur des membres du groupe
encore en liberté ? et L’argument des
pressions policières. C’était pour mieux
118
en venir à Vers une nouvelle reconstitution. Celle-ci avait été refusée au motif,
entre autres, que les participants au
crime avaient toujours refusé de s’y
plier. Un revirement de Maranelli
balayait dorénavant cet argument, et Le
Parisien insistait : « Pour faire toute la
lumière », il s’est toutefois dit prêt à
participer à une reconstitution de l’assassinat, que la défense pourrait
redemander dans les prochains jours
après avoir essuyé un refus mardi.
On connaissait par France-Soir l’opinion
de
Maranelli
sur
cette
reconstitution à laquelle il acceptait de
participer : « Oui. Elle blanchirait inévitablement Yvan Colonna ! »
Le Monde n’était pas vraiment
convaincu : Les assassins du préfet Érignac disculpent à demi-mot Colonna.
Dans son article Le « commando Érignac » assure que d’autres personnes
sont impliquées, Yves Bordenave reconnaissait que les membres du groupe
jugés en 2007 pour l’assassinat du
préfet ont été plus précis. Il ne parlait
pas de reconstitution et continuait à
focaliser son attention sur les problèmes
de la police : Pour autant, ces nouvelles
déclarations ne permettent ni de discul119
per Yvan Colonna, ni de comprendre
comment son nom a été introduit dans
cette affaire. Par des policiers, voudrait
suggérer la défense d’Yvan Colonna.
Mais dans quel but ? Cette question
reste sans réponse.
Stéphane Durand-Souffland paraissait
presque du même avis : Ce vendredi,
trois des membres déclarés du « groupe
des anonymes » ont prétendu qu’ils
étaient plus que sept à avoir accompli
leurs attentats : c’est possible, voire
plausible. Mais cela n’innocente pas
explicitement le berger de Cargèse.
Toutefois, dans un deuxième article
paru le même jour dans Le Figaro, Les
assassins
du
préfet
dédouanent
Colonna, ce n’est pas l’action passée de
la police qui l’inquiétait, mais celle, présente, du président du tribunal. Ainsi
qu’il le relatait, on avait été à deux
doigts d’en savoir plus sur les circonstances de l’assassinat. Me Simeoni,
s’appuyant sur la téléphonie le soir du
crime, avait demandé à Maranelli :
« Dites-le, les choses ne se sont pas
passées comme vous l’aviez prétendu ? »
L’accusé, très embarrassé : « Je ne
peux pas répondre… »
120
L’avocat, désignant le box : « Même
pour celui-là ? »
Silence. Promptement interrompu par
le timbre aigrelet du président : « Vous
pouvez ou vous pouvez pas ? »
L’accusé (en réponse à Me Simeoni) :
« C’est dur de ressasser ça… Je ne peux
pas, Maître. »
Le président, comme soulagé, ou en
tout cas peu amateur de suspense,
relance immédiatement d’un peu encourageant : « D’autres questions ? »
En intervenant de cette manière, à un
moment de tension comme seules les
assises en engendrent, M. Wacogne
oriente clairement le cours de l’audience.
121
122
Les anti-Colonna se reprennent,
l’accusé quitte son procès
Alessandri comparut à part, le lundi
suivant. Il avait été le premier, en 2000,
à déclarer l’innocence de Colonna, avant
même que ce dernier ne le fasse.
Il s’était ensuite accusé, en 2004,
d’être le tireur. Les autres membres du
commando s’étaient montrés plutôt crédibles dans leurs dépositions à la barre.
Celles-ci n’avaient pas été beaucoup
contestées. Il importait cependant à l’accusation qu’on ne puisse croire la sienne,
qui innocentait totalement Colonna en
proposant un autre coupable, lui-même.
De ce point de vue, elle fut déçue.
Comme les autres membres du commando, Alessandri dédouana fermement
l’accusé. Il donna de ses premiers aveux
une explication possible : le rôle actif de
la police dans la porosité des témoignages n’était plus à démontrer, on lui
avait à lui aussi soufflé le nom de
Colonna. Il détailla les raisons psychologiques qui l’avaient amené à céder. Au
passage, il montra pourquoi le com123
mando avait si facilement avalisé le scénario de la police, et l’avait plus tard si
gauchement remis en cause. Alessandri
n’avait pas cru, au début, que ces dénonciations exigées par la police auraient
des conséquences si dramatiques : « Ta
reddition dans les jours suivants aurait
suffi à te disculper comme d’autres »,
« Je ne me rendais pas compte des
conséquences », « La plus grosse culpabilité est pour moi, mais ton entêtement
dans ta cavale, ça a conditionné ta culpabilité ».
Il expliqua même par quel cheminement plus ou moins conscient il avait été
incité à impliquer son ami dans l’affaire : « Honnêtement, j’aurais espéré
qu’il fasse partie du groupe. Après le
premier procès, son père a dit « ils doivent lui en vouloir ». Il avait raison. Ce
que je lui reproche, c’est d’avoir laissé
Maranelli et Ottaviani aller au charbon.
Yvan, il aurait dû franchir le pas, ce qu’il
n’a pas fait. »
Il accepta de préciser son récit du
crime, et affirma lui aussi que d’autres
hommes non inculpés y avaient participé, des guetteurs postés à l’autre bout
de la rue. Il raconta comment il avait luimême, flanqué du seul Ferrandi, abattu
124
le préfet. Enfin, il se déclara lui aussi
« partant », pour cette reconstitution
que la défense réclamait.
Le week-end porte conseil. Patricia
Tourancheau n’avait pas remis en cause
les témoignages de Versini, Maranelli et
Ferrandi. Elle s’acharna sur celui d’Alessandri qui pourtant les corroborait :
L’homme qui couvre Yvan Colonna. Elle
s’employa à détruire, avec de pauvres
arguments, la thèse de deux autres
hommes dans le commando qui, depuis
le témoignage du commissaire Vinolas,
en passant par ceux de Versini, Maranelli
et Ferrandi, commençait à s’imposer.
C’était indispensable pour justifier une
condamnation de l’accusé : si la version
policière d’un commando à sept personnes était abandonnée, le scénario du
crime était modifié, et les aveux sur lesquels
l’accusation
s’appuyait
se
trouvaient démentis.
La journaliste de Libération ne pouvait
faire mieux que de donner directement
la parole à la partie civile : Me Philippe
Lemaire, qui soutient la famille Érignac,
doute fort de la crédibilité de Pierre
Alessandri : « Vous avez changé au
moins dix fois de versions. Comment
vous créditer d’une confiance quel125
conque ? D’autant que vous venez nous
ajouter aujourd’hui d’autres personnes.
Quand vous avouez, en 1999, en détail,
tout est exact sur les autres membres,
puisque tous ont été condamnés. Il n’y a
que sur Yvan Colonna que vous vous
trompez ! » Pierre Alessandri, penaud :
« Cela me donne le temps de voir
venir ».
Me
Lemaire
poursuit :
« Pourquoi vous ne dégagez pas Yvan
Colonna chez le juge et puis à votre
procès
en
2003 ? »
Alessandri :
« Apparemment, je trouve pas les bons
mots. Et puis c’est un procès tronqué. »
Me Lemaire : « En plus, Yvan Colonna est
interpellé en cours de votre procès et
vous ne vous levez pas ! Je n’y crois pas
un seul instant. C’est après avoir été
condamné à perpétuité comme coauteur
de l’assassinat et avoir épuisé tous les
recours que vous venez nous chanter « je
suis le tireur ». Vous nous prenez pour
des débiles. »
Isabelle Horlans, dans France-Soir,
relevait aussi cette diatribe. Elle titrait
L’avocat des Érignac ulcéré par les membres du commando, mais laissait voir
combien lui semblaient crédibles, au
contraire, les propos d’Alessandri.
20 Minutes fit apparaître, à côté du
126
nom de ce témoin, le mot de vérité :
Alessandri dit ses quatre vérités à
Colonna.
Le Parisien restait neutre, se contentant d’un factuel : Un membre du
commando s’accuse d’avoir tiré sur le
préfet.
Le Monde n’était pas convaincu par
ce témoignage : Pierre Alessandri
cherche à disculper Yvan Colonna.
Le Nouvel Obs reprenait la dépêche
de l’AFP, et la titrait d’un réticent
Alessandri répète avoir tiré, mais…
Dans Les non-dits de l’ex-ami de
Colonna, Stéphane Durand-Souffland
reconnaissait tout ce qu’il y avait d’encore insatisfaisant dans la déposition
d’Alessandri, mais il n’en attribuait pas
la cause à celui-ci : À noter l’attitude
troublante du président Wacogne : il ne
questionne pas le témoin de manière
classique, mais tronçonne son discours
en minuscules portions, n’ayant de
cesse de lui couper la parole pour faire
acter le moindre de ses mots, alors que
les parties ne lui en demandent pas tant.
S’il ne s’était autoproclamé dernièrement grand défenseur de l’oralité des
débats, on pourrait croire qu’il tente de
saboter la déposition de M. Alessandri.
127
Il finissait en citant à nouveau Colonna :
« J’ai le sentiment que vous allez me
condamner au nom de la raison d’État. » Il
ne semblait pas éloigné de partager ce sentiment.
C’était aussi l’impression qu’avait
Philippe Madelin dans le quotidien en
ligne Rue89 : Après les aveux du tireur, le
procès Colonna est-il terminé ?
En bonne administration de la Justice,
dans n’importe quel pays démocratique,
puisqu’on tient le coupable et ses « complices », puisque les motivations et les
circonstances sont clairement définies,
le procès devrait s’arrêter là. Or il n’en
est pas question. (...) Donc le procès
continue. On écarte les témoignages qui
ne vont pas dans le bon sens. On en
doute, même. On oublie les pistes inexplorées. Pour nourrir l’accusation, on
efface même du débat les éléments relevés à l’audience. Notamment la
présence sur la scène de crime de nombreux autres protagonistes. (...) Pour
autant, hormis les aveux en garde à vue
recueillis dans d’étranges circonstances, non compris Yvan Colonna qui
proclame toujours son innocence ;
hormis les éléments des instructions
actés par les juges Bruguière, Thiel et
128
LeVert, toujours pas la moindre preuve.
Alessandri, l’assassin a tout avoué, donc
le procès peut continuer.
Il continua par l’audition de Roger
Marion, qui réitéra l’ensemble des certitudes exprimées en première instance
après son entrevue avec Claude
Guéant : l’enquête avait été exemplaire,
dans le souci de « la déontologie policière et le respect des droits de
l’homme ». Pour lui, le coupable figurait
dans le box des accusés.
Ces affirmations furent entendues
avec assez d’indifférence, car dès le
matin, une information fuitait : la cour
refusait, une fois encore, la demande de
reconstitution présentée par la défense.
La cour précédente avait procédé à un
coûteux déplacement sur les lieux du
crime. Celle-ci, plus économe, imagina
de visionner en public les photos prises
à cette occasion, afin de se forger une
opinion.
Ce fut un désastre et, selon le mot de
Patricia Tourancheau elle-même, pitoyable : photos minables, aux couleurs
pisseuses, d’un simple décor où il ne se
passait rien. Les pannes furent fréquentes, et le président s’excusa d’un
manque de familiarité des techniciens
129
avec un logiciel nouveau. Après quoi, la
cour ayant délibéré en secret revint à 15
heures déclarer qu’on ne pouvait rien
attendre de mieux d’une véritable reconstitution. Les témoins oculaires n’avaient
jamais identifié Colonna : donc, ils n’apporteraient rien de neuf.
Versini et Maranelli, qui acceptaient
maintenant de participer à une reconstitution à laquelle ils s’étaient toujours
refusés, ne se trouvaient pas précisément sur la scène du crime : ils étaient
inutiles.
La déclaration de Pierre Alessandri,
« J’ai tiré dans la nuque, et voilà », était
jugée trop imprécise pour constituer un
fait nouveau.
Enfin, l’hypothèse d’un nombre plus
important de personnes ayant participé
à l’action n’était pas considérée comme
exploitable.
En conséquence de quoi, « la cour
rejette la demande et passe outre aux
débats ».
Patricia Tourancheau rapporta de
façon tronquée la réaction immédiate de
Colonna, qui fit une déclaration avant de
quitter la salle à la stupeur générale :
« Je n’accepte pas cette décision. La
reconstitution est primordiale et impor130
tantissime. Mais vu que pour vous,
Pierre Alessandri ment tout le temps, y a
qu’un moment où il ne ment pas, c’est
quand il m’accuse d’être l’assassin. Dans
ce cas, il y a trois hommes, Pierre
Alessandri, Alain Ferrandi et moi... Tous
les témoins oculaires disent qu’il n’y a
que deux hommes. Même le préfet
Marion dit qu’il y a deux hommes autour
du préfet. Mais vous ne voulez pas car ça
va invalider sur le terrain le scénario mis
en place. Je vois bien que quoi qu’on dise,
quoi qu’on fasse, on ne nous écoute pas,
ça ne sert à rien. (...) Le commando il
ment sauf quand c’est pour m’accuser
moi. Si vous vouliez la vérité, vous
devriez aller sur place mais vous ne
voulez pas parce que ça vous gêne. Quant
à ce procès, depuis le début, j’ai une très
grande défiance. Alors j’ai décidé de quitter ce procès. Je récuse tous mes avocats.
Je veux partir et descendre à la souricière
où ça sent la pisse... Si vous voulez me
condamner pour faire plaisir à la famille
Érignac, à Marion (patron de la division
nationale antiterroriste, ndlr), Le Vert,
Bruguière et Thiel (les juges antiterroristes, ndlr) et tous ces... ce sera sans
moi. Je suis innocent. Moi je m’en vais. »
La journaliste de Libération avait un
131
peu déformé ces propos, mais surtout
elle en avait omis la fin, qu’on trouvait
sur France-Soir : Vous ferez ce que vous
voudrez. Je quitte ce procès. Je suis
innocent, vous le savez, et vous voulez
me condamner quand même !
Ces dernières phrases auraient été
gênantes dans l’article de Patricia
Tourancheau, qui relatait aussi la conférence de presse tenue le matin même
par les avocats de Colonna, en prévision
du refus de reconstitution. Elle y avait
mis en exergue cette impression qui collait mal avec les dernières phrases de
Colonna : Gilles Siméoni paraît croire à
l’innocence de son client et ami Yvan
Colonna plus que celui-ci. Son article,
intitulé
Chronique
d’un
boycott
annoncé, invalidait systématiquement
toutes les bonnes raisons qu’avait eu la
défense de crier à la mascarade judiciaire. Il supposait au contraire que
celle-ci avait guetté le moment propice
pour effectuer une rupture souhaitée
depuis toujours.
France-Soir rapportait une tout autre
réalité : On lit la déception dans les yeux
de Me Gilles Simeoni. Même si le défenseur affirmait, mercredi matin avant
l’audience, être tombé dans « un guet132
apens judiciaire », il espérait sans doute
que les jurés - magistrats professionnels
- lui tendraient une main secourable.
Son confrère Me Patrick Maisonneuve,
le front barré d’une ride soucieuse, est
assis, livide, effondré, sur le banc de la
défense, aux côtés de Mes Pascal
Garbarini et Antoine Sollaccaro, comme
s’il venait d’entendre un « mauvais »
verdict.
Entre ces deux extrêmes que constituaient les articles de France-Soir et de
Libération, la presse garda une prudente réserve, se contentant souvent
d’enregistrer l’événement, considérable
en soi : Colonna quittait son procès. Ses
avocats faisaient de même.
Elle suivait en cela les dépêches
d’agence, qui épargnaient la cour en
n’examinant guère les motifs contestables de son refus d’une reconstitution.
On la plaignait presque désormais, à
cause de la situation difficile où elle se
trouvait.
À peine si l’on évoqua la version que
donnait la défense de cet événement : la
cour aurait provoqué cette rupture prévisible pour en finir avec des débats
contradictoires qui la gênaient de plus
en plus.
133
Le Nouvel Obs, avec l’AFP, soulignait
au contraire son embarras, après que
les avocats de Colonna, récusés par leur
client, eurent refusé d’être commis d’office : Le droit pénal français exige la
présence d’un avocat devant une cour
d’assises. Si aucun avocat n’accepte
d’être commis d’office, la cour se trouvera dans l’embarras. Un arrêt de la
Cour de cassation prévoit cependant
qu’un procès peut se poursuivre sans
avocats, ni accusé, si leur absence n’est
pas du fait du président. Une solution
qui expose cependant la France à une
condamnation de la Cour européenne
des droits de l’Homme (CEDH).
Le Parisien ne voyait pas comment on
pouvait continuer à juger l’accusé, en
son absence et en l’absence de toute
défense. Il pensait à un report du
procès. Celui-ci n’eut pas lieu.
S’appuyant sur l’arrêt de la Cour de
cassation, la cour d’assises spéciale
décida de continuer, en présence des
seules parties civiles et du parquet.
C’était une grande première. On évoqua
le cas récent de Ferrara, qui avait lui
aussi refusé de comparaître, sans que
l’on interrompe son procès. Mais, soulignait France-Soir, dans le cas de
134
Ferrara, la présidente s’était appuyée
sur le fait que d’autres coaccusés voulaient, eux, que le procès se poursuive.
Rien de tel avec Colonna, qui était seul
dans le box.
Stéphane Durand-Soufflant concéda
que la cour était, à la lettre, dans son
droit : C’est bel et bien le berger de
Cargèse qui, peu après 15 heures, a
donné le signal du clash définitif. Sur le
fond, il citait longuement les propos
qu’avait tenus Colonna pour justifier son
départ. Il revenait aussi sur ce qu’il
nommait « les bourdes de la cour » : en
dissimulant des pièces, le président a
laissé s’installer l’idée que les débats
étaient faussés. Son attitude face à certains témoins laisse pantois.
Le chroniqueur du Figaro concluait
par une saillie du président à propos des
écoutes non versées au dossier, alors
que les photos inutiles prises à Ajaccio
l’avaient été : Le président s’essaye à
l’humour : « Si j’avais voulu verser la
recette du brocciu, j’aurais pu le faire. »
Le président Wacogne en est donc au
fromage. Le dessert sera pour la fin
mars : la condamnation à perpétuité
d’un box vide, en guise de pièce montée
judiciaire.
135
Sans Colonna ni la défense,
les anti-Colonna respirent
Le procès se poursuivit. Ottaviani, l’un
des membres condamnés du commando,
inaugurait par son témoignage la nouvelle configuration du tribunal : « Étant
donné qu’Yvan Colonna et ses avocats ne
sont pas présents, je ne répondrai à
aucune question. »
Bastien Bonnefous, sur 20 Minutes,
résuma bien son audition : Pendant près
de deux heures, magistrats, avocats et
avocats généraux l’ont interrogé, avec à
chaque fois la même réponse : « Je n’ai
rien à déclarer. » C’était titré : Colonna,
la justice passe en force.
Cette impression rugueuse n’était pas
celle de Patricia Tourancheau, pour qui
tout glissait désormais : Un box vide et
un boulevard pour l’accusation.
Après avoir présenté les préambules
au témoignage d’Ottaviani, exprimés
par la partie civile, « le départ annoncé
avant le procès » de l’assassin présumé
du préfet Érignac, « sa nouvelle fuite,
signe de culpabilité », sa « stratégie
d’évitement » afin de « ne pas aborder
136
le fond du dossier », elle en vint au
témoin lui-même, c’est-à-dire, puisqu’il
ne parlait pas, aux propos qu’on lui prêtait en l’interrogeant :
« Yvan Colonna devait tirer sur le
préfet avec le pistolet automatique volé
à Pietrosella mais je ne l’ai pas vu
faire. » Il a attendu ce soir du 6 février
1998 à bord de la 306 Peugeot le retour
d’Alain Ferrandi, Pierre Alessandri et
Yvan Colonna qu’il avait conduits à
Ajaccio jusqu’à un appel, « on arrive,
c’est bon on dégage ». Il les a vus tous
les trois rappliquer « 2 minutes plus
tard », puis les a emmenés chez
Ferrandi à 10 minutes de là. Me Lemaire
souligne ce « minutage » et ces « itinéraires »
qui
« croisent
d’autres
témoignages » : « À 43 reprises dans le
dossier, vous mettez en cause Yvan
Colonna, et dix fois, vous dites qu’il y
avait trois autres personnes et donnez
même leur place dans la voiture, c’est
d’une précision extraordinaire. » Les
parties civiles soulignent le luxe de
détails fournis par Ottaviani sur les
« perruques » portées par le trio, deux
noires et une blonde, « les gants marron
en tissu avec une bande blanche dessus,
portés par Yvan Colonna » et doutent
137
que les policiers aient « pu les inventer ».
Cinq appels. Puis, l’avocat général
insiste sur « cinq échanges téléphoniques entre Martin Ottaviani et Yvan
Colonna le 21 mai 1999, juste après la
dépêche de l’AFP de 10 heures qui
annonce les arrestations pour l’assassinat du préfet. Vous vous téléphonez à 10
heures 13, 10 heures 30, 10 heures 34,
10 heures 38 et puis à 20 heures 38,
vous recevez le dernier appel d’Yvan
Colonna avant qu’il ne ferme son portable. Après, plus de nouvelles de lui ». Il
a « pris du recul », plus de quatre ans
dans une bergerie. »
Après avoir si fidèlement rapporté les
questions posées par la partie civile et
l’accusation, l’article de Libération
oubliait de mentionner la seule réponse,
pourtant fort brève, qu’Ottaviani faisait
à chaque fois : « Je n’ai rien à déclarer. »
Elisabeth Fleury finissait son article
du Parisien en évoquant ce qui se déroulait dans la souricière du palais de
justice : « Yvan Colonna est à quelques
mètres de nous, rappelle Me Patrick
Maisonneuve. Enfermé dans une cage.
Entouré d’agents portant des cagoules.
Seul. Du matin au soir. Et cela va durer
des jours. »
138
Patricia Tourancheau avait conclu sur
la même évocation, mais avec moins de
compassion, en citant l’avocat général :
« Aujourd’hui, Colonna se terre dans la
souricière du tribunal. »
L’Humanité avait trouvé une expression pour qualifier l’absence de Colonna
dans le box des accusés : « Une décision
lâche ». C’était le mot qu’avait eu un
policier dans son témoignage à charge :
« La décision d’Yvan Colonna de quitter
le procès, je la trouve lâche, entame Me
Cathy Richard, conseil d’un gendarme
pris en otage à Pietrosella en 1997. Il me
répugne de combattre un homme de
dos. »
Le quotidien communiste rapportait
alors les encouragements que la partie
civile avait prodigués au témoin : « Nous
avons assisté à une forme de politisation
totale du procès. Yvan Colonna veut être
un martyr auprès de l’opinion publique
et de ses compatriotes qui partagent ses
options politiques. »
Dans la même ligne, Me Philippe
Lemaire interpelle les magistrats de la
cour : « Vous jugez une affaire de terrorisme. Et c’est quoi le terrorisme sinon
de déstabiliser l’État, les institutions de
la République et la justice ? C’est exactement ce à quoi vous assistez. »
139
C’était un point de vue, que manifestement l’organe du PC partageait.
Stéphane Durand-Souffland titra
Colonna : des débats sans accusé et
sans avocats de la défense. Il terminait
son
compte-rendu
de
l’audition
d’Ottaviani par la dernière question
qu’avait posée l’avocat général Teissier,
et à laquelle il avait répondu, comme
aux autres :
Le témoin : « Je n’ai rien à déclarer. »
M. Teissier : « Au moins, vous n’avez
pas à dire qu’il est innocent. »
« À vaincre sans péril, on triomphe
sans gloire », pérorait tout à l’heure un
avocat de la partie civile, comme pour
anticiper ce questionnement édifiant,
mais incomplet, car la défense - elle en a
fait le choix - n’a pas eu la parole en dernier.
Les journaux favorables à une
condamnation de Colonna s’exprimaient
maintenant sans retenue. Leurs propos
n’étaient plus tempérés par la nécessité
de rapporter les arguments de la
défense. Or le plus virulent d’entre eux
était Libération, accompagné du
NouvelObs, et soutenu par l’Humanité.
On aurait pu commencer à soupçonner
l’ensemble PS-PC d’être extrêmement
140
intéressé à une condamnation de
Colonna, mais une autre hypothèse avait
les faveurs du public.
Depuis le début, l’accusé avait
dénoncé en Nicolas Sarkozy, qui le traitait
d’assassin
depuis
2003,
le
responsable principal de sa condamnation programmée. Ses avocats avaient
fait de même, en criant au procès politique. Ils n’avaient pas précisé que le
dossier d’accusation avait été principalement monté sous le gouvernement Jospin
et que le président de la République
n’avait en l’occurrence pratiqué aucune
rupture : il avait continué sans état d’âme
l’action implacable de l’État.
Les lecteurs de la presse de gauche
s’étaient étonnés de ce qu’écrivaient
leurs journaux, mais ils étaient loin de
penser qu’il y avait un lien entre l’étonnant parti pris de cette presse et les
activités de la gauche plurielle
lorsqu’elle était en pouvoir. Libération,
particulièrement, s’était fait, à l’instar
du PS, une belle réputation dans la
défense urbi et orbi des droits de
l’homme et des principes fondamentaux
de la démocratie. Il était difficile d’admettre que ce quotidien, tout comme le
parti qu’il soutenait, s’asseyait à l’occa141
sion sur les principes intangibles qu’il
affichait.
Cependant, au train où allaient les
choses, ça risquait d’arriver.
Le hasard d’un petit événement
monté en épingle détourna l’attention.
Un corbeau, qui opérait depuis quelques
semaines, fit la une des journaux. Il
avait envoyé des lettres à divers
hommes politiques de droite, dont une,
récemment, au président de la
République. Il menaçait de le revolvériser bientôt pour différents motifs, dont
« la parodie de justice contre Yvan
Colonna ». L’affaire fit grand bruit, avant
de s’éteindre doucement, faute d’aliment : le corbeau cessa son activité,
sans être jamais passé aux actes. Cet
incident focalisa la responsabilité du
procès Colonna sur l’exécutif en place,
ce qui, d’une certaine manière, éloignait
du soupçon la presse d’opposition.
Elle n’avait d’ailleurs plus autant à en
faire. Ses contradicteurs du Figaro ou
de France-Soir, privés des prestations
de la défense, se trouvaient en grande
partie désarmés. Chacun savait maintenant que Colonna serait condamné, et
l’intensité dramatique des débats avait
quitté le procès en même temps que
142
l’accusé. On en parla moins, et de façon
plus apaisée.
Le commandant Lebbos, profondément dépressif selon son médecin, ne
pouvait supporter « l’épreuve insurmontable que représente une nouvelle
comparution ». Il préférait « sauter par
la fenêtre que d’y retourner ». Il se
trouva pourtant miraculeusement guéri
quand il fut assuré que la défense ne
pourrait pas le questionner. Il vint à la
barre bien volontiers. Il avait recueilli
les aveux de Maranelli qui, les premiers
parmi ceux des membres du commando,
avaient dénoncé Colonna. Comme il ne
faisait plus aucun doute que les interrogatoires avaient été poreux, celui de
Maranelli devenait la pierre de touche
sur laquelle tout l’édifice des aveux
reposait.
De ce point de vue, la police et l’accusation jouaient de malchance. Le
commandant Lebbos était lui-même
devenu depuis un repris de justice,
condamné en correctionnelle. Il était en
outre passible des assises et de quinze
ans de réclusion pour la falsification de
procès-verbal qu’il avait commise dans
l’affaire d’Andriuzzi et Castela.
Il avait été déplacé en région pari143
sienne et mis dans un placard où il passait le temps sans avoir rien à faire : ses
supérieurs n’avaient aucune confiance
en lui.
Le Monde ignora la personnalité de ce
témoin, et reprit l’AFP : Un ancien policier dément avoir exercé des menaces
pour obtenir des aveux. L’agence de
presse croyait Lebbos sur parole :
« Pourquoi j’aurais soufflé le nom
d’Yvan Colonna ? Je n’ai rien contre lui,
rien contre toutes ces personnes. »
Patricia Tourancheau rechaussait
avec plaisir les escarpins de la contestation. Elle commenta avec ironie le
témoignage du commandant, mais le
cita abondamment quand il expliquait
que Colonna avait été dénoncé sans
véritable pression, et dans une
ambiance de grande courtoisie.
Elle relevait la plus grosse paille de ce
témoignage : Lebbos jure qu’il n’était
« pas au courant » de la déposition de
Valérie Dupuis, compagne de Maranelli
ayant déjà cité Colonna, alors que le
commissaire Frizon de la DNAT a dit le
contraire ici.
Mais elle titrait avec la question sans
réponse que Lebbos avait posée pour
écarter les accusations de mensonge
144
dont il avait fait l’objet : « Pourquoi j’aurais soufflé le nom de Colonna ? »
Pourquoi ? Le témoin suivant, que
Patricia n’évoquait pas, apportait un élément de réponse, qu’on trouvait dans Le
Parisien : « C’est un menteur, un manipulateur, quelqu’un de très violent »,
affirme son ex-compagne, fonctionnaire
de police elle aussi. En 2003, cette jolie
blonde aux cheveux raides a dû faire
appel à la protection de sa hiérarchie
pour fuir le domicile commun. Sa plainte
pour « violences conjugales » s’est
soldée par la condamnation définitive de
Georges Lebbos, en décembre 2007, à
six mois de prison avec sursis.
France-Soir complétait le tableau par
les menus larcins dont le commandant
était soupçonné : M. Kross veut en
savoir plus « sur le tournevis volé au
BHV ». Le commandant proteste :
« C’est archi-faux, j’étais en conflit avec
le magasin ! Je n’ai pas été condamné. »
Le Parisien s’étonna encore du comportement qu’eut le président du
tribunal, quand le témoin décida luimême que sa déposition avait assez
duré : « Je ne répondrai plus à aucune
question », rétorque le policier. Cela
tombe bien : le président Didier
145
Wacogne n’en a aucune à lui poser. Et
encore moins à son ex-compagne, citée
par la défense d’Yvan Colonna, qui a
pourtant partagé avec le policier Lebbos
les années cruciales de l’enquête. Avant
de le fuir… sous protection policière.
20 Minutes résumait d’une phrase le
malaise : Un policier controversé
entendu au procès Colonna malgré l’absence de l’accusé.
Le Nouvel Obs titrait à l’instar du
Monde : Le policier qui a recueilli les
aveux nie toute menace. Il ne disait pas
un mot de l’ex-compagne de Lebbos,
Marie-Agnès.
Au Monde et au Figaro, les chroniqueurs judiciaires s’étaient abstenus de
commenter l’épisode.
Le témoignage des juges d’instruction
ne fit l’objet d’aucune polémique. Les
juges Le Vert et Thiel s’étaient présentés, mais pas Bruguière, qui était
malade. Sans surprise, ils affirmèrent
avoir fait un bon et loyal travail, et l’ensemble de la presse titra à peu près
comme Le Parisien : Les juges défendent leur enquête. En l’absence des
interventions de la défense, il n’y avait
pas autre chose à en dire.
France-Soir se rabattit sur les rares
146
moments où une contestation était, pour
la forme, apportée aux dépositions des
témoins. Les compagnes du commando
s’étaient plaintes d’avoir craqué parce
qu’on leur avait fait croire, après leur
garde à vue, qu’elles étaient directement conduites en prison : Le président
Wacogne se fait le porte-voix de la
défense, absente. Pourquoi les compagnes ont été conduites de la DNAT au
Palais de Justice alors qu’elles avaient
été remises en liberté ? Le juge réfute
toute entorse à la procédure pénale :
« On les a transportées en voiture de
police par humanité. Elles n’avaient pas
beaucoup d’argent, ne connaissaient
pas le palais. Mais elles savaient qu’elles
étaient libres. » Aucune coercition,
donc. (...) (Le juge Thiel) n’a aucun
doute, il le dit clairement pour balayer
« la stratégie du complot ». La première
fois qu’il a vu le berger, « il m’a dit : je
ne fais pas partie du groupe des anonymes, je n’étais pas à Pietrosella et je
n’ai pas tué le préfet Érignac, qui était
votre ami. Je vous le dis les yeux dans
les yeux ». Le juge Thiel ne l’a pas cru.
Libération avait trouvé le juge particulièrement convaincant : La juge Le
147
Vert se défend d’avoir chargé Colonna.
Patricia Tourancheau la présentait Veste
et pantalon noir, voix douce, physique
androgyne. Elle lui octroyait ainsi, à part
la couleur, les caractéristiques principales de l’angélisme. L’article lui-même
était constitué d’un ensemble de citations de cette personne sans péché. Il se
terminait ainsi : La juge jure à Me
Lemaire qu’elle « ne règle pas de
comptes politiques à travers Yvan
Colonna » et qu’elle « n’agit pas sur instruction
du
président
de
la
République » : « Quelles que soient les
erreurs qu’on a pu commettre les uns et
les autres, notre but était de chercher la
vérité et pas de chercher un coupable. »
Yves Bordenave et Stéphane DurandSouffland ne daignèrent pas commenter
cette séance. Ils préférèrent la réponse
qu’à sa manière la défense lui apportait.
Le scoop venait du Figaro, qui en
informait tout le monde, Les avocats de
Colonna portent plainte : Les avocats
d’Yvan Colonna ont déposé plainte, ce
mardi, auprès du procureur de Paris,
contre les juges antiterroristes JeanLouis Bruguière, Laurence Le Vert et
Gilbert Thiel. Visant l’article 434 du
148
Code pénal, ils accusent les magistrats
de « destruction, soustraction, recel ou
altération d’un document public ou privé
de nature à faciliter la découverte d’un
crime ou d’un délit, la recherche des
preuves ou la condamnation des coupables ». La peine encourue par les
intéressés, du fait de leur fonction, est
de cinq ans de prison et soixante-quinze
mille euros d’amende.
En fin d’article, le quotidien précisait : En l’absence de Jean-Louis
Bruguière, hospitalisé, Le Figaro a sollicité mardi en début d’après-midi Gilbert
Thiel et Laurence Le Vert. « Pas de commentaire », a indiqué le premier, tandis
qu’une collaboratrice de la seconde précisait qu’elle n’était « pas joignable ».
Le Monde reprenait l’information du
Figaro.
Le Nouvel Obs faisait de même, Yvan
Colonna porte plainte pour entrave à la
vérité, mais indiquait dans un sous-titre
que les écoutes téléphoniques non versées au dossier, et qui faisaient l’objet
de la plainte, n’avaient : Aucun caractère suspect.
Sans préciser que c’était justement là
tout le problème : elles étaient à
décharge, et n’avaient pas été retenues.
149
20 Minutes ne faisait pas la même
omission : La défense d’Yvan Colonna
porte plainte pour dissimulation de
preuves. (...) Pour la défense, si ces éléments ont été occultés, c’est parce qu’ils
sont à décharge.
150
151
On tire les dernières cartouches :
la thèse de l’ubiquité
contre celle du dégonflage
Ce fut la dernière fois que la presse
commenta de manière à peu près coordonnée un événement du procès.
Les deux témoins qui, en 2007,
avaient innocenté Colonna pour l’attaque de la gendarmerie réitérèrent leur
prestation dans l’indifférence générale.
Il n’y en eut que de rares échos.
Un article pourtant fit encore sensation. Il émanait une fois de plus du
Figaro, et se penchait sur le témoignage
qu’avait produit Valérie Dupuis, l’excompagne de Didier Maranelli. Celle qui
avait été la première à introduire le nom
de Colonna dans la procédure était la
seule à ne pas se plaindre d’avoir subi
des pressions. Elle n’avait jamais varié.
Le lendemain matin du crime, entre 9 et
10 heures, elle avait vu Colonna chez
elle, à Cargese, en train de discuter avec
Maranelli, le guetteur du commando.
Stéphane Durand-Souffland la citait longuement : « Je n’ai jamais menti en
garde à vue » (...) « un monsieur d’un
certain âge m’a fait comprendre, en me
152
parlant très gentiment, que si je me taisais, je risquais moi aussi d’aller en
prison. Comme rien ne passe avant ma
petite fille, j’ai décidé de dire la vérité. »
(...) Elle peut « dire des choses sur
Didier Maranelli mais rien sur Yvan. Je
ne voudrais pas l’enfoncer parce que je
ne sais rien de cette histoire. On ne sait
pas aujourd’hui s’il est innocent ou coupable, et je ne peux pas dire si le fait
qu’il soit venu chez moi, à Cargèse, a un
rapport ou pas avec ce procès. » (...) « Je
l’ai vu une seule fois à la maison, c’était
après les événements. »
Elle fit au journaliste l’impression
d’être à la fois franche et prudente. Son
témoignage n’était pas favorable à la
défense. Il démentait celui de Maranelli,
qui disait n’avoir jamais reçu Colonna
chez lui. Il sapait l’alibi que la famille de
Colonna avait offert à l’accusé, selon
lequel le lendemain matin il se trouvait à
Cristinacce, chez ses parents.
Mais surtout, il dynamitait toute l’accusation selon laquelle, ce 7 février au
matin, Yvan Colonna se trouvait à
Ajaccio chez Ferrandi, avec les deux
autres coauteurs du crime, ainsi que
l’avaient attesté les aveux primitifs des
épouses de ceux-ci, Alessandri et
153
Ferrandi. Personne ne s’était aperçu de
cette contradiction. C’est Colonna luimême qui l’avait relevée durant
l’instruction.
Durand-Souffland avait intitulé son
article Le don d’ubiquité de Colonna
n’émeut pas les assises, et relevé que
personne, pas plus le président que le
ministère public, n’avait posé à Mme
Dupuis les seules questions qui vaillent.
Il en concluait, toujours aussi indigné
par la continuation d’un procès en présence des seules parties civiles et de
l’accusation : Un procès sans défense,
ce n’est rien d’autre que la validation
faussement critique d’une thèse écrite à
l’instruction, avec l’alibi tendancieux
d’une oralité unijambiste. Il est plus que
temps d’en finir avec cet appel mort-né.
Le Nouvel Obs répliqua au Figaro par
deux articles qui eurent un énorme
succès.
Le premier était intitulé Procès d’Yvan
Colonna : le scénario qui dérange, et le
second Si Colonna n’est pas « allé au
charbon ». Ariane Chemin et MarieFrance Etchegoin s’étaient mises à deux
pour émettre une hypothèse osée. Elles
supposaient qu’au moment de tirer, Yvan
se serait dégonflé au dernier moment,
154
remplacé au pied levé par Alessandri.
Elles regrettaient du coup que la bonne
question n’ait pas été posée à celui-ci
quand il avait fait son récit du moment
fatal : « Il y a eu une part d’improvisation... J’ai tiré, voilà. »
C’est sur ce lambeau de phrase
qu’elles s’appuyaient principalement, le
reste étant nettement plus vague. Cette
audacieuse fiction fit un triomphe.
La presse et les blogs la reprirent sur
le thème « Et si Colonna s’était dégonflé ? ». Elle arrangeait, de part et
d’autre, beaucoup de monde. En effet,
elle reconnaissait ce qui n’était plus
niable : les faiblesses évidentes de l’enquête, l’incompétence apparente du
président, un doute incontournable sur
la culpabilité de l’accusé. Mais elle
confortait les verdicts passés et à venir
le concernant, puisque, tireur ou non, il
était, selon cette thèse, coauteur du
crime. Et cela valait, de toute façon, perpète.
L’hypothèse soulageait ceux qui abandonnaient Colonna à son sort sans croire
pour autant qu’il était coupable de l’acte
dont on l’accusait. S’il n’avait pas tué, il
en avait eu l’intention, et avait participé
au complot jusqu’au dernier moment.
155
De surcroît, cette hypothèse permettait
de valider l’essentiel de l’enquête, ainsi
que le comportement des juges, et
c’était bien plus confortable comme ça.
Il restait cependant un petit problème : personne ne doutait d’une
condamnation de Colonna, dans un
procès où presque personne, pas même
au Nouvel Obs, ne supposait plus qu’il
avait tiré sur Claude Érignac, et l’avait
tué. L’impression d’une justice erratique
et probablement aux ordres s’en trouvait confortée.
Avant que les réquisitoires n’aient
lieu, Patricia Tourancheau proposa sa
solution. Elle avait trouvé que les errements constatés au procès étaient en
fait illusoires, fabriqués par une presse
que la défense avait abusée. Sous le titre
La bataille de l’opinion publique, elle
expliquait que le berger nationaliste de
Cargese (avait) décidé d’impulser une
(...) stratégie, de rupture. Il (s’agissait)
de ne plus coopérer avec la justice mais
de la discréditer et de batailler hors du
prétoire.
Elle remarquait que L’accusé (avait
déplacé) le débat sur le terrain politique, peut-être pour occulter les
charges contenues dans le dossier : ces
156
aveux réitérés de quatre membres du
commando et de trois épouses qui,
malgré leurs revirements tardifs et mouvants, ont forgé l’intime conviction de
ses juges précédents.
Elle donnait la liste des soutiens
publics de Colonna, dont le prestige
aurait troublé l’entendement des journalistes, les people, disait-elle, assis sur le
même banc que la sœur de l’accusé,
Mgr Gaillot, le rugbyman Daniel
Herrero, le chanteur Bernard Lavilliers
ou l’humoriste Guy Bedos, sans compter
les permanents de la Ligue et de la
Fédération des droits de l’homme derrière elle.
Autant dire, des professionnels de la
subversion. Elle soulignait l’abattage
médiatique des avocats de Colonna : Le
quintette de la défense s’avère omniprésent pour répondre aux journalistes. Elle
révélait enfin qu’ils en étaient arrivés à
contrôler toute la presse : C’est ainsi
que la défense d’Yvan Colonna a monopolisé les médias pour gagner la bataille
de l’opinion publique et instiller le doute
sur la culpabilité d’un « Yvan Colonna,
otage de la raison d’État ».
Ces énormes moyens de propagande
avaient atteint leur but en instillant dans
157
158
Libération qui rit, Le Figaro qui
pleure :
Yvan Colonna est condamné
Les plaidoiries des parties civiles et le
réquisitoire de l’avocat général restèrent,
en l’absence de la défense, sans réplique.
Le Monde se contenta des dépêches
d’agence qui en présentaient la teneur.
20 Minutes eut ce seul commentaire :
Il n’y a rien eu de nouveau du côté de
l’accusation. Comme en première instance, les avocats généraux ont requis
jeudi, devant la cour d’assises spéciale de
Paris, la peine maximale contre Yvan
Colonna : la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de
vingt-deux ans.
France-Soir produisit deux articles.
L’un présentait l’argumentaire des avocats de la famille Érignac : « Fuir est la
plus mauvaise méthode pour se faire
entendre ! » L’autre rapportait les réquisitions du parquet : Perpétuité et 22 ans
de sûreté requis contre « le bourreau du
préfet ».
L’accusé en ressortait en charpie. À
peine si Isabelle Horlans put glisser,
dans le deuxième article, cette
159
remarque qui en atténuait la teneur :
(l’avocat général), M. Kross, dont l’honnêteté intellectuelle est unanimement
saluée, a paru mal à l’aise durant tout le
procès et son réquisitoire s’en ressent.
Stéphane Durand-Souffland négocia
en virtuose ce moment délicat. Il nota
les expressions outrées qu’avait utilisées Kros dans son réquisitoire :
« Tango de tartuffes au milieu d’un bal
de parjures », tempête l’avocat général
qui cherche volontiers la formule choc
sans toujours la trouver. Il lui concéda
une démonstration plutôt cohérente,
mais en releva la légèreté : Quinze
minutes lui suffisent ainsi pour impliquer à coup sûr Yvan Colonna dans
l’attentat de Pietrosella, dix pour écarter les témoins oculaires qui, unanimes,
affirment que l’accusé n’est pas l’assassin du préfet. Il salua enfin par une
vacherie pleine d’amertume la facile victoire de l’avocat général : Il se rassied
sans avoir à essuyer la contre-attaque
de la défense. Un lourd silence envahit
les assises ou, si l’on préfère, un bruit de
cachot.
La veille, le chroniqueur du Figaro
avait utilisé une plaidoirie de la partie
160
civile pour remettre en cause, une fois
encore, la manière dont s’était déroulé
le procès. C’était titré L’avocat des Érignac
dénonce
« un
spectacle
désolant » : Au fil de la plaidoirie de Me
Lemaire resurgissent les moments marquants de ces débats faussés depuis les
premiers jours. Ce sont des images de
naufrage. Du bruit et de la fureur,
comme dans Macbeth, « ce conte
raconté par un idiot qui ne signifie
rien ».
L’Humanité prit une posture de
contestation. Sébastien Homer ne craignait pas de le dire : au fil du procès, le
doute s’était installé. La faute en incombait selon lui au président Wacogne qui
aura, à son corps défendant, facilité la
tâche des avocats du berger de Cargèse.
Il avait tu le courrier de Vinolas et la
forme est devenue le fond. Le doute est
là (...). C’était sur la forme, donc, qu’il
avait des reproches à faire. Quant au
fond, il ne trouva rien à y redire. C’était
en fait la même thématique que celle
exposée par Patricia Tourancheau : les
problèmes que posait ce procès
n’étaient liés qu’à son apparence.
Le Nouvel Obs n’eut même pas ces
faibles réticences communistes. Comme
161
France-soir, il avait produit deux articles. L’un, Maître Chabert fustige la
« ridicule lâcheté » de Colonna, faisait
grand cas de ses années de maquis,
considérées comme Un triste aveu de
culpabilité, et s’en prenait aux Coups
bas de la défense absente. Tout était
écrit sous couvert de guillemets.
C’étaient des citations, mais on avait
choisi les plus friands morceaux.
L’autre, pareillement composé, et titré
La peine maximale requise, sous-titrait
Le tireur, l’exécuteur, le bourreau, il
s’agissait de Colonna, et Aucun élément
nouveau. Il s’agissait de ce que
n’avaient pas apporté les débats.
Libération avait fait un superbe effort,
et sorti tout un dossier. Patricia
Tourancheau résumait la situation dans
Les forces et faiblesses du dossier
Colonna. Elle en démarrait la liste par
l’absence de preuves matérielles, qu’elle
reconnaissait sans restriction. Aux
rétractations, elle opposait la parole du
commissaire Marion et du juge Le Vert,
selon lesquels les aveux primitifs
n’avaient pas été soufflés. La taille du
tireur était pour elle une supposition
que les avocats d’Yvan Colonna ont fait
mousser à dessein.
Des complices inconnus dans la
162
nature ? Elle trouvait cette hypothèse
abusive puisque la défense ne voyait que
deux assassins sur la scène du crime, au
lieu de trois avec Colonna, comme le
prétendait la police. Quand on en voulait
un de moins sur l’acte, on n’avait pas le
droit d’en supposer deux de plus autour.
Les témoins oculaires ? Elle n’en
comptait que deux qui ne reconnaissaient pas Yvan Colonna comme le
tueur. En réalité, aucun ne l’avait
reconnu. Les deux dont elle parlait
étaient ceux qui avaient de surcroît juré
que ça ne pouvait pas être lui.
Elle finissait en apothéose, avec l’évocation du scénario inédit de Pierre
Alessandri. Il ne s’agissait en aucune
façon du scénario qu’avait exposé
Alessandri, mais de celui qui avait été
imaginé après coup par les journalistes
du Nouvel Obs. Elle l’accompagnait
d’une remarque qui introduisait une
espèce de déchirure dans le continuum
spatio-temporel : Interprétée comme
une vengeance possible contre un
dégonflé de dernière minute, cette
phrase « J’en ai voulu à Yvan Colonna de
ne pas y être allé avec nous » a semé le
doute, mais n’a étrangement été suivie
d’aucune question de la défense.
163
Comme s’il appartenait à la défense de
faire à tout hasard la démonstration
d’une culpabilité de rechange pour leur
client, pour le jour où celle dont on voulait le charger deviendrait insoutenable.
En réalité, sur le moment, tout le monde
avait vu qu’Alessandri, par cette phrase,
innocentait Colonna. Il avait fallu toute
la sagacité du Nouvel Obs et de
Libération pour démontrer ensuite
qu’elle voulait dire le contraire.
Libération titrait un autre article par
une citation de l’avocat général Kros,
« Tout converge vers la culpabilité de
Colonna ».
Laurent Joffrin mit une cerise sur le
gâteau en signant un éditorial, Droit. Il y
défendait le principe selon lequel on
pouvait condamner sans preuve. Il n’y a
pas de preuve matérielle irréfutable
dans l’acte d’accusation contre Yvan
Colonna, reconnaissait-il, mais il y avait
les arguments de l’accusation, qu’il
trouvait particulièrement solides. Aussi
en appelait-il à l’intime conviction : À
partir de là, chacun se prononcera en
conscience, à partir des pièces du dossier que nous nous sommes efforcés de
présenter de manière équilibrée.
Il parlait sans doute du récapitulatif
164
opéré par Patricia Tourancheau, et de
l’ensemble de ses chroniques durant les
précédentes semaines. Bon prince, il
concédait Et s’il y a un doute au terme
de cet examen, il doit profiter à l’accusé.
Il déplorait cependant les perturbations
organisées par la défense. Il émettait ce
souhait que la justice retrouve, après les
tumultes des débats, ce cours normal
pour dissiper, dans un sens ou dans l’autre, le doute, où il n’était déjà plus
question qu’un doute subsiste, ni qu’a
fortiori il profite à l’accusé.
Au passage, le directeur de Libération
faisait taire les mauvais esprits : Une
fable doit néanmoins être dissipée :
celle qui ferait de ce procès un produit
de la raison d’État.
Un détail cependant lui avait échappé.
S’il arrive que la justice condamne sans
preuve, il est déjà plus rare qu’elle le
fasse contre des preuves d’innocence.
De ces dernières, on pouvait penser ce
que l’on voulait, qu’elles étaient fragiles
ou fabriquées. Elles foisonnaient dans le
procès Colonna, et la plupart n’avaient
pas été réfutées. Laurent Joffrin pouvait
envelopper de dorures l’impitoyable verdict que lui seul prétendait ne pas
connaître à l’avance. La pilule aurait du
165
mal à passer.
Le vendredi 27 mars 2009, Colonna
était condamné à la peine maximale,
perpétuité, assortie d’une période de
sûreté maxima, vingt-deux ans.
Cette bonne chose de faite, Libération
retrouva dès le lendemain la lucidité,
l’insolence, et le souci de justice qui faisaient le meilleur de sa réputation.
L’article, cosigné Michel Henry et
Patricia Tourancheau, était encore tissé
des arguments de cette dernière, mais
son titre dénonçait : Le procès tangue,
pas le verdict. Il y avait toujours ce
subtil distingo entre la perception
publique des débats et une réalité du
procès qui aurait été différente : Les
« rebondissements » et l’absence de
preuves matérielles (ni ADN ni
empreintes digitales ni téléphonie), qui
ont nourri le doute à l’extérieur, n’ont
pas convaincu les magistrats antiterroristes. On y trouvait toutes les bonnes
raisons qui avaient amené les jurés à
prononcer leur verdict, mais il n’y en
avait pas moins ces sous-titres, Joué
d’avance et Malaise.
On n’y parlait plus des soutiens de
Colonna en termes de people, mais au
contraire d’honorables citoyens formu166
lant des demandes légitimes : Ces personnes
choquées
demandaient
simplement des preuves : comme elles
manquent, l’acquittement s’imposait à
leurs yeux, au nom du doute. Elles n’ont
pas été entendues.
Le Nouvel Obs était en phase, il avait
repris sa belle couleur rose. Trois fois
dans son article, il avait cité cette
expression de la défense : un simulacre
de justice.
Dans Le Monde, Yves Bordenave faisait le chemin inverse. Ses chroniques
avaient souvent été critiques, et s’il
avait soutenu la légitimité du procès,
c’était surtout par omission : il s’était
contenté de ne pas la remettre en cause.
Il déplorait cette fois-ci la subjectivité,
les fautes et la maladresse du président,
mais justifiait ainsi le verdict : Pourtant,
au bout de huit semaines jalonnées d’incidents et de rebondissements, parfois
favorables à l’accusé, aucun élément
nouveau n’est venu innocenter Yvan
Colonna.
Cela faisait pourtant plusieurs siècles
qu’en France les accusés n’avaient plus
à prouver leur innocence, et qu’il appartenait au contraire aux accusateurs de
167
démontrer leur culpabilité.
Il trouvait celle-ci suffisamment probable : Ces aveux, précis, concordants,
corroborés et circonstanciés restent
plus crédibles que les rétractations formulées du bout des lèvres dix-huit mois
plus tard. Et la nouvelle version livrée
par les conjurés lors de cette audience
pour tenter une dernière fois de disculper celui qui est désormais reconnu
comme leur comparse en criminalité
n’est guère plus convaincante que les
précédentes.
Le Parisien, France-Soir et Le Figaro
dirent une dernière fois leur désapprobation de ce verdict prévisible.
Au Parisien, Élisabeth Fleury ne laissa
aucune place aux justifications de la
condamnation. Elle insista même sur la
gêne que la partie civile semblait en
éprouver : On se congratule discrètement. « Je ne boirai pas le champagne
ce soir », assure Me Philippe Lemaire
(...).
Elle bouclait par les citations Me
Maisonneuve : « On a tout refusé à la
défense, rappelle-t-il. Ce procès inéquitable doit être condamné. »
France-Soir laissait aussi le dernier
168
mot à la défense : « Yvan Colonna est
condamné de façon inique, tempête Me
Gilles Simeoni. Elle n’est, hélas, pas une
surprise tant les débats avaient démontré que cette cour se refusait, par
principe, à envisager tout autre hypothèse que la culpabilité. »
Stéphane Durand-Souffland ne procéda pas en citant la défense. Il prit
ouvertement son parti, en observant
d’abord que plus la peine encourue est
lourde, plus elle oblige les juges à
donner une impression de totale impartialité. Il rappelait la dissimulation des
courriers du témoin Didier Vinolas, puis
du certificat médical reçu le jour de l’ouverture des débats (et fort duquel un
second témoin, capital, prétendait ne
pas venir déposer), (...) Puis, le refus
d’une reconstitution au motif qu’aucun
élément nouveau n’était apparu lors des
débats - alors que le président a pris
l’initiative de faire acter nombre de
déclarations de témoins, attestant de
facto de leur caractère inédit (...).
En conclusion, le chroniqueur du
Figaro prenait date : Si elle a perdu sur
le plan judiciaire, la défense a marqué
des points dans la bataille de l’opinion.
169
Elle va maintenant saisir la Cour de cassation puis, le cas échéant, la Cour
européenne des droits de l’homme.
Essayant de transformer le verdict de
vendredi, ce point final raté, en tremplin
pour sa cause.
170
171
Une bataille de presse à front renversé
Jean-Michel Apathie, sur son blog
RTL, déplora une absence d’indignation
de la presse à l’énoncé du verdict : Rien
dans la presse écrite d’aujourd’hui, rien
hier non plus et finalement, au regard
de ce qui s’est joué devant la cour d’assises spéciale durant presque deux
mois, il n’y avait pas grand-chose non
plus dans les journaux samedi. (...) ni les
enquêteurs de la police, ni les juges de
l’instruction, n’ont pu établir formellement qu’Yvan Colonna est l’assassin du
préfet Érignac. Or, c’est pour cela qu’il a
été condamné. Et c’est pour cela, uniquement pour cela, que ce jugement
mériterait davantage d’indignation qu’il
n’en a provoqué.
Comment la justice française peut-elle
affirmer, au nom du peuple français,
quelque chose qu’elle a été incapable
d’établir ?
Le verdict avait été, selon lui, indépendant du procès. Ce qui, dans une
démocratie, n’est pas acceptable.
Il s’étonnait : Curieusement, ce
constat, partagé, est demeuré sans
172
suites. Nulle part dans la presse, un éditorial n’a posé la question, soulevé le
problème. Certains papiers, mais de
manière très inégale, ont souligné la
partialité du président, donc l’orientation du cours de la justice. Mais pas un
commentaire sur ce sujet, dans la
presse, donc encore moins d’indignation. Le procès a été suivi de manière
factuelle, et faut-il le préciser, de
manière très inégale, mais pas une
plume ne s’est consacrée à l’observation
des principes. (...) Que la presse et les
journalistes aient désinvesti à ce point
cette fonction minimale de vigilance
démocratique désole et attriste.
C’était exagéré, et partiellement
observé. Les journalistes d’une presse
réputée à droite avaient fait leur travail
dans un contexte difficile. Leur camp
était au pouvoir. Il avait selon toute vraisemblance pesé sur la composition du
tribunal, et s’était impliqué au point
qu’on avait convoqué à la barre le
Secrétaire général de l’Élysée. La
défense et l’accusé n’avaient cessé de
dénoncer en Nicolas Sarkozy le grand
ordonnateur de ce procès joué d’avance.
Ces circonstances limitaient la « vigilance démocratique » » que pouvait
173
exercer une presse de droite, par ailleurs traditionnellement indulgente à
l’égard des raisons d’État.
C’était à la gauche républicaine de
porter le fer, selon sa tradition, contre
les abus du pouvoir exécutif.
Laurent Joffrin l’expliquait d’ailleurs
admirablement dans un éditorial qu’il
publia un mois plus tard, La grande
intox de la gauche doctrinaire.
Il y commentait un ouvrage de
Vincent Duclert sur le mouvement
ouvrier : Spécialiste de l’affaire Dreyfus,
Duclert rappelle le dispositif initial.
Devant l’iniquité faite au capitaine juif,
la gauche pure et dure, au nom des principes de la rupture, est restée muette.
Seuls les marginaux du socialisme
humaniste, qu’étaient Lucien Herr,
bibliothécaire à Normale, le conseiller
d’État Léon Blum ou le député Jean
Jaurès, ont compris le véritable enjeu du
combat pour Dreyfus : l’alliance de la
justice sociale et de la liberté, seule
matrice légitime de la gauche.
L’une compensant l’autre, en quelque
sorte, il était notoire que, concurremment à un affaiblissement de son
exigence sociale, Libération s’était fait
une spécialité de la défense des libertés
174
fondamentales.
Pourtant Patricia Tourancheau n’avait
pas particulièrement brillé dans cet
exercice, et Joffrin lui-même avait été
loin d’égaler, dans la critique d’une justice d’exception, les exemples d’Herr,
Blum et Jaurès qui lui plaisaient tant.
Il en avait été de même au Nouvel
Obs, inventeur d’une thèse à la Duras ou
bien à la Kafka, selon laquelle Yvan
Colonna était coupable, forcément coupable, même si ce n’était plus de l’acte
précis pour lequel on le jugeait.
L’organe du PC, l’Humanité, s’était
montré solidaire des deux grandes
publications amies du PS. Il s’agissait
d’une aide discrète mais efficace, fruit
sans doute d’une longue expérience
dans l’approbation des procès trafiqués.
Le cas du Monde était un peu particulier. Les critiques qu’il avait émises à
l’égard de la cour d’assises spéciale
avaient été minimes. Il s’était même à
l’occasion montré plus respectueux des
juges que le NouvelObs ou Libération.
C’était dans la tradition de son ton
réservé. En revanche, Yves Bordenave
n’avait pas en permanence soutenu la
thèse officielle de la police, comme
l’avait fait Patricia Tourancheau. Il en
175
avait parfois si sévèrement jugé certains
aspects qu’on aurait pu croire de sa part
à une présomption d’innocence pour
Colonna. Sa dernière chronique montrait que non. Il n’avait en fait jamais
quitté un point de vue policier. Il y avait
simplement appliqué un esprit critique
que ceux-ci, en interne, ne se privaient
pas d’avoir. Il y avait parmi eux suffisamment d’usagers des armes de poing pour
savoir que les conclusions balistiques
d’Aurèle Mannarini n’avaient rien de
délirant, et ils savaient assez comment
se passent certains interrogatoires pour
croire aux pressions dont les témoins
s’étaient plaints. Les critiques d’Yves
Bordenave n’allaient pas plus loin que
celles émises par certains policiers.
Elles en avaient les mêmes limites. Elles
ne s’aventuraient pas jusqu’à remettre
en cause les conclusions de l’enquête, ni
le fonctionnement et les décisions d’une
justice d’exception qui, sur ordre,
condamnait Colonna à la prison perpétuelle.
Tous ces journaux, plus ou moins liés
au PS ou au PC, avaient reconnu des éléments suffisant à une contestation du
verdict. Libération avait parlé du doute,
Le Nouvel Obs avait supposé que l’ac176
cusé n’était pas l’assassin, l’Humanité
sous-entendu qu’il s’agissait d’un procès
politique, et Le Monde en avait dénoncé
les aspects policiers. Aucun ne s’indigna
de la peine prononcée, et dans leurs
quelques retours aux apparences d’une
critique, aucun n’alla aussi loin que le
quotidien leader de l’opinion à droite, Le
Figaro.
Ce quotidien avait, à sa manière,
défendu la première des libertés fondamentales : le droit à une justice
équitable, sereine, et indépendante de
l’exécutif, dont la cour d’assises spéciale
n’avait pas offert la garantie. La grande
presse de gauche, prétendument soucieuse de ces mêmes libertés, les avait
constamment négligées.
Pas la petite, qu’on trouvait sur le net.
À l’extrême- gauche, Politis, qui s’était
illustré en publiant une interview du
président de la FIDH dénonçant une instruction entièrement à charge, ne
voulait croire qu’à l’innocence du
condamné.
Mediapart, du modéré Edw y Plenel,
déplorait, avec son chroniqueur Georges
de Furfande, l’honneur perdu de l’État :
Il est clair que la preuve n’a pas été
apportée de la culpabilité d’Yvan
177
Colonna, et que par le biais du standard
de l’intime conviction les exigences fondamentales d’un procès équitable en
matière pénale sont violées.
Dans Rue89, fondé par des échappés
de Libération, Philippe Madelin écrivait
coup sur coup deux articles. Le premier
était intitulé : Colonna, « l’erreur judiciaire du quinquennat Sarkozy ». Le
deuxième Je connaissais le verdict
depuis janvier : Je peux vous révéler que
je connaissais le verdict dans le procès
Colonna depuis le 6 janvier. Ce jour-là, le
procureur Kross m’a annoncé : « En
mon intime conviction, je pense qu’Yvan
Colonna est coupable. »
Il a répété ce jugement lors de son
réquisitoire, en son âme et conscience.
Autrement dit, Colonna a été jugé bien
avant les débats.
Seul Bakchich, lié au Canard
Enchaîné, détonnait. À l’instar de ce
dernier, il avait traité l’affaire de façon
superficielle, et discrètement favorable
à une condamnation de l’accusé. Il illustrait le verdict par un curieux dossier :
L’affaire Colonna expliquée aux nuls.
Il y expliquait, par quelques erreurs
de l’enquête et des circonstances malheureuses, la difficulté qu’il y avait eu à
178
prouver la culpabilité de Colonna, dont il
ne doutait pas, et concluait, primesautier : Bien sûr, on ne s’ennuie pas avec
les affaires corse. Mais au bout d’un
moment, ça use !
À cette exception d’un site se positionnant conformément à l’hebdomadaire
dont il s’inspirait, le reste était paradoxal. Mediapart, Rue89, et même
Politis étaient en théorie plus proches
de,
respectivement,
Le
Monde,
Libération,
Le
Nouvel
Obs
ou
L’Humanité que de France-Soir, Le
Parisien ou Le Figaro. Ils s’étaient pourtant trouvés dans le même camp que ces
derniers, alors qu’une bataille de presse
faisait rage. Bakchich eut cette vertu de
nous l’apprendre : L’Association des
journalistes judiciaires aura été mise à
feu et à sang sur le cas Colonna. Le
camp des pro Colonna fut animé par Le
Figaro et Le Parisien le camp des anti
par la représentante de l’AP. Un dîner de
réconciliation avait même été proposé,
mais sans succès. C’est dire le climat
délétère qui a présidé les audiences pendant sept semaines.
Bakchich se gardait bien de compromettre Libération, ni Le Nouvel Obs ; la
179
représentante d’Associated Press avait
bon dos. Il n’était pas douteux que la
grande presse de gauche avait pris part
à ce combat, et qu’elle l’avait fait, parmi
la presse nationale, seule contre tout le
monde. Elle n’avait pas eu contre elle
seulement une presse de droite, mais
aussi la presse en ligne qui, à certains
égards, était proche d’elle. Il ne s’agissait pas d’un glissement général de
l’opinion journalistique en faveur d’une
justice d’exception. Les soutiens à celleci étaient circonscrits, dans la presse
d’opinion, à quelques publications
proches du PS et, pour l’Humanité, du
PC. Leurs prises de position tranchaient
trop avec le reste de leur environnement. On ne pouvait supposer qu’un
malheureux hasard ait distribué une
conviction constante de la culpabilité de
Colonna à Libération, le Nouvel Obs, Le
Monde, L’Humanité, quand il épargnait
d’un côté Le Figaro, France-Soir, Le
Parisien, et de l’autre Médiapart, Rue89
et Politis. On avait vu Le Figaro douter,
France-Soir et Le Parisien ne s’engager
qu’après les débuts du procès. Ils
avaient tenu compte des débats pour se
faire un avis. Le Nouvel Obs et Libé
n’avaient, du début à la fin, jamais envi180
sagé d’autre issue raisonnable qu’une
condamnation de Colonna. Cela avait
toutes les apparences d’une opinion préconçue, indépendante des événements,
et défendue sans état d’âme.
Ce qui se passait dans les médias
avait son répondant dans le champ politique. À l’exception du PS et du PC, les
prises de position à gauche se multiplièrent contre une justice docile aux
raisons d’État.
Les Verts, qui avaient pourtant fait
partie de la gauche plurielle, et du gouvernement Jospin au moment de l’affaire
Érignac, dénonçaient « un verdict sans
surprise, Yvan Colonna ayant, dès le
début de cette affaire, été désigné coupable par les plus hautes autorités de
l’État. (...) ces juridictions d’exception
(sont) indignes d’une démocratie et ne
respectent pas les principes fondamentaux du droit. »
Le NPA faisait de même : « véritable
mascarade dont le seul but est de
condamner
un
coupable
désigné
d’avance. Dissimulation de preuves, faux
PV, intimidations de témoins, modifications de témoignages auront émaillé les
procès de première instance et d’appel.
(...) une justice au seul service de la
raison d’État. »
181
Lutte Ouvrière n’était pas en reste :
« En droit, les accusés sont présumés
innocents. Dans le cas de Colonna, on a
l’impression que l’État, depuis qu’il a été
dénoncé, l’a présumé coupable pour des
raisons aussi obscures que les procédures policières... ce qui n’est pas peu
dire. »
Le PS (ni, pour mémoire, le PC ou le
Parti de Gauche de Jean-Luc Mélanchon)
n’avait rien trouvé à redire au processus
judiciaire qui s’était déroulé. En cela,
pourrait-on croire, ils ne se différenciaient pas beaucoup du FN et des partis
de droite, UMP ou MODEM, qui
s’étaient tus eux aussi.
Il y avait pourtant des différences. Le
FN et le MODEM s’étaient seulement
tenus à l’écart de cette question, comme
le PC et le PG.
L’UMP s’était distinguée en laissant
s’exprimer une certaine désapprobation.
Le président du groupe à l’assemblée de
Corse avait fait part de ses réserves :
« Ce procès n’est pas celui qu’on attendait, en termes de transparence et
d’écoute de la défense. (...) Je me garderai bien de dire que cet homme est
innocent. Mais je dis qu’on n’a pas
prouvé qu’il est coupable. »
Alexandre-Guillaume
Tollinchi,
182
Conseiller National des Jeunes UMP,
n’avait trouvé aucune excuse au verdict
de culpabilité : « Procès Colonna, la présomption
d’innocence
n’est
pas
négociable. »
Il s’agissait là de deux hommes politiques corses qu’on pouvait toujours
soupçonner d’électoralisme ou de démagogie, mais un tel soupçon ne valait plus
pour le forum Internet du parti au pouvoir, Planète UMP. La discussion sur le
verdict y était intitulée « Yvan Colonna
condamné à perpétuité : justice politique ? »L’immense
majorité
des
participants au forum répondait à cette
question par l’affirmative, et faisait part
de son écœurement.
Rien de tel n’était constatable au PS,
où aucun débat n’eut lieu. Le parti de
Jaurès avait été mieux verrouillé que
celui de Sarkozy.
Cela concordait avec le fait que la
presse proche du PS avait milité pour
une condamnation de Colonna, tandis
qu’à droite les quotidiens les plus importants
avaient
partagé
avec
l’extrême-gauche l’indignation que soulevait le procès.
À part Luc Chatel, porte-parole du
gouvernement, il n’y avait eu que deux
hommes politiques de premier plan pour
tenter d’influencer l’opinion publique
183
avant, pendant, et après le procès en
appel.
Jean-Pierre Chevènement s’était
exprimé à plusieurs reprises sur la culpabilité, certaine selon lui, d’Yvan
Colonna.
François Hollande s’était indigné
après le verdict que l’on compare le sort
du condamné avec celui du capitaine
Dreyfus.
Chevènement avait été ministre socialiste de l’Intérieur au moment de
l’assassinat de Claude Érignac, de l’arrestation du commando, et de la
désignation de Colonna comme étant
l’assassin. Hollande avait, à la même
époque, dirigé le parti au pouvoir.
Ces deux dignitaires tranchaient avec
le reste de la classe politique. Ils étaient
allés au charbon, l’un pour faire
condamner Colonna, l’autre pour empêcher
qu’on
ne
conteste
cette
condamnation, en dépit du coût politique que cela avait. La condamnation
184
de Colonna leur était probablement plus
précieuse qu’à tout autre, tout comme
elle était plus cruciale pour le PS que
pour l’UMP, et plus indispensable pour
le Nouvel Obs et Libé que pour le reste
de la presse.
On n’épiloguera pas sur les raisons
qu’avait la gauche de gouvernement de
se distinguer à ce point. Dans une
affaire intéressant la sécurité de l’État
et menée tambour battant par les
polices spéciales, les tribunaux d’exception et les services secrets, toutes les
hypothèses sont possibles, depuis la
simple solidarité autour d’une raison
d’État, jusqu’aux menaces de chantage
par l’une ou l’autre des parties prenantes sur celle qui avait été
décisionnaire au moment des faits.
185
Dreyfus et Colonna
Lorsque Me Pascal Garbarini, avocat
de Colonna, avait qualifié ce dernier de
« Dreyfus corse », François Hollande
avait déclaré sur RTL : « Cette comparaison me choque. Dreyfus a été condamné
par une parodie de justice, un déni de justice, il a été victime d’un complot contre
la vérité.(...) Cette comparaison est moralement inacceptable et politiquement
intenable. »
Le rappel au moralement et au politiquement corrects pour interdire toute
comparaison s’imposait, car, en vérité,
les ressemblances étaient frappantes.
Les deux condamnés étaient passés
devant des tribunaux d’exception dont le
jury était composé de magistrats, à la
fois juges et jurés : militaires pour le
capitaine Dreyfus, civils pour le berger
Colonna. Leur culpabilité avait été affirmée en public, et avant tout jugement
par des membres du gouvernement.
Pour le ministre de l’Intérieur Nicolas
Sarkozy, Yvan Colonna avait été l’assassin. Pour celui de la Guerre, le général
Mercier, Alfred Dreyfus était un espion.
Arthur Meyer, dans Le Gaulois, posa à
186
l’époque cette question : Quelle liberté
restera-t-il au Conseil de Guerre appelé
à juger ce prévenu ? On se fit la même
réflexion tout au long des deux procès
Colonna : quelle liberté restait-il à la
cour d’assises spéciale, maintenant que
Nicolas Sarkozy était devenu chef de
l’État ?
Les condamnations de Dreyfus et
Colonna n’avaient d’abord scandalisé
personne. La presse n’y avait pas vu
grand-chose à redire. Jean-Pierre
Chevènement s’en était félicité. Jean
Jaurès s’était écrié à la Chambre : « ...
pourquoi laisser ce misérable traître en
vie ? »
On avait condamné Dreyfus sur la foi
d’expertises graphologiques contestables, et de témoignages émanant de
l’armée. Pour Colonna, on s’était
contenté de ceux de la police. Les expertises quant à elles lui étaient favorables,
ainsi que tous les autres témoignages.
Dans les deux cas, un autre suspect
s’était dénoncé du crime dont on les
accusait. Alessandri, après avoir été
condamné comme coauteur de l’assassinat, avait déclaré être le tireur.
Esterhazy, après avoir été acquitté à
l’unanimité d’avoir écrit le bordereau,
187
avait confié à la presse qu’il en était
l’auteur. On ne voulut croire ni le premier ni le second, et c’était pour le
même motif : il s’agissait d’aveux gratuits.
Les aveux tardifs d’Esterhazy étaient
sans conséquence pour lui, puisqu’on ne
revient pas sur la chose jugée. Ils parurent suspects : en toute logique, cet
espion aurait dû continuer à se prétendre innocent. Or il venait s’accuser
d’avoir commis l’acte pour lequel on
avait envoyé Dreyfus au bagne. S’il
tenait tant à le sauver, c’est qu’il était
son complice et, en réalité, son subordonné. Il sacrifiait sa réputation pour
protéger son chef.
C’est ainsi que les anti-dreyfusards
retournèrent en preuve de culpabilité
l’aveu d’Esterhazy innocentant Dreyfus.
De la même façon, les partisans de l’ordre
avaient
retourné
l’aveu
d’Alessandri : il ne risquait plus grandchose, puisqu’il avait été déjà condamné
à la plus lourde peine, à tenter de sauver
la star du groupe. C’était bien la preuve
de la place éminente qu’avait eue
Colonna au sein du commando.
Les condamnations de Dreyfus et
Colonna reposaient avant tout sur la
188
conviction des enquêteurs. On en vint,
dans les deux cas, à douter de ces derniers. À l’origine de la culpabilité de
Dreyfus, il y avait eu le colonel Henry, et
à celle de Colonna, le commandant
Lebbos. Tous deux furent convaincus
d’avoir fabriqué des faux durant l’enquête, et l’on s’aperçut un peu tard qu’il
s’agissait de menteurs sans scrupule.
À un siècle de distance, le commandant Picquart pour Dreyfus, le
commissaire Vinolas pour Colonna, tentèrent d’explorer d’autres pistes que
celle de la culpabilité de l’accusé.
Picquart s’occupa d’Esterhzy, Vinolas
des membres du commando jamais
inquiétés. Tous deux furent amplement
moqués et diffamés, et se trouvèrent en
butte à l’hostilité de leur hiérarchie.
Leurs suppositions furent écartées par
la justice.
Si Colonna fut condamné sur la base
d’aveux anciens démentis à la barre, la
condamnation de Dreyfus fut justifiée
par des aveux qu’il aurait fait hors tribunal, au capitaine Lebrun-Renault, et qui
sont entrés dans l’Histoire sous le nom
de « légende des aveux ».
Les juges qui avaient condamné
189
Colonna n’avaient pu le faire sur ce qu’on
avait vu pendant le procès. Celui-ci
n’avait absolument pas démontré la culpabilité de l’accusé. On a parfois supposé
qu’ils disposaient d’informations confidentielles, de nature à établir une
conviction si contraire au déroulement
des débats. Les juges qui condamnèrent
Dreyfus avaient eu à leur disposition un
dossier des services secrets dont on
ignore encore le contenu. Ce qu’on en
connaît, par des révélations qu’en fit le
général Mercier, ne prouvait pas la culpabilité du capitaine, mais, faute d’être
contredit, il aida à en établir la conviction. Le président du Conseil de Guerre,
Maurel, devait déclarer au second
procès Dreyfus, qu’un seul de ces documents du dossier secret lui « fut
suffisant ». Il est établi aujourd’hui que
la pièce principale de ce dossier, une
lettre de l’attaché militaire de l’ambassade
d’Allemagne,
qui
contenait
l’expression « canaille de D... », ne
concernait pas Dreyfus.
La particularité de l’Affaire Dreyfus
fut de se dérouler en pleine vague d’antisémitisme. Depuis la publication de La
190
France Juive de Drumont, en 1885, neuf
ans avant le début de l’Affaire, celui-ci
déferlait. En 1892, il eut son journal, La
Libre Parole qui, le premier, signala
qu’un juif était soupçonné d’espionnage.
Tout au long de l’Affaire, ce même journal servit pour preuves de culpabilité les
poncifs les plus lamentables de l’antisémitisme : le mensonge juif, la solidarité
juive, la trahison juive, et l’absence de
sentiment national français.
Un même argumentaire fut employé
durant le procès en appel d’Yvan
Colonna. Faute de preuve, et pour expliquer qu’aucun témoignage n’accablait
l’accusé, on parla d’omerta corse, de
mafia corse, de solidarité corse et de
clan Colonna. Cette variante à l’usage
des Corses de la xénophobie n’a pas la
même portée politique que l’antisémitisme, mais elle en a eu la même
fonction. Elle servit d’ultima ratio à ceux
qui, dans leur désir de faire condamner
un homme, ne trouvait plus la raison
dans leur camp. Elle ne suscita pas
beaucoup d’indignation en France, sauf
en Corse, naturellement, et parmi la
famille Colonna ainsi traitée d’organisation mafieuse.
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La différence entre les Affaires
Dreyfus et Colonna n’est pas dans l’iniquité dont les accusés furent victimes. À
quelque chose près ce fut la même, et
l’ironie de l’histoire veut qu’il y ait eu
des ressemblances jusque dans les
détails de ces affaires.
La différence réside dans l’indignation que cette iniquité provoqua. Il n’y
eut pour Colonna que quelques journalistes et une opinion publique que les
principales personnalités politiques du
pays et les intellectuels les plus connus
ignorèrent
souverainement.
Autre
temps, autres mœurs, la cause de
Dreyfus avait été largement défendue. Il
est inutile ici d’évoquer Zola, qui fit de
la prison pour elle, ni Clemenceau,
Jaurès, ou Péguy ; mais au-delà des
socialistes
et
républicains,
Paul
Cassagnac, leader de l’extrême-droite
bonapartiste et antisémite, demandait
dès 1896 la révision du procès : Par cela
même que le châtiment encouru est plus
effroyable, plus mérité et n’entraîne
aucune compassion, il ne faudrait pas
(...) qu’un doute subsistât, doute horrible, épouvantable, et qui autorise à se
demander parfois, avec terreur, si réellement, si effectivement, et malgré
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toutes les précautions dont on s’est
entouré, malgré l’honneur et le patriotisme des juges, il n’y a pas là-bas, à l’île
du Diable, quelqu’un qui agonise dans
un supplice moral surhumain et qui
serait innocent ! Ce doute à lui seul est
une chose effrayante.
Pour l’instant, il n’a pas effrayé grand
monde parmi les partisans de l’ordre au
XXIe siècle, au premier rang desquels il
faut désormais compter ceux qui se
réclament encore de Jaurès, de Zola, de
la tradition républicaine, et de tous les
combats pour la justice et les droits
humains : les Socialistes. Voici pourquoi,
après quatre ans d’emprisonnement, la
condamnation d’Yvan Colonna fut
confirmée, alors qu’après le même
temps de relégation en Guyane, Alfred
Dreyfus recouvrait la liberté. Il avait
bénéficié de larges soutiens dans la
classe politique, et particulièrement
celui d’une gauche qui, aujourd’hui, préfère se porter au secours de la raison
d’État.
Le PS s’est étonné de son insuccès
aux dernières élections européennes,
puis s’est avisé qu’il n’avait pas de programme, hormis celui d’être au pouvoir.
Il s’est proposé d’en chercher un plus
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convaincant aux yeux des électeurs. Il
aurait pu aussi bien s’aviser qu’il lui
manquait aussi des principes : sinon
ceux du socialisme, à l’impossible nul
n’est tenu, du moins ceux qui organisent
la séparation des pouvoirs et protègent
l’individu de la toute-puissance de l’État.
Faute de les retrouver, la proposition
politique du PS risque fort de n’intéresser personne. Il a, sur le créneau de
l’anti-républicanisme, des concurrents
bien plus crédibles que lui, à défaut
d’être réellement plus sérieux.
Il y aura probablement un troisième
procès Colonna. Celui qui vient de
s’achever, s’il n’est pas invalidé par la
Cour de cassation, sera de toute façon
condamné par la Cour de justice européenne : il contient trop de manquement
aux règles admises par cette dernière.
La bataille de presse reprendra sans
doute. Le public aura cette fois-ci l’avantage de savoir qui porte les coups les
plus durs à son exigence de justice.
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Achevé d’imprimer en août 2009
pour le compte des Éditions Jean Paul Bayol
par SARL Pulsio, 75018 Paris
Dépôt légal : août 2009
ISBN : 978-2-916913-21-6
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