CETA : Services Publics

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CETA : Services Publics
ESPACE INTERNATIONAL CGT
CETA : Services et services publics
La part service dans les PIB des pays occidentaux s’accroit constamment. Les négociations
commerciales internationales en tiennent compte en introduisant des dispositions spécifiques pour
ce secteur – à côté des dispositions plus classiques concernant la circulation des biens entre pays.
Le projet d’accord CETA contient plusieurs chapitres qui traitent des services :
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Ch. 9 : commerce transfrontalier des services
Ch. 13 : services financiers
Ch. 14 : transport maritime international
Ch. 15 : télécoms
Ch. 16 : commerce électronique
Ch. 18 : entreprises d’État, monopoles et entreprises bénéficiant de droits ou de privilèges
spéciaux
Ch. 19 : marchés publics
La perspective dans laquelle ces chapitres sont rédigés est bien sûr celle de la libéralisation qui vise la
création de marchés libres et non-faussés. La complexité du texte juridique, cependant, avec maintes
références croisées entre chapitres du texte principal et ses diverses annexes, rend une analyse
définitive impossible sans l’apport de connaissances expertes des secteurs concernés.
Ainsi, le CETA, encore une fois, n’est pas un simple accord de libre-échange. Il est aussi un accord
bilatéral sur l’investissement (cf. notre fiche concernant le chapitre 8), et un accord sur la
libéralisation des services, et complémente donc l’accord AGCS (Accord général sur le commerce des
services ou GATS en anglais) de 1994, et anticipe sur les négociations plurilatérales dans le cadre du
TiSA.
Pour cette raison, nous proposons dans ce qui suit plutôt une clé de lecture afin de faciliter l’analyse
du texte plus aisée par les organisations de la CGT qui en sont directement concernées.
(1) Champ d’application
« Service » n’est pas défini dans le texte du CETA. Certains types spécifiques de service sont définis
(réparation des aéronefs, service de dépôt et d’entreposage des conteneurs, services de transport
maritime international, service financier, etc.). Ainsi, potentiellement, tout peut tomber sous les
règles du CETA. Implicitement, il faudra sans doute se référer aux termes de l’AGCS qui définit dans
son art. I.3 : « les “services” comprennent tous les services de tous les secteurs à l'exception des
services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental » - ce que le CETA reprend1 dans son art.
9.2.2a.
Il est évident que l’exemption des « services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental » est
beaucoup plus faible qu’une réserve en faveur du service public. Ce que la terminologie européenne
désigne de « services économiques d’intérêt général » pour une large partie ne correspond pas à
l’exception faite dans le CETA. En principe, les services publics sont inclus dans le champ
d’application du CETA.
Les services de santé sont donc particulièrement soumis aux règles du CETA.
La visée étant bien entendu l’ouverture à la concurrence, des accords de libre-échange ont
développé plusieurs manières de procéder. L’Union Européenne, annexe traditionnellement une liste
à l’accord qui énumère de façon exhaustive tous les secteurs de service qu’elle compte libéraliser.
Ainsi, tout secteur non mentionné était à l’abri. Cela concerne tout nouveau type de service qui
pourrait émerger compte tenu de l’évolution technologique. Cette technique est appelée liste
positive. Toute libéralisation ultérieure demande la réouverture de négociations et l’amendement du
texte de l’accord.
Or, dans le CETA, les Canadiens et l’Union Européenne ont choisi l’approche inverse. C’est la
première fois que l’Union Européenne envisage de signer un accord de libre-échange sans liste
positive. L’annexe du CETA énumère les services réservés, c’est-à-dire non-soumis à la concurrence.
C’est l’approche de liste noire. Par défaut, tout nouveau service sera donc libéralisé. Cela traduit une
philosophie totalement différente. Le principe général, c’est l’ouverture à la concurrence. La réserve
du service public devient l’exception.
Cette référence étroite à l’AGCS est aussi problématique, puisque l’article XIX.1 de l’AGCS stipule que
les signataires continuent à négocier régulièrement « en vue d'élever progressivement le niveau de
libéralisation » des services.
Il est intéressant de constater que l’unique endroit où le CETA mentionne les « services d’intérêt
économique général » est le chapitre sur la politique de la concurrence (art. 17.1 et 17.3).
1
La définition : « services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental désigne tout service qui n’est
fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services » (art. 9.1)
est également identique à celle de AGCS.
(2) Mécanismes spécifiques concernant les services
Les négociateurs ont prévu des évolutions futures des règles régissant les services en Europe et au
Canada. Ainsi, pour assurer les parties prenantes d’intérêts économiques de la possibilité de planifier
à moyen terme, ils ont eu recours à deux types de clauses insidieuses.
La première est connue en anglais comme « ratchet-in clause », approximativement traduite avec
« clause d’ajustement » : elle stipule globalement que la libéralisation ne peut qu’avancer dans le
sens d’une plus grande exposition à la concurrence, car elle interdit toute marche-arrière. Ce qui a
été privatisé un jour ne peut plus jamais être repris dans le cadre du service public. Des erreurs de
politique économique ne pourront plus être corrigées (cf. la libéralisation du rail en GrandeBretagne ; elle serait irréversible sous CETA).
La seconde est la « standstill clause », clause de statu quo, qui impose la garantie du niveau d’une
libéralisation atteinte. Les Parties s’interdisent d’introduire ultérieurement des règles plus
restrictives que celles existantes au jour de la signature de l’accord. Le législateur s’interdit ainsi tout
un champ d’intervention via un traité international (qui a valeur supérieure à la Constitution).
Le texte du CETA aujourd’hui proposé à la signature contient ces deux clauses à quatre reprises :
Commerce des services
Services financiers
Transport maritime internat.
Investissement
Standstill
Art. 9.7a
Art. 13.10.1a
Art. 14.4.1a
Art. 8.15.1a
Ratchet
Art. 9.7c
Art. 13.10.1c
Art. 14.4.1a
Art. 8.15.1c
Concernant les subsides et subventions, le droit de l’UE exempte les services d’intérêt général et les
services d’intérêt économique général des notifications anticipées. Le CETA ne fait pas cette
distinction, toute subvention doit être notifiée à l’autre partie, donc celles concernant les services
publics également. Rien n’explique ce renoncement de l’Union Européenne vis-à-vis de son
interlocuteur Canadien.
(3) Marchés publics
Le chapitre concernant les marchés publics mérite une analyse plus approfondie par les fédérations
de la CGT qui sont directement concernées.
Ce chapitre, à prime abord, prescrit une approche de libéralisation absolue. Il semble être en retrait
par rapport à la directive européenne et n’offre pas la possibilité aux pouvoirs publics (le CETA vise
tous les niveaux de la commune jusqu’à l’Union Européenne) d’exiger une certaine qualité aux
soumissionnaires :
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Clause sociale (salaire minimum, chaîne de sous-traitance, couverture par une convention
collective) ;
Recours aux ressources locales (agriculture, emploi) ;
Considérations environnementales.
Ainsi, le moins-disant doit être retenu, les mieux-disants se voient écartés. Même les règles
permettant la protection de la santé2 doivent être « nécessaire », ne doivent pas constituer une
« discrimination arbitraire » ou une « restriction déguisée du commerce ». Ces règles limitent
considérablement la possibilité donnée aux pouvoirs publics de mettre en œuvre des politiques
actives d’emploi et de développement, notamment local.
Conclusion
Les domaines de service sont ceux qui connaissent la plus importante évolution dans le cadre des
négociations commerciales. Ainsi, le texte du CETA est à lire également dans le contexte international
d’évolution des règles régissant le commerce de services. La visée principale étant bien sûr, la
libéralisation progressive de plus de secteurs.
C’est en même temps l’un des domaines les plus complexes du CETA et nécessite un travail ultérieur
d’analyse plus détaillée. Nous fournissons, ici, avant tout, une clé de lecture pour procéder à cette
lecture plus approfondie.
Montreuil, 22 août 2016
Wolf Jäcklein
Encadré : Exemples des quatre modes de fourniture d’un service
(dans la perspective d’un pays “importateur” A)3
Mode 1: Transfrontières
Un utilisateur dans le pays A reçoit des services de l’étranger à travers son
infrastructure de télécommunications ou postale. Ces fournitures peuvent inclure des
rapports de consultants ou des études de marché, des conseils de télémédecine, la
formation à distance ou des plans architecturaux.
Mode 2: Consommation à l’étranger
Des ressortissants du pays A se rendent à l’étranger en tant que touristes, étudiants ou
malades pour consommer différents services.
Mode 3: Présence commerciale
Le service est fourni dans le pays A par une filiale, une succursale ou un bureau de
représentation établis sur place d’une société appartenant à des intérêts étrangers et
contrôlée par eux (banque, groupe hôtelier, société de construction, etc.).
Mode 4: Mouvement de personnes physiques
Un étranger fournit un service dans le pays A en tant que fournisseur indépendant
(consultant, travailleur de la santé, par exemple) ou salarié d’un fournisseur de
services (bureau de consultants, hôpital, société de construction, par exemple).
2
3
Cf. ailleurs notre analyse de la considération du principe de précaution par le CETA.
Source : site internet OMC, https://www.wto.org/french/tratop_f/serv_f/cbt_course_f/c1s3p1_f.htm

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