Signification des indications de provenance pour les produits et
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Signification des indications de provenance pour les produits et
Eidgenössisches Institut für Geistiges Eigentum Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle Istituto Federale della Proprietà Intellettuale Swiss Federal Institute of Intellectual Property Einsteinstrasse 2 x CH-3003 Bern x Telefon +41 (0)31 325 25 25 x Fax +41 (0)31 325 25 26 Signification des indications de provenance pour les produits et services suisses Exposé de M. Roland Grossenbacher, Directeur de l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle, lors de l’assemblée générale de SWISS LABEL du 21 juin 2006 à Berne. « Signification des indications de provenance pour les produits et services suisses ». Très descriptif, le titre de mon exposé résume en quelques mots le thème important dont je suis venu vous parler aujourd’hui. La promotion des produits et services suisses est aussi la raison d’être de votre société, SWISS LABEL, dont le signe distinctif défendu est l’arbalète. Titre éloquent donc, mais pas très accrocheur. A la différence du nom que s’est donné votre association, qui est tout à fait dans l’air du temps. Facile à retenir, il présente la tradition suisse de façon moderne. Permettez-moi d’opérer en quelque sorte un renversement en plaçant mon exposé qui traite d’un thème d’actualité sous une devise très suisse : l’argent et l’esprit. Qui d’autre que Jeremias Gotthelf pouvait d’ailleurs proposer meilleur préambule à mes propos ? Les indications de provenance fondent des droits de propriété intellectuelle, et ce qui, chez Gotthelf, procède d’un conflit, voire d’un antagonisme, est indissociable dans le domaine de la propriété immatérielle. En effet, par « Esprit », le poète entend la foi et la morale alors que dans la propriété intellectuelle il est question d’intelligence et des résultats du fonctionnement intellectuel. Dans ce domaine, la morale – ou tout du moins l’éthique –, les sensibilités, la perception des choses jouent tout de même un rôle et, ce, à raison. Par exemple dans le droit des brevets où l’on s’interroge sur la légitimité des revendications de brevet sur le vivant. Ou dans le droit d’auteur, même si, à l’ère d’Internet, l’image d’Épinal du poète dans sa mansarde est quelque peu surannée. Ou encore dans le droit des signes distinctifs – des marques et des indications de provenance donc –, d’autant plus si l’on pense aux sentiments patriotiques qu’éveille la croix suisse. Or, si la finalité du droit des biens immatériels est bien de stimuler le développement de créations de l’esprit, il doit surtout permettre d’engranger de l’argent. Une invention biotechnologique, un magasin de musique en ligne, une marque forte ou encore la « suissitude » sont des mines d’or que l’inventeur, le fondateur, le créateur, la collectivité doit pouvoir protéger contre les transgressions. Chez Gotthelf, « l’Esprit » peut au mieux réfréner les velléités du propriétaire empiétant sur la propriété d’autrui ou se montrant trop autoritaire et refusant un simple droit de passage. Quoi qu’il en soit, le principe de la propriété, lui, subsiste. Ce qui m’amène à ma première conclusion : à l'instar du propriétaire de biens matériels, le titulaire de biens immatériels – donc de droits de propriété intellectuelle – doit pouvoir gagner de l’argent avec sa propriété. Beaucoup d’argent même. Et le marché veut que cet argent vienne de quelqu’un. Alors comment le propriétaire s'y prend-il ? Il exclut les autres acteurs du marché. En fin de compte, c’est lui qui a fourni l’effort. On tend parfois à oublier cet aspect, notamment dans le cadre de l’actuelle révision de la loi sur les brevets. Mais revenons à notre sujet, à savoir les droits de propriété intellectuelle dont ont besoin les membres de SWISS LABEL : les indications de provenance. Il s’agit d’un droit un peu singulier puisqu’il n’est pas fondé par un particulier. Il ne s’agit donc pas d’un droit individuel, mais d’un droit collectif. C’est la collectivité qui est à l’origine de la valeur à protéger, et tout membre appartenant à cette collectivité peut se prévaloir de ce droit. On pourrait tirer un parallèle avec les communaux. Chaque habitant de la commune peut les exploiter, à condition qu’il respecte certaines règles. Et ce sont ces règles qui, aujourd’hui, posent de plus en plus souvent problème. Il est vrai que certaines commencent vraiment à dater. Par exemple la loi sur la protection des armoiries de 1931. D’autres prescriptions, plus récentes, figurent dans la loi sur la protection des marques, ce qui n’empêche pas que leur interprétation puisse parfois surprendre. J’en veux pour preuve la décision rendue dernièrement par la Commission pour la loyauté. Certaines règles, enfin, sont fixées dans des conventions internationales, voire le droit international de la guerre (une Convention de Genève), mais aussi dans la loi fédérale concernant la protection de l’emblème et du nom de la Croix-Rouge, sans oublier la loi sur la concurrence et le code civil, qui consacre le droit au nom, et j’omets volontairement de parler des produits agricoles. En cours d’exposé, tous les aspects que je cite trouveront leur place et l’ensemble deviendra plus clair. Arrêtons-nous un moment sur la croix suisse. Ce qui est préoccupant, aujourd’hui, c’est que plus personne ne semble respecter les règles régissant son utilisation. Plus personne, sauf le scrupuleux, et c’est lui, en fin de compte, qui est le dindon de la farce. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. Je sais à quel point votre situation est insatisfaisante. En choisissant l’arbalète comme signe distinctif, vous misez sur des valeurs typiquement suisses: la qualité, la fiabilité, mais aussi l’honnêteté. C’est pourquoi vous ne voulez, ni ne pouvez violer la loi des communaux en apposant par exemple la croix suisse sur vos produits sans en avoir le droit. Et le fait que d’autres ne fassent pas de même vous affecte particulièrement. Tout récemment, le président de votre association a déposé une interpellation au Conseil national pour rendre le monde politique attentif à ce dilemme. Deux postulats, un déposé par la conseillère aux Etats Anita Fetz et l’autre par la conseillère nationale Jasmin Hutter, se font l’écho de l’embarras croissant provoqué par la défense défaillante des indications de provenance suisses. Un malaise qui va en augmentant au fur et à mesure que cet instrument de marketing prend de l’importance économique. Une inquiétude qui peut parfois se muer en colère noire, comme celle dont a été saisi le propriétaire de la société Trybol. Et si la Commission pour la loyauté n’en a pas fait sienne les motivations, nous, à l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI), et Monsieur Blocher comprenons très bien ce qui a pu la provoquer. Le problème est donc reconnu et pris au sérieux. Dans la deuxième partie de mon exposé, j’aimerais vous présenter quelques pistes qui, selon moi, peuvent nous aider à sortir de ce dilemme. Mais passons tout d’abord en revue les différents aspects qu’il convient de prendre en considération. La marque établit le lien entre un produit ou un service et une entreprise. L’indication de provenance, quant à elle, renvoie à un pays (à une région, à un canton, à une commune). Ces deux signes distinctifs ont pour but de véhiculer une renommée, une réputation. Ils peuvent prendre la forme de mots ou d’images. Les indications de provenance peuvent être directes, mais aussi fonctionner sur le mode associatif. Ainsi, sont considérés comme indications de provenance non seulement la mention « swiss made », mais aussi des désignations comme « Guillaume Tell » et des images comme l’incomparable Cervin, le drapeau valaisan ou encore la croix suisse. Toutes ces indications de provenance doivent satisfaire à un même critère : il faut qu’elles soient exactes, véridiques, sinon elles sont considérées comme trompeuses et ne sont, par conséquent, pas admissibles. Mais voilà : est-il correct de qualifier un cosmétique de suisse si le savoir-faire ayant servi à sa fabrication a certes été développé en Suisse, mais que le produit est fabriqué à l’étranger ? Le principe de véracité est donc clair, mais sa concrétisation l’est beaucoup moins. A cela s’ajoutent de nombreuses règles visant la protection de la collectivité dont le nom ou l’emblème est utilisé, la plus connue étant celle régissant l’usage de la croix suisse. Ainsi, la croix suisse peut servir à désigner un service (p. ex. des assurances), mais ne peut pas être apposée à titre d’indications de provenance sur des produits (p. ex. des yogourts). Des produits peuvent en revanche arborer la croix suisse à condition que le but ne soit pas de suggérer l’origine suisse, mais que l’emblème soit utilisé à des fins purement décoratives (exemple clair : un maillot pour la Coupe du monde de football; exemple moins évident : le couteau de poche). Les armoiries et les désignations officielles d’autres collectivités sont elles aussi protégées contre les utilisations abusives, le but étant de préserver à ces collectivités leur droit à la personnalité ou d’éviter 2 l’apparence trompeuse de puissance publique. Enfin, la croix suisse bénéficie du rayonnement de la protection de la Croix-Rouge, les deux emblèmes pouvant être confondus. Si je mentionne encore les appellations et indications de produits agricoles, c’est pour vous donner un exemple de signes distinctifs renvoyant à des critères de qualité. Traditionnellement, certaines indications de provenance font penser à des procédés spécifiques de fabrication et de transformation ou suggèrent des propriétés particulières. Elles sont elles aussi soumises au principe de véracité. Pour les produits agricoles, ces caractéristiques peuvent être inscrites dans un cahier des charges AOC. Il se pose enfin le problème de la défense des droits conférés par les indications de provenance. Les différentes lois prévoient certes des sanctions civiles et pénales. Certaines infractions sont poursuivies d'office, mais les cantons – compétents en la matière – restent souvent inactifs. Les entreprises lésées, aussi, pourraient dénoncer les violations, déposer plainte ou intenter une procédure judiciaire civile; mais elles restent elles aussi trop souvent passives. Rien d’étonnant à cela, si l’on se rappelle que les indications de provenance fondent des droits collectifs. Il manque donc aux particuliers une motivation assez forte pour entreprendre des démarches coûteuses et parfois risquées. De leur côté, les associations en Suisse font preuve de prudence, puisque des entreprises tout à fait respectables et influentes se sont retrouvées dans leur ligne de mire en raison du laxisme prévalant dans l’application des prescriptions que je viens de citer. Et à l’étranger, l’issue de telles actions est encore plus aléatoire. Le tableau que je viens de brosser est donc des plus insatisfaisant. Aussi est-il grand temps de tenter de démêler cet écheveau. Plusieurs options s’offrent à nous. Le chef du Département fédéral de justice et police m’a chargé de les étudier. Elles constitueront la base du rapport que le Conseil fédéral, dans sa prise de position aux postulats Fetz et Hutter, a accepté d’élaborer. Ne pouvant pas toutes vous les énumérer, je me contenterai de vous expliquer le but qu’il convient de poursuivre, selon moi. Nous devrions faire en sorte que l’économie suisse puisse surfer plus facilement sur la vague de la « suissitude » en définissant des règles claires et en veillant à ce qu’elles soient vraiment respectées. Préciser les règles ne signifie pas forcément les durcir, ni d’ailleurs établir les mêmes pour toutes les branches. En effet, en renforçant les exigences, on risque d’exclure davantage d’entreprises de l’utilisation des indications de provenance suisses. A l’inverse, en diminuant les exigences, on risque de compromettre le rayonnement qu’elles confèrent. Vous connaissez bien ce dilemme puisque la définition de vos prescriptions régissant l’usage de l’arbalète pose des problèmes analogues. La voie est donc tracée. Mais comment atteindre le but fixé ? Nous pourrions par exemple abroger la loi sur la protection des armoiries, autorisant du coup l’utilisation de la croix suisse comme indication de provenance pour les produits et non plus seulement pour les services. Cette mesure aurait pour corollaire une délimitation plus stricte de l’usage décoratif de la croix suisse, où le consommateur ne voit pas dans le signe un renvoi à l’origine du produit. Car, ne soyons pas dupes : si tant de produits arborent aujourd’hui notre emblème national à des fins – soi disant – décoratives, c’est parce que son utilisation à titre de signe distinctif n’est pas autorisée. Cette pratique s’avère dangereuse, car elle implique qu’on tolère également que la croix suisse soit utilisée à titre « décoratif » sur des produits étrangers. Or, en délimitant clairement l’utilisation en tant qu’indication de provenance de son usage décoratif, l’apposition de la croix suisse serait réservée exclusivement à des produits suisses. L’abrogation de la loi sur la protection des armoiries nécessiterait bien évidemment que l’on règle par d’autres moyens – et c’est tout à fait possible – les indispensables réserves qu’elle contient en faveur de la protection contre les confusions avec la Croix-Rouge. Le Conseil fédéral pourrait clarifier la protection des indications de provenance en général, donc des renvois figuratifs et verbaux à la Suisse, à ses régions ou à ses communes, en concrétisant, comme le lui autorise la loi, les dispositions formulées de manière très générale de la loi sur la protection des marques pour les branches. Le seul secteur pour lequel il a fait usage, à 3 ce jour, de cette compétence est celui de l’horlogerie. Mais de telles réglementations n’aboutissent qu’au prix d’un fort engagement du secteur concerné, et des expériences que j’ai été amené à faire avec l’élaboration de l’ordonnance réglant l’utilisation du nom « Suisse » pour les montres, il est ressorti que ces codifications provoquent fréquemment des remous dans le secteur touché. Ces controverses ne devraient toutefois pas constituer un obstacle. On pourrait aussi imaginer que les pouvoirs publics prennent une part plus active et surtout plus efficace s'agissant de la protection des indications de provenance suisses. Dans ce domaine, l’Institut que je dirige ne reste pas les bras croisés. A défaut de s’inscrire dans le long terme, notre action demeure toutefois très ponctuelle, car nous n’avons pas les compétences nécessaires et nous manquons de moyens destinés à cette défense. Par ailleurs, ne nous voilons pas la face : lorsque nous intervenons à l’étranger, les parties concernées ne manifestent qu’un vague intérêt pour notre démarche et ne font preuve d’aucun réel engagement idéel, voire financier. Si l’on veut que l’Institut de la Propriété Intellectuelle intensifie ses activités dans ce domaine, il faudra aborder la question du financement, en particulier si l’on entend engager des procédures à l’étranger. En Suisse, il existe des solutions plus simples et moins coûteuses, notamment pour faire intervenir les autorités de poursuite pénale. Quoi qu’il en soit, il importe de mettre en place, en pratique, une collaboration plus étroite entre l’Institut, d’une part, et les entrepreneurs et leurs associations sectorielles, d’autre part, notamment afin que ces dernières aient davantage voix au chapitre. En conclusion, j’aimerais revenir au titre de mon exposé. La signification de la « suissitude » a un impact grandissant depuis quelques années, comme le prouvent toute une série d’études, d’enquêtes et de publications. Nos propres observations en tant qu’acteurs du marché corroborent cette réalité. La croix suisse et d’autres indications renvoyant à notre pays, à ses cantons ou à ses communes, qu’elles soient figuratives ou verbales, sont omniprésentes. En Suisse comme à l’étranger. Que leur utilisation soit légitime ou non. L’apparition de resquilleurs qui surfent sur cette vague du succès est un signe qui ne trompe pas. La marque suisse est précieuse et renferme encore un potentiel formidable. Il vaut par conséquent la peine de la défendre. Votre association peut prendre une part active dans ce combat. Si l’Institut que je dirige peut lui aussi apporter sa contribution, j’en serais très heureux. C’est pourquoi j’ai accepté avec grand plaisir votre invitation. Nous allons certainement poursuivre le dialogue engagé aujourd’hui. S’agissant de la loi sur la protection des armoiries, nous devons en particulier évaluer si nous voulons, par respect pour la croix suisse, en limiter l’usage à des fins commerciales ou si, au contraire, nous voulons mettre davantage à profit son rayonnement sur le marché. Pour ce qui est de l’indication de provenance « Suisse » en général, il nous faut définir les exigences que doivent remplir les produits et les services pour qu’ils soient autorisés à être désignés par ce signe, qui est synonyme d’une plus-value et augmentera le bénéfice des utilisateurs. L’argent et l’esprit, donc. La boucle est bouclée. 4