Stage chez le plasticien

Transcription

Stage chez le plasticien
Université Paris V
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Mémoire pour l’obtention du DIU de
Pédagogie Médicale
Année universitaire 2003-2004
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L’Apprentissage de la Chirurgie Esthétique
« Le Stage chez le Plasticien »
Par Fadi SLEILATI
Tuteur : Docteur Vladimir MITZ
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Introduction
L’apprentissage de la chirurgie a posé depuis toujours de sérieux problèmes
pédagogiques et éthiques. La chirurgie esthétique vient compliquer davantage la situation par
la nature même du geste esthétique et par la particularité du contrat qui unit le demandeur de
chirurgie esthétique à son plasticien.
Le Diplôme d’Etudes Spécialisées Complémentaires (DESC) de Chirurgie Plastique
Reconstructrice et Esthétique (CPRE) forme les futurs plasticiens aux deux grands volets de
leur métier : la chirurgie reconstructrice et la chirurgie esthétique. Cette formation couvre les
plans cognitifs, et pratiques tout au long des cinq ans d’Internat et d’au moins une année de
« post-internat ».
La formation cognitive est dispensée sous forme de modules et séminaires organisés
par le Collège Français de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique et par les
coordonnateurs de la spécialité.
La formation pratique se déroule exclusivement dans les centres hospitaliers. Or, si la
chirurgie reconstructrice trouve toute sa valeur dans la plupart des services hospitaliers
validant le chirurgie plastique, il n’en est pas de même pour la chirurgie esthétique, qui, en
revanche, se développe et innove dans le secteur privé. De ce fait, et malgré leur longue
formation, les nouveaux plasticiens ne sont pas mieux préparés qu’un ophtalmologue pour
réaliser une blépharoplastie, ni mieux préparés qu’un oto-rhino-laryngologiste pour réaliser
une rhinoplastie. Là réside une des nombreuses raisons pour lesquelles l’activité esthétique est
progressivement « grignotée » par les autres spécialités apparentées.
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Le but de ce mémoire est d’élaborer une solution permettant aux futurs plasticiens de
profiter de l’abondante activité esthétique, de qualité, qui se déroule en ville afin de pouvoir
assumer en fin de formation tout l’intitulé de leur diplôme. Cette solution est inspirée du
« stage chez le praticien », obligatoire pour les médecins généralistes, et qui pourrait être
adapté à notre spécialité sous forme de « stage chez le plasticien ».
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Etat des lieux : l’apprentissage actuel de la
chirurgie esthétique
A-La voie classique :
Le DESC de CPRE se prépare sur trois ans, correspondant aux deux dernières années
d’internat et à la première année de post-internat.
L’enseignement théorique de la chirurgie esthétique, y compris le volet médicolégal,
est enseigné en même temps que la chirurgie réparatrice au cours des 8 modules
d’enseignement national organisés périodiquement (3 à 4 séminaires par an) par le Collège
Français de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique et par les facultés. Une
évaluation sommative de ces enseignements se fait en fin de première année de post-internat
sous forme d’un contrôle des connaissances écrit et oral.
Quant à l’enseignement pratique, il est dispensé au cours des stages hospitaliers. La
nouvelle maquette du DESC de CPRE 1,2 comprend un minimum de 4 semestres à passer dans
des services validant la chirurgie plastique au cours des 5 ans d’internat. Les six autres
semestres comprennent 4 semestres de tronc commun (chirurgie générale et orthopédique), et
2 semestres libres. L’année post-internat doit se dérouler également dans un service validant
la spécialité.
En pratique, ces services validants ne sont accessibles aux jeunes internes qu’à partir
du 4ème semestre en raison du petit nombre de postes offerts (12 postes d’interne) 3 et de la
forte concurrence de la part des plus vieux (internes de chirurgie plastique et d’autres
spécialités apparentées).
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A titre d’exemple, dans l’inter-région Ile de France, les services validant la chirurgie
plastique et pouvant accueillir des internes sont actuellement au nombre de 5 pour la chirurgie
plastique adulte et de 3 pour la chirurgie plastique infantile. Les internes les plus jeunes se
contentent des services de chirurgie plastique pédiatrique, trop spécialisés, alors que les plus
vieux
sont
en
forte
compétition
avec
leurs
collègues
oto-rhino-laryngologistes,
ophtalmologues, gynécologues et autres pour décrocher les stages les plus prisés. La chirurgie
esthétique n’étant pas la vocation du secteur public, un seul service sur le total maintient une
activité esthétique significative. Il représente actuellement le seul moyen d’apprentissage
hospitalier de la chirurgie esthétique, disponible à certains internes en fin de cursus. Dans les
autres services, la chirurgie esthétique se fait d’une façon irrégulière, occasionnelle et, même
si elle est pratiquée dans un but didactique, elle reste peu profitable sur le plan pédagogique
par manque d’entraînement et de répétition 4.
En fin de cursus il n’existe pas de moyen d’évaluation de la formation pratique mis à
part la vérification de la validation des stages et du respect (parfois approximatif) de la
maquette.
B - Les voies parallèles :
Il existe d’autres voies parallèles d’apprentissage de la chirurgie esthétique. L’interne
ou chef de clinique peut y recourir à son initiative personnelle, élément fort louable dans le
processus pédagogique. Or, ces voies sont plus ou moins efficaces et organisés. Il n’existe pas
de système pour les évaluer ce qui leur fait perdre beaucoup de leur valeur formatrice. Parmi
les moyens le plus souvent adoptés :
a-L’enseignement de l’Ecole de Chirurgie (Paris) :
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Gérée par l’Assistance Publique, l’Ecole de Chirurgie propose des cours d’anatomie et
des séances de dissection appliqués à la chirurgie esthétique. Cela représente une approche
intéressante aux gestes liés à cette chirurgie. En revanche, la pénurie de sujets frais rend les
séances de dissection de plus en plus difficiles à assurer, et la pratique des gestes opératoires
sur cadavre reste grossière, même quand il s’agit de sujets frais.
b- Forums et congrès :
Des workshops et des transmissions directes d’interventions chirurgicales sont souvent
organisés dans le cadre des forums ou des congrès. Ces rencontres en revanche ne couvrent
que des volets bien précis de la spécialité, ils sont de qualité très variable, ils sont onéreux, et
sont le plus souvent largement influencés par les laboratoires.
c-Les produits « multi-médias » :
On retrouve sur le marché des CDs et DVDs d’interventions types et de gestes
esthétiques. Il s’agit, faute de mieux, d’un bon moyen pédagogique, moyennant un contenu
sérieux et une bonne qualité d’image. Là également, il faudra se méfier de l’influence des
laboratoires.
Il va sans dire que l’apprentissage par la chirurgie virtuelle, loin du vrai patient, ne
profite qu’à des futurs chirurgiens ayant déjà acquis les bases de la gestuelle chirurgicale. Par
analogie, le futur plasticien pourra alors exploiter son expérience chirurgicale reconstructrice
dans le domaine de l’esthétique. Ainsi, un lambeau de rotation jugale sera assimilé à un
lambeau de lifting cervico-facial, et un abord sous-ciliaire d’une fracture du plancher d’orbite
sera assimilé à la voie d’abord d’une blépharoplastie.
d- L’aide opératoire en ville :
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Reste enfin le moyen le plus efficace pour apprendre la chirurgie esthétique qui
consiste à aider ou à observer un plasticien au bloc opératoire. Cela permet aux futurs
plasticiens de se familiariser avec une chirurgie rare dans le milieu hospitalier, mais qu’ils
devraient maîtriser avant la fin de leur cursus. De nombreux plasticiens offrent en plus à leurs
aides, la possibilité de participer à leurs consultations et à la prise en charge globale de leurs
patients. La plupart des internes et chefs de clinique ont recours à ce moyen pédagogique mais
d’une façon irrégulière et mal organisée, « à la sauvette ». En effet, il n’est pas toujours facile
de se libérer de ses obligations hospitalières ou de sacrifier des jours de repos pour fréquenter
les blocs opératoires des cliniques, parfois mal-vus ( à tort ou à raison ) par les hospitaliers.
Certains internes n’ont pas hésité à prolonger leur formation (déjà trop longue) d’un semestre
ou plus de stage non validant en tant qu’aide opératoire en chirurgie esthétique. Ce stage peut
se dérouler dans des « unités formatrices libérales » homologuées par le Collège Français de
Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique 5.
Dans ce contexte, il paraît légitime de reconnaître la valeur formatrice de ces
escapades (et donc leur accorder un statut validant), de les organiser, de les évaluer, et, à
terme, de les rendre obligatoires en faisant place au « stage chez le plasticien ».
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Définition des besoins
De cet exposé sur la formation esthétique actuelle dans le cadre du DESC de CPRE
nous pouvons déduire que si les connaissances déclaratives, cognitives, sont assurées et
évaluées par le Collège et les coordonnateurs, il en est pas de même pour les connaissance
procédurales. Il existe d’importantes lacunes dans l’apprentissage de la prise en charge
globale d’un demandeur d’une chirurgie esthétique, de la démarche diagnostique et de la pose
d’indication thérapeutique, ainsi qu’une insuffisance de la formation technique et gestuelle.
C’est à ces divers besoins que devra répondre le « stage chez le plasticien ».
D’autre part, la formation d’un chirurgien étant déjà trop longue, ce stage doit être
impérativement intégré dans la maquette, éventuellement à la place de l’un des deux
semestres libres.
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Organisation du « Stage chez le Plasticien »
Le « Stage chez le Plasticien » concerne les internes inscrits au DESC de CPRE, en fin
d’internat et après acquisition des techniques chirurgicales de base. Afin de respecter la
maquette, ce stage peut faire partie des deux semestres libres prévus par les textes.
Ce stage doit être obligatoire si l’on souhaite respecter l’intitulé du diplôme.
Cependant, une période moratoire d’évaluation et de mise au point, sur un ou deux ans,
pourrait être établie avant de rendre le stage obligatoire. Pendant cette période les internes
auront le choix de passer ou non un stage chez le plasticien.
La durée du stage est à définir : un stage de six mois semble l’idéal. Plus court, le
stage risque de ne pas être profitable et d’être plus difficile à organiser. Plus long, le stage
peut compromettre la formation plus complexe de chirurgie réparatrice, ou de rallonger la
durée totale de la spécialisation, déjà trop longue.
Il s’agit d’un stage à temps complet, respectant les deux demi-journées consacrées à la
formation continue et aux travaux de recherche et de publication. En cas de force majeure,
entraînant une absence prolongée (arrêt maladie, congé maternité…), un minimum de quatre
mois de stage effectifs seront requis pour la validation du stage.
Pour postuler à la fonction de maître de stage, le plasticien doit avoir une expérience
de plus de 5ans dans l’exercice de la chirurgie esthétique, il doit prouver d’un profil et d’une
historique académique (travaux, publications, enseignements), et il doit avoir un recrutement
esthétique varié et suffisant. Les rapports entre chirurgiens plasticiens hospitaliers (d’abord
reconstructeurs) et chirurgiens plasticiens libéraux (d’abord esthétiques) ont classiquement été
entachés de méfiance. Dans ce contexte, les chirurgiens hospitaliers à temps partiel, de part
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leur notoriété dans les deux « camps », peuvent jouer un rôle primordial dans la mise en place
de ce stage.
Le recrutement du plasticien maître de stage est soumis à l’agrément du directeur de
l’UFR et du coordonnateur de la spécialité. La candidature est ensuite soumise à la
commission régionale d’agrément de la DRASS.
En fonction de leur ancienneté et de leur classement, les internes pourront choisir un
stage chez le plasticien, puis leur maître de stage. Le directeur de l’UFR communique à la
DRASS la liste des internes et de leurs maîtres de stage.
A-Rôle de l’interne-stagiaire :
Pendant son stage, l’interne dépendra d’un seul maître de stage. Lors de leur premier
entretien, maître de stage et interne définiront les objectifs du stage et les moyens d’y
parvenir, en fonction des pré-acquis de l’interne et de ses souhaits. Ce projet pédagogique sera
établi en concertation avec le coordonnateur de la spécialité. Certains objectifs peuvent être
rajoutés au carnet de stage (voir annexe). Ce carnet sera revus et validé régulièrement par
l’interne et le maître de stage, afin d’évaluer le déroulement du stage et de combler les lacunes
avant la fin du semestre. Si le maître de stage le juge utile, il pourra confier ponctuellement
son interne à un collègue pour l’apprentissage d’une technique ou d’une intervention
particulière. Cette liberté dans l’élaboration du « projet » de stage permettra d’adapter ce stage
aux besoins de l’interne et à ses souhaits, rendant le stage plus motivant et plus profitable.
L’interne accompagnera son maître de stage à sa consultation, au bloc opératoire, et à
la visite. Après une période d’observation, l’interne pourra assurer une partie des
consultations (d’abord les consultations post-opératoires puis les consultations pré-
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opératoires). Le maître de stage sera présent ou rapidement joignable pour tout avis. L’interne
pourra ainsi s’initier au contact et à la gestion d’une « clientèle » de chirurgie esthétique, à
l’analyse de la demande esthétique, à la pose des indications et des contre-indications
opératoires, et à la détection des pièges médicolégaux (consentement éclairé, tenue des
dossiers, rédaction des devis, gestion d’une complication…). Au bloc opératoire, l’interne
sera actif en fonction de ses compétences, sous l’étroite surveillance du maître de stage, qui
reste évidemment le seul responsable du déroulement de l’intervention.
A l’issue de ce stage, l’interne devra avoir acquis de nouvelles compétences
chirurgicales et de gestion d’une activité esthétique.
L’interne sera rémunéré par son CHU, tout comme les résidents de médecine générale.
Il devra également contracter une assurance responsabilité professionnelle.
B-Rôle du maître de stage :
Le rôle du maître de stage, dès la première rencontre avec son interne, sera d’analyser
les besoins de ce dernier et d’établir avec lui une liste d’objectifs qui seront la base du projet
pédagogique. Des objectifs pourront être modifiés, supprimés ou rajoutés ultérieurement si le
maître de stage et l’interne le jugent nécessaires. Le projet sera communiqué au
coordonnateur pour accord.
Une fois les objectifs définis, et tout au long du semestre, le maître de stage devra
mettre au point les acquisitions de son interne sur les plans cognitif, technique et relationnel.
Il doit permettre l’accès de l’interne à sa consultation, et à son bloc opératoire. Il doit lui
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permettre de jouer un rôle actif en fonction de ses acquisitions. Il doit constituer un modèle
d’identification positive pour le futur plasticien.
Dès que le maître de stage le jugera opportun, il permettra à son interne d’effectuer les
temps opératoires qui correspondent à son niveau de formation. Cependant, laisser opérer
l’interne seul en chirurgie esthétique soulève de graves problèmes éthiques et juridiques, et
risque de rompre le contrat établi entre le plasticien et le demandeur de chirurgie esthétique.
Le maître de stage reste responsable de son activité et est tenu de surveiller de près le travail
de son interne. Au cas où le maître de stage voudrait accorder plus de liberté à son interne, il
se doit d’en informer son patient, sinon le principe du« consentement éclairé » ne sera pas
respecté 6. Dans tous les cas, le maître de stage devra informer son assurance qu’il a auprès de
lui un stagiaire.
Un chirurgien en formation étant moins rapide que son maître, le maître de stage
investira de son temps, et donc de son argent, dans la formation de son interne. Ce
ralentissement du « roulement » au bloc opératoire se répercute également sur l’activité de la
clinique. Certains plasticiens anglo-saxons sont allés jusqu’à proposer des stages payants à
leurs « fellows ». Cependant, la présence d’un interne, rémunéré par son CHU,
peut
remplacer celle de l’aide opératoire habituellement rémunéré par le chirurgien ou la clinique.
Des indemnités peuvent également être reversées par l’UFR au maître de stage pour sa
fonction de formation. A long terme, l’engagement pédagogique de la clinique et du maître de
stage pourrait se révéler rentable en terme de renommée et de recrutement.
C-Evaluation du stage :
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Le stage sera soumis à deux évaluations :
-Une évaluation formative, continue, grâce au carnet de stage. Elle permettra
un éventuel ajustement des objectifs et des moyens. Elle est le fruit d’un
dialogue entre le maître de stage et son stagiaire.
-Une évaluation sommative, finale, qui prononcera la validation ou non du
stage. Cette sanction finale dépendra du maître de stage qui prendra en
considération l’assiduité du stagiaire, son évolution au cours du semestre, et les
objectifs atteints à la lecture de son carnet de stage.
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Conclusion
La formation pratique d’un chirurgien plasticien, dans des conditions opératoires
réelles, est certainement le meilleur moyen d’apprentissage de la chirurgie esthétique. Cette
formation manque cruellement au cursus classique du DESC de CPRE. Le « stage chez le
plasticien », sans avoir la prétention d’être totalement innovateur, permet d’organiser et de
reconnaître la formation « sauvage » en chirurgie esthétique qui a lieu actuellement dans les
cliniques. Il n’existe aucun obstacle légal à sa mise en place, le stage chez le praticien en est
la preuve. Le seul obstacle à surmonter serait celui du schisme qui existe entre les chirurgiens
plasticiens hospitaliers et les chirurgiens plasticiens libéraux. Avec un peu d’humilité de la
part des uns et un peu de bonne volonté de la part des autres, le « stage chez le plasticien »
pourra voir le jour.
“If we cannot all work together, the patient and the resident will ultimately suffer in
the cross fire_ and other specialties will willingly pick up the pieces”
Robert M. Goldwyn, MD
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REFERENCES
1- Arrêté du 4 mai 1988 modifié. Journal Officiel du 08 mai 1988, page 6709.
2- Arrêté du 5 mars 1992. Journal Officiel du 12 mars 1992, page 3565.
3- www.desc-afs.info
4- JL Bernard, P Reyes : Apprendre en medicine (1ère partie). Pédagogie Médicale 2001 ; 2 :
163-169.
5- Statut du Collège Français de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique, Article 5.
6- M Gorney : Performance of cosmetic surgery by plastic surgical residents in city hospitals.
Plastic and Reconstructive Surgery 1971; 48(4): 362-363.

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