Mai 1941 En passant par l`URSS

Transcription

Mai 1941 En passant par l`URSS
Mai 1941
7 – La Grande Evasion
En passant par l’URSS
1er mai
Un évadé de Colditz
Berne – L’ambassade de France en Suisse informe la Direction du Personnel de l’état-major
de l’Armée et la DGPI, par télégramme urgent, que le lieutenant Alain Le Ray, du 159e RIA
(dont il a commandé avant la guerre la SES), évadé d’Allemagne, s’est présenté la veille à
l’attaché militaire. Il a demandé à être envoyé aussi vite que possible en Afrique du Nord.
Le lieutenant Le Ray était détenu depuis le début de l’année à l’Oflag IV-C de Colditz (Saxe)
où les autorités allemandes ont réuni à partir de janvier les officiers alliés qui ont déjà tenté,
sans succès, une évasion et ont été repris. Il y a, selon Le Ray, plus d’une cinquantaine de
prisonniers français, très majoritairement des subalternes, et autant d’officiers alliés dans ce
Burg médiéval, plus emblématiquement germanique encore que le Haut-Kœnigsbourg, qui a
été longtemps utilisé comme asile d’aliénés. « Colditz, affirme un slogan répété jusqu’à
satiété aux détenus, est un camp dont on ne s’évade pas. »
Pas convaincu mais tenace, Alain Le Ray a mis a profit une promenade, le 11 avril, pour
fausser compagnie à ses geôliers et s’évanouir dans la nature. Il a vécu des pérégrinations
diverses – « excitantes et sportives » selon ses propres termes, puisqu’il a échappé, au sprint,
à des Schupos lancés à sa poursuite, avant de parcourir plus d’une centaine de kilomètres
« telle une promeneuse » dit-il, sur une bicyclette volée, de dérober une paire de skis dans un
train et de franchir grâce à eux, en dépit de la neige, la frontière de la principauté de
Liechtenstein, d’où il est passé sans coup férir en Suisse. Il est le premier prisonnier à s’être
échappé de Colditz (et le premier champion d’un triathlon peu banal : course à pied, vélo, ski
de fond).
L’information vient confirmer à la DGPI que la totalité des officiers, ou peu s’en faut,
refusent de prendre pour argent comptant les allégations de la propagande du NEF – qui les
exhorte à se montrer « corrects » et à s’abstenir de tout geste d’hostilité vis à vis des
Allemands, a fortiori d’évasion. Ils cherchent, avant tout, à reprendre le combat. Avec
l’accord exprès des généraux Noguès et Héring, le général de Saint-Vincent décide
d’ordonner au lieutenant Le Ray, qui sera promu capitaine au 14 juillet 1941, de ne pas
demeurer en Suisse mais de passer sur le territoire métropolitain. À charge pour lui d’y créer
un réseau d’aide aux évadés de tous grades, d’encadrement et d’évacuation via l’Espagne,
dont il prendra le commandement 1.
Les circonstances, a considéré le général de Saint-Vincent, homme à faire flèche de tout bois,
exigent d’oublier qu’Alain Le Ray n’a eu aucune expérience de la clandestinité. L’audace et
la débrouillardise qu’il vient de démontrer devront suffire à sa nouvelle tâche.
2 au 18 mai
19 mai
1
Le capitaine Le Ray sera transféré en AFN par sous-marin en février 1942. Il assurera alors le commandement
du Centre de formation des Troupes alpines de Chréah (Kabylie) avant d’être nommé, avec quatre galons, à la
tête d’un bataillon du Quinze-Neuf en janvier 1943 et de faire à nouveau campagne. Il deviendra, après la guerre,
le gendre de François Mauriac.
Deux pilotes belges au chômage
Overijse – Après plusieurs nuits passées à remettre l’appareil en état et à vérifier qu’ils n’ont
pas de visiteurs importuns, Donnet et Divoy s’aperçoivent qu’on leur a volé une partie de leur
précieux carburant ! Tant pis, il faut quand même essayer le moteur. Bien leur en prend, car
celui-ci coupe au bout de quelques secondes : ils se sont trompés dans les branchements des
tubulures d’essence. Mais du coup, ils perdent du carburant et cette fois, ils n’en n’ont plus
assez pour le voyage.
Evasions : la route de l’est
Alger – La Rue Michelet communique à la DGPI, en urgence, une copie du déchiffrement
d’un télégramme de l’ambassade de France à Moscou : selon une information « de source
officieuse mais, nous semble-t-il, autorisée » 2, près de deux cents officiers (tous subalternes),
sous-officiers et hommes de troupes évadés des Oflags et Stalags de l’est de l’Allemagne ont
réussi à passer en URSS. Mais ils ont été rassemblés dans un camp au sud de la capitale, à
Mitchourine, et souvent « après avoir été maltraités, voire quelquefois torturés dans les
locaux de la Guépéou » 3, à Moscou ou en province. L’Union soviétique n’ayant pas adhéré
aux conventions de Genève – sans doute par volonté de rupture avec le tsarisme – la Croix
Rouge n’y est pas représentée et ne peut assumer son rôle habituel. La Suisse, puissance
protectrice, non plus, puisqu’elle n’a pas noué jusqu’alors de relations diplomatiques avec le
régime issu de la Révolution d’Octobre.
L’ambassade précise qu’elle a eu connaissance des noms de près de la moitié de ces internés.
Ils se seraient donnés pour chef (« Starchi »), reconnu comme tel par les Soviétiques selon
une logique qui échappe aux cerveaux cartésiens, le capitaine Pierre Billotte, le plus ancien
dans le grade le plus élevé. À la tête d’une compagnie de B1 bis du 41e BCC sous les ordres
du commandant Malaguti, le capitaine Billotte s’est illustré contre les Panzers à Stonne, à La
Besace et à Mourmelon en mai-juin 1940. C’est le fils du général Gaston Billotte,
commandant le GA 1 durant la Drôle de Guerre, mort dans un accident au tout début de
l’offensive de la Wehrmacht.
« Nous entreprenons immédiatement des démarches, tant officielles qu’officieuses, d’une part
en vue de recevoir le droit de rendre visite à ces internés et d’améliorer leur sort,
conformément au Droit des Gens et d’autre part, ainsi qu’il va de soi, afin d’obtenir sans
délai leur remise en liberté et la possibilité de les évacuer vers des territoires sous
souveraineté française ou alliée » ajoute l’ambassadeur Charles Corbin 4. En annexe,
l’ambassade donne le nom et les prénoms, le grade, le numéro matricule et même la date
d’évasion des internés dont elle a pu établir, vaille que vaille, l’identité.
À la DGPI, on se montre d’autant plus intéressés que les Allemands rechignent, en règle
générale, à informer le CICR des évasions, dont le nombre pourrait bien dépasser les
évaluations les plus optimistes. En outre, on constate que la rudesse des conditions hivernales
n’a pas empêché des hommes résolus de s’évader avec succès alors que les antennes du cadre
2
On apprendra après la guerre qu’elle a été fournie à l’attaché militaire en chef, avec ou sans l’accord de Staline,
par Lavrenti Beria lui-même, qui ne répugne pas à jouer un jeu personnel. La formulation, à la fois alambiquée et
contradictoire, adoptée par l’ambassade reflète sa perplexité.
3
Les Français ont beaucoup de mal a prendre acte de la suppression, formelle à la vérité, de la Guépéou, qui a
été remplacée par le NKVD.
4
Remplacé à Londres par Joseph Paul-Boncour, Charles Corbin a été nommé à Moscou, remplaçant Eirik
Labonne, non sans quelque atermoiement de la part de Molotov, le 1er janvier 1941, en même temps que le
nouvel attaché militaire en chef, le général de brigade Brillat-Savarin. Ce dernier est un légionnaire, ancien
compagnon de Charles de Gaulle lors de sa captivité en Allemagne ; il a remis son étendard à la 13e DBLE avant
son départ en Norvège et a commandé un sous-groupement à Vorrepe pendant la Campagne de France. Il a reçu
ses étoiles le 3 décembre 1940 à Alger.
B de la Délégation ne s’étaient pas encore implantées : c’est de très bon augure, affirme le
général de Saint-Vincent à ses collaborateurs.
20-21 mai
22 mai
Evasions : la route de l’est
Moscou – Charles Corbin et Viatcheslav Molotov ont en commun d’arborer un pince-nez et
de ne sourire – hors mondanités diplomatiques et, pour Molotov, le 1er mai et le 7 novembre –
qu’en cas d’extrême nécessité. Ils gardent donc l’un et l’autre des traits fermés lorsque
Corbin, qui a demandé la veille à être reçu, remet une notre verbale très à cheval :
« L’ambassadeur de France, envoyé extraordinaire et plénipotentiaire, Charles Corbin,
présente ses compliments à Son Excellence Viatcheslav Mihaïlovitch Molotov, ministre des
Affaires étrangères de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.
« D’ordre de son gouvernement, l’ambassadeur lui déclare avoir appris récemment que des
officiers, sous-officiers et soldats français, évadés des camps de prisonniers d’Allemagne,
sont actuellement retenus dans un camp d’internement à Mitchourine. Ils seraient au nombre
de plus d’une centaine.
« La France ne saurait accepter que tous ces hommes, quel que soit leur grade, qui ont, au
péril de leur vie, décidé d’échapper à l’ennemi et de reprendre le combat, soient traités en
prisonniers de guerre, sinon en détenus de droit commun, par les autorités soviétiques. Elle
fait remarquer que l’URSS et elle-même sont actuellement en paix, fort heureusement, et
entretiennent, d’État à État, des rapports de confiance et de courtoisie.
« Aussi le gouvernement français compte-t-il sur le gouvernement soviétique pour que ces
ressortissants-là soient remis sans délai en liberté et puissent être conduits dans un port où ils
s’embarqueront sur un bâtiment français ou allié pour reprendre leurs place au sein des
forces combattantes alliées. Il requiert en outre, dans l’immédiat, que des représentants de
l’ambassade puissent visiter ces internés et améliorer leurs conditions d’existence.
« L’ambassadeur saisit cette occasion pour demander à Son Excellence Molotov de
transmettre au Præsidium du Soviet suprême, au Politburo et au Secrétaire général Joseph
Vissarionovitch Staline ses salutations distinguée et les assurer de sa conviction que les
relations d’amitié entre nos deux pays, destinées à durer, conserveront leur sincérité et leur
chaleur. »
Molotov n’a pas cillé pendant que l’interprète lui traduisait le propos de Corbin qui lui lisait,
sans en changer un iota, le texte de la note.
« J’en prends acte » déclare-t-il seulement.
23-24 mai
25 mai
Deux pilotes belges au chômage
Bruxelles – Michel Donnet n’en peut plus d’attendre, il s’en ouvre à un camarade, Miche
Janssen, officier-aviateur de réserve, ingénieur de surcroît… et, mieux encore, membre (à
l’insu de Donnet !) d’un réseau de Résistance.
– Je peux t’aider en distillant de l’essence de voiture. Il nous en faudra environ 200 litres.
– Deux cents litres ! Comment va-t-on trouver tout ça !
– On trouvera, ne t’inquiète pas. En échange, je te donnerai une lettre pour des amis de
Londres.
………
Durant trois semaines, des membres de la Résistance vont prélever quelques litres d’essence
sur tous les véhicules des Allemands et des Collaborateurs stationnés aux alentours des lieux
“de complaisance” de Bruxelles et pas trop bien surveillés. Ils vont finir par en avoir 200
litres, que Janssen arrivera, fin juin, à transformer en carburant avion, rendant l’espoir à nos
deux pilotes.
26-31 mai