Gilbert Garcin - Galerie Les Filles du Calvaire

Transcription

Gilbert Garcin - Galerie Les Filles du Calvaire
"Photographe de l’aventure humaine"
par Olivier Delhoume
Les photographies de Gilbert Garcin
nous conduisent à des territoires
fantastiques : ceux de nos vies, de
nos rêves et de nos illusions. Utilisant
des objets réels qu’il met en scène,
l’artiste nous invite au dialogue et à la
réflexion sur notre condition humaine.
L’humour du photographe interdit tout
jugement sur nos contemporains mais
le sourire nous rend complice de son
regard d’une grande acuité.
Très souvent, on demande à Gilbert Garcin comment il pratique la photographie ; son
procédé intrigue. Comment fait-il ? Mais, pour lui, l’essentiel n’est pas là : « En effet, ce
qui est important c’est le Pourquoi. C’est difficile de répondre mais je pense,
qu’avant tout, j’ai un besoin de communication. Alors qu’à un certain âge, les
contacts peuvent se raréfier la photographie est, pour moi, un moyen de multiplier
les contacts et d’aller à la rencontre des autres. Il y a probablement en moi un
refoulé qui aurait aimé dire et décrire un certains nombre de choses. »
Gilbert Garcin nous assure que, pour commencer en art, il faudrait avoir acquis la maturité
de celui qui a vécu et réfléchi sur la nature des êtres et des choses : « Les hasards de
l’existence m’ont fait arriver tardivement à la photographie. Une nouvelle existence
pour moi, par hasard. Mais est-ce qu’il aurait été bien de commencer la
photographie à l’âge de vingt ans ? »
L’âge ne fait rien à l’affaire. L’appétit aiguisé, la manière maîtrisée par les stages aux
Rencontres d’Arles, il ne s’agissait plus alors, pour Garcin, que de s’y mettre tel un jeune
homme. Il a tout le temps nécessaire pour se lancer dans l’aventure et, ne s’attachant qu’à
l’essentiel, l’art ne pouvait que naître.
Le génie de l’artiste est d’aller au-delà des mots. L’image parle pour lui ; elle est
universelle, polyglotte et immédiate dans sa lecture. Plus que des photographies, les
tableaux de Garcin sont de véritables images, de l’importance de celles d’Epinal, estampes
qui célébraient, instruisaient et divertissaient. Parfois devinettes visuelles, on les admirait
de génération en génération pour y découvrir, à chaque fois, de nouvelles choses. On
retrouve, dans les photographies de Garcin, ce jeu populaire de l’œil et de l’esprit,
accessible à tous, à la fois universel et intemporel. Ainsi, comme à la veillée, on parle de
ses images, on débat, on s’en amuse mais on réfléchit aussi. Les oeuvres de Garcin
invitent au dialogue: « Chaque image est l’occasion d’échanger avec les autres. Si
vous regardez mes images dans lesquelles j’apparais, chacun peut tout de même
s’identifier au personnage que je joue. Il n’est en aucune manière question
d’autobiographie. Dans ce sens, je représente la vie des autres. »
Convoquons un conseil de famille et apparaissent André Vigneau qui, photographiant une
chaussure, transforme l’objet en sujet, Horst P. Horst dans sa rigueur esthétique, Man Ray
pour son trafic photographique. Pas de surprise à voir arriver dans l’instant ceux du
cinéma : Georges Mélies pour ses trucages fantastiques, Chaplin pris dans l’engrenage
des Temps modernes, Hitchcock et ses apparitions à la sauvette, Tati et sa silhouette
immuable. Et la peinture aussi. Magritte et ses tableaux au-delà du réel : « J’aurais aimé
connaître André Breton. Pour certains, le surréalisme est, l’une des facettes de mon
travail. J’ai été soumis à une multitude d’influences et le surréalisme est peut-être
un élément de mon travail. Mais je ne me définis pas comme cela ». N’oublions pas
dans ces cousinages : Max Ernst pour la poésie de ses collages, Caspar David Friedrich et
son homme devant la mer. Tant d’autres, encore, dans les photographies de Garcin :
conservatoire d’un musée fantastique, miroir de l’esprit, mémorial de l’humanité, procès
verbal des images commises dans le temps et qui ont réveillé nos âmes assoupies.
Chaque photographie de Garcin commence par une idée, attrapée au vol en une seconde
mais longuement mûrie par 80 ans de vie auxquelles s’additionnent 55 années de mariage
avec Monique. Puis, c’est le temps du « bricolage » à l’égal de celui des studios
hollywoodiens. Par l’installation des éléments sur une table, le « maquettiste » fait des
miracles. La silhouette de son personnage prend place tel un acteur sur le plateau du
tournage. Les deux projecteurs allumés, la séance peut commencer. Alors, il photographie
et se promène dans le champ de ses pensées manipulant les objets-symboles. La magie
opère. Exigeant sur le fond et dans la forme, le photographe ne gardera qu’une seule
image. L’idée révélée au regard des autres, l’œuvre est née. La silhouette de l’objet/sujet
Garcin a pénétré l’image avec sa complice de toujours Monique. Mais ils ne sont ni Gilbert,
ni Monique. Ils sont acteurs de situation, figurants de l’illusion. Ils nous représentent :
observateur, acteur, victime ou maître du monde se confrontant au temps et aux choses.
Déclencheur de conscience, jongleur d’idée, amuseur spirituel, Garcin projette ainsi le
spectateur dans l’image, au coeur d’un véritable spectacle philosophique accessible à
tous.
Il pourrait utiliser d’autres moyens techniques, d’autres procédés visuels, plus virtuels,
électroniques et informatiques. Mais il préfère se confronter au réel : « Il y a une
différence fondamentale entre les images de synthèse informatique et celles que je
fais. Dans mes images, tout est réel. Il n’y a rien d’inventé. Quand on voit une
matière ou un objet, il s’agit bien de réalité et les ombres sont bien réelles. »
Cet art est multiple car, partant d’une installation sur la table, il nous emmène en poésie
vers l’étonnante réalité, voire cruauté, de notre condition. L’artiste s’offre jusqu’à s’oublier
lui-même, ne voulant jouer à l’autoportrait, à l’auto consécration. Le personnage n’est que
l’objet-support, matériau à notre image. Cela tient de la performance tant pour l’implication
de l’auteur que pour le résultat obtenu. Ce jeu de l’artiste est total et le « Je » apparent
figure l’humanité dans son entier.
Une image apparaît et la lumière nait en nos esprits. L’ancien marchand de luminaires ne
pouvait imaginer un tel succès : tant de livres publiés et d’expositions internationales. Il
feint de s’en étonner mais l’homme devait savoir ; on ne part pas sur un tel chemin sans
viser un horizon large de grandes perspectives.
Les photographies de Garcin éveillent nos âmes avec subtilité et parfois humour. Garcin
n’est pas un directeur de conscience et n’accuse personne de nos tourments. Il intervient
avec élégance distanciée et empathie bienveillante. Le jeu de l’esprit s’avère être aussi un
divertissement ultime, nous rappelant la phrase de Beaumarchais : « On doit s’amuser de
tant de choses de crainte de devoir en pleurer ».
Olivier Delhoume