Welcome to Happy Land Des effluves de barbecue viennent se

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Welcome to Happy Land Des effluves de barbecue viennent se
Welcome to Happy Land
Des effluves de barbecue viennent se mélanger à
des odeurs de poubelles. Chaque maison paraît sur le
point de s’écrouler mais tient malgré tout, rafistolée de
toute part, des bâches tendues pour pallier aux fuites du
toit. Le sol est un peu mou, élastique – on marche en fait
sur une couverture de déchets. Les yeux sont pétillants,
les sourires éclatants sont accueillants mais découvrent
cependant des dents noircies parfois manquantes. Tout le
monde interrompt ses activités pour nous saluer, nous
regarder passer. Les mélanges d’odeur me donnent des
hauts le cœur. Des ribambelles de gamins courent autour
de nous, nous suivent dans le dédale des ruelles, ne
perdent pas une miette de chacun de nos faits et gestes.
Des petites mains noircies par la saleté attrapent les
miennes, viennent les déposer à leur front en marque de
respect. L’effervescence du quartier est joyeuse, dynamique. Les gens semblent propres, la saleté et les
déchets les entourent. A certains endroits, l’air est irrespirable. Des hommes font brûler des planches de
bois pourries pour en retirer du charbon et l’espace est empli d’une fumée toxique. J’ai du mal à m’arrêter
de tousser. Des enfants jouent pourtant à cet endroit toute la journée. Des coqs flamboyants sont attachés
devant presque chaque maisonnette et ne cesse de caqueter. Des chiens et des chats errent à la recherche
de nourriture dans l’indifférence générale. Des pans entiers de leur pelage ont disparus, ils ont les yeux un
peu vitreux, le corps couvert de griffures. J’essaie tant bien que mal d’éviter les flaques d’eau visqueuses
au-dessus desquels les mouches s’agglutinent, tout en m’abaissant pour passer sous les multitudes de fils
à linge et fils électriques qui traversent chaque ruelle. Je me sens maladroite sous les regards rieurs des
riverains qui me regardent passer. Les rires sont pourtant bienveillants, la joie et la fierté de voir des
« Blanches » venir visiter leur quartier est réelle pour ces habitants. La misère est partout pourtant pas une
seule personne ne nous réclame de l’argent. « Welcome to the Philippines », entend-on de toute part à
notre passage. Bienvenue à Happy Land, Tondo, près du port dans la banlieue nord de Manille.
Bienvenue dans l’un des plus grands bidonvilles de la capitale des Philippines.
Chez Maryel
La délicieuse Maryel est notre guide pour cette visite
surnaturelle. A 18 ans, elle en paraît à peine 15 mais est
pourtant déjà maman d’un petit de un an. Difficile à croire, en
voyant sa petite taille, une mèche de cheveux tirée en arrière à
l’aide d’une barrette, ses jolies fossettes et son sourire encore
enfantin. Maryel a toujours vécu ici à Tondo, n’a jamais connu
autre chose que ce quartier et elle est très fière de nous montrer
là où elle vit. Elle connaît le dédale des ruelles comme sa poche
et je peine parfois à la suivre, arrêtée par tous les enfants qui
prennent la pause sous mon appareil photo. Elle nous mène
enfin jusque chez elle, où elle vit avec son mari et sa belle-
pour 9 personnes. On est accueillis par sa belle-mère. L’endroit est très propre, très
organisé malgré la misère. On retire nos chaussures avant
d’entrer. Les murs sont de briques, ce qui est un luxe dans ce
quartier mais le toit semble fuir et l’étage s’est écroulé.
Plusieurs familles vivent là. Lors des moussons, l’eau monte
parfois très haut dans le logement, ce pourquoi il faudra
reconstruire l’étage avant la prochaine saison des pluies.
L’hospitalité et la générosité de cette famille est étonnante.
Nous voilà tous assis en tailleur au sein de leur foyer. Ils nous
invitent à déguster la jelly, une préparation à base de gélatine,
de lait concentré et de noix de coco. Maryel l’a préparé pour
en vendre dans le quartier mais nous en offre avec plaisir. Le
mélange est un peu écœurant mais Maryel est ravie que nous
y goûtions. Sa belle-sœur, une quinzaine d’année, est très
timide et s’est retirée dans un coin de la pièce. Elle ne cesse
d’envoyer des textos depuis qu’on est arrivés. Elle nous lance
des sourires gênés mais ne semblent pas vouloir engager la
conversation. Elle ne veut pas nous dire pourquoi elle n’est pas à l’école aujourd’hui.
famille. 10
Happy Land ne porte peut-être pas si bien son nom…
La bonne humeur, la joie de vivre, l’humour, les sourires et l’hospitalité des habitants de Happy
Land parviennent à estomper mon écœurement pour cet endroit. On en viendrait presque à croire que
l’endroit porte bien son nom. Mais étourdis par les odeurs, les mouches et les moustiques, et la générosité
des gens, il y a pourtant des réalités qu’on ne voit pas en visitant le bidonville. Comment deviner que la
plupart des hommes qui nous saluent assis devant leurs maisons sont en fait drogués ou soûls ? Comment
concevoir que les enfants espiègles avec lesquels on joue se font souvent abusés par leurs parents le soir ?
Comment pourrait-on imaginer que ces jeunes filles encore adolescentes se prostituent chaque nuit pour
faire vivre leur famille ? Car, oui, c’est ça la réalité de Happy Land. « La seule chose qui puisse les sauver
de la prostitution et de toutes les maladies qui viennent avec, c’est de tomber enceintes », me confie
Jean-Marc, cofondateur de l’organisation Life Project 4 Youth qui offre des programmes de formation
pour les jeunes adultes issus de ces quartiers. Désabusés et sans perspectives d’avenir, les jeunes arrêtent
souvent d’aller à l’école et cherchent des petits boulots pour faire vivre leur famille ou finissent par
s’enrôler dans des gangs et tombent dans la drogue et le crime. Ils dépensent leur argent souvent
futilement, ne parviennent jamais à faire des économies assez substantielles pour changer de vie, souffrent
des inondations et incendies réguliers qui viennent détruire leurs habitats, n’ont pas de papiers qui leur
donnent une existence aux yeux de l’administration et la possibilité d’obtenir de vrais emplois… Ils ne
connaissent rien d’autre que cette vie-là, que le bidonville. Ils ne connaissent rien des codes sociaux de la
société urbaine, celle qui pourtant pourrait leur offrir des emplois décents. Chaque semaine, de nouvelles
familles venant des provinces du Sud, des zones régulièrement ravagées par les typhons ou des
campagnes trop pauvres, débarquent dans le port de Manille dans l’espoir d’une nouvelle vie et finissent
dans des squats et des bidonvilles. Cette boucle vicieuse n’est donc pas prête d’être résolue.
Juste besoin d’un petit coup de pouce
Loin de Manille, le décor est différent, les
destins sont les mêmes. A Calauan, dans la
province de Laguna, là où de nombreuses familles
venant de Manille ont été relogées par le
gouvernement voulant démolir les bidonvilles, le
cadre est plus joli et fleuri mais le chômage règne
en masse, tout particulièrement chez les jeunes.
Pour passer le temps, ils boivent, ils s’enrôlent
dans des gangs. A Cebu City, dans les Visayas, de
nombreuses familles squattent le cimetière
chinois, sur les collines surplombant la ville. Le
cadre est magnifique avec ses petites maisonnettes
de bambous sous les palmiers et cette vue
incroyable sur la ville mais la marginalisation des
familles est flagrante. Beaucoup de jeunes passent leurs journées chez eux, désœuvrés, à écouter de la
musique sur d’énormes enceintes stéréo, faisant profiter ces mélodies à tout le quartier. Trop décentrés, ils
n’ont pas les moyens de payer les transports en tricycle ou en jeepney pour se rendre dans le centre-ville
et y travailler.
Ce qui manque à ces jeunes, c’est l’espoir, la confiance en eux, la connaissance du champ des
possibilités que leur jeune âge peut encore leur offrir. La pauvreté est un cercle vicieux qui les prive de
biens plus que leurs besoins matériels. Pourtant, derrière ces sourires embarrassés et cet anglais hésitant
se cache une incroyable force qui, si elle est formée et exploitée à sa juste valeur, peut faire des miracles,
comme le montre les anciens bénéficiaires du programme Life Project 4 Youth. RR, 22 ans, vivait dans la
rue lorsqu’il était enfant. Aujourd’hui, après être passé au sein des programmes de l’ONG, il travaille
dans les ressources humaines d’une grande entreprise internationale à Manille et n’a plus peur de son
avenir. Il suffit parfois de pas grand-chose pour sortir ces jeunes de la misère et leur donner les clés leur
permettant de se construire un avenir. Bien sûr, ça n’est pas aussi facile qu’on le croit et leur passé
peuvent parfois les rattraper. Mais cette génération représente l’avenir des Philippines et n’a besoin que
du petit coup de pouce qu’ils n’ont jamais eu dans la vie pour démarrer. Parfois, un petit coup de pouce
seulement suffit pour sortir du cercle de la pauvreté.
Léa Pernot
[email protected]
Youth 4 Change
L’exemple de ces jeunes dans les bidonvilles de Manille n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres.
Partout dans le monde, 550 millions de jeunes vivent dans la pauvreté et sont exclus de la société et de
perspectives d’emplois décents pour leur avenir.
Le collectif Youth 4 Change a pour ambition de créer un réseau international d’ONG travaillant pour
aider à l’insertion des jeunes en danger. Son but est de rechercher, de partager et d’encourager toutes les
initiatives et actions pouvant aider les jeunes en situation d’exclusion. Au moyen d’une plateforme en
ligne, les partenaires de Youth 4 Change peuvent ainsi partager leurs informations du terrain, améliorer
leurs pratiques, faciliter la prise de conscience au niveau international, et agir ensemble pour combattre
l’exclusion des jeunes à l’échelle mondiale.
Activistes de ce réseau, nous sommes 3 étudiantes à Sciences Po. Nous avons parcouru les Philippines
pendant 2 semaines et visité les différents centres de l’ONG Life Project 4 Youth. Le but de ce séjour était
de comprendre les réalités de la pauvreté et de l’exclusion chez les jeunes.

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