répétition des médias de masse et inspiration des

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répétition des médias de masse et inspiration des
RÉPÉTITION DES MÉDIAS DE MASSE ET
INSPIRATION DES MÉDIAS MULTIPLES
2007
L’une des questions les plus fréquentes de l’art moderne et contemporain a sans aucun doute
trait à la multiplication des sources d’images. Alors que l’art, finalement pendant une période
assez brève, fut le principal producteur d’images, le XXe siècle a vu naître de nouvelles
industries.
Quelle était alors la place des arts visuels? Avaient-ils encore une quelconque autorité? Et que
devenait la fonction même de l’imaginaire comme production d’images? Avaient-ils encore
une légitimité face à des industries mieux financées, plus puissantes et populaires? Les
réponses à ces questions furent multiples, des collaborations interdisciplinaires entre
cinéastes et plasticiens (Dali), à l’intégration du discours de résistance des arts visuels dans le
cinéma (Straub et Huillet), à l’intégration de la matière industrielle dans les pratiques
artistiques de Duchamp à Warhol et au-delà.
Cette situation de mise en minorité des arts visuels s’est encore accentuée ces quinze
dernières années avec l’arrivée d’Internet et des médias multiples. Nous nommons médias
multiples ou médias des multiplicités, les médias dont le contenant peut être bien produit par
l’industrie mais dont le contenu est fourni par les internautes. Alors que l’industrie culturelle
tend à fusionner les providers de contenu et de diffusion, les multiplicités les séparent.
L’une des caractéristiques apparentes de ces médias consiste, à la différence des médias de
masse qui répètent des clichés, des formules économiquement gagnates, de se diffuser par
inspiration. Que nommons-nous ici l’inspiration? Lorsque nous nous promenons sur Youtube,
nous voyons des vidéos qui se ressemblent et qui sembent former des groupes assez
homogènes, pour ainsi dire des modes temporaires: des ordinateurs qui brûlent, des
adolescentes qui dansent, des mentos qui explosent dans du coca-cola. Quotidiennement il y a
de nouvelles modes visuelles qui apparaissent sur le réseau. Les internautes s’inspirent les uns
des autres pour produire et diffuser des images. Cette ressemblance n’est pas une identité
simple, une répétition à l’identique, car si les internautes se répètent c’est bien pour
appartenir à un groupe, constituer donc une certaine identité, mais c’est aussi pour inscrire sa
marque, sa singularité, son existence et pour donc introduire un écart et une différence par
rapport à la norme visuelle. Il en va donc, ici comme ailleurs, d’une répétition différentielle.
Entre cette itérabilité culturelle et cette autre itérabilité, celle du code informatique, s’agit-il
simplement d’une ressemblance métaphorique, ou faut-il penser que les conditions de ces
deux itérabilités sont proches, ce sont des conditions techniques d’enregistrement, de
diffusion et de traitement, et que du fait de cette proximité matérielle, il faut dire que c’est la
même itérabilité qui trouve deux manières de s’exprimer?
Cette manière de se répandre par inspiration successive est spécifique aux médias multiples et
induit peut-être un dépassement de l’esthétique des médias de masse industriels. Ce
dépassement est pour une grande part encore insensible dans les arts visuels et on peut
penser que dans les prochaines années, cette déclinaison qui se répand par transduction, par
modification progressive, sera une des façons fondamentales de parler de l’économie
contemporaine de l’imaginaire.
Grégory Chatonsky

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