Examen LMDE03 (Créoles : histoire et langue)

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Examen LMDE03 (Créoles : histoire et langue)
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Examen LMDE03 (Créoles : histoire et langue)
Session janvier 2008
Sujet :
Yo té toujou di-mwen
Dépi mwen tou piti,
Ke ravèt douvan poul
Pa janmen ni rézon.
Sé pa pou ravèt sèl
Ke bagay-ta-la vré ;
Pou ti-mouton osi,
Kan i jwenn épi lou
Mé kouté sa tibwen.
Té ni an ti-mouton,
Déja byen vagabon,
Magré i pa té vyé,
I pa té ni lanné.
An jou musyeu véyé
Kan manman-i okupé,
I pati an bòdé.
Rivé bòd-larivyè,
I té swèf, i ay bwè.
Mèt lou, li, ni lontan
Té ja wè ti-boug-la,
Té ja envoké gyab
Pou té bay driv-ta-la.
I di : zafè-mwen bèl,
Manjé-mwen asuré,
I desann bligidip,
Pran vwa moudong li a
E i di ti-boug-la :
- Gadé musyeu tibwen !!!
Pyé-i an dlo mwen ka bwè !!!
Si mwen ba-ou an zafè
Sé mwen kay profité ?
- Padon musyeu-mwen chè !
Mwen pa fè sa èspré.
Epi pyé-mwen pa sal
Mwen té suyé-i avan.
- Ou ka manti ankò
Di mèt lou an kòlè ;
Epi sé pa tou sa,
Moun ja vini di-mwen
Dépi lanné-pasé,
Ou ka palé-mwen mal
Epi kanmarad-ou
- Ou di lanné-pasé,
Mé mwen pòkò té né !!!
On m’avait toujours dit
Depuis que j’étais tout petit
Que le ravet devant la poul
N’avait jamais raison
C’est pas seulement pour le ravet (cafard)
Que cette affaire est vraie
Pour l’agneau aussi,
quand il a rencontré le loup
Mais écoutez ça un peu.
Il y avait un agneau
déjà bien vagabond,
Bien qu’il ne soit pas vieux,
Il n’avait pas un an.
Un jour, monsieur était réveillé
Alors que sa maman était occupée,
Il partit en vadrouille.
Arrivé au bord de la rivière,
Il eut soif, il alla boire.
Maître Loup, lui, il y avait longtemps
Qu’il surveillait le petit bonhomme,
Qu’il invoquait le diable
Pour qu’il l’envoie en virée.
Il dit : mon affaire est belle,
Mon repas assuré,
Il descendit bligidip.
Il prit sa voix de sauvage
Et dit au petit bonhomme :
- Regardez monsieur, un peu !!!
Ses pieds sont dans l’eau que je bois !!!!
Si je vous donne quelque chose
C’est moi qui en profiterai ?
- Pardon monsieur, cher !
Je n’ai pas fait ça exprès.
Et mon pied n’est pas sale
Je l’avais essuyé avant.
- Tu mens encore
Dit Maître Loup en colère ;
Et ce n’est pas tout ça
Des gens sont déjà venu me dire (On m’a dit...)
Que, depuis l’année dernière,
Tu parles mal de moi
Avec tes amis
- Vous dites l’année dernière,
Mais je n’étais pas encore né !!!
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Si mwen vini bwè dlo
Sé pas manman-mwen lwen,
Mwen ka tété toujou.
- Ah ! sé pa ou sé frè-ou ?
Sé li mal-palan-an ?
- Musyeu èskizé-mwen
Mé frè-mwen pa ni sa
Mwen sèl ich manman-mwen !!!
- Rooy... ou tròp kontrolè
Mwen tann asé palé !
Mwen ja wè zafè-mwen,
Mwen sav zot ray mwen,
Mwen pa fè zot ayen !
Zot za chèché tchué mwen,
Si mwen pa té malen,
Zot za pwézonnen-mwen.
Jòdi-a mwen jwenn-ou,
Sé ou kay péyé sa,
Ou kay péyé pou tout
Et toutanfwa pou tout.
Konpè lou lè-ta-la
Rapé musyeu pa kou,
Zot pa buzwen mandé
Si i fouté-i an kò-i prop.
Si je suis venu boire de l’eau
C’est parce que ma mère est loin,
Je tète toujours.
- Ah ! c’est pas toi, c’est ton frère ?
C’est lui le médisant ?
- Monsieur, excusez-moi
Mais mon frère, ce n’est pas ça
Je suis le seul fils de ma mère !!!
- Rooy... Tu es trop insolent
J’ai entendu assez parler !
J’ai déjà vu mes affaires (je suis suffisamment au
courant) / Je sais que vous me haïssez,
Je ne vous ai rien fait !
Vous avez déjà cherché à me tuer,
Si je n’étais pas malin,
Vous m’auriez déjà empoisonné.
Aujourd’hui, je t’ai trouvé,
C’est toi qui va payer ça,
Tu vas payer pour tous
Et une fois pour toutes.
Compère Loup à ce moment
Attrape ce monsieur par le cou,
Vous n’avez pas besoin de demander
S’il l’a mis (avalé) dans son corps même.
Cette fable de Marie-Thérèse Lung-Fou, retranscrite conformément à l’usage graphique actuel
du créole, traduite dans la colonne de droite à peu près littéralement, est une adaptation du
Loup et de l’Agneau, fable de La Fontaine bien connue. On répondra sur ce texte aux
questions suivantes :
1°) Etudiez les diverses fonctions de « mwen » dans le texte : classez les formes selon les
fonctions que vous dégagerez, et commentez les exemples les plus significatifs pour chacune
des fonctions grammaticales.
2°) Certaines formes sont immédiatement caractéristiques de la variété de créole représentée.
Pouvez-vous dire de quelle variété il s’agit et présentez-en les caractéristiques les plus
significatives.
3°) Analysez soigneusement la structure grammaticale de la séquence suivante :
« Té ni an ti-mouton / déja byen vagabon, / magré i pa té vyé / i pa té ni lanné »
4°) Traduire dans le créole de votre choix (cela peut être le créole utilisé dans le texte cidessus) :
« Le petit mouton avait déjà vu le loup ; sa mère était loin ; on lui avait dit de ne pas parler au
bord de la rivière. Il avait soif et but de l’eau. »
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Corrigé
1) « mwen », marque personnelle de 1ère personne, a trois fonctions dans le texte :
pronom personnel sujet (placé avant le verbe – et avant les particules diverses qui
caractérisent le verbe : négation, particules préverbales...):
Dépi mwen tou piti
mwen ka bwè
Si mwen ba-ou an zafè
Sé mwen kay profité ?
Mwen pa fè sa èspré
Mwen té suyé-i avan
Mé mwen pòkò té né !!!
Si mwen vini bwè dlo
Mwen ka tété toujou
Mwen sèl ich manman-mwen
Mwen tann asé palé
Mwen ja wè zafè-mwen,
Mwen sav zot ray mwen,
Mwen pa fè zot ayen !
Si mwen pa té malen
... mwen jwenn-ou
On se méfiera de la structure « Sé mwen kay profité ? » où « mwen », pronom, est bien sujet
du verbe « profité », mais la phrase en question est introduite par un présentatif « sé » qu’il
convient d’analyser correctement ; c’est précisément un cas où en prenant en compte trop vite
la traduction française « c’est moi qui en profiterai », des étudiants réagissant à la forme
« moi » du français ont pu commettre l’erreur de considérer « mwen » ici comme
« complément indirect » [sic] – ce qui bien sûr est complètement faux : cette terminologie
pourrait au mieux correspondre à une analyse pour certains usages de « moi » en français (cf.
« de moi », « à moi »...) dans certaines structures verbales, mais ne correspond ni à la
traduction du passage ici en question, ni surtout à l’analyse de la phrase créole !).
pronom personnel complément (immédiatement placé après le verbe, uni à la base verbale
généralement par un tiret) :
Yo té toujou di-mwen
Moun ja vini di-mwen
Ou ka palé-mwen mal
Musyeu èskizé-mwen
Zot za chèché tchué mwen (le tiret ici a été malencontreusement omis)
Zot za pwézonnen-mwen
déterminant possessif (placé après le nom ou le groupe nominal – GN qui peut être lui-même
sujet ou complément selon sa position par rapport au verbe) :
zafè-mwen bèl
Manjé-mwen asuré
Padon musyeu-mwen chè [structure à analyser correctement : on s’adresse ici à « mon
monsieur » – forme emphatique, renforcée – qui tente de rendre de fait la forme originelle du
français « mon sieur », le « mon- » dans « monsieur » n’étant plus analysée (déjà en français,
mais encore moins en créole où « musyeu » est pris comme une unité globale : on a le même
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phénomène dans le groupe nominal : madam-mwen = ma femme, où l’on ne perçoit plus du
tout le sens original de « ma- » dans « ma-dame » !]
Epi pyé-mwen pa sal [noter que la pluralité vraisemblable (cf. « mes pieds » et non pas « mon
pied » : on se tient dans l’eau avec ses deux pieds, ou ses quatre pieds en l’occurrence pour le
petit mouton = l’agneau) n’est pas notée grammaticalement ici, qu’elle est purement
déductible de la situation : dans une langue orale comme le créole en question, certaines
marques ne sont pas considérées comme indispensables à l’oral. Il est évident qu’une
recherche de précision demanderait la forme : « sé pié-mwen » plus claire (marque du pluriel
+ pied + déterminant possessif 1ère personne !)]
Sé pas manman-mwen lwen
Mé frè-mwen pa ni sa
et le deuxième –mwen dans : Mwen sèl ich manman-mwen
L’identification de la fonction de ce morphème de 1ère personne, « mwen », qui ne comporte
aucune variation morphologique dans le texte étudié, ne se fait qu’en contexte, en étudiant
l’environnement : position par rapport aux mots immédiats et position dans la phrase.
2) Le texte est à l’évidence écrit en martiniquais, l’une des variétés de créole des Petites
Antilles, comme l’attestent en particulier les faits suivants :
- construction directe du possessif : zafè-mwen, pié-i, frè-mwen, kanmarad-ou, etc. mamanmwen est le seul exemple qui n’est pas décisif car en guadeloupéen aussi, comme en
martiniquais, les géniteurs (papa et maman) sont toujours construits selon le modèle
« manman-mwen / papa-mwen) alors que les autres structures possessives impliquent une
construction indirecte : fwè-an-mwen, zafè-an-mwen, pié-an-mwen...
- le démonstratif –ta-la est également spécifique du martiniquais : en Guadeloupe on dit plutôt
–la-sa.
- recours au mot « ich » pour « enfant » : en Guadeloupe (et dans le reste de la Caraîbe) on
préfèrerait « timoun » ou « « pitit » : ich est très spécifique de la Martinique
- variation du déterminant défini –la (en martiniquais, en fonction du contexte, on a quatre
variantes morpho-phonologiques : « -la » après consonne non nasale, « -lan » après consonne
nasale, « -a » après voyelle, « -an » après voyelle nasale). Dans le texte seules sont attestées
les variantes « an » et « -a » : « mal-palan-an », « jòdi-a »
On pourrait aussi souligner quelques faits phonétiques : « tchué » au lieu de « kué », ou la
nasalisation progressive représentée dans « pwézonnen-mwen », etc.
3) L’étude de la structure de la phrase est significative tout particulièrement en ce qui
concerne les constructions verbales. Il convient de faire attention à l’analyse de l’ensemble de
la structure syntaxique, sans se contenter d’une comparaison mal faite avec le français :
certains étudiants en l’absence de copule considèrent par exemple « vyé » (ou « tou piti » plus
haut dans le texte) comme adjectifs alors qu’ils constituent véritablement le verbe dans ces
phrases, en l’occurrence marqués en temps et aspect par la particule TMA « té » :
[noter les abréviations : PP = particule préverbale ; V = verbe ; N = nom ; adj. = adjectif ; adv
= adverbe ; conn. = connecteur ; suj. = sujet ; nég. = négation]
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morphème
Té
ni
an
PP
V
détercatégorie
minant
fonctionnelle
signification passé avoir indéfini
pa
morphème
nég.
catégorie
fonctionnelle
signification
timouton
N
déja
agneau
déjà
té
PP
vyé
V
passé
être
vieux
adv.
i
Pronom
(suj.)
3e pers.
byen vagab
on
adv. « adj.
»
bien vagabond
pa
nég.
magré
i
conn.
pronom
(suj.)
3e pers.
bien
que
té
PP
ni
V
lanné
N
passé
avoir année
On rappellera qu’en créole la fonction d’un mot/morphème (V, N, etc.) est fixée par sa
position dans la phrase. Ici « an ti-mouton » et « lanné » constituent des groupes nominaux
compléments par rapport au verbe « ni ». « vyé » est verbe parce que précédé d’une PP
(TMA). On sait encore que « ni » est verbe en raison de la présence d’une particule TMA qui
lui est immédiatement antéposée.
4)
Traduction en martiniquais : Ti-mouton-an té za (ou déja) wè lou-a ; maman-i té lwen ; yo té
di-i pa palé bod-larivyè(-a) ; i té swèf é i bwè dlo.
Traduction en guadeloupéen : Ti-mouton-la té ja vwè lou-la ; maman-i té lwen ; yo té di-i pa
palé bod-larivyè(-la) ; i té swèf é i bwè dlo.

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