A propos du pardon et de la réconciliation

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A propos du pardon et de la réconciliation
A propos du pardon et de la réconciliation, B. Ugeux, Goma, Janvier 2012
Congrès à l’occasion du Centenaire de l’évangélisation du diocèse de GOMA,
RDC, 10 Janvier 201C.
Le pardon et la réconciliation : un long cheminement humain et spirituel,
à parcourir avec la grâce de Dieu.
par Bernard Ugeux
Introduction.
Mon exposé ne portera pas directement sur l’évangélisation du diocèse de Goma. Il concernera une
question essentielle pour les pays des Grands Lacs : le pardon et la réconciliation. Mon approche ne
sera ni conceptuelle (définitions théologiques) ni sacramentelle (sacrement de la réconciliation) mais
plus directement pastorale. Elle développera les étapes spirituelles et psychologiques d’une démarche
de réconciliation et de pardon. Elle nous renvoie donc, chacun et chacune d’entre nous, à nos propres
démarches de réconciliation personnelle et communautaire. Elle aussi s’inscrit aussi tout naturellement
dans le prolongement du second synode romain pour l’Afrique qui avait pour thème : Réconciliation,
justice et paix.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je me réfère à deux propositions des évêques à la fin du Synode et
au paragraphe 18 de l’Exhortation Apostolique Africae Munus qui prolonge ce Synode et fut
promulguée à Cotonou le 19 novembre 2011 par S.S. Benoît XVI.
A l’occasion du deuxième Synode spécial pour l’Afrique, les Pères synodaux ont souligné les fruits et
les enjeux sociaux et spirituels de la démarche de réconciliation. A propos de l’aspect social, ils en
décrivent les effets positifs: « La réconciliation au niveau social contribue à la paix. Après un conflit,
la réconciliation restaure l’union des cœurs et la vie en commun. Grâce à la réconciliation, des nations
longtemps en guerre ont retrouvé la paix, des citoyens ruinés par la guerre civile ont reconstruit
l’unité; des individus ou des communautés cherchant et accordant le pardon ont guéri leurs mémoires,
des familles divisées vivent à nouveau en harmonie. La réconciliation surmonte les crises, restaure la
dignité aux gens et ouvre la voie au développement et à la paix durable entre les peuples à tous les
niveaux. » (Proposition 5, extrait).
Si les fruits de la réconciliation évoqués ici sont bien l’idéal poursuivi par l’Eglise et par la société, il
faut pourtant reconnaître qu’ils se récoltent difficilement et parfois rarement dans les faits dans nos
pays. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas les poursuivre assidument.
Quant aux enjeux spirituels, ils sont une invitation pour chacun à une conversion intérieure : « “Car
c’était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes,
et mettant en nous la parole de réconciliation. Nous sommes donc en ambassade pour le Christ”(2 Cor
5,19-20). La réconciliation englobe une manière de vivre (spiritualité) et une mission. Pour mettre en
œuvre la spiritualité de la réconciliation, de la justice et de la paix, l’Église a besoin de témoins
profondément enracinés dans le Christ, nourris de sa Parole et des sacrements. Ainsi, tendus vers la
sainteté, grâce à une conversion permanente et à une vie de prière intense, ils s’investiront dans
l’œuvre de réconciliation, de justice et de paix dans le monde, au besoin jusqu’au martyre, suivant
l’exemple du Christ. Par leur courage dans la vérité, leur abnégation et leur joie, ils donneront un
témoignage prophétique d’une conduite de vie en cohérence avec leur foi. Marie, Mère de l’ÉgliseFamille de Dieu, qui a su accueillir la Parole de Dieu, être à l’écoute des besoins des hommes et se
faire médiatrice, dans sa compassion, sera leur modèle. » (Proposition 9, extrait).
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A propos du pardon et de la réconciliation, B. Ugeux, Goma, Janvier 2012
Les évêques nous indiquent ainsi que pour un chrétien, il existe deux sources de réconciliation :
d’abord le Christ, par qui Dieu a obtenu une double réconciliation : des êtres humains avec Lui et entre
eux. Ensuite, l’engagement résolu de témoins engagés, prophétiques, prêts à payer de leur personne.
Cette parole dit bien que c’est une aventure jamais gagnée d’avance et qui demande un dévouement
inconditionnel.
Africae Munus :
18. « Je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vous donne », dit le Seigneur, qui ajoute « non pas
comme le monde la donne » (Jn 14, 27). La paix des hommes qui s’obtient sans la justice est illusoire
et éphémère. La justice des hommes qui ne prend pas sa source dans la réconciliation par la « vérité de
l’amour » (Ep 4, 15) demeure inachevée ; elle n’est pas authentiquement justice. C’est l’amour de la
vérité, Ŕ « la vérité tout entière » à laquelle l’Esprit seul peut nous conduire (cf. Jn 16, 13) Ŕ, qui trace
le chemin que toute justice humaine doit emprunter pour aboutir à la restauration des liens de fraternité
dans la « famille humaine, communauté de paix », [24] réconciliée avec Dieu par le Christ. La justice
n’est pas désincarnée. Elle s’ancre nécessairement dans la cohérence humaine. Une charité qui ne
respecte pas la justice et le droit de tous, est erronée. J’encourage donc les chrétiens à devenir
exemplaires en matière de justice et de charité (Mt 5, 19-20).
Les différentes dimensions d’un processus de réconciliation
Dans la poursuite de cet exposé, je m’inspire d’un document de travail de la commission du Conseil
Œcuménique des Eglises « Mission et évangélisation » avec laquelle j’ai eu l’occasion de travailler
durant plusieurs années. Le document porte sur : « La mission : ministère de réconciliation »1.
En ce qui concerne la dynamique du processus de réconciliation, le document souligne l’importance de
prêter une attention particulières à six aspects : la vérité, la mémoire, la repentance, la justice, le
pardon, l’amour ; je rajouterai un mot sur la guérison. Il ne s’agit pas d’un ordre hiérarchique ni
forcément d’étapes chronologiques. Cette approche me semble honorer la complexité de la démarche.
Nous aborderons chacun de ces points principalement dans la perspective d’un chemin personnel de
réconciliation, même s’il s’agira aussi parfois des relations entre des groupes. En effet, un processus
de réconciliation, même national, implique d’abord un chemin personnel souvent long, coûteux,
complexe et qui doit être accompagné. La réconciliation est nécessitée par le fait qu’une personne (ou
un groupe) en a lésé une autre qui en est restée blessée (physiquement, moralement, socialement,
économiquement, etc.).
La vie en société implique que les relations se vivent autant que possible dans la paix et la justice. Il
est donc nécessaire pour son équilibre et sa pérennité que quand il y a des personnes victimes d’une
injustice, il y ait un processus de réconciliation et de réparation. C’est aussi requis pour une relation
interpersonnelle. Dans ce dernier cas, il est plus facile d’identifier la victime et l’offenseur. Il peut
exister des situations claires de violence, par exemple, alors la dénonciation est évidente. L’expérience
montre cependant que dans des conflits conjugaux, familiaux ou communautaires, il est rare que
certains n’aient aucune part de responsabilité. Quant aux conflits sur une plus grande échelle, il arrive
1
« Vous êtes la lumière du monde », Déclarations du conseil Œcuménique des Eglises sur la mission, 1980-2005, WCC
publications, Genève, 2005, p. 99-140.
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que les victimes deviennent offenseurs, et des offenseurs des victimes, si bien que le processus de
réconciliation devient bilatéral : tout le monde a quelque chose à pardonner aux autres. C’est pourquoi
il n’est pas toujours évident dans certains conflits de définir clairement qui est la victime. On peut
d’ailleurs se sentir subjectivement victime d’une situation qui, objectivement, ne nous est pas
préjudiciable. En outre, dans des conflits entre groupes sociaux, dont les groupes ethniques, la plupart
du temps les deux parties se présentent comme victimes. Ce qui rend aussi la réconciliation plus
difficile, c’est qu’on est tenté de généraliser à tout un groupe les méfaits d’une minorité, peut-être
particulièrement extrémiste. Cela peut donner naissance à des comportements de racisme.
Or, « si la pratique chrétienne accorde une sollicitude particulière au sort des victimes, la
réconciliation et la guérison exigent à la fois la restauration et la guérison de la victime et le repentir et
la transformation de l’offenseur. » L’idéal serait une transformation des deux parties, une « création
nouvelle » (2 Co 5,17), nous dit le document du COE. Ici encore, il s’agit bien d’un idéal, d’un
horizon vers lequel cheminer au nom de notre foi mais qui n’est pas à la portée d’une décision
immédiate ou de notre pure bonne volonté. Il s’agit aussi et surtout d’un don à demander à Dieu avec
lequel nous sommes invités à collaborer de toute notre énergie et tout notre amour, malgré bien des
obstacles dans la pratique.
La vérité.
Une des conditions de possibilité pour l’aboutissement d’un processus de réconciliation, c’est d’établir
la vérité des faits en rapport avec le conflit. Quand il s’agit de faits du passé, dans un conflit entre
groupes, c’est d’autant plus difficile que la vérité a parfois été déformée. Il arrive aussi que les
offenseurs fassent appel à la réconciliation pour tout simplement gommer l’offense. Par ailleurs, une
réconciliation recherchée le plus rapidement possible ne permet pas d’évaluer la souffrance des
victimes ni la véracité de leurs revendications. D’où la difficulté par la suite de pardonner en
profondeur.
A un niveau personnel, l’expérience montre qu’une personne lésée ne peut se réconcilier et guérir que
si elle a été reconnue comme victime. Parfois elle a honte de le dire (par exemple en cas de violences
sexuelles) ou bien elle se sent coupable de la violence qu’on lui fait subir (un enfant se culpabilise
spontanément de la brutalité des adultes) ou bien elle a peur des représailles si elle dénonce une
autorité. Certaines, on nom de leur foi, croient qu’elles sont obligées d’oublier ou d’excuser
l’agresseur. Or, comme l’écrit Simone Pacot : « La première étape, essentielle à tout acte de
pardonner, est de prendre conscience du mal subi. Si nous ne reconnaissons pas l’étendue de la
douleur, de la violence qui ont pu prendre racine en nous, il ne sera pas possible de vivre le pardon
dans sa réalité. Si toutes nos émotions ont été gommées, niées, comment pourrions-nous savoir ce que
nous avons à pardonner, à qui pardonner ? C’est à partir du chagrin, de la révolte que le pardon va se
vivre. Si nous les nions, l’acte de pardon ne produira pas de fruit de transformation, de passage de la
mort à la vie. 2 » Il se peut que certaines personnes doivent parcourir un long chemin de prise de
conscience de la vérité de leur passé pour qu’elles puissent nommer un mal qui a parfois été refoulé
très loin et compensé par de mauvais choix pour survivre (les fausses routes). Faire la vérité, c’est
venir à la lumière en osant nommer le mal et le dénoncer comme mal. Condamner la mal ce n’est pas
forcément condamner le pécheur. Or le désir de ne pas juger peut arrêter certaines personnes sur ce
chemin d’élucidation. Pourtant, c’est seulement ensuite que le second pas sera possible : l’acceptation
de la réalité, le consentement à ce qui s’est passé. On ne nie pas la mal, on ne cherche pas à l’oublier à
2
Simone Pacot, L’évangélisation des profondeurs, Paris, Cerf, 1997, p.210.
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tout prix, mais cette reconnaissance ouvre un chemin de reconstruction et de conversion. Par ailleurs,
il faut savoir que le fait de revivre des événements qui réactive la blessure peut retarder ce chemin
d’acceptation.
Or, il n’est pas facile d’accéder à la vérité objective. En Afrique du Sud, différentes sortes de vérité
furent découvertes : la vérité des faits : de ce qui s'était réellement passé ; la vérité sociale : celle qui
découle de notre expérience en tant que société (qui peut aussi la version donnée par le groupe) ; la
vérité narrative : la vérité de chaque personne et de son histoire. Cette dernière vérité, pour subjective
qu’elle puise être, est vécue par la personne comme LA vérité, même s’il est possible qu’elle ait été en
partie construite ou réaménagées pour différentes raisons. 3
Enfin, on sait que pouvoir faire le récit de ce qu’on a vécu comme souffrance à une personne ou un
groupe qui écoute avec compassion et bienveillance peut avoir des effets cathartiques (thérapeutiques).
D’où l’importance d’une bonne formation à l’écoute de personnes traumatisées dans les congrégations
et les communautés chrétiennes...
La mémoire
Pas plus que le pardon, la mémoire ne peut être commandée comme une obligation morale. On ne peut
obliger de se souvenir mais on peut inviter à être soigneux de ne pas oublier. Le sens de cette attitude
est la fidélité au passé et aux victimes. La récompense est la distinction entre la réalité (aussi
douloureuse soit-elle) et les représentations fantasmées qui y sont attachées . Celles-ci empêchent
d’accepter qu’on ne peut prétendre construire une histoire sans perte. C’est là qu’il y a un travail de
deuil à assumer pour permettre un avenir (P. Ricœur4).
Comment parler de la mémoire ? C’est de l’authenticité du travail de mémoire que dépendra l’accès à
la vérité. Il est essentiel de respecter cette mémoire, ne fut-ce que pour que le mal ne soit pas répété
dans l’histoire. Garder la mémoire des grands crimes contre l’humanité fait partie de la responsabilité
de l’histoire, des sociétés. Mais il y a plusieurs façon de garder la mémoire : dans une attitude
d’humilité, de repentance, de volonté d’avancer et de ne pas entretenir de rancœur donc, dans le but de
reconstruire en se tournant vers la vie. Ou bien dans un processus où on réduit l’autre au mal qu’il a
fait et l’acte de mémoire est un acte de jugement et de culpabilisation. Alors, la guérison devient
impossible pour le coupable. Le Christ a toujours refusé de réduire quelqu’un au mal qu’il a fait ou à
son péché. Vis-à-vis de Zachée, de la femme adultère, de la Samaritaine, du prodigue, il a toujours
posé sur le pécheur un regard qui l’espère. Il ne faut surtout pas que la mémoire du mal empêche de
poser sur l’autre, même un bourreau qui, lui aussi a besoin de guérison, un regard qui l’espère.
Reconnaître l’importance de la mémoire explique donc que pardonner ne veut pas forcément dire
oublier. Mais si c’est une mémoire qui rumine la vengeance, elle est destructrice. Car la première
démarche de réconciliation, c’est de renoncer à la vengeance. Tant qu’on ne se met pas en route à ce
propos, il est impossible d’alléger la mémoire et peut-être un jour de la purifier. Si une personne n’est
pas capable de pardonner pour le moment pour diverses raisons, celle-ci peut lui demander un lent
processus de guérison. Ces résistances peuvent être légitimes car le pardon n’est pas le fruit d’un
simple acte de volonté. Dans ce cas, la personne fragilisée et blessée est invitée à offrir son désir de
3
Pour vivre…, Lumko, p. 34
4
« Les difficultés du pardon », BLE, Chronique, Toulouse, ICT, n°4, 1999, p.15-24. Toutes le références à P. Ricœur dans cet
exposé renvoient à cette conférence données à l’occasion de son doctorat honoris causa à l’Institut Catholique de Toulouse.
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pardonner. C’est aussi une grâce à demander. C’est renoncer à entretenir un souvenir destructeur qui
rend le pardon impossible ; renoncer à la rancune, à la volonté de vengeance, à dire du mal. Donc, si
quelqu’un se sent incapable pour le moment de pardonner, qu’elle s’efforce au moins de cesser de
ruminer, d’entretenir de la rancune et de regarder en arrière. Guérir la mémoire, c’est lutter contre la
toxicité des souvenirs. On l’a dit, c’est souvent en en parlant, grâce des récits écoutés avec compassion
par un accompagnateur, qu’on ne reste plus otage du passé. Prier pour l’ennemi peut être une aide
précieuse, mais cela doit être fait dans la vérité (à propos des motivations). Cela peut prendre du temps
mais c’est de cela que dépendra la façon de vivre aujourd’hui. Les souvenirs qui ne guérissent pas
peuvent empêcher la reconstruction ou la réconciliation.
A ce sujet, Simone Pacot montre qu’il peut y avoir un usage pervers de l’état de victime. D’un côté,
elle insiste sur la nécessité de reconnaître la victime et de nommer le mal. D’un autre, elle montre qu’il
y a un moment où la personne doit décider de choisir la vie et de cesser de s’identifier à son état de
victime. Sinon, cela peut la déresponsabiliser par rapport à la possibilité de prendre sa vie en main. On
connaît les « bénéfices secondaires » dans le fait d’être malade, par exemple en se mettant au centre de
tout. On court le même risque quand on a été victime. C’est pourquoi, après un temps de
reconstruction intérieure (et parfois physique, psychique, sociale…), il est important que la victime
retourne dans le monde des vivants. (cf. le paralytique de Bethesda: « prends ton grabat et marche ».
Le grabat, c’est son passé, il ne peut le nier). Rien ne peut effacer le fait que la victime a été agressée
et blessée, mais il est important qu’elle découvre qu’elle est plus qu’une victime, elle est aussi un être
de relation, un être vivant qui a encore des ressources en lui. On emploie aujourd’hui le terme de
résilience pour évoquer la capacité de se reconstruire de la part de personnes profondément blessées
qui ont trouvé la force de puiser dans leurs réserves pour rebondir 5. S. Pacot a intitulé un de ses livres :
« Choisis la vie »6. Et elle pose alors la question redoutable, à laquelle il n’est pas toujours possible de
répondre tout de suite : « Qu’as-tu fait de ce qu’on t’a fait ? ». De la réponse à cette question peut
dépendre une renaissance…
Bref, si l’on veut bâtir ensemble un avenir différent, il est important de rétablir la mémoire qui a été
étouffée, de ce mettre d’accord à ce propos, dans la mesure du possible. Il est essentiel de faire revivre
la mémoire de façon à ce qu’elle aide à vivre au présent et à imaginer l’avenir.
La repentance
La repentance ne peut non plus être forcée. Jésus appelait à la repentance et à la conversion car il
inaugurait une ère nouvelle de salut. Pour être authentique, la repentance implique une reconnaissance
du tort fait à l’autre et la volonté de réparer les dégâts réalisés. Il n’y a donc pas de vraie repentance
sans justice. Il est possible cependant de pardonner à quelqu’un sans que l’autre se repente, car il ne
faut pas que le pardon dépende de l’offenseur et de son acceptation ou non de demander pardon. Mais
on ne peut vraiment se réconcilier entre personnes ou groupes (il ne s’agit pas ici de la réconciliation
avec soi-même) s’il n’y a pas de reconnaissance des torts, éventuellement réciproques. Il faut en effet
qu’il y ait une prise de conscience de la faute et un désir réel d’une relation nouvelle, réconciliée,
fondée sur le pardon (cf. Ac 2,38). Par ailleurs, il se peut que quelqu’un se repente honnêtement et
5
6
Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Paris, Poche Odile Jacob, 2002, 218 pages.
Simone Pacot, Choisis la vie, L’évangélisation des profondeurs, t. II, Paris, Cerf, 2002, 392 pages.
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humblement mais qu’on ne lui accorde pas le pardon. Dans ce cas, il lui reste au moins la certitude
que Dieu pardonne toujours au pécheur qui se repent, ce qui ne le dispense pas de la réparation (cf. le
sacrement de réconciliation où le repentir est nécessaire ainsi que l’engagement à réparer les
conséquences du péché).
« L’Eglise est ainsi invitée à « devenir plus entièrement consciente de l’état pécheur de ses
enfants ». Elle accepte comme siens ses fils et filles pécheurs et les encourage « à se purifier, à
travers la repentance, des erreurs et cas d’infidélité passés, d’inconsistance et de lenteur à agir ». La
responsabilité des chrétiens et les maux de notre temps sont aussi soulignés, même si l’accent est
particulièrement mis sur la responsabilité de l’Eglise d’aujourd’hui vis-à-vis des erreurs du passé.
Quelques unes de celles-ci sont explicitement mentionnées, comme la séparation des chrétiens ou
«les méthodes de violence et d’intolérance » utilisées dans le passé lors de l’évangélisation » (Lumko,
Afrique du Sud).
Jean Paul II a ainsi entrepris une exploration théologique profonde de l’idée d’assumer sa
responsabilité pour les fautes du passé et la possibilité de demander pardon à ses contemporains, en
écrivant dans l’Exhortation Apostolique Reconciliatio et Paenitentia que, dans le sacrement du
pardon, « le pécheur se tient seul devant Dieu avec son péché, sa repentance et sa confiance ; personne
ne peut se repentir à sa place ou demander pardon en son nom » 7. Cependant, nous avons vu
récemment comment, le 11 juin 20108, le pape Benoît XVI a demandé pardon à Dieu et aux victimes
de la pédophilie au nom de l’Eglise.
La justice
On a vu qu’un des obstacles à la démarche de pardon peut être la crainte de perdre ses droits à une
réparation. Or, il n’y a pas de réconciliation sans justice. C’est pourquoi un processus de réconciliation
doit prendre le temps de faire la vérité autant que possible sur les faits, afin d’évaluer les dégâts et les
blessures endurés. Ce n’est qu’alors qu’il est possible d’entrer dans une phase d’apaisement en faisant
justice aux victimes.
Il faut d’abord mener une lutte incessante pour séparer justice et vengeance. Car le bourreau est aussi
un être humain. Ensuite, il faut respecter les institutions spécifiques qui exercent la justice et doivent
assurer la réparation (en espérant qu’elles sont fiables). Il existe plusieurs sortes de justice. On peut en
considérer trois, d’après le COE9. La justice de rétribution demande à l’offenseur d’assumer la
responsabilité de ses actes. C’est la condition pour reconnaître qu’un mal a été commis et pour
s’engager à ne plus le tolérer désormais. Cette justice relève de l’Etat légalement constitué. Les
châtiments donnés en dehors de ce cadre risquent d’être des actes de vengeance ou des abus de
pouvoir, de purs règlements de compte. Il y a ensuite la justice réparatrice qui veille à restituer aux
victimes ce qui leur est dû, soit directement soit sous forme symbolique. En Afrique du Sud, dans les
commissions Vérité et réconciliation, on a voulu considérer cinq formes de rétribution. Les
réparations provisoires urgentes concernent les personnes encore traumatisées par les événements du
7
Commission Théologique Internationale. Mémoire et réconciliation. L’Eglise et les erreurs du passé, décembre 1999, cité
par Pour vivre…, Lumko, p. 9.
8
« Nous aussi nous demandons avec insistance pardon à Dieu et aux personnes impliquées, alors que nous entendons
promettre de faire tout ce qui est possible pour que de tels abus ne puissent jamais plus survenir (…) « Nous considérons
ainsi que ce qui est arrivé est un devoir de purification, un devoir qui nous porte vers l'avenir et qui, d'autant plus, nous fait
reconnaître et aimer le grand don de Dieu. De cette façon, le don devient l'engagement de répondre au courage et à
l'humilité de Dieu par notre courage et notre humilité ». Zénith du 11 juin 10.
9
« Vous êtes la lumière… », op.cit., p. 120.
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A propos du pardon et de la réconciliation, B. Ugeux, Goma, Janvier 2012
passé et qui ont besoin d’un traitement professionnel. Il y aussi les personnes diminuées
physiquement, celles qui n’ont plus de soutien de famille, etc. Les réparations individuelles
s’adressent aux victimes de violations des droits humains ou aux personnes dépendantes d’une victime
décédée. Il s'agit d’une aide financière portant sur six ans. La réhabilitation communautaire suppose
la mise en place d’activités au service de la communauté : elle vise la guérison et le rétablissement de
la communauté. Cela concerne aussi la démilitarisation de jeunes et la réinstallation des victimes…
Les réparations symboliques doivent permettre de garder la mémoire des victimes au moyen de
monuments ou de jours de commémoration. Enfin, la réforme constitutionnelle dont le but est
d’adapter des mesures administratives, légales et constitutionnelles en vue d’empêcher d’éventuelles
violations des droits humains dans l’avenir. On note que les victimes des événements en Afrique du
Sud ont préféré l’assistance monétaire10.
Ce dernier point correspond à la troisième forme de justice citée par le COE sous le nom de justice
structurelle.
Le pardon
S’engager vers le pardon, c’est se mettre en route pour une démarche dont on ne connaît pas à l’avance
la longueur mais dont on croit à la fécondité. Or, la première fécondité est pour soi-même car elle
libère de l’aigreur et du ressentiment. Pardonner libère de toute volonté de vengeance et donne une
nouvelle liberté intérieure. Cela suppose qu’on ait approché le plus possible la racine des tendances
agressives en soi-même pour en extirper les effets dévastateurs pour soi et pour les autres. Dans ce cas,
seul le pardon permet de briser les réactions en chaîne et ouvre sur une vie nouvelle. Il doit être
inconditionnel, gratuit, irréversible et ne se marchande pas. On sait que la croix acceptée par le Christ
innocent a brisé la spirale de la violence et de la vengeance. Cela ne signifie pas que le pardon élimine
toute souffrance, mais celle-ci est vécue autrement.
C’est aussi cesser de s’appesantir sur le passé, purifier sa mémoire (ce qui est différent d’oublier) afin
de vivre plus paisiblement le présent en vue de se tourner vers une nouvelle fécondité dans l’avenir.
Le refus de pardonner à une seule personne entrave la circulation de la vie de Dieu en nous.
Il est nécessaire de clarifier d’emblée brièvement ce que le pardon n’est pas11. Pardonner, ce n’est pas
nier l’offense, se cuirasser, faire comme si de rien n’était. Ce refoulement psychologique n’empêche
pas la blessure d’être à l’œuvre. Cela peut être un prétexte en vue de protéger l’autre… ou par peur
d’une démarche difficile.
Ce n’est pas non plus oublier. Avec le temps, on peut envisager une nouvelle relation à l’événement
ou à l’agresseur, mais l’oubli n’est pas une simple question de volonté et est parfois impossible ni
même souhaitable (cf. ce qui a été dit sur la mémoire).
Le pardon est aussi un acte de liberté qui ne relève pas d’une simple obligation morale ou d’un acte
volontariste. On l’a vu, si ce n’est pas encore le moment, le premier pas peut-être d’offrir simplement
l’incapacité actuelle de pardonner, et, si possible de prier pour l’offenseur. Il y a ici une grâce à
demander car seul Dieu rend capable de pardonner complètement.
10
11
Pour vivre…, Lumko, pp. 74-76.
Jean Monbourquette, Comment pardonner, Développement personnel, Bayard, 2001, 223 pages.
7
A propos du pardon et de la réconciliation, B. Ugeux, Goma, Janvier 2012
Pardonner ne signifie pas non plus se retrouver comme avant l’offense. On ne peut effacer si
facilement les blessures morales, psychiques et peut-être même physiques. Il ne s’agit pas d’une mise
entre parenthèses de l’épisode douloureux (cf. S. Pacot). De toute façon, on ne réécrit pas l’histoire.
Pardonner ce n’est pas forcément se réconcilier. Dans certains cas, il peut impliquer de mettre un
terme définitif à une relation. Certaines personnes ont peur du pardon car elles se sentent incapables de
renouer une relation alors que ce n’est pas nécessaire.
Pardonner n’exige pas qu’on renonce à ses droits. J’ai été lésé par l’autre et même si je lui pardonne,
la justice doit être respectée. Pas de mauvaise spiritualisation : en christianisme, il est aussi question de
réparation quand c’est possible.
Pardonner ce n’est pas excuser l’autre exagérément. Il ne faut pas trop vite dire que ce n’est pas de sa
faute, nier sa responsabilité, justifier le mal commis, même s’il y a des circonstances atténuantes. Il
faut oser dénoncer le mal, tout en respectant la personne … En minimisant la blessure, on peut
empêcher la guérison et même enfoncer l’autre dans son vice.
Pardonner ce n’est exprimer une supériorité morale. Si un pardon humilie l’autre, il n’est pas chrétien.
Cela peut dissimuler une volonté de puissance. Ce faux pardon entretient une relation
dominant/dominé. Pardonner exprime non un pouvoir mais une force intérieure, avec de l’humilité :
on se sait aussi pécheur. Il ne faut pas manipuler l’autre avec le pardon ni pardonner avec mépris ! !
Pardonner ce n’est pas se décharger sur Dieu. Certes le pardon vient de Dieu, et c’est lui qui pardonne
les péchés, mais chacun doit assumer la part qui lui revient, et se mettre en route. Dire « Que Dieu te
pardonne » peut être une façon de refouler une juste colère, une démarche de vérité, c’est alors une
fuite du chemin à parcourir et une excuse pour ne pas pardonner soi-même…
Bref, pardonner est une grâce du Seigneur à demander avec insistance. On peut s’y préparer si on
n’est pas prêt pour le moment12
Il est important de ne pas oublier que chacun de nous a besoin de demander pardon. La Parole de Dieu
nous rappelle que tous nous sommes pécheurs, tous nous avons besoin de pardon. D’où l’importance
du sacrement de la réconciliation comme source divine de libération et de guérison.
P. Ricœur note que dans le cas de violences historiques entre peuples, la notion de pardon est très
difficile à introduire. Parfois, la seule façon de retourner la logique de vengeance et de mort, c’est de
substituer au souhait et à la volonté de gagner la décision de revenir à la vie, de « perdre ensemble »,
ce qui ne peut se faire tant qu’on reste dans la haine. Il reprend l’expression d’ « incognito du pardon »
(au philosophe Kodalle) à propos d’un retour à la normalité, alors qu’une réconciliation officielle n’a
pas encore été possible. Même si on ne peut pas se pardonner officiellement, on décide de vivre
ensemble le plus normalement possible, sans pour autant perdre la mémoire du passé. Ce choix de la
normalité est fragile mais il est souvent la seule approximation durable du pardon. C’est une issue
modeste à des conflits de mort 13.
Il considère que la question de savoir s’il faut commencer par se repentir ou par pardonner est un faux
débat. Pour lui, le paradoxe vient de ce que le pardon est gratuit et inconditionnel, et pourtant il
13
Art.cit.
8
A propos du pardon et de la réconciliation, B. Ugeux, Goma, Janvier 2012
appelle une réponse. C’est une offre qui demeure, comme l’amour lui-même. Dans pardon, il y a don
même s’il n’y a pas encore eu de repentance. Peut-être le provoquera-t-il…
D’après Hannah Arendt, il existe un rapport entre pardon et promesse. Le pardon est irréversible : il
est posé définitivement. La promesse est imprévisible. Quant à la dette, il est possible de l’alléger sans
pour autant la nier. La promesse nous tourne vers un futur et délie du passé, c’est pourquoi elle est si
fortement connectée au pardon. P. Ricœur, se demande pourquoi ne pas penser ensemble
l’impossibilité de détruire la faute et la possibilité de remettre la dette ? Cette séparation consisterait en
même temps à lier la capacité d’avoir un futur et celle de délier le passé14.
L’amour
Le Christ a demandé l’impossible humainement : d’aimer ses ennemis. Non pas après qu’on se soit
réconcilié, mais de les aimer alors qu’ils sont encore des ennemis. Nous savons qu’il n’est pas possible
de forcer les sentiments de façon volontariste, mais il s’agit ici de continuer à poser sur l’autre un
regard qui le reconnaît comme être humain et veut le considérer comme capable de changer avant
même qu’il ne commence. Seul Dieu connaît les cœurs et sait pourquoi un être humain se comporte
ainsi. Il l’aime inconditionnellement, comme les autres humains, même s’il a fait le mal. Garder ce
regard qui espère l’autre et ne pas refuser à l’avance une issue positive est une grâce à demander. Cela
n’est pas facile à vivre dans le concret. Mais c’est ici qu’on voit que la miséricorde dépasse le
jugement, même s’il ne s’agit pas de renoncer à rendre honnêtement la justice. Saint Paul dit aux
Romains que ce qui prouve la grandeur de l’amour qu’a Dieu pour nous est le fait qu’il a accepté de
mourir en Jésus Christ alors que nous nous comportions vis-à-vis de lui comme des ennemis. C’est
parce que Dieu est amour (Jn 3,16 ; cf 1 Jn 4,7-21), que nous avons été créés à son image et que
l’Esprit Saint a répandu l’amour dans nos cœurs (Rm 5,5 ; cf. Ga 5,22) que nous nous sentons appelés
à ce dépassement de l’amour. Au-delà du don, il y a le pardon, le don dépassé. Souvenons-nous que
pour Paul c’est l’amour qui est le don le meilleur, cette charité qui nous rend capable de compassion
malgré tout (cf. 1 Co 12, 31-13,8). Aimer, c’est pratiquer la compassion (qui dépasse tout jugement) et
la justice (qui rend à chacun ce qui lui est dû). C’est dénoncer et condamner le mal sans condamner le
coupable, car le jugement appartient à Dieu ou à l’Etat.
La guérison15
J’ajoute un mot sur la guérison, (d’un point de vue personnel plutôt que collectif), car celle-ci est
présente à travers tout le processus de réconciliation. Elle peut être une conséquence comme une
14
Art.cit. P. Ricœur y cite H. Arendt.
Mon approche sera brève, j’en ai largement parlé dans divers livres et articles. Guérir à tout prix ? Paris, Editions de
l’Atelier, 2000, Qu’est-ce que guérir ? Actes du colloque de l’ISTR de janvier 2001, Cahier de l’ISTR de Toulouse n° 6 (2001/1)
(direction de la publication) ;Traverser nos fragilités, Paris, Editions de l’Atelier, 2006, 157 pages, Vivre de tout son être,
Pour une spiritualité chrétienne incarnée, Paris, Presses de la Renaissance/Prier, 2009 175 Pages. La fragilité, faiblesse ou
richesse ?, (direction du collectif), Paris, Albin-Michel, 2009,218 pages.
Une réflexion éclairante : « Dans une situation de conflit, le travail du guérisseur est de voir le conflit dans la perspective
des groupes opposés. Un parti peut avoir la plus grande part de vérité, mais cela ne veut pas dire que l’autre parti n’ait pas
de requêtes légitimes. Gandhi pensait que, dans une situation conflictuelle, les factions en lutte ne sont pas ennemies ; le
seul ennemi, c’est le mensonge. Son appel à la négociation en tant que voie de résolution des conflits est la meilleure
possibilité pour conduire à une guérison véritable et à une paix durable. Dans ce processus, tous les partis en conflit doivent
reconnaître les peurs, les blessures et le traumatisme qui les ont conduit au conflit, ainsi que le conflit lui-même. Après
cette reconnaissance seulement, la guérison peut commencer et le but, la réconciliation, devenir une étape réalisable ». J.
Stoutzenberger, The Christian Call to Justice and Peace, Christian Brothers Publications, Winona, Minesota, 1987, p. 234235
15
9
A propos du pardon et de la réconciliation, B. Ugeux, Goma, Janvier 2012
condition de la réconciliation, comme pour le pardon ou la repentance. Je définis la guérison comme le
retour à un équilibre suffisant pour conserver une certaine autonomie, s’adapter à sa situation et à son
milieu et pouvoir continuer à croire dans la vie. C’est une approche à la fois dynamique (la santé n’est
pas qu’un état mais un processus d’adaptation) et holistique (elle concerne la bio-physiologie, la
psychologie, la vie relationnelle, la situation dans l’environnement, l’état moral et spirituel ainsi que
des aspects culturels). Guérir après un important traumatisme n’est donc jamais revenir à l’état de
santé antérieur, mais retrouver une certaine harmonie, une nouvelle autonomie16.
A propos de la dimension spirituelle, la première guérison dont nombre de chrétiens ont besoin, c’est
celle de leur relation à Dieu. Ils nourrissent souvent des représentations perverses d’un Dieu qui juge,
punit, envoie épreuve et maladies pour nous faire avancer ou nous punir. Il existe aussi un discours
doloriste qui encourage à demander souffrances et croix. Les sciences humaines ont suffisamment
dénoncé les conséquences morbides de ces attitudes. C’est pourquoi, pour beaucop de personnes
souffrantes, ou bien le Dieu tout-puissant est injuste et on ne peut pas lui faire confiance car il fait
souffrir alors qu’il se dit Père. Ils sont alors dans la colère ou le rejet. Ou bien ils se sentent coupables
du mal subi, et sont plein de culpabilités et de peurs vis-à-vis de lui. Il est dramatique qu’on moment
de la fragilisation, tant de personnes se détournent du Dieu vulnérable et compatissant qui nous a été
révélé par le Christ. Celui-ci à dit : « venez à moi vous qui peinez et je vous donnerai le repos ». Pour
ces personnes, revenir à Dieu dans la confiance comme des enfants bien-aimés représente une vraie
guérison, même si elles restent malades ou fragiles. Vivre cette relation filiale confiante, c’est non
seulement vivre une forme de guérison mais accueillir le salut que le Christ nous a obtenus 17.
CONCLUSION
Cet exposé a essayé de montrer la complexité de la démarche de réconciliation, qui peut être
personnelle, communautaire ou collective (nationale). Sa fragilité a été soulignée car les étapes
franchies ne sont pas toujours définitives, d’où l’importance d’un accompagnement dans la durée
quand c’est nécessaire et possible. Il y a de nombreuses dimensions : spirituelle, morale, personnelle,
sociale, politique, économique,… Elle demande du courage pour regarder la réalité en face, de
l’honnêteté pour reconnaître sa part de tort, de l’humilité pour l’exprimer, de la lucidité pour faire la
vérité de la patience pour ne pas vouloir tourner artificiellement la page, car la démarche est coûteuse
et invite à passer par un deuil. Pour les accompagnateurs, une bonne formation à l’écoute et à la
gestion des conflits est souhaitable.
16
L’expérience du traumatisme ruine trois présupposés habituels sur soi et le monde : la croyance en une invulnérabilité
personnelle (« cela ne m’arrivera pas ») ; l’image très positive de soi (« je suis bien ») ; la croyance que le monde est un
endroit valable et ordonné, et que les événements arrivent pour une raison (« je serai traité justement »). En outre, la
violence ou le traumatisme infligé par un autre être humain ruine une quatrième croyance: elle que les êtres humains sont
fondamentalement bons. C’est à partir de cette crise profonde de la vision du monde qu’il faut reconstruire.
17
A ce propos, il est important de proposer des rites de réconciliation qui tiennent compte des situations et des cultures. Cf.
Lumko. Il faut aussi créer des espaces de réconciliation, cf. Caritas, p. 27.
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