Bande de Filles de Céline Sciamma

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Bande de Filles de Céline Sciamma
Bande de Filles
de Céline Sciamma
Un récit d’apprentissage fulgurant.
Quand Vic, Lady, Adiatou et Fily se lâchent toutes les quatre sur le « Diamonds » de Rihanna, c’est une épiphanie,
un bingo qui claque, une cristallisation des désirs des personnages et du spectateur, peut-être le genre de scène
dont on dit que le film a été fait juste pour ça. A ce moment-là, cette bande des quatre est une version féminine
et noire des Fab Four, une déclinaison frenchie 2014 des Supremes, Crystals, Shirrelles, Vandellas et autres
merveilles de la chapelle Sixties pop black américaine. Peut-être que filmer ça, un girl group contemporain, des
Beatles meufs et blacks de cité était le noyau original du désir de Céline Sciamma, pour redire que la pop, le
cinéma, la société, n’appartiennent pas seulement aux mâles blancs. Ou peut-être que cette lignée soul pop n’est
que mon fantasme, ma relecture à moi. En tout cas, de « Lucy in the Sky with Diamonds » des Beatles aux
« Diamonds in the Sky » de Rihanna, des swinging sixties à notre rude début de XXIeme siècle, de la pop noire ou
blanche d’antan aux polymixages d’aujourd’hui, il y a comme une permanence de la beauté, du sex appeal et de
l’énergie de la jeunesse, qui peut briller de l’éclat de diamants dans le ciel pour peu qu’elle soit boostée par une
bonne chanson. Mais de même qu’un hit single dure trois ou quatre minutes, les moments de bonheur collectif,
de parfaite harmonie à quatre, d’ascension des sens vers le nirvana, et de partage, sont fugaces, fragiles,
éphémères. Des petites bulles de félicité que l’on voudrait faire éternellement durer, mais qui éclatent toujours
au contact des réalités de la société et du quotidien.
Pour Vic, cette réalité est un empilement de contraintes et d’interdits. Etre jeune, fille, noire, dans une cité, c’est
subir la loi des grands frères, des garçons, de la religion, de la société française dominante, tout en endossant par
devoir le rôle de mère d’appoint pour les petites sœurs. Nul étonnement à ce que Vic soit séduite par Lady et ses
copines : sexy, affranchies, libres de leurs paroles et de leurs actes (du moins en apparence), elles représentent la
liberté, l’émancipation. En entrant dans leur groupe, Vic se transforme physiquement, lâche ses cheveux, s’habille
plus sexe : un vrai petit canon émerge de la chrysalide gamine. Mais faire les quatre cents coups avec de bonnes
copines, ce n’est pas non plus un projet de vie. Dialectique, jamais manichéenne, Céline Sciamma retourne les
apparences qu’elle a créées, ou du moins elle les complexifie. Lady n’est pas que la meneuse ultra cool qu’elle
semble être et qu’elle projette. Et la vie en bande, aussi joyeuse soit-elle, n’est qu’une étape dans le parcours
initiatique de Vic. Elle doit maintenant trouver son propre chemin d’épanouissement. (…)
Si le portrait de Vic est complexe, si le tableau des mécanismes sociaux qui agissent sur elle est subtil, Céline
Sciamma reste néanmoins une cinéaste « ligne claire », limpide dans son récit et ses options de mise en scène.
Comme dans Naissance des Pieuvres ou Tomboy, elle montre une véritable aisance pour rendre la complexité
parfaitement lisible. Ici, elle est bien aidée par un quatuor de comédiennes effectivement pur diamant : Karidja
Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh et Mariétou Touré sont aussi craquantes, marrantes, poignantes que leurs
doubles de fiction. Quand on voit tant de beauté, de talent, de vivacité, d’intelligence et de sensibilité à
l’œuvre, on se demande : mais comment, comment peut-on être zemmourien ?!
Serge Kaganski

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