au sein de la minorité turque de Thrace occidentale (Grèce)

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au sein de la minorité turque de Thrace occidentale (Grèce)
NOTABILITÉ ET CONSTRUCTION ETHNIQUE
au sein de la minorité turque
de Thrace occidentale (Grèce)
Jeanne HERSANT
La minorité « musulmane » de Thrace occidentale
a été exemptée de l’échange de population avec la
Turquie en 1924, décidé par le protocole additionnel
au traité de Lausanne 1. Cette minorité désignée
comme « musulmane » dans le traité, était de facto
reconnue comme turque jusqu’aux années 1960,
jusqu’à ce que le contentieux chypriote fasse
craindre l’irrédentisme turc aux autorités grecques.
Aujourd’hui, la dénomination de ce groupe –
conventionnellement présenté comme étant constitué
de Turcs (turcophones), Tsiganes (turcophones)
et Pomaques (locuteurs d’un dialecte bulgare) – est
l’objet d’une lutte symbolique entre ses
1
Signé après la défaite de l’armée grecque à Izmir (1922), il délimitait
les frontières de l’actuelle Turquie et, révisant le traité de Sèvres de
1920, il mettait fin aux ambitions européennes sur le territoire de
l’ancien Empire ottoman.
120
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
représentants et l’État turc d’une part, qui
revendiquent la turcité de la minorité, et l’État grec
de l’autre, qui promeut quant à lui l’expression d’une
identité liée au dialecte pomaque. Il en va de même
de l’évaluation numérique de la population
musulmane, dans la mesure où les critères de
religion et de langue maternelle ont disparu des
statistiques grecques depuis le recensement de
1951. Dès lors, il n’est possible que d’estimer ou
d’approcher le nombre de musulmans, notamment
par le recours aux listes électorales 1. Ils seraient
entre 100 000 et 120 000 et représenteraient la moitié
de la population totale des départements du Rhodope
et de Xanthi (Dalègre, 1997)2.
Ce texte se propose de montrer « l’incorporation » du
conflit étatique et la façon dont celui-ci se greffe sur des
clivages sociaux préexistants, en les politisant. Il se
transforme et prend pied dans la société sous la forme
d’une lutte de positions entre groupes sociaux. Il est dès
lors important d’abandonner les grilles de lecture en
termes d’ethnicité pour se pencher sur les notables
comme entrepreneurs sociaux. Il s’agit plus précisément
1
Sur les problèmes méthodologiques liés à l’absence de statistiques, on
renvoie à l’article de Jeanne Hersant et Nepheli Yatropoulos (2007).
2
La Thrace occidentale « historique » (en référence à l’ancienne
organisation administrative grecque) est composée d’un troisième
département, l’Evros, frontalier avec la Turquie, dont les musulmans
ont été « invités » à partir avant l’échange de population de
1924. Depuis 1994, la Thrace fait partie de la région (periphereia)
Macédoine orientale-Thrace occidentale, qui compte cinq
départements.
Notabilité et construction ethnique
121
d’étudier les liens entre turcité – en tant que critère de
différentiation sociale – et notabilité ; et de façon
corollaire, de mettre en évidence la manière dont les
différents groupes sociaux qui constituent la population
musulmane se réapproprient la turcité.
La difficulté est d’éviter que les catégories qui
s’affrontent deviennent celles du chercheur. C’est
pourquoi, d’une part, nous parlerons en général de
population musulmane, en usant de guillemets lorsqu’il
sera question de la dénomination officielle grecque de
« minorité musulmane ». D’autre part, nous aurons
recours aux caractères en italique lorsqu’il sera question
de Turcs, en référence aux acteurs et promoteurs du
mouvement identitaire, engagés depuis les années 1980
dans une mobilisation politique visant à faire reconnaître
comme turque l’ensemble de la minorité par les instances
européennes1.
La turcité peut être comprise comme un référent
idéologique, dans la mesure où les acteurs du
mouvement identitaire turc se situent sans
ambiguïté dans la sphère d’influence de la
Turquie contemporaine. Mais il s’agira moins ici
de définir la turcité en tant que construction
intellectuelle liée au projet politique de la droite
nationaliste en Turquie, que de considérer les
attributs sociaux requis pour pouvoir se dire Turc
1
Ce procédé permet en outre de les distinguer des Turcs citoyens de
la République de Turquie. Il est inspiré du travail de Charles Suaud
(1997) qui distinguait la Vendée en tant que territoire géographique
et entité administrative de la Vendée en tant que territoire investi
d’imaginaires réfractaires à l’État.
122
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
en Thrace occidentale, afin de comprendre en quoi
la turcité est considérée comme synonyme de
modernité.
Qu’entendons-nous par notables dans le contexte
étudié ? Les notables sont des médiateurs entre les
musulmans, dont une partie ne parle pas le grec,
notamment dans les zones rurales, et l’administration
grecque. Leur statut social et leur puissance économique
leur confère ce rôle (Tudesq, 1989 : 110). Ils bénéficient
à la fois de bonnes relations avec le consulat turc de
Komotini, et d’une bonne insertion dans les réseaux
politiques grecs locaux, voire nationaux. Société
majoritairement rurale1, la « minorité musulmane »
constitue une société patronnée2 où la figure du notable
et les rôles sociaux qui lui sont associés sont centraux.
Nous nous attacherons par conséquent à montrer les
systèmes locaux de production des notables. De façon
corollaire, dans les représentations populaires s’opère une
hiérarchie vis-à-vis de la figure du Pomaque, souvent
associée à celle du villageois, réputé inculte. Ces
processus de différenciation sociale sont perceptibles
notamment à travers les stratégies scolaires adoptées. Le
discours sur l’école et les revendications afférentes sont
1
La minorité musulmane est estimée rurale à 85 % et vit principalement
de la monoculture du tabac. « Yunan adaylar cami kapõsõnda oy istedi »
[Les candidats grecs prospectent à la porte des mosquées], Zaman,
7 mars 2004.
2
Cette expression renvoie à ce que Charles Tilly appelle un
« répertoire d’action localisé et patronné » en référence à l’action
protestataire en France et en Grande-Bretagne jusqu’au XIXe siècle
(Tilly, 1984 : 99).
Notabilité et construction ethnique
123
aussi le signe de la politisation de hiérarchies sociales
préexistantes. À la croisée de ces logiques sociales et
politiques, on envisagera le folklore comme un moyen
de « domestiquer le sauvage de l’intérieur » (Certeau,
1980), représenté par la figure du villageois pomaque
considéré comme n’étant pas assez turc.
Les enquêtes ayant donné lieu à ce travail ont été
réalisées entre août 2002 et septembre 2004 dans
différentes localités des départements de Xanthi et
du Rhodope, ainsi qu’en Turquie, principalement à
Istanbul1. Elles sont complétées par une étude de la
presse turcophone locale, à travers le dépouillement
de l’hebdomadaire Gündem (Ordre du jour) entre
août 2002 et septembre 2007.
LA FIGURE DU NOTABLE
Les systèmes locaux de production de la notabilité
Deux systèmes d’intégration économique et de
production de notables se croisent dans les
départements du Rhodope et de Xanthi. Le premier
1
Plus précisément, des entretiens ont été réalisés avec cent vingt personnes,
en Grèce, Allemagne et Turquie. Il s’agissait d’entretiens formels ou
informels, individuels ou dans un cadre familial, plus ou moins
approfondis. Ils ont été effectués en partie au cours de séjours dans des
familles, ce qui permettait d’observer les interactions sociales de nos
interlocuteurs. Une quarantaine de personnes ont été rencontrées à
plusieurs reprises, souvent en Grèce et en Turquie ou en Grèce et en
Allemagne. Une vingtaine d’entre elles étaient des interlocuteurs de
référence, avec qui des contacts réguliers ont été établis, et qui nous ont
introduit dans leur cercle de sociabilité.
124
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
de ces systèmes s’est constitué autour des
coopératives agricoles : au XIXe siècle et au début du
e
XX siècle, Komotini comme Xanthi ont dû leur essor
économique au tabac, dont la culture et le
commerce ont largement contribué au rayonnement
urbain et à l’organisation de la vie sociale. Les
notables traditionnels musulmans (agha) faisaient
office d’intermédiaires avec les négociants « grecs »
dans le processus de commercialisation du tabac
(Dalègre, 1990 : 96). Alors que la production de tabac
est le fait de petites exploitations musulmanes, les
Grecs ont ainsi longtemps prédominé – c’est
moins vrai aujourd’hui1 – parmi les négociants, puis
les dirigeants des coopératives, celles-ci ayant peu
à peu remplacé la médiation des agha. Un second
système de production de notables peut être identifié,
historiquement lié aux institutions communautaires2
et à la « turcité » ; c’est principalement un système
urbain, organisant la cooptation au sein de la
bourgeoisie commerçante et des lettrés. Ces deux
1
Pour une présentation détaillée de l’organisation contemporaine du
commerce du tabac à travers les coopératives, on dispose de l’étude
d’Aydõn Ömero lu (2005).
2
Parmi les rôles incarnant la notabilité au sein des institutions
communautaires (cemaat) pérennisées par le traité de Lausanne
figure le mufti, et plus généralement les rôles de notables liés
aux fonctions exercées au sein des comités de gestion de ces
institutions (chargées notamment de l’entretien des écoles de la
minorité et des mosquées). La fonction de président de ces
comités de gestion, particulièrement, était une distinction sociale
définissant l’interlocuteur des autorités grecques et le dépositaire
de l’autorité publique à l’échelle de la « minorité ».
Notabilité et construction ethnique
125
systèmes décrits coexistent dans leur dimension rurale
et urbaine. La représentation politique des musulmans
repose, au moins jusqu’aux années 1970, sur les
notables issus de ces systèmes ; les mêmes hommes se
présentaient à chaque élection législative pendant des
décennies.
Depuis les années 1980, les députés musulmans
sont choisis en majorité parmi ceux qui ont un
diplôme universitaire, sachant que les études
supérieures sont alors réservées encore à la haute
bourgeoisie. Ces députés sont d’ailleurs presque
tous issus de cette bourgeoisie urbaine qui parle
grec sans difficulté. Si les coopératives agricoles
jouent toujours leur rôle, produisant des notables
« chrétiens » et « musulmans », le second système
ne passe plus par les institutions communautaires.
Désormais, c’est la cooptation au sein des
structures associatives qui « fait » les notables. En
effet, les associations turques sont devenues dans
les années 1980 le lieu exclusif de la prise de
décision au sein des représentants de la minorité.
En réaction à la mise sous tutelle progressive des
institutions communautaires par les autorités
grecques, les muftis ont fondé une structure
dissidente et informelle, le Conseil consultatif de
la minorité, qui rassemble les élus locaux, députés
et présidents de ces associations.
126
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
Les associations turques en Thrace occidentale
Trois associations ont été fondées à la fin des années 1920
dans le but de promouvoir les idéaux de la révolution
kémaliste : l’Union turque de Xanthi ( skeçe Türk
Birli!i), l’Union des jeunes Turcs de Komotini
(Gümülcine Genç Türk Birli!i)1 et l’Union des instituteurs
turcs de Thrace occidentale (Batõ Trakya Türk Ö!retmenler
Birli!i). Ces associations sont engagées depuis plus de
vingt ans dans un bras de fer judiciaire avec les autorités
grecques, qui les poursuivent en raison de la présence de
l’adjectif « turc/turque » dans leur intitulé. Une quatrième
association a vu le jour en 1982, l’Association des membres
de la minorité diplômés de l’université (Batõ Trakya
Azõnlõ!õ Yüksek Tahsilliler Derne!i) qui a choisi de ne pas
comporter l’adjectif incriminé.
Néanmoins, les notables de la minorité sont encore
aujourd’hui en partie ceux qui, par leur fonction (les
muftis) ou leur ascendance familiale, sont liés à l’histoire
de l’administration des institutions communautaires.
Étant donné l’inactivité de celles-ci depuis la
dictature militaire (1967-74), et en raison d’un
phénomène de professionnalisation politique, cette
situation est en train de disparaître pour les élus
locaux et députés.
1
Précisons que le nom de cette association se rapporte à la jeunesse
(un des thèmes de prédilection de la rhétorique kémaliste) et non
aux Jeunes Turcs, dont le nom en turc est une transcription
phonétique de l’expression française (Jön Türkler).
Notabilité et construction ethnique
127
Les critères de la notabilité
La possession conjointe de plusieurs attributs sociaux
caractérise la notabilité. Il faut tout d’abord « être turc »,
c’est-à-dire parler un turc qui ressemble grammaticalement, mais aussi par l’intonation, à celui qui est
parlé dans la Turquie urbaine. Le turc parlé en Thrace
occidentale, particulièrement dans les campagnes, est
souvent considéré comme un « patois », un turc dévoyé
et impur, par les lettrés et par les « exilés » (gurbetçi)
installés en Turquie. Certains s’appliquent d’ailleurs à le
parler sans qu’on puisse déceler leur accent. Il faut aussi
être citadin, cela implique notamment de parler
couramment le grec, mais aussi pour les femmes de ne
pas porter le voile.
Les notables sont aujourd’hui principalement des
membres de professions libérales : depuis la fin des
années 1980, les députés de « la minorité » ont
quasiment tous été avocats ou médecins. Le statut de
notable implique d’avoir fait des études supérieures en
Turquie ou en Grèce. C’est même le principal signe
distinctif dans la mesure où c’était chose rare jusque dans
les années 1990, surtout pour les universités grecques
dont deux musulmans seulement étaient diplômés dans
les années 19701. Il faut en outre être inséré dans les
1
Lorsque l’enseignement supérieur a commencé à entrer dans les
pratiques des musulmans, dans les années 1970, ceux-ci passaient
comme les autres citoyens grecs le concours d’entrée à l’université,
extrêmement sélectif : même pour les étudiants de langue maternelle
grecque, ce concours représente deux à trois ans de préparation
intensive en cours du soir. Ceux qui réussissaient avaient en général
128
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
réseaux grecs locaux de prise de décision, mais aussi être
coopté et accepté au sein des notables turcs, parmi lesquels
le consul général de Turquie. Pour cela, l’engagement au
sein des associations turques est décisif : les notables sont
aussi pour la plupart dirigeants d’une de ces associations
qui sous-tendent le mouvement identitaire.
La possession d’un capital économique, ensuite, est
déterminante, que celui-ci ait été transmis par héritage
ou acquis. Ainsi, les rares entrepreneurs (jusqu’au
début des années 2000, les usines dirigées ou
possédées par des musulmans se comptaient sur les
doigts de la main) se trouvent parmi les élus ou
caciques locaux d’un des deux grands partis, PASOK1
et Nouvelle Démocratie. La notion de carrière
politique est importante : les députés de la minorité
sont des notables qui parachèvent l’établissement de
leur rayonnement social par l’obtention d’un mandat
de député. Pour autant, il ne faut pas négliger les
« ressources extra-partisanes » (Fretel, 2004) des
effectué une partie de leur scolarité dans l’enseignement secondaire
grec et non dans les lycées de la minorité. Jusque dans les années
1990, cette stratégie scolaire semble avoir été adoptée seulement par
la bourgeoisie musulmane dont les acquis sociaux l’incitaient à
rester en Thrace. Au contraire, les étudiants musulmans issus de
milieux populaires ou de zones rurales non mixtes étaient peu
familiers de la langue grecque, et leurs familles préféraient souvent
les envoyer en Turquie poursuivre leur scolarité plutôt que de les
inscrire dans un lycée grec. Enfin, ceux qui échouaient au concours
grec tentaient celui des universités turques, et pouvaient l’année
suivante faire transférer leur inscription dans une université
grecque, sans avoir à repasser aucun concours.
1
Panellínio Sosialistikó Kínima, Mouvement Socialiste Panhellénique.
Notabilité et construction ethnique
129
notables turcs, notamment les activités associatives
et les visites de courtoisie (misafirlik). C’est ce que
montre le profil des principaux candidats turcs aux
élections législatives de 2004, dont les trajectoires de
notabilité passent certes par un mandat électif, et non
pas par une trajectoire au sein d’un parti politique
(Hersant et Yatropoulos, 2007). Enfin, les notables se
distinguent par leurs pratiques sociales : ils sont les
seuls citadins à investir l’espace villageois, comme on
le verra plus bas.
LE STIGMATE DU VILLAGEOIS
Dichotomie spatiale et différenciation ethnique
On observe une dichotomie spatiale dans la mesure
où il y a assez peu d’interactions entre les musulmans
ruraux et urbains. Seuls ceux de nos interlocuteurs qui
ont des attaches familiales dans les villages s’y rendent
régulièrement. Mais ils ne connaissent souvent de
l’arrière-pays que le village dont ils sont eux-mêmes
originaires. Quant aux autres, il leur est souvent plus
naturel de se rendre à Istanbul, que dans les villages
distants de quelques dizaines de kilomètres de chez
eux, dont parfois ils ne connaissaient pas l’existence
lorsque nous les mentionnions. À cela s’ajoute le fait
que les chefs-lieux de département sont relativement
coupés de leur arrière-pays, en raison du déficit de
transports périurbains. Ainsi, les villages sont souvent
mal desservis, même lorsque quelques kilomètres
seulement les séparent de la ville.
130
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
« Oubliés » des citadins, les villages constituent
néanmoins ce qu’on pourrait appeler le fief des
notables qui, eux, ont une très bonne connaissance de
leur arrière-pays. Les notables, ou du moins les
personnes mettant en œuvre une stratégie d’ascension
sociale en termes de notabilité, se reconnaissent par
leur pratique assidue du terrain villageois. Le rôle du
notable est entre autres de faire le lien entre les
campagnes et la ville, a fortiori lorsque des ambitions
politiques sont en jeu. On attend d’un député qu’il
rende des services à ses électeurs et administrés : une
grande partie du temps de l’élu est consacré à les
recevoir, à écouter leurs doléances, à enregistrer leurs
demandes d’emploi ou à les assister dans leurs
démarches administratives. On attend également du
député qu’il rende des visites de courtoisie et qu’il soit
présent aux cérémonies de mariage ou de circoncision.
Par-delà le cloisonnement spatial, les codes
sociaux et modes de vie sont fort différents entre
villages et centres urbains, quand bien même une
dizaine de kilomètres seulement les séparent. Ce
cloisonnement s’accompagne d’une différenciation
ethnique, le fait d’être « vraiment » turc étant associé
par nos interlocuteurs au mode de vie urbain, et aussi
à l’espace géographique de la plaine1. A contrario,
1
Par analogie avec le discours officiel en Turquie vis-à-vis des
Kurdes, dans les années 1990, les Pomaques sont désignés en
Thrace comme étant des « Turcs des montagnes ». Par ailleurs, sur
l’usage de l’opposition plaine/montagne dans les représentations
sociales pour stigmatiser ou au contraire valoriser certains groupes
sociaux, on pourra se reporter à la thèse de Gilles de Rapper (1998).
Notabilité et construction ethnique
131
être pomaque est relié au mode de vie villageois, un
mode de vie confiné et très codifié, surtout pour les
femmes. En dépit du discours en vigueur au sein du
mouvement identitaire revendiquant la reconnaissance de
l’ensemble de la minorité comme étant turque, les
catégories de « Pomaques » et de « Tsiganes » continuent
d’être significatives dans les représentations du sens
commun, avec une connotation nettement péjorative.
Les Tsiganes souffrent d’un stigmate universel.
Quant au dialecte pomaque, il est le stigmate du
köylü 1. Le pomaque est l’idiome de la sphère
domestique et féminine. C’est aussi la langue de
ceux qui sont dépourvus de capital culturel : les
hommes qui le parlent le plus fréquemment sont
ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de poursuivre
leur scolarité au-delà de l’âge obligatoire de seize ans.
Leur connaissance du grec comme du turc est
aléatoire.
Inverser le stigmate pour obtenir la reconnaissance
sociale
La migration vers la ville est un moyen de se
départir de ce stigmate, de se fondre dans la « macroethnie » (Roy, 1991)2 turque au sein de la minorité
musulmane de Thrace occidentale. L’intégration
urbaine des villageois se traduit souvent par l’abandon
1
Ce terme signifie littéralement « villageois », mais a le sens très
clair de « péquenot ».
2
Pour plus de précisions sur l’usage qui en est fait dans ce contexte,
on renvoie à l’article de Jeanne Hersant (2007).
132
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
du parler pomaque, même dans la sphère privée, ainsi
que de certaines pratiques vestimentaires. L’abandon
du port du voile, pour les jeunes femmes, permet de
se dissocier de l’ethos villageois et aussi d’éviter
d’être stigmatisées par la population grecque.
L’intégration urbaine se traduit ensuite par « l’inversion
du stigmate » (Goffman, 1975), dans la mesure où les
musulmans originaires des villages « pomaques »
prennent grand soin de se démarquer de leurs habitants,
parfois avec un profond mépris. Cahil (inculte, ignare,
illettré) est un adjectif qui revient fréquemment dans
la bouche de nos interlocuteurs à propos des
villageois. Aynur vit aujourd’hui à Istanbul ; elle est
née à Xanthi mais ses parents sont originaires du
village d’Oreon :
« Je refuse qu’on dise que je suis Pomaque. Nous
sommes de vrais Xanthiotes. D’ailleurs, nous sommes
parmi les premiers du village à être venus nous installer
en ville. Ma mère est arrivée en ville lorsqu’elle était
enfant, elle a été la première à retirer son voile. Nous
avons toujours parlé le turc à la maison. Ma mère
utilisait le pomaque seulement lorsque ma grand-mère
ne comprenait pas quelque chose. Alors non, je refuse
d’être traitée de Pomaque ! »
Apprenant nos visites au village de Kendavros,
Aynur s’offusque et s’inquiète :
« Attention, tu vas écrire des bêtises dans ta thèse si
tu écoutes ce que racontent ces gens-là. Ils sont incultes
(cahil). Ils savent distinguer l’eau du feu, c’est tout »1.
1
L’entretien a été réalisé en mai 2003.
Notabilité et construction ethnique
133
La turcité est en somme une mesure dans
l’échelle des valeurs sociales communément
partagées au sein de la population musulmane de
Thrace occidentale, comme ailleurs cela pourrait
être le fait d’être « occidental » ou « européen ».
Effectivement, ces représentations se rejoignent :
être Turc, c’est éventuellement être reconnu des
représentants de l’État turc et se reconnaître dans
l’héritage officiel de la Turquie, mais ce n’est
pas pour autant vouloir être associé aux Turcs de
Turquie. Être Turc de Thrace occidentale c’est
aussi, justement, être « Européen » et non pas
« Anatolien ».
Ali est un jeune architecte de Komotini qui a
épousé en Allemagne une jeune femme dont la
famille est originaire de la même ville. Leurs
amis furent choqués de l’attitude du jeune
homme : le lendemain du mariage, ils décidèrent
d’aller danser dans une boîte de nuit où les
jeunes Turcs de Stuttgart ont l’habitude de se
rendre ; Ali refusa absolument d’y aller,
s’emportant contre les Turcs esmer, qu’il refusait
de côtoyer 1.
1
L’adjectif esmer désigne les gens bruns de peau et de cheveux.
C’est un simple qualificatif d’usage courant qui acquiert parfois,
comme dans ce cas précis, une connotation péjorative renvoyant
implicitement aux habitants des régions rurales d’Anatolie, voire
aux Kurdes. Cet incident nous a été rapporté par l’une des amies de
la mariée.
134
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
LA POLITISATION DE LA DIFFÉRENCE SOCIALE À
TRAVERS LA CATÉGORIE « POMAQUE »
Une hiérarchie ethnique transposée en politique
La revendication de l’identité turque de
l’ensemble de la minorité par les acteurs du
mouvement identitaire n’est pas sans contradictions,
lesquelles expriment l’ambiguïté liée à la turcité
en Thrace occidentale : appartenance ethnique ou
nationale revendiquée, tout autant que statut social.
Or, un statut social ne se partage pas, et le principe
des hiérarchies sociales est de préserver dans la
mesure du possible les avantages réels et symboliques
(représentations positives et valorisantes de soi) des
groupes sociaux les mieux dotés1.
Ce souci de démarcation n’est a priori
contradictoire qu’en apparence avec le fait de
revendiquer la reconnaissance de l’identité turque de
l’ensemble de la minorité, puisqu’il s’agit là de deux
niveaux d’identification distincts. L’un est politique
et dirigé contre l’État grec, l’autre concerne les
différents aspects de la vie sociale. Pourtant,
l’ambiguïté de ce souci de démarcation lié à des
représentations populaires est qu’il est transposé au
niveau politique. Ainsi, les villageois identifiés
comme « Pomaques », même s’ils ne sont jamais
1
Pour une analyse de la façon dont la bourgeoisie cloisonne son
espace social, on se reportera aux travaux de Michel Pinçon et
Monique Pinçon-Charlot (1989).
Notabilité et construction ethnique
135
nommés comme tels, restent considérés parmi les
acteurs du mouvement identitaire comme « moins
turcs » et donc soupçonnés de ne pas prêter
suffisamment allégeance à la « cause turque »,
particulièrement en période électorale1.
Par ailleurs, certains de mes interlocuteurs,
m’expliquant qu’ils sont Turcs, se sentent obligés
de préciser ce terme : il est alors fait allusion
au fait d’être ou pas un « vrai Turc » ou un
« Turkmène », ce qui réintroduit un niveau de
distinction entre le fait d’être Turc, associé à une
revendication d’ordre politique, et le fait d’être
« réellement » et « authentiquement » Turc, avec
une connotation racialiste se rapportant aux thèses
officielles du nationalisme en Turquie.
Ali voulut m’expliquer « l’origine des tribus
turques »2, affirmant que celles qui se sont installées
en Thrace occidentale se sont mélangées aux Slaves,
et que certaines sont devenues chrétiennes sous
l’Empire byzantin. « C’est pour ça que nous
sommes blonds aux yeux bleus, nous sommes les
öz Türkler », conclut-il3, appuyant son propos en
direction d’un de ses camarades, comme lui blond
aux yeux clairs.
1
Pour une analyse détaillée, on renvoie à l’article de Jeanne Hersant
et Nepheli Yatropoulos (2007).
2
Sur l’historiographie officielle en Turquie, on peut se reporter aux
travaux d’Étienne Copeaux (1997).
3
Öz indique une chose qui est conforme à ce qu’elle était à
l’origine, en ayant une connotation liée à la pureté, à l’authenticité.
136
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
L’école, enjeu de la délimitation de l’espace
social des notables
La posture des notables vis-à-vis de l’école,
instrument de différenciation sociale par excellence,
permet de mieux comprendre le contentieux lié
au système scolaire de la minorité en Thrace
occidentale, sur lequel se concentrent une grande
partie des revendications liées à la turcité. Un institut
de formation des instituteurs musulmans (EPATH)1 a
été créé en 1968 à Thessalonique, et en 1977 une loi
décréta que les diplômés de cette école seraient
désormais nommés en priorité dans les écoles de la
minorité. Cette institution a pour objectif de faire
en sorte que les instituteurs musulmans aient une
maîtrise correcte du grec, et surtout qu’ils soient
formés en Grèce et non plus en Turquie2. De ce fait,
les instituteurs de la minorité diplômés d’une
université turque ne trouvent pas de poste à leur
retour en Thrace.
Largement boycottée depuis les années 1980 pour
des raisons politiques, l’ EPATH ne forme plus que
ceux qui n’ont pas les moyens ou la formation
scolaire nécessaire pour aller étudier en Turquie,
souvent originaires des villages de montagne de
1
Eidikí Paidagogikí Akadímia Thessálonikis, Académie Pédagogique
Spéciale.
2
Afin de pourvoir aux besoins en enseignants dans les écoles de la
minorité, en 1953, environ six cents étudiants de la minorité ont été
reçus dans les écoles de formation des instituteurs en Turquie. Ils ont
été nommés ensuite dans les écoles de Thrace à partir de 1960.
Notabilité et construction ethnique
137
l’ancienne zone militaire fermée1. Les enseignants qui
y sont formés sont ainsi réputés incompétents car ils
seraient tous « Pomaques », ou en tout cas des villageois
mal instruits. Les notables et acteurs du mouvement
identitaire réclament une sélection plus attentive du
personnel enseignant dans les écoles primaires de la
minorité, sélection à laquelle ils seraient associés, pour
que seuls les « vrais Turcs » soient accrédités.
Pourtant, depuis les années 1990, ce sont principalement
les établissements secondaires2 de la minorité qui sont
désinvestis par les notables et la bourgeoisie, au profit des
écoles publiques grecques, réputées de meilleur niveau3.
Les stratégies scolaires n’ont en somme que peu à voir avec
le discours sur l’école véhiculé par les représentants du
mouvement identitaire turc. En effet, l’école n’est pas
qu’un instrument de diffusion du sentiment identitaire turc
sur le mode national4. Dans la mesure où l’ascension
1
Instaurée dans toute la région frontalière de la Grèce du Nord en
1936, cette zone s’est rétrécie autour de la Thrace occidentale à partir
des années 1970, afin de protéger la frontière avec la Turquie. Elle n’a
été supprimée qu’en 1996, sous la pression des instances européennes.
2
Le lycée Celâl Bayar de Komotini et le lycée Muzaffer Saliho lu de
Xanthi, respectivement fondés en 1952 et 1966, regroupent le collège et
le lycée du système français.
3
Parmi les plus jeunes de nos interlocuteurs, ceux qui avaient entre vingtcinq et trente ans en 2002, affirmaient avoir été les seuls élèves musulmans
de leur classe, voire de l’établissement entier lorsqu’ils étaient scolarisés dans
un lycée d’État. Ceux qui avaient entre vingt et vingt-cinq ans, en revanche,
mentionnaient une vingtaine d’élèves musulmans dans l’établissement. Cette
proportion a probablement crû davantage depuis. Pour plus de précisions, on
peut se reporter aux travaux de Efie Plexoussaki (2005).
4
Les manuels scolaires des écoles de la minorité proviennent de Turquie ;
les fêtes nationales turques y sont célébrées.
138
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
sociale comme le maintien d’une position passent par le
choix d’une stratégie scolaire, l’école fait partie des espaces
sociaux à verrouiller, ou du moins à cloisonner. De fait,
à Xanthi, les élèves du lycée Muzaffer Saliho lu de
la minorité, déserté par les citadins, sont aujourd’hui
principalement les élèves des villages de montagne, locuteurs
du pomaque 1 . Un double jeu s’établit en somme entre
d’une part la stratégie de distinction sociale opérée par la
bourgeoisie et les notables turcs locaux, et d’autre part leur
souci de scolariser le plus grand nombre2 et de conquérir
« un front intérieur » jugé insuffisamment turc. D’ailleurs, en
tant qu’acteurs du mouvement identitaire turc, les notables
locaux ne réclament pas tant un système scolaire autonome
du système étatique – qui joue un rôle central dans les
stratégies d’ascension sociale3 –, que le droit de contrôler la
définition légitime de la turcité dans la région, et en
particulier dans « leurs » écoles, celles de la minorité.
1
D’après un entretien réalisé avec une enseignante de ce lycée. En 2003, elle
était la seule enseignante formée en Turquie à avoir été recrutée depuis les
années 1970 – signe d’apaisement des autorités grecques face à l’opposition
virulente des acteurs de la scène turque à l’Académie de Thessalonique.
2
Nos interlocutrices dans deux de ces villages, Kendavros et Mykis,
âgées de dix-neuf à vingt-cinq ans en 2003, avaient été déscolarisées à
l’âge de douze ans, à l’exception de deux d’entre elles qui avaient
poursuivi jusqu’à l’âge de quinze ans une formation religieuse en
Turquie dans des lycées appelés imam-hatip.
3
Prenant acte des inscriptions de plus en plus nombreuses d’élèves
musulmans dans les établissements d’enseignement secondaire publics,
le ministère de l’Éducation et des Cultes a mis en place, depuis la rentrée
scolaire 2006, des cours facultatifs de langue turque dans cinq lycées de
Xanthi et Komotini. La décision a été publiée dans le Journal Officiel
n° 867 : « Devlet ortaokullarõna seçmeli Türkçe dersi » [Des cours de
turc facultatifs dans les collèges publics], Gündem, 11 août 2006.
Notabilité et construction ethnique
139
La création d’un folklore local
Cette logique de conquête implique la re-création
et la promotion d’un folklore local, lequel permet, à
l’instar des stratégies scolaires adoptées par les
notables locaux, de s’approprier l’espace villageois
tout en maintenant les barrières nécessaires à la
délimitation d’un espace social « réservé ». Les
villages de l’ancienne zone militaire fermée sont
érigés en conservatoires de l’authenticité turque
en Thrace. Cette zone s’étendait pourtant jusqu’aux
confins du département voisin du Rhodope, où il
existe aussi de nombreux villages « pomaques ».
Pourtant, l’imaginaire collectif turc se concentre sur
le département de Xanthi. On peut interpréter cela
comme une réaction à la stratégie menée par les
autorités grecques, depuis les années 1990, afin de
(ré)activer l’identité pomaque dans ces villages,
peuplés exclusivement de musulmans 1. Le village
de Mykis (Mustafçova) 2 incarne ce renouveau
folklorique : les filles et femmes y sont toutes vêtues
du costume traditionnel tissé à la main. C’est une
étape incontournable pour les hommes politiques
grecs ou turcs en visite dans la région, où ils peuvent
contempler « l’essence » des traditions « turques »
ou « musulmanes », selon l’État qu’ils représentent.
1
S’il existe des villages mixtes et d’autres non, la municipalité regroupant
les villages en question, Mykis (Mustafçova), est la seule de toute la
Thrace à être exclusivement peuplée de musulmans.
2
Il s’agit du nom du village compris dans le regroupement de communes
éponyme.
140
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
Le rituel est toujours le même : la personnalité à
l’honneur se fait photographier au milieu d’une nuée
de femmes et fillettes vêtues du costume traditionnel.
Dans les années 1990, parallèlement à l’ampleur
croissante prise par la question pomaque, les associations
promouvant l’identité turque de la minorité ont investi les
villages du département de Xanthi. On assiste ainsi à une
volonté d’éducation des « Pomaques », notamment
les femmes, qui se double de la création d’une sorte
d’« exotisme » (Certeau, Julia et Revel, 1993) à
travers la promotion de l’artisanat et du folklore local.
Comment interpréter ce paradoxe ? Les villageois
inspirent certes de la condescendance, voire du mépris
aux notables turcs, selon une logique de différenciation
sociale ; en même temps, les villageoises de Mykis sont la
preuve vivante et visible de la présence musulmane et
donc turque. Cela importe dans un contexte où les acteurs
du mouvement identitaire stigmatisent « l’assimilation »
des Turcs à la société grecque.
Lors de l’une de nos conversations, nous avons fait
part à Aynur, notre interlocutrice stambouliote, de
notre étonnement lors d’un premier séjour dans la
municipalité de Mykis, en voyant toutes les fillettes
voilées. Pourtant hostile au port du voile, Aynur
répondit spontanément que les femmes des villages
portent le voile dès leur plus jeune âge « pour montrer
qu’elles sont turques ». Nous lui avons alors fait
remarquer que pourtant la prescription s’applique aux
jeunes filles pubères, qui doivent dissimuler leur corps
et leurs cheveux. « Tiens, je n’avais jamais pensé à
cela », répondit Aynur surprise. Sa réponse initiale
Notabilité et construction ethnique
141
illustre le réinvestissement de sens opéré par les
acteurs associatifs turcs, au contact desquels
Aynur a grandi 1. Liée à un fort conservatisme
social, la pratique consistant à voiler les fillettes
revêt ainsi une dimension noble : l’affirmation de
l’identité turque des villageois.
Les villages ont en ce sens une signification
politique autant que sociale. C’est ce qu’on
pourrait appeler, pour reprendre l’expression de
Catherine Bertho (1980), « l’imaginaire de la
province » à travers la fabrication d’un
« stéréotype régional », reposant sur l’invention
et l’entretien d’un folklore, c’est-à-dire les signes
extérieurs d’une « civilisation rurale » (modes de
vie paysans, costumes, coutumes, rites et
superstitions).
Conclusion
En somme, deux formes symboliques de lutte
des classements (Bourdieu, 1980 : 65) se jouent en
Thrace occidentale : celle pour la reconnaissance
de l’identité turque de la « minorité musulmane »
et celle, concomitante, de la dévalorisation des
composantes culturelles, notamment linguistiques,
autres que celles subjectivement liées à cette
identité turque. La mise à distance par l’exotisme
et la fo lklorisation fait par ailleurs office
1
Ses parents et beaux-parents font partie des donateurs réguliers de
l’Union turque de Xanthi, où elle a rencontré son futur mari
lorsqu’elle était adolescente.
142
Quelles hiérarchies sociales en Europe ?
d e marqueur social pour la bourgeoisie urbaine
confrontée aux nouveaux arrivants issus de
l’exode rural. D’autre part, cette lutte des
classements fait partie du contentieux gréco-turc
en Thrace occidentale. Pour Michel de Certeau,
en effet, le folklore est une mise à l’écart
symbolique de groupes sociaux contestataires.
Or, la singularité des Pomaques, entretenue par les
autorités grecques et ancrée dans les représentations
sociales turques, est ainsi maîtrisée par l’exotisme.
Notabilité et construction ethnique
143
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