Le dialogue avec les enfants

Transcription

Le dialogue avec les enfants
Rencontre des couples de volontaires de Dieu
Castel Gandolfo, 3 Mai 2013
Le dialogue avec les enfants
Transcription pour DVD (22’)
Milan Giuseppe (Bepi)
Le dialogue concerne quelque chose de délicat et de fragile, comme le disait le grand
philosophe Emmanuel Mounier. Il disait: "le dialogue est plus rare que le bonheur, plus fragile que
la beauté; il suffit d'un rien pour qu'il s'arrête et se rompe entre deux personnes". C'est quelque
chose de précieux.
En parlant de l'éducation et du dialogue en famille, il faut souligner la primauté - non
seulement dans l'ordre chronologique, mais aussi de par son importance - du dialogue conjugal
dans le couple, dont nous avons déjà parlé, et le caractère second du dialogue parental entre
parents et enfants. Donc primauté du dialogue conjugal, et en second, le dialogue parentsenfants.
Il est très important de le souligner parce que le fondement de la famille réside justement
dans la solidité de la dimension conjugale qui ne devrait jamais être sacrifiée ni oubliée en faveur
de la dimension parentale. Autrement dit, c'est vraiment le dialogue dans le couple - comme il a
déjà été dit - qui constitue la base, le fondement du rapport avec les enfants. Il est essentiel de se
rappeler cette idée-clef de la vie familiale et de l'éducation
D'importantes recherches confirment cela en mettant en évidence que le milieu affectif,
social, fondamental pour la croissance des enfants, est justement l'ambiance fondée sur le
dialogue conjugal, constitué d'attention réciproque, d'amour réciproque, de dialogue réciproque
entre les parents, entre les époux.
Alors sur cette affirmation de fond, que pouvons-nous dire du dialogue avec les enfants ?
Je serai synthétique, et je m'arrêterai sur quelques mots-clefs du dialogue. Le dialogue est une
famille de concepts. Je vais essayer de souligner quelques-unes de ses caractéristiques qui
s'appliquent ensuite de façon particulière avec les enfants.
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Le dialogue est recherche : la recherche de l'autre. L'autre est toujours un trésor, comme
le dit le titre de la rencontre. Chercher l'autre: l'enfant qui est toujours nouveau. On le
disait aussi tout à l'heure, chaque enfant est toujours une nouveauté, il faut donc le voir
nouveau chaque jour, le re-connaitre c'est à dire le connaître à nouveau. Il n'est pas
possible de dire: 'Tu es toujours le même !' Mais il faut dire: 'tu es toujours nouveau pour
moi!' Les enfants ont besoin de parents qui cherchent, qui sont en recherche.
Le dialogue est humilité - autre mot-clef - Reconnaître et aimer notre pauvreté, notre
pauvreté personnelle, et aussi celle de parents sans prétention. L'humilité est la clef du
dialogue, elle est la clef de l'hospitalité, comme dit le grand philosophe français Jacques
Derrida. Je cite une de ses phrases, très belle, qui vaut en tout cas pour l'hospitalité entre
nous: "Pour offrir l'hospitalité, il n'est pas nécessaire de partir de l'existence assurée d'une
demeure : c'est seulement en partant du manque de liens du sans-abri, du sans domicile,
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que peut s'ouvrir l'authentique hospitalité. Seul celui qui vit l'expérience du manque de
maison peut offrir l'hospitalité". C'est une phrase très belle! Parfois nous devons être,
nous sentir 'pauvre', sans abri, et c'est cela la demeure existentielle et éducative
fondamentale pour accueillir aussi nos enfants. Sans humilité nous ne pouvons pas les
rencontrer. Le dialogue est possible à partir de parents qui reconnaissent leurs propres
limites et savent qu'ils ne peuvent élargir leurs horizons que dans l'amour authentique.
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Le dialogue est aussi désir. Le mot désir, du latin 'de-sidéral' (=des étoiles), fait référence
à quelque chose d'élevé, à un appel d'en haut, à quelque chose qui est plus grand que
nous. Le dialogue naît alors du fait de savoir puiser dans un monde de valeurs élevées que
l'on souhaite que les enfants apprennent eux aussi. Il est important qu'eux aussi soient
incités par notre dialogue, à accéder à des choses élevées, à s'ouvrir à la dimension de
dépassement, de surpassement. Le désir est quelque chose qui vient des étoiles.
Le dialogue est pardon. Pardon : le mot pardon nous amène à la signification du don.
Pardonner signifie 'toujours donner', recommencer chaque fois à être don, en surmontant
les difficultés, les erreurs, en sachant résister aussi aux désillusions et aux manquements.
Ne pas cesser de pardonner, toujours donner, résister aux difficultés en étant don, mais
résister veut dire 're-exister', exister à nouveau, exister continuellement parce que nous
sommes don. Et le rapport avec les enfants est, disons-nous, une sollicitation quotidienne
à continuer à être don. Les enfants ont besoin de parents capables d'être don.
Le dialogue est responsabilité (une autre parole importante). La responsabilité d'être une
réponse, une réponse à l'appel et aux besoins de chacun des enfants. Que les adultes, les
parents, prennent sur eux, se chargent de la demande d'identité, la demande de vie,
d'existence et de valeurs qui est parfois implicite dans la vie des enfants et dans leur façon
de communiquer.
Le dialogue est pause. Pause. Un grand interprète de notre temps, Zygmunt Bauman,
sociologue, représentait notre réalité avec une métaphore significative. Il dit: 'C'est
comme si l'on patinait sur une glace très fine', l'unique moyen de ne pas s'enfoncer c'est
la vitesse, il faut accélérer nos comportements. La frénésie de notre vie quotidienne est
parfois dirigée par la vitesse d'un marché dont nous sommes victimes. En revanche avec
nos enfants le dialogue impose une pause, il impose de savoir s'arrêter. Avoir le courage
de rester là, 's'arrêter', s'arrêter avec mes enfants, s'arrêter avec eux.
Le dialogue est projet. Il n'est pas sentimentalisme, restant dans une contemplation
réciproque qui serait peut-être stérile. Un grand pédagogue brésilien (je sais qu'il y a des
brésiliens ici) Paulo Freire dit: "Le dialogue c'est donner vie ensemble et donner un nom au
monde",c'est-à-dire ensemble, de façon responsable, en se projetant, en 'se jetant audelà' pour donner vie au monde qui nous appelle, donc au-delà de nous-mêmes. Le
dialogue important ne se limite pas à un dialogue entre nous, mais c'est un dialogue
productif et il est projet pour l'autre que nous, ce trésor autre que nous, qui est aussi le
monde qui attend nos mains, notre travail, et notre intelligence.
Le dialogue est donc projet.
Puis le dialogue est partage. Partage surtout des difficultés, des souffrances, des échecs,
des moments obscurs, difficiles, 'Prendre avec' = comprendre, prendre cette douleur de
mon fils, cette difficulté, cette incertitude, cette inquiétude, cette demande. Souvent
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nous voudrions les fuir, parce que ce n'est pas facile de vivre cette série de difficultés que
nous avons souvent vécues dans notre passé, dans notre adolescence, et nous voudrions
l'avoir oublié une fois pour toutes. A contraire, il est important de partager, 'diviser avec',
avoir cette ouverture à la souffrance d'autrui.
J'ai déjà cité quelques mots-clefs du dialogue : recherche, humilité, désir, pardon,
responsabilité, pause, projet, partage. Autant de mots-clefs importants qui, cependant,
évidemment, sont à adapter à la relation parents-enfants qui est un rapport dit 'asymétrique'.
Elle présente une spécificité: ce n'est pas une relation entre pairs (égaux). Il y a un rôle
différent. Bien sûr, notre dignité et celle des enfants est absolue, mais le rôle est différent : le
père est père, la mère est mère, nous ne sommes pas amis ou du même âge. Le caractère
horizontal de l'amitié n'est pas la spécificité du dialogue et des relations parents-enfants. Il est
important de souligner cette verticalité qui, dans une certaine mesure, donne aux parents un
devoir spécifique, un devoir particulier.
Le dialogue est essentiel dès le début. Vous savez qu'à la naissance le bébé vit le
traumatisme de l'accouchement et se trouve immédiatement seul, dehors, 'à l'extérieur',
alors qu'avant il était 'à l'intérieur'. Après la naissance, l'adulte est à l'extérieur, il est loin, il est
étranger. Mais justement là, depuis cette toute première phase, il peut arriver quelque chose
de merveilleux, de stupéfiant: la mère de toutes les relations peut se passer là, celle de toutes
les énergies affectives qui se développeront par la suite. Dans cette phase, le parent - la
maman, le papa- avec son regard d'amour, avec son dialogue yeux dans les yeux, comme
l'appelle un grand psychologue, psychiatre qui s'appelle Erikson , avec cela le parent est là, il
entre dans l'esprit du petit enfant, dans son espace vital grâce à l'amour concret qui s'exprime
dans des petites choses: lui donner à manger, l'habiller, chanter, le tenir dans les bras, lui
parler. A travers tout cela le parent qui est d'abord 'extérieur'- attention- devient 'intérieur',
l'enfant le ressent en lui-même, il se sent accompagné, il retrouve une énergie vitale interne
qui est la 'confiance': 'une confiance fondamentale' qui est la force du 'Moi' parce qu'il y a
l'autre en moi et c'est la véritable énergie.
Autrement dit, la force du petit enfant, de l'être humain, c'est 'l'autre à l'intérieur' , voilà le
trésor- ''l'autre interne', le parent interne (les parents internes, quand entre les parents il y a
ce dialogue), la 'famille interne'. Voilà la force de l'être humain dans sa croissance : la famille
interne, parce que tu es dans l'esprit et le cœur de tes parents, et il y a ce dialogue entre
intériorités, entre dimensions internes qui se mettent en relation entre elles avec cette
profondeur. C'est cela la présence fondamentale: ce 'parent interne' doit durer de
nombreuses années, peut-être toute la vie.
Si à l'inverse cette 'confiance de base ' manque, s'il n'y a pas cette présence....., si les
parents sont absents (physiquement mais surtout psychologiquement), l'enfant peut être
désorienté et avoir peur. Il ne trouve pas de point d'ancrage, comme un bateau, une barque
sans ancrage, qui ne sait pas où aller: elle est à la merci des vagues. Ce ne sera pas facile de
trouver un sens à la vie s'il manque cet ancrage interne, cette confiance.
Il est donc nécessaire que dans la relation parents-enfants il existe un dialogue de qualité,
parce c'est la qualité qui laisse cette empreinte interne de ta présence, qui enseigne quelque
chose, qui laisse des signes internes, il y a cette 'empreinte' (la trace interne d'une présence
qui ensuite ne te laissera jamais).
Naturellement, aux différents âges, ce dialogue prend des connotations différentes. Il se
transforme de façon intelligente, du dialogue projectif des premières années qui s'explique
aussi avec le 'tu dois', parce que l'enfant a besoin d'une moralité qui vient d'en haut, pour
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passer ensuite au dialogue d'orientation de l'adolescence et de la jeunesse qui s'appuie sur le
'selon moi tu devrais'. Il faut passer du 'tu dois' des premières années au 'selon moi tu
devrais', et c'est un dialogue d'orientation et non plus de projection. C'est bien évidemment
un parcours complexe, difficile.
En résumé, quelles sont les autres caractéristiques fondamentales de ce dialogue ? Je les
cite très rapidement : acceptation, empathie, patience. Ce sont toutes des paroles fortes qui
mériteraient chacune toute une rencontre, mais je m'arrêterai sur deux aspects avant de
conclure.
Un premier aspect fondamental dans ce dialogue, la chose la plus importante - dirais-je est le témoignage. Parler, enseigner, guider les enfants à travers quoi ? La cohérence,
l'authenticité, la sincérité, être soi-même. Les enfants ont un besoin infini de cueillir, de voir
dans les parents l'unité entre le dire et le faire, entre les paroles et les faits. La plus grande
désillusion, la plus grande défaite scandaleuse est vraiment l'incohérence, qui ôte toute
autorité à l'adulte, même aux parents.
La seconde chose importante et presque la dernière: le dialogue parents-enfants est aussi
(attention à cette parole), il est aussi lutte. Lutte, comme l'affirme un grand philosophe,
Martin Buber, et comme l'a affirmé Chiara. Je me souviens de son discours à Washington,
quand elle a reçu le prix honoris causa en Pédagogie. Ils ont affirmé tous les deux que la
relation de dialogue est une lutte qui prévoit à côté du 'oui' le 'non,non', 'oui,oui,non,non',
l'exhortation, le soutien décisif, la sollicitation décisive pour mettre en jeu les propres talents,
pour surmonter les phases de caprices courantes chez les enfants, vers celle de
l'accomplissement, et pour assumer la phase de responsabilité.
La rencontre parents-enfants est donc une très belle lutte, pas une lutte dont on sort
vainqueur ou perdant, mais une lutte dont on sort gagnant-gagnant, gagnants ensemble,
parce que grâce à cette lutte, qui est l'amour authentique, les enfants se sentent construits et
les parents aussi, parce qu'il y a une très belle réciprocité. Ce dialogue-lutte qui engage de
façon forte et décisive est donc important pour aider les enfants à être maître de soi, à avoir
une socialisation et une dimension de responsabilité à l'égard du monde. De nombreuses
recherches soulignent qu'actuellement , tout du moins dans notre culture, beaucoup de
jeunes souffrent et dénoncent le manque de combat avec les adultes. Il leur manque des
adultes capables de lutter, il est plus facile parfois de rester indifférents.
L'indifférence est le contraire du dialogue. L'indifférence veut dire 'sans différence'. Le
dialogue au contraire est une rencontre de différences. Avec nos enfants aussi il y a une
différence d'âge, d'expérience et de valeurs, et cette rencontre, cette proximité des
différences peut être vécue avec l'amour qui n'abdique pas devant ce devoir, qui reste là, et
qui vit cette dimension relationnelle du dialogue. C'est vraiment une belle lutte, parce qu'il y a
l'amour authentique, réciproque.
Alors on a de l'autorité. Quand est-ce qu'un parent a de l'autorité ? Platon le disait déjà, il y
a des milliers d'années : l'éducateur authentique 'écrit dans l'âme', c'est-à-dire qu'il laisse des
signes, il en-seigne, mais qu'il trace des blessures difficiles et c'est la très belle lutte qui sculpte
quelque chose, qui trace des blessures très belles. Il est l'auteur de quelque chose parce qu'il
écrit, il laisse des signes, il enseigne. C'est cela la compétence de celui qui a le courage d'être
dans cette relation dialogale (de dialogue), engageante, cette relation de lutte, et tu as laissé
un signe, une marque, parce que tu as raconté quelque chose qui lui permet ensuite - à lui et à
elle - de se raconter soi-même, eux-mêmes, plus tard, avec des mots nouveaux.
Nous sommes ici aujourd'hui des couples engagés à voir dans l'autre un trésor, et je crois
que cela peut être pour nous une expérience qualifiée de dialogue en famille, avec des
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positions solides et avancées de dialogue constructif, certainement à l'intérieur de notre
famille (c'est ce dont nous parlons) mais aussi à l'intérieur de notre société, là où il y a un
monde à construire ensemble.
Aujourd'hui il y a la crise, mais le mot crise, que nous vivons souvent de manière intense,
porte en lui le mot espérance. Il ne peut pas y avoir de crise authentique sans espérance et
c'est cette espérance qui, d'une certaine manière, sait que dans certains cas tout s'écroule,
mais dans cet écroulement de beaucoup de choses se met en mouvement l'espérance. Et
l'espérance est la capacité et la possibilité de faire toute chose nouvelle : dans notre famille,
en nous-mêmes, et avec nos enfants. C'est cela le projet que nous avons, c'est un grand projet
éducatif.
J'ai terminé.
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