"En Inde, seul le cricket peut permettre de s`extraire de la morosité"

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"En Inde, seul le cricket peut permettre de s`extraire de la morosité"
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VOYAGE, VOYAGES
"En Inde, seul le cricket peut permettre de s'extraire de la
morosité"
LEMONDE.FR | 03.12.09 | 17h42 • Mis à jour le 04.12.09 | 08h26
oria Majumdar est professeur à l'université de Central Lancashire en Angleterre, historien
du cricket et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet (A Social History of Indian Cricket,
Lost Histories of Indian Cricket : Battles of the Pitch, The Illustrated History of Indian Cricket
ou encore Cricketing Cultures in Conflict : the 2003 World Cup). Il explique la place toute
particulière occupée par ce sport en Inde et au Pakistan.
Pouvez-vous expliquer les raisons de
l'immense popularité du cricket en Inde
et au Pakistan ?
Il y a deux raisons principales au milieu de plein d'autres moins cruciales. En premier lieu,
l'outil nationaliste que représente le cricket a été utilisé comme un instrument singulier de lutte
contre la domination coloniale. Cette utilisation a été très pertinente pour les peuples indien et
pakistanais. Au moment où le choix de l'action militaire contre la domination britannique a été
exclu au début du XXe siècle, le cricket a joué un rôle considérable dans la lutte contre
l'oppression de l'Empire britannique.
Ensuite, le cricket est l'unique sport où les Occidentaux sont forcés de compter avec l'Inde et le
Pakistan. L'épicentre financier du cricket mondial s'est déplacé vers le sous-continent. Le souscontinent mène la danse.
Quel a été le rôle du cricket dans le mouvement d'indépendance et la construction
de ces deux nations ?
Dans l'Inde coloniale, la classe moyenne et l'aristocratie ont fait cause commune pour mener
cette forme de résistance sur le terrain du sport, qui consistait à affronter et battre les
Britanniques et les Européens à leur propre jeu. Ils avaient envie d'atteindre la reconnaissance
dans le regard des Britanniques. A cet égard, on peut affirmer que le cricket colonial indien
était une entreprise nationaliste. En Inde du Sud, Buchi Babu Naidu, a créé à Chennai
(anciennement Madras) le presidency match (tournoi inter-communauté) en réaction aux
discriminations pratiquées au club de cricket de Madras : les joueurs indiens devaient déjeuner
sous les arbres quand les Européens profitaient du confort du pavillon. Le fils de Buchi Babu a
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confirmé plus tard que l'idée principale de son père était bien de profiter du presidency match,
une occasion d'affronter et de battre les Européens.
Paradoxalement, les officiers européens concevaient le cricket comme un outil de leur "mission
de civilisation" et en faisaient la promotion dans le système éducatif. Cela a finalement
contribué à favoriser le projet indien. Bien que les Anglais manipulaient les fondements
éthiques de ce sport en leur faveur, les Indiens, pourtant issus du système éducatif public dirigé
par les colonisateurs, ont souvent employé le sport comme outil de contestation. C'était une
stratégie bien conçue qui, en surface, laissait croire que le respect des règles éthiques du cricket
engendrait de facto un respect de l'entité coloniale. En contrepartie, les administrateurs de
l'Empire n'ont jamais imaginé suspendre cette pratique. Au contraire, ils ont même joué un rôle
prépondérant dans son développement et sa diffusion à travers l'achat d'équipement et la
fourniture d'infrastructures nécessaires. Que les fondements éthiques du jeu aient été ainsi
détournés rend l'histoire du cricket indien tout à fait fascinante.
Qu'est-ce-que la fameuse diplomatie du cricket entre l'Inde et le Pakistan ?
Historiquement, à chaque fois que l'Inde et le Pakistan ont traversé une période de tensions des
relations bilatérales, le cricket est venu à la rescousse. Par exemple de 1961 à 1978, il n'y avait
pas de relations diplomatiques entre les deux pays. Le contact a été renoué avec les "cricket
series" de 1978. Une fois encore, après le conflit de Kargil au tournant du XXIe siècle, l'Inde et
le Pakistan ont repris le dialogue bilatéral lors de la tournée amicale de 2004. Le cricket a
toujours encouragé le rapprochement entre les citoyens des deux pays au moment des crises
politiques. Il a été utilisé comme une arme diplomatique efficace.
Concrètement, comment se traduit l'importance du cricket pour le sous-continent
indien ?
Seul le cricket peut éclipser les dures réalités de l'Inde : 44 % des Indiens vivent avec moins
d'un dollar par jour, environ 70 sur 1 000 enfants meurent avant l'âge d'1 an et 25 autres ne
dépassent pas l'âge de 5 ans, le terrorisme est un problème constant, les conflits
communautaires risquent à tout moment de resurgir, et la fuite des cerveaux menace toujours.
Il faut aussi voir que l'Inde, la seconde nation la plus peuplée au monde, a une présence
insignifiante sur l'échiquier mondial du sport. Aux JO de Sydney en 2000, l'Inde n'a gagné
qu'une seule médaille de bronze. Dans toute son histoire olympique, le pays n'a remporté
qu'une seule médaille d'or. Le cricket est la seule discipline où les Indiens peuvent montrer les
muscles.
En résumé, le cricket est plus qu'un jeu pour les Indiens. Les droits du cricket indien ont été
vendus pour la somme énorme de 612 millions de dollars américains pour quatre ans, soit bien
plus que dans n'importe quel autre pays. Le cricket s'apppuie sur une audience de plus d'un
milliard de téléspectateurs. Avec une Premier League valorisée à plus d'un milliard de dollars et
une audience TV d'un milliard de téléspectateurs, l'Inde est bien la première puissance
mondiale du cricket.
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Le sport asiatique a été influencé par l'histoire du colonialisme. Est-ce toujours
actuel ?
La pratique sportive a sûrement été façonnée par les réalités du colonialisme mais l'Inde et le
Pakistan ont progressé et les choses sont donc différentes maintenant. Les réalités coloniales,
du moins dans le cricket, ont été complètement renversées. On peut presque parler à présent de
colonialisme à l'envers. Ce sont l'Inde et le Pakistan qui contrôlent les finances du cricket
mondial.
A lire également : Annuaire français des relations internationales, volume VII, 2006 : La
privatisation de la politique etrangère en Asie du Sud (...) : l’exemple de la "diplomatie du
cricket" entre l’Inde et le Pakistan.
Propos recueillis par Anthony Hernandez
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