Dictionnaire de l`histoire de France
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Dictionnaire de l`histoire de France
*Titre : *Dictionnaire de l'histoire de France / sous la direction de Jean-François Sirinelli *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *2006 *Contributeur : *Sirinelli, Jean-François (1949-....). Directeur de publication *Sujet : *France -- Histoire -- Dictionnaires *Type : *monographie imprimée *Langue : * Français *Format : *1 vol. (1176 p.) : ill. en noir et en coul., couv. et jaquette ill. en coul. ; 29 cm *Format : *application/pdf *Droits : *Droits : conditions spécifiques d'utilisation *Identifiant : * ark:/12148/bpt6k12005115 </ark:/12148/bpt6k12005115> *Identifiant : *ISBN 2035826349 *Source : *Larousse, 2012-129386 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40925123k *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 975 downloadModeText.vue.download 2 sur 975 LISTE DES AUTEURS et de leurs contributions à cet ouvrage ADERHOLD (Carl) CFDT, CFTC, dissuasion nucléaire, Juin, Marchais, Moch, Monnet, Rochet (Waldeck), Touvier (procès), Zay AGLAN (Alya) Belin, Charte du travail, Défense de la France, démarcation (ligne de), deuxième division blindée, Dunkerque (bataille de), Frachon, FTP ou FTPF, Gaillard, Gouin, GPRF, Jouhaux, Lattre de Tassigny (de), Légion des volontaires français contre le bol- chevisme, Libération-Nord, Libération-Sud, Tessier AGULHON (Maurice) Marianne, RÉPUBLIQUE ALEXANDRE-BIDON (Danièle) CHÂTEAU ALLAL (Tewfik) ET BARNAY (Sylvie) francisque ATLAN (Catherine) Abd el-Kader, Agadir (crise d’), Alger (expédition d’), Algésiras (conférence d’), Berlin (conférence de), Bugeaud, bureaux arabes, Entente cordiale, Fachoda BARNAY (Sylvie) francisque, goliards, héraldique, hérésie, indulgence, Louis d’Anjou, Louis Ier le Pieux, Louis IV, Louis VI, Louis VII, Louis VIII, loup, lys (fleur de), monachisme, Mondeville, « Montjoie Saint-Denis ! », Mont-Saint-Michel, Nogaret, Notre-Dame de Chartres, NotreDame de Paris, oriflamme, Paix de Dieu, paroisse, Pierre l’Ermite, René d’Anjou, Robert II, Rubrouck, Sacré-Coeur (basilique du), SaintJacques (chemins de), saints (culte des), sceau de majesté, Suger, Urbain V, Vézelay, Yves (saint) BARNEL (Christine) prostitution BAURY (Roger) Bonneval Pacha, Boulainvilliers, capitation, dérogeance, Gouberville, Grands Jours d’Auvergne, NOBLESSE, noblesse de cloche, réaction nobiliaire, SaintCyr, Saint-Simon (duc de) 1918, Chemin des Dames, Dardanelles, Grosse Bertha, GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE), Marne (batailles de la), monuments aux morts, mutineries de 1917, Onze Novembre, poilu, Soldat inconnu, Somme, tirailleurs sénégalais, tranchées, union sacrée, Verdun, Versailles (traité de) BEAUNE (Colette) Moyen Âge, NATION, ROI, sacre BECKER (Annette) armistice de BECKER (Colette) Zola BELISSA (Marc) Aboukir (bataille navale d’), Aboukir (bataille terrestre d’), Ami du peuple, Amiens (paix d’), Arcole, Argenson (comte de), Argenson (marquis d’), Bâle (traités de), Campoformio, Constitutions consulaires et impériales, Desaix, droit naturel, Famille (pacte de), France (campagne de), Friedland, frontières naturelles, Grande Armée, Grouchy, Iéna, Indépendance américaine (guerre de l’), Leclerc, Leipzig, Leoben, levée en masse, Lunéville (traité de), mamelouks, Monaco, Montbéliard, Nice (comté de), paix perpétuelle (projets de), Patrie en danger, Pétion de Villeneuve, Pichegru, Pillnitz (déclaration de), Plaine ou Marais, prairial an III, Républiques soeurs, Réveillon (affaire), Savoie, Soissons (congrès de), Toulon (siège de), Valmy, Varennes, Varsovie (grand-duché de), Volney, Wagram, Wattignies FRONDE, LOUIS XIII, LOUIS XIV, Mazarin, Richelieu, Trente Ans (guerre de), Utrecht (traités d’), VERSAILLES (CHÂTEAU DE) BELLU (Serge) Renault BÉLY (Lucien) Ancien Régime, BEN-AMOS (Avner) Panthéon BERGOUNIOUX (Alain) socialisme BERTON (Jean-Maurice) Action catholique, Aumale (duc d’), aveu et dénombrement, Bastiat, bénéfices ecclésiastiques, Berry (duchesse de), Broglie (duc de), Caulaincourt, Cavaignac (Godefroy), Cavaignac (Louis Eugène), Chambord (comte de), Changarnier, CIR, Code civil, Compagnie des Indes, compagnies de commerce et de navigation, comptoirs, Delcassé, Delescluze, Diên Biên Phu, Dombasle, feu, FGDS, Floquet, gabelle, Gamelin, Garnier, Gay-Lussac, Isly, Jeunesse chrétienne, Joliot-Curie (Irène et Frédéric), La Bourdonnais, La Chatolais, Lamoricière, Lang Son, Ledru-Rollin, légitimisme, Lesseps, Marie de Bourgogne, Marshall (plan), matines de Bruges, métropolitain, ministères, nucléaire (énergie), office, opportunisme, orléanisme, pairs (Chambre des), pairs de France, Paris (traité de, 20 novembre 1815), Paris (traité de, 30 mai 1814), parlement provincial, parlements (exil des), Pereire (frères), Phélypeaux, Premier ministre, Presbourg (traité de), président de la République, prêtres-ouvriers, Prévost-Paradol, Rastadt (congrès downloadModeText.vue.download 3 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE de), revanche (la), Rhin (Confédération du), Rif (guerre du), SaintArnaud, Sarrien, Saxe (Maréchal de), Schneider, secrétaires d’État, Tilsit (traités de), Tolentino (traité de), Trocadero, Vienne (traité de) BERTRAND (Anne) Montmartre BONIN (Hubert) Banque de France, Bourse, Citroën, Coeur (Jacques) BOSC (Yannick) Anciens (Conseil des), Boissy d’Anglas, Cabarrus, Cinq-Cents (Conseil des), Desmoulins, Dubois-Crancé, Maistre (de), Merlin de Douai, Prieur, Prieur-Duvernois, Tallien, Vergniaud BOSSUAT (Gérard) européenne (construction) BOUCHERON (Patrick) baron, bonnes villes, Calais (bourgeois de), carnaval, CATHARES, communal (mouvement), confrérie, états généraux, fabrique, France, franchises, Guillaume de Saint-Amour, Huns, Sainte-Chapelle, villeneuves et bastides BOUCHET (Thomas) Albert (l’Ouvrier), Arago, avril 1834, barricades, Barrot, Boulogne (affaire de), Carrel, Enfantin, Fieschi (attentat de), Garnier-Pagès, Gavroche, Guizot, Juillet (colonne de), Juillet 1830, juin 1832, Lamarque, Louis-Philippe Ier, mai 1839, Mazas (prison), Molé, ordonnances de juillet 1830, Orléans (duc d’), Pelletier (Madeleine), Perier (Casimir), Pritchard (affaire), Rambuteau, Raspail, Rémusat, Seguin (Marc), Serre (lois), Vidocq BOUTRY (Philippe) Affre, Angoulême (duc d’), anticléricalisme, Bernadette Soubirous, Berryer, CATHOLICISME, charbonnerie, Charles X, CLERGÉ, Decazes (duc), déchristianisation, Doctrinaires, Dupanloup, ÉGLISE, Foucauld, Jean-Marie-Baptiste Vianney, JUILLET (MONARCHIE DE), Lamennais, Louis XVIII, Lourdes, Martignac, Michelet, Montalembert, Mun, Péguy, pèlerinage, Plombières (entrevue de), Polignac, Quinet, ralliement, Renan, RESTAURATION, Richelieu (duc de), romaine (question), Sand, séparation des Églises et de l’État (loi de), Thérèse de Lisieux, Univers (l’), Veuillot, Villèle BRIAN (Isabelle) catéchisme, Chavatte, collège, Démia, Frères des Écoles chrétiennes, Jean-Baptiste de La Salle, Thiers BRUN (Christophe) académies protestantes, Bonnot, Cassini (famille), Chaptal, Conciergerie, corvée royale, Décorations (affaire des), Eau, Ems (dépêche d’), La Pérouse, Luxembourg (palais du), maîtresses du roi, montgolfière, Necker, Oberkampf, Orry, Panamá (scandale de), Perronet, physiocratie, Pilâtre de Rozier, poids et mesures, Pompadour, Ponts et Chaussées (école et administration des), proto-industrie, Quesnay, révolution agricole, Rivarol, Saint-Gobain, Savary, Sèvres (manufacture de), Silhouette, tabac, Temple (prison du), Terray, Trudaine, Tuileries (palais des), Turgot, Vauban BRUNEL (Françoise) montagnards, régicides, Septembre (massacre de), surveillance (comités de), thermidor an II (journée du 9), thermidoriens, Tribunal révolutionnaire BÜHRER-THIERRY (Gene- viève) Aetius, Arbogast, Arles (royaume d’), asile (droit d’), Bathilde, Boson, Caracalla (édit de), Catalauniques (champs), chancelier, Clotaire Ier, Clovis II, comte, Coulaines (assemblée de), duc, Eudes, Flodoard, Geoffroi Ier Grisegonelle, Gondebaud, Grimoald, Guillaume Ier le Pieux, Hincmar, Hughes le Grand, Lothaire, Lothaire Ier, Quierzy (capitulaire de), régale, Richard le Justicier, Robert Ier, Roncevaux, Sigebert III, Tertry, Thierry Ier, Vermandois (maison de) CABANES (Bruno) Assemblée du 10 juillet 1940, Baudin, Bazaine, Belleville (programme de), Berthelot, Bidault, Cartel des gauches, Cassin, CED, Conseil constitutionnel, Déat, Évian (accords d’), février 1934 (journée du 6), Grenelle (protocole de), Haussmann, Herriot, Lacordaire, Lavigerie, maisons closes, Marie et Barangé (lois), Michelin, MRP, Orsini (attentat d’), Pflimlin, Poincaré, Poujade (mouvement), Rothschild (famille), Sangnier, Schuman, Sétif (émeutes de), Suez (expédition de), tripartisme, Troppmann (affaire), UDF, Villermé, Viollet-le-Duc CARON (François) CHEMIN DE FER CARREZ (Maurice) anarchisme, antiparlementarisme, Blanqui, Brousse CHADEAU (Emmanuel) Blériot, Fresnel, Matignon (accords), planification, reconstruction CHALLAMEL (Laurence) francoallemand (traité), Painlevé, Sarre (question de la) CHANET (Jean-François) alphabétisation, baccalauréat, Bert, Buisson, Duruy, ÉCOLE, écoles normales d’instituteurs, Falloux (loi), Ferry, instituteurs, laïcité, universités CHARANSONNET (Alexis) Chambre des comptes, Courtrai, Délicieux, domaine carolingien, domaine royal COUDART (Laurence) accapareurs, Allarde (loi d’), Ampère, Antraigues, août 1792 (journée du 10), arbre de la Liberté, arc de triomphe de l’Étoile, aristocrate, Armée révolutionnaire, Armoire de fer, assemblée des notables, assignats, Augereau, Babeuf, babouvisme, Bailly, Barbaroux, Barnave, Bastille, Batz (baron de), Beauharnais, Billaud-Varenne, Blocus continental, Bonaparte (famille), Bonaparte (Jérôme), Bonaparte (Joseph), Bonaparte (Louis), Bonaparte (Lucien), Brissot de Warville, brumaire an VIII (coup d’État des 18 et 19), Brune, Brunswick (manifeste de), Cabinet noir, Ça ira !, calendrier républicain, Carmagnole, Carrier, catéchisme impérial, Cazalès, CentJours, Champ-de-Mars (fusillade du), Châteauvieux (affaire des downloadModeText.vue.download 4 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE suisses de), chauffeurs, Chevaliers du poignard (conspiration des), Club monarchique, comité autrichien, Commune de Paris, Comtat Venaissin, Condé (prince de), Corday, Courrier de Lyon (affaire du), Couthon, Damiens (attentat de), Daunou, David, Drouet, Ducos, Dumouriez, Duport, Égaux (conjuration des), émigrés, Enghien (duc d’), états généraux de 1789, Être suprême, Eylau, Fabre d’Églantine, Favras (conspiration de), fédéralisme, Fédération (fête de la), fermiers généraux (mur des), Fesch, fêtes révolutionnaires, feuillants (Club des), Fleurus (bataille de, 26 juin 1794), floréal an VI (coup d’état du 22), Fontainebleau (adieux de), Fontanes, Fouché, Fouquier-Tinville, Frotté (comte de), fructidor an V (coup d’État du 18), Garde impériale, Garde nationale, Gazette de France, gazettes, germinal an III, Glacière (massacre de la), Grande Peur, Grégoire (abbé), Grenelle (affaire du camp de), grognard, guillotine, Hanriot (François), Hébert, incroyables, muscadins et merveilleuses, indulgents, Jalès (camp de), Jéhu ou Jésus (Compagnies de), Jemmapes, Jeu de paume (serment du), Joséphine, Journal de Paris, Journal de Trévoux, Journal des débats, juin 1792, La Fayette, Law, Le Chapelier (loi), livre (monnaie de compte), livret ouvrier, Lyon (conspiration de), Lyon (siège de), mai-juin 1793, Malet, Marseillaise (la), martyrs de la Liberté (culte des), Maury, maximum (décrets et loi du), Mercure de France, Midi (conspiration du), monarchiens, Moniteur universel (le), Montlosier, Nantes (noyades de), otages (loi des), Panckouche, Père Duchêne, Renaudot (Théophraste), Révolutions de Paris, Soleil (compagnies du), Terreur blanche, Théot (affaire Catherine), Toulouse (comté de), tour de France, Touraine, tournoi, tournois, Tournon (François de), Tourville, Toussaint Louverture, Trafalgar (bataille de), traite des Noirs, traites, Transnonain (massacre de la rue), Trappe (la), Treilhard, Trente (combat des), Tronchet, Turin (Comité de), Vadier, veto royal (droit de) COUTY (Daniel) Astérix, Bayeux (tapisserie de), Chateaubriand, Comédie-Française, Figaro (le), Hexagone, préciosité, Staël (Mme de), Tour de France, Tour de France par deux enfants (le), tour Eiffel CROIX (Alain) Artagnan (d’), Bretagne, cidre, crises démographiques, missions intérieures, MORT, Papier timbré (révolte du), peur, révoltes populaires, Siam (ambassadeurs du) CROUZET (Denis) Calvin, Catherine de Médicis, Charles IX, Guise (Henri Ier de), Henri III, HENRI IV, Ligue, Nantes (édit de), Réforme (la), RELIGION (GUERRES DE), SaintBarthélemy, Sully DARMON (Pierre) Charcot, Schweitzer DE BAECQUE (Antoine) académies provinciales, droits de l’homme et du citoyen (Déclaration des) DEFLOU (Noëlle) antrustions, Benoît d’Aniane, Clodomir, Ébroïn, Germain (saint), ost, plaid, Tolbiac DELON (Michel) Alembert (d’), Beaumarchais, Diderot, Encyclopédie, Jaucourt, La Mettrie, libre-pensée, LUMIÈRES, Mably, Rétif de La Bretonne, Rousseau, Sade DELPORTE (Annie) Épinal (image d’) DELPORTE (Christian) Avenir (l’), censure, Croix (la), Épinay (congrès d’), Express (l’), France Observateur, guerre froide, HauteVolta, Je suis partout, National (le), PRESSE, Réforme (la) DEMARTINI (Anne-Emmanuelle) Charivari (le), Durand (Marguerite), Lacenaire, Nadaud DEMOULE (Jean-Paul) acheuléen, âge du bronze, âge du fer, Alésia, Ambiens, Argentomagus, Arvernes, aurignacien, Avaricum, azilien, Barnenez, Belges, Beuvray (mont), biface, Bituriges, Boucher de Perthes, Breuil, campaniforme, cardial, Carnac, Celtes, chalcolithique, chasséen, chasseurs-cueilleurs, Chassey-le-Camp, Chauvet, colonies grecques, Cosquer, Cro-Magnon, Cuiry-lès-Chaudardes, dolmen, druide, Éduens, Ensérune, Entremont, Eyzies-deTayac-Sireuil (les), Filitosa, GAULE, Gaules (guerre des), Gaulois, Gavr’inis, Gergovie, Gournay-surAronde, gravettien, Homo sapiens, Jublains, Lascaux, Lassois (mont), Locmariaquer, Madeleine (la), magdalénien, Merveilles (Vallée des), moustérien, Moustier (Le), Narbonnaise, Néanderthal (homme de), néolithique, Niaux, oppidum, palafitte, paléolithique, PechMerle, Pincevent, PRÉHISTOIRE, PROTOHISTOIRE, Rèmes, Ribemontsur-Ancre, rubané, Saint-Acheul, solutréen, Solutré-Pouilly, Suessions, tardenoisien, Tautavel, Tène (la), Vénètes, Vercingétorix, Vix (tombe de) DUCRET (Marie) Louis III, Louis V, Valois DUMOULIN (Olivier) Basch, Durkheim, Lavisse, Le Play, Seignobos, Taine, Tocqueville ECK (Jean-François) étalon or, franc, MONNAIE EL-KENZ (David) Académie des sciences morales et politiques, Bayle, Bérulle, bibliothèque bleue, Condé (Louis Ier de Bourbon, prince de), diable, duel, Écouen (édit d’), faux sauniers, huguenots, La Noue, « Le roi est mort, vive le roi ! », L’Estoile, Loudun (possédées de), Louis-Marie Grignion de Montfort, Lyon (traité de), Marie Stuart, Oratoire de France, paulette (édit de la), Poissy (colloque de), politiques ou malcontents, Quatre Articles (déclaration des), Ramus, sel, sucre, Thou, Trente (concile de), vénalité des offices EMMANUELLI (François-Xavier) Corse, État, intendant, Languedoc, Provence ENCREVÉ (André) PROTESTANTS downloadModeText.vue.download 5 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE FACON (Patrice) Foch, Gallieni, Joffre, Leclerc, Mangin, maréchal de France, Normandie (débarquement de), Provence (débarquement de), réparations, Tanger (crise de), Weygand FELLER (Laurent) Boniface (saint), Capétiens, CATHÉDRALES, champart, corvée, droits seigneuriaux, Éginard, faux-monnayeurs, fidélité (serment de), fief, hommage, Jacquerie, lignage, précaire, seigneurie, servage, Soissons (vase de), vassalité FERREYROLLES (Gérard) Bossuet, Fénelon, François de Sales, Pascal FLANDRIN (Jean-Louis) bière, pain, pomme de terre, porc, viande, VIN FLORI (Jean) CHEVALERIE, CROISADES, FÉODALITÉ, hospitaliers, templiers FORGIT (Michel) Perrin (Jean) FOURNEL (Jean-Louis) Amboise (cardinal d’), Bayard, Bourbon (le Connétable), Cateau-Cambrésis (traités de), Charles VIII, Constantinople (capitulations de), Dame (paix des), Estienne (famille), FRANÇOIS Ier (ROI), ITALIE (GUERRES D’), La Palice, Louis XII, Madrid (traité de), Marignan, Montluc, Montmorency (Anne de), Montmorency (famille de), Montmorency (François de), Montmorency (Henri II, duc de), mousquet, Pavie, Ravenne, Renaissance GACON (Stéphane) Alger (bataille d’), bagne, Blanc, camps de détention et de concentration, Charonne (manifestation du métro), Decazeville (grève de), Déroulède, Draveil et Villeneuve-Saint-Georges (grève de), droits de l’homme (Ligue des), exode, FLN, Gambetta, Henriot, Kabylie (insurrection de), malgré-nous (les), Pelletan, porteurs de valises, Salan, scélérates (lois), Varlin GASPARD (Claire) colporteurs GAUDE (Murielle) Arras (traité d’), Charles VII, couronne, Foix (Gaston III, de), Grandes Chroniques de France, Guesclin (Bertrand du), Jean II le Bon, Montaillou, Rais (Gilles de), Troyes (traité de) GENGEMBRE (Gérard) Bonald, Condorcet, honnête homme GODINEAU (Dominique) bonnet phrygien, citoyennes républicaines révolutionnaires (Club des), cocarde, Code pénal, Comité de salut public, Comité de sûreté générale, Constituante, Constitutions révolutionnaires, Convention nationale, départements, divorce, état civil, fédérés de 1792, Gouges (Olympe de), jacobinisme, jacobins (Club des), Jeanbon, « Liberté, Égalité, Fraternité », Madame Sans-Gêne, Richard-Lenoir, Roland (Mme), Roland de La Platrière, Saint-Antoine (faubourg), sans-culottes, suffrage (droit de), suspects (loi des), Théroigne de Méricourt, tricoteuses, ventôse an II (décrets de), volontaires nationaux GOETSCHEL (Pascale) Aron, Chantiers de jeunesse, gaullisme, harkis, Lagrange, Manifeste des 121, Mayer, Mendès France, Michelet (Edmond), Mollet, surréalisme, Uriage (école d’) GOLDZINK (Jean) Calas (affaire), Deffand (marquise du), libertins, Meslier, Montesquieu, salon, Voltaire GOROCHOV (Nathalie) arts libéraux, béguines et bégards, Champagne (foires de), charivari, Collège de Navarre, Dame à la licorne (tapisserie de la), harelle de Rouen, Isabeau de Bavière, Juvénal des Ursins, Lendit (foire du), Maillotins de Paris (révolte des), Marigny (Enguerrand de), Molay (Jacques de), Prince noir (chevauchée du), tuchins, Villehardouin GRISET (Pascal) Clavière, Laennec, Lakanal, Lenoir, Louis XVII, marché noir, Poisons (affaire des), Reubell, Saint-Germain (comte de) GUÉNO (Jean-Pierre) poste, timbre GUILLAUME (Pierre) Aquitaine, assurances sociales (loi sur les), avortement, Bourgeois, exode rural, Pasteur, Perdiguier, Sécurité sociale GUILLAUME (Sylvie) centre, CNI, Pinay, Ramadier, Républicains indépendants, RPF, Sarraut, UDR, UDSR, UNR GUISLIN (Jean-Marc) Constant, Fallières, Kolwezi (expédition de), Locarno (traité de), Loubet, Petite Entente, plébiscite, président du Conseil, Rivet (loi), Triple-Entente, trois ans (loi de) GUTTON (Jean-Pierre) ateliers de charité HAMON (Philippe) assemblée du clergé, Bernard (Claude), Bernard (Samuel), Birague, Bourbon (Charles de), Conseil du roi, écu, Fontaine-Française (bataille de), généralité, LOUVRE, privilèges, rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris, Trésor de l’épargne, Trois-Évéchés (les), troisième force, Vaux-le-Vicomte HAMOU (Philippe) Descartes HILAIRE-PÉREZ (Liliane) Ader, charrue, Jouffroy d’Abbans, Marly (machine de), Papin, Vaucanson HINCKER (François) finances publiques, impôt, Quatre Vieilles (les) HUGONIOT (Christophe) aqueduc, arc de triomphe, gallo-romain, Lugdunum, Lyonnaise, Massalia, Seine (source de la), voies romaines ISRAËL (Stéphane) Affiche rouge (l’), Astier de la Vigerie, barricades (semaine des), Brossolette (Pierre), Collaboration, élections présidentielles, ENA, épuration, Exposition coloniale, Fould (Achille), Front national (parti politique), Maastricht (traité de), mai 1958 (crise du 13), Milice, Millerand (Alexandre), Monde (le), downloadModeText.vue.download 6 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE Montoire (entrevue de), Munich (accords de), nationalisation, OAS, Oradour-sur-Glane, Petit-Clamart (attentat du), privatisations, programme commun de gouvernement, PS, putsch des généraux, Rocard (Michel), STO, Union générale (krack de l’), Viviani (René), Waldeck-Rousseau (Pierre Marie René) JEANJEAN (Caroline) Académies royales, aides, Aiguillon (duc d’), AIX-LA-CHAPELLE (TRAITÉ D’), Albret (maison d’), Alençon (duc d’), Anne d’Autriche, Arc-et-Senans, barricades (journée des), Barry (comtesse du), Bart (Jean), Bougainville, Cartier, Chambord, Champlain, Cinq-Mars (marquis de), Claude de France, Concini, Concorde (place de la), Diane de Poitiers, Dubois (Guillaume), Duguay-Trouin, Dupes (journée des), Dupleix, Duquesne, Fleury (cardinal de), Fontenoy, Jeanne d’Albret, La Salle (Cavelier de), Saint-Médard (convulsionnaires de), Semblançay, Unigenitus (bulle) JESSENNE (Jean-Pierre) centralisation, monarchie absolue JOSERRAND (Philippe) aides (Chambre des), Angoumois (comté d’Angoulême), Anjou, Anne de Bretagne, Arthur III, Berry, Castillon, Dauphiné, Guillaume IV Fierabras, Guillaume VIII, Henri Ier Beauclerc, Ordonnances (Grande et Petite) KERBRAT (Pierre) Abélard, Académie des inscriptions et belleslettres, Académie des sciences, Aix-la-Chapelle (chapelle palatine d’), ampoule (sainte), Anagni (attentat d’), Andorre, Angevins, Antiquité, Antiquité tardive, apanages, Bibliothèque royale, coq gaulois, coutume, cuissage (droit de), Enfer, livre d’heures, Messmer, nom de famille, Nominoë, PseudoDenys, salique (loi), Succession de Bretagne (guerre de la) KREBS (Constance) Barrès, Calmette, choléra, Crémieux, Hetzel, Illustration (l’), Niepce, Petit Journal (le), Revue des Deux Mondes LABADIE (Jean-Christophe) Bertin (Henri Léonard), Bertin l’Aîné, biens communaux, cadastre, compagnonnage, crises de subsistances, Fermat, fermier, francmaçonnerie, métayer, Parmentier, registres paroissiaux ou registres de catholicité LABOURDETTE (Jean-François) COUR LACOUTURE (Jean) GAULLE (CHARLES DE) LAMBIN (Jean-Michel) Flandre LARGEAUD (Jean-Marc) Marrast, Sergents de la Rochelle (affaire des Quatre), Waterloo LAURIOUX (Bruno) arbalète, archers, écrouelles, épée, épices, Guibert de Nogent, Héloïse, Hôtel du roi, légistes, lèpre, marmousets, Normandie (Échiquier de), parlement de Paris, somptuaires (lois), Sorbonne, suzeraineté LE BIS (Isabelle) Adalbéron de Laon, Agobard (saint), Alamans, Alaric II, Alcuin, Aliénor d’Aquitaine, Alphonse de Poitiers, Amiens (traité d’), Anne de France, Aquitaine (royaume d’), Armagnac (comte d’), Armagnacs et Bourguignons, Artois, Artois (succession d’), Austrasie, Avars, Azincourt, Bar (duché de), Baudoin de Flandre, Bedford (duc de), Bernard Gui, Berry (duc de), Blanche de Castille, Boucicaut (Jean II le Maigre), bourguignon (État), Bouvines, Briçonnet, Brunehaut, Cassel, Cauchon, Champagne (comté de), Charles II le Chauve, Charles II le Mauvais, Charles III le Gros, Charles III le Simple, Charles IV le Bel, Charles le Téméraire, Charles Martel, charte, Childebert Ier, Cité (Palais de la), Clément V, Clément VII, Clotaire II, Clotilde (sainte), Collier (affaire du), Crécy, empereurs gaulois, Empire latin d’Orient, Flote (Pierre), Foulques Ier le Roux, Foulques III Nerra, Foulques IV le Réchin, Franche-Comté, Frédégonde, Geoffroi V le Bel dit Plantagenêt, Godefroi de Bouillon, Grand Schisme, Henri Ier, Henri Ier le Libéral, Henri II Plantagenêt, Hugues de Semur (saint), Hugues le Noir, Jean II, Jean IV le Vaillant, Jean sans Peur, Jean V, Jean V le Sage, Lotharingie, Louis Ier d’Anjou, Louis Ier d’Orléans, Louis II le Bègue, Louis X le Hutin, Lusignan, Marcel (Étienne), Navarre (royaume de), Neustrie, Philippe Ier, Philippe III le Bon, Philippe III le Hardi, Philippe V le Long, Philippe VI de Valois, Pierre de Dreux, Raimond IV de SaintGilles, Raimond V, Raimond VI, Raimond VII, Raoul, Robert le Fort, Taillebourg et Saintes, Thibaud IV, Thibaud le Grand, Vermandois (comte de), Wisigoths LEBECQ (Stéphane) CAROLIN- GIENS, CHARLEMAGNE, Clovis Ier, Francs, INVASIONS BARBARES, MÉROVINGIENS LECLERCQ (Patrice) Archives nationales, Barras, Belgique (campagne de), Berezina, Bernadotte, Berthier, Concordat de 1801, conscription, Constitution civile du clergé, Égypte (expédition et campagne d’), Espagne (guerre d’), Hoche, Italie (campagnes d’), Jourdan, Kellermann, Kléber, Marceau, Marengo, Moreau, Pache, Pyramides (batailles des), Rabaut SaintÉtienne, réfractaires (prêtres), Rivoli, Santerre, Surcoût LE COUR GRANDMAISON (Olivier) Lameth (chevalier de), Lameth (comte de), Raynal, triumvirat LEGUAI (André) Bourbonnais, CENT ANS (GUERRE DE), principautés territoriales LEMAITRE (Nicole) gallicanisme, jansénisme, jésuites, Réforme catholique et Contre-Réforme LEQUIN (Yves) grève LEROY (Chantal) GOTHIQUE (ART), ROMAN (ART), Saint-Denis (abbaye), vitrail LESCURE (Jean-Claude) associations (loi sur les), Bonnet, Cambon (Jules), Cambon (Paul), Catroux, démocratie chrétienne, drôle de downloadModeText.vue.download 7 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE guerre (la), Dufaure, Dupuy, Étatprovidence, FEN, FNSEA, FO, Genève (accords de), Haute Cour de Justice, indigénat (Code de l’), Journal officiel de la République française, Laguiller, mer Noire (mutinerie de la), OTAN, Poher, PSU, Ribot, RPR, SMIC, Tirard, Vendôme (colonne) LETHUILLIER (Jean-Pierre) FÊTES LE TROCQUER (Olivier) Allemane, chauvinisme, Comte (Auguste), Défense nationale (gouvernement de la), Dupont de l’Eure, Favre, Francfort (traité de), Grévy, MacMahon, mai 1877 (crise du 16), Noir (Victor), positivisme, Samory Touré, Schoelcher, Sedan, septembre 1870 (révolution du 4), Simon, Trochu, Urbain (Ismaïl), Valérien (mont), Waddington LETT (Didier) Burgondes, cimetière, Cluny (abbaye de), écuyer, Éloi (saint), évêque, excommunication, fou de cour, Julien l’Apostat, Léger (saint), maires du palais, rois fainéants, Sidoine Apollinaire LÉVÊQUE (Pierre) Bourgogne, DROITE, GAUCHE, libéralisme politique LEVER (Évelyne) LOUIS XV, LOUIS XVI, Marie-Antoinette, Orléans (duc d’, dit Philippe Égalité), RÉGENCE LIGNON-DARMAILLAC (Sophie) FRANCE (TERRITOIRE DE LA) LOYER (Emmanuelle) anciens combattants, Années folles, CNRS, Combat, francophonie, GeorgesPompidou (centre), Gide, Malraux, Paris-Soir, Saint-Germain-des-Près LUC (Jean-Noël) lycée LYON-CAEN (Judith) Anzin (compagnie d’), Atelier (l’), Cabet, Constitutionnel (le), Creusot (le), Griffuelhes, Landru (affaire), Leroux, Récamier (Mme), Saint-Simon (comte de), saint-simonisme, Wendel (famille de) MALLET (Anne-Marie) aînesse, capitulaires impériaux, dot, propriété (droit de), scrutin, Sénat MARCHAND (V.) Paris-Match MARGAIRAZ (Dominique) corporations, foires et marchés MARI (Pierre) Académie des beaux-arts, Amboise (conjuration d’), Anciens et des Modernes (querelle des), Atlantique (mur de l’), Aubigné, Barbès, barricades (journée des), Bèze, Bodin, Branly, Brantôme, Brazza, Buchez, Budé, Coligny, Collège de France, Considérant, courtisan, Curie (Marie et Pierre), Cyrano de Bergerac, Dolet, Dumont d’Urville, Élysées (palais de l’), Éon (chevalier d’), Erfurt (entrevue d’), folie, Fontainebleau (château de), François II (roi), Guise (François Ier de), Guise (maison de), Hachette (Jeanne), Henri II, HUMANISME, JEANNE D’ARC, La Vallière, Lefèvre d’Étaples, L’Hospital, LOUIS XI, Lumière (les frères), Malebranche, Marguerite de Navarre, Marguerite de Valois, Matignon (hôtel), Mirabeau, Montaigne, Nostradamus, Palissy, peste, Philippe II Auguste, PHILIPPE IV LE BEL, Placards (affaire des), Poincaré, Rabelais, reine, Satire Ménippée, Serres (Olivier de), Ulm, Vienne (congrès de), Wassy, Weil (Simone) MARTIN (Jean) Abbas (Ferhat), Acadie, Afrique-Équatoriale française, Afrique-Occidentale française, Antilles françaises, armées catholiques et royales, Banque de l’Indochine, Bao Dai, Blum-Viollette (projet), Bourguiba, Brazzaville (conférence de), Communauté, Comores, Congo français, Destour, Djibouti, Éboué, France (île de), Guadeloupe, Guyane, Hô Chi Minh, Inde française, Indochine française, Istiqlal, Levant (mandats du), Louisiane, Lyautey, Madagascar, mandat (territoires sous), Maroc, Martinique, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, outre-mer (département et territoires d’), parti colonial, Polynésie française, Réunion (la), Saint-Domingue, Saint-Pierre-et-Miquelon, Sénégal, TAAF, Tunisie, Union française, Wallis et Futuna MARTIN (Jean-Clément) BarbéMarbois, Barthélemy, Cadoudal, Cathelineau, Charrette de la Contrie, chouannerie, colonnes infernales, Contre-Révolution, Danton, Directoire, Froment, girondins, La Revellière-Lépeaux, La Rochejaquelein, La Rouërie (conspiration de), Mounier, peine de mort, Puisaye (comte de), Quiberon (expédition de), RÉVOLUTION FRANÇAISE, Robespierre, Stofflet, Terreur, Thibaudeau, VENDÉE (GUERRES DE) MASANET (Philippe) Auriol, Barthou, Camus, CECA, Defferre (loicadre), Haïti, Houphouët-Boigny, Kérilis, Le Pen, Loucheur (loi), Messali Hadj, musulmans, piedsnoirs, Sarcelles, Senghor MASSON (Philippe) artillerie, blindés, cavalerie, École militaire de Paris, fortifications, gendarmerie, infanterie, Légion étrangère, Maginot (ligne), maréchaussée, mousquetaires, service militaire, troupes coloniales MATTÉONI (Olivier) Amédée VIII, Arras (traité d’), bailliage, connétable, Formigny, François Ier (duc de Bretagne), François II (duc de Bretagne), Guerre folle, Ligue du bien public, Louis II de Bourbon, Nancy (bataille de), Péronne (entrevue de), Praguerie (la), SainteFoy de Conques, Senlis (traité de) MAURICE (Jean) chanson de geste, Chanson de Roland (la), Christine de Pisan, Commynes, Froissart, Guillaume IX le Troubadour, Joinville, Roman de la Rose (le), Roman de Renart, Strasbourg (serments de), troubadours et trouvères MAZEL (Florian) adoubement, alleu, Ardents (bal des), bagaudes, basoche, basque (Pays), Béarn (vicomte de), Blois (comté de), cabochienne (révolte), calendrier, Carmel (le), Catalogne, Charles V, Charles VI, Châtillon (maison de), downloadModeText.vue.download 8 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE chevalerie (ordres de), Childéric Ier, Chrodebang (saint), Colette de Corbie (sainte), Colomban (saint), Compagnies d’armes, Compiègne (ordonnance de), concordat, Dagobert Ier, dominicains, droit romain, enfants (croisade des), États latins d’Orient, Eudes Rigaud, faide royale, fédérés (peuples), flagellants, franciscains, Gascogne, Ge- neviève (sainte), Gerson, Grégoire de Tours, Guillaume Ier le Bâtard dit le Conquérant, Guillaume V le Grand, Guinegatte (bataille de), Guyenne, Hugues Ier Capet, immunité, Inquisition, Investitures (querelle des), Jacques de Vitry, Jean XXII, Jouarre (crypte de), Joyenval (abbaye de), langue d’oc, Limousin, Martin (saint), Mélusine, millénarisme, ministériaux, missi dominici, Monfort (Simon IV de), Ordonnance de réformation du royaume, papauté d’Avignon, Paris (traité de, 1229), Paris (traité de, 1259), partages du royaume franc, pastoureaux (croisade des), patronage, Pépin III le Bref, Philippe II le Hardi, Pierre le Vénérable, Pierre Lombard, Pippinides, Poitiers (bataille de, 732), Poitiers (bataille de, 1356), prévôté, Rashi, Robert d’Arbrissel, Robert Guiscard, Robertiens, Rollon, Saint-Clair-surEpte (traité de), Saisset (Bernard), Sanche Sanchez, Saxons, Syagrius Afranius, Toison d’or (ordre de la), Verdun (partage de), Vincennes (édit du Bois de), Vincent de Beauvais, Vouillé MÉNAGER (Bernard) COMMUNE, EMPIRE (SECOND), Faidherbe, Fédérés (mur des), lois constitutionnelles de 1875, Napoléon (le prince), Napoléon III, Persigny, République (IIe), révolution de 1848, Semaine sanglante, Thiers, Tiers Parti, Wallon MERIA (Maria) Reynaud MIGNOT (Claude) baroque MINARD (Philippe) Boisguilbert, cahiers de doléances, Calonne, Canada, chocolat, Code noir, Colbert, commerce triangulaire, commission royale, contrôleur général des Finances, croquants, despotisme éclairé, Dupont de Nemours, Eaux et Forêts (administration des), Ferme générale, Gobelins (Manufacture royale des), Gournay (Vincent de), grains (circulation des), indiennes, La RochefoucauldLiancourt, Laffemas, Laverdy, libreéchange (traité de 1786), libre- échange (traité de 1860), Loménie de Brienne, Machaut d’Arnouville, manufactures royales privilégiées, Maupeou, mercantilisme, Montchrestien MONIER (Frédéric) Ben Barka (affaire), Briand, Canard enchaîné, CGTU, Cinquième Colonne, CNPF, Combes, Comité des forges, Constitution de 1946, Deschanel, Langevin, Leygues, Mata Hari (affaire), Merrheim, Ruhr (occupation de la), SDN, Stresa (conférence de) MORICEAU (Jean-Marc) famine, PAYSANNERIE MOUSSY (Hugues) Aragon (Louis), Austerlitz, Berthollet, Broussais, Buffon, Carnot (Lazare), Coudray (Marguerite du), École normale supérieure, famine (complot ou pacte de), Farines (guerre des), Fourcroy (comte de), Goussier, Guyton de Morveau, hôpital général, Idéologues, Jussieu, Lanthenas, Laplace, Lavoisier, Marat, Marseille (peste de), Ménétra, Menou, Mercier (Louis Sébastien), Monge, Murat, nourrice (mise en), système métrique, Temps (le), tiers état, Tuiles (journée des), variole, Vicq d’Azyr, Vizille (assemblée de), vol de l’Aigle MUCHEMBLED (Robert) police, SORCELLERIE, tribunaux MURACCIOLE (Jean-François) Afrique du Nord (débarquement d’), armistice de 1940, Bir-Hakeim, Combat, Comité français de libération nationale, Conseil national de la Résistance, Darlan, défaite de 1940, FFI, FFL, France libre, Frenay, Front national, Giraud, juin 1940 (appel du 18), Libération, maquis, Moulin, OCCUPATION, OCM, Paris (protocoles de), RÉSISTANCE, Riom (procès de), Vercors (maquis du), VICHY (RÉGIME DE) N’DIAYE (Pap) Laffitte, or OFFENSTADT (Nicolas) antimilitarisme, Brétigny-Calais (traité de), chroniques médiévales, Faure, guerres privées, pacifisme, paix au Moyen Âge, serment PASSERA (Fabio) Aguesseau, Bernis, Bourbon (famille), Chevreuse (Marie de Rohan-Montbazon), Condé (Monsieur le Duc), Conseil de conscience, Épée (abbé de l’), Filles de la Charité, Fontenelle, Héroard, polysynodie PÉCOUT (Gilles) agrariens, anticolonialisme, banquet républicain, Chemises vertes (les), commune, Crimée (guerre de), Flourens, Méline, Premier Mai, Reclus (Élisée), Solferino, Suez (canal de), Tristan (Flora) PÉCOUT (Thierry) Graufesenque (la), missions, Trésor royal PELLET (Rémi) Corps législatif, Cour des comptes, Crédit agricole, Crédit lyonnais, douane, droits de l’homme (Société des), emprunts russes, Gaudin, impôt sur le revenu, Législative (la), Marie (André), Palais-Royal, Royer-Collard, Société générale, Talleyrand-Périgord, Teilhard de Chardin, Tribunat PERVILLÉ (Guy) Algérie, ALGÉRIE (GUERRE D’), COLONISATION, DÉCOLONISATION PETITEAU (Natalie) Allemagne (campagne d’), Berry (assassinat du duc de), biens nationaux, bonapartisme, Boulogne (camp de), Cambacérès, Cambronne, Chambre introuvable, Chevaliers de la foi (les), coalitions, Conseil d’État, Courbet, Davout, décembre 1851 (coup d’État du 2), demi-solde, domestiques, Junot, Lanjuinais, Lannes, Lebrun, Lefebvre, Légion d’honneur, maréchaux de l’Empire, Marie-Louise, Masséna, Michel (Louise), Midi viticole (révolte du), Mollien, Napoléon II, Ney, noblesse d’Empire, octobre 1789 downloadModeText.vue.download 9 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE (journées des 5 et 6), Ouvrard, Portalis, prairial an VII, révolu- tion industrielle, Roederer, Russie (campagne et retraite de), SaintCyr (École spéciale militaire de), Saint-Nicaise (attentat de la rue), Saint-Ouen (déclaration de), Savary (Jean Marie René), Sieyès, Soult, ultraroyalistes, vendémiaire an IV PEVERI (Patrice) Cartouche, lettre de cachet, Mandrin, mendicité (dépôts de) PINOL (Jean-Luc) Grève (place de), Hôtel de Ville de Paris, PARIS, préfet PLASSARD (Jean-Charles) Normandie POISSON (Jean-Michel) CHÂTEAU POUYFAUCON (Hélène) Barbie (procès), Pleven, référendum POZNANSKI (Renée) antisémitisme, Drancy (camp de), JUIFS, Juifs (statut des), Struthof (camp du), Vel’d’hiv (rafle du) PREST (Véronique) Académie française, Expositions universelles, Lamartine, Loire (châteaux de la) PRÉVOTAT (Jacques) Action française (l’), Maurras, nationalisme PRIGENT (Michel) CLASSICISME PROCHASSON (Christophe) Albert (Marcelin), Amiens (Charte d’), anarcho-syndicalisme, Bloc des gauches, Boulanger, bourse du travail, CGT, DREYFUS (AFFAIRE), Drumont, Fort-Chabrol, Fourier, Fourmies (fusillade de), Guesde, Herr, Humanité, Internationale (Ire), Internationale (IIe), Internationale (l’), JAURÈS, Lafargue, Ligue de la patrie française, Ligue des patriotes, Malon, Pelloutier, Picquart, Proudhon, SFIO, Sorel (Georges), Thomas (Albert), Vaillant (Édouard) PUZELAT (Michel) almanach, Crémieu (édit de), don gratuit, Gévaudan (bête du), Grand Hiver, Grand Trie, Habsbourg (lutte contre les), « L’État c’est moi », lit de justice, Maison du roi, Marie de Médias, mazarinades, Meaux (cercle de), Mercoeur, Moulins (ordonnance de), Ormée (révolte de l’), Paris (traité de, 1763), pays d’élections, pays d’états, Préréforme (la), présidiaux, Ravaillac, Succession d’Autriche (guerre de la), Succession de Pologne (guerre de la), Valois-Angoulême, Vergennes, Versailles (traité de, 3 septembre 1783), vingtième RICHARD (Jean) LOUIS IX RICHE (Denyse) ABBAYES, bénédictins, Bernard de Clairvaux, chartreux, cisterciens, cluniciens, décime, Fontevraud, Hugues de Die ROCHEFORT (Florence) féminisme RODRIGUES (Jean-Marc) BELLE ÉPOQUE, Père-Lachaise (cimetière du), Sanson, « Travail, Famille, Patrie » ROSA (Guy) Hugo (Victor) ROSSELLE (Dominique) céréales ROTH (François) Alsace-Lorraine (question d’), franco-allemande (guerre), Lorraine SACQUÉPÉE (Benoîte) jeu de l’oie, jeu de paume SALVADORI (Philippe) Alès (édit de grâce d’), Anjou (Philippe, duc d’), Arnauld, Augsbourg (guerre de la ligue d’), bâtard, Beaufort (duc de), billets de confession (affaire des), camisards (révolte des), Cavalier (Jean), chasse, Corbie, Croÿ, Denain, Désert (assemblées du), Dettingen, Dévolution (guerre de), dévot (parti), dragonnades, Flagellation (séance de la), Fleurus (bataille de), Guyon (Mme), Haye (Grande-Alliance de La, 1668), Haye (Triple-Alliance de La, 1673), Haye (Triple-Alliance de La, 1717), Hollande (guerre de), Hougue (la), Importants (cabale des), Invalides (Hôtel des), Jean Eudes, La Reynie, Lionne (Hugues de), Louvois, Luxembourg (duc de), Luynes (duc de), Mabillon, Maintenon, Marguerite-Marie Alacoque (sainte), Marie de l’Incarnation, Marillac, Mère Angélique, milice royale, Monsieur (Philippe de France, dit), Montpellier (paix de), Nantes (révocation de l’édit de), Neerwinden, Nicole, Nimègue (traités de), Nouvelles ecclésiastiques, Olier, Orléans (Gaston, duc d’), Péréfixe, Port-Royal, Pyrénées (traité ou paix des), quiétisme, Rastadt (traité de paix de), remontrances (droit de), Rethel, Réunions (politique des), Rochelle (siège de La), Rocroi, Rossbach, Rueil (paix de), Ryswick (traités de), Saint-Cyran, Saint-Sacrement (Compagnie du), Saint-Sulpice (Compagnie de), Savoie (guerre de), Sept Ans (guerre de), Soubise (Charles de Rohan, prince de), Succession d’Espagne (guerre de la), Suffren de Saint-Tropez, suisses, Turenne, Vervins (paix de), Vienne (traité de), Villaviciosa, Villers-Cotterêts, Vincent de Paul (saint), Westphalie (traités de) SANSON (Rosemonde) QUATORZE JUILLET SANSY (Danièle) antijudaïsme, Bibliothèque nationale de France, Château-Gaillard, Clermont (concile de), enluminure, Normands, Reims (cathédrale de) SIRINELLI (Jean-François) Chirac, Giscard d’Estaing, INTELLECTUELS, Pompidou, RÉPUBLIQUE (Ve) TÉTART (Philippe) Globe (le), Guillaumin, Institut Pasteur, Midi (canal du), Mitterrand, Montcalm de Saint-Véran, Montesquiou-Fezensac, Nouvel Observateur (le), Paré (Ambroise), Pâris (frères), RÉPUBLIQUE (IVe), Sartre, Sorel (Agnès), TRENTE GLORIEUSES (LES) TULARD (Jean) Consulat, EMPIRE (PREMIER), NAPOLÉON Ier VANDENBUSSCHE (Robert) Constitution de 1958, Indochine (guerre d’), radical (parti), républicain (parti ou mouvement) downloadModeText.vue.download 10 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE VAVASSEUR-DESPERRIERS (Jean) Alliance républicaine démocratique, Bloc national, Blum, Cachin, Cagoule (la), Chautemps, Clemenceau, communiste français (Parti), Coty, CRISE DES ANNÉES TRENTE, Daladier, Duclos, Fédération nationale catholique, Fédération républicaine, Flandin, FRONT POPULAIRE, Laniel, Laval, ligues, Massilia (affaire du), Pétain, PPF, RÉPUBLIQUE (IIIe), Salengro, Thorez, Tours (congrès de), Union nationale VERGÉ-FRANCESCHI (Michel) Choiseul, Condé (le Grand Condé), Condé (maison de), Conti (prince de), corsaires et pirates, Drap d’or (camp du), Estrées (d’), Fouquet (Nicolas), galériens, Grande Mademoiselle (la), La Barre (chevalier de), Lally-Tollendal, Lamballe (princesse de), Lamoignon (famille de), Le Tellier, Lenclos (Ninon de), Leszczynski (Stanislas), Malesherbes (Chrétien de Lamoignon de), Marie Leszczynska, Marie-Thérèse d’Autriche, MARINE, Masque de fer, Maurepas, Mayenne (duc de), Montespan, ordres (société d’), Palatine (la princesse), Paoli, Régent (le), Retz (cardinal de), Rochambeau, Roussillon, Sartine VIAL (Éric) adresse, AiguesMortes (massacre d’), antifascisme, Bayeux (discours de), Béranger, Bergery, Brigades internationales, Brisson, Broglie (duc de), Caillaux, canuts, Carnot (Hippolyte), Carnot (Sadi), Casimir-Perier (Jean), Champollion, Chant des partisans (le), Charte constitutionnelle, contraception, Courrières (catastrophe de), Couve de Murville, Croix-de-Feu, deux cent familles (les), Doriot, Doumer, Doumergue, drapeau, Faisceau (le), fascisme français, Faure, Fiches (affaire des), franco-russe (alliance), franco-soviétique (pacte), Freycinet), Front républicain, Galliffet, GouvionSaint-Cyr (loi), grippe espagnole, IMMIGRATION, La Rocque, Lebrun, Mandel, Manifeste des 60, Mersel-Kébir, Mexique (expédition du), octobre 1961 (manifestation du 17), Ollivier, phylloxéra, Pierre (l’abbé), Queuille, Ravachol, Rochefort, Rossel, Rouvier, Stavisky (affaire), Tardieu, Vallès WAHL (Alfred) Alsace, Coubertin, Scheurer-Kestner, Schnaebelé (affaire) WAHNICH (Sophie) amis des Noirs (Société des), août 1789 (nuit du 4), Barère de Vieuzac, Cabanis, Cambon (Joseph), Chaumette, Chénier, Cloots (Anacharsis), clubs révolutionnaires, Collot d’Herbois, cordeliers (Club des), enragés, exagérés, fédération, Gouvernement révolutionnaire, Lindet, Paine, patriotisme, République (Ire), Romme, Roux (Jacques), Saint-Just, septembre 1793 (journées des 4 et 5), souveraineté nationale WEILL-PAROT (Nicolas) Ailly (Pierre d’), Sylvestre II WIEVIORKA (Annette) déportation, Papon (procès) YON (Jean-Claude) Eiffel, Eugénie (impératrice), Morny, Rouher ZANCARINI-FOURNEL (Michelle) gauchisme, mai 68, MLF ZOMBORY-NAGY (Piroska) an mil, Anselme de Cantorbéry, ban, dîme, Pépin II de Herstal downloadModeText.vue.download 11 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE Édition Janine Faure, Carl Aderhold et Mathilde Majorel Direction artistique henri-françois Serres Cousiné Réalisation graphique Dominique Dubois et Didier Pujos Recherche iconographique Marie-Annick Reveillon et Valérie Perrin Cartes Laurent Blondel – CORÉDOC Informatique éditoriale Anna Bardon, Philippe Cazabet et Marion Pépin Fabrication Martine Toudert Les cartes extraites du Grand Atlas Historique de Duby ont été entièrement refaites pour cet ouvrage. La première Édition, dont est issu le présent ouvrage, avait été publiée en 1999 sous la direction scientifique de Jean-François Sirinelli et le conseil éditorial de Daniel Couty. © Larousse 2006 Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, du texte contenu dans le présent ouvrage, et qui est la propriété de l’Éditeur, est strictement interdite. ISBN 2-03-582634-9 downloadModeText.vue.download 12 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE PRÉFACE « TOUTE MA VIE, JE ME SUIS FAIT UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE » : ainsi commence le premier tome des Mémoires de guerre du général de Gaulle. Chacun de nous chemine aussi, une vie durant, avec son « idée » de la France. Tout être humain, en effet, consciemment ou pas, se situe dans la chaîne du temps, ressentant plus ou moins fortement le poids du passé et se projetant dans l’avenir. Cette perception varie avec l’éducation reçue et la culture familiale transmise, et dans ces jeux de miroirs, forcément déformants, l’historien occupe une place particulière. À tout prendre, il apparaît comme, tout à la fois, l’artisan et le gardien d’une sorte de mémoire savante, celle que notre communauté nationale donne d’elle-même. Et c’est une noble tâche, en vérité, que celle de cette corporation d’artisans : il s’agit pour celle-ci de tenter d’exhumer, avec tout le soin requis, les vestiges d’un passé aboli ou encore tout proche. C’est aussi une rude tâche. Car rien n’est plus difficile que de redonner vie à un monde disparu. C’est dire que le présent dictionnaire encyclopédique vient à son heure. D’une part, il est sans équivalent dans l’édition française ou étrangère. D’autre part, sa mise en oeuvre a été permise par l’actuel rayonnement de l’école historique française : il a été possible, en effet, de recruter au sein de celle-ci une équipe d’historiens ayant le goût des entreprises collectives, le souffle pour des synthèses de longue haleine et le talent pour exposer le fruit d’une science avec toute la clarté souhaitable. La réalité humaine étant multiforme, aucune sensibilité historiographique ne peut en revendiquer la clé unique d’interprétation, et l’on a veillé dans cet ouvrage à ce qu’un pluralisme des approches soit garanti. Par-delà un principe de simple équité, il y avait là un gage de qualité et d’intelligence historique. Intelligence historique ? Là est, au bout du compte, l’essentiel. Car si la mission assignée à la discipline historique est, on l’a dit, d’exhumer les vestiges d’un passé aboli, elle est aussi de leur donner sens. Dans une telle perspective, la formule du dictionnaire encyclopédique est précieuse. Un ouvrage de ce type est avant tout, faut-il le rappeler, un instrument de transmission et donc de culture. Partie d’un constat, celui de l’absence d’une oeuvre de ce type dans le paysage éditorial actuel, soustendue par une intuition, celle qu’il est désormais possible de combler une telle lacune, portée enfin par un double impératif de lisibilité et de sérénité, cette entreprise s’inscrit aussi dans un cadre chronologique. Par-delà le caractère d’évidence d’une telle remarque, la question qu’elle induit est loin d’être simple : jusqu’où remonter pour étudier une entité – la France – qui ne s’est dégagée que progressivement et, à l’échelle du temps, très lentement ? La réponse est, bien sûr : le plus loin possible vers l’amont. Seule une remontée vers la source permet de mettre en lumière le long processus de gestation de notre communauté nationale. Il y a bien là une lente alchimie, dont seul le déploiement de la science historique autorise l’analyse. Si cette quête des origines est forcément complexe – sans compter qu’elle n’est pas toujours dénuée, dans le débat politique contemporain, d’arrière-pensées partisanes –, l’ampleur du dispositif intellectuel que constitue ce dictionnaire encyclopédique ne peut qu’être un atout pour sa mise en oeuvre. Le rideau peut maintenant s’ouvrir sur l’histoire de la France et des Français. JEAN-FRANÇOIS SIRINELLI downloadModeText.vue.download 13 sur 975 downloadModeText.vue.download 14 sur 975 A Abailard ! Abélard Abbas (Ferhat), dirigeant nationaliste algérien (Taher, Algérie, 1899 - Alger 1985). Fils d’un caïd, Ferhat Abbas préside dans sa jeunesse l’Association des étudiants musulmans d’Alger (AEMA). Installé comme pharmacien à Sétif, il milite pour l’assimilation, réfutant dans ses écrits l’existence d’une nation algérienne. Mais, après l’abandon du projet Blum-Viollette (1936), il évolue vers des positions autonomistes, qui prennent corps au début de la Seconde Guerre mondiale. Il est ainsi l’un des principaux rédacteurs du Manifeste du peuple algérien (février 1943), et de son Additif (mai 1943), qui réclame la formation d’un « État algérien démocratique et libéral » tout en reconnaissant à la France un « droit de regard ». En mars 1944, Ferhat Abbas fonde, avec Ahmed Francis, l’Association des amis du Manifeste et de la liberté (AML). Emprisonné après les émeutes de Sétif (mai 1945), puis amnistié, il siège à la deuxième Constituante (juin-novembre 1946) et fonde, la même année, l’Union du Manifeste algérien (UDMA), parti nationaliste modéré. En avril 1956, il rejoint les dirigeants du Front de libération nationale (FLN) au Caire et, en septembre 1958, est porté à la présidence du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Il défend une ligne modérée qui lui vaut d’être destitué en avril 1961. Élu président de l’Assemblée constituante au lendemain de l’indépendance (1962), il démissionne en août 1963, avant d’être exclu du FLN. Tour à tour déchu et réhabilité, il ne joue plus, dès lors, de rôle politique notable, mais publie la Nuit coloniale (1962), Autopsie d’une guerre (1980), l’Indépendance confisquée (1984). l ABBAYES. À partir du IVe siècle, certains chrétiens, désireux d’approfondir leur foi, et en quête d’ascèse, choisissent de se retirer du monde, de devenir moines (du grec monakhos, « solitaire »). En Occident, la vie monastique, ou monachisme, privilégie le cénobitisme (du grec koinobion, « vie en commun ») au détriment de l’érémitisme (du grec erêmitês, « qui vit dans la solitude », tiré de erêmos, « désert »). La vie monastique est présentée comme un modèle, un idéal pour la chrétienté. Ces communautés de moines s’installent dans des abbayes (monastères dirigés par un abbé), dont la finalité religieuse n’exclut pas d’exercer d’autres influences sur la société. Les abbayes connaissent leur plus grand rayonnement au Moyen Âge. C’est alors le temps des moines. LES ABBAYES AU SERVICE DE LA FOI • L’essor monastique. Les premières abbayes se développent à partir du IVe siècle. Elles sont régies par des règles diverses, avant que s’exerce, dans la Gaule mérovingienne, l’influence du monachisme celtique, soumis à la règle de saint Colomban. Celle-ci, qui insiste sur la prière et la mortification, est éclipsée par une autre, plus modérée : la règle bénédictine. Rédigée après 534 par Benoît de Nursie pour l’abbaye du Mont-Cassin, qu’il a fondée vers 529, elle est adoptée en Italie, avant que Benoît d’Aniane l’impose dans l’Empire carolingien (capitulaires de 816 et 817). Les troubles des IXe et Xe siècles entraînent de graves dommages pour les abbayes (dévastation, mainmise des laïcs...), mais ils ne remettent pas en cause leur existence. Les Xe et XIe siècles connaissent une restauration de la vie monastique, d’abord avec Cluny (909), puis avec des fondations qui, pour retrouver la vita apostolica, insistent sur le renoncement au monde, préconisent une plus grande austérité et une application stricte de la règle de saint Benoît : La Chaise-Dieu (1043), Grandmont (1074), Cîteaux (1098), Fontevraud (1100-1101). La Grande-Chartreuse (1084) innove en alliant stabilité monastique et vie érémitique. Les difficultés des XIVe et XVe siècles n’épargnent pas les abbayes, qui souffrent, par ailleurs, du développement de la commende (attribution d’un bénéfice ecclésiastique majeur à un clerc séculier ou à un laïc qui en perçoit les revenus sans résider sur place) : il en résulte une altération de l’idéal et du mode de vie. En dépit de quelques tentatives de redressement au XVe siècle, l’institution monastique est mise en cause par les humanistes et la Réforme. Les guerres de Religion provoquent de nouvelles perturbations. Dans l’esprit du concile de Trente, le XVIIe siècle est marqué par une réorganisation du monachisme : les cisterciens adoptent la règle de l’« étroite observance » (1618), et des congrégations bénédictines sont instituées (Saint-Vanne, 1604 ; Saint-Maur, 1621), qui contribuent à la mise en oeuvre de la Réforme catholique en France. Directement visées par le décret de l’Assemblée constituante interdisant les voeux monastiques (février 1790) et par la Constitution civile du clergé (juillet 1790), les abbayes connaissent un renouveau après 1833 avec la restauration de Solesmes par l’abbé Dom Prosper Guéranger et la fon- dation de Sainte-Marie-de-la-Pierre-qui-Vire (1850). Après les difficultés que rencontrent les ordres monastiques à la fin du XIXe siècle et au début du XXe (mesures hostiles aux congrégations, querelle des Inventaires), les abbayes se repeuplent à l’issue de la Première Guerre mondiale. • Vivre selon une règle. Écoles d’ascèse et de spiritualité, les abbayes ont des origines différentes : fondations pieuses créées par des laïcs, initiative de quelques personnes en quête d’austérité, essaimage à partir de monastères existants. Devenir moine, c’est « se convertir », se séparer du monde, pour s’astreindre à vivre, dans la solitude et le silence, selon une règle. Saint Benoît préconise la modération, et il prévoit un équilibre entre les offices, la prière, l’activité intellectuelle et le travail manuel. L’accent est mis sur l’humilité, la pauvreté et la charité. Le travail manuel constitue l’un des moyens de parvenir à l’humilité. Mais la règle n’édicte pas tout : ce sont les coutumes qui organisent la vie quotidienne. L’adoption de nouvelles coutumes traduit un effort de réforme ; des liens entre les monastères se tissent, qui peuvent aller jusqu’à l’affidownloadModeText.vue.download 15 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 4 liation à un ordre. La diffusion des coutumes témoigne du rayonnement et de l’influence qu’exercent certains monastères. Après avoir prononcé des voeux d’obéissance, de stabilité et de conversion des moeurs, le moine est avant tout celui qui chante la gloire de Dieu et prie pour le salut des chrétiens, les vivants et les morts. Une prière qui, soutenue par la méditation, s’exprime lors des offices divins. Intercesseur entre l’homme et le sacré, entre l’ici-bas et l’au-delà, le moine recueille les bénéfices de la « communion des saints » ; à cette médiation participent les reliques dont les abbayes sont dépositaires. Les fidèles recourent aux prières des moines, considérées comme les plus efficaces, à l’égal de celles des pauvres. Entre les monastères se constituent des associations de prières ; une parenté spirituelle à laquelle les laïcs peuvent adhérer. Les noms de morts pour qui est chanté l’office sont alors inscrits dans un nécrologe. • Les habitants de l’abbaye. La communauté évolue sous la direction d’un supérieur : l’abbé (certains ordres, par humilité, préfèrent le terme de prieur). La règle bénédictine prévoit son élection à vie, mais, selon les périodes, il est parfois désigné par les familles aristocratiques qui avaient fondé l’abbaye, ou par le roi, ainsi qu’en décida le concordat de Bologne, en 1516. La tendance, au XVIIe siècle, fut de limiter la durée de l’abbatiat, alors que, sous la restauration monastique, au XIXe siècle, le choix opposé prévalut. L’abbé exerce des prérogatives spirituelles et temporelles ; il doit être un père pour ses moines (abba, « père »). Il est secondé par un prieur (éventuellement deux : grand prieur et prieur claustral), qui succède à l’ancien prévôt, ou par un doyen (leurs attributions varient en fonction des coutumes), et par différents officiers (chambrier, cellérier, sacriste, chantre, aumônier, hôtelier, infirmier, maître des novices...). Le Moyen Âge distingue les moines profès, appelés également « moines de choeur » (la plupart sont des prêtres), des convers, qui ne sont pas astreints aux mêmes obligations liturgiques, et dont le statut varie selon les ordres. L’institution des oblats (enfants voués à la vie monastique) ayant décliné dès le XIIe siècle, le renouvellement est assuré par des novices qui, au terme d’une période de formation, font profession, acte qui marque leur admission au sein de la communauté. Le monastère est organisé de manière à limiter les recours à l’extérieur. DES FOYERS DE CULTURE • Un ensemble architectural. L’abbaye, destinée à des hommes qui ont renoncé au monde, est une anticipation de la vie céleste. L’église préfigure la Jérusalem céleste. Élément essentiel et symbolique par son orientation et sa configuration, l’église, ou abbatiale, doit s’adapter à la liturgie. La « cléricalisation » des moines entraîne une multiplication des autels dans les collatéraux et les chapelles absidiales. Sans être uniforme, le plan des abbayes présente des caractéristiques communes : l’espace monastique est clos ; jouxtant l’église, le cloître, lieu de silence et de méditation, accueille, dans la galerie orientale, la salle capitulaire où se rassemble la communauté pour le chapitre quotidien ; les bâtiments conventuels se répartissent entre le dortoir, le réfectoire, le scriptorium (salle d’études et de copie de manuscrits), le chauffoir, l’infirmerie, la cuisine et quelques annexes. Les hôtes de passage, les pèlerins, sont reçus à l’hôtellerie ou à l’aumônerie. Convers et novices dis- posent d’installations particulières. Dès la fin du Moyen Âge, le recul de la vie communautaire se traduit par l’existence du logis abbatial et par la généralisation de cellules pour les moines. La vocation érémitique des chartreux a conduit ceux-ci à opter pour de petites maisons avec jardin où les moines vivent seuls durant la semaine, la vie communautaire se limitant à l’église et à la salle capitulaire, tandis que les convers disposent de leur propre bâtiment. Le patrimoine foncier des abbayes est mis à mal lorsque l’Assemblée constituante décrète, le 2 novembre 1789, que tous les biens ecclésiastiques sont « à la disposition de la Nation ». La survivance de nombreux édifices n’est due qu’à leur transformation en pensionnats, ateliers, ou, sous l’Empire, en maisons de détention (telle l’abbaye de Clairvaux, en 1808). Au début du XXe siècle, les lois sur les congrégations entraînent la confiscation et la liquidation des biens. • Les arts et les lettres. Les abbayes prennent une part active dans l’élaboration des différentes formes d’art. Signes du renouveau que connaît l’Occident, les constructions monastiques fleurissent à partir du XIe siècle et diffusent d’abord l’art roman (Saint-Benoîtsur-Loire, Saint-Martial de Limoges, SainteFoy-de-Conques, Saint-Sernin de Toulouse, Cluny, Moissac), puis l’art gothique avec Saint-Denis, reconstruit par Suger. Pour ce dernier comme pour les clunisiens, la beauté de l’architecture et de l’ornementation est mise au service de la louange divine : elle permet à l’âme de s’élever jusqu’à Dieu. Cette conception suscite une vive réaction chez les cisterciens qui, à l’instigation de saint Bernard, refusent tout décor peint ou sculpté, tout vitrail de couleur, car de nature à distraire l’esprit des moines. Dans les abbayes cisterciennes se développe alors une esthétique imprégnée de rigueur, d’austérité, de dépouillement, qui privilégie la pureté des lignes (Fontenay, Sénanque, Le Thoronet). Au fil des siècles, les bâtiments conventuels seront souvent réaménagés, ainsi qu’en témoignent les constructions monumentales du XVIIIe siècle. Ces disparités architecturales attestent la pérennité de l’institution. Jusqu’au XIIe siècle, les abbayes demeurent les hauts lieux de l’élaboration et de la transmission de la culture savante, profane ou sacrée. Après avoir véhiculé l’héritage antique, elles sont l’un des moteurs de la renaissance carolingienne (avec l’adoption d’une nouvelle écriture : la minuscule caroline). C’est dans les scriptoriums que se développent la copie des manuscrits et l’art de l’enluminure (Bible, évangéliaires, sacramentaires). Les invasions normandes, provoquant la fuite des moines, sont à l’origine d’échanges entre différents ateliers d’enluminure. Les moines ne se limitent pas à transmettre un savoir, mais ils élaborent aussi une culture qui se nourrit de l’Écriture sainte, des Pères de l’Église et de l’exégèse biblique. En rédigeant annales, chroniques et recueils de miracles, ils font oeuvre d’historiens. Foyers de culture religieuse, littéraire et artistique, leurs bibliothèques se distinguent par la richesse de leurs fonds. L’apport des moines est également décisif dans le domaine de la musique et du chant grégorien. Mais, à partir du XIIe siècle, la culture monastique, tout en demeurant vivante, n’est plus prépondérante. Les écoles, qui avaient atteint un très haut niveau, déclinent ; désormais réservées aux futurs religieux, ou inexistantes dans certains ordres (cistercien), elles sont concurrencées par les écoles cathédrales et, à partir du XIIIe siècle, par les universités. À l’époque moderne, la congrégation de Saint-Maur renoue cependant avec la tradition en accordant la primauté au travail intellectuel. ABBAYES ET SOCIÉTÉ • Les aspects économiques. Nonobstant l’interdiction de la propriété individuelle et l’obligation de pauvreté pour les moines, les abbayes disposent, grâce aux legs pieux, d’un patrimoine temporel important : les ordres deviennent de grands propriétaires fonciers. Situées à l’écart des zones d’habitation, les abbayes occupent une place importante dans l’activité économique des campagnes : création d’aménagements (moulins, forges, travaux hydrauliques) et mise en valeur de terres par défrichement, assèchement des marais ; des travaux réalisés le plus souvent par les convers. Aussi, du fait de leur rayonnement, et en dépit de leur quête de solitude, certaines abbayes sont à l’origine de la formation d’agglomérations. Les donations pieuses animent un mouvement économique. Au Moyen Âge, l’aristocratie laïque se dépouille au profit des moines - aristocratie de l’Église -, soutenant ainsi les réalisations de l’art roman. Parmi les fonctions économiques qui incombent aux monastères, l’une des plus importantes est la charité envers les pauvres. L’aumône constitue une forme de redistribution de la richesse. Aujourd’hui, de nombreuses abbayes développent des activités artisanales pour des raisons économiques, mais aussi pour que les moines retrouvent pleinement leur vocation initiale : prier et travailler de leurs mains. • L’emprise sur le monde extérieur. Les abbayes constituent, surtout au Moyen Âge, des instruments et des enjeux de pouvoir. Ainsi, certains rois francs les utilisent-ils pour accroître leur influence. Parfois, même, le monachisme est quelque peu détourné de sa finalité : on assigne aux abbayes des fonctions qui dépassent leurs attributions. Par exemple, les Carolingiens, en confiant aux moines des missions nouvelles - évangélisation, prédication, c’est-à-dire des fonctions qui incombent aux évêques -, altèrent la structure du monachisme bénédictin. Parfois soumises à l’autorité laïque, les abbayes sont aussi, surtout au Moyen Âge, détentrices de pouvoir et fort influentes. Elles participent à la christianisation, encouragent la pratique chez les fidèles et élaborent une spiritualité. Dans une société rurale, l’Église se recentre sur les monastères, qui sont les principaux foyers religieux de la France aux XIe et XIIe siècles. Ils savent attirer les membres de l’aristocratie et gagner leur générosité. Les downloadModeText.vue.download 16 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 5 « grands » souhaitent obtenir une sépulture dans les cimetières monastiques, se convertissant parfois à l’heure du trépas. Mais la situation des abbayes vis-à-vis de l’ensemble de la société est quelque peu paradoxale : bien qu’ils soient retirés du monde, cloîtrés, voués à l’ascèse, les moines prétendent exercer une influence sur leurs contemporains, et ils y parviennent, certes plus ou moins bien, selon les époques. Au Moyen Âge, leur isolement ne leur interdit pas de jouer un rôle économique, ni même politique, comme ce fut le cas pour certaines abbayes chefs d’ordre du Xe au XIIe siècle. Grâce à leur hégémonie religieuse et culturelle, les moines n’ont-ils pas tenté, parfois, de modeler la société à leur image ? Ainsi, le XIe siècle a placé son idéal dans les principes mêmes du monachisme. abbevillien ! paléolithique Abd el-Kader (Mohieddine, dit l’émir), en arabe Muhyiddin Abdul Qadir, émir arabe d’Algérie (près de Mascara, Algérie, 1808 - Damas, Syrie, 1883). Issu d’une famille maraboutique appartenant à la confrérie musulmane des Qadiriyya, il reçoit une éducation religieuse et guerrière qui établit sa réputation en Oranie (Ouest algérien). Lorsque la France occupe les côtes algériennes, à partir de 1830, les tribus de cette région le proclament émir et « envoyé de Dieu » chargé de repousser les troupes françaises. Il s’impose rapidement par la mise au pas de certaines tribus réfractaires et, surtout, par le succès de ses opérations de guérilla contre les Français. Harcelés militairement, ceux-ci finissent par négocier avec lui dans l’espoir d’instaurer un protectorat allié aux confins des zones qu’ils occupent. Par le traité signé avec le général Desmichels (1834), puis par la convention de la Tafna (1837), négociée avec le général Bugeaud, la France reconnaît à l’émir un vaste territoire qui s’étend sur les provinces d’Oran, d’Alger, du Titteri, et jusque dans le Constantinois. Abd el-Kader s’emploie à y construire un véritable État, l’unifiant etle pacifiant par les armes, créant une nouvelle administration sur des bases islamiques, réformant l’impôt et la justice. En novembre 1839, comprenant que le temps risque de jouer en faveur des Français, il reprend l’offensive, et dévaste les plaines colonisées de la Mitidja. Commence alors une guerre sans merci entre l’émir et les armées françaises, réorganisées et dirigées par Bugeaud, lequel vise désormais la conquête totale du territoire algérien. Après quelques premiers succès, Abd el-Kader subit des revers importants (prise de la Smala, en mai 1843). À la fin de 1843, il doit se réfugier au Maroc, où il obtient le ralliement du sultan Abd ar-Rah-man à sa cause. Mais, après la défaite de l’armée marocaine à la bataille de l’Isly (14 août 1844) et le traité franco-marocain de Tanger (18 septembre 1844), l’émir est refoulé en Algérie. Isolé, pourchassé, il remporte cependant, avec une poignée de fidèles, quelques ultimes succès (Sidi-Brahim, 23 septembre 1845), avant sa reddition finale au général de Lamoricière le 23 décembre 1847. Emprisonné en France pendant cinq ans, il est finalement libéré et se rend à Brousse (Bursa, Turquie), puis à Damas (Syrie), où il se consacre à la méditation religieuse et à la rédaction d’une oeuvre mystique. Il garde toutefois de bons contacts avec la France, protégeant notamment les Européens de Damas lors des émeutes antichrétiennes de 1860. Abd el-Kader, qui fut tour à tour l’adversaire et l’ami de la France, aura forcé le respect de tous. Il est aujourd’hui célébré comme l’un des pionniers de la lutte anticoloniale et comme le fondateur de la nation algérienne. Abélard ou Abailard (Pierre), philosophe et théologien (Le Pallet, près de Nantes, 1079 - près de Chalon-sur-Saône, 1142). Pierre Abélard, né dans une famille de chevaliers, est l’un des esprits les plus brillants de la première moitié du XIIe siècle. Son talent se révèle rapidement, à Paris, dans les débats (quaestiones) qui l’opposent à son maître Guillaume de Champeaux, écolâtre de NotreDame et fondateur de la collégiale de SaintVictor. Chassé par Guillaume, Abélard fonde sa propre école, à Melun, puis à Corbeil. Dès cette époque, il est considéré comme un maître, et adulé. Après quelques années d’interruption due à la maladie, il revient à Paris pour affronter de nouveau le vieux Guillaume. Sa méthode est la dialectique, confrontant les textes et les idées contradictoires. Le terrain de l’affrontement est la logique ; le contenu du débat, la querelle des universaux, où il oppose le conceptualisme aux impasses du réalisme et du vocalisme (une forme de nominalisme). Délaissé par ses élèves, Guillaume se retire à Saint-Victor, abandonnant la montagne Sainte-Geneviève à Abélard. Logicien et philosophe reconnu, ce dernier décide alors de s’attaquer à la théologie. Déçu par l’enseignement d’Anselme de Laon, il improvise un commentaire sur Ézéchiel, en appliquant au texte les méthodes mises au point dans ses travaux de logicien. L’auditoire est enthousiaste, et de nombreux élèves quittent Laon pour le suivre à Paris. C’est alors que la vie d’Abélard connaît son premier tournant : sa rencontre avec la jeune Héloïse vers 1115, leur amour, la naissance d’un fils, leur mariage secret et, pour finir, sa castration et la claustration d’Héloïse. Malgré leur séparation, ils restent en relation jusqu’à la mort d’Abélard. Entré à Saint-Denis, ce dernier poursuit son oeuvre théologique. Son premier traité, sur la Trinité, est condamné et brûlé au concile de Soissons (1121). À partir de cette date, l’auteur doit faire face à une farouche opposition de la part de ceux qui refusent de voir le mystère chrétien expliqué sur un mode rationnel : saint Bernard n’a de cesse de réduire cette nouveauté, qui lui paraît vaine et blasphématoire. En 1122, Abélard s’enfuit du monastère dionysien et fonde, près de Nogent-sur-Seine, un oratoire - le Paraclet -, où le rejoignent de nombreux disciples. Après un abbatiat diffi- cile dans un monastère breton, il est enseignant à Paris en 1136. Face au succès de son rival, saint Bernard vient prêcher dans la ville, mais ne parvient pas à conquérir les étudiants. En 1140, la dispute organisée entre le moine et le professeur à Sens se révèle être un piège : Abélard se retrouve face à un concile chargé de le juger. Malgré la réticence des évêques réunis à Sens, saint Bernard arrache au pape la condamnation de onze thèses extraites d’oeuvres d’Abélard, qui sont brûlées. Le philosophe, malade, est recueilli à Cluny par Pierre le Vénérable. Il meurt le 21 avril 1142, au couvent de Saint-Marcel. Dans cette apparente défaite, il faut déceler une victoire : les thèses d’Abélard seront unanimement acceptées dès la fin du siècle, ainsi que sa méthode dialectique, exposée dans Sic et non (1134 ou 1136). Avec Abélard est née la scolastique. Aboukir (bataille navale d’), combat qui oppose, dans le cadre de l’expédition d’Égypte, les flottes anglaise et française les 1er et 2 août 1798. C’est le 19 mai 1798 que la flotte française, composée de treize vaisseaux et de quatre frégates, quitte Toulon sous le commandement du vice-amiral Brueys. Le 1er juillet, elle débarque Bonaparte près d’Alexandrie, puis, le 5, jette l’ancre dans la baie d’Aboukir. Pendant ce temps, Nelson, à la tête de quatorze vaisseaux dont les équipages sont bien plus expérimentés que les marins français, s’est lancé à la poursuite de Brueys. Il arrive devant Aboukir le 1er août, en début d’après-midi. Brueys, persuadé que Nelson n’attaquera pas immédiatement, et au risque d’être surpris par la nuit, ordonne à la flotte de rester sur place et de se préparer au combat. Mais l’Anglais veut écraser les premiers vaisseaux de la ligne française avant que les autres aient pu réagir. Vers 6 heures du soir, la flotte anglaise s’avance. Quand Brueys donne l’ordre de tirer, ses vaisseaux sont déjà sous la mitraille. Les combats durent dix-huit heures et se soldent par un désastre pour les Français : deux frégates et onze vaisseaux sont détruits ; aucun chez les Anglais. Les pertes en hommes sont importantes : Brueys est emporté par un boulet ; on compte 1 700 tués et 1 500 blessés parmi les Français. Les conséquences de cette défaite sont considérables : le corps expéditionnaire français en Égypte est isolé, la marine française en Méditerranée anéantie. Aboukir (bataille terrestre d’), combat qui, dans le cadre de l’expédition d’Égypte, oppose l’armée turque commandée par Mustafa Pacha et l’armée de Bonaparte, le 25 juillet 1799. Après l’échec de son avancée sur Saint-Jeand’Acre, Bonaparte doit se replier sur Le Caire. C’est là qu’il apprend le débarquement à Aboukir d’une armée turque renforcée par une escadre britannique. Les Turcs viennent rapidement à bout de la résistance des quelque 300 hommes du fort d’Aboukir et établissent des lignes de défense. Bonaparte décide alors d’attaquer immédiatement avec une dizaine de milliers de fantassins soutenus par un millier de cavaliers commandés par Murat. Le 25 juillet, l’assaut est donné ; la charge, conduite par Murat à la mi-journée, décide du sort de la bataille : le fort est investi, le commandant Mustafa Pacha est fait prisonnier. Plusieurs milliers de ses hommes, tentant de fuir, se downloadModeText.vue.download 17 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 6 noient ou sont tués. Environ 2 000 Turcs se barricadent dans le château d’Aboukir, mais, à court de vivres, ils sont contraints de capituler le 2 août. En sept jours de combat, les Français n’ont perdu que 200 hommes ! En dépit de cette victoire, l’armée d’Orient, toujours coupée de la France par la maîtrise anglaise en Méditerranée, demeure piégée en Égypte. Bonaparte, qui entend jouer les premiers rôles à Paris, l’a bien compris : il s’embarque pour la France le 23 août. Académie des beaux-arts, société artistique fondée le 1er février 1648 sous le nom d’ « Académie royale de peinture et de sculpture », et chargée notamment de défendre les intérêts professionnels des artistes et de « fixer la doctrine » en matière de beaux-arts. Placée sous la protection de Mazarin, elle voit le jour grâce aux initiatives conjointes du sculpteur Sarrazin et des peintres Egmont et Le Brun. C’est un lieu d’échanges, d’expositions et d’enseignement du dessin d’après le modèle vivant. Dès 1655, elle exerce un monopole sur la vie des arts. En 1663, Colbert, par un arrêt du Conseil royal, ordonne à tous les peintres pensionnés de rejoindre l’Académie, sous peine de se voir retirer leur pension. Dissoute en 1793, l’Académie est reconstituée en 1795 et rattachée à la classe « littérature et beaux-arts » de l’Institut de France, créé le 25 octobre de cette même année. L’ordonnance royale du 9 juillet 1816 arrête le règlement de la nouvelle Académie des beaux-arts. Confortée dans son autorité sur l’enseignement artistique et dans son rôle auprès du gouvernement, elle est chargée de préparer les Grands Prix de Rome. Elle est composée de 55 membres répartis en 7 sections : peinture (10), sculpture (8), architecture (9), gravure (4), musique (8), section des membres libres - écrivains d’art, critiques, amis des arts (10), créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel (6), cette dernière section ayant été ouverte depuis 1985. Académie française, institution littéraire fondée par Richelieu en 1635, et qui constitue aujourd’hui l’une des cinq classes de l’Institut de France. Officialisant l’existence d’un groupe de neuf lettrés et écrivains qui se réunissent depuis 1629, Richelieu lui impose une mission d’utilité publique sous la protection et l’autorité royales. « La principale fonction de l’Académie, édictent les statuts, sera de travailler avec tout le soin possible à donner des règles certaines à notre langue, à la rendre pure, éloquente, et capable de traiter les arts et les sciences. » Ce dirigisme linguistique et littéraire s’inscrit dans une politique centralisatrice : temple du « bon usage » et de la promulgation de règles strictes, instance de consécration des grands écrivains, l’Académie est un instrument idéal de contrôle de la langue et des productions de l’esprit. Composée de 40 membres dès 1639, l’assemblée s’assigne la tâche de réaliser un dictionnaire lexicographique, dont la première édition ne verra le jour qu’en 1694. Les Quarante s’attirent, dès le XVIIe siècle, les railleries de ceux qui les taxent de purisme excessif, mais ils parviennent à asseoir leur autorité et leur prestige. Accueillant la plupart des grands écrivains classiques - à l’exception notable de Molière -, l’Académie devient un haut lieu de réflexion et d’échange où la création littéraire acquiert un rayonnement social. Installée au Louvre par Louis XIV, elle décerne des prix, intervient dans les grands débats littéraires et instaure la tradition du discours académique. Le dynamisme de l’institution ne se dément pas durant le siècle des Lumières. L’Académie française ne reste pas étrangère au mouvement des idées nouvelles : elle accueille Voltaire, Turgot, Condorcet et d’Alembert. Elle n’en est pas moins supprimée en 1793, accusée d’avoir « dirigé les littérateurs pour les corrompre et façonner par leurs mains le peuple à la servitude ». • De la norme à la référence. Napoléon la fait renaître, en 1803, sous le nom de « seconde classe de l’Institut de France ». De cette époque datent le fameux habit vert de ses membres et son installation sur la rive gauche de la Seine, dans l’ancien Collège des QuatreNations. En 1816, un décret de Louis XVIII restaure toutes ses anciennes prérogatives : l’Académie française retrouve son nom, sa primauté, ses statuts originels, ainsi que la protection royale. L’institution est le théâtre, tout au long du XIXe siècle, de véritables débats littéraires et politiques, mais ses voies ne recoupent que rarement celles des mutations et révolutions esthétiques. Certes, elle accueille Victor Hugo - après une élection des plus difficiles -, mais elle repousse les candidatures de Stendhal, Balzac, Baudelaire et Verlaine. Le XXe siècle confirme ce compromis entre une relative frilosité et des audaces mesurées : après l’entrée inattendue de Ionesco sous la Coupole (1970), une première femme (Marguerite Yourcenar, 1980) et le premier écrivain d’outre-mer (Léopold Sédar Senghor, 1983) rejoignent les rangs des Immortels. La structure et le fonctionnement de l’Académie n’ont guère changé depuis sa création : un directeur, élu pour une brève période, préside la séance hebdomadaire, tandis que le secrétaire perpétuel, officier le plus important, a la charge de l’organisation générale des travaux. La question de l’utilité d’une telle institution est souvent posée aujourd’hui. Fleuron de l’Académie, le Dictionnaire - dont la neuvième édition est en cours d’élaboration - souffre de lenteurs de procédure, qui risquent de rendre le résultat caduc avant publication. La vitalité de l’Académie se manifeste plutôt dans ses actions multiformes en faveur de la culture française : attribution de quelque cent cinquante prix annuels (tous les genres littéraires sont concernés), subventions accordées à des associations ou à des revues littéraires qui contribuent à la diffusion de la langue et de la pensée françaises. Souvent mal connue par le public, victime de clichés simplistes, l’Académie française a un statut paradoxal dans l’opinion : le fréquent persiflage ou les sarcasmes dont elle fait l’objet ne l’empêchent pas de demeurer une référence prestigieuse. Académie des inscriptions et belles-lettres, académie héritière de la Petite Académie, réunie par Colbert à partir de 1663. Celle-ci, entièrement vouée à la glorification du Roi-Soleil, est chargée de rédiger les inscriptions destinées à orner les monuments, ainsi que d’élaborer les allégories décorant les médailles. Elle a un rôle consultatif et normatif, et contribue ainsi à définir l’art officiel. Dite d’abord « Académie royale des inscriptions et médailles » en 1701, elle prend son nom définitif en 1716. Dès cette époque, elle s’oriente vers les travaux d’érudition historique. Mais la loi du 8 août 1793, qui supprime toutes les Académies royales, met un terme à son activité. Lors de la création de l’Institut de France (25 octobre 1795), les membres relevant de l’Académie sont dispersés dans différentes sections de la deuxième et la troisième classe. En 1803, la réforme de Chaptal redonne une existence à l’Académie, qui constitue désormais la classe d’« histoire et de littérature ancienne » de l’Institut. Elle retrouve son ancien nom par l’ordonnance royale du 21 mars 1816. Les activités de l’Académie sont orientées vers l’étude de l’Antiquité classique et de l’histoire nationale, notamment de ses origines médiévales (Augustin Thierry et Prosper Mérimée), mais aussi vers les études orientalistes (Champollion). Temple de l’archéologie et de l’épigraphie – d’Antoine Jean Letronne à Louis Robert –, elle reste, aujourd’hui encore, un haut lieu de la science historique française. Académie des sciences, société savante réunie à Paris en 1666 par Colbert, sous le nom d’Académie royale des sciences, et qui rassemble alors une vingtaine d’hommes de science (astronomes, mathématiciens, physiciens, anatomistes, botanistes, zoologistes et chimistes), parmi lesquels le Néerlandais Huygens et l’Italien Jean Dominique Cassini, attirés à prix d’or. Les besoins en hommes et en moyens financiers de la science expérimentale du XVIIe siècle rejoignent les préoccupations administratives et le désir de gloire de Louis XIV. En échange de rémunérations, d’investissements techniques, et forte du prestige lié à sa reconnaissance par l’État, la compagnie exécute des programmes royaux tels que le relevé des côtes, nécessaire à la sécurité de la marine, ou l’adduction d’eau pour alimenter le château deVersailles et les bassins, fontaines et jets d’eau de son jardin. Cette science appliquée, dont les résultats demeurent confidentiels, est couplée à un effort dans la recherche fondamentale (création de l’Observatoire royal de Paris, missions astronomiques en France et à Cayenne) qui débouche sur des publications par l’Imprimerie royale, mais s’essouffle à la mort de Colbert, en 1683. En 1699, l’Académie s’installe au Louvre, reçoit enfin un statut qui la répartit en sections et hiérarchise ses 70 membres, et voit sa mission redéfinie. Association d’hommes de science plutôt qu’équipe de recherche, elle adjoint à l’expertise administrative un rôle public que symbolise l’habile vulgarisateur Fontenelle, son secrétaire perpétuel de 1699 à 1740. Elle oriente les recherches par les questions de downloadModeText.vue.download 18 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 7 ses concours publics, examine les inventions, rend compte chaque année de ses travaux dans Histoire et mémoires de l’Académie royale des sciences. Ses membres participent également à la rédaction du Journal des savants, fondé en 1665, puis à l’Encyclopédie, dont l’académicien d’Alembert est co-animateur. Réformée en 1785 par Lavoisier, elle bénéficie à la fin de l’Ancien Régime d’une telle renommée que, dans l’Europe des despotes éclairés, des institutions fonctionnant sur son modèle sont créées. Supprimée par la Convention en 1793 après que ses membres eurent défini le nouveau système métrique, l’institution renaît en 1795. Elle occupe le premier rang en nombre (60 membres) et en prestige au sein du nouvel Institut. Si elle conserve au XIXe et au XXe siècle sa fonction de reconnaissance sociale des activités savantes, l’Académie ne participe plus à l’évolution des sciences par des recherches propres. Elle se contente de susciter les initiatives (par des prix et des bourses), d’appuyer certains scientifiques (en 1865, elle prend parti pour Pasteur dans le débat qui l’oppose à la Société de médecine à propos de la génération spontanée) ou d’enregistrer et de diffuser dans ses Comptes rendus hebdomadaires (publiés depuis 1835) les découvertes et inventions faites dans les laboratoires industriels et d’autres institutions, dont les facultés des sciences ou le CNRS. Réformée en 1975, puis en 2002-2003, elle travaille depuis dans les domaines de l’application des découvertes scientifiques et de l’éducation des sciences, et entend faire figure d’autorité morale. Académie des sciences morales et politiques, l’une des cinq académies composant l’Institut de France, créé le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795). Contrairement aux deux autres classes de l’Institut, celle-ci ne succède à aucune académie d’Ancien Régime. Elle prend la relève de clubs plus ou moins éphémères, dont celui de l’Entresol, auquel appartint Montesquieu, ou s’inspire de l’esprit de certaines académies provinciales. S’inscrivant dans le droit-fil de la philosophie des Lumières, elle oeuvre à la promotion, à côté des sciences exactes, des sciences qui s’attachent à l’étude de l’homme, de ses moeurs, de son organisation en société et de son gouvernement. Cependant, par l’arrêté du 3 pluviôse an XI (23 janvier 1803), Bonaparte restructure l’Institut : les membres de la deuxième classe sont répartis entre les quatre classes nouvellement organisées. Volonté de réprimer la liberté de l’esprit et les Idéologues ou simple réorganisation d’une classe bien hétérogène ? En 1816, Louis XVIII ne restaure pas l’Académie, institution républicaine. Il faut attendre 1832 pour la voir renaître, à l’initiative de Guizot. Sous le Second Empire, elle est un pôle de l’opposition libérale, représentée par Tocqueville, Michelet, Odilon Barrot, Thiers ou Auguste CasimirPerier. Son activité est alors intense : publication des comptes rendus de séance dans la Revue de l’Académie des sciences morales et politiques, production de nombreux rapports sur l’état social de la France, dont celui de Villermé... Cette activité s’est maintenue même si, au XXe siècle, l’influence de l’Académie sur le monde politique et le mouvement des idées tend à diminuer. académies protestantes, instituts protestants d’enseignement supérieur qui prennent leur essor après la proclamation de l’édit de Nantes (1598) et sont supprimés après sa révocation (1685). Leur finalité principale est la formation de ministres du culte. Des académies protestantes, au nombre de huit, fonctionnèrent à Nîmes, Orthez, Sedan, Saumur, Montauban, Montpellier, Orange et Die. Les trois premières sont créées respectivement par la municipalité, par Jeanne d’Albret et par Henri de la Tour d’Auvergne. Les cinq autres le sont par les autorités synodales. L’académie de Nîmes est à l’origine de ce développement. En 1582, sous l’impulsion de Jean de Serres, le collège de Nîmes devient une haute école d’humanités. Après un cycle obligatoire de huit années, l’élève assiste à des leçons publiques libres de mathématiques et d’histoire, une matière alors nouvelle dans l’enseignement. À l’âge de 20 ans, il étudie le droit, la médecine ou la théologie. Les académies contrôlées par les synodes dispensent, quant à elles, une formation essentiellement pastorale. La dogmatique y tient une place prépondérante. Après un cycle de deux ans à la faculté des arts, les étudiants, alors appelés « proposants », entreprennent un cycle de théologie de trois à quatre années et comprenant quatre enseignements : hébreu, grec, théologie et controverse. À Saumur, l’académie la plus célèbre, on compte trois professeurs de théologie, deux de philosophie, un de grec et un de mathématiques. Les académies, inspirées par la rénovation pédagogique introduite par Jean Sturm dans sa Haute École de Strasbourg, valorisent les classiques grecs et latins, à la différence des établissements catholiques. Leur méthode d’enseignement influence même ces derniers. Sur le plan doctrinal, elles sont au coeur de la querelle sur la prédestination : un courant proche de l’arminianisme, qui soutient que Dieu veut le salut de tous les hommes, se développe à Saumur. Cependant, les autres académies restent partisanes de l’interprétation orthodoxe, dans la ligne de Théodore de Bèze et de François Gomar, selon laquelle seuls les élus sont concernés par le sacrifice du Christ. L’académie de Montauban, la plus importante par le nombre d’étudiants, est la gardienne de cette orthodoxie. Néanmoins, une relative tolérance persiste, puisque l’académie de Saumur, bien qu’inquiétée, ne sera jamais condamnée. Malgré la réconciliation de 1649, les proposants saumurois éprouveront des difficultés à trouver un ministère dans les provinces du Sud-Ouest. En revanche, quelques années plus tard, la tentative d’Huisseau et de Pajon d’introduire le cartésianisme est fermement rejetée. académies provinciales, sociétés savantes de province, très brillantes au XVIIIe siècle. Au milieu du XVIIIe siècle, l’Académie française, symbole de la mainmise monarchique sur la culture, est peu à peu gagnée par les idées des Philosophes. À partir de l’élection de Jean d’Alembert, en 1754, la société s’ouvre à l’esprit du temps. En 1760, un discours de l’académicien Lefranc de Pompignan dénonçant les Philosophes et leur « liberté cynique » soulève une tempête : une vague de brochures et de pamphlets submerge le défenseur de la religion traditionnelle. Les Philosophes exploitent cette victoire acquise devant le tribunal de l’opinion, et, en dix ans, de 1760 à 1770, sur quatorze élections en emportent neuf, dont celle de Marmontel. Une institution qui sommeillait est devenue en quelques années l’un des fers de lance de la sociabilité éclairée. Suivant ce modèle, la vie académique française se renouvelle. Ce sont d’abord les autres institutions parisiennes qui se font l’écho de l’esprit nouveau : l’Académie royale des sciences tient sa place sur le devant de la scène intellectuelle, sous l’impulsion de Fontenelle, Maupertuis, Réaumur ; l’Académie des inscriptions et belleslettres, réformée en 1701, acquiert un rôle essentiel dans le renouvellement des travaux historiques, archéologiques, linguistiques, abordant des sujets souvent très sensibles qui figurent au coeur des intérêts philosophiques. • Le creuset des nouvelles élites. L’emprise des Lumières s’étend enfin à la France entière, grâce au réseau des académies de province : il s’agit sans doute là de l’un des phénomènes culturels les plus importants du siècle, ainsi que l’a montré Daniel Roche dans une thèse pionnière publiée en 1978 (le Siècle des Lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789). On recense ainsi 9 académies provinciales en 1710 ; 24 en 1750 ; plus de 40 en 1770. Les trois quarts des villes de plus de 20 000 habitants en sont dotées. Sociétés de savants placées sous la protection des autorités publiques, elles sont fondées, le plus souvent, sur le modèle des académies parisiennes. L’honneur d’en être élu membre est très recherché. Le recrutement social y rassemble les notables municipaux et fait siéger, côte à côte, les représentants de la noblesse urbaine, de la bourgeoisie industrieuse en pleine ascension sociale, et certains clercs et érudits locaux. L’académie devient vite, à l’échelle régionale, « l’instance privilégiée du compromis social, le banc d’essai d’une tentative de fusion où le savoir-faire bourgeois et le savoir-faire nobiliaire s’associent dans une idéologie réconciliatrice de service et de gestion » (D. Roche). Après 1750, nombre de ces académies intègrent à leurs travaux une dimension scientifique : les discours, les poèmes, les traités, reculent devant les mémoires de physique ou de chimie, les plans d’agriculture, les ouvrages d’histoire naturelle. Ce triomphe des sciences fournit un autre indice du poids qu’ont pris ces académies dans la culture du temps : l’esprit d’observation et d’expérimentation gagne partout du terrain. En revanche, les académies de province n’entendent guère le discours politique : elles vouent un culte au monarque et ne sont pas le lieu d’un conflit ou d’une réaction politiques contre la royauté. Leur réputation est généralement liée aux prix, fort courus, qu’elles décernent. L’on sait, par exemple, le rôle tenu par l’académie de Dijon dans la carrière de Rousseau en proposant, au concours, de savoir « si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs ». Ainsi vit le jour le DisdownloadModeText.vue.download 19 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 8 cours sur les sciences et les arts, couronné en 1750, révélation publique d’un nouveau philosophe. Ce genre de compétition culturelle forme d’ailleurs une partie des futurs cadres révolutionnaires. Robespierre, Cerutti, Roland de La Platière, l’abbé Grégoire, pour ne citer qu’eux, ont suivi les étapes de cette sociabilité provinciale qui apparaît, malgré sa rhétorique monarchiste, comme l’un des creusets privilégiés des nouvelles élites du pays. Académies royales, sociétés artistiques ou savantes fondées par la monarchie au XVIe siècle. Venu d’Italie, le mouvement de création d’académies prend une réelle ampleur en France à partir du moment où celles-ci sont parrainées et contrôlées par le roi. En 1570, la première Académie royale - l’Académie royale de poésie et de musique - est instituée, à la demande de Charles IX, par Jean Antoine de Baïf, afin d’organiser les divertissements de la cour. Elle ne représente, toutefois, qu’une pâle ébauche du système académique que Richelieu puis Louis XIV vont mettre en place. En créant l’Académie française (1635), le Cardinal entend se doter d’un instrument de normalisation linguistique et de contrôle des productions intellectuelles. À sa suite, Louis XIV instaure des académies dans chaque domaine artistique : l’Académie royale de peinture et de sculpture (1648), l’Académie des inscriptions et belleslettres (1663), l’Académie royale de France à Rome (1666), l’Académie royale de danse (1669), et l’Académie royale d’architecture (1671). Les artistes les plus talentueux - Lully, Le Brun, Racine, La Fontaine... - sont pensionnés par le roi et travaillent à sa gloire. Colbert accordera d’importants subsides à l’Académie royale des sciences, créée en 1666, car, à ses yeux, la France doit être à la pointe du progrès en Europe. Mais le coût des guerres menées par Louis XIV met fin à ce mécénat royal. Toutefois, l’utilisation des académies à des fins politiques se répand dans toute l’Europe. C’est sous Louis XV que les Académies royales connaissent un renouveau, avec la naissance de l’Académie de chirurgie (1731), et de l’Académie de marine (1750), à Brest, qui a pour vocation de promouvoir les études scientifiques concernant la navigation. Parallèlement, les autres accroissent leur spécialisation : ainsi, des classes de physique générale et de minéralogie voient le jour au sein de l’Académie des sciences. Au XVIIIe siècle, elles deviennent un lieu d’élaboration du savoir, comme en témoigne l’abondante correspondance tenue entre les Académies royales et les académies de province. Demeurant, aux yeux des révolutionnaires, les symboles de l’autorité monarchique dans les domaines artistique et scientifique, elles sont supprimées en 1793 par la Convention. Mais elles réapparaissent dès 1795, sur proposition de Daunou, dans le cadre de l’Institut de France, preuve qu’elles avaient acquis, en un siècle, une véritable légitimité intellectuelle, malgré leur situation de dépendance à l’égard du pouvoir politique. Acadie, ancienne colonie située dans le sud-est du Canada, française de 1604 ou 1605 à 1713. La côte orientale du Canada est reconnue en 1498 par Jean Cabot, puis en 1524 par Verrazzano, qui lui donne le nom d’Acadie. Le premier établissement est fondé en 1604 ou 1605 par le Normand Pierre de Monts, gouverneur d’Honfleur, qui le baptise « PortRoyal ». Mais les Anglais, installés au sud, ne tardent pas à convoiter ce territoire : dès 1613, Samuel Argyll s’empare de certains établissements français. En 1632, Isaac de Razilly occupe à nouveau la colonie avec une petite troupe de 300 hommes d’élite. Son oeuvre est poursuivie entre 1635 et 1650 par Charles d’Aulnay, qui fonde Pentagouet, La Hève, Saint-Jean, Sainte-Anne, dans l’île du Cap-Breton, avant que son rival, Charles de Saint-Étienne de La Tour, ne livre le territoire aux Anglais en 1654. Restituée à la France par la paix de Breda en 1667, l’Acadie ne repasse sous contrôle français qu’en 1670, et, en 1674, Colbert l’incorpore au domaine royal. De 1674 à 1713, la colonie compte 40 gouverneurs, souvent âgés et peu compétents, trop étroitement subordonnés aux gouverneurs généraux du Canada (Québec). Le territoire est mal défendu par une garnison de 200 hommes, et la population demeure très peu nombreuse : 392 habitants en 1671, 1 088 en 1693, et 1 484 en 1707. Les colons, qui ont noué de bonnes relations avec les Indiens Iroquois et Micmacs, assèchent les marais du bassin des Mines. L’agriculture ainsi que les pêcheries de morue prospèrent, notamment après la fondation de la Compagnie de pêche sédentaire des côtes d’Acadie (1682). En 1707, une escadre anglaise assiège PortRoyal. Jugeant cette colonie onéreuse et sans intérêt, le ministre Pontchartrain n’envoie pas de renforts au gouverneur Subercase, qui doit capituler le 10 octobre 1710. En 1713, par le traité d’Utrecht, l’Acadie est officiellement cédée à l’Angleterre, en même temps que Terre-Neuve et la baie d’Hudson, la France ne conservant que l’île du Cap-Breton avec Louisbourg. Mais les Acadiens, demeurés sur leurs terres, refusent le serment d’allégeance à la couronne d’Angleterre, et sont l’objet de diverses tracasseries de la part des Anglais, qui les appellent « Français neutres » (French neutrals). En 1755, lors de l’épisode décisif du Grand Dérangement, 7 000 d’entre eux (sur 15 000) sont expulsés et doivent s’établir dans d’autres colonies ou en France. accapareurs, nom donné, pendant la Révolution, aux individus – cultivateurs, commerçants ou simples particuliers – stockant, sans les mettre en circulation, des denrées de première nécessité. Lié au problème crucial des subsistances et cause de nombreux troubles, l’accaparement est sans cesse dénoncé par les milieux populaires, qui lui imputent la rareté et la cherté des denrées. En fait, après 1790, l’émission indéfinie d’assignats, qui se déprécient, et la guerre (commencée en 1792) sont responsables de l’inflation et de la pénurie. Cependant, faisant prévaloir le droit à la vie sur celui de la propriété, les sans-culottes réclament une économie dirigée et une législation répressive contre l’accapareur, accusé de vouloir affamer le peuple. Partisans du libéralisme économique, les gouvernements qui se succèdent s’opposent à la réglementation, mais, soucieux de faire cesser les troubles, les montagnards se résignent finalement à appliquer une partie du programme des « enragés », qui bénéficient du soutien populaire. Votée le 26 juillet 1793, la loi contre l’accaparement contraint tous les détenteurs de denrées à déclarer et à afficher leurs stocks sous peine d’être punis de confiscation, voire de mort. Peu ou mal appliquée, elle n’est qu’une satisfaction symbolique donnée aux sans-culottes. Après l’arrestation des enragés et des hébertistes, le décret du 12 ger- minal an II (1er avril 1794) adoucit la loi, supprime les commissaires aux accaparements et ne maintient la peine de mort que pour les cas avérés de liaison avec la Contre-Révolution. acheuléen, terme désignant à la fois la première civilisation préhistorique, reconnue comme telle par l’archéologie, et la plus ancienne civilisation préhistorique attestée en France. Identifié dans les carrières de graviers de SaintAcheul, dans la Somme, l’acheuléen, industrie dont les débuts sont datés de - 700 000 ans environ, est associé à Homo erectus, premier hominidé à avoir colonisé l’Eurasie, à partir de l’Afrique, où cette industrie est attestée dans le Nord, en Égypte, au Sahara et en Afrique orientale. De fait, Homo erectus fut le premier à maîtriser le feu. Ainsi, on a retrouvé à Lunel, près de Montpellier, des foyers aménagés datant de - 400 000 ans. Mais l’acheuléen se caractérise surtout par les fameux bifaces en pierre, jadis appelés « coups-de-poing », de forme triangulaire ou ovale, et qui sont les premiers objets symétriques et réguliers jamais fabriqués par l’homme. Homo erectus occupait principalement des campements de plein air, et plus rarement des grottes, telle celle de Terra Amata, près de Nice. Il vivait de la chasse aux grands mammifères, cervidés, éléphants, aurochs, etc. Il n’enterrait pas ses morts. Principalement attesté dans le Bassin parisien et en Aquitaine, l’acheuléen semble coexister avec des civilisations à l’outillage plus sommaire, tels le tayacien au Sud (grotte de Tautavel) ou le clactonien au Nord. L’acheuléen débouche sans rupture sur le paléolithique moyen, aux alentours de - 250 000 ans environ. Action catholique, ensemble des mouvements catholiques qui, au XXe siècle, visent à relancer l’apostolat, notamment laïc, et à influer sur l’organisation de la société par le biais d’une pensée et d’actions cohérentes inspirées de l’Évangile. L’action catholique, somme de mouvements riches par leur diversité plus qu’organisation structurée, naît dès la fin du XIXe siècle d’une volonté et d’une prise de conscience. Volonté, en premier lieu, de peser, au moyen d’une doctrine chrétienne, sur les débats contemporains ; l’heure est opportune : l’encyclique Rerum novarum (1891) a doté l’Église d’une doctrine sociale, et le pontife lui-même a prôné l’acceptation du régime républicain. Prise de conscience, ensuite, de la déchris- tianisation des masses, phénomène connu downloadModeText.vue.download 20 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 9 pour la classe ouvrière mais qui gagne aussi le monde des campagnes. En 1886 est créée l’Action catholique de la jeunesse française (ACJF), qui, malgré son recrutement aristocratique et bourgeois, veille à promouvoir parmi ses cadres des représentants ouvriers et paysans. À l’extrême fin du siècle, le Sillon de Marc Sangnier s’essaie à concilier catholicisme et démocratie. Sa condamnation par Pie X, qui l’accuse dès 1910 de se faire le fourrier du socialisme, témoigne déjà des ambiguïtés propres à tous les mouvements d’Action catholique, partagés entre l’apostolat et l’engagement politique, entre l’autonomie des laïcs et la soumission à l’autorité de l’Église. L’entre-deux-guerres donne lieu à une floraison de mouvements : la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), fondée en 1924 en Belgique par l’abbé Cardijn, essaime en France dès 1926. Sur son modèle se créent bientôt la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) et la Jeunesse indépendante chrétienne (JIC). Se développe aussi l’Action catholique des adultes, qui deviendra le Mouvement populaire des familles, puis le Mouvement de libération ouvrière, avant qu’un rappel à l’ordre de la hiérarchie ecclésiastique n’aboutisse à une refonte du mouvement, qui se transformera en Action catholique ouvrière. À cette époque se définissent les méthodes d’action tandis que les organisations se structurent. Les années cinquante, après l’épreuve de la guerre et l’engagement de nombreux mouvements dans la Résistance, sont une période de développement. L’épiscopat, qui a fait de la France un pays de mission, lance l’expérience des prêtres-ouvriers, avant de se raviser brutalement, apeuré par le poids croissant de la politique dans l’action. Cette politisation n’épargne pas les mouvements laïcs, qui connaissent, autour des grands débats de l’heure, tels ceux suscités par la guerre d’Algérie, troubles et scissions, sanctionnés par une reprise en main de l’autorité ecclésiale. Malgré ces vicissitudes, l’Action catholique intervient dans la vie de la nation : si elle échoue à pénétrer profondément le monde ouvrier, déjà structuré, elle joue un rôle im- portant dans l’organisation des syndicalismes agricole et étudiant. Au-delà du seul devenir des mouvements, elle contribue à la formation intellectuelle d’une partie des élites de la France des années soixante-dix. Action française (l’), mouvement (né en 1899), revue (créée la même année), ligue (fondée en 1905) et quotidien (1908-1944) nationalistes. École de pensée contre-révolutionnaire, l’Action française a exercé une forte emprise sur la société française pendant près d’un demisiècle. • Une école réactionnaire, nationaliste et antirépublicaine. Née à la suite de l’humiliation de Fachoda (1898) et en pleine crise de l’affaire Dreyfus (1894-1906), l’Action française apparaît comme une réponse de quelques jeunes nationalistes exaspérés par l’évolution du régime parlementaire et par les critiques qui s’élèvent, dans le camp dreyfusard, contre l’armée et la magistrature. Le ciment qui unit ses fondateurs - Maurice Pujo, Henri Vaugeois et Charles Maurras - associe deux éléments : le rejet de l’« anarchie » individualiste héritée de la Révolution française, d’une part ; une volonté de reconstruire la France à partir de nouvelles bases en tenant compte des intérêts du « pays réel », d’autre part. Ainsi prend corps la nécessité du retour à la « Mon-Archie », conçue par Maurras comme une « contre-révolution spontanée ». Celle-ci doit permettre l’expulsion des « quatre États confédérés : juifs, protestants, francs-maçons et métèques » que la République, régime de l’étranger, a laissé s’établir sur le territoire national. La revue l’Action française est fondée le 10 juillet 1899 ; la Ligue naît le 15 janvier 1905, l’Institut d’Action française le 14 février 1906. Ce dernier entend, par l’enseignement, procéder à la « régénération » de l’esprit public et « nationaliser » l’idée de royauté. L’indispensable propagande est assurée par le journal, devenu quotidien le 21 mars 1908, que vendent les « camelots du roy » (16 octobre 1908), également responsables du service d’ordre dans les meetings. D’autres personnalités rejoignent alors le mouvement : le tribun et écrivain Léon Daudet, fils d’Alphonse Daudet, l’historien Jacques Bainville, l’historien d’art Louis Dimier, Léon de Montesquiou, qui sera fauché par la Grande Guerre en 1915. • Les étapes d’une histoire. Pendant quelque quarante ans, la Ligue combat ses adversaires républicains. Ses incessantes polémiques lui attirent d’abord les sympathies des catholiques, hardiment défendus lors de la querelle des Inventaires au début du siècle, puis celles des patriotes, que la situation internationale et les pronostics alarmistes de Daudet (l’Avant-guerre, 1913) inquiètent, et que séduisent les vues antirépublicaines développées par Maurras. Dès le début de la Grande Guerre, le patriotisme l’emporte : l’intérêt national exige l’« union sacrée ». L’Action française s’y rallie donc aussitôt ; elle va même jusqu’à soutenir en 1917 son adversaire Clemenceau, parce que celui-ci révèle, face à la crise, des qualités de chef. L’hostilité au « mauvais traité » de Versailles vaut à la Ligue un grand prestige. Mais, en 1924, la victoire du Cartel des gauches marque une nouvelle étape : la Ligue est concurrencée par la Fédération nationale catholique (créée en 1924), tandis que l’avertissement puis la condamnation du quotidien nationaliste par le pape Pie XI en décembre 1926 la privent de la part la plus importante de sa clientèle. Dans les années trente, les dirigeants de l’Action française affrontent de nouveaux problèmes, que ni les pâles solutions corporatistes ni les projets d’« union latine » ne sont en mesure de résoudre. Le déclin est amorcé, malgré le maintien des effectifs (entre 30 000 et 60 000 membres) et du tirage du quotidien (variant de 40 000 à 90 000 exemplaires, selon les époques). La Seconde Guerre mondiale va précipiter ce déclin, en dépit d’un retour de faveur sous le gouvernement de Vichy. Le soutien apporté à la « révolution nationale », qui peut être l’occasion de restaurer un État « national », et la défense de la « seule France » y afférente dissimulent mal, sous l’apparence de la traditionnelle rhétorique antiallemande, une complicité de fait avec l’occupant. L’engagement dans la Résistance de nombreux militants en rupture de ban avec leurs dirigeants constitue, cependant, une réalité trop souvent minimisée par les historiens. L’idéologie de l’Action française a survécu à la disparition du quotidien en 1944. Plusieurs épigones ont repris le flambeau : en 1947, Aspects de la France, fondé par Maurice Pujo (qui redevient l’Action Française Hebdo en 1993) ; en 1955, la Nation française, créée par Pierre Boutang. Au début des années quatrevingt-dix, de jeunes étudiants maurrassiens fondent une revue – éphémère – Réaction, dont le manifeste s’exprime ainsi : « En réac- tion à l’atomisation de la société actuelle, le nationalisme constitue la défense la plus sûre de notre héritage charnel et spirituel. » Adalbéron de Laon, évêque de Laon (vers 947 - 1030). Né dans une famille lorraine apparentée aux Carolingiens, Aldabéron est élevé à l’abbaye de Gorze, près de Metz, foyer de culture et d’ascétisme qui bénéficie du renouveau monastique du Xe siècle. Fidèle du roi carolingien Lothaire, il devient son chancelier, puis obtient de lui l’évêché de Laon, en 977. À la mort de Lothaire, en 986, il prend parti pour Hugues Capet : avec son oncle Aldalbéron, archevêque de Reims, il est l’un des promoteurs du changement dynastique de 987 en faveur des Capétiens. Mais il se dédit à plusieurs reprises, complote avec Eudes de Blois contre Hugues Capet, soutient le jeune Charles de Lorraine, puis livre ce dernier à Hugues en 991, ce qui mettra fin à la dynastie des Carolingiens. Cette versatilité lui a valu, auprès de ses contemporains et des chroniqueurs, une solide réputation de traître. Après l’an mil, Adalbéron de Laon est définitivement rallié aux Capétiens et soutient Robert le Pieux, à qui il dédie, vers 1025, le Poème au roi Robert. Sous la forme d’un dialogue avec le roi, Adalbéron décrit l’état de décrépitude du royaume et s’en prend vivement à Odilon, abbé de Cluny, à qui il reproche de s’être placé sous la tutelle directe du pape, de commander à ses « abbayes filles » et de contribuer au désordre ambiant. Pour Adalbéron, la paix nécessite que chacun connaisse sa place, et il propose une partition de la société en ordres, déterminés par les différents modes de vie. C’est ainsi que, le premier, il distingue, en s’inspirant de saint Augustin, ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. Les trois ordres ainsi définis - clergé, noblesse et tiers état - demeureront le fondement de la société française jusqu’à la Révolution. Adélie (terre) ! TAAF Ader (Clément), inventeur (Muret, HauteGaronne, 1841 - Toulouse 1925). Figure de l’inventeur héroïque et incompris, Clément Ader n’est pas seulement ce pionnier de l’aviation que la postérité a retenu. Technicien formé à l’École nationale des arts et métiers, d’abord au service des Chemins de fer du Midi, il acquiert son indépendance, sa fortune downloadModeText.vue.download 21 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 10 et sa notoriété à grand renfort de brevets, grâce auxquels il exploite des inventions qu’il améliore (techniques télégraphiques et véhicules). Il mène une vie sociale féconde, et participe à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Mais, dans le domaine vierge de l’aéronautique, il fait l’expérience de l’isolement, échouant à convaincre les industriels, l’État et l’opinion publique. En outre, étant à la recherche d’un appareil plus lourd que l’air, il ne dispose pas de modèle scientifique, et tâtonne. Il mobilise toutes ses ressources : expérimentation, déduction, observation de l’anatomie et du vol des oiseaux - d’où le terme d’« avion », du latin avis, « oiseau ». Le 8 octobre 1890, son appareil, baptisé Éole I, décolle et parcourt une cinquantaine de mètres. Mais les essais de 1891 et 1897 se soldent par des échecs, et Clément Ader retourne à des inventions plus rentables. Il se retire à 64 ans et connaît alors une consécration nouvelle : l’armée de l’air, les hommes politiques de la Haute-Garonne et les journalistes commencent à écrire la légende du « père de l’aviation ». adoubement, cérémonie d’entrée en chevalerie au cours de laquelle le nouveau chevalier reçoit solennellement les armes caractéristiques de sa fonction : l’épée, la lance, l’écu, le heaume, le haubert et les éperons. Cette remise d’armes s’accompagne de la collée, appelée encore « paumée » : un coup sur la nuque, administré du plat de la main par le parrain en chevalerie. Ce geste se transforme à la fin du Moyen Âge (XIVe et XVe siècles) en léger coup du plat de l’épée sur l’épaule. D’origine laïque, la remise d’armes est progressivement christianisée aux XIIe et XIIIe siècles, ainsi qu’en témoignent les rituels liturgiques d’adoubement et les traités de chevalerie composés par les clercs : à la bénédiction préalable des armes, attestée dès le XIe siècle, viennent peu à peu s’ajouter une veillée de prières, un bain rituel et l’engagement moral du chevalier à protéger les opprimés et à défendre l’Église et la foi chrétienne. Le chevalier reçoit parfois lui-même la bénédiction des mains d’un prêtre. L’adoubement prend alors une dimension sacramentelle et entraîne l’admission du chevalier dans un ordre voulu par Dieu et béni par l’Église : la chevalerie. La cérémonie devient, dans le même temps, de plus en plus coûteuse et prestigieuse : elle est souvent l’occasion de fêtes somptuaires où sont célébrés l’honneur aristocratique et les vertus chevaleresques. À partir de la fin du XIIIe siècle, l’adoubement devient ainsi un rite propre aux plus fortunés des nobles. adresse, réponse d’une assemblée au discours du trône ouvrant la session parlementaire, en usage en France de 1814 à 1848 et de 1861 à 1867. Tradition anglaise adoptée par les assemblées napoléoniennes dans leur réponse à la présentation de la Charte de 1814 « octroyée » par Louis XVIII, elle devient un moyen de pression sur l’exécutif, surtout en 1830 avec « l’adresse des 221 » demandant un ministère qui ait la confiance des députés, point de départ de la révolution de Juillet. Sous LouisPhilippe, elle bloque, entre autres, un projet d’expédition coloniale à Madagascar, et, en janvier 1848, sa discussion permet à l’opposition de dénoncer l’immobilisme de Guizot. Sans objet sous la République, elle ne renaît pas sous l’Empire autoritaire, où les députés sont marginalisés. Mais le droit d’adresse est rétabli par le décret du 24 novembre 1860, fondant l’Empire dit « libéral ». Les débats occupent alors un à deux mois par an et sont le moment privilégié où s’expriment des oppositions internes au régime. Dès 1861, les élus catholiques critiquent la politique menée en Italie ; en 1864, 45 députés demandent un « sage progrès » vers le libéralisme ; en 1866, ils sont 63 à voter un amendement d’inspiration orléaniste. Supprimée en 1867 et remplacée par l’interpellation, qui constitue un progrès en ce qu’elle oblige les ministres à venir défendre à tout moment leur politique devant la Chambre, l’adresse n’est qu’une esquisse de contrôle sur le gouvernement, mais, en tant que telle, elle est une étape fondamentale sur la voie du régime parlementaire. A-ÉF ! Afrique-Équatoriale française Aetius, maître de la milice et patrice romain (Durostorum, vers 390 - 454). Fils du maître de la milice Gaudentius, Aetius est envoyé comme otage vers l’âge de 15 ans à la cour du roi des Huns, avec lesquels il établit de solides liens d’amitié. Jusque vers 440, ces derniers lui fourniront les troupes d’appoint indis- pensables à sa politique. En raison de ses succès militaires contre les Wisigoths et les Francs, il est nommé maître de la milice en 429. Grâce à ses appuis chez les Huns, nul ne parvient à le destituer, et il devient même patrice, c’est-à-dire chef suprême des armées, en 434. Aetius apparaît surtout comme le dernier défenseur romain de la Gaule : en 436, il refoule une attaque des Burgondes, dont le royaume est entièrement détruit par les Huns, au point qu’il peut transférer ce qui reste des populations burgondes vers la région de Genève. Sa politique consiste à faire des peuples barbares des « fédérés » de Rome, c’est-à-dire des alliés, tout en les forçant à ne pas outrepasser les limites des territoires qu’il leur a octroyés. Ainsi, en 451, il réunit une armée formée de Barbares et de Gallo-Romains et vainc Attila aux champs Catalauniques. Aetius atteint alors le sommet de son pouvoir. Inquiet de sa puissance, l’empereur Valentinien III l’assassine, peut-être de sa propre main, le 21 septembre 454, avant de tomber à son tour sous les coups des fidèles du patrice en mars 455. La mort d’Aetius marque le déclin irrémédiable de la puissance romaine en Gaule. Afars et des Issas (territoire français des) ! Djibouti Affiche rouge (l’), affiche de propagande placardée par les Allemands à la fin du mois de février 1944, présentant dix des vingt-trois membres du groupe des FTP-MOI fusillés le 21 février 1944. Dans sa lutte armée contre l’occupant, le Parti communiste clandestin maintient un groupe réservé aux immigrés, la Main-d’oeuvre immigrée (MOI), rattachée aux Francs-Tireurs et Partisans (FTP) en avril 1942. Souvent encadrés par des anciens des Brigades internationales, les FTP-MOI mènent une action de guérilla urbaine contre les Allemands : en septembre 1943, ils exécutent, à Paris, Julius Ritter, bras droit de Fritz Sauckel, plénipotentiairechargé de la réquisition de la main-d’oeuvre dans les pays occupés. Le travail de filature organisé par la brigade spéciale de la police parisienne aboutit, le 16 novembre 1943, à l’arrestation de Missak Manouchian, ouvrier arménien responsable de la MOI depuis l’été. L’organisation des FTP-MOI de Paris est alors démantelée. Du 15 au 18 février 1944, vingt-quatre d’entre eux sont jugés par un tribunal militaire allemand. Sur les vingt-trois condamnés, douze sont des juifs d’Europe centrale. En effet, les jeunes juifs immigrés forment la majorité des combattants de la MOI. Désireuse de montrer aux Français que la Résistance est aux mains de « bandits juifs communistes », la propagande allemande donne un écho particulier à ces exécutions. Dans les années quatre-vingt, des polémiques ont mis en cause l’attitude du PCF à l’égard du « groupe Manouchian » : si la police française est bien à l’origine de la chute du groupe, la direction du parti, engagée dans une forte concurrence avec les gaullistes, avait refusé de déplacer en province des combattants qu’elle savait très exposés à Paris. Ces polémiques ont rappelé le prix payé par la Résistance juive et étrangère dans la lutte contre l’occupant : l’Affiche rouge symbolise aujourd’hui un aspect original du creuset français, le sacrifice de ces immigrés « qui criaient la France en s’abattant », comme l’exprima Louis Aragon dans un poème qui fut chanté par Léo Ferré. Affre (Denis Auguste), archevêque de Paris (Saint-Rome-de-Tarn 1793 - Paris 1848). Fils d’un ancien parlementaire devenu magistrat à Rodez sous la Restauration, le futur archevêque de Paris, est élevé au collège de Saint-Affrique (Aveyron), puis au séminaire parisien de Saint-Sulpice, où il adhère aux doctrines gallicanes. Ordonné prêtre en 1820, il occupe diverses fonctions dans les diocèses de Rodez, Paris et Luçon, puis fonde avec Laurentie le périodique la France chrétienne (1821-1826). Vicaire général de Mgr de Chabons à Amiens (1823-1833), puis de Mgr de Quelen à Paris (1834-1840), il acquiert une réputation d’administrateur rigoureux et compétent, publie un important Traité de l’administration des paroisses (1827) ainsi qu’un Traité de la propriété des biens ecclésiastiques (1837). Pressenti pour devenir coadjuteur de l’évêque de Strasbourg et sacré évêque in partibus de Pompeiopolis, il succède en 1840, grâce à la protection de Thiers, au très légitimiste Mgr de Quelen, archevêque de Paris. Ses huit années d’épiscopat dans la capitale (1840-1848) sont marquées par une réorganisation administrative du diocèse. Mgr Affre poursuit en particulier un effort de renouvellement des études cléricales, publie une importante lettre pastorale (Sur les études downloadModeText.vue.download 22 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 11 ecclésiastiques, 1841), développe le collège- séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, que dirige l’abbé Dupanloup, confie à l’abbé Lacordaire les conférences de Notre-Dame de Paris, réorganise la faculté de théologie d’État à la Sorbonne, et crée aux Carmes une École des hautes études ecclésiastiques (1845). Il poursuit dans la capitale une pastorale active, développe la catéchèse et les oeuvres d’assistance sociale et religieuse (Société de SaintFrançois-Xavier) ainsi que la presse catholique, malgré ses démêlés avec l’abbé Migne et avec l’Univers de Louis Veuillot. Il se heurte violemment à la monarchie de Juillet sur la question de la liberté d’enseignement, et son gallicanisme affiché lui vaut de nombreuses difficultés avec les congrégations religieuses et avec le Saint-Siège : ni Grégoire XVI ni Pie IX ne le feront cardinal. En février 1848, Mgr Affre se rallie ouvertement à la République. Il trouve la mort en juin de la même année, au faubourg Saint-Antoine, en tentant courageusement de s’interposer entre les ouvriers insurgés et les troupes du général Cavaignac. Afrique du Nord (débarquement d’), débarquement des troupes américaines sur les côtes de l’Algérie et du Maroc, le 8 novembre 1942, dans le cadre de l’opération « Torch ». En juillet 1942, Churchill impose à Roosevelt le principe d’un débarquement en Afrique du Nord. À cause de l’anglophobie et de l’hostilité à la France libre de l’armée vichyste d’Afrique, il est décidé que l’opération sera dirigée par les Américains, sans en informer de Gaulle. Afin de susciter le ralliement de l’armée d’Afrique, les Américains tentent d’obtenir la caution d’un chef prestigieux. Weygand, ancien délégué général en Afrique du Nord du gouvernement de Vichy, s’étant désisté, ils placent leurs espoirs dans le général Giraud, récemment évadé d’Allemagne. Dans le même temps, le consul Robert Murphy noue des contacts avec la Résistance d’Afrique du Nord, notamment avec le groupe des Cinq, réunion de personnalités le plus souvent issues de l’extrême droite. Pourtant, les équivoques ne sont pas levées : Giraud croit que les Américains lui confieront le commandement de l’opération, et il réclame un second débarquement en Provence. L’opération « Torch » se déroule sans réelle coordination avec la Résistance locale. Les tentatives insurrectionnelles des conjurés, menées dans l’improvisation, échouent, et, à Casablanca, Oran et Alger, les Alliés se heurtent aux forces de Vichy. Les combats cessent à Alger dès le 8 novembre au soir, mais ils continuent au Maroc jusqu’au 11. En outre, une série de facteurs imprévus bouleverse le plan américain. On découvre - un peu tard - que Giraud n’a aucune autorité sur les officiers vichystes d’Afrique du Nord, qui lui reprochent sa « dissidence ». En revanche, il apparaît que l’amiral Darlan, ancien dauphin du maréchal Pétain, présent fortuitement à Alger, est le seul à pouvoir les convaincre. Dans un premier temps, Darlan ordonne aux forces de Vichy de repousser les « assaillants » ; mais, constatant la supériorité de ces derniers, il se résout à négocier. Pragmatique, Roosevelt décide alors de traiter avec lui. Les accords Darlan-Clark du 22 novembre placent l’Afrique du Nord sous une quasi-occupation américaine et offrent le pouvoir à Darlan. Celui-ci, tout en maintenant la législation de Vichy, entraîne l’empire (l’A-OF se rallie rapidement) dans la guerre contre les forces de l’Axe. Il se prévaut de l’« accord intime » que, le 13 novembre, le maréchal Pétain lui signifie par télégramme. En fait, il semble que le fameux télégramme (cosigné par Pierre Laval) se rapporte à la situation des jours précédents et approuve la première attitude de Darlan. Du reste, en public, Pétain désavoue fermement l’amiral. Le 11 novembre, en réaction au débarquement, les Allemands envahissent la Tunisie et pénètrent en zone sud, anéantissant le semblant de souveraineté de Vichy et provoquant, le 27, le sabordage de la flotte française basée à Toulon, désarmée depuis l’armistice. La position de Darlan est difficilement tenable : les gaullistes et les résistants sont scandalisés par l’intronisation de ce dignitaire de Vichy ; le ralliement de l’armée d’Afrique est fragile, et l’opinion américaine reste hostile. Finalement, le 24 décembre 1942, Darlan est assassiné par un jeune résistant, Bonnier de La Chapelle. Giraud devient alors haut-commissaire de l’Afrique du Nord et, poursuivant la politique de Darlan, refuse, dans un premier temps, tout accord avec les gaullistes. Afrique-Équatoriale française (A-ÉF), groupement de quatre colonies, puis de territoires d’outre-mer de la République française en Afrique centrale (1910-1958). Les explorations de Savorgnan de Brazza dans le bassin du Congo sont à l’origine d’une considérable extension des possessions françaises en Afrique équatoriale, qui se limitaient jusque-là à la colonie du Gabon. En 1887, Brazza est nommé commissaire général au Congo avec Brazzaville pour résidence, la co- lonie du Gabon étant confiée à un lieutenantgouverneur dépendant de son autorité. Le 29 décembre 1905 est fondée une troisième colonie, l’Oubangui-Chari (ancienne région du haut Oubangui). Quant au territoire militaire du Tchad, créé en 1901, après la destruction de l’empire de Rabah, il ne recevra le statut de colonie qu’en 1920. En 1909, Martial Merlin prend le titre de gouverneur général du Congo français, et un gouvernement général de l’A-ÉF est enfin institué en 1910. Chaque colonie a à sa tête un lieutenant-gouverneur subordonné au gouverneur général. En vertu de l’accord franco-allemand du 4 novembre 1911, consécutif à la deuxième crise marocaine, le territoire de la Fédération est amputé d’une bande d’environ 100 kilomètres de large (275 000 kilomètres carrés au total) au profit de la colonie allemande du Cameroun. Ce découpage implique un véritable démembrement de l’A-ÉF, qui se trouve partagée en trois tronçons. Mais, dès 1916, le Cameroun, conquis par les forces francobritanniques, est ramené à ses frontières antérieures à 1911. La Fédération s’étend alors sur 2,5 millions de kilomètres carrés. Sa conquête n’a pas rencontré de véritable résistance en zone forestière, mais les opérations de pacification se sont poursuivies assez longtemps aux confins du désert, notamment au Tchad, où elles ne prennent fin qu’en 1924. Certaines populations musulmanes soutenues par la confrérie sénoussie ont même opposé une résistance tenace à la colonisation. • L’A-ÉF, cendrillon de l’empire colonial ? Dans le domaine sanitaire, la puissance colonisatrice introduit quelques progrès notables : création de l’institut Pasteur de Brazzaville en 1905, campagnes de vaccination antivariolique, succès du docteur Jamot dans la lutte contre la maladie du sommeil. L’hôpital de Lambaréné (Gabon), fondé par Albert Schweitzer en 1913, a pu à bon droit être considéré comme une réalisation remarquable. Toutefois, en 1938, l’A-ÉF ne compte encore que 80 médecins. Dans le domaine scolaire, les réalisations demeurent insignifiantes, sauf dans le Sud. On assiste en même temps à un prosélytisme actif des missions chrétiennes (surtout parmi les populations des régions forestières du Sud) : en 1939, on dénombre dans la Fédération 300 000 catholiques et 80 000 protestants. Les cultes syncrétistes africains (matsouanisme, kimbanguisme) font parallèlement de nombreux adeptes. Décimée par les abus du travail forcé - les travaux du chemin de fer Congo-Océan coûtent la vie à des milliers d’Africains -, la population, déjà très clairsemée à l’arrivée des Français, atteint seulement 4 millions d’habitants en 1943. Le développement économique demeure entravé par la pénurie de maind’oeuvre et l’insuffisance des équipements (le chemin de fer Congo-Océan est inauguré en 1934, et en 1938 il n’existe que 40 000 kilomètres de routes et de pistes). La production de caoutchouc décline, tout comme le commerce de l’ivoire. Le bois, provenant principalement du Gabon, forme la majeure partie des exportations, qui ne s’élèvent qu’à 260 millions de francs en 1938. Au total, la Fédération se résume à un groupement artificiel de colonies disparates, les unes tropicales et forestières (Gabon), les autres en partie désertiques (Tchad), ne disposant que de maigres ressources mal mises en valeur, d’où le qualificatif de « cendrillon de l’empire ». • L’A-ÉF durant la Seconde Guerre mondiale. À la différence de l’A-OF voisine, l’AÉF se rallie à la France libre dès 1940, sous l’impulsion du gouverneur du Tchad, Félix Éboué, nommé gouverneur général (décembre 1940), et du colonel Leclerc. Ce ralliement, obtenu au prix de quelques combats entre Français au Gabon, a des conséquences importantes sur la poursuite des hostilités en Afrique. En effet, le Tchad joue un rôle stratégique en tant que base aérienne pour l’acheminement des troupes et du matériel de guerre alliés vers l’Égypte ; il est également le point de départ de la division Leclerc (2e DB) vers le front de Libye, Koufra et le Fezzan. Le maintien des quatre colonies dans la guerre se traduit pour les populations par un alourdissement des corvées (cueillette du caoutchouc, accroissement de la production de coton). Éboué veille cependant à une promotion, limitée, des élites africaines : il promulgue le 29 juillet 1942 un « statut du notable évolué », qu’il attribue à 485 Africains, et recrute quelques hauts fonctionnaires downloadModeText.vue.download 23 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 12 autochtones. Il est l’un des principaux promoteurs de la conférence de Brazzaville qui se tient du 30 janvier au 8 février 1944. Inaugurée par un discours demeuré célèbre du général de Gaulle, cette assemblée de gouverneurs et de spécialistes jette les principes fondamentaux de la politique coloniale qu’elle entend voir suivre par la IVe République. Elle se place toutefois dans une optique jacobine et assimilatrice, et les thèses fédéralistes d’Éboué sont mises en échec. • L’A-ÉF sous la IVe République. En vertu de la Constitution de 1946, les quatre colonies de l’A-ÉF deviennent des territoires d’outremer représentés au Parlement par 6 députés et 8 sénateurs, les élections étant organisées dans le cadre d’un double collège selon un mode de scrutin capacitaire, progressivement élargi (110 000 électeurs en 1946 ; 784 000 en 1953). Chaque territoire est pourvu d’une Assemblée, et un Grand Conseil de l’A-ÉF, composé de 20 délégués issus de ces assemblées, siège à Brazzaville. On assiste dès lors à l’éveil d’une vie politique dont les figures marquantes vont être l’abbé Boganda, député de l’Oubangui-Chari et fondateur du Mouvement pour l’évolution sociale de l’Afrique noire (MESAN), Léon M’Ba (Gabon), JeanFélix Tchicaya, député du Moyen-Congo, et Gabriel Lisette (Tchad). Les chefs traditionnels musulmans du Tchad conservent une grande influence. Sur le plan économique, les crédits du Fonds d’investissement pour le développement économique et social (FIDES) permettent de financer des plans de développement et de réaliser des équipements : achèvement du port de Pointe-Noire, barrage hydroélectrique de la Doué, près de Brazzaville, lycée de Brazzaville, hôpitaux et écoles de brousse. En 1956 est découvert le gisement pétrolifère de Port-Gentil. La même année, la loi-cadre, dite « loicadre Defferre », institue le suffrage universel (2 millions et demi d’électeurs) et dote les quatre territoires d’un régime de semi-autonomie, avec une Assemblée représentative et un Conseil de gouvernement. Mais les élus du Gabon s’opposent à tout projet d’exécutif fédéral, ce qui laisse présager le démembrement de l’A-ÉF. Deux ans plus tard, lors du référendum de septembre 1958, les électeurs de l’A-ÉF approuvent massivement le projet de Constitution. Peu après, les quatre assemblées territoriales se prononcent pour le statut d’État membre de la Communauté, ce qui implique la dissolution de la Fédération, parachevée en 1960 lors de l’accession de ces États à l’indépendance. L’Oubangui-Chari prend l’appellation de République Centrafricaine, et le Moyen-Congo celle de République du Congo-Brazzaville. Afrique-Occidentale française (A-OF), groupement de colonies, puis de territoires d’outre-mer de la République française en Afrique de l’Ouest (1895-1958). Dans les dernières années du XIXe siècle, l’extension des territoires conquis en Afrique de l’Ouest à partir de la vieille colonie du Sénégal et des établissements côtiers rend nécessaire la constitution d’un groupement de colonies. Le gouvernement général de l’Afrique-Occidentale française est ainsi créé par un décret du 16 juin 1895. Il regroupe au départ quatre colonies : Sénégal, Guinée, Soudan, Côted’Ivoire. Les fonctions de gouverneur général sont assumées par le gouverneur du Sénégal, auquel sont subordonnés les gouverneurs de Guinée (Conakry), de Côte-d’Ivoire (GrandBassam) et un lieutenant-gouverneur pour le territoire du Soudan et le Haut-Niger. Le Dahomey, conquis et organisé en 1894, ne fait pas initialement partie de l’A-OF. Les structures administratives de la Fédération sont maintes fois remaniées, et les divisions territoriales subissent de nombreuses modifications. Ainsi, en 1896, la Côte-d’Ivoire est érigée en colonie indépendante de l’AOF, avant d’être réincorporée au sein de l’ensemble en 1899, en même temps que le Dahomey, tandis que le territoire du Soudan est partagé entre le Sénégal, la Guinée et la Côte-d’Ivoire. Le 1er octobre 1902, la charge de gouverneur général devient distincte de celle du gouverneur du Sénégal. Le Soudan est reconstitué sous le nom de Territoire de la Sénégambie et du Niger (1902), puis de Haut-Sénégal et Moyen-Niger (1904), avant de prendre celui de Soudan français en 1920. Un protectorat des pays maures est créé en 1903, administré par un commissaire civil, délégué du gouverneur général. En 1920, ce territoire est érigé en colonie sous le nom de Mauritanie. Une colonie de Haute-Volta est fondée en 1919. Elle sera supprimée en 1932 en vertu de restrictions budgétaires, puis rétablie en 1947. Enfin, le IIIe territoire militaire de l’A-OF (créé en 1901) prend en 1921 le nom de territoire civil du Niger et devient une colonie l’année suivante. Le territoire du Togo, sous mandat de la Société des nations (SDN), administré par la France, est dans les faits rattaché à l’A-OF à partir de 1920. • La Première Guerre mondiale et l’entredeux-guerres. La pacification ne s’achève véritablement qu’en septembre 1898, avec la capture du chef mandingue Samory Touré. Menée par des soldats africains - les tirailleurs « sénégalais » - encadrés par des Blancs, elle est relativement peu meurtrière, malgré la pratique de part et d’autre de la politique de la terre brûlée : celle-ci entraîne cependant des dommages économiques considérables et la dévastation de régions entières. Des opérations ponctuelles se poursuivront, notamment en Mauritanie, jusqu’en 1934. La Première Guerre mondiale est marquée par une importante participation des Africains, qui fournissent 164 000 combattants dont 33 000 seront tués. Le député du Sénégal Blaise Diagne (1874-1934), nommé par Clemenceau commissaire général aux troupes noires en 1917, encourage les engagements et stimule l’ardeur des populations. Mais les abus de la conscription provoquent des mouvements insurrectionnels tels ceux qui se produisent au Soudan dans le cercle de Dédougou (aujourd’hui Burkina Faso) à la fin de l’année 1915 : les représailles, en septembre 1916, font plusieurs centaines de victimes. Au Niger, au printemps de la même année, éclate la seconde révolte de Firhoun, chef traditionnel des Touaregs Oulmiddens, dont la répression inspirera à l’écrivain nigérien Fily Dabo Cissoko un recueil de poèmes, la Savane rouge. En 1930, l’A-OF a une superficie de 4,46 millions de kilomètres carrés et regroupe 15 millions d’habitants. Les huit colonies (Sénégal, Guinée, Côte-d’Ivoire, Dahomey, Haute-Volta, Soudan, Niger, Mauritanie) sont divisées en 118 cercles et 48 000 villages. Les anciens États indigènes sous protectorat ont été supprimés par un décret de 1904, et leurs territoires, purement et simplement annexés. Les chefs traditionnels, intégrés dans les rouages administratifs, sont réduits à un rôle d’auxiliaires (chefs de canton, chefs supérieurs), et ils sont mal rémunérés. Les commandants de cercle, administrateurs coloniaux, sont les véritables « rois de la brousse ». Si l’on excepte quelques milliers d’Africains citoyens français - les « originaires » des quatre communes du Sénégal qui élisent un député ou bien quelques militaires ou fonctionnaires ayant pu accéder à la citoyenneté -, les indigènes ont le statut de « sujet français », un statut qui leur reconnaît peu de droits et leur impose surtout des devoirs. Ils sont assujettis à un régime judiciaire et fiscal particulier, défini par le Code de l’indigénat. • Enseignement et santé. Dans la pre- mière moitié du XXe siècle, un important effort est réalisé dans le domaine scolaire, mais qui bénéficie surtout aux territoires côtiers, où se forme progressivement une élite francophone : ainsi, l’école normale de Dakar devient-elle une pépinière de cadres et de futurs dirigeants. Le Dahomey, pourvu de nombreuses écoles publiques et privées, surnommé « le Quartier latin de l’Afrique », fournit des fonctionnaires africains pour toute l’A-OF. En revanche, la Mauritanie et les colonies de l’intérieur (Soudan, Haute-Volta, Niger) restent plutôt déshéritées sur tous les plans. Des progrès notables sont également accomplis dans le domaine médical. Les services de l’Assistance médicale indigène (AMI), instituée en 1905, ouvrent des hôpitaux et des dispensaires de brousse, tandis que l’école de médecine de Dakar (1918) forme des médecins africains. Les instituts Pasteur organisent des campagnes de vaccination. Celui de Dakar, fondé en 1908, se spécialise dans la lutte contre la fièvre jaune. C’est là qu’en 1935 le Dr Peltier met au point la méthode de vaccination par scarification. Un institut de la lèpre est ouvert à Bamako en 1924. • Équipement et mise en valeur. Pendant toute la période coloniale, l’arachide reste le premier poste à l’exportation (60 % du total en 1930), devançant de loin l’huile de palme (Dahomey), le coton (en provenance de la zone sahélienne) et les bois précieux de Côted’Ivoire. En 1938, la production de cacao couvre 90 % des besoins de la métropole. La vie économique de la Fédération est largement dominée par de grandes sociétés, dont les principales sont la Compagnie française de l’Afrique-Occidentale (CFAO), la Société commerciale de l’Ouest africain (SCOA, qui changera plusieurs fois de raison sociale tout en gardant le même sigle) et, enfin, le trust Unilever, spécialisé dans la commercialisation downloadModeText.vue.download 24 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 13 des oléagineux. Les anciennes maisons bordelaises (Maurel et Prom, Peyrissac) conservent un rang non négligeable, du moins au Sénégal. Dans le réseau bancaire, la Banque de l’Afrique-Occidentale (BAO) s’est imposée à la première place. La constitution de ce groupement de co- lonies - impliquant la solidarité financière entre les territoires - permet de lancer des emprunts et de financer des programmes de grands travaux que les seuls budgets locaux n’auraient pu assumer. Une infrastructure ferroviaire et routière est ainsi mise en place à partir de la fin du XIXe siècle : la voie ferrée Dakar-Niger (1 288 km), reliant le Sénégal à Bamako et Koulikoro, est achevée en 1923 par l’ouverture du tronçon Thiès-Kayes et devient le principal axe commercial de l’AOF ; en Guinée, la ligne Conakry-Kankan, qui assure le débouché des productions du Fouta-Djalon, est inaugurée en 1914 ; l’Abidjan-Niger, « le chemin de fer de l’arachide », construit à partir de 1908 afin de désenclaver la Haute-Volta, atteint Bobo-Dioulasso en 1947, mais n’arrivera à Ouagadougou qu’en 1954. Pendant l’entre-deux-guerres, l’apparition des camions de brousse est à l’origine de l’aménagement d’un important réseau routier (100 000 km en 1940, dont 32 000 de voies permanentes). L’infrastructure portuaire reste en revanche très insuffisante : Dakar est le seul port correctement équipé, les autres villes côtières n’étant pourvues que de wharfs et de rades foraines. Un ambitieux programme d’irrigation du delta intérieur du Niger est conçu par l’ingénieur Bélime sous l’égide de l’Office du Niger (fondé en 1932), avec pour objectif la mise en culture de près de 2 millions d’hectares et l’installation de 1 million de paysans voltaïques. Mais, en dépit de la belle réalisation du barrage de Sansanding (Soudan français, aujourd’hui Mali), ce projet grandiose ne connaît qu’un modeste début d’application. • L’A-OF sous la IVe République. En 1940, le gouverneur général de l’A-OF, le général Boisson, refuse de se rallier à la France libre. Une tentative de débarquement des forces gaullistes à Dakar est repoussée par les batteries côtières (23-25 septembre 1940). Toutefois, au lendemain du débarquement allié en Afrique du Nord, en novembre 1942, Boisson doit se soumettre aux autorités d’Alger. En 1943, des troupes sont levées, qui rejoignent la France combattante. Au lendemain du conflit, diverses améliorations sont apportées au statut des autochtones, dans l’esprit de la conférence de Brazzaville : suppression du régime de l’indigénat, abolition de la corvée. Par la suite, les crédits du Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (FIDES) permettent le financement de nombreux aménagements tels que le percement du canal de Vridi, qui dote Abidjan d’un beau port en eau profonde (1951). La Constitution de la IVe République généralise le principe de la représentation parlementaire des territoires d’outre-mer (anciennes colonies), et l’A-OF se voit alors attribuer 16 députés (élus au suffrage capacitaire et au double collège) et 20 sénateurs. Chaque territoire est doté d’une Assemblée, tandis que le gouverneur général est désormais assisté d’un Grand Conseil, organe de coordination composé de délégués des assemblées territoriales. Lors des premières élections, la victoire revient au Rassemblement démocratique africain (RDA), parti fondé au congrès de Bamako, en octobre 1946, par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le Sénégalais Gabriel d’Arboussier. Cette formation, alors assez proche du parti communiste, est vivement combattue par l’administration et se heurte également à l’opposition des Indépendants d’outre-mer (IOM), regroupés autour de Léopold Sédar Senghor. À partir de 1950, un revirement se dessine dans l’attitude des dirigeants du RDA (qui va subir un sévère échec aux élections de 1951), dont la plupart des membres rompent l’alliance avec les communistes pour se rapprocher d’une formation centriste, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR). Au printemps 1957, l’entrée en vigueur de la loi-cadre de juin 1956, dite « loi-cadre Defferre », introduit d’importantes modifications institutionnelles : elle instaure le suffrage universel et dote chaque territoire de l’A-OF d’un régime de semi-autonomie, avec une assemblée représentative et un embryon d’exécutif. La structure fédérale se trouve dès lors hypothéquée, et, en dépit des voeux de Senghor, la « balkanisation » de l’Afrique française se profile, due pour l’essentiel aux rivalités entre Senghor et Houphouët-Boigny, aux aspirations à l’indépendance de certains dirigeants locaux et à leurs craintes de subir la domination des élites sénégalaises. • 1958 : l’éclatement. L’avènement de la Ve- République entérine la disparition de l’AOF, comme d’ailleurs celle de l’A-ÉF. Lors de sa tournée africaine d’août 1958, le général de Gaulle déclare que les résultats du référendum du 28 septembre seront comptabilisés par territoire, et que tout territoire où le « non » l’emportera accédera aussitôt à l’indépendance, sans aucune garantie de coopération avec la France. Tel est le choix que font les Guinéens, qui, à l’appel du dirigeant local Sékou Touré, votent massivement « non ». Dans les semaines qui suivent, les Assemblées des autres territoires optent pour le statut d’État membre de la Communauté, qui leur est offert par la nouvelle Constitution. Les organes fédéraux et les services du gouvernement général sont mis en liquidation. Agadir (crise d’), crise diplomatique qui opposa en juillet 1911 l’Allemagne et la France à propos de la question marocaine. Celle-ci, restée en suspens depuis la conférence d’Algésiras, met aux prises l’Allemagne, désireuse de préserver le statut international du Maroc, avec la France, qui cherche à y établir un protectorat. Or les ambitions françaises se sont récemment concrétisées avec la pénétration du colonel Lyautey dans la zone des Confins et, en 1908, avec la prise de la plaine de la Chaouïa. Aussi, lorsqu’en juin 1911 l’armée française occupe Fès et Meknès pour secourir le sultan Moulay Hafid attaqué par les rebelles, l’Allemagne décide-t-elle d’intervenir. Le 1er juillet 1911, elle envoie la canonnière Panther devant le port sudmarocain d’Agadir. La réaction française et internationale est immédiate. Tant au sein du gouvernement français (dirigé par le pacifiste Joseph Caillaux) que parmi les chancelleries européennes, les partisans d’une politique de guerre et ceux de la négociation s’opposent, provoquant une crise qui va durer un mois. L’appui résolu de la Grande-Bretagne à la France permet de parvenir à un accord. Par le traité du 4 novembre 1911, l’Allemagne laisse à la France les « mains libres » au Maroc, ce qui aboutira à l’établissement du protectorat français en 1912, et reçoit en échange une partie du Congo français. Cette crise témoigne de l’exacerbation des tensions européennes ; elle a elle-même alimenté la montée des nationalismes en Allemagne et en France, où elle a entraîné la chute du cabinet Caillaux. âge du bronze, période de la protohistoire, caractérisée par l’essor de la métallurgie et qui s’étend de 1800 à 750 avant J.-C. environ. Si la métallurgie du cuivre, la plus ancienne avec celles de l’or et de l’argent, remonte en Europe au Ve millénaire et en France au IVe millénaire, le bronze - un alliage de cuivre et d’étain - n’apparaît en France qu’au début du IIe millénaire. Mais, comme le cuivre, il reste longtemps une matière rare et précieuse qui, plus que d’une révolution technique, témoigne du développement de sociétés hiérarchisées : arme ou bijou, l’objet de bronze est en effet essentiellement un objet de prestige, porté par les individus les plus riches et déposé dans leur tombe à leur mort, ou, parfois, enfoui dans des « cachettes ». En général, on divise l’âge du bronze en trois périodes. Le bronze ancien, de 1800 à 1500 avant J.-C., est caractérisé par une métallurgie encore rudimentaire, où le bronze proprement dit est assez rare. Les formes des objets métalliques continuent d’imiter celles des objets de pierre ou d’os : haches plates, poignards plats et courts, épingles. De fait, d’un point de vue social et économique, mais aussi technique, cette période ne se distingue guère de la précédente, le chalcolithique. En France, on remarque à cette époque plusieurs « cultures » différentes. Dans l’Est, c’est la civilisation du Rhône, variante régionale de la brillante civilisation d’Unětice, caractéristique de la Bohême et de l’Allemagne du Sud. Dans l’Ouest, on trouve la spectaculaire civilisation des tumulus armoricains, apparentée à la culture britannique du Wessex. Cette dernière est connue par ses tombes, parfois encore de tradition mégalithique, recouvertes d’un tertre de terre (tumulus), dans lesquelles ont été trouvés des parures en or (pectoral plat en forme de croissant), des vases en argent, mais aussi des pointes de flèche en silex d’une très grande finesse, qui représentent paradoxalement l’apogée de la taille de la pierre. Dans le Sud, l’âge du bronze se développe à partir de la civilisation chalcolithique du campaniforme. C’est au bronze moyen, entre 1500 et 1200 avant J.-C., que se développe vraiment la métallurgie du bronze. Le nouvel alliage permet de créer des formes impossibles à obtenir jusqu’alors : longues épées, mais aussi armes défensives (casques, cuirasses, jambières). Ce nouvel armement va révolutionner les techniques de combat, même si les downloadModeText.vue.download 25 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 14 armes de bronze restent le privilège de l’élite guerrière. L’ouest de la France se caractérise par une très belle métallurgie, celle du bronze atlantique, avec ses grandes épées que l’on trouve souvent enterrées dans des « dépôts » ou bien jetées au fond des rivières, ce qui suggère des rituels particuliers, offrandes ou formes de compétitions entre chefs, comparables au potlatch des Indiens nord-américains. Dans l’est de la France, le rituel des tumulus se répand ; c’est la civilisation de Haguenau, avec ses vases aux décors gravés et incrustés, dont le style se retrouve dans le sud du pays. Durant le bronze final, de 1200 à 750 avant J.-C., la métallurgie se généralise et s’étend à l’outillage des artisans (travail du bois, du métal, etc.). L’orfèvrerie de l’argent, et surtout de l’or, peut être spectaculaire. Dans l’organisation sociale, la hiérarchie tend à s’accroître, aussi bien entre individus, comme en témoigne le mobilier des tombes, qu’entre communautés : on distingue, dans leur habitat, toute une gradation, depuis les simples fermes ou hameaux isolés jusqu’aux bourgades fortifiées, juchées sur les hauteurs et ceintes de remparts de pierre. La guerre semble devenir plus fréquente, comme le suggère l’établissement de certains villages sur des presqu’îles marécageuses au bord des lacs du Jura ou des Alpes - dont la vase a particulièrement bien préservé les vestiges, notamment en bois. Des grottes servent d’abri, telle celle des Planches, près d’Arbois (Jura), qui a livré les traces d’un massacre. L’âge du bronze est suivi, sans rupture, par la première période de l’âge du fer, ou « Hallstatt ». âge du fer, dernière période de la protohistoire, entre 750 et 50 avant J.-C. environ. Elle est caractérisée par le développement de la métallurgie du fer, mais surtout par l’apparition de formes sociales de plus en plus complexes, entraînant finalement la formation de véritables États. On distingue le premier âge du fer, ou période de Hallstatt (du nom d’un cimetière mis au jour en Autriche, près de Salzbourg), qui s’étend jusqu’en 480 environ, puis le second âge du fer, ou période de La Tène (du nom d’un village suisse des bords du lac de Neuchâtel). En France, l’âge du fer est interrompu par la conquête romaine. Le fer nécessite une métallurgie plus complexe que le cuivre (il fond à 1 500 oC), mais il est plus répandu dans la nature et beaucoup plus résistant. Si le fer météoritique est déjà connu en Mésopotamie au IIIe millénaire, le minerai de fer est travaillé chez les Hittites à partir du IIe millénaire. Il se généralise au Ier millénaire avec l’apparition des civilisations urbaines méditerranéennes de Grèce et d’Italie. En Europe tempérée, et donc en France, il est présent dès le VIIIe siècle avant J.-C., mais il demeure réservé à l’élaboration d’objets précieux pendant le premier âge du fer : épées, mais aussi bracelets ou torques. Le premier âge du fer ne marque aucune rupture historique avec l’âge du bronze final qui le précède immédiatement. C’est cependant durant cette période que l’on assiste, avec les « résidences princières » du quart nord-est de la France et du sud de l’Allemagne, à une première tentative de constitution d’entités étatiques. Ces bourgs fortifiés sont régulièrement espacés d’une soixantaine de kilomètres et contrôlent toute une hiérarchie de villages et de hameaux. Leurs chefs sont enterrés avec un mobilier de luxe, souvent de provenance méditerranéenne. La sépulture la plus célèbre en France est celle découverte à Vix. De fait, ces potentats locaux contrôlent les routes commerciales avec la Méditerranée, et notamment celle qui, par la Seine, puis la Saône, permet d’acheminer vers l’Italie ou la Grèce l’étain de Grande-Bretagne. Pourtant, à la suite de tensions économiques et politiques, ces résidences princières disparaissent au début du Ve siècle. Les relations, d’abord commerciales puis guerrières, avec le monde méditerranéen sont caractéristiques du second âge du fer. Les Grecs, les Étrusques puis les Romains installent en effet des comptoirs commerciaux le long des côtes méditerranéennes, mais aussi des colonies de peuplement, telle Marseille (Massilia), fondée en 600 avant J.-C. Cette richesse supposée du monde méditerranéen explique en partie le déclenchement des invasions celtiques des IVe et IIIe siècles, c’est-à-dire le mouvement, vers le sud, des peuples supposés celtes, qui habitent alors la moitié nord de la France, le sud de l’Allemagne et la Bohême. Ces émigrants atteindront l’Italie centrale (c’est le fameux siège de Rome par les Gaulois), l’ensemble de l’Europe centrale et orientale, et s’implanteront même en Turquie, créant l’éphémère royaume galate. Une fois ces mouvements stabilisés, des formes protoétatiques apparaissent à nouveau, au IIe siècle, avec de puissants royaumes gouvernés par une aristocratie guerrière et terrienne, tels ceux des Ambiens, en Picardie, des Arvernes, dans le centre de la France, ou des Éduens, en Bourgogne. Toutefois, ces royaumes se heurtent à l’expansionnisme de Rome. En 124 av. J.-C., c’est d’abord le sud de la Gaule qui est conquis par les armées romaines, qui fondent la province de Narbonnaise. Puis, à partir de 58 av. J.-C., Jules Cesar, gouverneur avisé de la Narbonnaise, habile à jouer des rivalités entre peuples gaulois, entreprend la conquête de l’ensemble de la Gaule, se dotant par là même d’une armée et d’un prestige qui lui permettront de prendre le pouvoir à Rome, mettant fin à la République. Dès lors et pendant quatre siècles, l’histoire de l’actuel territoire français va se fondre avec celle de l’Empire romain. âge de la pierre polie ! néolithique âge de la pierre taillée ! paléolithique Agobard (saint), archevêque de Lyon (Espagne, vers 769 - Lyon 840). Probablement d’origine wisigothique, Agobard naît en Espagne au moment où Charlemagne devient roi. Il est élevé dans l’entourage de l’archevêque de Lyon, Leidrade, à qui il succède en 816. Dès lors, il est l’un des personnages les plus importants du règne de l’empereur Louis le Pieux, fils de Charlemagne. Héritier de la première renaissance carolingienne, il se fait le défenseur de la vocation universelle de la royauté, de l’unité de l’empire et des peuples que gouverne l’empereur. Au nom de ce dernier principe, il prend parti pour Lothaire, fils aîné de Louis le Pieux, dans le conflit qui l’oppose à son père sur la part d’héritage du futur Charles le Chauve, né d’un second lit. En prêtant son concours à la déposition de Louis le Pieux, en 833, il va pourtant à l’encontre de l’unité impériale. L’échec de Lothaire le conduit à l’exil en Italie de 835 à 838. Théologien, il écrit contre les juifs, contre les superstitions et contre les hérétiques, notamment les adoptianistes, qui soutiennent que le Christ a été adopté et non engendré par le Père. En défendant un pouvoir théocratique, Agobard contribue fortement à la confusion entre action politique et pouvoir religieux. agrariens, mouvements politiques qui défendent les propriétaires terriens. Selon Pierre Barral, la naissance de l’agrarisme français date de « la victoire de la révolution industrielle », en 1860, bien avant l’introduction de ce mot dans le lexique national (1885). Le terme est utilisé d’abord pour décrire des réalités politiques étrangères à la France : le parti agrarien allemand, né des réflexes protectionnistes des propriétaires, ou les théoriciens agrariens américains prônant la redistribution des terres par l’État. Les agrariens conjuguent la défense d’intérêts économiques, l’apologie du mode de vie harmonieux de « l’ordre éternel des champs », ainsi que l’affirmation de la cohésion paysanne audelà des différences sociales et des clivages nés de l’urbanisation et de la prolétarisation. Des années 1860 aux années 1930, ils développent des structures paternalistes pour montrer que les campagnes ne sont ni dominées économiquement ni exclues du jeu politique. Après la naissance, en 1867, de la Société des agriculteurs de France, les propriétaires encouragent la création locale de sociétés de cultivateurs. Avec la loi de 1884, qui légalise les syndicats, une fédération organise ce syndicalisme agraire de notables : l’Union centrale des syndicats agricoles, dont le siège est rue d’Athènes à Paris, compte, en 1912, un million d’adhérents, inégalement répartis dans le pays. Face à la « Rue d’Athènes », qui se dit apolitique mais soutient les positions de la droite conservatrice, le « Boulevard Saint-Germain » (Paris) regroupe les syndicats agricoles républicains, rassemblés en 1910 dans la Fédération nationale de la mutualité et de la coopération agricoles. Dans les deux cas, il s’agit d’un syndicalisme interclasses qui s’oppose au socialisme. Après 1930, les thèmes agrariens étant désormais associés au recours à l’intervention de l’État, la défense du monde agricole devient ouvertement celle des exploitants. La direction de l’agrarisme échappe aux anciens notables, et le progrès pour tous constitue un argument de propagande pour la Confédération générale de l’agriculture (CGA). Dans les années soixante, marquées par la crise agricole, ces agrariens - qui se veulent davantage chefs d’entreprise que paysans - se partagent en deux tendances principales : les conservateurs et modérés (FNSEA), et les tenants d’une politique de réformes socio-économiques (CNJA). Entre le Second Empire et la Ve République, les agrariens ont souligné, grâce au mythe de l’unité paysanne, le poids downloadModeText.vue.download 26 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 15 du modèle rural et la permanence des enjeux politiques que représente une population agricole pourtant vouée au déclin. Aguesseau ou Daguesseau (Henri François d’), homme politique et magistrat (Limoges 1668 - Paris 1751). Issu d’une famille de parlementaires, il est le fils d’Henri, intendant du Languedoc et conseiller d’État. Après une formation juridique, il devient avocat général au parlement de Paris (1691), puis procureur général (1700). Sa science du droit, son éloquence et la qualité de ses interventions dans de nombreux domaines, entre autres ceux de la fis- calité et du commerce, lui valent une grande considération. Par sa défense pointilleuse du gallicanisme, il devient un des adversaires les plus redoutables de la politique catholique de Louis XIV. Opposé à la publication de la bulle Unigenitus (1713), il encourt même quelque temps la disgrâce du roi. En 1717, il est nommé chancelier par le Régent. Son désaccord au sujet de l’adoption du système de Law entraîne sa mise à l’écart. L’échec de l’expérience provoque son rappel en 1720, mais son hostilité au « principal ministre », le cardinal Dubois, lui vaut derechef d’être privé des Sceaux en 1722. Il retrouve la dignité de chancelier en 1737, avant de démissionner en 1750. D’Aguesseau fut un des meilleurs juristes de son temps. Il s’est consacré à la réforme du droit écrit, après une large consultation des parlements, qui préfigure celle du Code civil. Certaines de ses ordonnances, entre autres celles sur les donations (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747), inspireront les législateurs du XIXe siècle. À ce titre, il se trouve statufié, à côté de Michel de L’Hospital, devant l’Assemblée nationale. aides, impôts perçus au Moyen Âge, sous le régime féodal, et sous l’Ancien Régime. À l’origine, les aides sont dues par le vassal à son seigneur dans quatre cas : paiement de la rançon du seigneur s’il est fait prisonnier, adoubement de son fils aîné, mariage de sa fille aînée, départ en croisade. D’abord exceptionnel, l’impôt devient rapidement régulier, et se transforme en taxe indirecte perçue sur des biens de consommation - essentiellement les boissons, les alcools et les textiles, mais aussi le papier, le bois, le bétail, l’huile et le savon. Son montant ne va cesser d’augmenter, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le mode de perception adopté est extrêmement complexe jusqu’au XVIIe siècle, et nécessite la création d’une cour, de corps de courtiers-jaugeurs, d’inspecteurs... À partir du XVIIe siècle, cet impôt est affermé, à l’instar de la taille. Toutefois, le mode de perception et le montant varient selon les provinces, car, au XVe siècle, certaines d’entre elles avaient racheté une partie ou l’intégralité des droits qu’elles devaient payer. Ces inégalités régionales, qui illustrent la très grande complexité du système fiscal monarchique, contribuent à rendre cet impôt très impopulaire, comme le montrent les cahiers de doléances de 1789. Les aides disparaissent sous la Révolution. aides (Chambre des), instance judiciaire qui, à la différence de la Chambre des comptes, en charge des affaires du domaine et des finances ordinaires de la monarchie, traite du contentieux relatif à l’assiette et au prélèvement de l’impôt, défini au Moyen Âge, en dépit de sa permanence croissante, comme une ressource extraordinaire. Le nom de cette institution dérive du terme d’« aide », emprunté au vocabulaire féodal, qui désigne dès le XIIIe siècle, mais surtout à partir du XIVe, une imposition indirecte prélevée, pour la défense du royaume, sur la circulation et la vente de certaines denrées, telles que le vin, les alcools et les textiles ; sa compétence s’étend également aux impôts directs tels que la taille ou le fouage. La Chambre des aides est née de la spécialisation judiciaire des neuf généraux des aides, nommés par les états généraux de 1355 pour administrer les subsides consentis à la monarchie. Constituée en une véritable cour en 1389, supprimée par le parti bourguignon en 1418, rétablie, puis divisée en deux organes concurrents (Paris et Poitiers) au temps de l’occupation anglaise, elle ne s’est imposée qu’après 1438. Elle est alors organisée autour de deux juridictions, Paris et Montpellier, puis d’une troisième, installée à Rouen après la reconquête de la Normandie. La Chambre des aides juge en appel des tribunaux ordinaires du système fiscal et revêt pour la monarchie, à la fin du Moyen Âge et durant tout l’Ancien Régime, un rôle essentiel de conseil en matière de finances. Aigues-Mortes (massacre d’), tuerie perpétrée contre des travailleurs immigrés des salines de Camargue, les 16 et 17 août 1893. Le bruit courant que trois Français auraient été tués, les ouvriers saisonniers se lancent deux jours durant dans une « chasse aux Italiens » extrêmement violente. Le bilan officiel fait état de sept morts - cinquante selon le Times -, auxquels s’ajoutent des dizaines de blessés. Seule l’intervention de la troupe ramène le calme et permet le départ des Trans alpins, dont les émeutiers ont obtenu le licenciement massif. Arrêtés quelque peu au hasard, jugés à Angoulême, loin des lieux du drame, dix-sept prévenus sont acquittés par un jury sensible à la xénophobie ambiante, mais refusant aussi de les rendre seuls responsables d’une violence collective. Ce massacre est le plus grave de toute une série d’événements à relents xénophobes, des « vêpres marseillaises » de 1881 aux agressions qui suivirent l’assassinat de Sadi Carnot, en 1887, par l’anarchiste italien Caserio. Il réveille la gallophobie en Italie, y accélérant la détérioration des relations diplomatiques avec Paris. Il s’explique cependant moins par la situation internationale et l’hostilité envers un pays allié de l’Allemagne que par la crise économique et le ressentiment envers des étrangers acceptant des salaires trop bas, Italiens au Sud, Belges au Nord. Enfin, le fait que des agresseurs arborent le drapeau rouge, conspuent l’armée en invoquant la répression de Fourmies (1er mai 1891) ou se réclament de l’anarchie montre les ambiguïtés d’un mouvement ouvrier alors en cours d’organisation, et sa perméabilité au nationalisme. Aiguillon (Emmanuel Armand de Vignerot du Plessis de Richelieu, duc d’), homme d’État (Paris 1720 - id. 1788). Fils d’Armand Louis de Vignerot du Plessis de Richelieu et d’Anne de Crussol d’Uzès, arrière-petit-neveu du cardinal Richelieu, il entre en mai 1738 au service du roi comme lieutenant en second et participe, dès 1740, à la guerre de la Succession d’Autriche. Sur le front italien, il se distingue par sa bravoure. À la mort de son père, le 31 janvier 1750, il devient duc et pair de France. En 1753, il achète la charge impopulaire de commandant en chef de la Bretagne. En 1758, il sauve ce pays d’états d’une invasion anglaise à SaintCast. Pourtant, les faveurs que lui témoignent Louis XV et la comtesse du Barry, ainsi que son souci de lever les droits de ferme (1764) exaspèrent les états de Bretagne. La Chalotais, qui en est le procureur général, se fait le porteparole zélé de ces mécontentements. En 1764, le commandant en chef de la Bretagne est traduit devant le parlement de Rennes pour abus de pouvoir. Louis XV réplique en faisant emprisonner La Chalotais. En représailles, et par solidarité avec le parlement de Rennes, le parlement de Paris s’insurge et déchoit le duc de ses charges. Tous les parlements, ou presque, suivent progressivement l’exemple de Paris. En 1770, Louis XV clôt l’affaire : La Chalotais réintègre ses fonctions, et le procès dirigé contre d’Aiguillon est arrêté. Après la disgrâce de Choiseul, d’Aiguillon forme, en 1771, avec Maupeou et l’abbé Terray, un « triumvirat » qui se donne pour tâche la restauration de l’absolutisme royal au détriment des parlements. Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, puis chargé de la Guerre, il développe une politique de paix avec l’Angleterre. À l’avènement de Louis XVI, en 1774, il est écarté du pouvoir, de même que tous les protégés de la comtesse du Barry. Il se retire alors et se consacre à la mise en ordre de ses écrits. La carrière à la fois militaire et politique du duc d’Aiguillon est caractéristique de celle d’un grand dignitaire de la noblesse d’Ancien Régime. Le temps où le roi préférait « cloîtrer » les grands du royaume à la cour et confier le gouvernement de la France à la « vile bourgeoisie » (Saint-Simon) semble en partie révolu. Ailly (Pierre d’), intellectuel et homme d’Église (Compiègne 1350 - Avignon 1420). D’origine roturière, Pierre d’Ailly poursuit ses études au collège de Navarre, où il devient docteur en théologie (1381), avant d’en être nommé recteur (1384). Il défend alors l’idée de l’Immaculée Conception. En mars 1389, il est aumônier du roi Charles VI et, en octobre 1389, chancelier de l’Université de Paris. Confronté au problème de la division de l’Église (le Grand Schisme, 1378-1417), il prend parti, dans un premier temps, pour le pape Benoît XIII, qui le nomme successivement évêque du Puy (1395) et de Cambrai (1397), mais il prend ses distances d’avec lui vers 1407. Il est créé cardinal en 1411, par la volonté du « pape de Pise » Jean XXIII, qui en fait son légat pontifical en downloadModeText.vue.download 27 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 16 Allemagne (1413). Le concile de Constance (1414-1418) lui permet de donner la mesure de son talent : il y joue un rôle de premier plan pour mettre fin au Grand Schisme (il retire son soutien à Jean XXIII et participe à l’élection du pape Martin V) et pour obtenir la condamnation de Jean Hus. Parallèlement à son action politique, Pierre d’Ailly rédige nombre d’écrits. Dans ses ouvrages philosophiques et théologiques, il se rattache à l’occamisme (ou « nominalisme modéré »). Dans son oeuvre ecclésiologique, il exprime des vues conciliaristes, proposant de tempérer le gouvernement du pape par celui des cardinaux et du concile. Sa contribution scientifique, largement fondée sur la compilation, comprend, entre autres, un projet de réforme du calendrier julien, un traité cosmographique, Imago mundi (lu, plus tard, et annoté par Christophe Colomb), et plusieurs écrits relatifs à l’l’étude des astres, dans lesquels il entend montrer, notamment, que la théologie et l’histoire s’accordent avec l’astrologie. aînesse, priorité d’âge entre frères et soeurs justifiant divers privilèges coutumiers apparus entre le milieu du Xe et la fin du XIIe siècle. Appelés aussi « droit d’aînesse », ces privilèges se fondent, d’une part, sur l’interdiction féodale d’« abréger » le fief afin de préserver la qualité du service militaire dû au seigneur et, d’autre part, sur les valeurs sociales de solidarité et de communauté qui rendent inconcevable la perspective d’une division du patrimoine familial à la mort de son chef. Ces privilèges se sont maintenus jusqu’en 1789 en pays de coutume ; ailleurs, la liberté testamentaire permettait de « faire un aîné », car l’aînesse flattait l’orgueil aristocratique ; elle était « la clé de voûte et la principale colonne de la famille ». Essentiellement nobiliaires, ces privilèges s’appliquent pourtant aux successions roturières dans quelques coutumes (Pays basque, Pyrénées, Manche). Ils gratifient alors l’enfant premier né. Malgré la diversité coutumière de l’ancienne France, les privilèges d’aînesse des successions nobles se définissent globalement comme des règles applicables seulement en ligne directe avec représentation, au profit du fils premier né, légitime ou légitimé, sauf dans les coutumes de l’Ouest, qui ne distinguent pas selon le sexe. Le droit d’aînesse, dirionsnous aujourd’hui, est « d’ordre public » : il s’impose aux parents, qui ne peuvent disposer librement de leurs biens, ainsi qu’au bénéficiaire, qui ne peut y renoncer. Ces privilèges sont honorifiques (port des armes familiales, préséance...), mais surtout utiles : l’aîné recueille un préciput, c’est-à-dire les fiefs titrés, la principale habitation familiale et ses dépendances, et, dans certaines coutumes, la « part avantageuse », portion plus ou moins large des autres biens composant l’hoirie. Investi de la majeure partie de l’actif successoral, l’aîné devrait légitimement en assumer le passif ; mais, parce qu’en ancien droit « meubles sont le siège des dettes », il ne lui incombe qu’une part du passif, proportionnelle à la quotité des meubles recueillie. Abolis dans la nuit du 4 août 1789, leurs effets annihilés par les décrets du 15 mars 1790 et du 8 avril 1791, ces privilèges seront partiellement rétablis en 1808 par Napoléon Ier avec les « majorats ». En 1826, Charles X proposera en vain de renforcer la situation patrimoniale de l’aîné. Les Républiques décideront d’en finir avec cet ultime privilège successoral : une loi du 7 mai 1849 limitera les possibilités de transmission des majorats ; une autre, en 1905, rachètera leurs droits aux derniers titulaires. Aix-la-Chapelle (chapelle palatine d’), oratoire du palais de Charlemagne, construit pour l’essentiel entre 794 et 798. Le mot chapelle vient du latin cappa (« manteau à capuchon »), qui désignait le lieu où était conservé le manteau de saint Martin ; elle est le seul élément du complexe palatial conservé dans son élévation. Vers 790, Charles Ier le Grand (Charlemagne) décide de s’installer près des thermes d’Aquisgrana, et confie la réalisation d’un palais digne de sa puissance à l’architecte Eudes de Metz. La chapelle en est de forme octogonale, haute de 30,55 mètres sous la voûte. Le bâtiment est chargé d’une forte symbolique. Il se rattache directement aux monuments antiques : colonnes apportées de Rome ou de Ravenne, grilles de fer forgé antiquisantes réalisées par des artisans italiens. Ainsi, le roi franc rivaliset-il avec l’empereur byzantin. L’essentiel réside cependant dans le programme théologico-politique véhiculé par la structure même de l’édifice. Le plan centré ainsi que les proportions donnent de la chapelle une image de la Jérusalem céleste. Au premier étage se trouve le trône royal, réplique de celui de Salomon. Charlemagne prend donc place entre le peuple, qui le voit depuis le rez-de-chaussée, et le Christ en majesté, que la mosaïque de la coupole représente adoré par les Vieillards de l’Apocalypse. Avant même son sacre, en 800, s’affirme le césaro-papisme, qui confie au roi le soin de mener son peuple vers la cité céleste. Charlemagne est enterré dans la chapelle en 814. L’empereur germanique Frédéric Barberousse élève son corps en 1165, ce qui équivaut à une canonisation. La relique se trouve depuis 1215 dans une châsse en or. Aix-la-Chapelle (traité d’), traité de paix signé le 28 octobre 1748, qui met fin à la guerre de la Succession d’Autriche (17401748). Après une série de défaites (1740-1744), Louis XV remporte plusieurs batailles prestigieuses, dont celle de Fontenoy (1745), et sort victorieux du conflit. En 1748, il se trouve donc en position d’imposer ses condi- tions aux vaincus. Pourtant, ce traité, signé par la France et l’Espagne d’une part, l’Autriche, l’Angleterre, les Provinces-Unies et la Sardaigne d’autre part, n’apporte rien à la France : Louis XV, alors maître des Pays-Bas, de Madras aux Indes, de Nice et de la Savoie, restitue ces quatre territoires, respectivement, à l’Autriche, à l’Angleterre et à la Sardaigne. Quant à l’Espagne, elle reçoit deux duchés italiens (Parme et Plaisance). Ainsi, le milliard de livres tournois dépensé par le roi de France pour mener cette guerre n’est pas remboursé, malgré la victoire ; qui plus est, Louis XV s’engage à expulser de son royaume le prétendant Stuart et à détruire les fortifications de Dunkerque. Frédéric II, principal bénéficiaire du traité (il obtient la Silésie en Autriche), ne le ratifie pas davantage. Cette excessive modération du « Bien-Aimé » exaspère fortement la population, pour laquelle Louis XV « a travaillé pour le roi de Prusse ». Ce traité, qui met aussi fin au premier grand conflit terrestre et maritime du siècle, met en évidence l’affaiblissement de la France, qui, bien que victorieuse, n’en tire pas le profit qu’en aurait tiré un diplomate du XVIIe siècle. Alacoque (Marguerite-Marie), ! Marguerite-Marie Alacoque Alamans, groupement de tribus germaniques qui participent aux Grandes Invasions. Apparus pour la première fois dans l’histoire de l’Occident au IIIe siècle, les Alamans se heurtent à l’Empire romain, qui les contient derrière le Rhin, entre le Main et le lac de Constance. Ils franchissent le Rhin lors de la grande invasion qui débuta le 31 décembre 406. Implantés en Alsace, dans le Palatinat et en Suisse orientale, ils cherchent, à la fin du Ve siècle, à étendre leur royaume, et se heurtent à leurs voisins francs et burgondes. Clovis, roi des Francs, est vainqueur des Alamans à la bataille de Tolbiac (aujourd’hui Zülpich) en 496. Cette bataille marque un tournant dans le règne de Clovis, qui décide de se convertir au christianisme peu de temps après. Dix ans plus tard, le roi des Francs remporte une seconde victoire contre les Alamans, qui, dès lors, paient tribut aux Mérovingiens. Aux VIe et VIIe siècles, les Alamans constituent un duché autonome, dont le duc est nommé par le roi mérovingien d’Austrasie. Seul Dagobert, roi mérovingien de Neustrie, renverse cette tradition. À sa mort, les Alamans se libèrent du joug franc et reprennent leur autonomie. Au VIIIe siècle, Charles Martel et ses descendants doivent entreprendre de nouvelles campagnes contre eux. Carloman, frère de Pépin le Bref, met un terme aux soulèvements répétés des Alamans en 746. Leur duché est alors intégré au royaume des Francs, et divisé en deux comtés, confiés à des Francs. Convertis tardivement au christianisme par des moines irlandais, les Alamans du royaume franc conservent un sentiment particulariste, renforcé par la « loi des Alamans », rédigée au cours du VIIe siècle et demeurée longtemps en vigueur. Au partage de Verdun de 843, les Alamans passent sous la domination de Louis le Germanique. Ils sont désormais les voisins des Francs, qui, par extension, donneront le nom d’Allemagne à toute la Germanie. Alaric II, roi des Wisigoths de 484 à 507 ( ? - Vouillé 507). Fils et successeur du roi Euric, Alaric II hérite en 484 du royaume wisigothique, qui connaît alors sa plus grande extension. La domination des Wisigoths couvre, en effet, la péninsule Ibérique (sauf le Portugal) et un bon tiers de la Gaule, des Pyrénées à la Loire, de l’Atlantique au Rhône. Contemporain de Clovis, Alaric II compose d’abord avec la nouvelle puissance franque en lui livrant Syagrius, downloadModeText.vue.download 28 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 17 dernier représentant de l’autorité romaine en Gaule. Il lui faut encore manoeuvrer entre les Burgondes et les Francs pour préserver son autonomie. Mais, Barbare et arien (donc hérétique) dans un monde gallo-romain et nicéen (catholique), il ne peut compter, contrairement à Clovis, sur le soutien des évêques et des élites gallo-romaines. Cependant, il tente de mener une politique de fusion des élites et des populations. Aussi édicte-t-il en 506, pour ses sujets gallo-romains, un ensemble de lois - le Bréviaire d’Alaric - qui simplifie le Code civil romain et jette un premier pont entre loi romaine et loi wisigothique. Cet effort n’est pourtant pas suffisant aux yeux des élites gallo-romaines catholiques, attirées par le royaume franc de Clovis, baptisé dans la foi nicéenne. De fait, la majorité des populations d’Aquitaine est ralliée à Clovis dès 500. Menacé au nord par les Francs, à l’est par les Burgondes, au sud-est par les Ostrogoths, trahi de l’intérieur, Alaric II trouve la mort à la bataille de Vouillé (507). Clovis, qui béné- ficie de l’appui de tout le clergé de la Gaule, conquiert alors avec ses Francs le royaume des Wisigoths jusqu’aux Pyrénées. Ces derniers se retirent en Espagne. Seule demeure en Gaule une poche wisigothique autour de Narbonne et de Béziers, la Septimanie, qui gardera longtemps le nom de Gothie. Albert (Alexandre Martin, dit l’Ouvrier), homme politique, militant socialiste (Bury, Oise, 1815 - Mello, id., 1895). Après avoir effectué son tour de France, Albert exerce l’activité de mécanicien modeleur à Paris, sous la monarchie de Juillet. Même s’il compte dans les années 1840 parmi les cadres du mouvement républicain en sa qualité de dirigeant de société secrète, son entrée dans le Gouvernement provisoire en 1848 peut surprendre. Vice-président de la commission du gouvernement pour les travailleurs (dite « commission du Luxembourg »), il joue un rôle politique limité dans le sillage direct de Louis Blanc. La portée symbolique de sa présence est en revanche considérable : il est le seul ouvrier d’un gouvernement bourgeois. Élu à l’Assemblée constituante, il ne siège que quelques jours : il se compromet lors de la crise du 15 mai 1848, ce qui lui vaut la prison, puis un procès en Haute Cour l’année suivante. À la première audience, il arbore fièrement un gilet blanc « à la Robespierre » et refuse de se défendre. Condamné à la déportation - peine maximale en matière politique -, il reste détenu dix ans. À sa libération, il trouve une modeste place d’employé du gaz. Il essuie deux échecs électoraux sous la IIIe République, à l’Assemblée en 1871, puis au Sénat en 1879. Il meurt à 80 ans. La République prend à sa charge les frais de ses funérailles, qui sont suivies par des milliers de personnes. Elle rend de la sorte un ultime hommage à ce quarante-huitard retombé dans un anonymat presque complet. Albert (Marcelin), militant politique (Argeliers, Aude, 1851 - id. 1921). Cet ancien vigneron, devenu cafetier dans sa ville natale, incarne la révolte viticole de 1907. Son charisme - Albert s’est autrefois adonné au théâtre - lui confère un pouvoir de persuasion exceptionnel, à défaut d’un sens politique. Rien, dans les premières semaines du mouvement, ne semble résister à la parole envoûtante du « chef des gueux », du « rédempteur », de l’« apôtre », de ce « cigalou » qui, telle une cigale, grimpe aux platanes pour s’adresser aux foules. Face à la crise viticole, Albert crée un « comité d’initiative », en avril 1907, qui se dote d’un journal, le Tocsin. Ce comité n’a qu’un objectif : mettre un terme à la fraude (la chaptalisation des vins), seule responsable de la mévente aux yeux des vignerons. Dès le 5 mai, Marcelin Albert parvient à réunir 70 000 manifestants à Narbonne, dont le maire socialiste, Ernest Ferroul, devient le principal chef de file. La tension monte vite : le 9 juin, on compte plus de 500 000 manifestants à Montpellier ; les 19 et 20 juin, la troupe tire sur la foule et fait six morts. Albert, menacé d’arrestation, prend la fuite. Renonçant à une action spectaculaire qu’il avait envisagée - entrer soudainement à la Chambre, grâce à l’appui d’un député de l’Aude -, il rend visite à Clemenceau le 23 juin. Le président du Conseil parvient facilement à discréditer son interlocuteur en lui payant son voyage de retour, et en le faisant savoir. Le 26, Marcelin Albert se constitue prisonnier à la demande du comité. Ainsi s’achève sa fortune historique. albigeois (croisade des) ! cathares Albret (maison d’), famille gasconne issue d’Amanieu Ier, sire d’Albret vers 1050. Elle compte des hommes de guerre, des cardinaux, des rois de Navarre. À partir du XIVe siècle, la maison d’Albret mène une politique efficace d’expansion territoriale, agrandissant ainsi le domaine d’origine, qui se composait de la seigneurie d’Albret, du comté de Dreux, des vicomtés de Tartas et de Gaure. En 1470, Alain le Grand, sire d’Albret (14401522), épouse Françoise de Châtillon-BloisPenthièvre et obtient le comté de Périgord, le vicomté de Limoges et la terre d’Avesnes. En épousant Catherine de Foix (1484), Jean III d’Albret ajoute à son domaine le vicomté de Béarn, les comtés de Foix et de Bigorre et, surtout, le royaume de Navarre. Enfin, par l’union d’Henri d’Albret et de Marguerite d’Angoulême (1527), le comté d’Armagnac devient l’une des possessions de la famille, qui détient dès lors tout le sud-ouest de la France, c’est-à-dire le dernier grand fief du royaume. C’est sous Jeanne d’Albret, épouse d’Antoine de Bourbon, que le royaume de Navarre acquiert des frontières stables et se fonde sur une nouvelle religion d’État : le protestantisme. Le fils de la souveraine, Henri III d’Albret, futur Henri IV, épouse en 1572 Marguerite de Valois et accède au trône de France (1589). En 1607, le roi réunit ses territoires de Navarre au royaume : la dernière grande enclave seigneuriale en France disparaît. Alcuin, en latin Albinus Flaccus, clerc anglo-saxon (York, vers 735 - Tours 804). Fils d’une famille de notables anglais, Alcuin est l’élève, puis le maître, de l’école de la cathédrale d’York, l’un des principaux foyers culturels de l’époque. Lorsqu’il rencontre Charlemagne, en 781, il est déjà un maître écouté, dont on admire la piété et la sagesse. Cette réputation conduit le roi à l’inviter à la cour d’Aixla-Chapelle, dont il devient le « directeur des études ». Dans l’Académie palatine, cercle de lettrés rassemblés au palais, où chacun prend le nom d’un auteur de l’Antiquité, Alcuin est « Flaccus », prénom du poète Horace. Ami et conseiller influent de Charlemagne, il met en oeuvre la renaissance intellectuelle connue sous le nom de renaissance carolingienne. En 796, Charlemagne le nomme abbé de la prestigieuse abbaye de Saint-Martin de Tours, où, jusqu’à la fin de sa vie, il accomplit la partie de son oeuvre qui passera à la postérité. La renaissance carolingienne et l’oeuvre d’Alcuin revêtent d’abord un sens religieux. Tous les efforts accomplis tendent vers une meilleure compréhension des Écritures, Ancien et Nouveau Testaments. À la demande de Charlemagne, Alcuin rétablit, entre 797 et 800, le texte de la Vulgate, version en latin, complète et unique, de la Bible, qui fait dès lors autorité en Occident pour plusieurs siècles. Pour transmettre sans erreur les textes recopiés par les moines, il favorise l’emploi de la minuscule caroline, écriture lisible qui introduit la séparation des mots par des espaces. Pour améliorer la compréhension des textes par les clercs, il se fait grammairien et donne en exemple les oeuvres des auteurs classiques ; c’est en partie grâce à lui que nous sont parvenus les écrits de César ou de Cicéron. Surtout, il crée des ateliers de copie dans les monastères, afin de remédier à la pénurie de manuscrits. Grammairien, théologien, mais d’abord pédagogue, il fonde nombre d’écoles. Alcuin et les lettrés de son temps ont redonné à l’Occident l’élan, les moyens et le goût des études, mais il ne leur appartenait pas de faire oeuvre créatrice, si bien que la portée intellectuelle de la renaissance carolingienne reste un sujet controversé pour les historiens. Alembert (Jean Le Rond d’), mathématicien et philosophe (Paris 1717 - id. 1783). Fils naturel de la chanoinesse de Tencin et du chevalier Destouches, il est abandonné à sa naissance, près de Notre-Dame, devant la chapelle Saint-Jean-Le-Rond, dont il prend le nom. Il bénéficie pourtant d’une rente qui lui permet de suivre des études. Surmontant son handicap social, il s’impose rapidement comme mathématicien, reconnu par les institutions culturelles de l’Ancien Régime. Successivement adjoint à l’Académie des sciences (1741), puis associé (1746) et, enfin, membre titulaire (1756), il est aussi élu à l’Académie française et dans nombre d’académies étrangères. Ses premiers ouvrages traitent de mathématiques et de physique : mémoires sur le calcul intégral (1739) et sur la réfraction des corps solides (1741), Traité de dynamique, où est énoncé ce qu’on connaît désormais comme le principe de d’Alembert (1743), Traité de l’équilibre du mouvement des fluides (1744), Réflexions sur la cause générale des vents (1746), Recherches sur les cordes vibrantes (1747) et sur la précession des équinoxes (1749), Essai sur la résistance des fluides (1752), Recherches sur différents points importants du système du monde (1754-1756). Parallèlement à ces travaux strictement scientifiques, il prend avec Diderot la tête de l’entreprise encyclopédique et rédige un DisdownloadModeText.vue.download 29 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 18 cours préliminaire qui constitue à la fois une histoire des progrès de l’esprit humain et un manifeste de la philosophie nouvelle. Pour l’Encyclopédie, il compose plusieurs articles qui le placent au centre des polémiques idéologiques, que ce soit l’article « Collège », qui dénonce l’ordre des Jésuites, ou l’article « Genève », qui critique l’interdiction des spectacles dans la république calviniste et auquel Rousseau répond par la Lettre sur les spectacles (1758). Après la crise de 1757, où le privilège de l’Encyclopédie est mis en cause, il laisse à Diderot la responsabilité de l’entreprise et se tourne vers des combats plus feutrés, plus institutionnels, pour assurer une majorité philosophique à l’Académie française, dont il devient secrétaire perpétuel en 1772. Avec l’Essai sur la société des gens de lettres avec les grands (1753), il théorise cette place de l’intellectuel dans la mondanité. Il est alors une figure familière des salons parisiens, un correspondant privilégié de Voltaire et des souverains acquis à la philosophie, tels que Frédéric II ou Catherine II. Mais il élude les invitations auxquelles répondent, à la même époque, Voltaire partant pour Berlin ou Diderot pour Saint-Pétersbourg, préférant rester auprès de Mlle de Lespinasse, à qui le lie une amitié amoureuse. Il publie des Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie (1753), ainsi qu’un Essai sur les éléments de philosophie (1759), qui marquent la diversité de ses intérêts et sa place éminente dans le mouvement des Lumières. Il perpétue également le genre de l’éloge académique, dont le modèle avait été fourni par Fontenelle. Alençon (François Hercule, duc d’), chef des « malcontents » (Saint-Germain-en-Laye 1554 - Château-Thierry 1584). Quatrième et dernier fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, cet « éternel frustré de la famille de Valois » (Janine Garrisson) profite des troubles religieux pour assouvir sa soif de pouvoir politique. Ainsi, en 1573, il prend la tête du parti d’opposition au roi, qui rassemble des nobles catholiques (Montmorency) et protestants (Henri de Condé) : les « malcontents ». Favorables à une politique de tolérance religieuse à l’intérieur du pays, ils sont pour la fermeté à l’extérieur et souhaitent que le roi gouverne avec l’aide des états généraux : toutes idées qui s’opposent à la politique menée par Charles IX puis Henri III, frères du duc d’Alençon, contre lesquels ce dernier ne cesse de lutter. En 1574 commence la « révolte des malcontents » - la cinquième guerre de Religion -, caractérisée par une offensive coordonnée des malcontents et des armées des Pays-Bas. Pris de court, Henri III accepte, en mai 1576, de signer l’édit de Beaulieu, qui donne satisfaction aux protestants et accorde à d’Alençon le titre de duc d’Anjou, que portait son frère Henri III jusqu’à son avènement. Mais d’Alençon ambitionne le trône des Pays-Bas espagnols : s’alliant à Guillaume d’Orange et à Élisabeth Ire d’Angleterre, il entreprend une expédition aux Pays-Bas, qui se solde par un échec. Sa mort, à l’âge de 30 ans, consacre son beau-frère Henri de Navarre comme l’héritier direct du trône de France. Alès (édit de grâce d’), pardon accordé par Louis XIII le 28 juin 1629 aux protestants du Midi révoltés. L’édit de Nantes avait octroyé aux protestants des libertés religieuses, mais aussi des privilèges politiques : des « assemblées politiques » et des places de sûreté fortifiées. La reprise des hostilités contre les huguenots du Midi, en 1620, visant à réduire leur poids politique et à faire respecter partout le culte catholique, s’était achevée par la paix boiteuse de Montpellier (1622). Dès 1627, la rébellion protestante reprend autour de La Rochelle, dont le long siège ne prend fin qu’en octobre 1628. En Languedoc, l’assemblée d’Uzès (septembre 1627) désigne comme général le duc de Rohan, qui traite avec les Anglais, puis, en mai 1629, avec les Espagnols. Libéré de la guerre de Savoie, Louis XIII décide alors d’en finir, et vient mettre le siège devant Privas, pointe orientale du croissant de villes huguenotes qui va du Vivarais à Montauban. La ville se rend le 26 mai. Mais, à titre d’exemple, elle est livrée au pillage et au massacre. Privés du soutien anglais par la paix conclue entre Charles Ier et Louis XIII, effrayés par l’avancée des troupes royales, les délégués, réunis en assemblée politique à Anduze, poussent Rohan à négocier. Présenté comme une grâce, et non comme un traité entre le souverain et ses sujets, l’édit d’Alès confirme les clauses religieuses de l’édit de Nantes, mais en supprime les clauses politiques : les assemblées politiques et les places de sûreté disparaissent, et les remparts de ces dernières sont rasés. Henri de Rohan doit quitter la France, mais les révoltés sont amnistiés, et les biens confisqués sont rendus. Le pardon royal met fin au parti protestant, véritable État dans l’État, et marque ainsi un progrès déterminant de l’absolutisme. Richelieu peut écrire au roi : « Tout ploie sous votre nom. » Une à une, les cités huguenotes s’ouvrent au roi et à son ministre, qui y rétablissent le culte catholique. Le Cardinal manifeste ce triomphe symbolique par une entrée solennelle à Montauban, le 20 août 1629, entouré de deux archevêques et de sept évêques. Sans remettre en cause la tolérance et la coexistence de deux religions dans le royaume - un fait unique en Europe -, l’édit d’Alès fragilise cependant le protestantisme en mettant sa survie entre les mains du roi. Par la suite, les sujets protestants firent preuve d’un loyalisme sans faille vis-à-vis de la monarchie. Ils ne profiteront pas des troubles de la Fronde pour revendiquer leurs anciens privilèges politiques. Alésia, place forte gauloise où, en 52 av. J.-C., se retrancha Vercingétorix avant d’être assiégé par les armées de César et de s’incliner. Cette reddition marque la fin de l’indépendance de la Gaule. L’oppidum (« place forte ») d’Alésia était la capitale des Mandubiens, petit peuple gaulois dont le territoire est situé entre celui des Éduens et celui des Lingons. Il était implanté sur une colline, aujourd’hui appelée mont Auxois, à Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or), à 70 kilomètres à l’ouest de Dijon. Cette butte calcaire, naturellement protégée sur une partie de ses flancs par une falaise, do- mine les cours de l’Oze et de l’Ozerain, qui rejoignent peu après la Brenne. Les Gaulois se sont contentés de renforcer ces défenses naturelles, principalement dans la partie est, pourvue d’un rempart continu où se trouve la porte principale de l’oppidum. Le sommet de la butte, de forme ovale et orientée est-ouest, couvre une centaine d’hectares. Certains vestiges remontent au néolithique, mais l’occupation proprement gauloise, limitée à la seule partie centrale de la zone, semble commencer vers 70 av. J.-C. Elle a laissé des traces d’urbanisme : rues rectilignes, place et enclos, maisons de bois et de torchis, ainsi qu’un quartier d’artisans bronziers et de forgerons. C’est dans cette place forte mineure que Vercingétorix se retrouve enfermé en 52 av. J.-C. En effet, après sept années de campagnes militaires qui lui ont permis de contrôler presque toute la Gaule, César voit se lever contre lui une grande partie des peuples gaulois coalisés, emmenés par le jeune aristocrate arverne Vercingétorix, qui applique une tactique de « terre brûlée ». La prise de Cenabum (Orléans), puis d’Avaricum (Bourges) permet d’abord à César de ravitailler ses troupes, mais il est battu par Vercingétorix devant Gergovie ; ses derniers alliés, Éduens compris, l’abandonnent, et il doit battre en retraite avec ses dix légions vers le sud. Vercingétorix commet alors l’erreur fatale de l’attaquer en rase campagne. César se défend et enferme à son tour l’armée gauloise dans Alésia. Avec ses 50 000 hommes, il en organise méthodiquement le siège, l’encerclant d’un anneau de 15 kilomètres de fortifications : fossés, rempart en terre surmonté d’une palissade renforcée de créneaux et de tours, pieux à crochets, ou stimuli, trous en entonnoir garnis de pieux pointus, ou lilia, branchages obliques fichés dans le sol, ou cippi. Des pièces d’artillerie, catapultes et balistes, complètent le dispositif. Ces aménagements sont à la fois tournés vers l’intérieur, afin d’interdire toute sortie, et vers l’extérieur, afin d’empêcher le ravitaillement et l’arrivée de renforts. De fait, l’armée de secours, parvenue sur les lieux au bout de quatre semaines, est mise en déroute après plusieurs assauts infructueux, tandis que Vercingétorix échoue dans sa tentative de percer les défenses de César. La garnison, qui avait déjà évacué les non-combattants, morts de faim entre les lignes, doit se rendre. Vercingétorix est livré à César, conduit à Rome et exécuté six ans plus tard. Malgré quelques soulèvements sporadiques ultérieurs, la Gaule est définitivement romaine. Alésia devient une petite ville gallo-romaine avec maisons de pierre, théâtre, forum, basilique et temple. Le site est identifié dès 1839 par une inscription gauloise qui donne le nom de la ville. Napoléon III fait entreprendre des fouilles entre 1860 et 1865, qui permettent de retrouver les fossés du siège et d’exhumer de nombreux objets (armes, monnaies, outils). Les fouilles reprennent au début du XXe siècle, cette fois sur la ville romaine. Depuis 1990, elles se déroulent à une plus grande échelle. Outre Alise, d’autres sites ont été proposés pour Alésia : Alaise (Doubs), Izernore (Ain), Aluze (Saône-et-Loire), ou encore Syam (Jura), mais aucun n’a livré de traces de siège, de combats, ni d’occupation gauloise. downloadModeText.vue.download 30 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 19 Alger (bataille d’), épisode de la guerre d’Algérie, de la fin de l’année 1956 à l’automne 1957, au cours duquel l’armée française est chargée de mettre un terme aux actions terroristes du Front de libération nationale (FLN) à Alger. Adoptant une nouvelle stratégie, ce dernier décide d’étendre la guérilla aux zones urbaines. Le FLN de la zone autonome d’Alger (ZAA), dirigé par Larbi Ben M’Hidi, organise des grèves et des attentats à partir de l’automne 1956. La tension monte entre les communautés européenne et musulmane, et culmine le 27 décembre à l’occasion des obsèques du représentant des maires d’Algérie, Amédée Froger, qui dégénèrent en ratonnades meurtrières. Robert Lacoste, ministrerésidant, confie alors, dans le cadre de la loi sur les « pouvoirs spéciaux » de mars 1956, une mission de « pacification » aux parachutistes du général Massu, qui sont investis des pouvoirs de police. Aux attentats quotidiens du FLN répondent, à partir du 7 janvier 1957, les perquisitions, les arrestations et les interrogatoires menés par les parachutistes. La torture, ponctuellement utilisée auparavant, commence d’être pratiquée de façon systématique dans les centres de triage et de transit et à la villa Susini. Grâce à ces méthodes, l’armée réussit à briser la grève du 28 janvier et, surtout, à arrêter les principaux dirigeants de la ZAA. Toutefois, les attentats reprennent début juin sous la direction de Yacef Saadi. Cette deuxième phase de la bataille d’Alger s’achève avec la capture de Saadi le 24 septembre et le démantèlement complet, pour plusieurs années, de l’organisation clandestine d’Alger. La bataille d’Alger marque une nouvelle étape dans l’escalade militaire en Algérie. Elle suscite en outre - avec la question de la torture - une controverse d’ordre éthique. Alger (expédition d’), premier épisode de la conquête de l’Algérie par la France (25 mai-5 juillet 1830). L’expédition a pour origine un contentieux commercial entre la France et le dey d’Alger (lointain vassal de l’Empire ottoman) et l’incident diplomatique du « coup d’éventail », infligé en avril 1827 par le dey Hussein au peu scrupuleux consul général de France Pierre Deval. Pour obtenir réparation de cette insulte, le gouvernement de Charles X organise le blocus d’Alger, qui s’avère long et inefficace. Trois ans plus tard, le roi décide de transformer cette opération en intervention armée, sous la pression conjointe des milieux d’affaires marseillais et des ultras de son gouvernement. Ces derniers estiment en effet qu’une expédition victorieuse redorerait le blason de la monarchie et affaiblirait l’opposition libérale. L’expédition débute le 25 mai 1830 : un corps expéditionnaire de 37 000 hommes porté par 675 vaisseaux part de Toulon. Le 14 juin, il commence à débarquer dans la baie de SidiFerruch, à l’ouest d’Alger, et, de là, gagne la ville. Celle-ci se rend rapidement et est occupée le 5 juillet, tandis que le dey s’exile. Cet épisode marque le point de départ d’une présence française en Algérie, qui va durer cent trente ans. Son importance n’a cependant pas été saisie par les contemporains : à la veille du renversement du régime, l’opposition critique ce qu’elle considère comme une coûteuse diversion aux problèmes politiques intérieurs ; et c’est sans enthousiasme que la monarchie de Juillet reprendra ce « legs onéreux de la Restauration ». Algérie, pays de l’Afrique du Nord dont l’histoire est particulièrement liée à celle de la France, qui l’a occupé de 1830 à 1962. Fondée par des corsaires turcs luttant contre les Espagnols entre 1516 et 1529, la régence d’Alger constitue, pendant trois siècles, un État autonome au sein de l’Empire ottoman. L’alliance franco-turque nouée entre François Ier et Soliman le Magnifique entraîne une coopération navale et militaire contre l’Espagne en Méditerranée occidentale, l’établissement de relations diplomatiques (consulat de France à Alger, 1564) et commerciales (comptoirs et monopole de la pêche du corail sur la côte du Constantinois). Pourtant, Alger mène une guerre de course presque continue contre les navires français entre 1603 et 1689, provoquant des expéditions de représailles conduites par Tourville et Duquesne. Enfin, une « paix de cent ans » est signée en 1690, puis renouvelée en 1789. Poursuivies durant la Révolution, les relations pacifiques sont rompues par l’expédition de Bonaparte en Égypte (1798-1801), et plusieurs fois perturbées sous le Consulat et l’Empire. Dès 1808, Napoléon confie au commandant Boutin la tâche d’étudier un plan de débarquement à Sidi-Ferruch, à l’ouest d’Alger. En 1815, la France retrouve son consulat et ses comptoirs, mais plusieurs contentieux continuent à troubler les relations entre les deux pays : créances impayées au dey d’Alger pour des fournitures de blé à la République, couverture de navires étrangers par le pavillon français contre les corsaires algériens pendant la révolte grecque de 1821 à 1827, volonté de la France d’exercer sa souveraineté sur les comptoirs d’Afrique et de fortifier ces derniers. En 1827, à la suite d’une offense faite au consul de France Deval par le dey Hussein (un coup d’éventail), Paris rompt ses relations avec ce dernier et impose en vain un blocus pendant trois ans. En août 1829, après une dernière tentative de conciliation, le gouvernement du roi Charles X décide d’offrir Alger au pacha d’Égypte Méhémet-Ali, puis, le 31 janvier 1830, d’intervenir directement. • La conquête. Le vote d’une motion de défiance au gouvernement ultraroyaliste de Polignac par la majorité libérale de la Chambre des députés (les « 221 »), puis la dissolution de la Chambre, le 15 mai, font de « l’expédition liberticide » un enjeu majeur de politique intérieure. Le gouvernement veut en effet « demander des députés au pays, les clés d’Alger à la main ». Malgré la capitulation d’Alger le 5 juillet, l’opposition est victorieuse. Les quatre ordonnances prises par le roi contre la nouvelle Chambre provoquent les Trois Glorieuses (journées des 27, 28 et 29 juillet 1830) et l’abdication de Charles X. La prise d’Alger n’implique aucun projet particulier pour l’Algérie. La monarchie de Juillet, issue de l’opposition à l’expédition, veut éviter de renforcer les légitimistes en abandonnant la conquête. Elle attend pourtant jusqu’au 22 juillet 1834 pour annexer officiellement les « possessions françaises dans le nord de l’Afrique ». L’occupation restreinte, limitée aux environs d’Alger et à quelques ports, doit être complétée par la « domination indirecte » de l’intérieur des terres par l’intermédiaire de chefs indigènes vassaux. Mais l’indocilité du bey de Constantine Ahmed et du jeune émir arabe de l’Oranie Abd el-Kader incite les Français à étendre leur mainmise. En 1840, il faut enfin choisir entre l’évacuation totale et la conquête totale. La première est jugée impossible, parce qu’elle humilierait la France face à l’Angleterre et aux autres grandes puissances européennes (qui viennent de l’obliger à cesser de soutenir le pacha d’Égypte Méhémet-Ali contre le sultan) et parce qu’elle permettrait aux légitimistes et aux républicains d’accuser le régime de sacrifier l’honneur national. La seconde implique deux conséquences de taille, prévues par le nouveau commandant en chef et gouverneur général Bugeaud : un effort militaire sans précédent (le tiers de l’armée française) pour briser, par tous les moyens, la résistance des partisans d’Abd el-Kader ; une colonisation de peuplement massive afin de décourager les révoltes et de transformer l’Algérie en une province française. Manière de pérenniser la conquête, la colonisation est également présentée comme le but positif qui manquait à l’expédition. Le gouvernement général organise alors une colonisation militaire et s’intéresse à des expériences collectivistes (saintsimoniennes, fouriéristes). Mais les émigrants veulent échapper à l’autorité militaire et jouir des mêmes droits civils et politiques que les Français de métropole, posant ainsi la question de l’assimilation. • Quel statut pour l’Algérie ? Le Gouvernement provisoire de la IIe République décide de répondre aux revendications des colons en créant trois départements, divisés en arrondissements et en communes, représentés à l’Assemblée nationale. Après les journées de juin 1848, il relance la colonisation pour résoudre le problème du chômage. La Constitution de novembre 1848 consacre la conquête en faisant de l’Algérie une partie du territoire national. Méfiant envers les Français d’Algérie, trop républicains à son gré, Napoléon III hésite entre la poursuite de l’assimilation et la recherche d’une autre politique. Après avoir rétabli le pouvoir des militaires en 1852, il rattache le pays à un ministère civil de l’Algérie et des Colonies (1858), puis l’en détache, en 1860, et prétend constituer un « royaume arabe » au lieu d’une colonie. Conscient que le dynamisme démographique de la France est insuffisant pour peupler l’Algérie, il veut substituer une colonisation de capitaux à la colonisation de peuplement pour mettre le pays en valeur tout en respectant les intérêts des indigènes. Mais il est vigoureusement combattu par les « colonistes » et par tous les opposants à l’Empire (républicains, libéraux, catholiques). Dès mars 1870, le Corps législatif réclame le rétablissement du régime civil. Durant toute la IIIe République (18701940), la politique d’assimilation est considérée comme un dogme républicain. L’Algérie downloadModeText.vue.download 31 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 20 doit devenir, selon Prévost Paradol, « terre française, peuplée, possédée et cultivée par des Français » (la France nouvelle, 1868). Pourtant, l’échec de ce programme est patent dès 1930. Les trois départements ont retrouvé leurs députés dès 1871, mais la citoyenneté française reste le privilège d’une minorité, et la législation française n’est jamais intégralement appliquée. L’Algérie, comme les autres colonies, conserve un gouvernement général particulier et est dotée, en 1900, d’un budget propre, voté par des délégations financières élues. Le peuplement français est moins important que celui des étrangers venus surtout d’Europe méridionale (Espagne, Italie, Malte). La loi du 26 juin 1889 sur la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés en territoire français accélère la fusion entre les deux populations au sein d’un nouveau « peuple algérien » (tenté par l’autonomie entre 1895 et 1900) distinct des Français de France. Cependant, la population dite « européenne » (qui inclut les étrangers non naturalisés et les juifs algériens) reste toujours minoritaire par rapport aux « indigènes » musulmans : elle ne dépassera pas 14 % de la population totale en 1926, et retombera à 10 % (1 million d’habitants sur 10 millions) en 1954. En outre, elle se replie sur les grandes villes côtières. À l’inverse, la mainmise sur les ressources du sol et du sous-sol s’intensifie. La colonisation officielle organisée par l’État et les transactions privées facilitées par les lois foncières entraînent le transfert aux mains des Européens de plus du quart des terres cultivables et de la majeure partie des pro- ductions commercialisées. Dans les mines, les transports, l’industrie, les banques, les Français détiennent l’essentiel des capitaux et des postes de direction ou d’encadrement. La population musulmane, en rapide augmentation, peut de moins en moins subsister sur ses terres et doit rechercher des emplois salariés dans les grands domaines agricoles, les mines, les chantiers, les villes, et jusqu’en métropole. • Deux catégories d’Algériens. Le décret Crémieux d’octobre 1870 a donné la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, malgré un mouvement antisémite qui exige violemment son abrogation en 1898, et qui finira par l’obtenir du régime de Vichy en octobre 1940. Quant à la très grande majorité de la population musulmane, elle reste en dehors de la « cité française ». Depuis le 14 juillet 1865, l’« indigène » musulman algérien est de nationalité française, mais il reste régi par la loi coranique (ou les coutumes berbères) en matière de statut personnel, et demeure assujetti à un régime disciplinaire d’exception (appelé « Code de l’indigénat » de 1881 à 1927). Il peut pourtant être admis individuellement à la citoyenneté française, à condition d’en être jugé digne et de renoncer à son statut personnel pour se soumettre au Code civil (ce qui est considéré comme une apostasie par les musulmans). Cette procédure, qualifiée à tort de « naturalisation », ne concernera pas plus de dix mille personnes. Une autre solution est envisagée, depuis Napoléon III, par les « arabophiles » : la citoyenneté dans le statut musulman. En 1912, les intellectuels « Jeunes-Algériens » demandent que les « indigènes » soient suffisamment représentés dans les assemblées locales et au Parlement français. Après la Grande Guerre, la loi du 4 février 1919 définit des corps électoraux relativement larges, qui élisent des représentants musulmans minoritaires dans les conseils municipaux et généraux et les délégations financières, mais pas au Parlement. En 1931, l’ancien gouverneur général Maurice Viollette propose d’admettre dans le collège des citoyens français, sans renonciation à leur statut personnel, des individus détenteurs de décorations, de diplômes, ou qui se sont distingués dans l’exercice de fonctions politiques, administratives, économiques. Repris en décembre 1936 par le gouvernement du Front populaire, le projet Blum-Viollette suscite une telle opposition chez les élus français d’Algérie qu’il n’est ni discuté par le Parlement ni appliqué par décret. En fait, depuis juin 1936, il est déjà dépassé par la charte revendicative du Congrès musulman d’Alger, qui réclame la « citoyenneté dans le statut » pour tous les Algériens, dans le même collège que les citoyens français soumis au Code civil et dans une Algérie intégrée à la France. En août de la même année, à Alger, Messali Hadj, leader de l’Étoile nord-africaine, exige une Assemblée constituante algérienne souveraine élue au suffrage universel. • La montée du nationalisme. Le nationalisme algérien est apparu tardivement, d’abord en France avec l’Étoile nord-africaine, association de travailleurs immigrés créée sur l’initiative des communistes en 1926, puis en Algérie avec l’Association des oulémas (savants religieux), plus modérée, en 1931. À partir de 1936, ces deux courants posent publiquement la question nationale. Le Front populaire réagit en interdisant l’Étoile, puis son successeur, le Parti du peuple algérien. Le régime de Vichy substitue à l’idéal républicain d’assimilation son antisémitisme et un paternalisme autoritaire qu’il croit pouvoir faire accepter à la population en rabaissant le statut des juifs par rapport à celui des musulmans. Mais, après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942, les anciens élus réunis par Ferhat Abbas adoptent la revendication d’indépendance dans un Manifeste du peuple algérien (février 1943). Le Comité français de libération nationale, présidé par le général de Gaulle, rejette le Manifeste et relance la politique d’assimilation par un ensemble de réformes politiques et sociales tendant à réaliser rapidement l’égalité de droit et de fait entre tous les habitants de l’Algérie. L’ordonnance du 7 mars 1944 consacre le principe de la citoyenneté française dans le statut musulman, met en oeuvre le projet Blum-Viollette en faveur de 65 000 membres de l’élite, admet tous les autres musulmans dans un second collège pour élire 40 % des membres des assemblées locales. Ces réformes, et les mesures économiques et sociales qui les accompagnent, ne suffisent cependant pas à prévenir la révolte nationaliste qui éclate à Sétif et à Guelma le 8 mai 1945, et qui sera impitoyablement réprimée. De même, les débats aux deux Assemblées constituantes et le statut de l’Algérie voté le 20 septembre 1947 n’ajoutent guère aux réformes de 1944 ; le plan visant au progrès économique et social ne réussit pas à marginaliser les nationalistes, qui préparent l’insurrection du 1er novembre 1954. l ALGÉRIE (GUERRE D’). Du 1er novembre 1954 au 1er juillet 1962, la guerre d’Algérie a tenu la France en échec. Les « événements », d’abord perçus comme des actes de banditisme commandités par l’étranger, sont devenus une véritable guérilla opposant le principal mouvement nationaliste algérien, le Front de libération nationale (FLN), à la France, bien que celle-ci n’ait jamais voulu reconnaître l’état de guerre. Ce conflit franco-algérien a induit d’autres affrontements à l’intérieur de la société algérienne, comme entre Français. Il a provoqué la chute de la IVe République et son remplacement par la Ve, ainsi que la révision déchirante de la politique algérienne et de la politique coloniale de la France. L’importance de ses conséquences en fait l’une des trois grandes guerres françaises du XXe siècle. CAUSES ET BUTS DE LA GUERRE La guerre d’Algérie a été déclenchée, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, par une organisation jusqu’alors inconnue, le Front de libération nationale (FLN), et sa branche militaire, l’Armée de libération nationale (ALN), qui regroupait quelques centaines d’hommes, principalement dans les Aurès et en Kabylie. Mais ses origines sont plus anciennes. • Des résistances anciennes. Sans remonter jusqu’aux résistances acharnées à la conquête française (ininterrompues de 1830 à 1857), et aux nombreuses révoltes qui l’ont suivie (la dernière, contre la conscription dans le Sud constantinois en 1916-1917), on trouve dès 1933 les premiers appels de l’Étoile nord-africaine dirigée par Messali Hadj invitant les Algériens à l’insoumission et à la révolte contre l’impérialisme français en cas de nouvelle guerre européenne. De 1938 à 1954, une fraction du Parti du peuple algérien (PPA, qui succède à l’Étoile) a poursuivi la préparation d’une insurrection, encouragée par l’affaiblissement de la puissance française durant la Seconde Guerre mondiale. Le 8 mai 1945, les manifestations nationalistes de Sétif et de Guelma ont déclenché des révoltes, réprimées avec dureté ; un ordre d’insurrection générale a été lancé pour le 23 mai, puis annulé au dernier moment. De 1947 à 1950, le PPA, légalisé sous le nom de Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), s’est doté d’une Organisation spéciale (OS), paramilitaire et secrète. Démantelée par la police et dissoute par la direction du parti nationaliste, elle se reconstitue en 1954, quand celui-ci se divise en deux tendances : les messalistes, fidèles au père fondateur Messali Hadj, et les centralistes, partisans de la majorité du comité central. En octobre 1954, la troisième force « activiste », composée de jeunes éléments radicaux, fixe la date du pas- sage à l’action armée. • Le FLN. La proclamation du FLN et l’appel de l’ALN, datés du 31 octobre 1954, exposent au peuple algérien et aux militants nationalistes les causes et les buts de la guerre downloadModeText.vue.download 32 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 21 déclenchée en leur nom par un groupe de responsables anonymes qui leur ordonnent de les suivre ; en même temps, le premier texte propose à la France des conditions de paix. La guerre qui commence a pour cause l’oppression du peuple algérien par l’impérialisme français et le refus de toute émancipation pacifique. Son but est « l’indépendance nationale par la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». Le moment est favorable, ajoutent les auteurs de la proclamation, parce que, depuis 1945, le peuple algérien est prêt à se battre pour son indépendance, et que, depuis 1952, les partis frères de Tunisie et du Maroc ont pris les armes avec l’appui de l’Égypte nassérienne ; la crise du MTLD n’est qu’une raison supplémentaire de refaire l’unité par l’action. Les méthodes sont révolutionnaires : employer, pour atteindre le but fixé, « tous les moyens » efficaces, à l’intérieur (où cinq chefs politico-militaires autonomes se partagent le pouvoir de décision) et à l’extérieur (le coordinateur du FLN-ALN, Mohammed Boudiaf, a retrouvé les trois délégués au Caire de l’ex-MTLD, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït-Ahmed et Mohammed Khider). La fin de la guerre peut être hâtée par une négociation avec la France, pourvu que celle-ci reconnaisse l’indépendance de l’Algérie afin de sauvegarder ses intérêts légitimes et ceux de ses ressortissants. • L’enlisement du conflit. Ces déclarations et propositions ne sont pas prises au sérieux par le gouvernement de Pierre Mendès France, qui, le 12 novembre 1954, réaffirme en des termes apparemment définitifs le caractère français de l’Algérie, condamne la « rébellion » comme des actes de banditisme et dénonce l’« inadmissible ingérence » de l’Égypte. Il entend mener de front le rétablissement de l’ordre et l’accélération des réformes poursuivies depuis 1944 en faveur des « Français musulmans ». Le gouverneur général Jacques Soustelle, nommé par Mendès France et confirmé dans ses fonctions par son succes- seur, Edgar Faure, se consacre à cette double tâche de « pacification » et d’« intégration » ; mais son échec dans la première, manifesté par la sanglante insurrection du 20 août 1955 dans le Nord constantinois, le pousse à dénoncer de plus en plus la barbarie des fellaghas (« brigands ») et l’agression de l’« impérialisme panarabe », qu’il identifie au nazisme. Le socialiste Guy Mollet, successeur d’Edgar Faure à la présidence du Conseil, définit le 31 janvier 1956 une nouvelle politique, qui a pour but de concilier le respect d’une « personnalité algérienne » et le maintien de « liens indissolubles » avec la France. Il organise des contacts secrets avec les chefs de la délégation extérieure du FLN, au Caire, à Rome et à Belgrade ; mais les pourparlers s’enlisent en raison de l’intransigeance des chefs de l’intérieur, qui réaffirment le préalable de l’indépendance et lui ajoutent la reconnaissance du FLN comme seul représentant du peuple algérien lors du congrès de la Soummam, réuni le 20 août 1956. Cependant, Guy Mollet et son ministre-résidant en Algérie, Robert Lacoste, renforcent la « pacification » policière et militaire, et mettent en accusation le panarabisme du colonel Nasser, que Guy Mollet présente comme un nouvel Hitler après la nationalisation du canal de Suez, le 31 juillet 1956. Ni l’interception de l’avion marocain transportant les chefs du FLN extérieur à Tunis le 22 octobre 1956 (initiative de l’état-major d’Alger, couverte par Robert Lacoste et par le secrétaire d’État à la Défense Max Lejeune) ni l’expédition israélo-franco-britannique contre le canal de Suez (30 octobre-6 novembre), interrompue par l’ONU et par la « collusion » des États-Unis et de l’URSS, ne découragent les « rebelles » algériens. Ayant échoué à mettre fin à la guerre d’Algérie, Guy Mollet se justifie en recourant à l’anticommunisme, invoquant l’appui décisif de l’URSS à l’Égypte, celui des communistes algériens au FLN et la trahison du PCF. Pour le général Salan, nouveau commandant en chef en Algérie et ancien chef de l’armée d’Indochine, les conflits indochinois et algérien sont deux batailles successives d’une même lutte pour la domination mondiale, et relèvent d’une même stratégie révolutionnaire ou subversive : depuis 1920, et surtout depuis 1945, l’Union soviétique et le communisme international ont pour objectif de saper le monde capitaliste en provoquant la révolte des peuples colonisés, ces derniers étant encadrés par des mouvements révolutionnaires communistes ou nationalistes qui utilisent la propagande anti-impérialiste et le terrorisme. L’Algérie apparaît alors comme l’ultime ligne de défense de l’Europe : son éventuelle perte entraînerait à brève échéance l’avènement du communisme en Algérie et en France ; mais elle n’est pas inéluctable si les responsables militaires et politiques font du contrôle de la population l’enjeu de la guerre et la clé de la victoire. Cette théorie, qui surestime démesurément l’influence du communisme sur le nationalisme algérien, vise à dramatiser la guerre d’Algérie afin d’assurer l’armée française du soutien de la nation entière et de tous ses alliés occidentaux (tentés de voir dans le nationalisme arabe un barrage contre le communisme). Sa diffusion quasi officielle devient vite un obstacle à la recherche d’une solution politique négociée. Ce que prouvent, en 1958, le renversement du gouvernement de Félix Gaillard pour avoir accepté les « bons offices » anglo-américains dans le conflit franco-tunisien dû au bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef (qui marque le début d’une internationalisation de la guerre d’Algérie) ; puis la prise de position des chefs militaires d’Alger contre l’intention du président du Conseil désigné, Pierre Pflimlin, de renouer les contacts avec le FLN en vue d’un cessez-le-feu, et enfin, le 13 mai 1958, leur ralliement à la révolte des Français d’Algérie contre l’investiture de celui-ci. • Vers l’indépendance. Le retour au pouvoir du général de Gaulle, souhaité par les généraux Massu et Salan ainsi que par les comités de salut public d’Algérie, semble d’abord signifier la victoire définitive de la politique d’intégration (bien que le Général évite d’employer ce mot). Mais il substitue rapidement au dogme traditionnel de l’Algérie française le principe de l’autodétermination des habitants de l’Algérie. Implicitement, lors du référendum du 28 septembre 1958 ; puis explicitement, par le discours du 16 septembre 1959, dans lequel il promet aux Algériens qu’ils ont le choix pour leur avenir entre trois options : la « francisation », impliquant l’égalité totale des droits et des devoirs ; la « sécession, où certains croient trouver l’indépendance » dans la rupture totale avec la France ; et le statut d’État autonome associé à celle-ci dans la Communauté. Cette troisième option, privilégiée par le président de la République, devient l’« Algérie algérienne », puis la « République algérienne », quand la Communauté franco-africaine se disloque durant l’été de 1960. Cette première victoire du FLN est incomplète, puisque de Gaulle refuse jusqu’en novembre 1960 de reconnaître en droit ou en fait le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), proclamé au Caire le 19 septembre 1958. Il invite le FLN à se reconvertir en un parti politique légal après avoir dissous l’ALN et livré ses armes. Au contraire, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), réuni à Tripoli en janvier 1960, adopte les institutions provisoires de l’État algérien et les statuts provisoires du FLN, parti révolutionnaire virtuellement unique. Pour sortir de l’impasse, de Gaulle se résigne, au début de l’année 1961, à renoncer à tout préalable pour discuter avec le seul FLN sur l’avenir de l’Algérie et des relations franco-algériennes (conformément aux suggestions des colloques juridiques organisés par les forces de gauche à Royaumont, Aix-en-Provence et Grenoble). Après une longue et difficile négociation, plusieurs fois interrompue, les accords signés à Évian le 18 mars 1962 (suivis par le cessez-le-feu du 19 mars à midi) satisfont les revendications essentielles du FLN en préparant la formation, dans les six mois, d’un État souverain sur l’Algérie du Nord et le Sahara, coopérant avec la France et garantissant les droits des Français d’Algérie conformément à la proclamation du 31 octobre 1954. Mais la France ne reconnaît toujours pas le GPRA comme interlocuteur : elle conserve sa souveraineté sur l’Algérie et la responsabilité suprême du maintien de l’ordre jusqu’au référendum d’autodétermination qui doit ratifier les accords d’Évian et fonder l’État algérien le 1er juillet 1962. Ainsi, plus de sept années de guerre ont obligé les gouvernements français à inverser leur politique de novembre 1954. Mais leur revirement a été plus lent et moins complet sur la légitimité du FLN que sur le droit de l’Algérie à l’indépendance. • Algériens et Européens. En effet, dès le début de l’insurrection, le point faible du FLN a été sa prétention à représenter le peuple algérien sans l’avoir consulté. La proclamation du 31 octobre 1954 promet au peuple algérien et aux militants nationalistes qu’ils seront appelés à juger les organisateurs du soulèvement et se dit assurée de leur patriotisme, mais l’appel de l’ALN menace les indifférents et les traîtres. La volonté de rassembler tous les patriotes dans un parti unique se manifeste de plus en plus nettement à travers les programmes successifs du Front. Or le peuple algérien ne s’est pas rallié promptement et unanimement, pas plus que les partis nationalistes. Durant sa première année, le FLN a su attirer à lui plusieurs partis nationalistes considérés comme modérés : les centralistes de l’ex- MTLD, l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) de Ferhat Abbas et l’AssodownloadModeText.vue.download 33 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 22 ciation des oulémas. Leurs représentants ont été admis par le congrès de la Soummam dans les instances dirigeantes du Front, et même à la présidence du GPRA (Ferhat Abbas de septembre 1958 à août 1961, puis le centraliste Ben Khedda). Mais la réalité du pouvoir appartient toujours aux chefs politico-militaires du FLN-ALN, anciens de l’OS. Le Parti communiste algérien (PCA, interdit en septembre 1955), après avoir tenté de participer pour son propre compte à l’insurrection, a intégré les membres de ses groupes armés dans l’ALN en juillet 1956, mais a refusé de se dissoudre dans le FLN. Le Mouvement national algérien (MNA), nouveau parti fondé par Messali Hadj après l’interdiction du MTLD, a essayé de se rallier les chefs du FLN, puis les a affrontés dans une sanglante guerre fratricide, en Algérie et en France, dont il est sorti vaincu. Le peuple algérien ne s’est pas dressé comme un seul homme au premier appel du FLN-ALN, qui reconnaît avoir mis longtemps à « tirer le peuple de sa torpeur, sa peur, son scepticisme » (plate-forme du congrès de la Soummam). Il lui a fallu deux ans pour implanter sa hiérarchie politico-militaire dans toute l’Algérie du Nord et encadrer la majeure partie de ses habitants musulmans. Cependant, les réfractaires ont été nombreux, soit par loyalisme envers la France, soit par refus d’une autorité imposée par la menace ou la violence. Les autorités françaises en ont profité pour recruter de nombreux soldats ou supplétifs musulmans, et pour nier la représentativité des « rebelles ». Le nombre des premiers a toujours dépassé celui des seconds, et l’écart s’est creusé à partir de 1958, jusqu’à atteindre un rapport de 6 contre 1 au début de 1961 (210 000 contre 33 000 selon les archives militaires françaises). Mais il convient de lire ces chiffres, apparemment très favorables à la France, à la lumière de certains correctifs : pressions des autorités visant à compromettre et à engager le maximum de « Français musulmans », manque d’armes de l’ALN, qui ne pouvait de ce fait mobiliser toutes ses forces potentielles, pertes beaucoup plus fortes et renouvellement beaucoup plus rapide des effectifs de l’ALN (qui aurait totalisé 132 290 combattants de 1954 à 1962, ainsi que 204 458 dans l’organisation civile du FLN). Ainsi, les deux camps semblent avoir mobilisé un nombre de partisans comparable, ce qui dément leurs prétentions à représenter la masse du peuple algérien. Celui-ci a en fait été déchiré par une guerre civile inavouée. Si le FLN a dès le premier jour offert aux citoyens français d’Algérie d’opter pour la nationalité algérienne, il n’en a séduit que quelques dizaines, et n’a jamais prétendu représenter leur majorité. Au contraire, la masse des Français d’Algérie, y compris les juifs algériens, citoyens français depuis 1870 et qui furent rejetés par le régime de Vichy de 1940 à 1943, préféra rester française dans une Algérie française. Cette volonté les a conduits à refuser la tendance croissante des gouvernements et de l’opinion publique métropolitaine à rechercher une solution de compromis négociée avec le FLN. Ce refus, approuvé par les cadres de l’armée d’Algérie et par une partie notable des élites politiques, économiques et culturelles de la France, a entraîné une succession d’épreuves de force (manifestation algéroise du 6 février 1956 contre Guy Mollet, attentat au bazooka contre le général Salan le 16 janvier 1957, révolte du 13 mai 1958 contre Pierre Pflimlin, barricades du 24 janvier 1960 contre le rappel du général Massu, manifestation du 9 décembre 1960 contre la « République algérienne »), aboutissant à des concessions provisoires du pouvoir sous la IVe République, puis à un durcissement de sa volonté d’en finir sous la Ve. Après l’échec du putsch des généraux Challe, Zeller, Jouhaud et Salan (avril 1961) visant à empêcher l’ouverture des négociations d’Évian, ce conflit latent prend la forme d’une guerre civile inégale, opposant l’Organisation armée secrète (OAS) des généraux Salan et Jouhaud à la fois au FLN et au gouvernement légal de la France, soutenu par la très grande majorité de l’opinion métropolitaine. Les violences se poursuivront après la fin de l’Algérie française par des attentats visant le président de la République, jusqu’en 1965. Ainsi, la guerre d’Algérie peut se définir comme une guerre internationale opposant à la France l’État algérien virtuel que veut constituer le FLN, accompagnée de plusieurs guerres civiles divisant les deux peuples concernés. LES MOYENS ET LA FIN • Une guerre totale. La guerre d’Algérie est, comme toute guerre, un affrontement entre deux camps qui tentent, physiquement, de se détruire ; mais c’est aussi un duel de propagande, chacun cherchant à discréditer l’autre en l’accusant de crimes sans précédent. En réalité, leurs méthodes se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne veulent l’avouer. Ainsi, prétendant l’un et l’autre au monopole de la souveraineté légitime sur l’Algérie et ses habitants, ils doivent également protéger les « bons » citoyens et punir les « mauvais ». Toutefois, l’énorme inégalité du rapport des forces impose une certaine dissymétrie, le plus faible cherchant à compenser son infériorité par un surcroît de violence. Les fondateurs du FLN avaient prévu d’employer « tous les moyens ». Cette formule d’un pragmatisme absolu implique la subordination de la morale à l’efficacité, conformément aux « principes révolutionnaires », mais pas une stratégie préconçue en détail. La priorité fondamentale est de gagner le soutien du peuple à l’insurrection pour assurer le recrutement, le ravitaillement, les liaisons et les renseignements des groupes armés par l’intermédiaire d’une organisation politico-administrative encadrant la population. Ce but a été atteint par trois moyens principaux : la propagande faisant appel aux sentiments patriotiques, anticolonialistes et musulmans latents ; le terrorisme interne, châtiant impitoyablement les réfractaires et les « traîtres » en les déshonorant pour dissuader leurs proches de les imiter ; enfin, le terrorisme externe, destiné à tuer des Français pour venger les victimes de la répression ou pour en provoquer d’autres, de façon à creuser un fossé infranchissable entre les deux populations. En même temps, l’ALN mène une guérilla de sabotages et d’embuscades contre l’armée française, sans espérer lui infliger une défaite décisive. Son objectif est de tenir le plus longtemps possible. Le FLN compte vaincre en exerçant une double pression sur les dirigeants français : en décourageant l’opinion publique métropolitaine et en isolant la France dans le monde par une habile propagande. Cette stratégie simple, après les graves difficultés des premiers mois, remporta des succès spectaculaires du milieu de l’année 1955 au début de 1957, voire au début de 1958. L’ALN réussit à s’établir dans toutes les régions montagneuses et à étendre son influence sur tout le territoire de l’Algérie du Nord. Toutefois, sa puissance militaire et son autorité régressèrent ensuite devant les offensives françaises à l’intérieur des frontières. Divers facteurs expliquent ce déclin. L’énorme disproportion des forces et des richesses poussa de nombreux Algériens à se rallier à la France pour éviter une mort violente ou la misère. Mais aussi, souvent, l’abus de la violence comme système d’exercice du pouvoir du FLN-ALN multiplia le désir de vengeance contre lui. De leur côté, les « forces de l’ordre » mènent une double action : de guerre contre les « rebelles », de « pacification » de la population fidèle ou ralliée. L’armée emploie des effectifs considérables (plus de 500 000 hommes à partir du printemps de 1956, grâce à l’envoi du contingent en Algérie, puis au recrutement intensif de supplétifs musulmans), dix fois supérieurs en nombre que ceux de l’ALN. La plupart des appelés servent à des opérations défensives de protection des personnes et des biens contre les sabotages et le terrorisme. Une minorité de troupes d’élite (légionnaires, parachutistes, commandos de chasse...) traquent les unités de l’ALN dans leurs bastions montagneux avec l’appui d’hélicoptères et d’avions d’assaut, ou les groupes terroristes dans les villes. La marine, l’aviation mais aussi les barrages électrifiés et minés construits par l’armée aux frontières marocaine et tunisienne empêchent les infiltrations de renforts et d’armes venus de l’extérieur. L’action proprement militaire se prolonge par la recherche du renseignement auprès des prisonniers et les tentatives d’obtenir des ralliements, la manipulation d’agents clandestins ou la dénonciation de faux traîtres dans les rangs du FLN-ALN. Les « rebelles », considérés comme des criminels de droit commun, sont jugés et punis selon des procédures d’exception (état d’urgence d’avril 1955, pouvoirs spéciaux de mars 1956, etc.), ou en tant que « hors-la-loi », par des moyens illégaux, tacitement couverts par les autorités militaires et civiles (torture, exécutions sommaires), voire organisés et codifiés - c’est le cas de la torture à partir de 1957. • La pacification. La « pacification » concerne surtout la population musulmane restée fidèle ou ralliée. Les troupes de secteur la protègent des pressions des « rebelles », au besoin en la regroupant dans des camps ceints de barbelés. Les sections administratives spécialisées (SAS) leur fournissent des aides matérielles (assistance médicale gratuite, écoles, chantiers ou distribution de vivres...). Les services d’action psychologique diffusent downloadModeText.vue.download 34 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 23 une contre-propagande. Le but est d’isoler les « rebelles » en les privant du soutien populaire et en obtenant des renseignements et des engagements dans l’armée ou dans les formations supplétives (harkis, milices d’autodéfense...). La logique de la guerre antisubversive conduit les chefs militaires à tenter de dicter leur politique au gouvernement et à revendiquer l’unité des pouvoirs militaires et civils. Après leur victoire sur le gouvernement de Pierre Pflimlin en mai 1958, ils l’obtiennent momentanément du général de Gaulle, qui nomme le commandant en chef Salan délégué général du gouvernement en Algérie, avant de le remplacer par le civil Delouvrier et le militaire Challe en décembre 1958. Trois étapes se distinguent dans l’évolution de la situation militaire. De novembre 1954 à janvier 1957, comme on l’a vu, malgré ses difficultés des premiers mois, le FLNALN réussit à s’implanter dans toute l’Algérie du Nord et à y généraliser l’insécurité. Le reflux commence en février 1957, à la suite de l’intervention à Alger des parachutistes du général Massu, qui oblige le Comité de coordination et d’exécution (CCE) à fuir la capitale ; puis il se généralise au printemps de 1958, après l’échec de l’ALN basée en Tunisie à franchir massivement la « ligne Morice » (de février à mai 1958). De la fin 1958 à la fin 1960, l’ALN de l’intérieur, privée d’une grande partie de son soutien populaire, lutte pour sa survie contre le plan Challe (ratissage systématique de tous les bastions montagneux par les « réserves générales » puis par les commandos de chasse des secteurs), pendant que la direction extérieure du FLN, s’étant proclamée GPRA le 19 septembre 1958, tente de camoufler ses dissensions internes en portant la guerre en France (attentats du 25 août au 27 septembre 1958) et en intensifiant sa propagande à l’Est, à l’Ouest et dans le tiers-monde. Enfin, à partir de janvier 1961, la négociation s’engage avec le gouvernement français et prend le pas sur la lutte armée, sans que celle-ci s’interrompe. Malgré l’échec militaire de l’ALN (qui a pourtant formé des bataillons nombreux et bien équipés à l’extérieur des frontières), le FLN sort vainqueur de la guerre le 18 mars 1962. LE DÉNOUEMENT : UNE VICTOIRE TRAHIE OU INUTILE ? • Pourquoi cette issue paradoxale ? Les partisans de l’Algérie française parlent d’une victoire trahie : la guerre aurait été gagnée en 1960 si de Gaulle n’avait pas fait échouer une négociation séparée avec les chefs de la IVe wilaya de l’ALN (Algérois) en lançant un appel au GPRA, qui envoya une délégation à Melun (juin-juillet 1960). De Gaulle luimême a parlé d’une victoire sur le terrain pour justifier sa décision d’ouvrir des négociations en position de force ; mais leur issue a rendu cette victoire inutile. En réalité, parler de victoire en 1960 est exagéré. Même si l’ALN de l’intérieur a régressé à son niveau de 1955, le FLN dispose à l’extérieur d’une armée moderne, d’un appareil administratif, diplomatique et propagandiste efficace, et de réserves considérables dans la population algérienne immigrée en France, dans les prisons, les camps d’internement et les familles des militants tués ou emprisonnés en Algérie. La France aurait dû poursuivre sans relâche son effort militaire et financier pour éviter une nouvelle flambée. L’exemple d’autres mouvements nationalistes (palestinien, irlandais, basque) laisse penser que la lutte aurait pu durer plusieurs décennies. On peut davantage parler d’une défaite politique de la France à partir de la reprise des manifestations populaires nationalistes dans les grandes villes en décembre 1960. Toutefois, si ces manifestations ont influé sur la décision du général de Gaulle de relancer les négociations avec le FLN (interrompues depuis l’échec de Melun en juillet 1960), elles ont suivi son désaveu de la francisation (14 juin 1960) et sa reconnaissance du droit de l’Algérie à former un État souverain (4 novembre 1960). Sa décision n’a pas non plus été imposée par le coût économique et financier de la guerre, très supportable en 1960, ni par une pression extérieure irrésistible des États-Unis ou des Nations unies, même si la guerre d’Algérie a limité la liberté d’action et l’influence de la France dans le monde. De Gaulle a fait son choix en fonction de ce qu’il a jugé être l’intérêt de la France. Sa politique algérienne a été mûrement réfléchie, depuis son séjour à Alger en 1943-1944 jusqu’à son retour au pouvoir en mai 1958. Dès 1947, ses déclarations sur le statut de l’Algérie montrent qu’il ne croit plus à la possibilité de l’assimiler entièrement à la France. En 1955, il confie à plusieurs interlocuteurs que l’Algérie est destinée à l’indépendance ; il préconise pourtant dans une déclaration publique (30 juin 1955) son « intégration dans une Communauté plus large que la France » (mais non dans la France elle-même) et laisse croire à Jacques Soustelle qu’il approuve son action. Rappelé au pouvoir en mai 1958 par les partisans de l’intégration, il est obligé de leur donner des gages verbaux (« Dix millions de Français à part entière » à Alger, « Vive l’Algérie française ! » à Mostaganem). Mais il fait vite comprendre qu’il réserve à l’Algérie une « place de choix » dans la Communauté, cadre constitutionnel permettant une transition vers l’indépendance jusqu’à son éclatement en 1960. Ses raisons se résument, selon des propos tenus à Alain Peyrefitte le 5 mars 1959, à l’impossibilité d’absorber dans la nation française « dix millions de musulmans qui demain seront vingt millions et aprèsdemain quarante » sans ruiner la France et altérer son identité nationale. Le revirement public du général de Gaulle a été accompagné par la majorité des forces politiques. De novembre 1954 à mars 1962, la France est passée d’un consensus favorable à l’Algérie française (les communistes, alignés sur les nationalistes algériens depuis 1946, s’en excluaient) à un autre consensus pour l’indépendance de l’Algérie (sauf l’extrême droite, qui a saisi là l’occasion de prouver son « patriotisme »). Pourtant, la guerre d’Algérie a divisé presque tous les partis : d’abord les gauches au pouvoir, de 1956 à 1958, avec Guy Mollet et Robert Lacoste, puis les droites, de 1958 à 1962. De Gaulle a été soutenu par tous ceux qui ont désiré une solution de compromis négociée avec le FLN, sans oser le dire par peur de l’armée et du nationalisme présumé de l’opinion publique. En réalité, les sondages publiés de 1956 à 1962 montrent que l’opinion de la métropole (contrairement à celle des Français d’Algérie) a très vite évolué vers la recherche d’une solution politique négociée, impliquant le droit à l’indépendance. La IVe République n’a pas été regrettée, précisément à cause de son impuissance à terminer cette guerre. La force du général de Gaulle fut de faire la politique souhaitée par la grande majorité de l’opinion métropolitaine, sinon de ses élites, nettement plus partagées. En effet, à partir des années 1956-1957, les révélations sur l’emploi de la torture déclenchèrent une « nouvelle affaire Dreyfus », dans laquelle se sont affrontés intellectuels de droite et de gauche. Cependant, leurs débats semblent avoir moins pesé sur le cours des événements que la crainte générale d’une guerre sans fin. • Bilan mitigé. La paix d’Évian n’a pas tenu ses promesses de réconciliation : cessez-lefeu, amnistie générale, respect des personnes et des biens, constitution d’un État algérien par des élections libres, avec représentation proportionnelle des Français d’Algérie (bénéficiant d’une double nationalité pendant trois ans), aide française conditionnée par le respect de leurs intérêts et de ceux de la France. L’OAS tenta de rompre le cessez-le-feu par des attentats visant les quartiers musulmans d’Alger et d’Oran contrôlés par le FLN, et les forces armées restées fidèles au gouvernement. Le FLN riposta par des enlèvements de Français et d’Algériens compromis avec la France. Après le référendum du 1er juillet 1962 ratifiant les accords d’Évian, et après la transmission de la souveraineté française à un exécutif provisoire algérien sans autorité, la lutte pour le pouvoir entre les diverses factions du FLN et de l’ALN généralisa une sanglante anarchie, qui précipita l’exode vers la métropole de la quasi-totalité des Français d’Algérie et de dizaines de milliers de Français musulmans menacés de mort, puis d’Algériens privés de travail. Pourtant, le gouvernement français a maintenu son aide financière et technique à l’État algérien, bien que celui-ci ait poursuivi le démantèlement des accords « néocolonialistes » d’Évian par des nationalisations, jusqu’à celle du pétrole saharien en 1971. Il a poursuivi la coopération scientifique et culturelle aussi longtemps que l’Algérie l’a jugée utile. Mais, la guerre civile algérienne, qui sévit dans les années 1990 et au début des années 2000, menace d’éliminer toute forme de présence et d’influence françaises en Algérie. Contrairement aux deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie a laissé en France un souvenir flou : date de commémoration officielle controversée et absence d’encouragement à la recherche historique, ignorance des jeunes générations, affrontement des mémoires antagonistes des partisans de la décolonisation et de leurs adversaires (rapatriés, harkis, militaires de carrière). Une histoire dépassionnée du conflit est nécessaire pour aider ceux qui l’ont vécu et leurs descendants à vivre ensemble en paix, d’autant que le prodownloadModeText.vue.download 35 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 24 blème de l’intégration d’une population d’origine musulmane dans la nation française se pose désormais en France même. Algésiras (conférence d’), conférence internationale tenue en Espagne de janvier à avril 1906, destinée à régler les premiers conflits d’intérêts entre nations européennes au Maroc. Au début du XXe siècle, le sultanat marocain, affaibli et endetté, suscite de multiples convoitises. Aux intérêts allemands, espagnols et britanniques, essentiellement commerciaux, font face les ambitions de la France, qui souhaite y établir un protectorat. L’Allemagne, au contraire, défend le principe de l’internationalisation du Maroc : c’est l’objet du discours prononcé à Tanger le 31 mars 1905 par Guillaume II, qui aboutit à la tenue de négociations internationales à Algésiras. Les treize puissances qui y participent (dont le Maroc, les États-Unis et les grandes nations européennes) adoptent deux décisions principales : la création d’une banque d’État du Maroc, où la France, premier créancier, a une position privilégiée ; la réorganisation de la police des ports marocains, dont l’encadrement est confié aux Français et aux Espagnols. Pour la France, c’est un succès diplomatique. Bien que son ambition d’établir un protectorat soit momentanément écartée, elle a su faire jouer ses alliances multilatérales pour défendre son point de vue face à l’Allemagne, et a obtenu le contrôle de plusieurs ports dans l’Ouest marocain. Cependant, la question marocaine n’est pas réglée. Ce premier épisode annonce la montée des tensions en Europe, et le rôle qu’y tiendront les questions coloniales. Aliénor d’Aquitaine, reine de France de 1137 à 1152, puis reine d’Angleterre de 1154 à 1189 (Belin, Gironde, 1122 - Fontevraud 1204). Fille aînée de Guillaume X, duc d’Aquitaine, Aliénor est, à 15 ans, le plus beau parti d’Occident : elle est en effet l’héritière du duché d’Aquitaine, qui comprend la Marche, l’Auvergne, le Limousin, le Poitou, l’Angoumois, la Saintonge, le Périgord et la Gascogne. À la mort de son père, en 1137, elle épouse l’héritier du roi de France, qui devient peu après le roi Louis VII. L’histoire veut qu’Aliénor, belle, vive et intelligente, ait été déçue par un mari timide et très épris, qu’elle accompagne lors de la deuxième croisade, en 1147. Prise au jeu de son oncle Raimond de Poitiers, prince d’Antioche, elle suscite la jalousie de Louis VII, provoquant une première brouille, à laquelle le pape Eugène III met un terme. Mais la mésentente du couple royal s’amplifie, et Louis VII réunit en 1152, à Beaugency, un concile, qui prononce la nullité du mariage. Deux mois plus tard, Aliénor, âgée de 30 ans, épouse Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, de dix ans son cadet. Lorsque ce dernier devient roi d’Angleterre, en 1154, les domaines des Plantagenêts s’étendent de l’Écosse aux Pyrénées. À partir de 1169, son fils Richard gouvernant l’Aquitaine, Aliénor réside le plus souvent à Poitiers, d’autant que ses relations avec Henri II se dégradent. Mêlée à la révolte de ses fils contre leur père, elle est arrêtée et enfermée à Chinon à partir de 1174. Elle n’en sort qu’en 1189, à l’avènement de son fils Richard Coeur de Lion. Elle retrouve alors un rôle de premier plan : régente pendant la troisième croisade, elle assure en 1199 la succession du royaume à son second fils, Jean sans Terre, puis se rend en Castille, en 1200, pour y chercher sa petite-fille Blanche, destinée à l’héritier de Philippe Auguste, le futur Louis VIII. Sur le chemin du retour, la vieille reine se retire définitivement, jusqu’à sa mort, dans l’abbaye de Fontevraud. À Poitiers, Aliénor d’Aquitaine a tenu une cour brillante, inspirée de son grand-père Guillaume IX le Troubadour. Elle a contribué largement au rayonnement de la littérature courtoise, protégé le troubadour Bernard de Ventadour et favorisé la diffusion de la légende de Tristan. Ses nombreuses filles ont poursuivi ces activités de mécénat, et propagé à leur tour la littérature courtoise en Castille, en Bavière, en Provence et en Sicile. « Monstre femelle » pour les clercs de son époque, Aliénor a longtemps été considérée par les historiens comme une fauteuse de troubles, comme la cause, par son inconduite, son divorce et son remariage, de trois siècles de conflits avec l’Angleterre. Aujourd’hui, on perçoit cette figure célèbre de façon différente : elle incarne la femme libérée du XIIe siècle, symbole d’un Moyen Âge éclairé et plaisant ; cependant, d’aucuns voudraient la présenter comme l’archétype de la princesse médiévale, plus à plaindre qu’à admirer. Si Aliénor continue de susciter des prises de position aussi tranchées, c’est parce qu’elle reste avant tout une figure féminine centrale de notre histoire. Allarde (loi d’), loi votée le 2 mars 1791, sur la proposition du député d’Allarde, qui, en supprimant les corporations, jurandes et maîtrises, ainsi que les privilèges des manufactures, impose la libre entreprise en France. Régissant le monde du travail dans les villes, les corporations sont considérées, au XVIIIe siècle, par les partisans des idées nouvelles du « laissez-faire » comme une entrave à la libéralisation de l’économie. En effet, les corps de métier soumettent à autorisation toute ouverture de boutique, atelier ou manufacture. S’assurant un monopole, ils éliminent la concurrence et mettent un frein à l’évolution des techniques. Une première fois abolies par Turgot, mais aussitôt rétablies (1776), les corporations sont à nouveau supprimées dans la nuit du 4 août 1789, mais la mesure est retirée des décrets d’application. Élaborée lors du débat sur les patentes à la Constituante, la loi d’Allarde autorise enfin tout citoyen à exercer la profession de son choix à condition qu’il s’acquitte de cet impôt. Les ouvriers, croyant que le droit d’association leur sera accordé, ne s’y opposent guère ; mais ils vont vite déchanter : quelques semaines plus tard, la loi Le Chapelier leur interdit le droit de grève et de coalition. Il en va de même pour nombre de manufacturiers et de négociants, qui voient les structures de production bouleversées. Malgré les résistances qu’elle rencontre, la loi d’Allarde libère la production et devient, avec la loi Le Chapelier - son corollaire -, l’une des pièces maîtresses de l’édifice libéral du XIXe siècle. Allemagne (campagne d’), opérations militaires menées en Allemagne par les armées napoléoniennes en 1813. À l’issue de la retraite de Russie, et alors que la Grande Armée n’est plus constituée que de 10 000 hommes, une vague d’enthousiasme - aboutissement du courant national développé en Allemagne depuis le discours de Fichte en 1807 - déferle à Berlin : la jeunesse universitaire, la bourgeoisie et la noblesse réclament un « combat de libération ». La Prusse organise alors une armée de 100 000 hommes, commandée par Blücher, Gneisenau et Clausewitz, et forme avec la Russie la sixième coalition contre la France. Cette dernière s’est redressée rapidement : elle reconstitue une armée de près de 500 000 hommes, qui comprend toutefois une forte proportion de jeunes recrues inex- périmentées. En avril 1813 commence la campagne d’Allemagne : en dépit du nombre croissant des partisans de la paix dans son entourage, Napoléon reprend les armes. Son objectif stratégique est d’installer son armée entre l’Elbe et l’Oder afin de mener les combats loin du territoire français et de protéger la Confédération du Rhin. La première phase des opérations est marquée par les dernières victoires françaises, à Lützen (2 mai 1813) et à Bautzen (2021 mai 1813). Mais la débâcle survenue en Espagne et un armistice propice à la constitution de renforts encouragent l’Autriche, puis la Suède à rejoindre la coalition soutenue par la Grande-Bretagne. L’armée française résiste encore deux mois durant, mais doit céder à Leipzig (16-19 octobre 1813). Le Grand Empire est détruit, et Napoléon ne dispose plus que d’une armée exsangue pour défendre le territoire français envahi. Allemane (Jean), militant socialiste (Boucou, près de Sauveterre, Haute-Garonne, 1843 - Herblay, Seine-et-Oise,1935). Enfant, Jean Allemane gagne Paris, où il devient ouvrier typographe et se syndique à l’âge de 18 ans. Lors de la guerre de 1870, il est caporal de la Garde nationale. Après le 18 mars 1871, il met en pratique, à la mairie du Ve arrondissement, les résolutions laïques et anticléricales de la Commune. Arrêté le 28 mai, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité et déporté en Nouvelle-Calédonie. Amnistié en 1880, il redevient typographe, fonde la Société fraternelle des anciens combattants de la Commune (1889), dont il célèbre tous les ans l’anniversaire. Grâce au prestige d’ancien communard dont il jouit, il joue un rôle majeur dans le développement du mouvement socia-liste, au sein duquel il incarne, avec ses partisans, les allemanistes, une tendance ouvriériste, antimilitariste, méfiante à l’égard du Parlement, des « bourgeois » et des hiérarchies, favorable à la grève générale. Il fonde le Parti socialiste ouvrier révolutionnaire (PSOR) en 1890, puis entre à la SFIO avec son parti (1905). Sans renier ses idées, il siège à l’Assemblée nationale entre 1901 et 1910, rédige ses Mémoires d’un communard (1906), puis cesse son activité militante. En 1914, il approuve l’appui de la SFIO à l’« union sacrée ». Il s’intéresse, sans y adhérer, à la création du Parti communiste, en 1920. downloadModeText.vue.download 36 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 25 Dès 1936, une place porte son nom, parmi des rues dédiées à d’autres communards, à la citéjardin de la Butte-Rouge (Châtenay-Malabry, Hauts-de-Seine). alleu, terme d’origine germanique désignant, au Moyen Âge, les biens patrimoniaux. À la différence de la tenure ou du fief, l’alleu, qu’il soit nobiliaire ou paysan, ne relève pas d’un seigneur : aucun service, aucune taxe ne pèse sur lui. Du haut Moyen Âge à la fin du Xe siècle, il est le mode de possession du sol le plus répandu, en particulier dans le Midi, le Centre et certaines régions de l’est de la France. Mais, à partir du XIe siècle, les terres allodiales se raréfient en raison de l’essor des donations à l’Église, de l’extension du fief et, surtout, de l’avènement de la seigneurie banale. Le phénomène revêt cependant des formes différentes selon les régions. En France du Nord, où l’adage « Nulle terre sans seigneur » s’impose à partir du XIIIe siècle, l’alleu disparaît complètement. En revanche, dans le Midi, en Bourgogne et sur les terres comprises entre la Meuse et le Rhin, il subsiste plus ou moins durablement. D’une part, l’alleu nobiliaire, parce qu’il est fréquemment le fondement même du pouvoir aristocratique, se maintient au moins jusqu’à l’affermissement de la puissance royale et princière au XIIIe siècle. D’autre part, l’alleu paysan, à l’occasion des défrichements et de la mise en valeur de nouveaux terroirs, reprend parfois vigueur, quoique momentanément. La disparition progressive de l’alleu est, en définitive, l’un des principaux signes de l’affirmation de la seigneurie entre le XIe et le XIIIe siècle. Alliance républicaine démocratique, formation politique fondée en 1901 et dissoute en 1978, et qui connut son heure de gloire sous la IIIe République. L’Alliance républicaine démocratique (ARD), créée le 23 octobre 1901, mais dont l’ébauche remonte au mois de mai de la même année, regroupe les républicains de gouvernement. Pour faire face à la poussée antiparlementaire exercée par les nationalistes, ces modérés soutiennent depuis 1899 le gouvernement de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau, et forment, avec les radicaux et les socialistes, le Bloc des gauches en vue des élections de 1902. Même si ces fervents laïques combattent fermement le cléricalisme et défendent avec ardeur le régime parlementaire, ils divergent des radicaux sur des questions économiques et sociales, puis sur la « loi des trois ans », à laquelle ils se montrent favorables. À la veille de la Grande Guerre, l’ARD a glissé du centre gauche vers le centre : elle est devenue « le pivot de toutes les combinaisons politiques » (Jean-Marie Mayeur) et le vivier du personnel gouvernemental du régime, comme l’attestent les carrières de deux de ses plus illustres dirigeants : Raymond Poincaré et Louis Barthou. Ce rôle se confirme durant les périodes du Bloc national (1919-1924) et de l’Union nationale (1926-1928). Au cours des années 1930, l’Alliance, qui passe sous la houlette d’une nouvelle génération de dirigeants, tels Pierre-Étienne Flandin et Paul Reynaud, est rejetée vers la droite après la formation du Front populaire. À la veille de la guerre, les problèmes extérieurs la divisent : une majorité pacifiste et munichoise, menée par Flandin, s’oppose à une minorité favorable à la fermeté, animée par Reynaud. Après 1945, la formation ne retrouvera jamais son influence d’antan. Sous la IIIe République, l’ARD, composée de « bons républicains » attachés à la laïcité et au régime parlementaire, mais aussi au libéralisme économique, représente bien une force du centre, qui va contribuer à « brouiller la bipolarisation » (Rosemonde Sanson). almanach, calendrier annuel ou pluriannuel, accompagné de renseignements variés, et qui fut, du XVIe au XIXe siècle, un vecteur important de la littérature et de l’imagerie populaires. Le terme, vraisemblablement d’origine arabe (al-manah, du syriaque l-manhaï, « l’an prochain »), apparaît pour la première fois en français en 1303 (« almenach »). En effet, c’est du Moyen Âge que datent les premiers almanachs : le Vray Régime et gouvernement des bergers, de Jean de Brie (1379), et, surtout, le Grant Kalendrier et compost des bergers avec leur astrologie et plusieurs autres choses, ouvrage savant publié en 1491 et qui constituera le modèle du genre durant trois siècles. L’invention de l’imprimerie va assurer aux almanachs une large diffusion. Encore relativement coûteux au XVIe siècle, ils touchent un large public lorsque la littérature de colportage s’en empare au XVIIe siècle. Une version populaire du Grant Kalendrier des bergers est publiée chez l’éditeur troyen Oudot en 1657, dans la « bibliothèque bleue ». C’est avant tout un ouvrage d’astrologie fournissant des « pronostications » (« faire des almanachs » signifie « faire des prévisions ») assorties de conseils médicaux, culinaires ou horticoles, en liaison avec les signes astraux. À côté de ce modèle « standard », des concurrents apparaissent (le Mathieu Laensberg ou le Messager boiteux), et de nouvelles formules voient le jour : des calendriers annuels, à partir de 1647, ou des recueils de prédictions valables pour quinze à vingt ans. En même temps que la formule se diversifie, le contenu évolue. L’astrologie conserve une place non négligeable, mais le divertissement, l’information ou un savoir plus technique sont aussi développés : histoire, actualités, nouvelles de Paris, renseignements concernant les foires et marchés, faits divers plus ou moins fantaisistes, curiosités « naturelles » (comètes, monstres), facéties, récits empruntés au folklore, etc. Littérature d’évasion qui propose des réponses simples à la question du destin individuel et des solutions pratiques aux problèmes de la vie quotidienne, l’almanach constitue « le livre unique qui groupe l’essentiel de ce qui est utile au gouvernement de la vie » (G. Bollème). Il rencontre un tel succès qu’au XVIIIe siècle il devient un phénomène de mode auprès des élites de la cour comme de la ville. Ainsi paraissent un Almanach de la cour, des almanachs littéraires (Almanach des Muses, 1765) ou libertins (les Dons de Cérès, le Bijou des dames). À côté de ces livrets, un autre type de production se développe au XVIIe siècle : les almanachs muraux publiés par les éditeurs d’estampes ; placards de grand format où l’image - édifiante, commémorative ou satirique, accompagnée de brèves légendes explicatives et de « vers de mirliton » - envahit la quasi-totalité de l’espace, réduisant le calendrier à une simple vignette. Le rappel des événements de l’année fournit l’occasion de mettre en scène et de célébrer le pouvoir : victoires militaires (le thème le plus fréquent sous Louis XIV...), événements dynastiques, célébrations de la religion, des arts ou des sciences, etc. Ainsi, ces almanachs représentent une sorte d’art officiel à l’usage d’un public populaire. Diffusés par colportage et vendus très bon marché (quelques sous), offrant la possibilité de lire à ceux qui maîtrisent à peine la lecture, les almanachs sont souvent les seuls ouvrages qui pénètrent dans les milieux populaires ruraux et urbains : ils constituent « le livre de la classe la plus modeste, et qui lit peu » (le Messager boiteux, 1794). Leur large diffusion explique la surveillance dont ils sont l’objet, notamment à l’époque de la Contre-Réforme, en raison de leur contenu parfois sulfureux (édits de 1560, 1579, 1620), mais aussi la tentation du pouvoir royal d’y inscrire sa propagande. Le succès des almanachs perdure au XIXe siècle. Depuis la Révolution française, la politique y a fait son entrée : aux almanachs révolutionnaires (le Père Duchesne, 1791), puis socialistes ou anarchistes (le Père Peinard, 1894), répondent les almanachs contre-révolutionnaires (Almanach de l’abbé Maury), conservateurs ou cléricaux (Almanach du pèlerin). Tandis que les almanachs spécialisés (de mode ou de chansons, « calendriers gourmands », etc.) se multiplient, les almanachs « généralistes » poursuivent leur carrière, parfois jusqu’au XXe siècle (ainsi l’Almanach Vermot, né en 1886, ou le toujours populaire Almanach du facteur). Mais la concurrence de la presse grand public et des autres médias de masse leur ôte peu à peu leur caractère de lecture privilégiée des milieux populaires. alphabétisation. Ce néologisme, d’apparition assez récente mais d’usage universel, pose des problèmes de définition qui tiennent à l’évolution de la place et des fonctions de l’instruction dans les sociétés avancées, mais aussi à la diffusion des valeurs fondamentales de ces sociétés dans l’ensemble des pays du monde. La colonisation a en effet éveillé, au cours du XXe siècle, des aspirations nationales et sociales qui avaient auparavant conféré, dans les pays développés, une importance primordiale à l’accès des populations à la culture écrite. • Polysémie d’un terme. Dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1866), Pierre Larousse fait figurer le verbe alphabétiser, ainsi défini : « lire, épeler l’alphabet ». De cette définition du mot par l’apprentissage qu’il désigne, on est passé, dans la seconde moitié du XXe siècle, à une définition par l’enseignement que cet apprentissage suppose. Et le Trésor de la langue française précise que cet enseignement des « rudiments de la lecture et de l’écriture » s’adresse « à des couches sociales ou à des groupes ethniques défavoridownloadModeText.vue.download 37 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 26 sés », tant la géographie et la sociologie actuelles de l’analphabétisme dans le monde en- tretiennent de liens de causalité réciproques avec celles du sous-développement. L’élargissement du contenu de l’alphabétisation, dont témoignent les définitions des experts de l’UNESCO en 1951 puis en 1962, indique le moment de notre histoire où la promotion de chaque homme a été jugée déterminante pour le développement des peuples et des nations. • La lecture : du religieux au politique. C’est dire les difficultés que soulève l’emploi rétrospectif du même terme par les historiens lorsqu’ils abordent la question des lents progrès passés de l’instruction populaire. La situation particulière de la France ajoute encore à ces difficultés de principe, dans la mesure où la question, comme l’ont souligné François Furet et Jacques Ozouf, a longtemps été liée aux enjeux essentiels de notre vie politique. Au lendemain de la défaite de 1871, cause immédiate du grand élan qui a conduit les républicains à placer l’enseignement primaire obligatoire en tête de leur programme, le linguiste Michel Bréal, futur conseiller de Jules Ferry, affirmait que l’enseignement primaire, partout où il s’était développé avant le XIXe siècle, était fils du protestantisme. L’obligation de la lecture directe de la Bible, source et aliment constant de la foi protestante, a en effet ouvert et longtemps commandé le processus d’alphabétisation des Français. Car elle a aussitôt fait naître une concurrence féconde : pour triompher des protestants sur leur propre terrain, les catholiques ont à leur tour privilégié l’accès au texte sacré comme instrument d’évangélisation. De religieuse qu’elle était aux temps de l’affrontement entre Réforme et Contre-Réforme, la question est devenue politique une fois consommée la rupture de 1789. La philosophie des Lumières avait certes préparé l’émergence des nouveaux termes du débat : l’instruction ne devait plus seulement servir à former des croyants et des sujets, mais éclairer les hommes et leur ouvrir les voies de l’émancipation. Nul ne l’a mieux montré que Condorcet : le remplacement de la monarchie absolue par un régime fondé sur la souveraineté du peuple impose à l’État la formation de citoyens proclamés libres et égaux. L’obligation nouvelle est de leur rendre intelligibles non plus les dogmes de leur foi, mais leurs droits et leurs devoirs. Dans une société désormais travaillée par les oppositions entre traditionalistes et libéraux, en marche vers la réalisation d’idéaux laïques et démocratiques, le déplacement du conflit de la sphère religieuse sur le terrain politique a eu pour effet de valoriser plus que jamais l’accès à l’instruction. La vie politique française à partir de 1789 le confirme constamment, et ce conflit ne se distingue plus, dès lors, de celui qui oppose Révolution et Contre-Révolution. • L’enquête de Maggiolo : débats et constats. Il est très significatif que l’enquête fondatrice sur l’évolution historique de l’alphabétisation en France ait été lancée en 1877, au moment même où se jouait l’avenir des institutions républicaines. Son initiateur, Louis Maggiolo, ancien recteur de l’académie de Nancy, obtient alors du ministère une mission de recherche sur l’état de l’enseignement primaire avant 1789. La logique de ce projet traduit les préoccupations du temps : l’alphabétisation n’est pas conçue indépendamment de l’activité scolaire, dont elle est le signe et le résultat, et il s’agit de comparer l’état de l’instruction populaire avant et après la Révolution. Ni l’idée de cet inventaire ni le souci d’utiliser des procédures statistiques n’étaient nouveaux. L’État réunit des données chiffrées sur le degré d’instruction des conscrits à partir de 1827, sur les signatures au mariage à partir de 1854, enfin sur le degré d’instruction des Français dans les recensements de la population de 1866 et 1872, et de nouveau à partir de celui de 1901. L’apport considérable de Maggiolo tient à l’extension chronologique de son enquête et aux moyens qu’il a su se donner pour la mener à bien. Près de 16 000 instituteurs ont relevé pour lui, dans leur commune, les signatures des époux sur les actes de mariage pour quatre périodes quinquennales : 1686-1690, 1786-1790, 1816-1820 et 1872-1876. Les résultats ont inspiré quelques regrets et critiques. Si loin qu’il soit allé en amont de la Révolution, Maggiolo s’est résolu à laisser dans l’ombre la période antérieure à 1686. Mais il avait fallu attendre 1667 pour que la signature des actes de mariage par les époux et par quatre témoins fût officiellement obligatoire dans l’ensemble du royaume. Le cadre départemental, retenu pour le classement des chiffres, ne saurait valoir pour l’Ancien Régime. En outre, les échantillons sont de taille fort inégale suivant les départements, et la plupart des sondages, effectués par des maîtres d’école de village, affaiblissent notablement la représentation des villes. Depuis la redécouverte de cette enquête, à la fin des années cinquante, l’essentiel du débat a porté sur la pertinence de l’indicateur choisi par Maggiolo : la signature peut-elle être tenue pour un indice sûr de l’aptitude à lire et à écrire ? On peut certes estimer, avec Yves Castan, qu’elle n’est qu’un degré zéro de la culture ou, avec J. Meyer, qu’elle doit être considérée comme un degré intermédiaire entre lecture et écriture. Or la pédagogie ancienne dissociait l’apprentissage de la lecture et celui, jugé plus difficile, et pour cette raison plus tardif, de l’écriture. Comme l’ont souligné Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia et Bernard Grosperrin, les petites écoles de l’Ancien Régime ont produit plus de « lisants » que de « signants », dans une proportion que les historiens ne peuvent mesurer. Pour la plupart, ils se sont donc rangés au sage avis de Jean Quéniart : si incertaine que soit l’interprétation des comptages de signatures, la pauvreté des moyens dont ils disposent pour entrevoir la réalité de l’alphabétisation ancienne leur interdit de s’arrêter à leurs insuffisances. Ces résultats font ressortir quatre types de conditions qui ont contribué à prolonger longtemps la sous-alphabétisation. Les cartes dressées à partir des données chiffrées ont confirmé, pour l’essentiel, la validité d’une ligne continue reliant Saint-Malo à Genève, identifiée dès 1826 grâce aux statistiques du baron Dupin sur l’instruction populaire. Cette ligne figure en quelque sorte la frontière entre la « France obscure » de l’Ouest et du Midi et la « France éclairée » du Nord et du Nord-Est. D’autres oppositions apparaissent, entre les riches et les pauvres, entre les citadins, plus précocement alphabétisés, et les ruraux, enfin entre les hommes et les femmes, très inégalement scolarisés. En somme, le bilan n’est point si défavorable à l’Ancien Régime : à la fin du XVIIe siècle, déjà près du tiers des hommes et un huitième des femmes pouvaient signer leur acte de mariage. Si la Révolution a préparé les irréversibles progrès du XIXe siècle, c’est par ses principes et ses projets plus que par ses mesures effectives : d’après les évaluations de Maggiolo, le taux d’alphabétisation des hommes est passé de 47,4 % en 1786-1790 à 54,4 % en 1816-1820, et celui des femmes, dans le même laps de temps, de 26,8 % à 34,5 %. Les textes de 1881, 1882 et 1886 ont couronné une législation à laquelle Guizot, en imposant aux communes l’ouverture d’une école (loi de 1833), puis Duruy, promoteur de la gratuité de l’instruction primaire et de la scolarisation des filles (loi de 1867), avaient apporté des contributions décisives. • Alphabétisation d’hier et d’aujourd’hui. Si l’on ne croit plus aujourd’hui que l’alphabétisation résulte exclusivement de la scolarisation, il ne reste pas moins qu’au XIXe siècle l’alphabétisation des adultes n’a jamais été envisagée autrement qu’en liaison étroite avec l’instruction élémentaire des enfants. En 1864, Duruy a même autorisé les instituteurs à ne faire que cinq heures de classe aux enfants pour pouvoir donner ensuite des cours du soir aux adultes. On rejoint ici les problèmes sociaux et culturels posés par l’alphabétisation dans le monde contemporain. La scolarisation élémentaire ancienne, courte, légère, intermittente, échouait souvent à assurer l’accès définitif à la culture écrite, l’enfant retombant vite, après avoir quitté l’école, dans l’analphabétisme familial. Cette fragilité de l’alphabétisation par la seule école affecte encore couramment les sociétés du tiers-monde. L’intégration des travailleurs étrangers en France s’est heurtée à d’autres obstacles, dont certains sont très comparables à ceux que rencontraient les maîtres d’autrefois dans les écoles de campagne. La règle d’alphabétiser ces populations dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle ne va pas sans problèmes de conscience : ne contribue-t-on pas par là au déracinement, et donc à l’affaiblissement de la cohésion sociale ? Ces questions, comme toutes celles que pose la généralisation planétaire du primat conféré à la culture écrite, sont la rançon de notre vision unitaire, sinon uniformisatrice, du progrès de l’humanité. Alphonse de Poitiers, comte de Poitiers et de Toulouse ( ? 1220 - Savone, Italie, 1271). Cinquième fils de Louis VIII et de Blanche de Castille, frère de Saint Louis, Alphonse reçoit en apanage le Poitou et la Saintonge, fraîchement ravis à l’Angleterre. En 1229, le traité de Meaux-Paris, qui met fin à la guerre contre les hérétiques du Midi, fait de lui le fiancé de la fille de Raimond VII de Toulouse, Jeanne, qu’il épouse en 1237. En 1241, Alphonse est downloadModeText.vue.download 38 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 27 investi de son apanage. Les barons poitevins lui prêtent d’abord hommage, mais se révoltent l’année suivante et sont soumis lors de victoires royales de Taillebourg et de Saintes en 1242. En 1249, à la mort de Raimond VII de Toulouse, Alphonse devient comte de Toulouse. Il est fait prisonnier en Égypte lors de la septième croisade. Après sa libération, il revient en France, où il exerce la régence de 1252 à 1254. Il participe à la dernière croisade de Saint Louis et meurt à Savone, au retour de Tunis, quelques jours avant sa femme. Jeanne de Toulouse et Alphonse de Poitiers n’ayant pas d’héritier, leurs possessions reviennent au domaine royal. Miroir du siècle de Saint Louis, Alphonse de Poitiers prend part à tous les mouvements de son époque. Il se croise par deux fois et, à l’instar de son frère, fait progresser l’administration de ses domaines, au point que les multiples enquêtes qu’il ordonne constituent aujourd’hui une mine de renseignements pour les historiens. Mais l’homme lui-même reste peu connu. Son action dans des territoires récemment conquis a facilité leur intégration. Pourtant, force est de constater que leur rattachement à la couronne relève plus d’accidents de l’histoire (mort de Raimond VII sans autre héritier, et stérilité du couple Alphonse/ Jeanne) que d’un véritable calcul politique de la part de Saint Louis. Alsace, région de l’est de la France, séparée de l’Allemagne par le Rhin, et des autres départements français par la ligne de crête des Vosges. Confinant à la Suisse, au sud, et au land de Rhénanie-Palatinat, au nord, l’Alsace est à tous égards un pays « d’entre-deux », soumis à la double influence du monde germanique et du monde roman. Longtemps écartelée entre la France et l’Allemagne, qualifiée parfois de province peuplée d’Allemands, mais perçue aussi comme un modèle de patriotisme, elle constitue aujourd’hui une région formée de deux départements : le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. Dès la fin du dernier siècle avant notre ère, l’Alsace est le théâtre d’incessantes invasions qu’expliquent sa position frontalière. L’invasion des Suèves, menés par Arioviste, nécessite l’intervention victorieuse de Jules César en 58 avant J.-C. Après une longue période de paix romaine et de prospérité économique, la région est dévastée au IVe siècle par les Alamans. Trois siècles plus tard, le nom d’« Alesaciones » apparaît pour la première fois dans les textes ; aujourd’hui encore, son origine reste obscure, et sa signification, controversée. Conquise par les Mérovingiens, puis par les Carolingiens, l’Alsace devient le champ clos des guerres de succession : après le serment de Strasbourg (842) et le traité de Verdun (843), qui l’intègrent à la Lotharingie, le traité de Mersen (870) lie son destin au futur Saint Empire romain germanique, auquel elle restera attachée jusqu’en 1648. • De l’Empire germanique au royaume de France. Le Moyen Âge voit essor urbain et avènement d’un mouvement d’autonomie politique coïncider : afin de résister au joug des seigneurs et des évêques, dix villes d’Alsace s’allient et constituent, en 1354, la ligue de la Décapole. En dépit du morcellement féodal, et grâce à sa position de carrefour, l’Alsace connaît un brillant développement, tant économique que spirituel. Elle devient à la Renaissance l’un des hauts lieux de l’humanisme - les savants affluent de toutes parts - et s’impose comme foyer de diffusion de la Réforme (Johannes, dit Jean, Sturm). À l’issue des guerres de Religion, les deux cinquièmes des habitants sont de confession luthérienne. Pendant la guerre de Trente Ans, l’Alsace connaît à la fois massacres, misère et dépeuplement. En 1648, les traités de Westphalie marquent le début du basculement de l’Alsace dans l’orbite de la France. Intendants et armées complètent l’annexion et l’achèvent par la prise de Strasbourg (1681), tandis que l’introduction du droit français unifie le pays. Au XVIIIe siècle, l’influence française se renforce dans les villes et auprès des 650 000 habitants, dont le dialecte germanique, aux nuances infinies, demeurait la langue. Durant ce siècle de prospérité économique, l’Alsace s’industrialise (manufactures de textile à Mulhouse), et l’agriculture connaît un remarquable essor, mais le régime douanier demeure celui d’une « province à l’instar de l’étranger effectif ». La Révolution suscite, dans un premier temps, l’adhésion de la population : celle des protestants est telle que leur Église parvient, dans un premier temps, à préserver ses biens. À destination des habitants de Kehl - la ville allemande qui leur fait face outre-Rhin -, les Strasbourgeois placent la célèbre pancarte : « Ici commence le pays de la liberté ». La Marseillaise, composée à Strasbourg par Rouget de Lisle (1792), participe de la même ferveur. Mais la menace de l’invasion étrangère et l’opposition du clergé catholique entraînent les excès de la Terreur : Saint-Just assimile les coutumes et l’idiome local à une trahison. Il faut attendre la chute du gouvernement révolutionnaire pour que le climat social s’apaise et que les églises soient rendues aux cultes catholique et protestant. Sous l’Empire, le développement économique assure une popularité durable au régime, d’autant que Napoléon laisse aux recrues l’usage de l’alsacien pourvu qu’elles « salvent en français ». Après le déferlement des troupes alliées en 1814, les no- tables protestants boudent la Restauration ... mais soutiennent la monarchie de Juillet. L’esprit républicain progresse ; les élections au suffrage universel, à partir de 1848, révèlent une spécificité alsacienne qui durera plus d’un siècle : les effets du clivage confessionnel. Les protestants votent alors « rouge », et leurs élites sociales s’opposent à Napoléon III. Mais la région se concentre avant tout sur son essor économique : les industries textiles et chimiques font de Mulhouse le centre le plus important de France, tandis que le chemin de fer de Mulhouse à Thann est l’une des premières lignes du pays. • Une terre disputée entre l’Allemagne et la France. Amputée, après la défaite de 1870, du futur Territoire de Belfort, demeuré français, l’Alsace, annexée par le Reich allemand, forme, avec une partie de la Lorraine, le Reichsland Elsass-Lothringen, directement administré par Berlin mais appartenant à tous les États confédérés du Reich. Ses élus protestent d’abord auprès du gouvernement français contre cet abandon (Bordeaux, 1871), puis auprès du conquérant (Reichstag, 1874) : protestation ambiguë, car les catholiques s’opposent surtout au Kulturkampf, alors qu’une partie des protestants s’accommode des conséquences de la guerre. Un dixième des habitants quitte cependant la région pour s’installer en France ou en Algérie. Commence alors, malgré des fluctuations et des éclipses, une longue période durant laquelle l’Alsace occupe une place privilégiée dans le coeur des Français. De la passion revancharde à la nostalgie folklorique, toutes les attitudes se manifestent et cristallisent les formes les plus diverses du sentiment national. Littérature, dessin et caricature jouent un rôle essentiel dans ce processus : en témoignent, en France, la popularité des récits et romans d’Erckmann-Chatrian (l’Ami Fritz, Histoire d’un paysan) ainsi que les illustrations naïves et satiriques de Hansi, vecteurs d’une mythification des provinces perdues. À partir des années 1880-1890, la protestation recule. Tandis que les socialistes privilégient les revendications sociales, le temps et la germanisation des écoles érodent peu à peu le souvenir de l’identité française. Simultanément, le Reich concède aux Alsaciens une participation croissante au pouvoir et octroie une Constitution et un Landtag, dont la Chambre basse est élue au suffrage universel (1911). La réforme ne débouche pas pour autant sur l’instauration d’un État autonome, semblable aux autres États allemands. Le système des partis est alors calqué sur celui du Reich : un parti catholique, des courants libéro-protestants, un parti social-démocrate (SPD), et un conservatisme protestant très faible. En une période où les Alsaciens sont surtout soucieux de paix et ne remettent plus en cause le fait accompli, plusieurs facteurs semblent faciliter l’assimilation au Reich : la naissance du mouvement culturel alsacien, une législation moderne (y compris dans le domaine social), ainsi qu’un développement économique et urbain remarquable (Strasbourg passe de 85 000 habitants en 1871 à 178 000 en 1910). Mais, en 1914, le comportement des armées à l’égard des civils dresse les Alsaciens contre le Reich et annule les effets de la dynamique intégratrice. Accueilli avec ferveur en 1918, le retour des Français ne débouche pas moins sur une incompréhension réciproque. Le culte de l’Alsace-Lorraine ayant constitué, pendant près d’un demi-siècle, le ciment de la IIIe République et du patriotisme, les Français n’ont cessé de percevoir les « provinces perdues » comme deux orphelines guettant le retour de leur mère. Mais les Alsaciens et les institutions qui régissent leur vie quotidienne ont changé dans l’intervalle. Paris évite donc de toucher au « droit local », mélange de textes d’avant 1871, souvent abrogés en France, et de textes votés après l’annexion. Reste que la substitution de fonctionnaires de l’« intérieur » aux autochtones, l’imposition de la langue française - désormais ignorée de presque tous - et diverses mesures pénalisantes provoquent un indéniable malaise, qui se transforme en rébellion des catholiques, lesquels veulent croire que le Concordat et le statut confessionnel de l’école sont menacés. downloadModeText.vue.download 39 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 28 Des courants autonomistes de toutes nuances prennent le relais : traditionalisme catholique, communisme autonomiste, mouvements régionalistes attachés à la langue allemande, jusqu’à un extrémisme séparatiste et pronazi qui fournit le contingent des ralliés en 1940, au moment de l’annexion de facto de l’Alsace au IIIe Reich. Ayant promis de germaniser la population en l’espace de dix ans, le gauleiter de Bade-Alsace, Robert Wagner, fait régner la terreur. Ce n’est pas la simple collaboration qui est exigée, mais l’adhésion sous peine de sanction : d’où l’élimination de tous les signes qui rappellent la France, y compris les prénoms et patronymes, qui sont germanisés. Une résistance très précoce s’organise, que l’incorporation forcée dans les armées allemandes, à partir d’août 1942, ne fait qu’intensifier. Exécutions et emprisonnements dans les camps se multiplient. En additionnant les victimes de la Résistance et des combats de la Libération aux 25 000 à 30 000 morts ou disparus parmi les 105 000 enrôlés de force (les « malgré-nous »), on obtient un taux de victimes de guerre bien supérieur à celui des autres provinces françaises. La libération n’est définitive qu’en mars 1945. Les exactions nazies ont rendu plus facile la réintégration de l’Alsace dans l’ensemble français. • L’Alsace au carrefour de l’Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Alsace connaît un remarquable essor industriel lié à sa situation de carrefour : routes, réseau ferré et voies navigables assurent l’implantation des sites selon un axe européen qui va de Karlsruhe à Bâle. Malgré un déclin qui frappe aujourd’hui les vallées vosgiennes, la situation de l’emploi demeure moins dramatique que dans le reste du pays, du fait des travailleurs frontaliers qui exercent leur profession en Suisse ou en Allemagne. Région forte en dépit de la crise, l’Alsace actuelle est tiraillée entre une vocation européenne - Strasbourg est le siège du Parlement européen et Conseil de l’Europe - et un repli identitaire, dont témoigne, aux scrutins présidentiels de 1995 et de 2002, le taux élevé de suffrages en faveur du candidat du Front national. Crispations autoritaires et ouverture à des échanges transnationaux indiquent, sur des modes opposés, que l’Alsace continue de tracer sa voie en cherchant à dépasser le cadre français, voire à s’en détourner. L’Alsace demeure donc bien une région d’entre-deux. Alsace-Lorraine (question d’), ensemble des problèmes posés par l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine à l’Empire allemand après la défaite militaire de 1870. Du traité de Francfort (10 mai 1871) à novembre 1918, le territoire correspondant aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin (Territoire de Belfort excepté), de la Moselle (sauf le bassin de Briey) et à une partie de la Meurthe est une propriété commune des États allemands confédérés. Cette « terre d’Empire » (Reichsland) est d’abord administrée depuis Berlin, puis, à partir de 1879, passe sous l’autorité d’un gouverneur installé à Strasbourg et d’un secrétaire d’État respon- sable d’une administration dont la plupart des postes clés sont confiés à des fonctionnaires prussiens. • D’une annexion à l’autre. Le traité de Francfort est reconnu par les puissances européennes, mais la grande majorité des Alsaciens-Lorrains dénonce le principe de l’annexion : leurs élus protestent, à l’Assemblée nationale puis au Reichstag, contre la violation du droit imprescriptible des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le traité de Francfort autorisant les Alsaciens-Lorrains à se prononcer en faveur de la nationalité française avant le 1er novembre 1872, plus de 200 000 d’entre eux optent pour cette solution, et se réfugient en France ou en Algérie. Jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, la politique allemande à l’égard de l’Alsace associe rigueurs et concessions : l’allemand devient la langue officielle, mais les lois françaises, notamment le Concordat de 1801, demeurent en vigueur. En 1911, l’octroi d’une Constitution dissimule mal l’échec relatif de la politique de germanisation. Considérée comme nulle et non avenue par l’opinion publique française, l’annexion de 1871 attise les ferveurs nationalistes et pèse sur les rapports entre la France et l’Allemagne. Cependant, l’esprit de revanche connaît bien des fluctuations : la nostalgie des provinces perdues, entretenue par la littérature (les Oberlé, de René Bazin, 1901 ; Colette Baudoche, de Maurice Barrès, 1908), les récits de voyage et les chansons (la Marche lorraine), s’exacerbe ou s’atténue en fonction des préoccupations dominantes. La politique des gouvernements français successifs est faite de prudence et de vigilance ; la question d’Alsace-Lorraine interdit toute réconciliation entre les deux pays ; il faut être prêt au cas où... L’Alsace-Lorraine n’est pas la cause directe de la Première Guerre mondiale. Cependant, à peine celle-ci est-elle déclarée que le but premier de la France est la restitution des provinces perdues. À l’exception de l’angle sud-est de l’Alsace, conquis en août 1914 par l’armée française, l’Alsace-Lorraine reste allemande pendant toute la guerre et subit une dure dictature militaire. Au lendemain de l’armistice, l’Alsace-Lorraine redevient française sans qu’un plébiscite soit organisé. Clemenceau juge cependant impossible d’effacer quarante-huit années de présence allemande. Il faut conserver divers éléments de la législation allemande, le Concordat de 1801 toujours en vigueur, et coiffer le retour au système départemental par un commissariat général et un conseil consultatif. Ces deux organes sont dissous en 1925, et les services sont transférés à Paris pour former une direction d’Alsace-Lorraine. La réintégration est plus facile en Moselle qu’en Alsace où un courant autonomiste trouve une certaine audience. En juin 1940, Hitler annexe de facto l’Alsace et la Lorraine au IIIe Reich sans reconstituer l’Alsace-Lorraine antérieure à 1918. Pendant plus de quatre ans, les populations subissent un régime totalitaire : germanisation forcée, nazification, déportation et expulsion de nombreux habitants, incorporation de force des jeunes gens (les « malgrénous ») dans le Wehrmacht. • Un héritage juridique singulier. À la Libération, la législation républicaine n’est pas rétablie purement et simplement dans les territoires recouvrés : on y maintient le Concordat, l’école publique confessionnelle et divers textes de droit local relatifs aux cultes, à la chasse, au régime de la Sécurité sociale. Quant aux liens tissés entre la Moselle et l’Alsace, ils se dénouent avec le rétablissement de la cour d’appel de Metz (1972) et le détachement de la Moselle de l’académie de Strasbourg. Aujourd’hui, l’expression « Alsace-Lorraine » appartient à l’histoire. La seule formule légale est celle d’« Alsace et Moselle ». Outre les particularismes locaux, l’héritage le plus important de l’Alsace-Lorraine est la structure territoriale des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, puisque les départements, tels qu’ils étaient découpés antérieurement à 1870, n’ont jamais été reconstitués. Ambiens, peuple gaulois de la région d’Amiens, qui a laissé son nom à cette ville. Les Ambiens, ou Ambiani, sont l’un des peuples belges, occupants de l’actuelle Picardie qui, au cours du IIe siècle avant notre ère, y dominent politiquement tout le nord-ouest de la Gaule. Les photographies aériennes ont révélé tout un tissu d’agglomérations gauloises, avec places fortes, villages, fermes isolées. Des sanctuaires sont également connus, le plus célèbre étant celui de Ribemont-sur-Ancre (Somme), où ont été mis au jour des corps humains découpés. Les Ambiens possédaient aussi une économie monétaire, mais le monnayage d’or semble avoir tenu une place relativement limitée. Après avoir soumis les peuples belges, dès 57 avant J.-C., César réunit en 54 avant J.-C. à Samarobriva (l’actuelle Amiens) une assemblée des Gaulois et y installa ses quartiers d’hiver. La ville tenait son nom de la rivière Somme (Samara, en gaulois), franchissable à cet endroit. Si l’on n’a pas encore retrouvé de vestiges de cette époque, on sait que la ville a connu un développement spectaculaire sous l’Empire romain, avant de devenir, à la fin du Ier siècle de notre ère, l’une des villes gauloises les plus importantes, comptant sans doute 20 000 habitants. On y a retrouvé tout un système urbain, avec de larges rues, un réseau d’égouts, des portiques et de nombreux monuments (forum, temple, amphithéâtre, bains, etc.). La ville, qui souffrit des premières invasions, fut puissamment fortifiée au IIIe siècle et devint le siège d’une importante garnison. Amboise (conjuration d’), complot protestant ourdi en mars 1560 pour soustraire le jeune François II à l’influence des Guises. Sous l’impulsion d’Antoine de Bourbon et du prince de Condé, le parti huguenot entend mettre fin aux persécutions qui l’accablent depuis le règne d’Henri II : en brisant l’influence politique du duc François de Guise et de son frère Charles, cardinal de Lorraine, il espère ouvrir la voie de la conciliation et soumettre au roi ses doléances. Confié à un gentilhomme périgourdin, Godefroi de La Renaudie, le complot s’assigne pour mission de surprendre la cour à Blois, le 6 mai 1560. Cinq cents gentilshommes sont recrutés à cet effet. Mais la conspiration est révélée aux Guises, qui reçoivent de nombreux avis en provenance d’Allemagne et d’Espagne. La cour se retire downloadModeText.vue.download 40 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 29 alors à Amboise. Godefroi de La Renaudie n’en décide pas moins de maintenir l’assaut, qui échoue lamentablement faute d’une coordination suffisante. Une répression impitoyable, aux allures de spectacle macabre, conclut, le 15 mars, l’aventure des conjurés : attachés à la queue des chevaux, les fuyards sont ramenés et pendus aux créneaux du château d’Amboise. Le jeune Agrippa d’Aubigné, alors âgé de 8 ans, se souviendra toujours de l’injonction solennelle que son père lui a adressée devant les corps des suppliciés : « Il ne faut pas que ta tête soit épargnée après la mienne pour venger ces chefs pleins d’honneur. » La répression ayant rendu les haines inexpiables, toutes les conditions sont désormais réunies pour que se déclenchent les guerres de Religion. Amboise (Georges Ier, cardinal d’), prélat et ministre (Chaumont-sur-Loire 1460 - Lyon 1510). Georges d’Amboise est voué dès son plus jeune âge à une carrière ecclésiastique. Aumônier de Charles VIII, il reste toutefois lié aux Orléans par tradition familiale : emprisonné en 1487, puis exilé dans son diocèse de Montauban, il revient à la cour au printemps 1490 et y oeuvre avec succès à la libération du duc d’Orléans, dont il devient le principal conseiller. Nommé en 1493 archevêque de Narbonne, puis de Rouen - l’un des sièges diocésains les plus riches de France -, il participe activement à l’administration de la Normandie, dont le duc d’Orléans est le gouverneur. Ce dernier ayant accédé au trône sous le nom de Louis XII, il devient, dès avril 1498, son principal ministre et joue un grand rôle dans la définition d’une nouvelle politique étrangère, marquée par les annexions de la Lombardie et de Gênes, et par la constitution de la ligue de Cambrai contre Venise. Créé cardinal en septembre 1498, légat du pape en France en 1501, il échoue de peu à l’élection au pontificat en 1503. Jules II aurait dit de lui qu’il était « le véritable roi de France ». Habile diplomate, administrateur rigoureux de la justice et des finances royales, très populaire, tuteur de François d’Angoulême - futur François Ier -, mécène richissime et brillant qui contribua à l’introduction en France de la renaissance artistique italienne, Georges d’Amboise est le premier grand cardinal-ministre ; un modèle auquel il sera fait référence à l’époque de Richelieu et de Mazarin, comme le montre la publication, en 1634, d’une Histoire de l’administration du cardinal d’Amboise, grand ministre d’Estat en France où se lisent les effets de la prudence et de la sagesse politique, rédigée par Michel Baudier, conseiller historiographe du roi Louis XIII. Amédée VIII, comte (1391-1416) puis duc de Savoie (1416-1440), antipape sous le nom de Félix V (1439-1449), cardinal de 1449 à 1451 (Chambéry 1383 - Genève 1451). Fils d’Amédée VII, dit le Comte rouge, et de Bonne de Berry, Amédée VIII devient comte de Savoie en 1391, à la suite de la mort tragique de son père. Alors mineur, il est d’abord placé sous la tutelle de sa grand-mère Bonne de Bourbon, puis d’un conseil de régence composé, notamment, d’hommes proches de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, dont il épouse la fille Marie. Son gouvernement personnel commence en 1398. Il mène une politique d’expansion territoriale de grande envergure - annexion du Genevois en 1401, achat d’enclaves en Bresse et en Bugey, acquisition du Piémont en 1419, affermissement du contrôle sur Nice -, consacrant la principauté savoyarde comme l’un des États princiers les plus puissants de la fin du Moyen Âge. Signe de cette puissance, le comté de Savoie est élevé au rang de duché par l’empereur Sigismond, en février 1416. Grand diplomate, Amédée VIII est aussi à l’origine d’une importante oeuvre législative tendant à unifier davantage les différentes composantes territoriales de ses États. Plusieurs statuts, parmi lesquels les Statuta sabaudiae de 1430, visent à améliorer l’administration et l’exercice de la justice. Par ailleurs, Amédée VIII est le commanditaire d’une Chronique de Savoie rédigée par Jean Cabaret d’Orville entre 1417 et 1419. En octobre 1434, il abandonne le pouvoir à son deuxième fils, Louis, nommé lieutenant général de ses états, pour se retirer au château de Ripaille, près de Thonon, où il fonde l’ordre des Chevaliers ermites de Saint-Maurice. Après avoir déposé Eugène IV, le concile de Bâle l’élit pape le 5 novembre 1439. Il accepte son élection le 17 décembre, et renonce au titre ducal en janvier 1440. Ordonné, il est couronné pape le 24 juillet 1440, à Bâle, sous le nom de Félix V. Toutefois, il n’est guère reconnu, les principaux États d’Occident restant fidèles à Eugène IV. Rapidement en opposition avec les Pères du concile, il se retire en novembre 1442 à Lausanne, puis se fixe à Genève, dont il s’attribue le siège épiscopal en 1444. Il abdique officiellement le 7 avril 1449, à la suite de la médiation du roi de France Charles VII, qui permet un compromis avec le nouveau pape romain, Nicolas V. Nommé par ce dernier cardinal-évêque de Sainte-Sabine et légat pour la Savoie, il meurt à Genève le 7 janvier 1451. Il est inhumé à Ripaille. Ami du peuple (l’), journal rédigé et édité par Marat entre 1789 et 1792. Le 12 septembre 1789 paraît le premier numéro du Publiciste parisien, rebaptisé, quelques jours plus tard l’Ami du peuple. Comme nombre de journaux de la période révolutionnaire, il se compose de huit pages et ne comprend, le plus souvent, qu’un article, dont le résumé est donné dans le sommaire. Marat écrit seul, mais il s’appuie sur un réseau de correspondants qui lui transmettent dénonciations et nouvelles étrangères ou locales. L’Ami du peuple a atteint, semble-t-il, un tirage - fort appréciable pour l’époque - de plus de deux mille exemplaires. La popularité et la réputation de Marat s’édifient grâce à la dénonciation inlassable des autorités et des abus de pouvoir. Il s’en prend aussi avec acharnement aux idoles du jour. Ainsi, l’Ami du peuple mène campagne contre la municipalité de Paris, le Châtelet, Necker, Bailly, Mirabeau et La Fayette. Cette activité lui vaut des poursuites incessantes, qui l’obligent à suspendre la parution de son journal à plusieurs reprises en 1789 et 1790. Traqué, il passe dans la clandestinité. De décembre 1791 à avril 1792, il doit à nouveau interrompre la publication du journal, qui reparaît avec l’aide du Club des cordeliers et qui se donne pour but de s’opposer au bellicisme des girondins et de dénoncer le roi. Le dernier numéro de l’Ami du peuple sort des presses le 21 septembre 1792. Marat, élu député à la Convention, change le titre de son périodique, qui devient le Journal de la République française, puis, à partir du 14 mars 1793, le Publiciste de la République française. On a souvent stigmatisé l’outrance verbale et l’apologie de la violence populaire contenues dans le périodique de Marat, mais l’analyse au jour le jour de l’Ami du peuple révèle une indéniable clairvoyance quant à l’évolution du processus révolutionnaire. Amiens (Charte d’), texte voté le 13 octobre 1906 dans le cadre du neuvième congrès national de la CGT, qui se tient à Amiens du 8 au 16 octobre. Cette charte illustre les idées que défend le syndicalisme révolutionnaire. Même si elle émane de syndicalistes proches de ce courant (Alphonse Merrheim, Georges Yvetot, Émile Pouget, parmi d’autres), elle est adoptée à une écrasante majorité (834 voix, contre 8 et 1 abstention) rassemblant réformistes et révolutionnaires. Elle prend le contre-pied de la motion du secrétaire général de la Fédération du textile, Victor Renard, qui préconise notamment une collaboration entre la CGT et la SFIO. Cette charte assigne au syndicalisme deux missions : mener une lutte quotidienne en vue de l’amélioration immédiate du sort de la classe ouvrière (diminution de la durée de travail, augmentation des salaires) ; préparer « l’émancipation capitaliste ». Pour parvenir à ses fins, le syndicalisme dispose d’une arme majeure : la grève générale. Ce texte, resté célèbre dans la mémoire syndicale, défendait surtout les vertus de l’« autonomie ouvrière » en isolant l’action syndicale de toute autre forme d’engagement ou d’opinions que ceux qui ont été conçus dans le cadre de l’action ouvrière : « Le congrès affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. » Amiens (paix d’), traité de paix franco-anglais signé le 25 mars 1802. Après la signature du traité franco-autrichien de Lunéville le 9 février 1801, l’Angleterre reste seule face à la France. Malgré la supériorité de sa flotte et ses succès coloniaux, elle se trouve dans une situation critique : la disette menace ; la dette publique enfle démesurément ; les troubles se multiplient. William Pitt, l’homme qui symbolise la guerre à outrance, doit démissionner de son poste de Premier ministre le 2 février 1801. Dès lors, plus rien ne s’oppose à l’ouverture de négociations directes. Le 1er octobre 1801, des préliminaires sont conclus. La paix, à laquelle sont associées l’Espagne et la République batave, est finalement signée, le 25 mars 1802. L’Angleterre s’engage à restituer les colonies conquises, à l’exception des îles de Ceylan downloadModeText.vue.download 41 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 30 (jusque-là néerlandaise) et de la Trinité (prise à l’Espagne) ; elle doit également évacuer l’île d’Elbe, Malte et l’Égypte. En contrepartie, les troupes françaises sont censées se retirer de Naples et des États romains. Mais les négociateurs ont soigneusement évité d’aborder le problème crucial de la Belgique et de la rive gauche du Rhin. Paix manquée, ou simple trêve dans un conflit séculaire ? Pour l’Angleterre, qui a besoin de reconstituer ses forces, elle est une nécessité vitale ; pour Bonaparte, elle est une obligation politique : il apparaît comme celui qui apporte enfin la paix à une France épuisée par dix années de guerre ininterrompue. Amiens (traité d’), traité conclu entre Philippe III le Hardi et Édouard Ier d’Angleterre le 23 mai 1279, et relatif à l’exécution du traité de Paris de 1259. En 1271, la mort sans héritier de Jeanne de Toulouse (fille de Raimond VII de Toulouse et épouse d’Alphonse de Poitiers, lui-même frère de Saint Louis) ouvre une succession, que règlent deux traités signés par Saint Louis : l’un avec Raimond VII de Toulouse en 1229, l’autre avec le roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt en 1259. Le traité de 1229, dit traité de Paris, stipulait que, si Jeanne mourait sans enfant, le comté de Toulouse et ses dépendances reviendraient en l’état à la couronne de France. Mais l’Agenais, donné en dot par le roi d’Angleterre Richard Coeur de Lion à sa soeur Jeanne lorsque celle-ci épousa Raimond VI de Toulouse (1196), échappait à ce sort. Le traité de 1259, dit également traité de Paris, notifie que l’Agenais doit revenir au roi d’Angleterre si Jeanne de Toulouse, héritière de sa grandmère Jeanne d’Angleterre, meurt sans enfant. En 1259, Henri III avait également émis des prétentions sur le Quercy et la Saintonge, prétentions laissées en suspens. Sitôt après la mort d’Alphonse de Poitiers et de Jeanne de Toulouse, en 1271, le roi de France Philippe III le Hardi se déclare possesseur des domaines du couple, y compris les terres litigieuses - Agenais, Quercy et Saintonge. Édouard Ier d’Angleterre réclame l’exécution des clauses du traité de 1259, et, après de longues négociations, les deux rois signent à Amiens un traité par lequel Philippe III cède l’Agenais et renonce à la Saintonge. Le Quercy doit faire l’objet d’une enquête, et il reviendra en 1286 à Philippe le Bel en échange d’une rente annuelle. Dernier épisode des difficiles relations entre Capétiens et Plantagenêts aux XIIe et XIIIe siècles, le traité d’Amiens met un terme à la première « guerre de Cent Ans ». amis des Noirs (Société des), association créée le 19 février 1788 par Brissot et Clavière, et dont l’objectif est d’obtenir l’abolition de la traite des Noirs. Conçue comme la branche française d’une organisation présente également en Angleterre et aux États-Unis, elle se donne des règles de fonctionnement qui expriment sa volonté égalitaire : ouverture aux étrangers et aux femmes, refus des protocoles de distinction selon les catégories sociales, même si, de fait, ses membres sont essentiellement issus de la haute société française. À la veille des états généraux de 1789, la Société des amis des Noirs s’attache à informer le public des réalités de l’esclavage. Mais, plutôt que de réclamer son abolition immédiate, elle tente de convaincre les colons de la plus grande rentabilité du travail libre par rapport à celle du travail servile. Même si cette argumentation n’était pas en contradiction avec une visée philanthropique, elle semblait en limiter la portée. Les événements révolutionnaires permirent de prendre la mesure de l’ambition effective de la Société. Pétion et l’abbé Grégoire, deux de ses membres éminents, députés à l’Assemblée nationale, défendent le principe de l’unité législative de la France et de ses colonies, de manière à empêcher les colons de légiférer en matière de droit des personnes, à les obliger à reconnaître l’égalité des droits de citoyen entre les mulâtres libres et les Blancs. Des mois de polémiques vont opposer Pétion et l’abbé Grégoire au Comité colonial et au club de l’Hôtel Massiac, dont Barnave et Malouet se font les porte-parole. Sous la Législative, la Société des amis des Noirs continue à se battre pour l’égalité des droits des hommes libres de couleur. Elle obtient satisfaction, avec le soutien du ministère girondin, le 28 mars 1792. Mais aucune décision n’est prise contre la traite des Noirs ; encore moins contre l’esclavage, qui demeure un sujet tabou. La sympathie à l’égard des personnes libres de couleur vise d’ailleurs à favoriser leur ralliement aux colons contre les révoltes d’esclaves (novembre 1791). Lorsque l’abolition de l’esclavage est proclamée par la Convention, le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Société des amis des Noirs n’a plus d’activité politique, mais, dans ses Mémoires, l’abbé Grégoire affirme que ses membres furent unanimes : « Il ne fallait pas brusquer leur émancipation, mais les amener graduellement aux avantages de l’état social [...]. Leur émancipation subite, prononcée par le décret du 16 pluviôse an II, nous parut une mesure désastreuse : elle était en politique ce qu’est en physique un volcan. » Ampère (André Marie), mathématicien et physicien (Lyon 1775 - Marseille 1836). Il est successivement professeur à l’École polytechnique, inspecteur général de l’Université, membre de l’Institut (1814) et professeur au Collège de France. D’esprit encyclopédique et d’une grande curiosité, il explore, expérimente, fait des découvertes qui ouvrent de nouvelles voies et qui sont à l’origine de conceptions scientifiques toujours d’actualité. À la base de celles-ci : les mathématiques, relevant selon lui de la philosophie, qui permettent de décrire les lois de la physique par des formules. Ainsi en va-t-il de l’électricité, domaine dans lequel il innove de façon fondamentale. En effet, bien que l’électricité soit connue grâce à Volta et à Coulomb, on ignore tout, jusqu’en 1820, du courant électrique, une notion qu’il établit et dont l’unité d’intensité porte son nom. Il fonde ainsi l’électromagnétisme et invente dans son laboratoire des dispositifs tels que l’électro-aimant (qui, par la suite, permettra la mise au point du télégraphe, du téléphone ou encore des accélérateurs de particules) et d’autres servant aux mesures de l’électricité : ampèremètre (intensité) ou voltmètre (différences de potentiel). Cependant, quelques-unes de ses innovations conceptuelles sont incomprises de son vivant, telles ses hypothèses relatives à l’atome et aux molécules, aux applications tant chimiques que physiques. ampoule (sainte), ampoule de verre contenant l’huile consacrée qui servait au sacre des rois de France. Selon la légende, elle fut apportée par l’Esprit-Saint lors du baptême de Clovis. Cette légende figure pour la première fois dans la Vie de saint Remi, écrite par l’archevêque Hincmar de Reims entre 875 et 880. Le clerc chargé d’apporter l’huile nécessaire à l’administration du sacrement ne pouvant approcher, une colombe descendit du ciel et transmit la sainte ampoule. Cette histoire assimile le baptême et le sacre royal, pratiqué pour la première fois par le Saint-Siège en 751 : Pépin le Bref est alors sacré par Étienne II à Saint-Denis. La royauté franque est ainsi légitimée par une intervention miraculeuse de Dieu. Le récit, qui revendique pour Reims le privilège du sacre, contesté un temps par Saint-Denis, entre très progressivement dans l’idéologie royale. Ce sont les Capétiens qui lui donnent tout son lustre. L’ordo du sacre, rédigé vers 1230, décrit le rituel : l’abbé de Saint-Remi prend la sainte ampoule dans le tombeau du saint et l’apporte en procession jusqu’à la cathédrale, où l’archevêque mélange la sainte huile au baume pour obtenir le chrême dont il oint le roi. Ce rite reste inchangé jusqu’au sacre de Louis XVI en 1775. Tous les rois de France ont été sacrés à Reims grâce à cette huile, à l’exception d’Henri IV et de Louis XVIII. L’ampoule est brisée, après la mort de Louis XVI, par le commissaire de la Convention, Rhül. Les débris, retrouvés au début de la Restauration, servent à la confection de la nouvelle ampoule utilisée lors du sacre de Charles X, en 1825. an mil, crainte de nature religieuse qui aurait accompagné, en Occident, la fin du premier millénaire. Selon l’Apocalypse de saint Jean (XX, 6-8), la fin du monde devait advenir mille ans après l’avènement du Christ. Ces prophéties ontelles engendré, à la veille de l’an mil, une terreur générale de l’Occident chrétien, effrayé par des signes célestes (comètes, éclipses) et terrestres (épidémies, famines) conformes à l’annonce de l’Antéchrist ? Le témoignage isolé apporté dans la chronique du moine bourguignon Raoul Glaber (vers 985-vers 1047), qui décrit les calamités survenues avant le millénaire de la Rédemption (1033), ne suffit pas à attester l’existence d’une telle attente. En effet, à cette époque, les hommes ne comptaient pas le temps en siècles ; ils n’avaient donc pas conscience de vivre l’an mil. Pour la minorité de clercs avertis de l’échéance, la lecture autorisée de l’Apocalypse par saint Augustin interdisait toute interprétation littérale de la date. downloadModeText.vue.download 42 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 31 La peur de l’an mil ne semble pas correspondre à une réalité médiévale ; elle est une légende française, et moderne. Ce mythe apparaît pour la première fois en 1605 dans les Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, mais l’Ancien Régime ignore en fait l’« an mil », qui n’est redécouvert qu’après 1830. L’historiographie romantique - Michelet en tête - s’en empare alors, et le thème devient un enjeu politique et religieux. Les historiens libéraux et républicains contestent, par ce biais, la « légende dorée » d’un beau Moyen Âge catholique. Allant plus loin, les anticléricaux considèrent l’an mil comme l’instrument de la terreur cléricale qui s’abat sur des hommes ignorants et crédules : les populations vivant dans le plus grand dénuement attendent la fin du monde, alors que l’Église, qui n’y croit point, y trouve son compte. Merveilleux thème romantique, l’an mil sert également à valoriser l’action civilisatrice de l’Église, ou à décrire l’âge de fer dont l’avènement des Capétiens et la naissance de la « nation française » sonnent le glas. Pièce maîtresse de la construction d’une image d’un Moyen Âge obscur et superstitieux, la légende résiste aux remises en cause incessantes depuis le début du XXe siècle. Elle permet d’illustrer les mentalités médiévales. La vague de dévotion et de pénitences populaires qu’aurait suscitée la terreur eschatologique est présentée comme une cause lointaine des croisades. Élément explicatif, le mythe semble tracer une séparation entre un haut Moyen Âge, foisonnant mais désordonné, et une féodalité organisée, qui marque, par l’essor de l’Occident, le début de la civilisation moderne. L’historiographie française garde, de nos jours, cette référence explicative lorsqu’elle renvoie au concept d’une « mutation de l’an mil ». Anagni (attentat d’), coup de force mené contre le pape Boniface VIII par Sciarra Colonna et Guillaume de Nogaret, l’envoyé de Philippe le Bel, le 7 septembre 1303. Depuis 1294, la tension s’exacerbe entre le pape et le roi de France : elle débouche sur une crise, lors de l’arrestation, en 1301, de Bernard Saisset, partisan de Boniface VIII. Ce dernier saisit cette occasion pour affirmer sa prééminence sur le roi de France. Il renoue ainsi avec les prétentions théocratiques des pontifes du XIIIe siècle, heurtant de front le mouvement de renforcement de l’État royal français. En décembre 1301, la bulle Ausculta fili convoque les prélats français à un concile prévu à Rome pour la Toussaint de l’année 1302, dans le dessein de favoriser « le progrès de la foi catholique, la réforme du roi et du royaume, la correction des abus ». En réponse, le roi réunit les représentants du royaume à Notre-Dame, le 10 avril 1302. Devant l’assemblée, le légiste Pierre Flote expose la politique royale, qui reçoit un large soutien. Les prélats du domaine royal ne s’étant pas rendus au concile, Boniface VIII durcit le ton. Le 18 novembre 1302, il fulmine la bulle Unam sanctam, dans laquelle il expose son droit de déposer tout prince n’agissant pas conformément au bien de l’Église. Le texte est inacceptable pour le roi : au cours du conseil du Louvre (13 juin 1303), Guillaume de Plaisians se livre à un réquisitoire féroce contre Boniface VIII, l’accusant de simonie, de sodomie, d’idolâtrie... Hérétique, le pape doit être jugé par un concile. Le roi obtient sur ce point l’assentiment des princes et des prélats. Guillaume de Nogaret - principal conseiller du roi depuis la mort de Pierre Flote à la bataille de Courtrai - part donc pour l’Italie avec mission de convaincre le pape d’accepter sa mise en jugement. Il est rejoint par Sciarra Colonna, dont la famille joue un rôle important dans toute l’affaire, car le pape a privé ses membres de leurs charges et de leurs biens en 1297. Ils s’emparent d’Anagni, résidence d’été du pape, dans la nuit du 6 au 7 septembre 1303, la veille de la publication de la bulle d’excommunication du roi de France. Selon la propagande pontificale, Nogaret va jusqu’à gifler le pape. Bien que célèbre, la scène n’en est pas moins mise en doute. Boniface VIII reste prisonnier deux jours, avant d’être libéré par le peuple de la ville. Il meurt à Rome le 11 octobre. En 1310, à la demande du roi de France, le pape Clément V ouvre un procès posthume contre Boniface VIII ; aucune suite ne lui sera donnée. L’attentat d’Anagni met un point final à toute velléité de théocratie papale. anarchisme, conception politique et sociale qui récuse toute autorité imposée, en particulier celle de l’État, et se propose de fonder la vie en société sur des contrats négociés entre volontés individuelles. Les grandes lignes en sont fixées dès le milieu du XIXe siècle. Très vite se distinguent plusieurs courants : l’anarchisme individualiste (Stirner), qui dénonce les contraintes que fait peser la société bien-pensante sur les individus ; le proudhonisme, qui prône la « libre fédération » contre la délégation de pouvoir, et le mutuellisme contre le libéralisme ; l’anarchisme collectiviste (Bakounine), qui vise à instaurer le communisme libertaire à la place du capitalisme. • Le rayonnement d’avant 1914. Le proudhonisme influence le mouvement ouvrier sous le Second Empire et sous la Commune. Mais, c’est en novembre 1871, avec la création de la Fédération jurassienne de James Guillaume, que les anarchistes commencent vraiment à se structurer en France, dans le cadre plus général d’une lutte contre les marxistes au sein de la Ire Internationale. Lors du congrès fondateur de Marseille (1879), différents groupes anarchistes s’affilient pourtant à la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France. Mais ils la quittent très vite, et certains, inspirés par Malatesta et Kropotkine, se lancent dans l’action violente. Celle-ci culmine, en 1892-1894, lors d’une vague d’attentats (Ravachol, Vaillant, Caserio) contre les symboles de la république bourgeoise, puis dégénère dans les sombres exploits de la bande à Bonnot (1911-1913). Mais la plupart se tournent vers des activités plus pacifiques : l’éducation (la Ruche, de Sébastien Faure), le journalisme (le Libertaire, les Temps nouveaux pour les collectivistes ; l’Anarchie pour les individualistes), la propagande néomalthusienne (Paul Robin) ou l’action syndicale (Fédération des bourses du travail, de Fernand Pelloutier ; CGT, dont Émile Pouget devient secrétaire adjoint en 1900). Au demeurant, la Charte d’Amiens (1906) montre la force du syndicalisme révolutionnaire à la veille de la Grande Guerre. C’est pourquoi le regroupement de toutes les mouvances anarchistes dans la Fédération communiste révolutionnaire anarchiste (FCRA) en 1913 laisse augurer un bel avenir. • Une baisse d’influence. Mais le premier conflit mondial oppose violemment les adversaires et les partisans de l’« union sacrée » (Sébastien Faure contre Jean Grave), ce qui aboutit à des scissions mal cicatrisées par la réconciliation partielle de novembre 1920 (Union anarchiste). En outre, l’audience des libertaires dans les syndicats faiblit irrémédiablement, malgré une alliance tactique avec les communistes au sein de la CGT en 19191920. En 1922, les amis de Pierre Besnard, le secrétaire des Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), doivent quitter la CGT-U procommuniste ; en 1926, le lancement de la CGT-SR (« SR » pour « syndicaliste révolutionnaire ») est un fiasco. La séparation des « synthésistes » (S. Faure) et des « communistes libertaires » en 1927 disperse un peu plus les forces. L’unité retrouvée après le 6 février 1934 est éphémère, tout comme le Front révolutionnaire qui entend concurrencer le Front populaire. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le pacifisme dévoyé de quelques-uns et l’attentisme de la plupart provoquent de nouveaux déchirements. Après la guerre, les militants essaient de s’organiser sur d’autres bases. Mais la création, en 1944, de la Fédération anarchiste (FA), transformée, en 1953, en Fédération communiste libertaire (FCL), plus centralisée et plus ouverte aux influences marxistes, ne permet pas de reprise notable. Sur le terrain syndical, la fondation, en 1946, de la Confédération nationale du travail (CNT) ne produit pas non plus les effets escomptés. Au cours des années soixante, ce sont de petites formations - comme le Groupe rouge et noir, ou bien le Mouvement du 22 mars, de Daniel Cohn-Bendit - qui se font entendre. Depuis, le mouvement reste divisé. Le groupe le plus important, la Fédération anarchiste, ne compte que quelques milliers d’adhérents. L’audience d’artistes ou de penseurs exprimant la révolte individuelle et la recherche d’une fraternité consentie reste cependant réelle, quoique diffuse. anarcho-syndicalisme, courant du syndicalisme français apparu à la fin du XIXe siècle avec l’essor du mouvement des bourses du travail, et incarné par la CGT-unifiée de 1902 (congrès de Montpellier) à 1914. Les historiens préfèrent souvent à ce terme celui de « syndicalisme révolutionnaire » (retenu par les acteurs eux-mêmes) ou encore de « syndicalisme d’action directe ». « Anarchosyndicalisme » relève davantage d’un registre polémique cultivé par les marxistes avant la guerre de 1914, et par les communistes après 1920. À la base de la doctrine syndicaliste révolutionnaire, qui n’a d’ailleurs jamais été formalisée en un dogme, figure la critique de l’idéologie social-démocrate. Les syndicalistes downloadModeText.vue.download 43 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 32 révolutionnaires défendent l’idée d’une autonomie ouvrière et s’opposent à toute forme de collaboration avec les partis politiques, à commencer par les partis socialistes. La révolution prolétarienne qui abolira le régime du salariat ne peut résulter que d’un mouvement « par le bas », à l’opposé de toute stratégie qui nécessiterait une prise du pouvoir d’État ; d’où l’attachement manifesté aux institutions telles les syndicats, les coopératives ou les bourses du travail, garantes d’une émancipation autonome de la classe ouvrière. L’accent est également mis sur la grève générale, « révolution de partout et de nulle part » (Fernand Pelloutier), en tant que meilleur outil de la révolution. Cette sensibilité trouve l’une de ses expressions les plus nettes dans la Charte d’Amiens de la CGT (1906). Il serait néanmoins inexact d’identifier le syndicalisme révolutionnaire à une doctrine. Georges Sorel passe, à tort, pour son théoricien. Le syndicalisme d’action directe apparaît d’abord comme un ensemble de pratiques ouvrières et syndicales. Ses meilleurs représentants - Fernand Pelloutier, ou Alphonse Merrheim, Victor Griffuelhes et Pierre Monatte (fondateurs de la Vie ouvrière) - sont avant tout des hommes d’action et des organisateurs, d’ailleurs fort responsables, bien éloignés de l’image d’agitateurs irréfléchis. Leur entreprise peut être perçue comme une tentative pour résister à l’intégration politique dont la classe ouvrière était l’objet de la part de la bourgeoisie républicaine. Leur action ne doit pas investir le terrain politique : il faut qu’elle demeure au niveau économique. Leur méfiance à l’égard de l’État les a ainsi fait pas- ser pour des anarchistes. Les belles années du syndicalisme révolutionnaire s’étendent de 1902 à 1908. Il s’affirme alors comme le courant dominant au sein du mouvement ouvrier, et anime l’esprit de plusieurs grèves qui secouent la France prospère de ce début de siècle. Au congrès de Bourges de la CGT (1904), ses représentants font adopter (malgré les réticences de Griffuelhes, alors secrétaire de la confédération) le principe d’une grève générale pour le 1er mai 1906, afin d’obtenir la « journée de huit heures ». L’échec de ce mouvement, l’essoufflement des grèves et l’arrivée de Clemenceau à la présidence du Conseil (octobre 1906-juillet 1909), qui engage une lutte sans merci contre le syndicalisme révolutionnaire, affaiblissent durablement cette culture syndicale. Ancien Régime, expression utilisée dès la Révolution et fixée en 1856 par le livre d’Alexis de Tocqueville, l’Ancien Régime et la Révolution. C’est sans doute dès l’année 1789 qu’elle apparut : paradoxalement, c’était un hommage à la cohérence globale de ce qui avait été bouleversé, après la nuit du 4 août 1789 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Parce qu’ils avaient le sentiment qu’il fallait tout reconstruire, les révolutionnaires prirent conscience que tout un monde et toute une vision du monde avaient disparu en quelques mois, même si la monarchie ou la foi chrétienne, elles, ne furent pas immédiatement mises en cause. Une question s’est posée aux historiens. L’Ancien Régime correspond-il à la situation telle qu’elle existait en 1789, fruit d’une longue évolution historique ? En tout cas, faut-il considérer avant tout l’organisation telle qu’elle était au XVIIIe siècle, lorsque les contestations fondamentales commencèrent à s’esquisser ? L’historiographie française tend plutôt à appréhender comme un tout les trois siècles qui vont du règne de Louis XII à celui de Louis XVI. Or, bien des réalités de l’époque moderne trouvent leurs racines ou leur définition au Moyen Âge. Il convient donc d’avoir constamment à l’esprit cet acquis médiéval, voire antique, et d’en apprécier la métamorphose sur trois siècles. Cela conduit à décrire aussi la « modernité » de l’Ancien Régime, une image positive, en relief, se dégageant ainsi d’une impression en creux, engendrée par la Révolution. • La primauté du spirituel. La cohésion du monde ancien tenait d’abord à des traits spirituels, à un rapport à la transcendance. Le christianisme était la religion du roi et, théoriquement, de tous les Français : elle représentait la base de la monarchie comme de la société. Toute création et toute autorité venaient de Dieu. Le catholicisme l’avait finalement emporté en France à la fin du XVIe siècle. Au XVIIe siècle, Louis XIV revint sur les droits accordés aux protestants par l’édit de Nantes, et les juifs étaient à peine tolérés dans le royaume. Enfin, il n’était pas permis de se proclamer athée ou indifférent. Les sacrements, les fêtes religieuses et la prière marquaient et scandaient la vie de tous les Français. Le clergé occupait une place éminente, car il avait la tâche essentielle de diriger et de confesser les âmes, et, pour son entretien, il bénéficiait du droit de percevoir la dîme. L’Église de France s’était dotée, au fil du temps, d’une puissante organisation. Par le concordat, elle dépendait du roi de France, auquel elle accordait librement une aide globale, un don gratuit. La revendication des libertés gallicanes avait permis à cette Église d’acquérir une grande indépendance à l’égard de la papauté. Cet ordre spirituel impliquait le respect des autorités religieuses, morales, politiques et intellectuelles. Une surveillance et une censure plus ou moins étroite s’exerçaient sur les écrits ou sur les paroles, pour dénoncer tout ce qui semblait une injure à Dieu, au roi ou aux bonnes moeurs. Les idées hétérodoxes - voire toute nouveauté - pouvaient être condamnées. En effet, le respect du passé, de la tradition, de la coutume était également enraciné. La complexité de l’Ancien Régime réside dans le fait que les institutions ou les édits nouveaux ne supprimaient pas forcément les réalités anciennes mais s’ajoutaient à elles. Cet enchevêtrement, parfois inextricable, était une véritable providence pour qui savait le démêler - en particulier les savants juristes -, ou simplement s’en accommoder. En défendant des droits acquis dans le passé, une province, une ville, un bourg, une communauté, un « corps », un métier, défendaient souvent des privilèges, droits dont d’autres ne jouissaient pas : exemptions de taxes, « franchises » municipales ou « libertés » provinciales. Ainsi, l’Ancien Régime ne connaissait guère la liberté, mais il fut le conservateur et le protecteur de nombre de libertés. • Le roi comme arbitre suprême. L’Ancien Régime signifiait surtout une organisation des pouvoirs, un ordre politique, fondés sur la monarchie de droit divin : les Français étaient les « sujets » d’un roi, et ce mot même indique qu’ils lui devaient obéissance. Toute l’autorité émanait d’une seule source, le roi, qui, depuis le Moyen Âge, était considéré comme empereur en son royaume et ne reconnaissait aucune puissance au-dessus de lui, sinon Dieu. Son autorité se renforça par le biais de la construction de l’État, c’est-à-dire d’une administration bien structurée, étoffée et efficace, mais aussi par l’affirmation de la souveraineté royale après l’épreuve des guerres de Religion : le roi était l’arbitre suprême autant que le dispensateur de toute justice, le créateur de toute loi et le défenseur du royaume. Il n’existait pas de texte constitutionnel ; il y avait néanmoins des lois fondamentales, fruits de l’histoire. Mais la puissance publique était largement déléguée. D’une part, des offices avaient été créés, qui, avec le temps, étaient devenus vénaux et héréditaires. D’autre part, des commissions temporaires et précises avaient favorisé l’installation d’intendants dans les provinces, qui, devenus « les yeux et les oreilles du prince », amplifièrent l’unification, la modernisation et la centralisation du royaume. L’État prit ainsi une place centrale et un poids particulier dans la vie du royaume, ce qui fit la singularité du « modèle » français d’administration. Cet État s’était renforcé à travers les guerres, qui avaient impliqué la création d’une armée permanente, donc de l’impôt permanent. Les conflits tout au long du XVIIe siècle avaient entraîné un bond quantitatif de l’impôt royal, qui n’avait pas été accepté sans révoltes ni tensions. Il avait été collecté, pour la taille, dans le cadre traditionnel des paroisses et, pour les impôts indirects surtout, avec le concours intéressé de financiers liés à la couronne. À son tour, il avait permis le développement de l’action monarchique. Pourtant, la monarchie se montra incapable de transformer durablement sa fiscalité, en raison même des divers privilèges octroyés, et elle ne disposa pas des méthodes et des institutions financières qui existaient en Hollande ou en Angleterre. Ainsi, la crise des finances publiques fut à l’origine de la réunion des états généraux en 1789. Cette organisation politique connut une lente érosion. L’idée que tous les pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire - pussent être confondus devint intolérable. À plusieurs reprises, le monarque rappela que la nation se confondait avec lui et qu’elle ne pouvait se définir en dehors de lui. Pourtant, cette dernière apparut peu à peu comme la source de toute légitimité. Certains cherchèrent à s’exprimer en son nom, en particulier les membres des parlements, ces cours de justice qui enregistraient les décisions royales. Dans le royaume, il n’y avait guère d’occasions de dialogue et de négociation entre le roi et ses sujets. Il existait, dans quelques provinces, des états provinciaux ; cependant, les états généraux ne furent plus réunis après 1614. Finalement, la downloadModeText.vue.download 44 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 33 nation s’affirma à côté du roi, et contre lui. La Révolution mit alors un terme à la vénalité des offices, avant de s’en prendre à la monarchie elle-même. • Conserver l’ordre social ? La société était divisée traditionnellement en trois « ordres », inégaux en nombre. Le clergé et la noblesse y occupaient une fonction : la défense du royaume pour les gentilshommes et la prière pour les hommes d’Église, ce qui justifiait les privilèges dont ils jouissaient. La noblesse se définissait moins par un statut clair que par le sentiment d’appartenir à une race à part, par une manière de vivre et des valeurs propres. Ce groupe social restait ouvert aux familles qui s’illustraient au service du roi, ou qui achetaient des charges publiques. L’inégalité entre les sujets était un fait juridique. Elle se marquait dans le respect du « rang », des hiérarchies. Celles-ci étaient périodiquement rappelées lors des cérémonies : à l’église, à la cour du roi, dans les villes et les campagnes, chacun devait occuper sa place, fixée par la tradition. De tels honneurs faisaient naître une déférence « naturelle » pour ces élites, mais ils entretenaient, chez les puissants, un dédain tout aussi « naturel », que la charité chrétienne ne venait pas forcément adoucir, et qui devint peu à peu insupportable. L’inégalité sociale se traduisait à travers l’impôt royal par excellence - la taille -, dont les deux premiers ordres (mais aussi d’autres sujets) étaient exemptés. S’y ajoutait l’inégalité entre les hommes et les femmes, mais elle ne fut guère remise en cause. La Révolution voulut détruire tout ce qui était considéré comme le « régime féodal ». La féodalité n’était plus qu’un souvenir, mais il en demeurait des traits singuliers, perçus comme des vexations. Les dernières traces de servitude, de « mainmorte », avaient sans doute disparu, mais les liens d’homme à homme persistaient, souvent symboliques et associés à des droits féodaux à payer. La seigneurie, quant à elle, liait le paysan à une terre, sous la protection d’un seigneur qui la possédait. Le paysan n’en était donc pas pleinement propriétaire : il devait acquitter des droits, tel le cens. Le seigneur jouissait d’autres droits, comme le monopole de la chasse - très mal accepté des roturiers à la fin du XVIIIe siècle -, et il disposait de banalités : les paysans avaient l’obligation d’utiliser le moulin et le four seigneuriaux. Enfin, même si la justice royale dominait presque partout et constituait un recours pour tous les sujets, les seigneurs conservaient des droits de justice. L’Ancien Régime présentait aussi une dimension économique. Le travail artisanal reposait le plus souvent sur une organisation verticale, du compagnon au maître, même s’il existait des métiers libres et si Turgot avait tenté, en vain, d’établir la liberté du travail. Tantôt décrit comme « un très grand et très vieil édifice » (Pierre Gaxotte) qui avait néanmoins grand air, tantôt comme « une sorte d’immense fleuve bourbeux » (Pierre Goubert) charriant des institutions venues d’autres âges, l’Ancien Régime fut aboli par une Révolution qui voulut faire table rase du passé. Pourtant, bien des réalités de l’Ancien Régime ont survécu à sa mort. Anciens (Conseil des), assemblée dont les 250 membres composent, avec le Conseil des Cinq-Cents, le pouvoir législatif institué par la Constitution de l’an III (22 août 1795). Il marque l’introduction du bicamérisme. La première séance des Anciens se tient le 28 octobre 1795 ; la dernière a lieu le 10 novembre 1799 pour approuver la Constitution de l’an VIII. En l’an III, les députés de la Convention qui avaient renversé Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), arrêté le mouvement populaire en prairial an III (mai 1795) et éliminé les « derniers montagnards » choisissent un système politique capable de « repousser les formes d’une démocratie trop active » (Cambacérès). La création du Conseil des Anciens participe de cette volonté de mettre « un frein aux passions » (Eschassériaux), de « garantir les législateurs de l’activité funeste de l’enthousiasme » (Lakanal). L’extinction de l’enthousiasme du peuple ou du législateur, tel est en effet l’objectif, dénoncé par Thomas Paine, d’une Constitution qui choisit la propriété - « le froid motif du bas intérêt personnel », selon Paine - contre l’égalité. Le Conseil des Anciens est ainsi l’un des dispositifs qui doit permettre d’arrêter le processus révolutionnaire. Pour en être l’élu, il faut avoir 40 ans révolus - « avoir dépassé l’âge des passions », dit Boissy d’Anglas ; être marié ou veuf, le bon père ou le bon époux étant le gage du bon citoyen (Villetard) ; être domicilié en France depuis quinze ans. Ce bicamérisme, qui repousse l’exemple anglais (une seconde Chambre aristocratique) et se distingue du modèle américain (bicamérisme fédéral), souligne, en outre, la tension entre l’unité de la représentation nationale et le désir de limiter la puissance d’une Chambre unique. Les compétences des deux Assemblées en sont la marque. Comme les Cinq-Cents, les Anciens sont élus pour trois ans et renouvelés par tiers chaque année ; les premiers députés sont d’ailleurs choisis sans qu’il soit précisé pour quel Conseil, la répartition étant effectuée ensuite, par tirage au sort, dans le respect des conditions définies (âge, mariage, domiciliation). Unité donc, mais aussi rôles différents puisque les Anciens n’ont pas l’initiative des lois et ne peuvent que les approuver sans modification, ou les rejeter pour un an (le veto royal de la Constitution de 1791 passe ainsi aux Anciens). Ils peuvent fixer le lieu de résidence des séances des Conseils, ce qui leur permettra d’aider Bonaparte dans son coup d’Etat en transférant les Assemblées à Saint-Cloud. anciens combattants, soldats ayant participé aux combats et, plus spécifiquement, soldats de la Première Guerre mondiale. Figures sociales nouvelles de l’entre-deuxguerres, vecteurs du souvenir, mais aussi animateurs de sociabilités inédites, les anciens « poilus », forts de convictions morales et politiques définies, restent longtemps assujettis à l’image fallacieuse et déformante des Croix-de-feu ou des défilés du 6 février 1934. Avant tout, les anciens combattants sont les témoins et les acteurs de la Première Guerre mondiale, véritable traumatisme dont ils vont véhiculer, par leurs lettres, leurs récits écrits ou oraux, des images contradictoires : le souvenir de l’horreur - la mort intime, la mort attendue, la mort reçue et, pis encore peut-être, la mort donnée - y côtoie celui de la fraternité dans les tranchées. Avant même la fin de la guerre se pose le problème du sort matériel des mutilés et des blessés démobilisés. C’est ainsi que les premières associations d’anciens combattants sont fondées, dès 1915, sur des revendications d’ordre pratique plus que moral. Après 1918, elles foisonnent et reposent sur des critères médicaux - l’Union des aveugles de guerre, ou les Gueules cassées, regroupant les plus grands invalides -, militaires ou professionnels, mais aussi politiques : la Fédération ouvrière et paysanne est d’orientation socialiste, tandis que l’Association républicaine des anciens combattants fondée par Henri Barbusse (1916), l’auteur du Feu - l’un des best-sellers de la littérature combattante avec les Croix de bois (1919), de Roland Dorgelès -, est clairement d’obédience communiste. Ce réseau associatif devient, à la fin des années vingt, un véritable mouvement de masse, dont les deux piliers sont l’Union française (900 000 membres) et l’Union nationale des combattants (800 000 adhérents). Les anciens combattants représentent alors un mouvement d’environ trois millions de personnes, soit la moitié des soldats ayant survécu au conflit. Politiquement, les anciens combattants se caractérisent - parfois - par un antimilitarisme hérité de la haine de l’ancien troufion à l’égard de l’officier et - très souvent - par un pacifisme inébranlable, dont le chantre fut Aristide Briand, et la garante, la Société des nations (SDN). Le 11 Novembre, fête nationale des anciens combattants, est à la fois une cérémonie civique - et non militaire - et une célébration funéraire où le chant patriotique donne sa signification républicaine au sacrifice des disparus. Dans l’ensemble, le discours de l’ancien combattant se veut plus moral que politique : l’opposition mythique entre le monde politicien et l’univers du soldat exposé aux risques de la guerre, la volonté de sauvegarder la communauté d’esprit des tranchées et le refus de voir la société traversée de clivages suscitent, tout au long de l’entre-deuxguerres, un antiparlementarisme spécifique qui, toutefois, est davantage l’expression de l’insatisfaction face à une IIIe République défaillante que le symptôme d’un quelconque fascisme français. Anciens et des Modernes (querelle des), nom générique donné aux polémiques littéraires qui voient s’affronter, entre la seconde moitié du XVIIe siècle et le début du XVIIIe, les tenants de la supériorité des auteurs modernes et les défenseurs des modèles antiques. La querelle des Anciens et des Modernes comprend plusieurs phases distinctes, et elle engage des protagonistes différents au fil des années. La première controverse oppose les partisans d’une épopée nationale et du merveildownloadModeText.vue.download 45 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 34 leux chrétien aux zélateurs des mythologies païennes. Contre le Clovis de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1657) ou le Charlemagne de Louis le Laboureur (1664), Boileau proclame, dans son Art poétique (1674), l’excellence des lettres anciennes. Même si les Modernes sont vaincus, faute d’avoir étayé leurs thèses par des oeuvres suffisamment probantes, le joug de l’Antiquité n’en subit pas moins un premier ébranlement. L’affaire des Inscriptions (1676-1677) fait rebondir la polémique autour de la question suivante : faut-il employer le français ou le latin pour les inscriptions des tableaux et monuments historiques ? C’est à l’Académie française, le 27 janvier 1687, que débute la phase la plus aiguë de la Querelle. On y lit, en effet, le poème de Charles Perrault le Siècle de Louis le Grand, dans lequel l’auteur déclare préférer « le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste ». L’exaltation du présent contre le passé déchaîne les foudres de Boileau, à qui s’allient La Fontaine et La Bruyère. Perrault rédige les quatre tomes de son Parallèle des Anciens et des Modernes (1688-1697), auxquels Boileau répond par ses Réflexions sur Longin (1694). Le conflit entre les deux hommes ne s’apaise qu’en 1694, grâce à la médiation d’Antoine Arnauld, qui obtient une réconciliation publique. La dernière phase de la Querelle s’ordonne autour d’Homère. L’helléniste Anne Dacier livre au public, en 1699, une traduction de l’Iliade qui ne masque ni les longueurs ni les répétitions du texte original. En 1713, Antoine Houdar de La Motte tire de cette édition une version largement amputée et versifiée. Mme Dacier s’élève aussitôt contre ce sacrilège. Cette fois, c’est Fénelon qui réconcilie les adversaires dans sa Lettre à l’Académie (1714) : il exhorte les Modernes à égaler et à dépasser les Anciens. Ainsi prend fin une longue polémique où les questions de personnes ont sans doute joué un rôle aussi important que les exigences d’ordre esthétique. Par-delà les excès de l’un et l’autre camp, par-delà une violence polémique qui interdit souvent aux protagonistes de poser les problèmes avec la clarté requise, la querelle des Anciens et des Modernes fait résonner une question essentielle : celle des rapports qu’entretiennent les oeuvres d’art du présent avec l’héritage d’une civilisation. Andorre, principauté souveraine des Pyrénées, placée depuis la fin du XIIIe siècle sous l’autorité de deux coprinces : l’évêque d’Urgel et le roi de France (prérogative qui passe ensuite au président de la République française). En 988, le comte d’Urgel cède à l’évêque de cette ville les terres « fiscales » que Charles le Chauve avait données à l’un de ses prédécesseurs en 843. À son tour, le prélat les restitue en fief à la famille des Caboet au début du XIe siècle. Devenu héréditaire, ce fief passe par mariage à la famille des Castelbon (vers 1185), puis à celle des comtes de Foix (vers 1208). Les relations entre l’évêque et ses vassaux sont souvent difficiles. L’intervention du roi d’Aragon leur permet, en 1278, de conclure un accord de « paréage » qui instaure un condominium sur la vallée (partage du tribut, ou questia, présence des bailes des deux autorités, aide militaire due aux deux seigneurs). Transmis au roi de Navarre, l’héritage des comtes de Foix échoit à la France lors de l’accession d’Henri IV au trône. Le système s’est maintenu jusqu’à nos jours, malgré de fréquentes tensions entre les coprinces (instauration d’un blocus économique en 1953). La rencontre historique qui a lieu à Cahors, le 25 août 1973, entre Georges Pompidou et Mgr Joan Marti i Alanis ouvre une période de réformes dans la principauté, tendant au renforcement de l’autonomie du Très Illustre Conseil général des vallées, émanation des conseils de paroisse élus au suffrage universel depuis 1985. Dotée d’une Constitution depuis 1993, la principauté est membre de l’ONU. Angevins, branche cadette de la famille capétienne qui, entre le XIIIe et le XVe siècle, régna, plus ou moins longuement, en Italie, en Hongrie, en Albanie et à Jérusalem. C’est le frère cadet de Saint Louis, Charles Ier d’Anjou, qui est à l’origine de l’établissement d’un pouvoir capétien en Méditerranée et en Europe orientale. Installé en Provence par son mariage, en 1246, avec Béatrix, fille de Raimond Bérenger V, il profite du vide politique laissé en Italie par la mort de l’empereur Frédéric II (1250) pour s’y imposer. Il obtient du pape la couronne de Naples et de Sicile, royaume qu’il conquiert en 1266-1267, à l’issue des batailles de Bénévent et de Tagliacozzo. L’Italie n’est cependant qu’un élément de la politique d’envergure que veut mener Charles : son but essentiel est de reconstruire l’Empire latin d’Orient, reconquis par le Grec Michel Paléologue (1261). Dès 1266, Charles s’empare de Corfou et de l’Achaïe. En 1272, il obtient le royaume d’Albanie, puis celui de Jérusalem (1279). Des alliances matrimoniales sont nouées au même moment en Pologne et en Hongrie. Un réseau d’alliances diplomatiques est tissé avec le royaume serbe, les Mamelouks de Baïbars et les Mongols. Les projets de croisade contre les Grecs restent cependant lettre morte. En 1282, alors que tout semble réuni pour la victoire du Français contre Constantinople, Pierre III d’Aragon débarque à Collo, en Sicile : les Vêpres siciliennes (31 mars) marquent le premier revers du défi angevin, arrivé à son apogée. Les descendants de Charles Ier se maintiennent en Europe orientale et en Italie du Sud. En Hongrie, une dynastie angevine succède en 1307 à celle des Árpád et y domine la vie politique jusqu’en 1382, notamment au cours du long règne de Louis le Grand, roi de Hongrie de 1342 à 1382 et roi de Pologne de 1370 à 1382. En Italie, Robert, petit-fils de Charles, réussit, au cours de son règne (1305-1343), à restaurer l’ordre et à faire du royaume de Naples un centre culturel humaniste. Après sa mort, l’Italie du Sud sombre pour longtemps dans l’anarchie, déchirée par les querelles entre branches angevines rivales. Isolée, la reine Jeanne Ire adopte Louis Ier, fils de Jean II le Bon, apanagé en Anjou, mais est assassinée par l’Angevin Charles, duc de Durazzo (Duras). S’ouvre alors plus d’un siècle de luttes entre les Duras, la deuxième maison d’Anjou et les Aragonais. L’adoption de René d’Anjou par la reine Jeanne II (Duras) prélude à la transmission de l’héritage angevin au roi de France (1470). Ce mirage hérité est le moteur de l’expédition de Charles VIII en Italie (1494) et des guerres d’Italie. Angoulême (Louis Antoine de Bourbon, duc d’), dauphin de France (Versailles 1775 - Goritz, Autriche, 1844). Fils aîné de Charles, comte d’Artois, futur Charles X, et de Marie-Thérèse de Savoie, il est élevé par sa mère à l’écart de la cour. Émigré dès 1789 avec ses parents et son frère cadet, le duc de Berry, il séjourne successivement à Turin, où il suit des cours d’artillerie, puis à Coblence (auprès de l’armée des Princes), à Édimbourg, à Blanckenburg, puis à Mittau, dans l’entourage de Louis XVIII : c’est là qu’il épouse en 1799 sa cousine germaine, Marie-Thérèse-Charlotte de France, « Madame Royale », fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Durant l’Empire, il vit en exil à Hartwell auprès de Louis XVIII. Attaché à l’armée de Wellington, il rentre en France par l’Espagne, et joue un rôle actif dans la restauration des Bourbons sur le trône de France et entre triomphalement à Bordeaux le 12 mars 1814. Durant les Cent-Jours, nommé lieutenant général du royaume dans le Midi, il remporte un succès sur l’armée bonapartiste à Loriol, mais est abandonné par ses soldats ; arrêté, il est embarqué pour l’Espagne. De retour en France après Waterloo, il siège à la Chambre des pairs. Louis XVIII le place à la tête de l’expédition militaire française en Espagne (1823), où il met fin à la captivité du roi Ferdinand VII (prise de Trocadero). Au lendemain de la révolution de juillet 1830, le 1er août, il abdique en faveur de son neveu Henri, duc de Bordeaux, et se retire en Angleterre, puis à Prague et enfin à Goritz. Angoumois, appelé goulême, ancienne cupant, autour de majeure partie de Charente. aussi comté d’Anprovince de France ocla ville d’Angoulême, la l’actuel département de la Fondée sous le Bas-Empire à des fins militaires et rapidement promue au rang d’évêché, la cité d’Angoulême, prise par les Wisigoths et intégrée au royaume de Toulouse, passe sous le contrôle de Clovis après la victoire de Vouillé, en 507, et devient le siège d’un comté à la fin du VIIIe siècle. À l’époque carolingienne, l’Angoumois, dont la possession est très disputée, est uni au Périgord et à l’Agenais, puis à la Saintonge et au Poitou, dont il dépend jusqu’à la fin du XIIe siècle. Situé au contact des domaines des Capétiens et des Plantagenêts, le comté, aux mains de la famille de Lusignan, est incorporé par Philippe le Bel au royaume de France en 1308. Pris dans le champ d’opérations de la guerre de Cent Ans, il est cédé à l’Angleterre en 1360 par le traité de Brétigny, qui sanctionne la défaite de Jean le Bon à Poitiers, puis est reconquis par Charles V, en 1373. Acquis à la France, l’Angoumois reste désormais dans la mouvance du royaume pendant toute la durée du conflit, bien qu’il soit détaché du domaine, d’abord en faveur du duc de Berry, puis de Louis d’Orléans, en 1394. À la mort de celui-ci, en 1407, il passe à son plus jeune fils, Jean d’Angoulême, grand-père de François Ier qui, lors de son avènement au downloadModeText.vue.download 46 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 35 trône de France, en 1515, réunit définitivement l’Angoumois à la couronne et l’érige en duché-pairie au bénéfice de sa mère, Louise de Savoie. Anjou, ancienne province de France axée sur la Loire, entre Bretagne et Touraine, Maine et Poitou, dont les limites correspondent à celles de l’actuel département de Maine-et-Loire. Dépourvu d’unité naturelle, c’est avant tout une construction politique qui remonte au Moyen Âge. Formé du territoire de la tribu gauloise des Andécaves, l’Anjou est intégré après la conquête romaine aux provinces de Celtique, puis de Lugdunaise, avant d’être fondu dans le royaume franc. Son identité n’est toutefois acquise qu’à la fin du IXe siècle, lorsque apparaît la première mention du comté d’Angers, défendu des incursions normandes par Robert le Fort, puis par son fils Robert qui, devenu roi des Francs, y installe un vicomte, qui est à l’origine de la première maison comtale. Ainsi, l’Anjou devient-il l’un des principaux fiefs du royaume : vassaux directs des Capétiens, dont ils sont les alliés, Foulques Nerra et son fils Geoffroi Martel l’étendent aux Mauges, au Saumurois, à une partie de la Touraine et s’assurent la suzeraineté du Maine. Le comté, réorganisé par Foulques V et Geoffroi Plantagenêt, qui imposent leur pouvoir aux seigneurs féodaux et développent l’administration, notamment en matière de justice, revient en 1151 à Henri II Plantagenêt, bientôt duc d’Aquitaine et roi d’Angleterre. L’Anjou, confié à un sénéchal, est ainsi intégré à un vaste empire qui comprend, outre l’Angleterre, la Normandie, puis la Bretagne, l’Aquitaine et la Gascogne. Après que Philippe Auguste s’en est emparé en 1205, il est constitué en apanage dans le testament de Louis VIII, en 1226, au bénéfice du frère cadet de Saint Louis, Charles Ier d’Anjou. Sous cette deuxième dynastie, d’origine capétienne, l’Anjou devient avec le Maine l’élément périphérique d’un second empire angevin, centré non plus sur l’Atlantique, mais sur la Méditerranée, avec notamment les royaumes de Sicile et de Naples. Donné en dot par Charles II à sa fille Marguerite, épouse de Charles de Valois, l’Anjou revient à la couronne lors de l’accession au trône de leur fils, Philippe VI, en 1328, avant d’en être à nouveau dissocié par Jean le Bon, en 1356, comme duché cette fois, au profit de son fils cadet, Louis Ier d’Anjou. Le duché demeure l’apanage de la troisième maison d’Anjou jusqu’au décès du roi René (roi de Jérusalem et de Sicile, duc d’Anjou et comte de Provence), en 1480, suivi en 1481 de celui de son héritier, Charles du Maine, qui, en faisant de Louis XI son légataire universel, a permis au duché d’être définitivement réuni à la couronne. Anjou (Philippe, duc d’), roi d’Espagne sous le nom de Philippe V (de 1700 à 1746), fondateur de la lignée des Bourbons d’Espagne (Versailles 1683 - Madrid 1746). Deuxième fils de Louis de Bourbon et de Marie-Anne de Bavière, petit-fils de Louis XIV, il est élevé en cadet qui n’est pas destiné à régner, mais bénéficie de l’enseignement de Fénelon. Charles II d’Espagne, demi-frère de sa grandmère Marie-Thérèse, en fait son héritier s’il renonce au trône de France, ce qui déclenche la guerre de la Succession d’Espagne. Arrivé à Madrid avec ses conseillers français, il doit affronter l’invasion du prétendant Charles de Habsbourg. Chassé de sa capitale en 1706 et 1710, Philippe V gagne le coeur des Castillans par son courage. La paix d’Utrecht (1713) lui garantit son trône, mais il perd les possessions d’Italie et des Pays-Bas, et échoue à faire valoir ses droits sur la France après la mort de Louis XIV. Il veut reconquérir la Sicile, ce qui entraîne une guerre contre l’Angleterre et la France (1718). Le traité de 1721 normalise les relations entre les Bourbons. En 1738, Philippe V obtient de l’Autriche Naples et la Sicile, contre Parme et la Toscane. Influencé par la princesse des Ursins, agent de Louis XIV, mais aussi par ses épouses, Marie-Louise de Savoie puis Élisabeth Farnèse, fille du duc de Parme, dans l’ombre de son ministre le cardinal Alberoni jusqu’en 1719, Philippe V a réformé l’État espagnol sur le modèle de la centralisation française. Louis XIV lui avait dit : « Soyez bon Espagnol... mais souvenezvous que vous êtes né Français. » Annam ! Indochine Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, reine de France (Valladolid, Espagne, 1601 - Paris 1666). Élevée à la cour d’Espagne régie par l’étiquette de Charles Quint, elle reçoit une éducation pieuse et stricte qui la marque profondément. Le 25 août 1612, le Conseil du roi vote le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, afin de parachever la politique de rapprochement avec l’Espagne « très catholique ». De cette union, célébrée le 25 décembre 1615, naîtront deux fils : Louis Dieudonné (1638), futur Louis XIV, et le duc d’Orléans (1640). Forte personnalité, peu instruite mais autoritaire et têtue, la reine Anne déchaîne les passions (c’est pourquoi Dumas lui accordera une telle place dans les Trois Mousquetaires et Vingt ans après). Ennemie jurée de Richelieu, qui mène une politique anti-espagnole, elle prend part à tous les complots ourdis contre le Cardinal : elle anime le parti dévot, qui s’oppose aux alliances conclues avec les pays protestants, et va même jusqu’à prêter son soutien à Chalais, qui projette de l’assassiner. Le 10 novembre 1630, elle est victime, au même titre que la reine mère Marie de Médicis, de la journée des Dupes, et envoyée en exil. Enfin, en 1637, éclate l’« affaire du Val-de-Grâce » : soupçonnée d’entretenir une correspondance secrète avec son frère Philippe IV d’Espagne alors que la France lui fait la guerre, elle est accusée de trahison. Seule la naissance d’un héritier la sauve de la disgrâce. En 1643, à la mort de Louis XIII, la reine entame une seconde carrière politique, radicalement différente de la première. Loin de continuer à mettre en péril la sûreté et la stabilité de l’État, elle n’a plus qu’un souci : offrir à son fils un royaume pacifié et unifié. Elle fait donc casser le testament de Louis XIII par le parlement de Paris, se fait proclamer régente, et obtient les pleins pouvoirs, qu’elle confie à Mazarin. L’oeuvre accomplie par le « duovirat » est considérable : ils soumettent les frondeurs, signent la paix avec l’Autriche phalie, 1648) et avec l’Espagne nées, 1659). En 1661, Louis XIV à la tête d’un royaume puissant reine mère se retire à l’abbaye qu’elle a fait construire, et y (traité de West(traité des Pyrése retrouve et soumis. La du Val-de-Grâce, meurt en 1666. Le portrait qu’en a peint Rubens est révélateur du rôle exceptionnel qu’a joué cette femme : elle n’est représentée ni en mère ni en amante, mais elle a la grandeur et la solennité que confère le pouvoir monarchique. Anne de Bretagne, duchesse de Bretagne (1488-1514) et reine de France de 1491 à 1514 (Nantes 1477 - Blois 1514). Fille aînée du duc François II et de Marguerite de Foix, elle devient duchesse à la mort de son père, en septembre 1488. Sur l’avis des états de Bretagne, qui cherchent à préserver l’indépendance du duché face au puissant voisin français et soutiennent la candidature impériale contre les prétentions de Louis d’Orléans, futur Louis XII, Anne est mariée par procuration, en mars 1490, au fils de l’empereur Maximilien de Habsbourg, qui vient d’être élu roi des Romains, cette union, qui transgresse le traité du Verger (19 août 1488) par lequel François II s’était engagé à ne pas marier ses filles sans le consentement du roi de France, provoque une réaction militaire de Charles VIII, inquiet de la menace d’encerclement que pourraient faire peser les Habsbourg sur son royaume. Devant le peu d’aide que lui apporte Maximilien, alors occupé en Bohême, et voulant sauvegarder l’indépendance de son duché, envahi par les armées royales, Anne décide de changer de parti : son mariage est annulé pour vice de procédure, et elle épouse Charles VIII en décembre 1491. Le contrat de mariage réaffirme la suzeraineté française sur la Bretagne, mais respecte l’autonomie du duché qu’Anne fait valoir en refusant d’étendre à ce dernier les effets de la pragmatique sanction (7 juillet 1438) qui consacre le roi comme le maître de l’Église de France. Il prévoit que si le roi venait à mourir sans laisser de descendance masculine, Anne épouserait son successeur : ainsi, lorsque Charles VIII décède, en 1498, sans que lui survive aucun de ses quatre enfants, Anne est promise à Louis XII, qu’elle épouse en 1499, et à qui elle donne deux filles, Claude et Renée. Toujours attachée à l’autonomie de son duché, elle ne peut toutefois empêcher les progrès de l’influence française, ni s’opposer à l’union de sa fille aînée, Claude de France, avec l’héritier présomptif du trône, François d’Angoulême. Ce mariage, conclu en 1514, peu avant qu’Anne meure, scelle, à terme, le devenir de la Bretagne, réunie de façon indissoluble à la couronne par François Ier en 1532, huit ans après le décès de son épouse. Anne de France, dite Anne de Beaujeu, régente du royaume de France de 1483 à 1491 (Genappe, Brabant, 1461 - Chantelle, Allier, 1522). Fille aînée du roi de France Louis XI et de Charlotte de Savoie, Anne de France épouse en 1474 Pierre Beaujeu, fils cadet du duc de Bourbon. C’est à sa fille Anne, en qui il downloadModeText.vue.download 47 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 36 reconnaît ses propres qualités, et à son gendre Pierre, fidèle serviteur du royaume, que Louis XI confie la régence pendant la minorité de son fils Charles. De 1483, date de l’avènement de Charles VIII, à son mariage en 1491, Anne et Pierre de Beaujeu gouvernent la France. Confrontés aux troubles suscités par le duc d’Orléans, futur Louis XII, ils réunissent les états généraux de Tours en 1484, dont ils obtiennent le soutien. L’année suivante, l’hostilité des princes se cristallise dans la « Guerre folle », menée par le duc Louis d’Orléans, le duc François II de Bretagne et Maximilien de Habsbourg. Mais le duc d’Orléans fait bientôt la paix avec le roi. La recherche de l’équilibre et la modération guident alors le comportement d’Anne de Beaujeu, que Brantôme qualifie de « fine femme et déliée s’il en fut oncques, et vraie image en tout du roi Louis son père ». Entre les affaires d’Autriche et celles de Bretagne, Anne de Beaujeu choisit d’assurer la réunion de la Bretagne à la France en mariant son frère Charles VIII à Anne de Bretagne, unique héritière de François II. Dès lors, les Beaujeu se consacrent aux intérêts du duché de Bourbon, dont Pierre a hérité en 1488, et qui revient à sa mort à sa fille Suzanne (1503). Mariée à Charles de Montpensier, futur connétable de Bourbon, cette dernière meurt, sans héritier, en 1521, et le duché revient à son époux. François Ier réclame certaines des possessions du connétable de Bourbon, mais se heurte à Anne de Beaujeu, qui défend fermement les intérêts de son gendre ; elle meurt l’année suivante, avant la trahison du connétable en 1523. À Moulins, la cour des Beaujeu, foyer de la Renaissance française, accueillit artistes et poètes. Anne de Beaujeu a elle-même pris la plume pour écrire des Enseignements dédiés à sa fille Suzanne. Conseils de vie d’une grande élévation morale, plus proches des Enseignements de Saint Louis que des poèmes de Ronsard, ils ont inspiré à l’historien Ernest Lavisse, à la fin du XIXe siècle, ces propos : « Anne de Beaujeu était pieuse et austère [et] ne prisait point les falbalas. » À la collégiale de Moulins, le vitrail de sainte Catherine et le triptyque de la Vierge à l’Enfant conservent les visages d’Anne, Pierre et Suzanne de Beaujeu. Années folles, période comprise entre la fin de la Première Guerre mondiale et le début de la grande dépression des années trente. Dans la mémoire collective européenne, les Années folles figurent ce retour explosif à une certaine joie de vivre, après la « boucherie » de 1914-1918, encouragé par une prospérité économique renaissante et la perspective d’une entente avec l’Allemagne à partir de 1924. Autant dire que, de même que la Belle Époque forgée par un après-guerre en mal de repères, ces Années folles constituent un cliché dont la dimension utopique livre pourtant la clé de ces années vingt, où la recherche de la modernité, qui est certes le fait d’une élite artistique et sociale, est à peine entamée par une discrète mais indéniable réaction. • Paris, carrefour de la modernité. Au coeur des Années folles, Paris, bien que détrônée par Berlin ou Moscou, prend toujours le pouls de la vie artistique internationale. Le monde s’y donne alors rendez-vous : Russes en rupture de révolution, ou artistes soviétiques en visite dans la capitale ; écrivains américains, dont toute une génération - Francis Scott Fitzgerald, Henry Miller, Ernest Hemingway, Ezra Pound - va se perdre dans le salon de Gertrude Stein ; artistes italiens et espagnols ; photographes de tous horizons. Tous contribuent à forger une image cosmopolite de la Ville Lumière. La modernité de ces roaring twenties rime avec une première véritable « américanomania ».La fièvre américaine s’empare de Paris, propagée par les sons chaloupés du charleston, du shimmy et du jazz joués dans les nombreux dancings et cafés, tels que Le Boeuf sur le toit, célèbre cabaret de la rue Boissy-d’Anglas, fréquenté par Jean Cocteau. Les Années folles sont riches donc en images, du jazz à la Revue nègre de Joséphine Baker. Elles ont aussi un visage : celui de la femme émancipée, la « garçonne » aux cheveux courts coiffée d’un chapeau cloche et portant robe-chemise, et dont la taille, emblème de la féminité, est gommée par une ceinture tombant sur les hanches. Cette « course à la modernité » s’inscrit toutefois au-delà du cadre des mondanités parisiennes : les vêtements féminins plus simples et plus pratiques se démocratisent ; les supports culturels à forte diffusion se multiplient, tels la radio - alors à ses débuts -, le phonographe, ou encore l’affiche publicitaire qui, avec Carlu, Cassandre ou Colin, recycle à sa manière les apports du cubisme ou de l’expressionnisme, et les intègre bientôt au paysage urbain. Ces médias en voie de diversification participent de cette nouvelle forme de civilisation à laquelle public et créateurs ont l’impression d’appartenir : une civilisation de la technique, de la vitesse, du voyage, où, des futuristes à Blaise Cendrars, l’on se plaît à célébrer l’ivresse de la voiture, la poésie du train ou des transatlantiques. Laboratoire des techniques, les Années folles, marquées à leur début par l’explosion dadaïste puis surréaliste, explorent également toutes les potentialités d’un art nourri par le nihilisme hérité d’une guerre absurde, par les recherches sur l’inconscient mises en pratique dans l’écriture automatique et par un inébranlable anticonformisme qui va irriguer tous les domaines de la création, notamment le cinéma : encore muet, ce « septième art » est animé par une nouvelle génération de metteurs en scène - Louis Delluc, Germaine Dulac, Abel Gance, Marcel L’Herbier, René Clair, Luis Buñuel -, tous soucieux de créer une esthétique vouée au culte des images. • L’envers du décor. Pourtant, l’envers de cette effervescence se lit dans le repli notable, issu tout droit de la guerre, sur les valeurs nationales et le rejet du « kubisme » et de la « kultur », comme l’atteste la pratique picturale. À Paris, Derain, Léger ou Picasso retournent à une facture plus traditionnelle, et le réalisme redevient l’horizon théorique des peintres. L’architecture, malgré le dynamisme d’un Le Corbusier, accuse le trait : le retour au passé se manifeste dans la vague de reconstruction de l’entre-deux-guerres, comme si la Grande Guerre n’avait été qu’une parenthèse. Entre invention et réaction, les Années folles gravent le mythe de recréation d’un monde et d’un homme enfin émancipés de la folie meurtrière. En 1933, alors que Hitler arrive au pouvoir et que la crise économique prend des proportions mondiales, ce mythe a fait long feu. Anselme de Cantorbéry, ecclésiastique et philosophe d’origine italienne (Aoste 1033 - Cantorbéry 1109). Issu d’une famille de châtelains, il entre en 1059, après trois années d’errance, à l’abbaye bénédictine du Bec, en Normandie, attiré par la renommée du célèbre Lanfranc. Il lui succède comme prieur et écolâtre (1063), puis devient abbé du Bec (1078) et, enfin, archevêque de Cantorbéry (1093). Prélat réformateur, partisan de la primauté romaine, il entre en conflit avec le roi d’Angleterre (Guillaume II le Roux, puis Henri Ier Beauclerc) en défendant les pré- rogatives de l’Église face aux pouvoirs laïcs. Entre 1097 et 1107, il est contraint par deux fois de s’exiler en Italie. Premier et prestigieux représentant de la renaissance du XIIe siècle, Anselme est l’auteur de traités philosophiques - dans la querelle des Universaux, il fait partie des réalistes, qui s’opposent aux nominalistes - et théologiques. Imprégné de la pensée de saint Augustin et de Grégoire le Grand, il refuse de soumettre la foi à la dialectique : on ne comprend pas afin de croire, mais on doit croire afin de comprendre (Fides quaerens intellectum). Ses traités les plus connus ont été écrits au Bec : le Monologion, le Proslogion, le De casu diaboli (où il réduit le mal au néant). Il est célèbre par son « argument ontologique » (Proslogion) : pouvoir penser Dieu tel que rien de plus grand ne peut être pensé implique nécessairement son existence réelle. Au temps de son épiscopat, il traite, dans le Cur Deus homo, de la nécessité de l’incarnation. anticléricalisme, refus, en tout domaine (législatif et juridique, politique, social et économique, culturel, éducatif et moral) et en toute circonstance (cérémonies, rapports sociaux, vie quotidienne, actes majeurs de l’existence humaine : naissance, mariage, mort), de toute espèce de subordination à l’autorité religieuse et de toute forme d’envahissement de la sphère collective ou individuelle par le clergé et la religion qu’il professe. Le mot (comme son antithèse, « cléricalisme ») apparaît dans le lexique politique des années 1860. Historiquement, l’anticléricalisme désigne, en France, les systèmes de pensée, les opinions, les comportements et les actes hostiles à l’Église catholique (ainsi que, mais plus rarement, aux autres confessions religieuses) qui ont conduit à l’affirmation du principe de laïcité et à la loi de séparation des Églises et de l’État (1905). Ses partisans entendent par la suite prolonger l’esprit de cette lutte et en maintenir les principes et les acquis. L’anticléricalisme n’est certes pas apparu au XIXe siècle. Les satires médiévales contre les moines, les luttes de la monarchie contre le Saint-Siège, l’humanisme savant et le libertinage érudit, Voltaire (Écrasons l’infâme !), les Encyclopédistes et les Philosophes (Diderot, d’Holbach, La Mettrie, Condorcet) constituent son arrière-plan culturel et lui offrent downloadModeText.vue.download 48 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 37 ses principaux arguments. La déchristianisation révolutionnaire de l’an II, qui entraîne la fermeture des lieux de culte, la persécution du clergé et des fidèles et l’apparition de rituels civils représentent une rupture décisive. • Le grand siècle. Au cours du XIXe siècle, l’anticléricalisme s’affirme à travers plusieurs étapes. Les anticléricaux de la Restauration (Béranger, Paul-Louis Courier, Montlosier, Stendhal) combattent avec vigueur l’alliance du trône et de l’autel, la Congrégation, les jésuites et les missions, la loi sur le sacrilège et le sacre de Charles X à Reims (1825). Aussi, avec l’abolition de toute notion de religion d’État, 1830 marque-t-il un tournant majeur. Dans les années 1840, la lutte anticléricale s’étend à l’enseignement (Villemain et la défense du monopole universitaire ; Des jésuites, de Michelet et Quinet, 1843) et à la morale (Du prêtre, de la femme et de la famille, de Michelet, 1845). La révolution de 1848 n’est pas anticléricale, mais le ralliement du clergé au parti de l’Ordre puis au coup d’État de 1851 relance la lutte (discours de Victor Hugo contre l’expédition de Rome et la loi Falloux, 1850). Les années 1860, qui voient Napoléon III se détacher de l’Église pour soutenir la cause de l’Italie, marquent une nouvelle rupture. L’anticléricalisme se renouvelle dans ses sources doctrinales (Vie de Jésus, de Renan, 1863 ; traductions du théologien Strauss, de Darwin et de Feuerbach ; dictionnaires de Littré et de Larousse) comme dans ses forces vives (franc-maçonnerie ; Ligue de l’enseignement). En 1868, à la tribune du Sénat, Sainte-Beuve exalte le « grand diocèse » des dissidents de tous ordres. En 1871, la Commune de Paris fait fermer les églises et fusiller l’archevêque, Mgr Darboy. Dans les années 1871-1877 (l’Ordre moral), une ligne de partage s’établit entre monarchistes et catholiques d’une part, républicains et anticléricaux de l’autre : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! », s’écrie Gambetta le 4 mai 1877. La victoire des républicains entraîne, dans les années 1880, l’avènement des lois laïques (école gratuite, laïque et obligatoire ; suppression des prières publiques ; interdiction des processions ; introduction du divorce). L’anticléricalisme triomphe dans l’État comme dans le monde intellectuel. Tandis que la morale néokantienne des instituteurs laïcs se substitue à « la morale des jésuites » (Paul Bert, 1879), les mouvements plus radicaux de la libre pen- sée, avec leurs rites civils et leurs banquets du vendredi saint, se développent. La dissolution des congrégations religieuses, la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège (1904) et la loi de séparation du 9 décembre 1905 marquent le point d’aboutissement de l’anticléricalisme du XIXe siècle : désormais, la République « ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ». • Des enjeux décalés. L’anticléricalisme du XXe siècle demeure vigoureux, tant dans la réflexion (l’Union rationaliste en 1930) et la presse (la Calotte d’André Lorulot, 1906 ; le Canard enchaîné, 1916), que dans le syndicalisme enseignant (l’École libératrice), mais il n’occupe plus une place centrale dans le débat politique. Après la Première Guerre mondiale, l’Église et l’État décident de favoriser la pacification religieuse et font chacun des concessions (maintien du concordat en Alsace-Lorraine, approbation des associations diocésaines, rétablissement des relations diplomatiques avec le Vatican). L’anticléricalisme regagne cependant du terrain avec la victoire du Bloc des gauches (1924), mais Édouard Herriot doit faire marche arrière. Pendant le Front populaire, la politique de la « main tendue » de Thorez aux catholiques tout comme le refus des radicaux d’accorder le droit de vote aux femmes isolent les anticléricaux des nouvelles luttes sociales. Après 1945, l’anticléricalisme est principalement centré sur la question scolaire, comme l’illustrent le combat contre les lois Barangé (1951) et Debré (1959), l’adoption de la loi Savary (1984) ou la défense, paradoxale, de la loi Falloux (1994). Enfin, le maintien du concordat en Alsace-Lorraine, le financement public des bâtiments religieux (cathédrale d’Évry, mosquées) ou le rituel « concordataire » des funérailles de présidents de la Ve République à Notre-Dame peuvent constituer d’autres motifs de lutte. anticolonialisme, attitude politique qui remet en cause les principes et les objectifs de la domination coloniale. Sa formulation date des années vingt, considérées comme l’apogée de l’empire colonial français, à un moment où se généralise l’usage péjoratif du terme « colonialisme », selon ses détracteurs, qui traduit « une forme d’impérialisme issu du mécanisme capitaliste ». Mais ses origines explicites remontent au XVIIIe siècle. Entre l’anticolonialisme philosophique des Lumières, l’humanitarisme libéral, la critique socialiste, le refus pragmatique et le tiers-mondisme, les diverses tendances anticolonialistes illustrent la difficile traduction politique de courants qui trouvent souvent leur légitimité au-delà du seul clivage droite/ gauche. • Les origines du débat. Sous la Révolution éclate le débat entre « colonistes », partisans de l’esclavage, et « anticolonistes », favorables à son abolition. « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » : la formule, attribuée à Robespierre, est devenue le symbole de l’anticolonialisme de principe, né des idéaux anti-esclavagistes de 1789. L’abolitionnisme, nourri des écrits de Rousseau et de l’abbé Raynal, constitue certes une matrice de l’anticolonialisme, mais celui-ci se réfère aussi, à la fin du XVIIIe siècle, à une critique pragmatique du système colonial qui, selon Voltaire, « dépeuple la métropole », et, d’après les physiocrates, est trop coûteux et affaiblit la puissance continentale de la France. Du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale, il évolue avec la formation de l’empire colonial français. La critique utilitariste dénonce le « gaspillage de l’or et du sang » provoqué par les aventures coloniales en Algérie, en Tunisie et en Indochine. Les réprobations humanitaires portent surtout sur les excès des administrateurs et des militaires, excès qui éclatent au grand jour avec les atrocités commises par la mission Voulet-Chanoine autour du Niger en 1899. Le pamphlet de Paul Vigné d’Octon, la Gloire du sabre (1900), et les révélations de Victor Augagneur, administrateur de Madagascar (Erreurs et brutalités coloniales, 1905), illustrent cette position, qui remet en cause les abus coloniaux plus que le système en tant que tel. En 1914, la légitimité coloniale n’est contestée que par deux tendances politiques minoritaires : les nationalistes, qui refusent toute diversion des forces nationales, et l’extrême gauche socialiste et révolutionnaire, qui dénonce, sur les traces de Marx et de Hobson, les causes profondes de la conquête coloniale. Après le congrès de l’Internationale communiste en 1920, et avec la guerre du Rif (1924-1926), l’anticolonialisme devient l’un des fondements du militantisme communiste, qui s’illustre, en 1931, avec l’organisation de la contre-exposition « la Vérité sur les colonies françaises ». • Anticolonialisme et décolonisation. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après l’échec des positions réformistes associées à l’esprit de la conférence de Brazzaville, se développe un anticolonialisme radical, désormais attaché aux luttes menées par les autochtones à Madagascar, en Indochine et dans le Maghreb. Dans les années cinquante, il ne peut qu’aboutir à la décolonisation, trouvant des justifications parfois opposées. Les communistes, les jeunes socialistes, les trotskistes et certains catholiques revendiquent « l’indépendance de droit pour les peuples colonisés », un thème relayé par des intellectuels tels que Sartre, Merleau-Ponty, Mounier, Domenach ou Marrou dans une presse de qualité (les Temps modernes, Esprit et Témoignage chrétien). Quant aux nouveaux anticolonialistes « utilitaristes » et conservateurs, ils affirment la nécessité économique de se débarrasser des colonies : « La Corrèze avant le Zambèze... », proclame le journaliste Raymond Cartier. Selon Jean-Pierre Biondi, avec la guerre d’Algérie se serait opéré le basculement tardif de l’opinion française dans l’anticolonialisme massif, et amorcée la transition vers le tiers-mondisme. antifascisme, courant d’opinion ou mouvement de défense contre le fascisme. Que la menace d’une montée de la droite totalitaire ait été réelle ou surestimée, l’antifascisme n’en a pas moins largement contribué à unifier la gauche française dans les années trente. Rassemblant des démocrates et des révolutionnaires autour d’un refus, il a évité la confrontation entre des projets inconciliables. De ce fait, certains, telle l’historienne Annie Kriegel, le considèrent comme un piège tendu par les communistes, tenants d’un totalitarisme de gauche. D’autres remarquent qu’il répond à un danger manifeste, et que ceux qui y participent - libéraux, démocrates-chrétiens, socialistes ou libertaires - sont souvent loin d’entretenir des illusions quant à leurs alliés staliniens. Dans les années vingt, il n’est encore guère question d’antifascisme en France, hormis chez les réfugiés italiens fuyant le régime de Mussolini. Ceux-ci rencontrent quelque élan de solidarité, mais le fascisme semble une spécificité transalpine, ne relevant que de la pure politique étrangère. Si seul le Parti communiste s’affirme antifasciste, c’est pour mieux dénoncer tout ce downloadModeText.vue.download 49 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 38 qui n’est pas lui, à commencer par la SFIO. La situation change après l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne, en 1933. Les réactions ne sont pas immédiates ; le danger que le nazisme fait peser sur l’URSS conduit cependant Staline à chercher des rapprochements entre États et entre partis, sur la base de l’antifascisme. Après le 6 février 1934, un mouvement spontané de militants de base et d’intellectuels voulant s’unir contre une menace fasciste en France se crée. Le risque d’un fascisme français est sans doute surestimé ; il n’en réveille pas moins une culture politique commune héritée de l’école républicaine et de l’affaire Dreyfus. Il met l’antifascisme à l’ordre du jour et entraîne l’émergence du Front populaire. Les intellectuels jouent un rôle pionnier, grâce au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA), aux hebdomadaires tels que Vendredi, d’André Chamson et de Jean Guéhenno, et Marianne, d’Emmanuel Berl, ou encore grâce à la tenue du Congrès international pour la défense de la culture. Celui-ci réunit à Paris, en juin 1935, André Gide, Louis Aragon, Romain Rolland, Jules Monnerot, Emmanuel Mounier ou Victor Marguerite, côté français ; y participent aussi Bertolt Brecht, Boris Pasternak, Herbert Marcuse, Tristan Tzara, Robert Musil ou Aldous Huxley. Mais c’est aussi chez les intellectuels que les fissures apparaissent le plus vite. La réalité du régime soviétique que dépeint Gide, les procès de Moscou, la répression contre les opposants tel le romancier Victor Serge, divisent les partisans de l’antifascisme ; s’y ajoute la question du pacifisme, débattue entre ceux qui en font un principe absolu et ceux qui prônent la résistance aux dictatures, les premiers étant accusés de travailler pour Hitler, les seconds pour Staline. La guerre d’Espagne, au sujet de laquelle deux positions de principe se font jour (non-intervention, et soutien actif à la République espagnole), et la marche à la guerre mondiale donnent au débat une tragique actualité. Par ailleurs, l’illusion d’une entente avec l’Italie fasciste contre l’Allemagne nazie peut faire oublier l’antifascisme. Avant même l’année 1939, le thème n’est plus fédérateur. D’ailleurs la guerre, l’Occupation, la Résistance, ne lui redonnent pas un rôle central, même s’il est officiellement le ciment de la coalition antihitlérienne : en France, le réflexe national prime sans doute, y compris chez les communistes après juin 1941 ; la distinction entre Allemands et nazis, conférant une dimension idéologique au combat, émane plutôt des socialistes humanistes et, surtout, de catholiques qui, réunis autour de Georges Bidault ou de Témoignage chrétien, continuent leur combat d’avant guerre contre le racisme et la « statolâtrie » totalitaire. Après 1945, avec la chute du fascisme et du nazisme, l’antifascisme peut sembler hors de propos. Même s’il suscite des élans populaires - contre le putsch des généraux en 1961 ou contre l’OAS -, l’usage abusif que le Parti communiste a voulu en faire, par exemple contre le gaullisme, au temps du RPF ou en 1958, a transformé, comme le note l’historien Pierre Milza, « en simple slogan politique la référence à une métaphore idéologique qui a puissamment structuré le combat contre les dictatures totalitaires ». antijudaïsme, attitude d’hostilité religieuse à l’égard des juifs. Leur présence dans les sociétés profondément croyantes du Moyen Âge et de l’époque moderne a suscité de très nombreuses manifestations d’inimitié, qui ne se sont pas limitées à la seule controverse doctrinale. • Positions théoriques et débordements populaires. Considérant que les juifs doivent demeurer, au sein de la Chrétienté, le peuple témoin de la Passion du Christ, l’Église a cherché à restreindre les contacts entre juifs et chrétiens. La polémique antijuive se développe dès le haut Moyen Âge : Agobard, archevêque de Lyon dans la première moitié du VIIIe siècle, et son successeur Amolon critiquent l’activité des juifs dans l’Empire carolingien. Cet antijudaïsme d’origine cléricale ne cesse de s’exprimer dans de nombreux traités de polémique (Adversus ou Contra judaeos). À la fin du XIe siècle, l’antijudaïsme revêt un caractère plus populaire, et menace parfois l’existence même des communautés juives. Les tensions s’exacerbent, favorisées par l’effervescence religieuse de la croisade : en 1096, à Rouen et à Metz, des croisés en route pour la Terre sainte attaquent des juifs, assimilés aux meurtriers du Christ. Des accusations de meurtres rituels, de profanation d’hostie (affaire du « miracle de la rue des Billettes », Paris, 1290) ou de tout objet du culte chrétien provoquent des déchaînements populaires. L’art et la littérature véhiculent des assertions chimériques au moment où les juifs sont de plus en plus perçus comme une menace intérieure pour la Chrétienté. L’attitude des autorités oscille entre protection ponctuelle et exclusion. Ainsi, en 1182, Philippe Auguste expulse les juifs du domaine royal et confisque une partie de leurs créances (la mesure d’expulsion sera annulée en 1198). Tout en interdisant les conversions forcées, l’Église impose aux juifs le port d’un signe distinctif. En 1240 est organisée, à Paris, une controverse entre juifs et chrétiens à propos du Talmud, dont tous les exemplaires sont saisis et brûlés lors du concile oecuménique du Latran IV (1215), Louis IX ordonne, en 1269, qu’une rouelle de couleur jaune identifie les juifs de son royaume ; déjà, ceux d’Alsace, en terre d’Empire, étaient astreints au port d’un chapeau pointu. • Expulsions et exclusions. Le XIIIe siècle marque donc une dégradation rapide des rapports judéo-chrétiens, d’autant que les juifs, exclus de nombreuses professions, se spécialisent fréquemment dans les métiers de l’argent, ce qui renforce l’hostilité populaire à leur encontre. Les restrictions concernant leur résidence se multiplient : interdiction, à partir de 1276, d’habiter une petite ville ; obligation de regroupement dans certains quartiers à Paris (1292 et 1296). En 1289, les juifs sont chassés de Gascogne, alors possession anglaise ; la même année, une mesure similaire affecte ceux d’Anjou. En 1306, Philippe le Bel ordonne la première expulsion générale des juifs du royaume de France, qui seront néanmoins réadmis, moyennant finance, en 1315. La communauté juive continue de cristalliser les haines et les rancoeurs populaires, surtout dans les périodes de crise : massacres perpétrés par les pastoureaux à Toulouse et dans ses environs (1320) ; accusation d’empoisonnement des puits avec la complicité des lépreux à Tours, Chinon et Bourges (1321) ; tueries en Alsace (1338 et 1347). Toutes ces violences préfigurent celles des années 1348-1350 : les juifs sont alors tenus responsables de la grande épidémie de peste qui ravage l’Occident. En 1394, sous le règne de Charles VI, tous les juifs sont finalement exclus du royaume. Leur absence quasi générale en France pendant de nombreuses décennies ne met pas un terme, cependant, aux accusations antijuives, qui se nourrissent d’elles-mêmes durant toute l’époque moderne, comme en témoigne l’article « Juifs » du Dictionnaire philosophique (1764) de Voltaire. Bien des thèmes de l’antisémitisme contemporain trouvent leurs racines dans l’antijudaïsme ancien. Antilles françaises, ensemble des possessions françaises de la mer des Caraïbes, aujourd’hui réduites aux départements de la Guadeloupe et de la Martinique. Les débuts de la présence française dans les Petites Antilles remontent à la première moitié du XVIIe siècle : des huguenots sont à l’origine d’un premier établissement à Saint-Christophe (Saint Kitts) en 1625, puis, le 31 octobre 1626, Belain d’Esnambuc fonde la Com- pagnie de Saint-Christophe. En 1635, il prend possession de la Martinique, tandis que Duplessis et Liénart de L’Olive s’emparent de la Guadeloupe. D’autres établissements suivent : la Dominique et Sainte-Croix (1640), SainteLucie (1642), Marie-Galante (1648), la Grenade (1650), etc., érigées en fiefs au profit de seigneurs, et notamment de l’ordre de Malte. Fondée par Colbert en 1664, la Compagnie des Indes occidentales rachète la plupart de ces îles à leurs seigneurs particuliers. Après la faillite de la Compagnie (1674), elles sont rattachées à la couronne, et des gouverneurs prennent l’administration en main au nom du roi. Tobago est prise aux Hollandais en 1677, et la partie occidentale de Saint-Domingue est cédée par les Espagnols en 1697. Les Caraïbes, qui forment le peuplement autochtone, sont soit exterminés, soit déportés sur des îles voisines. Ainsi, les derniers Caraïbes de la Guadeloupe sont expulsés en 1658, et un traité du 31 mars 1660 (la Paix caraïbe) leur octroie la possibilité de s’établir dans les îles de la Dominique et de Saint-Vincent, qui deviennent en quelque sorte des réserves de peuplement. L’économie de plantation sucrière se développe très tôt, ainsi que la production d’épices. De 1639 à 1660, le commandeur de Poincy fait de Saint-Christophe un établissement particulièrement florissant. Dans d’autres îles, les débuts du peuplement colonial sont assez lents. Une culture originale créole se constitue peu à peu parmi ces « Français des îles ». Au XVIIIe siècle, la traite négrière donne lieu à une immigration massive d’esclaves en provenance du continent africain : à la Grenade, qui ne comptait en 1715 que 250 colons et 500 esclaves, on dénombre, en 1763, 700 Blancs et 18 000 Noirs. Il en résulte un important essor de la production sucrière, des exportations de coton, de café, de tabac et d’indigo... downloadModeText.vue.download 50 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 39 En 1713, le traité d’Utrecht attribue SaintChristophe à l’Angleterre et confère le statut d’« îles neutres » à certaines Petites Antilles françaises : Dominique, Grenade, Grenadines, Sainte-Croix, Sainte-Lucie, Saint-Vincent, Tobago. Celles-ci sont démilitarisées tout en restant françaises et deviennent d’actifs repaires de contrebandiers américains (smugglers). Le contrôle de Sainte-Lucie donne lieu à quelques litiges, arbitrés par la Commission des limites créée par le traité d’Utrecht. En 1750, Louis XV envisage de céder les îles neutres à son allié Frédéric II de Prusse. En 1763, le traité de Paris attribue l’ensemble de ces îles (environ 30 000 habitants) à l’Angleterre, à l’exception de Sainte-Lucie, laissée à la France, qui la perd cependant de nouveau au profit des Anglais en 1774. Le traité de Versailles (1783) restitue Tobago et Sainte-Lucie à la France. Dès le début des guerres de la Révolution, les Petites Antilles sont occupées par les Anglais : la paix d’Amiens (mars 1802) rend à la France la Martinique, la Guadeloupe, SainteLucie et Tobago, mais toutes ces îles sont reprises pendant les guerres napoléoniennes. Les traités de Paris (1814 et 1815) ne laissent à la France que la Martinique et la Guadeloupe avec ses dépendances. Saint-Domingue, en principe rétrocédée, était, en fait, perdue. antimilitarisme, refus absolu de l’armée (c’est alors une des formes du pacifisme) ou critique de l’institution militaire comme instrument de classe et/ou comme école de tous les vices. Dans un pays où les rapports étroits entre l’armée et la nation relèvent du mythe fondateur, l’antimilitarisme vise davantage les assises de l’ordre social qu’il ne le fait dans le monde anglo-saxon, traversé d’attitudes religieuses et éthiques hostiles à l’usage des armes. Au début du siècle, le mouvement le plus opposé à l’ordre social, la CGT, affiche son rejet de l’institution militaire dans des discours variés, plus ou moins radicaux, plus ou moins proches de l’antipatriotisme. C’est un groupe plus marginal, non sans liens avec elle, qui fait de l’antimilitarisme l’axe de son action : l’Association internationale antimilitariste (AIA, branche française). La mobilisation de la nation en 1914-1918 laisse cependant peu de place au discours antimilitariste. L’après-guerre célèbre l’armée de la victoire, même si la mémoire des souffrances légitime la critique de la guerre : nombre d’anciens combattants dénoncent « la forme militaire d’exercice de l’autorité » (Antoine Prost) qu’ils ont connue dans les tranchées, jugée responsable de morts inutiles. Néanmoins, dans les années vingt, c’est encore la formation politique la plus radicale - le Parti communiste - qui incarne l’antimilitarisme. L’armée, symbole et appareil de la classe bourgeoise dominante, fait l’objet de campagnes de dé- nonciation jusqu’au tournant du Front populaire. Dans l’entre-deux-guerres s’affirme, par ailleurs, un courant, en partie héritier de l’AIA, qui prône l’objection de conscience - refus de servir son pays par les armes -, alors assimilé par les tribunaux militaires à la désertion ou à l’insoumission. La Résistance, puis la Libération rendent moins légitime la critique de l’armée. Mais, pendant la guerre d’Algérie, l’armée se voit de nouveau mise en cause, surtout à gauche, pour ses méthodes de guerre (emploi de la torture), mais aussi parce qu’elle est perçue comme une menace pour la démocratie. Plus généralement, l’anticolonialisme sert alors de ferment à l’antimilitarisme et à l’insoumission. Le conflit algérien relance d’ailleurs les revendications en faveur de la reconnaissance légale de l’objection : c’est un « spécialiste » de l’antimilitarisme, actif dès avant 1914, Louis Lecoin, qui mène la campagne aboutissant au vote de la loi de 1963 qui reconnaît un statut aux objecteurs. Sur le plan politique, l’antimilitarisme est soumis aux aléas du fait militaire (guerres, politiques gouvernementales en matière d’armement et de conscription...) et reste dépendant des stratégies politiques globales de ceux qui le promeuvent. Sur le plan culturel, l’antimilitarisme dispose d’une sorte d’autonomie : la culture véhicule aisément la charge symbolique de ce combat, depuis les pièces de théâtre du début du siècle (le Bétail, de Victor Méric, animateur de l’AIA) jusqu’au Festival du cinéma antimilitariste organisé aujourd’hui par l’Alternative libertaire. antiparlementarisme, mouvement d’opinion dirigé contre le système parlementaire et couramment associé à la droite nationaliste. Cependant, le discours antiparlementaire a pu être utilisé par une partie de l’extrême gauche pour attaquer le pouvoir bourgeois, et par la droite classique pour imposer le renforcement de l’exécutif. • Le fruit de la grande dépression et du nationalisme. Dès le milieu du XIXe siècle, l’institution parlementaire fait l’objet de critiques. Ainsi, la théorie proudhonienne de la démocratie fédérative s’oppose-t-elle à la délégation de pouvoirs, et le bonapartisme s’en prend-il à une Assemblée jugée incapable d’assurer la cohésion nationale. Mais l’attachement aux mécanismes constitutionnels depuis 1789 et les luttes pour l’obtention du suffrage universel (1848) empêchent la naissance d’un véritable mouvement antiparlementaire. Celui-ci date de la grande dépression des années 1880, qui, en France, se double d’une crise politique avivée par l’esprit de revanche contre l’Allemagne et par le boulangisme. En ces temps difficiles, les scandales tels que le « trafic des décorations » (1887) semblent insupportables. L’hostilité envers les « voleurs » est récupérée par le général Boulanger, qui fédère les déçus de la « République opportuniste ». Selon lui, la veulerie et l’égoïsme des élus les rendent incapables de défendre les intérêts de la nation humiliée par la défaite. Ce nationalpopulisme donne naissance à une extrême droite qui théorise le refus de la république parlementaire en exploitant le scandale de Panamá et les remous de l’affaire Dreyfus. À partir de 1900, Charles Maurras en vient à préconiser une monarchie qui serait l’expression du « nationalisme intégral » et correspondrait au tempérament « poignard » des Français. À l’extrême gauche, les difficultés économiques et le souvenir de l’attitude du Parlement versaillais en 1871 alimentent un courant, à dominante anarchiste, hostile au parlementarisme bourgeois. La bombe lancée par Auguste Vaillant en pleine séance de la Chambre des députés, le 9 décembre 1893, en est une manifestation spectaculaire. • L’apogée des années trente. Après sa naissance, au congrès de Tours, et dans le cadre de sa stratégie « classe contre classe », le Parti communiste est tenté par la récupération de cet héritage. Mais sa participation à toutes les grandes élections et l’attachement de son électorat au système républicain l’empêchent de donner une forme achevée à ces velléités, comme le confirme en 1934 le tournant qui mènera au Front populaire. C’est à droite que l’antiparlementarisme se renforce. Les Ligues en font leur thème favori. Le 6 février 1934 leur offre l’occasion de manifester leur mépris à l’égard des élus, jugés complices de l’affairiste Stavisky. Le gros de leurs troupes, issu des catégories moyennes victimes de la crise, vise non pas au renversement du régime mais à l’installation d’un gouvernement plus énergique. C’est également le souci d’André Tardieu, principal dirigeant de la droite après la mort de Raymond Poincaré : il entend rénover les institutions en renforçant l’exécutif. Le gouvernement de Vichy réalise la synthèse entre ces deux courants en instaurant l’État français. • Un irrésistible déclin ? Depuis un demisiècle, l’antiparlementarisme revêt des formes moins virulentes. À l’époque du RPF, la critique gaullienne du régime des partis se nourrit des rancoeurs contre la IVe République sans être pour autant une dénonciation systématique du Parlement. Le poujadisme, expression de l’inquiétude des petits producteurs et commerçants face aux restructurations de la croissance, reprend dès 1953 certains des slogans d’avant guerre. Mais, d’essence provinciale, il dénonce plutôt le technocratisme parisien en réclamant un Parlement mieux à l’écoute de la France profonde. Sous la Ve République, la pratique institutionnelle introduit la prééminence de l’exécutif sur le pouvoir législatif. Dès lors, le Parlement ne peut plus servir de bouc émissaire aux contestataires. Cependant, la crise de la fin du XXe siècle, avec la montée de l’extrême droite et la multiplication des « affaires », provoque l’érosion du crédit des hommes politiques et des partis. Même si l’on n’observe pas de résurgence directe de l’antiparlementarisme, le mythe du pouvoir fort, son corollaire, refait surface. Antiquité, une des quatre périodes de l’histoire, qui précède le Moyen Âge, l’époque moderne et l’époque contemporaine. L’Antiquité recouvre les trois millénaires qui s’étendent de l’apparition de l’écriture et des premières grandes civilisations à une date « fatidique » : 476, année au cours de laquelle fut déposé le dernier empereur romain d’Occident, et la plus couramment retenue. De façon plus restrictive, le terme désigne la civilisation gréco-romaine. La représentation qu’une société se donne de son propre passé est une force agissante dans la vie de cette société, l’histoire étant à la fois véhicule d’identité et pourvoyeuse de modèles toujours réinterprétés. La vision de downloadModeText.vue.download 51 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 40 l’Antiquité a donc été prégnante dans l’histoire de France, sur le plan politique comme sur le plan culturel. • Fascination et répulsion au Moyen Âge. Au Moyen Âge, la vision du passé romain a été ambigüe, mêlant surévaluation politique et culturelle de la romanité et rejet du paganisme antique. Fondamentalement, c’est la percep- tion d’une continuité qui domine, notamment dans le domaine idéologique, avec la renovatio imperii carolingienne. Les rituels et l’imagerie politiques mis en place sont largement inspirés des usages de Constantinople, héritière directe de l’Empire de l’Antiquité tardive. Au-delà de la faillite du rêve impérial, relevé plus tard par la dynastie allemande des Staufen, l’Empire romain s’est imposé à la France comme la source unique et excellente du droit. Le droit romain, remis à l’honneur sous la protection de Frédéric Ier Barberousse à l’université de Bologne (milieu du XIIe siècle), se diffuse en France à partir du XIIIe siècle. Réinterprété par les légistes, il a servi de fondement à la construction de l’État monarchique et de l’idéologie du roi « empereur en son royaume ». Dans le domaine culturel, le Moyen Âge s’est fait le conservateur de l’héritage antique. Les textes anciens, recopiés dans les monastères, servent à l’apprentissage de la langue, de la grammaire et de la versification latines. Mais aux formes du passé sont assignées des fonctions nouvelles : ainsi, la mythologie véhiculée par les Métamorphoses d’Ovide est-elle « moralisée », c’est-à-dire interprétée en fonction d’un horizon culturel différent de celui de l’auteur. Les philosophes antiques (Aristote et Cicéron, les premiers) sont, pour les scolastiques, des auteurs dont l’autorité est égale à celle des Pères de l’Église. D’une certaine manière, les hommes du Moyen Âge ont une perception ambivalente du passé : le sentiment d’appartenir à la même histoire que ceux de l’Antiquité se conjugue avec la conscience d’une « distance ». Les monuments antiques, témoins de l’ancien paganisme, sont souvent réemployés, tels le temple d’Auguste et de Livie à Vienne, devenu l’église Notre-Dame-de-la-Vie, ou l’amphithéâtre de Nîmes abritant un quartier d’habitation. Ils servent également de carrière pour les nouvelles constructions. Certaines ruines sont porteuses de légende et se voient prêter une aura magique, témoignage du mélange de crainte et d’admiration qu’elles inspirent. • L’Antiquité devient un concept historique autonome. L’Italie du quattrocento initie un retour à l’antique, tant dans l’architecture et la peinture qu’en découvrant la philologie. Les lettrés de l’époque ont la nette impression de rompre avec les siècles qui les ont directement précédés et ont la ferme volonté de remonter à la source gréco-latine. L’intérêt pour les monuments de l’Antiquité grandit aux XVIe et XVIIe siècles : apparaissent alors les antiquaires, hommes de lettres et de goût collectionnant objets antiques et gravures de monuments. Les érudits se penchent sur ces témoignages du passé, qui illustrent ou éclairent d’un jour nouveau les récits de Tite-Live. Ce goût de l’antique incite artistes et honnêtes hommes à entreprendre des voyages vers l’Italie et Rome. L’Antiquité est, à l’époque moderne, la référence en matière de règles du bon goût et de normes artistiques. L’idéologie mimétique du classicisme français trouve un fondement solide dans la Poétique d’Aristote et dans l’Art poétique d’Horace. Le XVIIIe siècle voit l’apparition d’une archéologie systématique - à défaut d’être encore totalement scientifique - avec la mise au jour d’Herculanum (1713), de Pompéi (1746) et de Paestum (1748) ; ces découvertes rejaillissent par ailleurs sur la création artistique en donnant son impulsion au néoclassicisme franco-italien. L’Antiquité devient non seulement objet d’études, mais aussi patrimoine à protéger. Si François Ier a eu, selon la légende, le projet de réhabiliter l’amphithéâtre de Nîmes, si Colbert a dépêché Girardon puis Mignard dans cette même ville pour faire des relevés précis de la Maison carrée, il faut attendre le règne de Louis XVI pour que la restauration des monuments romains soit entreprise. Interrompus pendant la Révolution, les travaux reprennent en 1805 : le dégagement de l’amphithéâtre de Nîmes, commencé en 1811, est achevé une cinquantaine d’années plus tard. Politiquement, la légende troyenne continue au XVIIIe siècle de fonctionner comme un des mythes fondateurs de la royauté française. Mais ce sont les révolutionnaires qui redonnent aux figures des héros de la République romaine tout leur éclat - et, en premier lieu, à Brutus, à qui Jacques Louis David consacre un tableau (1789). Si l’Antiquité romaine a fourni les cadres de la construction de l’État royal, la Rome républicaine et Sparte sont revendiquées comme de prestigieux modèles par les révolutionnaires. Après le premier Empire, l’Antiquité perd de sa force structurante. Les batailles religieuses (or, l’Antiquité n’est pas chrétienne), la montée du nationalisme et l’honneur rendu aux « ancêtres » Gaulois, plutôt qu’aux Romains, rendent la lecture de l’histoire ancienne moins agissante dans le domaine politique. Si, esthétiquement, les formes antiques peuvent encore être une référence, elles sont concurrencées par d’autres, notamment le néogothique. En outre, l’idée d’une norme absolue du beau, qui serait à rechercher dans l’art classique, tend à laisser la place à la liberté créatrice issue du romantisme. L’Antiquité, qui survit cependant sous la forme des humanités, entre alors dans l’âge de raison - celui du passé définitivement révolu. Antiquité tardive, expression popularisée en France par l’historien Henri-Irénée Marrou dans son ouvrage Décadence romaine ou Antiquité tardive ? IIIe-VIe siècle (1977) pour désigner la période comprise entre la crise de l’empire romain au IIIe siècle (235-284) et l’installation des royaumes barbares au VIe siècle. Cette dénomination correspond à un nouveau regard historiographique. Pendant longtemps, depuis les écrits des humanistes italiens Leonardo Bruni (1441) et Flavio Biondo (1453), cette période a été considérée comme une phase de dégénérescence. On évoque alors pour argument l’évolution de l’art vers le gigantisme et le hiératisme à partir de l’époque des Sévères, un style en rupture avec les canons de la beauté classique. Cette vision négative perdure au XVIIIe siècle, notamment dans l’ouvrage de l’Anglais Edward Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire (17761788), d’inspiration voltairienne, qui voit dans le triomphe du christianisme l’une des causes du déclin. Avec le romantisme au XIXe siècle, le Moyen Âge est « réhabilité », mais la vision qui en est proposée est largement poétique et mythique. Il faut donc attendre le XXe siècle pour que la créativité des IVe et Ve siècles soit considérée comme l’expression de la vitalité d’une société en mutation. • Les caractères généraux de la société gallo-romaine du IIIe au VIe siècle. Dans les régions frontalières de l’Empire, l’armée a été un vecteur fondamental des transformations politiques et sociales. Les soldats ont été des agents de la romanisation aux Ier et IIe siècles ; dès le début du IIIe siècle, en revanche, ils sont originaires de la région de leur poste. À partir du IVe siècle, le métier des armes, comme tous les autres, devient héréditaire. L’armée accentue la tendance au particularisme local, qui, à partir du IIIe siècle, commence à battre en brèche le centralisme impérial. Ce phénomène est encore accru par la présence de nombreuses unités d’origine barbare. Par ailleurs, le poids de l’armée sur les finances va croissant à partir du IIe siècle. L’augmentation de la solde est l’un des moyens dont dispose l’empereur pour s’assurer la fidélité des armées du limes. Ce phénomène induit une incontestable prospérité dans ces régions. Mais, pour faire face aux besoins de financement de l’armée, les impôts s’alourdissent ; la création de l’annone, sous Dioclétien (284/305), a de graves conséquences : l’impossibilité de s’acquitter de cet impôt incite certains propriétaires à fuir leurs domaines, pour devenir de simples locataires de terres, ou à se lancer dans des révoltes armées. La pression fiscale suscite également une désaffection des élites pour les magistratures publiques des cités (ordo decurionum), car ces charges impliquent la responsabilité fiscale de la communauté. L’épiscopat, qui devient le sommet du cursus honorum, reste la seule fonction prisée de la classe sénatoriale. L’évêque assume la charge de défenseur de la cité. Les Barbares, nombreux dans l’Empire et installés comme lètes sur des terres laissées en friche ou en tant que peuples fédérés, ont également un rôle décisif dans la mutation de la société. Certains d’entre eux occupent des places de premier plan en Gaule, au IVe siècle : Arbogast, Bauto ou Richomer. Pour l’aristocratie foncière, ils peuvent constituer une menace (quand ils joignent leurs forces à celles de l’empereur de Constantinople, qui lutte contre les privilèges - exemption fiscale, surtout). À l’inverse, ils peuvent être des alliés contre un pouvoir central jugé trop fort. Ces caractéristiques (provincialisation, militarisation, poids de l’impôt, « barbarisation » de l’armée) donnent l’image d’une société dans laquelle les rapports sociaux sont devenus durs, et les inégalités fortement marquées. Dans ce cadre, l’idée d’empire ne s’associe plus à la figure de l’empereur, lequel ne représente dès lors qu’une des forces en présence : pour les élites, l’appartenance à la romanité n’est qu’un simple attachement à la culture latine. Ainsi s’explique la relative facilité avec laquelle s’accomplit l’installation des royaumes barbares. downloadModeText.vue.download 52 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 41 antisémitisme. À la différence de l’antijudaïsme médiéval, qui s’appuie sur une tradition religieuse, l’antisémitisme moderne – le terme (1879) est dû à l’Allemand Wilhelm Marr – se manifeste au XIXe siècle sous la forme d’une idéologie laïque ; son développement accompagne celui du sentiment national. L’écho, en France, de l’affaire de Damas (1840) – une accusation de meurtres rituels dont un moine capucin et son domestique auraient été victimes – pèse sur des juifs, ainsi que les récurrences fréquentes du thème du « complot juif » dans la presse catholique attestent, cependant, la persistance d’une dimension religieuse dans cet avatar de la haine du juif. Avec la révolution industrielle se cristallise la dimension économique de l’antisémitisme moderne, et ce, sous l’impulsion des socialistes utopistes, en particulier Charles Fourier, Alphonse Toussenel, qui remporte un succès notable en publiant les Juifs, rois de l’époque (1844), ou encore Pierre Joseph Proudhon. Dans leur défense du peuple contre la menace capitaliste, le banquier juif - symbolisé par les Rothschild - est diabolisé. Ces deux dimensions se conjuguent aux théories racistes, alors en pleine expansion, pour culminer avec le mythe du juif dominateur, tel qu’il est décrit dans la France juive d’Édouard Drumont (1886), le premier best-seller de l’antisémitisme en France (la 200e édition paraît en 1914). Sous la plume de Drumont, le juif, identifié avec les forces qui ont promu la République, devient le symbole de l’« anti-France » ; d’où une pratique militante qui prend une certaine ampleur, sans pour autant rallier les foules. Système d’explication à prétention universelle, l’antisémitisme en tant qu’arme politique donne sa pleine mesure durant l’affaire Dreyfus, au terme de laquelle la défense des juifs finit par se confondre avec celle de la République. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, on assiste à un déclin de l’antisémitisme, consécutif à l’« union sacrée », et dû notamment à l’influence modératrice de l’Église, tandis que la France, en mal de main-d’oeuvre, ouvre largement ses frontières à l’immigration. Cependant, la crise économique des années trente entraîne dans son sillage un regain de xénophobie antisémite. • Les années noires de l’antisémitisme triomphant. Alors que les juifs ne constituent qu’une infime minorité parmi les étrangers, ils en viennent à représenter, sous la plume des antisémites, la quintessence même de l’étranger. Des affaires savamment orchestrées, qui mêlent des doctrines anciennes à une actualité sociopolitique agitée (affaire Stavisky, 1933 ; assassinat, le 7 novembre 1938, à l’ambassade d’Allemagne à Paris, d’Ernst von Rath, par Herschel Grynszpan, un juif polonais immigré d’Allemagne), alimentent une presse antisémite qui ne compte pas moins de 47 titres, et que relaient partis et ligues d’extrême droite (le Parti populaire français, le Rassemblement antijuif de France). L’exacerbation des tensions avec l’Allemagne hitlérienne transforme le juif dans l’imaginaire antisémite : tantôt va-t-en-guerre menaçant d’entraîner la France dans un conflit qui ne la concerne pas, tantôt cinquième colonne potentielle dans le conflit qui s’annonce. La défaite porte au pouvoir les chantres de l’antisémitisme, dont l’idéologie offre une grille d’interprétation commode pour expliquer l’ampleur du désastre. À Vichy, un antisémitisme d’État se met en place. Dès l’automne 1940 (le processus s’accentue après juin 1941), les juifs sont recensés, fichés, exclus d’un nombre grandissant de professions ; leurs biens sont « aryanisés ». En zone sud, les préfets internent jusqu’à 40 000 juifs étrangers. À partir de l’été 1942, l’infrastructure ainsi déployée et la politique de collaboration menée par le gouvernement français contribuent à l’application de la « solution finale » en France. • Vers le reflux ? La libération du territoire français et l’abolition de la législation antisémite ne signifient pas pour autant la disparition d’un antisémitisme à caractère populaire, économique et xénophobe, attisé par ceux qui avaient profité de la spoliation des juifs. Pourtant, l’expression publique de sentiments antisémites devient taboue ; l’antisémitisme - apanage d’une droite déconsidérée par les années Vichy, puis marginalisée à nouveau après la guerre d’Algérie - cesse ainsi de constituer une force politique en France, malgré la subsistance de quelques vagues d’agressions antisémites : une série d’attaques lors du bref passage de Pierre Mendès France à la présidence du Conseil (1954-1955), une vague de graffitis et d’incendies criminels (19591960) et l’affaire de la rumeur d’Orléans, en mai 1969. Quand, le 29 novembre 1967, le général de Gaulle, alors président de la République, qualifie les juifs de « peuple d’élite, sûr de luimême et dominateur » lors d’une conférence de presse, il brise le tabou. Dès lors, l’antisionisme idéologique, en essor depuis la guerre des Six Jours, devient le prétexte à des dérives antisémites qui, cette fois, n’épargnent pas une partie de la gauche politique et qui atteignent leur apogée durant la guerre du Liban, en juin 1982. Dans le même temps, un nouvel avatar de l’antisémitisme s’exprime à travers les thèses négationnistes développées par Robert Faurisson (Défense de l’Occident, 1978). Reprenant une thèse avancée par Paul Rassinier à la fin des années quarante, Faurisson nie l’existence des chambres à gaz. Une fraction de l’ultragauche, renouant avec l’antisémitisme de certains socialistes prémarxistes, se fait l’écho de ces thèses. Elles alimentent également le discours d’une extrême droite qui, depuis le début des années quatre-vingt, a connu un nouvel élan sous l’égide du Front national, et n’hésite pas à reprendre à mots couverts les thèmes consacrés du discours antijuif. Politiquement marginal, condamné par la loi (loi Pleven du 1er juillet 1972 et loi Gayssot du 13 juillet 1990), l’antisémitisme contemporain semble, cependant, avoir une emprise moindre sur l’opinion pu- blique française. Toutefois, les attitudes antisémites paraissent connaître une recrudescence certaine liée en grande partie à l’évolution de la situation au Proche-Orient : profanations de cimetières, déclarations offensantes, injures, voire actes de violence… Antraigues (Emmanuel Henri Louis Alexandre de Launay, comte d’), homme politique et agent de renseignement (Montpellier, Hérault, 1753 - Barnes Terrace, Angleterre, 1812). Rendu populaire par la publication, en 1788, d’un Mémoire sur les états généraux qui stigmatise le despotisme, il est élu député de la noblesse du Vivarais en 1789. Cependant, aux États généraux comme à la Constituante, il se montre royaliste intransigeant, partisan de l’absolutisme royal et de la résistance à la Révolution. Compromis dans la conspiration de Favras, il émigre en Suisse dès février 1790, publie des pamphlets et vend ses services à l’Espagne, puis, après le déclenchement de la guerre (1792), à l’Europe coalisée contre la France, ainsi qu’à Louis XVIII. Entre 1790 et 1812, il met sur pied des réseaux de renseignement et rédige lui-même des notes de synthèse, plus partisanes que soucieuses d’exactitude. N’hésitant pas à inventer ou à produire de faux documents, Antraigues cherche à persuader les puissances étrangères, qu’il exhorte au combat, de la possibilité de rétablir la monarchie absolue en France. Arrêté en Italie par l’armée française en 1797, il fournit à Bonaparte - qui le libère - les preuves de la trahison de Pichegru, qui permettent le coup d’État du 18 fructidor an V contre les royalistes. S’il se brouille avec Louis XVIII, il continue, en revanche, de rédiger ses rapports pour l’Autriche, la Russie et l’Angleterre, où il s’installe en 1806. C’est dans ce pays que lui et sa femme sont assassinés, dans des circonstances restées mystérieuses. antrustions, guerriers appartenant à la garde personelle du roi franc. En tant que familiers du roi, ils forment l’élite guerrière de ses fidèles (sa « truste ») et engagent leur vie à le servir. Ils lui sont liés personnellement par un serment de foi et de fidélité, qu’ils prêtent en joignant leurs mains entre celles de leur souverain. Cette cérémonie d’immixtio manuum, proche de la recommandation vassalique dans sa forme, s’en éloigne par le sens, car elle marque un engagement unilatéral, qui n’oblige donc pas le roi de manière contractuelle. La loi salique leur accorde une importance particulière en attachant à leur sang le prix très élevé de trois fois le wergeld (réparation pécuniaire proportionnelle au délit commis) d’un Franc libre. Rarement mentionnée dans les textes, la qualité d’antrustion s’estompe au profit de celle de leudes. Membres de l’aristocratie intégrés à la truste royale par un serment appelé du mot germanique leudesamium, ceux-ci reçoivent du souverain des gratifications, afin d’ancrer plus profondément la fidélité promise. La présence des leudes donne donc au pouvoir du roi une assise plus solide. C’est pourquoi, lors des partages successoraux du royaume, les héritiers se les disputent, quoique la tradition interdise ces pratiques. Le pacte d’Andelot, conclu entre Gontran et Childebert II, fils de Clotaire Ier, en 587, dénonce ainsi sévèrement cette trahison des leudes. downloadModeText.vue.download 53 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 42 Anzin (Compagnie d’), société par actions fondée en 1757 pour exploiter le bassin houiller d’Anzin (Nord), découvert en 1734. La société, qui reçut une concession royale pour l’exploitation des mines, devient vite l’un des fleurons du nouveau capitalisme. Grâce à une gestion rigoureuse, à une division poussée des tâches et à d’importants investissements, la compagnie produit, à la veille de la Révolution, la moitié de la houille française (soit 350 000 tonnes environ) ; elle emploie 4 000 ouvriers et dégage des profits vertigineux pour l’époque. La Révolution trouble les destinées de la compagnie, qui ne retrouve sa pleine activité que sous l’Empire, période du plus grand essor. La prospérité se maintient durant toute la première moitié du XIXe siècle, dans le cadre d’un développement industriel régional dominé par le textile et l’industrie sucrière jusqu’aux années 1840, puis par l’extraction houillère elle-même. La banque d’affaires fondée par les frères Perier prend le contrôle d’une partie du capital. La compagnie représente alors 90 % de la production houillère du Nord. Mais cette suprématie est de plus en plus contestée dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la suite de la découverte des mines du Pas-de-Calais et du développement de compagnies plus modestes. Après la destruction de ses installations pendant la Pre- mière Guerre mondiale, la compagnie connaît des difficultés dans l’entre-deux-guerres. Elle est nationalisée en décembre 1944 dans le cadre des Houillères du Nord et du Pas-deCalais. Elle reste l’un des symboles du capitalisme minier français du XIXe siècle. A-OF ! Afrique-Occidentale française août 1789 (nuit du 4), séance nocturne de l’Assemblée nationale constituante au cours de laquelle fut proclamée l’abolition des privilèges. Cette nuit est demeurée la plus emblématique d’une Révolution qui accomplit la grande quête de l’égalité, dans un mouvement indissociable d’émotion et de raison. La Grande Peur suscitée par le mouvement anti-seigneurial et les récits alarmistes qui en parviennent à l’Assemblée a été conjurée par une proposition de transformation radicale des bases sociales de l’Ancien Régime dans le sens d’un intérêt bien calculé des propriétaires, ainsi que par l’enthousiasme patriotique. « Par des lettres de toutes les provinces, il paraît que les propriétés, de quelque nature qu’elles soient, sont la proie du plus coupable brigandage ; de tous les côtés, les châteaux sont brûlés, les couvents sont détruits, les fermes, abandonnées au pillage. » Le soir du 3 août, face à ce tableau désastreux, l’Assemblée prétend réaffirmer l’inviolabilité des propriétés. Des nobles libéraux et des députés bourgeois se réunissent alors au café Amaury, point de ralliement du Club breton (futur Club des jacobins), et décident d’une initiative parlementaire. Pour contenir le mouvement paysan, il convient d’entendre les justes raisons de sa colère. Le vicomte de Noailles et le duc d’Aiguillon doivent prendre la parole et proclamer la nécessité de l’égalité devant l’impôt, l’abolition des corvées, mainmortes et servitudes personnelles sans rachat, ainsi que le rachat des autres droits féodaux. Ils renoncent eux-mêmes à leurs privilèges, ouvrant la voie à un mouvement d’enthousiasme. Sont supprimés en cascade les justices seigneuriales, le droit exclusif de chasse, les dîmes, les casuels des curés, la pluralité des bénéfices, la vénalité des offices, les privilèges des villes et provinces. Les jurandes sont aussi réformées. Mais, lorsque La Rochefoucauld d’Enville propose d’abolir l’esclavage, son idée n’est pas retenue. La nuit du 4 août 1789 est l’aboutissement du mouvement de contestation du régime féodal. L’Ancien Régime social est aboli de fait : on ouvre ainsi la voie à la liberté de chacun dans l’unité nationale. Mais, en séparant les propriétés féodales et les propriétés bourgeoises, en déclarant rachetable une partie des droits seigneuriaux, en affirmant qu’on ne peut abuser du droit de propriété, on déclenche aussi une « guerre des intérêts » (A. Young), qui peut désormais se déchaîner. août 1792 (journée du 10), insurrection parisienne qui provoqua la chute de la monarchie. Si la fuite à Varennes en 1791 marque la rupture entre Louis XVI et la Révolution, la guerre, déclarée en avril 1792, met un terme au compromis entre une partie de la bourgeoisie et la monarchie. L’opposition du roi aux décrets de l’Assemblée nationale, l’échec de la journée du 20 juin, l’offensive austroprussienne et la « patrie en danger » exacerbent le sentiment patriotique et alimentent le courant républicain. En juillet, l’agitation, entretenue par les jacobins et les cordeliers, est vive dans les sections parisiennes et parmi les fédérés des départements, venus à Paris pour le 14 juillet. Tandis que l’on réclame la déchéance du roi et la réunion d’une convention pour rédiger une nouvelle Constitution, le renversement de la monarchie se prépare au sein d’un comité insurrectionnel regroupant fédérés et patriotes. Le manifeste du duc de Brunswick (25 juillet 1792), chef des armées coalisées, qui menace de livrer « la ville de Paris à une exécution militaire » s’il est fait « la moindre violence » à la famille royale, met le feu aux poudres. Le 3 août, les sections demandent en vain à l’Assemblée nationale de décréter la déchéance du roi, puis, le 4, annoncent l’insurrection pour le 9 à minuit. Mais l’Assemblée laisse faire le mouvement populaire, parfaitement organisé. Lorsque le tocsin sonne à l’aube du 10 août, la commune de Paris, quartier général des insurgés, dirige les opérations, tandis que Louis XVI se réfugie à l’Assemblée, sans laisser de consignes aux défenseurs du Château. Alors que la Garde nationale fait défection ou se rallie à l’insurrection, les premiers bataillons des faubourgs et les fédérés arrivés aux Tuileries croient à une fraternisation avec les gardes suisses, mais ceux-ci déclenchent une fusillade particulièrement meurtrière. D’abord repoussés, les insurgés sortent finalement victorieux et massacrent les suisses, accusés de traîtrise. L’ordre intimé par le roi de cesser le feu n’arrive qu’à 10 heures du matin ; la bataille a fait environ un millier de victimes, dont quatre cents du côté des insurgés. L’Assemblée décrète alors la suspension du roi et la convocation d’une convention élue au suffrage universel. Cette victoire est celle des sans-culottes, principalement ceux du faubourg Saint-Antoine, et des fédérés marseillais et brestois, sur lesquels s’est appuyée une partie de la classe politique. Événement fondateur de la République et de la démocratie, événement marquant de la seconde révolution, cette journée est commémorée dès 1793. Elle devient, en 1794, l’une des fêtes nationales de la République. Sa célébration sera supprimée sous le Consulat. apanages, terres appartenant au domaine royal, et données aux enfants puînés de la famille de France, ainsi qu’à l’aîné avant son accession au trône. Le terme est employé pour la première fois en 1316 : ces possessions sont destinées ad panem – littéralement, « à la subsistance des princes du sang » – pour leur permettre de « tenir leur estat ». Une logique familiale ainsi qu’un impératif politique dictent ces dotations. Le roi doit se prémunir contre les ambitions de ses fils et de ses frères, afin de prévenir les risques de guerre civile. Cependant, la pratique des apanages contredit l’idée d’inaliénabilité du domaine royal. Aussi, des clauses restrictives sont-elles progressivement introduites dans ces concessions : les fiefs ainsi accordés reviennent au roi en cas d’absence d’héritier mâle en ligne directe. Dans l’ensemble, le système des apanages n’a pas entravé de manière significative le progrès de la monarchie française. Imitant le roi, les princes ont même amélioré l’administration dans leurs domaines. La victoire de la logique étatique sur la logique familiale marque la fin des apanages : Louis XI est le dernier roi à en créer un - la Guyenne, pour son frère Charles. Ce dernier rentre vite dans le domaine royal (1472), de même que ceux d’Orléans et d’Angoulême, ramenés par Louis XII et François Ier. L’ultime apanage est celui de Bourbonnais, confisqué par François Ier en raison de la trahison du connétable de Bourbon en 1523. appel du 18 juin ! juin (appel du 18) aqueduc, conduite d’eau qui dessert les fontaines et les thermes des cités. L’eau était un confort apprécié des Romains, et ils veillèrent à l’approvisionnement régulier des espaces urbains qu’ils créèrent dans les cités gauloises, installant souvent plusieurs conduites. Lyon était ainsi desservie par un réseau de quatre aqueducs, alors qu’on en comptait onze à Vienne, capables d’acheminer quotidiennement 100 000 mètres cubes d’eau. L’aqueduc le plus connu est celui de Nîmes, qui courait sur 50 kilomètres, de la source d’Eure, près d’Uzès, au château d’eau urbain. L’aqueduc se présentait sous la forme d’une canalisation maçonnée en pente - construite sous terre, en tranchées ouvertes, ou en tunnels exhaussés -, et rendue étanche par downloadModeText.vue.download 54 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 43 un enduit intérieur. Lors de la construction d’un aqueduc, pour déterminer une déclivité constante, les ingénieurs utilisaient un chorobate (règle sur pied qui contenait de l’eau dans une rainure supérieure et dont chaque extrémité donnait un repère de visée), grâce auquel on pouvait calculer l’altitude d’un point à l’aide d’une mire. Lorsqu’il fallait franchir des obstacles - ravins, dépressions, vallées -, ils édifiaient des ponts, tel le célèbre pont du Gard, dans la vallée du Gardon, près de Nîmes, aux trois étages d’arcades, haut de 48 mètres et long de quelque 275 mètres ; ils adoptaient plus rarement la technique du siphon, utilisée pour l’aqueduc lyonnais du Gier, dans la vallée de l’Yseron. À son arrivée en ville, l’aqueduc approvisionnait un château d’eau (castellum divisorium) : à Nîmes, il s’agissait d’une fontaine circulaire, dont les bouches cylindriques et les bondes permettaient une circulation régulière et l’évacuation du trop-plein. Le château d’eau alimentait des tuyaux en plomb, qui desservaient les fontaines publiques de la cité (où l’on venait s’approvisionner), les thermes publics ou privés (où se lavaient et se délassaient les citadins et, parfois, les ruraux), et les demeures des riches particuliers qui avaient obtenu le droit de jouir de dérivations privées. De généreux bienfaiteurs avaient souvent assumé les frais élevés des constructions - 2 millions de sesterces à Bordeaux -, et l’eau, payée par les plus riches pour leurs concitoyens, apparaissait comme l’instrument d’un confort collectif. Sa quantité justifiait, en quelque sorte, l’idée oligarchique de la cité romaine en Gaule. Les sources étant divinisées chez les Gaulois, les Romains associèrent souvent le culte impérial aux divinités topiques. L’eau devenait ainsi un bienfait apporté par l’empereur aux cités. Aquitaine, ancienne province française et Région depuis 1960. Héritière d’une illustre lignée féodale implantée à Poitiers, Aliénor d’Aquitaine apporte ses immenses domaines à Louis VII lorsqu’elle l’épouse, en 1137, puis, en 1152, à son second époux, Henri II Plantagenêt, duc d’Anjou et roi d’Angleterre. C’est sur cet étrange paradoxe d’une princesse indiscutablement poitevine, mais que la postérité a retenue comme aquitaine, que s’ouvre l’histoire médiévale d’une province dont les contours, et même la localisation, n’ont cessé de varier depuis l’époque romaine. • Une province sans identité. On sait bien ce qu’est, en revanche, la Région Aquitaine, née en 1960, et réunissant trois départements de la façade Atlantique et deux de l’intérieur. Elle ne présente cependant aucune unité géographique et n’est qu’un fragment du Bassin aquitain des géographes, qui mord sur l’extrémité occidentale des Pyrénées. Elle ne correspond pas davantage à un héritage politique ni à une quelconque aire culturelle ou linguistique. Sa raison d’être économique elle-même est discutée : en effet, d’une part, les Charentes, qui étaient une composante de l’arrière-pays traditionnel de Bordeaux, en sont désormais coupées ; d’autre part, l’Agenais se situe tout autant dans l’orbite de Toulouse que dans celle de Bordeaux. Son « identité régionale » est donc, au mieux, en gestation. Ces origines troubles, loin de faire de l’Aquitaine une exception parmi les Régions françaises, illustrent bien la fragilité de nos provinces, dont les noms, dans bien des cas, n’ont été tirés de l’oubli que pour donner un visage à un regroupement de départements imposé par les exigences supposées de l’aménagement du territoire. C’est cette identité indistincte qui est le véritable produit de l’histoire. Alors que Jules César limite l’Aquitaine à la Garonne, Auguste crée sous ce nom une immense province allant des Pyrénées à la Loire et jusqu’aux frontières de la Narbonnaise. Durant les premières années du IVe siècle, ce territoire est découpé en trois parties. Bordeaux devient alors le chef-lieu de l’« Aquitaine seconde ». En proie aux invasions des débuts du Ve, puis du VIe siècle, le territoire aquitain, que les Carolingiens ne parviennent pas à contrôler, sombre dans l’obscurité pendant près de cinq cent ans. Il n’en émerge qu’au milieu du XIe siècle, et va servir d’enjeu, pendant trois siècles, aux luttes qui opposent les maisons royales de France et d’Angleterre. Jusqu’en 1453, le sort de l’Aquitaine, dont les contours varient encore très largement au gré des hasards de la guerre - la Guyenne et la Gascogne étant particulièrement disputées -, est lié à celui de la couronne d’Angleterre. L’identité de l’Aquitaine ne s’en trouve pas renforcée, car la province n’a de véritable chef politique que lorsque l’illustre Prince Noir s’installe à Bordeaux, de 1362 à 1371. Entre-temps, les terres aquitaines ne sont sous l’autorité que d’un prince lointain qui, bon gré mal gré, laisse s’affirmer de grandes familles féodales comme les Albret, les Armagnacs, les comtes de Périgord et de Foix, fidèles à leurs seuls intérêts. C’est dans ce morcellement pluriséculaire, dans cette absence de pouvoir centralisateur, que réside l’importance toujours actuelle des « pays », dont se réclament des populations qui n’ont jamais eu d’identité aquitaine, ni même gasconne. Cette dernière doit beaucoup plus à Alexandre Dumas et à Edmond Rostand qu’à l’histoire, car d’Artagnan est gersois, et Cyrano de Bergerac périgourdin. • De la paix romaine à l’intégration au royaume de France. Après la conquête romaine, les rives de la Garonne constituent, grâce à leur éloignement des frontières, une terre de paix où s’édifient de belles fortunes et s’épanouit une riche culture. Le rhéteur Ausone (310-vers 395), très riche propriétaire viticole, précepteur d’un prince impérial et poète épicurien, est l’incarnation même de cet art de vivre, certes réservé à une étroite élite. Les domaines des Plantagenêts - plus précisément Bordeaux - renouent au XIIIe siècle avec une prospérité certaine, grâce à l’essor du commerce international du vin. À l’intérieur des terres, entre le milieu du XIIIe et celui du XIVe siècle, la construction des bastides permet le repeuplement des campagnes. Parmi les célébrités de ce temps figurent les papes d’Avignon : Clément V et Jean XXII - le premier né à Villandraut, où se dresse toujours son château, le second à Cahors -, qui, de 1305 à 1334, prodiguent leurs bienfaits à leur terre d’origine. Ravagées par la guerre de Cent Ans, les terres aquitaines étaient restées à l’abri de la féroce répression contre l’hérésie albigeoise (XIIIe siècle) dans le Languedoc voisin. • L’Aquitaine après la reconquête. En 1453, la bataille de Castillon met fin à la présence anglaise, au grand dam des Bordelais, qui avaient opté pour l’Angleterre. Le rattachement de l’Aquitaine au royaume de France s’avère dif- ficile. La création du parlement par Louis XI en 1462 est le symbole d’une certaine réconciliation avec le pouvoir royal, mais la construction des châteaux Trompette et du Hâ vise à protéger la ville et à surveiller ses habitants. L’Aquitaine, très imprégnée par le protestantisme, sous la protection de Marguerite de Navarre et de sa fille Jeanne d’Albret, qui font de Nérac un centre de l’Église réformée, connaît toutes les affres des guerres de Religion. C’est de l’Aquitaine qu’Henri de Navarre part à la conquête de son royaume, notamment en battant Joyeuse à Coutras en 1587. Au XVIe siècle, de violentes jacqueries, dues à une misère accrue par la pression fiscale, éclatent dans les campagnes. Au XVIIe siècle, l’autorité royale peine toujours à s’imposer. À l’époque de la Fronde, en 16511653, Bordeaux est le théâtre de la révolte de l’Ormée, dans laquelle d’aucuns décèlent un mouvement de protestation original d’une petite bourgeoisie urbaine un moment ouverte à des idées républicaines. Au cours des décennies suivantes, la ville se soumet au pouvoir royal, mais certaines campagnes, telle la Chalosse entre 1661 et 1675, sont encore le théâtre de dures révoltes. Au XVIIIe siècle, c’est le parlement qui s’affiche comme le porte-parole de cette hostilité pluriséculaire au pouvoir royal, au point d’être exilé à Libourne en 1787. • Un nouvel âge d’or. Malgré cette contestation, le XVIIIe siècle est un nouvel âge d’or pour la province, après celui du XIIIe siècle. L’aristocratie parlementaire bordelaise développe le vignoble dans ses propriétés du Médoc. Le commerce du vin avec l’Angleterre et les pays du Nord constitue une première source de richesses ; la deuxième est le commerce sucrier (et la traite des Noirs) avec les îles (Saint-Domingue). Bayonne et le Pays basque ont conservé une très large autonomie, les Basques devenant ainsi, dès le XVe siècle, les maîtres de la chasse à la baleine, puis de la pêche à la morue sur les bancs de TerreNeuve. L’industrie textile prospère sur l’axe de la moyenne Garonne et fournit à Bordeaux voiles et cordages. Les moulins, tels ceux de Nérac, répondent aux besoins du commerce antillais, tandis que les forges et les forêts du Périgord satisfont les exigences du port et du vignoble. Cependant, la prospérité relative de l’Aquitaine intérieure est avant tout fondée sur une polyculture appuyée sur la production de maïs, dont les rendements élevés surprennent l’Anglais Arthur Young vers 1780. Le rôle de Bordeaux n’est pas négligeable, mais la richesse de la ville tient davantage à son ouverture sur l’océan qu’à son insertion dans le tissu régional. Grâce à ses grands intendants Tourny et Dupré de Saint-Maur, elle se dote d’un patrimoine architectural prestigieux. Avec son Académie, d’une part, et son Grand Théâtre, d’autre part, la ville développe une intense activité intellectuelle. Cité de Montaigne au XVIe siècle, elle se veut, au XVIIIe, celle de Montesquieu, très parisien cependant, comme le sera aussi Mauriac. Les guerres révolutionnaires et impériales ruinent le commerce de Bordeaux. En revanche, grâce downloadModeText.vue.download 55 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 44 à la modération de Tallien, la ville et la région souffrent beaucoup moins de la Terreur que Lyon ou Nantes. Bordeaux est néanmoins au coeur de la révolte fédéraliste contre les montagnards, et ses députés, tel Vergniaud, comptent parmi les martyrs de la cause girondine. • Les mutations de l’époque contemporaine. Dès 1814, Bordeaux se rallie à la monarchie, avant de s’identifier à l’orléanisme. Très modérément bonapartiste, puis républicaine, l’Aquitaine reste à l’écart des grands affrontements idéologiques, et le syndicalisme n’y est pas virulent. En effet, la première révolution industrielle n’atteint pas la région. Outre la viticulture, qui se développe intensivement au milieu du XIXe siècle, avant d’être durement frappée par le phylloxéra, une grande industrie, notamment chimique et métallurgique, s’implante à Bordeaux après 1880. Le port est désormais tourné vers l’Afrique. Après 1850, la polyculture aquitaine souffre de son archaïsme, tandis que le boisement des Landes fournit à celles-ci, via l’exploitation du bois et de la résine, une source de prospérité inespérée. « Capitale tragique » de la France en 1870, Bordeaux l’est de nouveau en 1914 et en 1940, mais la ville échappe aux graves destructions. L’entre-deux-guerres constitue une période de déclin économique et démographique. La personnalité politique dominante est alors le maire de Bordeaux, Adrien Marquet, et l’une des originalités politiques de la région réside dans l’implantation du communisme en milieu rural, tandis que les basses Pyrénées demeurent fidèles à la droite. Alors que la Dordogne devient un haut lieu de la Résistance, Bordeaux résiste peu, mais élit comme députémaire, en 1947, un grand résistant : Jacques Chaban-Delmas, qui ne cédera sa place à Alain Juppé qu’en 1995. Après la guerre, des indus- tries anciennes disparaissent, mais, autour de la capitale régionale, de nouvelles activités industrielles (aéronautique, aérospatiale, automobile) se développent, tandis que l’exploitation du gaz de Lacq crée, près de Pau, un pôle industriel. Le vignoble reste le secteur agricole le plus prospère ; en revanche, la forêt périclite, la polyculture traditionnelle s’effondre, et les cultures maraîchères et arbustives résistent mal à la concurrence européenne. Le tourisme - balnéaire, vert et culturel, notamment autour des sites préhistoriques de Dordogne - est l’un des grands espoirs d’une Région qui, avec sa cuisine, se veut celle du bon - et du bien - vivre. Aquitaine (royaume d’), royaume carolingien (781-877), s’étendant de la Garonne à la Loire et de l’Océan aux Cévennes. L’Aquitaine des temps mérovingiens et carolingiens conserve l’empreinte d’un passé romain qui constitue la base de son particularisme. Faiblement peuplée par les Wisigoths, qui l’ont envahie au Ve siècle, la région est conquise par Clovis en 507 et divisée par les rois francs lors des partages successoraux. Lorsque, au VIIe siècle, la Gaule retrouve un semblant d’unité sous le règne de Dagobert, celui-ci fait de la province un royaume pour son frère Caribert (629). Éphémère - Caribert meurt en 632 -, ce premier royaume aquitain dut faire face aux incursions répétées des Vascons, venus de la Navarre espagnole. Soumis en 635, les Vascons conservent un duc particulier, et l’Aquitaine passe, elle aussi, aux mains de ducs totalement indépendants des rois francs. Cette situation se prolonge malgré l’incapacité des ducs aquitains à faire face à l’invasion arabe. En 731, le duc Eudes est ainsi contraint de faire appel au Franc Charles Martel, victorieux des Arabes à Poitiers en 732. L’Aquitaine est désormais sous l’influence des fonctionnaires francs. De 765 à 778, Charlemagne mène campagne contre les ducs Waifre et Hunald, contre les Vascons et contre les Sarrasins, puis, à la naissance de son fils Louis - futur Louis le Pieux -, fait de l’enfant le roi des Aquitains. L’existence de ce royaume facilite l’administration de Charlemagne en Aquitaine. Lorsque Louis devient empereur, en 814, il confie le royaume d’Aquitaine à son fils Pépin. La naissance de Charles le Chauve remet en cause les dispositions prises, et l’Aquitaine devient enjeu des partages et traités, au grand dam des Aquitains, qui se révoltent en 839. L’Aquitaine est disputée entre Charles le Chauve et Pépin II, fils du premier Pépin d’Aquitaine ; Charles le Chauve l’emporte pour faire aussitôt don de l’Aquitaine à son fils Charles, dit Charles l’Enfant, puis, à la mort de ce dernier, à son fils Louis le Bègue, qui devient roi en 877. Le royaume d’Aquitaine est alors uni au royaume de France. Le royaume d’Aquitaine n’a jamais été, sous les Carolingiens, un royaume souverain. Les efforts royaux pour combattre le particularisme, fonder des monastères, faire décliner les lois barbares et contribuer au mélange des populations ont profité à des dynasties princières capables de recueillir un pouvoir vacant et de fonder leur légitimité héréditaire. Le royaume d’Aquitaine a ainsi préparé la principauté territoriale qui allait devenir le duché d’Aquitaine. Arago (François), savant et homme politique (Estagel, Pyrénées-Orientales, 1786 Paris 1853). Polytechnicien à 17 ans, membre de l’Académie des sciences six ans plus tard, François Arago s’impose rapidement comme l’une des figures marquantes de la science de son temps. Il mène de pair des recherches fondamentales en physique et en astronomie, et une inlassable activité d’enseignant et de vulgarisateur. C’est ainsi qu’entre 1812 et 1845 il dispense des cours d’astronomie très prisées à l’Observatoire de Paris, dont il devient directeur à partir de 1830. La notoriété dont il jouit contribue à ses succès politiques. Élu député des Pyrénées-Orientales en 1830, il siège à la gauche de l’Assemblée jusqu’en 1848. Il défend les intérêts de son électorat catalan, et il mène d’ardents combats contre les orientations du régime de Juillet, notamment sur les questions de la souveraineté populaire et de l’instruction publique. Républicain modéré au lendemain de la révolution de février 1848, il entre au Gouvernement provisoire, devient ministre de la Marine - c’est alors qu’il abolit l’esclavage dans les colonies françaises - et ministre de la Guerre, puis l’Assemblée l’élit triomphalement à la commission exécutive. Son influence décline après les journées de juin 1848. Membre de l’Assemblée législative en 1849, il refuse de cautionner le coup d’État du 2 décembre 1851, et échoue aux élections législatives de mars 1852 face au candidat de la préfecture. arbalète, arme de trait composée d’un fût en bois et d’un arc d’acier dont la corde se bande à l’aide d’un ressort. Originaire de Chine, où elle est mentionnée dès avant notre ère, l’arbalète ne paraît pas avoir été connue en Occident avant le Ier ou le IIe siècle. Mais l’arbalète « romaine », ignorée des tacticiens latins, fait l’objet d’une utilisation plus cynégétique que militaire. C’est durant le haut Moyen Âge qu’elle devient véritablement une arme de guerre : le roi Lothaire fait ainsi donner un tir nourri d’arbalétriers lors du siège de Verdun en 985. Alors qu’elle reste secondaire dans le monde musulman, l’arbalète joue, à partir du XIe siècle, un rôle de premier plan dans les batailles occidentales : quoique roturière et contrevenant à l’éthique « chevaleresque », elle démontre son efficacité aussi bien lors des combats maritimes que durant les sièges, d’autant que l’arme connaît de multiples perfectionnements : dès le XIIe siècle, les arbalétriers sont munis de grands boucliers, les targes, qui les protègent lors des délicates manoeuvres de rechargement (on doit bander l’arme en plaçant les deux pieds sur l’arc) ; à la même époque apparaît le carreau, trait plus court (40 centimètres) et plus trapu que la flèche traditionnelle. Par la suite, l’arbalète à étrier, que l’on peut fixer au sol d’un seul pied, facilite le rechargement. Le succès de l’arbalète dans les armées européennes, et singulièrement en France, est dû à une efficacité supérieure à celle des arcs courts traditionnels : sur 200 mètres, le carreau peut en effet percer avec précision une épaisseur de bois de 4 à 7 centimètres. À Crécy (1346), Philippe VI de Valois aligne plusieurs milliers de Génois, mais le grand arc gallois montre alors sa suprématie. Jamais les arbalétriers ne pourront réaliser de tels tirs de barrage, ce qui n’empêche pas les armées françaises de continuer à les utiliser durant toute la guerre de Cent Ans. Condamnée par les progrès de l’arquebuse, l’arbalète disparaît comme arme de guerre au XVIe siècle et n’est plus, dès lors, utilisée que dans la chasse et dans la compétition. Arbogast, général d’origine franque, maître de la milice (vers 340 - Vénétie 394). Franc païen banni de sa patrie d’outre-Rhin par des concurrents, il entre au service de l’empereur Théodose vers 380 et devient l’adjoint du maître de la milice, Bauto, Franc comme lui. À la mort de ce dernier (387), il recueille sa charge par acclamation de l’armée et entame la reconquête de la Gaule tombée aux mains de l’usurpateur Maxime (388). Sur l’ordre de Théodose, il devient « régent » de la Gaule, avec le titre de comte, au nom du fils de l’empereur, le jeune Valentinien II : il est un des premiers chefs militaires barbares à exercer le pouvoir de fait sur toute une partie de l’Empire. Valentinien, devenu majeur et ne downloadModeText.vue.download 56 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 45 supportant plus d’être réduit à l’impuissance, tente, sans succès, de se débarrasser d’Arbogast ; le 15 mai 392, on retrouve le jeune empereur pendu dans son palais de Vienne. Arbogast, qui ne peut prétendre à la dignité impériale, crée alors un empereur en la personne du premier secrétaire du palais, nommé Eugène, avec lequel il organise une véritable réaction visant à rétablir le culte des dieux païens et à lutter contre l’influence grandissante des chrétiens soutenus par Théodose. Ce dernier lève alors une immense armée pour reconquérir la partie occidentale de l’Empire : les deux armées se rencontrent aux portes de l’Italie, le 6 septembre 394 (bataille de la Rivière froide) où, après deux jours de combats meurtriers, Eugène est fait prisonnier et Arbogast se suicide. arbre de la Liberté, arbre planté à titre symbolique pendant la Révolution française et les révolutions du XIXe siècle. La plantation des arbres de la Liberté, qui se généralise en 1792, perpétue en la transformant l’antique tradition paysanne du « mai », sans doute d’origine païenne. Avant la Révolution, l’érection du « mai », arbre coupé ou simple poteau décoré, est un rite lié au renouveau, à la fécondité et à la fixation d’accords. Il accompagne les fêtes votives, les récoltes, les mariages, la conclusion d’une affaire ou la construction d’une maison. Contrairement à une légende couramment racontée, la pratique révolutionnaire ne naît pas le 1er mai 1790, sur l’initiative d’un prêtre de la Vienne, mais en janvier 1790, dans le Périgord et le Quercy, lors des soulèvements paysans pour obtenir l’abolition sans rachat des droits féodaux supprimés depuis la nuit du 4 août 1789. Érigé le plus souvent au terme d’une émeute, le « mai » marque surtout la fin des violences et garantit la conservation de l’ordre nouveau. Cet arbre de la Liberté est officialisé en 1792, lorsque chaque commune est tenue d’élever sous son feuillage un autel de la Patrie, lieu des cérémonies civiques. À partir de l’an II (1793-1794) et sous le Directoire, l’arbre de la Liberté, et parfois de la République, arbre assagi et pédagogue, centre de rassemblement, devient un symbole de régénération et de croissance, un monument national sacré et très protégé contre les attentats perpétrés par les adversaires du régime. Sa plantation, souvent associée aux autres fêtes civiques, donne cependant lieu à une cérémonie spécifique, codifiée, qui fait la part belle à la jeunesse. L’arbre révolutionnaire, greffé sur la culture populaire, mélange d’archaïsme et de nouveauté, annonce l’épanouissement de la religion civique du XIXe siècle, au cours duquel sa résurgence témoigne de la vivacité de sa charge symbolique. Sous la Restauration, ces arbres sont arrachés par centaines, et souvent remplacés par des croix. Cette liturgie expiatrice et réparatrice, signe de la reconquête catholique, est combattue au lendemain de la révolution de juillet 1830, et les arbres replantés forment autant d’« anticroix ». La révolution de février 1848, qui est suivie d’une éphémère période de fraternisation générale, contraste avec l’anticléricalisme de 1830, car elle donne lieu à une multitude de plantations d’arbres bénis par le clergé. Enfin, malgré la répression antirépublicaine qui, après le coup d’État de décembre 1851, se traduit par un arrachage systématique, l’arbre réapparaît en 1871. arc de triomphe, porte monumentale des villes gallo-romaines. À Rome, l’arc de triomphe est censé, à l’origine, purifier du sang versé les soldats rentrés d’une campagne victorieuse, au cours d’une cérémonie qui donne le droit au général vainqueur (imperator) d’entrer dans le territoire sacré de la ville (pomoerium), à la tête de son armée, et d’y exercer son pouvoir de commandement au-dessus des autres magistrats (imperium militiae). La multiplication de ces monuments en Gaule est plutôt liée au souci architectural de délimiter les espaces urbain et rural dans les cités. Sur les trente-sept édifices recensés, seuls les arcs de Saint-Rémyde-Provence (Glanum), Orange, Carpentras, Cavaillon et Saintes sont bien conservés. Les arcs de triomphe gaulois se trouvent, le plus souvent, aux frontières de la ville, mais ils ne sont pas systématiquement intégrés à des remparts, qui sont un privilège peu fréquent, concédé par l’empereur (Nîmes). Avec les constructions d’enceintes fortifiées à la fin du IIIe siècle et au IVe, ils sont parfois intégrés aux murailles (porte de Mars, à Reims). Ces monuments à une, deux ou trois baies voûtées, que flanquent des colonnes ou des pilastres engagés, sont surmontés d’un entablement comprenant architrave, corniche et frise, et couronnés d’un ou plusieurs attiques. L’inscription de l’architrave mentionne le nom du dédicataire de l’édifice (Tibère et les membres de sa famille, à Saintes), ainsi que celui du donateur et de ses descendants. Sur l’arc d’Orange, dédié en 26-27, des ornements militaires variés - trophées, dépouilles navales, panneaux d’armes, scènes de combats entre Romains et Celtes, qui évoquent peut-être la révolte menée par le Trévire Julius Florus et l’Éduen Julius Sacrovir en 21 - décorent la frise d’entablement, l’attique, les archivoltes latérales et centrales, les panneaux situés entre les voûtes et l’entablement, et rappellent ainsi la fonction militaire du monument. Lien entre les nécropoles suburbaines et la ville, édifice honorifique et commémorant les victoires romaines, l’arc de triomphe exprime la reconnaissance de la cité envers le prince. Cette gratitude se traduit dans le culte impérial municipal, qu’évoque précisément, sur la porte de Glanum, la frise de retombée de voûte. arc de triomphe de l’Étoile, monument érigé à la gloire des armées françaises, sur la colline de l’Étoile, à Paris, et devenu peu à peu un haut lieu de culte civique national. Décidée par Napoléon Ier à son retour d’Austerlitz, la construction de l’Arc de triomphe, commencée en 1806, est interrompue en 1814 par l’abdication de l’empereur. Elle reprend en 1823, sur ordre de Louis XVIII, qui dédie l’Arc à l’armée d’Espagne et à son chef victorieux, le duc d’Angoulême. Mais les travaux ne sont achevés que sous la monarchie de Juillet, Louis-Philippe ayant rendu à l’Arc sa destination première et ajouté à la gloire des armées impériales celle des armées de la République. La situation élevée du monument, son alignement dans la perspective du château des Tuileries, sa masse imposante, l’érigent d’emblée en symbole de puissance. L’Arc de triomphe est discrètement inauguré le 29 juillet 1836, et il est officiellement consacré le 15 décembre 1840, lors du retour des cendres de Napoléon, dont le char funèbre fait halte sous sa voûte : une cérémonie décidée par un Louis-Philippe - « roi bourgeois » porté au trône par une révolution - en quête de légitimité. C’est encore une caution que recherche en 1885 la jeune République bourgeoise lorsque, voulant forcer l’unanimité contre les royalistes et les communards, elle offre des funérailles nationales à Victor Hugo, figure syncrétique et héros républicain, dont la dépouille est exposée, dans la nuit du 31 mai au 1er juin, sous l’Arc transformé en chapelle ardente. Au lendemain de la Grande Guerre, le monument prend véritablement toute sa dimension fédératrice et sacrée : l’inhumation sous sa voûte, le 11 novembre 1920, du soldat inconnu, « mort collectif » de la guerre, et les cérémonies du 11 novembre (décrété fête nationale en 1922) en font un nouveau lieu de culte national officiel. Lieu oecuménique de liturgie à la fois républicaine et patriotique qui supplante les Invalides et le Panthéon, il devient le point de départ de cortèges rituels menant du Triomphe à la Concorde (le 18 juin 1945) et reliant parfois l’Ouest des beaux quartiers à l’Est populaire, tel le grandiose défilé de la Victoire du 14 juillet 1919, qui mène de l’Arc jusqu’à la Bastille. Conscience nationale et continuité de la République accompagnent la marche imposante du général de Gaulle depuis l’Arc jusqu’à Notre-Dame, le 26 août 1944, lendemain de la libération de Paris. Ainsi en est-il aussi du geste du président socialiste François Mitterrand qui, fraîchement élu, s’incline devant la tombe du soldat inconnu, avant de se rendre au Panthéon, le 21 mai 1981. À la symbolique de l’Arc de triomphe s’ajoute, depuis 1989, celle de la Grande Arche construite dans son axe, siège de la Fondation internationale des droits de l’homme. Arc-et-Senans (Salines royales d’), cité industrielle conçue par Claude Nicolas Ledoux (1736-1806). Architecte de Louis XVI, Ledoux est nommé en 1771 inspecteur des Salines de Lorraine et de Franche-Comté, entreprend d’établir une usine de production de sel à laquelle serait rattachée une ville destinée à loger les ouvriers. À travers ce projet, qui ne sera que partiellement réalisé, transparaissent le goût du maître-d’oeuvre pour l’antique et son talent novateur. Selon lui, l’architecture doit être à la fois idéalement belle, rationnelle et « parlante », l’aspect extérieur reflétant l’organisation intérieure. On retrouve tous ces éléments dans la physionomie du complexe industriel élaboré entre 1775 et 1779 : les bâtiments sont disposés en hémicycle ; l’entrée colossale est décorée d’un péristyle, dont les pierres sont taillées pour évoquer l’apparence du sel gemme exploité à l’intérieur ; la place qu’occupe chaque édifice (maison du directeur, maréchalerie...) répond à des choix stradownloadModeText.vue.download 57 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 46 tégiques. Et la recherche d’une beauté idéale justifie l’adoption de formes géométriques très pures (cylindre, sphère, cube...), qui donnent à chaque bâtiment sa spécificité. La ville de « Chaux », qui devait entourer l’usine, ne sera jamais construite ; toutefois, le plan de chaque maison sera publié dans l’oeuvre de Ledoux : De l’architecture considérée sous le rapport de l’art, des moeurs et de la législation (1804). Ces édifices, qui, selon lui, sont les garants de l’ordre social, présentent tous des tailles imposantes et des formes évocatrices : la maison des plaisirs, ou oïkéma, par exemple, est en forme de phallus... Révolutionnaire par ses caractéristiques fonctionnelles et par la philosophie « égalitariste » qui l’habite (« On verra sur la même échelle la magnificence de la guinguette et du palais »), cette cité reste également le froid reflet d’un certain ordre moral. L’usine modèle a subi les assauts du vandalisme révolutionnaire et a été abandonnée ; sous Napoléon, cette forme d’architecture utopique et visionnaire n’était plus appréciée. Restaurée et aménagée par le service des Monuments historiques, la saline d’Arc-et-Senans est devenue un centre de conférences, de congrès et de recherches « futurologiques », géré et animé par la Fondation Claude Nicolas Ledoux (créée en 1972). Elle est classée au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO. archers, soldats munis d’arc, combattant à pied dans les armées occidentales. En France, l’arc ne s’impose que fort tardivement comme arme de guerre. L’arc court, traditionnel en Occident, est en effet d’efficacité inférieure à l’arbalète. C’est la défaite de Crécy (1346) qui met en évidence les qualités du grand arc gallois, lequel permet de décocher une dizaine de traits par minute (contre seulement deux carreaux pour l’arbalète) ; les archers anglais submergent ainsi sous leurs flèches les chevaliers français et, combinés avec la cavalerie démontée, assurent la victoire. Leur invincibilité est devenue si proverbiale qu’en 1488, à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, les archers bretons se revêtent d’une croix rouge afin de se faire passer pour des Anglais ! Pourtant, les leçons de Crécy ou d’Azincourt s’imposent lentement aux stratèges français, qui méprisent ces fantassins contrevenant à une éthique guerrière fondée sur la cavalerie ; la pratique de l’archerie à cheval ne connaît en effet pas de succès en Occident. Les ordonnances successives prises par Charles VII de 1445 à 1460 organisent le corps des francs-archers, ainsi dénommés parce qu’ils bénéficient d’une exemption fiscale. Levés dans les paroisses, à raison d’un pour cinquante feux, ils remplacent avantageusement l’ancien et inefficace arrière-ban, et constituent également une extension au plat pays des confréries de gens de trait qui se sont multipliées dans les villes au XIVe siècle. Bien qu’ils ne disposent pas tous d’un arc, les francs-archers représentent l’élément essentiel d’une infanterie alors en pleine extension, au point que Louis XI en double le nombre. Mais, peu à peu, les fantassins équipés de piques ou d’arquebuses l’emportent sur les arbalétriers et les archers, qui, à la fin du XVe siècle, subissent la concurrence des redoutables mercenaires suisses. Archives nationales, administration créée par la Révolution française, chargée de conserver, trier, classer, inventorier et communiquer les documents relatifs à l’histoire de France. Sous l’Ancien Régime, chaque organisme administratif ou judiciaire gère ses propres archives. Paris compte alors plus de 400 dépôts. Le 29 juillet 1789, l’Assemblée nationale constituante organise le dépôt de toutes les pièces originales relatives à ses travaux. La loi du 2 messidor an II (25 juin 1794) place les Archives nationales à la tête de l’ensemble des dépôts publics de la République. Elle prévoit le tri des titres, leur classement, la réalisation d’un inventaire sommaire et la consultation libre et gratuite. Par l’arrêté du 8 prairial an VIII (28 mai 1800), le Premier consul Bonaparte sépare définitivement les Archives nationales de l’Assemblée. C’est en 1808 qu’elles sont installées en l’hôtel de Soubise, à Paris. La législation révolutionnaire est remise en cause par la loi du 3 janvier 1979, complétée par les décrets du 3 décembre 1979. Ces textes réorganisent les archives et en réglementent la consultation. À Paris, le Centre d’accueil et de recherche des Archives natio- nales regroupe : les fonds publics de l’Ancien Régime (titres féodaux, chartes et manuscrits pouvant intéresser l’histoire, les sciences, les arts ou l’instruction) ; les fonds postérieurs à 1789, issus des organes centraux de l’État ; enfin, les fonds divers, parmi lesquels les archives personnelles, d’associations, de syndicats ou d’entreprises. Arcole (bataille d’), combat franco-autrichien qui se déroula près de la ville italienne d’Arcole, les 15, 16 et 17 novembre 1796, lors de la première campagne d’Italie. Alors que Bonaparte assiège Mantoue, il apprend que deux armées autrichiennes, commandées par Davidovitch et Alvinzi, sont en marche pour débloquer la ville. Il décide d’attaquer avant qu’elles aient opéré leur jonction. Il passe à l’offensive et coupe Alvinzi de ses communications arrière, tandis que Vaubois est chargé de contenir Davidovitch avec des forces inférieures en nombre. Le 15 novembre, Augereau tente, en vain, de prendre le pont d’Arcole. À la tête des grenadiers, Bonaparte essaie à son tour de s’en emparer, mais il est repoussé et manque même d’être fait prisonnier. Le lendemain, Augereau échoue de nouveau, mais Masséna enfonce les troupes autrichiennes. Au matin du 17 novembre, l’assaut général est donné : Masséna franchit le pont d’Arcole, tandis qu’Augereau fait passer ses hommes sur un pont de chevalets construit pendant la nuit. Alvinzi doit battre en retraite sur Montebello. Il était temps, car Vaubois a été enfoncé peu avant par les troupes de Davidovitch. Les Autrichiens ont perdu 7 000 hommes ; les Français, plus de 4 500. L’épisode d’Arcole passe à la postérité grâce au tableau du baron Gros (Bonaparte au pont d’Arcole, 1798) qui représente Bonaparte, le drapeau à la main, menant ses troupes à l’assaut. La légende napoléonienne popularise cette image qui exalte la bravoure du général. Ardents (bal des), bal au cours duquel, le 28 juin 1393, un incident faillit provoquer la mort du roi Charles VI. En dépit de la folie du roi (un premier accès de démence l’avait pris lors d’une chasse dans la forêt du Mans, le 5 août 1392), la cour, sous la houlette de la jeune reine Isabeau de Bavière et du frère de Charles, Louis d’Orléans, continue de mener une vie festive. À l’occasion d’un bal donné par la reine pour le mariage d’une de ses demoiselles d’honneur, Louis d’Orléans a l’idée de faire déguiser le roi et plusieurs seigneurs en hommes sauvages, en les recouvrant de poils de bête collés au corps avec de la poix. Un membre de son escorte, porteur d’une torche, met involontairement le feu aux déguisements : quatre hommes périssent, et le roi en réchappe de justesse. Le drame choque profondément Charles VI, et semble avoir aggravé sa folie : en effet, après 1393, ses crises violentes se font plus nombreuses. Mais, surtout, la rumeur publique accuse Louis d’Orléans d’avoir tenté d’assassiner son frère pour prendre le trône. L’événement renforce ainsi considérablement l’impopularité de Louis d’Orléans, déjà vive en raison de sa politique fiscale, de son train de vie luxueux et de sa grande amitié pour la reine. D’ailleurs, par la suite, le « bal des Ardents » constituera l’un des principaux éléments de la propagande menée par le parti bourguignon contre le frère du roi. Il sera invoqué par le duc de Bourgogne Jean sans Peur pour « justifier » l’assassinat de Louis d’Orléans par quelques-uns de ses fidèles, le 23 novembre 1407. Argenson (Marc Pierre de Voyer, comte d’), homme politique, ministre de Louis XV. (Paris 1696 - id. 1764). Marc Pierre d’Argenson est le frère cadet de René Louis, mais sa carrière est bien plus brillante que celle de son aîné. En 1720, il devient lieutenant de police de Paris, puis intendant de Paris, en 1741, poste clé considéré comme l’antichambre du ministère. En 1742, il entre au Conseil d’en haut. Enfin, il est nommé secrétaire d’État à la guerre en janvier 1743. À ce poste, il engage un programme de réorganisation des troupes et du commandement qui va porter ses fruits pendant la guerre de la Succession d’Autriche. En 1751, il crée l’École militaire et le corps des grenadiers royaux. Ses responsabilités à Paris le rendent impopulaire : on lui impute l’arrestation des vagabonds envoyés de force aux colonies. Des troubles éclatent d’ailleurs à ce sujet en 1749 et 1750. Confronté à l’inimitié tenace de la marquise de Pompadour, Marc Pierre d’Argenson rejoint les rangs du parti dévot, ennemi de cette dernière. Cette appartenance n’exclut pas les contradictions : il défend les privilèges fiscaux de l’Église, mais accepte la dédicace de l’Encyclopédie en 1751. La marquise de Pompadour obtient sa disgrâce en 1757. Plus courtisan que son aîné, le comte d’Argenson jouit d’une réputation nuancée : poli- downloadModeText.vue.download 58 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 47 ticien habile mais limité pour les uns, grand homme d’État pour les autres. En revanche, ses réformes militaires font l’unanimité. Argenson (René Louis de Voyer, marquis d’), philosophe et homme politique. (Paris 1694 - id. 1757). Fils aîné de Marc René d’Argenson, garde des Sceaux, René Louis suit une carrière ordinaire pour un homme de sa naissance. Conseiller au parlement de Paris en 1715, il est nommé maître des requêtes en 1720, puis désigné, en 1721, pour veiller à l’intendance du Hainaut et du Cambrésis, poste qu’il occupe jusqu’à son entrée au Conseil d’État, en 1725. Le marquis d’Argenson est à l’origine du premier club politique français : le club de l’Entresol, cénacle choisi où l’on retrouve l’abbé de SaintPierre ou encore Bolingbroke. Les séances sont consacrées à la lecture et à la discussion de projets politiques, notamment en matière de relations extérieures. En 1731, le club de l’Entresol est fermé sur ordre du cardinal Fleury, qui y voit une source de désordres. C’est seulement à la mort du cardinal que le marquis d’Argenson devient secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le 18 novembre 1744. Mais il est congédié lors de la guerre de la Succession d’Autriche, le 10 janvier 1747. Son repos forcé lui donne l’occasion de rédiger cinquante-six volumes de manuscrits, notamment un Journal et des Considérations sur le gouvernement de la France, ouvrage publié à titre posthume en 1764. Ami de Voltaire, René Louis d’Argenson est l’un des hommes les plus représentatifs de la première génération des Lumières. Une légende tenace fait de lui un rêveur impénitent, totalement dépourvu des qualités propres au courtisan. Le surnom dont il est affublé - il est appelé « d’Argenson la Bête », pour le distinguer de son frère cadet - passe à la postérité. Pourtant, ses écrits nous révèlent un esprit supérieur, sensible à la nécessité d’une profonde évolution de la monarchie. Ses Considérations constituent un véritable plan de réformes sociales et politiques embrassant tous les aspects de la pensée des Lumières. Il y prône la plus grande tolérance religieuse possible et un libéralisme économique tempéré par la création d’institutions en faveur du peuple déshérité. La monarchie doit être limitée par une aristocratie éclairée et par des assemblées provinciales élues. D’Argenson propose également la suppression de la noblesse héréditaire et des privilèges du clergé. Dans son Traité politique, écrit en 1737-1738, il se prononce en faveur d’une politique extérieure généreuse, opposée à toute guerre de conquête. Malgré l’échec de son ministère entre 1744 et 1747, ce sont bien ses principes que Louis XV proclame lors de la paix d’Aix-la-Chapelle. Argentomagus, ville gauloise, puis romaine, située sur le plateau des Mersans, à Saint-Marcel (Indre), qui domine la ville actuelle d’Argenton-sur-Creuse. Oppidum (place forte) du peuple gaulois des Bituriges, le site occupe un plateau d’une trentaine d’hectares. Il est naturellement protégé par des falaises et par la vallée de la Creuse, très encaissée mais qu’un gué permettait de franchir à cet endroit, ce qui explique sans doute l’essor de la ville qui, à l’époque romaine, déborde le plateau pour occuper environ quatre-vingts hectares. Si les traces de l’occupation gauloise sont ténues, la ville romaine, développée au cours du Ier siècle de notre ère, est bien connue à la suite des fouilles systématiques entreprises depuis le début des années soixante. Elle était construite selon un plan en damier, les monuments publics se trouvant entre les deux principales artères parallèles. Elle comprenait un sanctuaire, composé de trois temples, ou fana, petits édifices quadrangulaires entourés de galeries. Le théâtre pouvait contenir environ sept mille spectateurs. Les thermes, d’une soixantaine de mètres de longueur, comportaient plusieurs bassins, des systèmes de chauffage et de canalisations. La fontaine monumentale, ou nymphée, s’ouvrait par de larges escaliers sur chacune des deux rues : son bassin était couvert d’un toit destiné à recueillir les eaux de pluie et débouchait sur un égout. Fort spectaculaire a été la découverte, en 1986, d’un petit sanctuaire souterrain, aménagé dans la cave d’une maison particulière : il comportait une petite table en calcaire et deux statuettes peintes assises, d’une quarantaine de centimètres, accompagnées d’un galet ; l’une des deux figurines porte un torque et tient un serpent sur ses genoux. Ce sanctuaire a été conservé sur place, à l’intérieur du musée récemment construit sur le site. Trois nécropoles au moins entouraient la ville, dont l’une, au Champ-de-l’Image, a livré environ cent soixante tombes, la plupart à in- cinération. Un pont a également été reconnu. aristocrate, membre de la classe noble, selon une terminologie péjorative apparue à la veille de la Révolution ; puis, par extension, contre-révolutionnaire réel ou supposé. Très répandu dans les milieux populaires, le terme « aristocrate » acquiert, avec la Révolution, une signification à la fois sociale et politique. Il est, le plus souvent, associé à l’idée - ancienne - de complot : complot de l’entourage du roi et des privilégiés pour tenter un coup de force et confisquer le pouvoir politique, dont la crainte est responsable de la Grande Peur de l’été 1789, mais aussi de la prise de la Bastille le 14 juillet. Les monarchistes réfutent l’épithète, insistant sur le sens étymologique du terme aristocratie (« gouvernement des meilleurs »), tandis que les patriotes développent une image de l’aristocrate partisan de l’Ancien Régime et de ses abus, adversaire des droits de l’homme et de la Constitution, ennemi à abattre. C’est durant cette année 1789 qu’émerge un discours de liberté : le grand nombre doit l’emporter sur la minorité ; le gouvernement de tous (la nation) est opposé au gouvernement de quelques-uns (les privilégiés), et les démocrates aux aristocrates. En 1791, Robespierre définit l’aristocratie comme « l’état où une portion des citoyens est souveraine et le reste sujets ». Le mot « aristocrate » devient ainsi un instrument idéologique permettant de discréditer ou de neutraliser les opposants politiques, et revêt, au fil des ans et de la radicalisation de la Révolution, un sens toujours plus étendu. On parle, dès 1789, d’aristocratie municipale, militaire, bourgeoise, ou encore, avec le régime censitaire, d’aristocratie de l’argent. Dans la mentalité populaire, l’aristocrate, promis « à la lanterne », noble ou non, toujours soupçonné de desseins tyranniques, est membre de tout groupe dominant dans la hiérarchie sociale. Injure lancée à la tête de celui qui abuse de son autorité, de l’arrogant ou du supérieur hiérarchique, ce terme finit par désigner tout ennemi avéré ou potentiel de la Révolution. Sont ainsi aristocrates, ou suspectés d’aristocratie, les royalistes, les nobles, les prêtres, puis les adversaires des sans-culottes, parmi lesquels figurent les spéculateurs, les fermiers, les marchands et les commerçants « accapareurs », accusés de vouloir affamer le peuple. Après la Révolution, le terme ne désigne plus que les membres de la noblesse, d’où la dénomination d’« aristo », apparue en 1848 et toujours en usage au XXe siècle. Arles (royaume d’), ensemble de territoires délimités par les Alpes, le Rhône et la Méditerranée, qui forment un royaume entre la fin du IXe et le milieu du XIIIe siècle. Après l’élection de Boson de Vienne comme roi de Provence et de Bourgogne, en 879, un premier royaume, strictement provençal, est constitué par son fils dans les premières années du Xe siècle, grâce à l’énergie du comte d’Arles, Hugues, qui y exerce une régence permanente. L’ambition de celui-ci le pousse cependant à rechercher la couronne d’Italie et, en 933, il cède ses droits sur le royaume de Provence au roi Rodolphe II de Bourgogne, qui possède déjà les territoires au nord de Lyon et étend ainsi sa domination du Jura jusqu’à la Méditerranée : c’est la naissance du « royaume d’Arles et de Vienne ». Dès la mort de Rodolphe II, en 937, ce royaume passe sous le contrôle de l’Empire germanique, mais ce n’est qu’en 1032 qu’il échoit à l’empereur Conrad II, officiellement reconnu par une assemblée de grands du royaume à la diète de Soleure en 1038. Cependant, les souverains germaniques ne possèdent ni biens ni administration sur ce territoire où ils ne résident jamais. Ce sont les comtes les plus puissants, ceux d’Arles et d’Avignon au XIe siècle, qui exercent la réalité du pouvoir. À partir de 1125, les premières familles comtales ayant disparu, deux grandes dynasties extérieures à la Provence s’efforcent de rassembler comtés et seigneuries pour parvenir à constituer un État cohérent : la famille des comtes de Toulouse, vassaux du roi de France, est surtout influente entre la Durance et l’Isère, tandis que la famille des comtes de Barcelone, vassaux du roi d’Aragon, est essentiellement active au sud de la Durance. Mais, au-dessus de ces princes, l’empereur Frédé ric Ier Barberousse entend maintenir sa souveraineté sur la région et le signifie avec éclat en se faisant couronner des mains de l’archevêque dans l’église Saint-Trophime d’Arles en 1178. Barberousse est l’empereur qui s’est le plus préoccupé du royaume d’Arles, essayant de conforter son pouvoir en s’appuyant sur les églises épiscopales, auxquelles il octroya de nombreux privilèges, et dotant le royaume d’un embryon d’administration. Cette époque constitue le point culminant dans l’histoire du royaume d’Arles. Mais la décadence de downloadModeText.vue.download 59 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 48 l’Empire germanique laisse les mains libres au roi de France pour pousser ses avantages dans cette région : ainsi, Charles d’Anjou, frère de Saint Louis, hérite par son mariage de la Provence en 1246 et met fin, dès 1251, à l’autonomie du royaume. Armagnac (Bernard VII, comte d’), chef du parti armagnac à partir de 1410 (vers 1360 Paris 1418). Deuxième fils du comte Jean II d’Armagnac et de Jeanne de Périgord, Bernard d’Armagnac est un guerrier, né pendant la guerre de Cent Ans au coeur géographique du conflit, la Guyenne. Alliée à la famille d’Albret, la famille d’Armagnac prit parti pour le roi de France contre les prétentions anglaises. Avec son père et son frère, Bernard lutte contre les Anglais, puis contre les compagnies de « routiers » qui ravagent le pays pendant les trêves. Il devient comte d’Armagnac en 1391. Dans la guerre civile qui oppose le duc d’Orléans au duc de Bourgogne, il adopte clairement les intérêts du parti antibourguignon. En effet, en 1393, il a épousé Bonne, fille du duc de Berry, et se trouve lié à la famille Visconti dont est issue la duchesse Valentine, veuve du duc d’Orléans assassiné en 1407. Il prend définitivement parti en 1410, lorsque sa fille Bonne épouse le jeune duc Charles d’Orléans ; c’est à ce moment que le parti d’Orléans devient, jusqu’à la fin de la guerre civile, le parti d’Armagnac. Le comte en prend la tête, réprime en 1413 le mouvement cabochien à Paris, et investit la capitale, où il exerce une dictature peu appréciée. Connétable et chef du gouvernement du dauphin en 1415, il meurt le 12 juin 1418 au cours des massacres qui suivent l’entrée des Bourguignons dans Paris. Après sa mort, Bourguignons et Anglais continuent d’appeler « Armagnacs » les partisans du dauphin, devenu le roi Charles VII en 1422. Armagnacs et Bourguignons, nom des deux factions qui, sous Charles VI, s’opposent dans une guerre civile de 1407 à 1422. L’assassinat du duc Louis d’Orléans (frère du roi de France Charles VI) par le duc de Bourgogne Jean sans Peur, le 23 novembre 1407, marque le début de la « querelle des Armagnacs et des Bourguignons ». • Conflits de personnes... Mais l’origine de cette querelle est plus ancienne : le roi de France étant frappé de démence depuis 1392, son oncle, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, et son frère, Louis d’Orléans, se disputent le pouvoir. Tout oppose les deux princes : ambitions politiques, intérêts financiers, diplomaties rivales - dans l’Empire et en Angleterre -, divergences sur le grand schisme d’Occident. Le conflit s’aggrave à la mort de Philippe le Hardi, en 1404 : Louis d’Orléans, favorisé par la reine Isabeau de Bavière, détient le pouvoir de 1405 à 1407 et coupe peu à peu les vivres à la principauté bourguignonne. Dès 1405, des clans se forment : celui du duc d’Orléans ayant pris pour emblème un bâton noueux, et pour devise « Je l’ennuie », celui de Jean sans Peur, nouveau duc de Bourgogne, adopte le rabot, et la devise « Je le tiens ». L’assassinat de 1407 laisse au parti d’Orléans une veuve, Valentine Visconti, et un enfant de 13 ans, le futur poète Charles d’Orléans. Jean sans Peur rentre bientôt en grâce auprès du roi et de la reine : de 1409 à 1413, le gouvernement est bourguignon. Pendant ce temps, Jean, duc de Berry (oncle de Charles VI), assure la défense des intérêts de Charles d’Orléans : à Gien, en 1410, il coalise autour de lui une ligue qui regroupe les ducs de Bretagne et d’Orléans, et le comte Bernard VII d’Armagnac, dont la fille Bonne épouse le jeune prince. Le parti d’Orléans prend le nom des redoutables mercenaires armagnacs qui accompagnent Bernard VII. • ...et choix politiques divergents. Les principes défendus par les Armagnacs - au moins verbalement - sont les mêmes que ceux des marmousets, vieux conseillers du roi Charles V demeurés dans l’entourage du duc de Berry : un État fort appuyé par des serviteurs zélés, des finances saines, l’indépendance des institutions. Les Bourguignons, au contraire, soutenus par l’Université, tiennent à un idéal politique de réforme - c’est-à-dire, au Moyen Âge, à un retour à des pratiques anciennes, réputées meilleures (antiques franchises urbaines, abolition des impôts). Armagnacs et Bourguignons ont leurs partisans dans la bourgeoisie parisienne : le milieu des changeurs de métaux précieux, qui domine aussi le crédit, soutient les Armagnacs, tandis que la prévôté des marchands, attachée aux libertés parisiennes, rejoint les Bourguignons. • La guerre de Cent Ans en toile de fond. Entre 1409 et 1412, Armagnacs et Bourguignons s’affrontent, se promettent la paix, négocient pour obtenir le concours des Anglais contre le parti adverse. À Paris, aux mains des Bourguignons, la guerre civile prend un autre tour après la convocation des états généraux par Jean sans Peur (1413). Le mouvement réformiste est débordé par la révolte cabochienne, et les excès des émeutiers incitent les Parisiens à faire appel aux princes du parti d’Orléans. Sitôt dans Paris, les Armagnacs massacrent les Bourguignons, et Bernard d’Armagnac, devenu connétable en 1415, y exerce une dictature jusqu’en 1418. L’entrée des Bourguignons à Paris, en mai 1418, d’abord perçue comme une délivrance, est marquée par de nouveaux massacres, au cours desquels périt Bernard d’Armagnac. Son parti, que la captivité de Charles d’Orléans depuis Azincourt (1415) prive de chef, se range aux côtés du dauphin Charles (le futur Charles VII), qui se proclame régent du royaume, tandis que Jean sans Peur et la reine Isabeau tiennent le roi Charles VI en leur pouvoir. C’est durant les négociations entre le dauphin et le duc de Bourgogne, le 10 septembre 1419 à Montereau, que l’entourage armagnac de Charles assassine Jean sans Peur. Ce meurtre relance la guerre civile et précipite les événements : le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, négocie alors avec les Anglais et avec Isabeau de Bavière le traité de Troyes (21 mai 1420), qui déshérite le dauphin et proclame Henri V d’Angleterre héritier du royaume de France. À partir de 1422 (date de la mort de Charles VI), et jusqu’à la réconciliation finale avec le duc de Bourgogne par le traité d’Arras (1435), les Armagnacs seront les partisans du « roi de Bourges ». Armée révolutionnaire, armée intérieure, distincte de l’armée régulière, créée en 1793 pour intimider les contre-révolutionnaires et faire respecter les lois sur les subsistances. Dès l’été 1793, alors que la France en guerre est menacée de l’intérieur par le soulèvement de Vendée et le fédéralisme, de petites armées révolutionnaires apparaissent en province. À Paris, c’est sous la pression de la foule et des cordeliers que la Convention - envahie lors de la journée du 5 septembre 1793 - décrète, en même temps qu’elle met la Terreur à l’ordre du jour, la formation d’une armée révolutionnaire de 6 000 hommes et 1 200 canonniers. Instrument de la Terreur, cette armée, commandée par le cordelier Ronsin, est composée de sans-culottes urbains, bien souvent enragés et hébertistes. Elle assure, principalement, avec un certain succès, le ravitaillement des villes et des armées, obligeant les cultivateurs à livrer leur production et à respecter la loi du maximum. Elle joue aussi un rôle prépondé- rant dans le mouvement de déchristianisation durant l’hiver 1793. Ses détachements, parfois accompagnés d’une guillotine ambulante, pourchassent, dans les campagnes, suspects, feuillants, girondins, accapareurs ou ecclésiastiques. Très vite, la Convention s’inquiète de ses initiatives et de ses excès. Le 14 frimaire an II (4 décembre 1793), elle décrète la suppression des armées de province, puis, le 7 germinal an II (27 mars 1794) - trois jours après l’exécution des chefs des cordeliers -, le licenciement de l’armée parisienne. armées catholiques et royales, nom donné à des rassemblements, plus ou moins organisés, d’insurgés hostiles à la Révolution. Même si l’on en rencontre dès 1792 dans le Midi ou dans le Massif central, le terme d’« armée » n’est véritablement revendiqué qu’en Vendée, à partir d’avril 1793. C’est là que de simples bandes rurales, levées depuis mars, sont regroupées autour de noyaux de quelques milliers de soldats permanents (contre-révolutionnaires avérés, aventuriers, déserteurs), sous le commandement de chefs vite promus généraux - Jacques Cathelineau, François Athanase de Charette de La Contrie, Maurice Gigost d’Elbée, Charles de Bonchamps, Sapinaud de La Rairie... Les paysans, levés au son du tocsin, rassemblés derrière leurs « chefs de paroisse », servent de masse de manoeuvre efficace. Le médiocre armement initial (faux retournées, fusils de chasse...) est rapidement complété par les armes et canons pris aux républicains. Ces armées, rivales, manquent d’unité et ne sont pas permanentes. Elles sont dispersées ou écrasées pendant la « virée de Galerne » (novembre 1793). Mais elles sont reconstituées, à partir de 1794 et jusqu’à la fin de 1795, autour de Charette et de Jean Nicolas Stofflet. Terminée dans les faits, la guerre de Vendée demeurera vivace dans les mémoires, ce qui permettra aux cadres clandestins ayant survécu de remobiliser des troupes en 1815, lors des Cent-Jours, et en 1832, lors de la tentative de soulèvement fomentée par la duchesse de Berry. downloadModeText.vue.download 60 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 49 armistice de 1918, accord conclu entre l’Allemagne et les Alliés qui met fin à la Pre- mière Guerre mondiale par la suspension des hostilités. À la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918, la Grande Guerre prend fin : l’armistice est signé dans le wagon de commandement du maréchal Foch, stationné à Rethondes, en forêt de Compiègne. C’est le 29 septembre que le général Erich Ludendorff a décidé de demander l’armistice : en effet, non seulement l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie et la Turquie sont à bout de force, mais même le front allemand menace de s’écrouler. Chez les Alliés, les positions divergent : certains veulent répondre positivement à cette demande, arguant de la lassitude extrême des troupes ; d’autres, en revanche, désirent porter la guerre en territoire allemand par une dernière offensive. Après un mois de négociations, l’Allemagne doit accepter des conditions très dures, qui s’apparentent à une capitulation. Au moment où la commission d’armistice se réunit, l’empereur Guillaume II abdique, et le nouveau gouvernement, menacé par des mouvements révolutionnaires, n’a aucune possibilité de contester les conditions qui lui sont dictées. Matthias Erzberger, un député du centre catholique, ne peut que signer, le 11 novembre. Étant donné les livraisons de matériel militaire qui lui sont imposées, l’Allemagne se retrouve dans l’incapacité de reprendre les hostilités. Les soldats allemands ont deux semaines pour repasser le Rhin, dont les Alliés occuperont une partie de la rive droite. L’extraordinaire explosion de joie qui salue l’armistice en France prouve bien que les jusqu’au-boutistes, au rang desquels figure le président Poincaré, sont désavoués : il n’est plus question de continuer une guerre d’ores et déjà gagnée. armistice de 1940, accord conclu par l’Allemagne et la France le 22 juin 1940 en vue de la cessation des hostilités. Au milieu du mois de juin 1940, alors que la bataille de France est perdue, le gouvernement se divise. Paul Reynaud, certains ministres et d’autres personnalités, dont Charles de Gaulle alors sous-secrétaire d’État à la Défense, entendent poursuivre le combat à partir de l’Afrique du Nord, projet qui suppose une simple capitulation militaire, de façon à laisser toute liberté d’action au gouvernement en dehors du territoire métropolitain. La solution opposée, l’armistice, d’abord défendue par le général Weygand, puis par Pétain, finit par l’emporter. Pétain se place autant sur le plan militaire (l’Allemagne a gagné la guerre, la poursuite du combat à partir de l’empire est chimérique) que politique (empêcher un éventuel coup de force communiste et préparer l’avènement d’une « révolution nationale ») et moral (le gouvernement ne saurait abandonner les Français, la défaite est la sanction d’une décadence, et l’armistice la condition du relèvement). Reynaud, croyant avoir été mis en minorité, démissionne le 16 juin au soir. Pétain lui succède aussitôt et, le 17, alors que des contacts sont noués avec les Allemands, annonce au pays, « le coeur serré », qu’il faut « cesser le combat ». Hitler révèle toute son habileté politique en acceptant l’offre française. Son but est alors d’affaiblir la GrandeBretagne et d’éviter qu’une attitude trop rigide ne précipite la flotte et l’empire français dans le camp britannique. À Rethondes, le 21 juin 1940, dans le wagon de Foch, la délégation française reçoit, en présence du Führer, les conditions allemandes. L’armistice, signé le 22 avec l’Allemagne, et le 24 avec l’Italie, entre en application le 25. Ses clauses sont draconiennes. La France est divisée en deux zones : l’une, à l’ouest et au nord, soit près des deux tiers du territoire, est occupée par les Allemands, l’autre, au sud, demeure « libre ». Un gouvernement français est maintenu et conserve toute autorité sur l’empire. L’armée française, limitée à 100 000 hommes environ, privée d’armes lourdes, est réduite à assurer l’ordre intérieur. La flotte n’est pas livrée, mais, désarmée, elle doit demeurer dans ses ports d’attache (ce qui la place sous la menace allemande). Les frais d’entretien des troupes d’occupation sont à la charge de la France. Enfin, 1,8 million de prisonniers français resteront détenus en Allemagne jusqu’à la conclusion d’un traité de paix. L’acceptation ou le refus de l’armistice dressa entre les Français un fossé politique infranchissable : les pétainistes soutinrent que l’armistice atténuerait les malheurs du pays et préparerait son relèvement ; pour les gaullistes, il n’était rien d’autre qu’un acte de trahison. Armoire de fer, chambre forte aménagée dans un mur du château des Tuileries par Louis XVI, recelant les papiers secrets de la famille royale, et découverte le 20 novembre 1792. Une fois la royauté abolie, la Convention est partagée quant à la nécessité de juger le roi. Le débat, qui s’ouvre le 13 novembre 1792, s’éternise et exacerbe les divisions entre montagnards et girondins, ces derniers se déclarant favorables à un ajournement. La découverte de l’Armoire de fer - véritable coup de théâtre - coupe court aux discussions et précipite le procès. Cette dernière livre, en effet, plusieurs centaines de documents révélant des négociations secrètes entre Louis XVI et l’Autriche, ainsi que les liens du roi avec la Contre-Révolution, notamment son soutien aux émigrés, alors aux côtés des puissances étrangères en guerre contre la France. Elle permet de mettre au jour sa correspondance privée avec nombre de personnalités - Calonne, La Fayette ou Dumouriez, et surtout Mirabeau, rétribué par la cour pour ses conseils. La publication des papiers contenus dans l’armoire émeut fortement l’opinion, engendre un climat de suspicion et nuit considérablement au roi. Ils n’administrent pas la preuve de la trahison de Louis XVI, de sa collusion avec l’étranger, mais ils mettent en évidence sa duplicité et sa résistance précoce à la Révolution : un double jeu qui fournit la base de l’acte d’accusation. Devenus des pièces à conviction, ces papiers jouent un rôle primordial dans le procès qui s’ouvre le 11 décembre, même si Louis XVI choisit de se défendre en niant l’authenticité de textes annotés de sa main. Arnauld (Antoine), dit le Grand Arnauld, théologien janséniste (Paris 1612 - Bruxelles 1694). Dernier des vingt enfants d’Antoine Arnauld (1560-1619), avocat célèbre pour son hostilité aux jésuites, il appartient à une famille de robe, en partie protestante. Élevé par une mère pieuse, il rencontre l’abbé de Saint-Cyran, ami de son frère Robert Arnauld d’Andilly. Étudiant en théologie, il est reçu docteur en Sorbonne et ordonné prêtre en 1641. Ses opinions sur la grâce et la prédestination sont tirées de saint Augustin, mais elles se retrouvent chez Jansénius. Dès lors, Arnauld épouse la cause janséniste, que défendent également sa soeur Angélique, abbesse de Port-Royal, et plusieurs de ses autres soeurs et nièces, religieuses dans la même abbaye. En 1643, le traité De la fréquente communion le rend célèbre : contre la conception jésuite du recours à la communion pour fortifier le pécheur contre la tentation, il défend une attitude sévère qui éloigne de l’autel le fidèle indigne et met l’accent sur la pénitence et le rôle du confesseur. Face aux condamnations pontificales, il distingue le droit et le fait, prétendant que les propositions censurées sont fautives mais ne se trouvent pas chez Jansénius. La même année, la mort de Saint-Cyran fait apparaître Arnauld comme le chef du parti janséniste. Un ami de Port-Royal, le duc de Liancourt, s’étant vu refuser l’absolution, Arnauld réplique par la Lettre à une personne de condition, suivie d’une Lettre à un duc et pair (1655), qui provoquent son exclusion de la Sorbonne. Pascal prend alors sa défense dans les Provinciales. Retiré à Port-Royal, Arnauld collabore avec Lancelot à une Grammaire générale et raisonnée (1660), et avec Nicole à une Logique dite « de Port-Royal » (1662), oeuvres remarquables destinées aux « petites écoles ». Polémiste, il sait pourtant refréner les extrémistes de son camp, et pousse à la conclusion de la « paix de l’Église » (1668), compromis entre les jansénistes, le pouvoir monarchique et la papauté. Revenu à la cour, il se voue au combat antiprotestant. Mais, lorsqu’en 1679 Louis XIV relance les persécutions contre les jansénistes, Arnauld s’exile en Hollande, puis à Bruxelles, où il mène une vie besogneuse et semi-clandestine. Il n’en continue pas moins la lutte contre les jésuites et les protestants, tout en restant loyal à son roi, défendant même sa politique extérieure. Esprit puissant et ardent, auteur fécond, Antoine Arnauld a su soutenir des opinions intransigeantes sans rompre avec la culture antique ni repousser l’apport du cartésianisme. Fidèle à l’esprit de la Contre-Réforme, il contribue cependant à introduire en terre catholique une spiritualité rigoriste qui avait assuré le succès du calvinisme. Arnauld (Jacqueline) ! Mère Angélique Aron (Raymond), philosophe et sociologue (Paris 1905 - id. 1983). downloadModeText.vue.download 61 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 50 Ce brillant khâgneux et normalien, reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1928, reste longtemps un proche des socialistes et un véhément défenseur du pacifisme. Son séjour en Allemagne entre 1930 et 1933 lui révèle pourtant le danger nazi, ce qui le conduit à réviser ses positions pacifistes. Rentré en France et devenu professeur, Raymond Aron livre une production philosophique abondante, influencée par les travaux des philosophes et sociologues d’outre-Rhin (la Sociologie allemande contemporaine, 1935 ; Introduction à la philosophie de l’histoire, publié à l’issue de sa thèse, soutenue en 1938). Il y reprend la notion de relativisme historique héritée de Max Weber, mais propose de la dépasser, préconisant l’engagement de l’homme dans son époque. Durant la Seconde Guerre mondiale, après avoir rejoint Londres, il écrit dans les colonnes de la France libre. À la Libération, il se consacre entièrement au journalisme. Un temps membre du comité de rédaction des Temps modernes, où il retrouve son ancien condisciple Jean-Paul Sartre, avec lequel il rompt à l’automne 1947. La même année, il cesse sa collaboration à Combat. Commence alors un long parcours anticommuniste, jalonné par ses éditoriaux dans le Figaro et marqué par la publication, en 1955, de l’Opium des intellectuels, véritable brulôt contre l’esprit de système des intellectuels marxistes. Le polémiste entre aussi dans le jeu politique en adhérant au rassemblement gaulliste, le RPF, et en militant au sein d’une structure intellectuelle anticommuniste, le Congrès pour la liberté de la culture. Au coeur de la guerre froide, Aron est mis au ban d’une intelligentsia française largement philocommuniste. « Spectateur engagé », sans cesse en prise avec l’histoire en marche, il prône l’indépendance de l’Algérie au nom de ce qu’il considère comme le « réalisme » (la Tragédie algérienne, 1957). Plus tard, il voit dans les événements de 1968 la confirmation de la « fragilité du monde moderne » (la Révolution introuvable, 1968). En 1979, il retrouve Sartre pour un dernier combat en faveur des boat-people vietnamiens. Tout au long de cette période, le sociologue - qui a poursuivi son enseignement à la Sorbonne (1955), à l’École pratique des hautes études (1968), puis au Collège de France (1970) - n’a cessé de nourrir une réflexion approfondie sur le pouvoir, les relations internationales et la société industrielle (Paix et guerre entre les nations, 1962 ; la Lutte des classes : nouvelles leçons sur la société industrielle, 1964 ; Démocratie et totalitarisme, 1965 ; Penser la guerre, Clausewitz, 1976). Au soir de sa vie, la notoriété rattrape l’intellectuel, qui fut honni par une partie de ses pairs : en témoignent le succès du Spectateur engagé et la publication, applaudie, peu de temps avant sa mort, de ses Mémoires, cinquante ans de réflexion politique (1983). arquebuse ! mousquet Arras (traité d’) [21 septembre 1435], traité scellant la réconciliation, pendant la guerre de Cent Ans, du roi de France Charles VII et du duc de Bourgogne Philippe III le Bon, prince le plus puissant du royaume. Depuis 1407, une guerre civile oppose les Armagnacs, partisans du roi, aux Bourguignons. Elle facilite la conquête de la France par les Anglais, alliés au duc de Bourgogne. Pour les vaincre, Charles VII doit donc préalablement se réconcilier avec celui-ci. Après différents pourparlers, la conférence de paix s’ouvre le 5 août 1435 à Arras, sous l’égide de cardinaux représentant le pape et le concile de Bâle. Elle réunit le duc de Bourgogne, une délégation anglaise conduite par le cardinal Henri Beaufort, et une ambassade française dirigée par le connétable de Richemont. La négociation entre la France et l’Angleterre échoue, car les exigences anglaises sont excessives : Charles VII perdrait son titre de roi, et deviendrait le vassal du roi anglais Henri VI pour tous les territoires que celui-ci entend conserver. Cette intransigeance permet au duc de Bourgogne de signer, le 21 septembre, une paix séparée avec le roi de France : ce dernier désavoue le meurtre de Jean sans Peur, père du duc, à Montereau, en 1419 ; il cède à Philippe III l’Auxerrois, le Mâconnais, diverses châtellenies et les territoires situés de part et d’autre de la Somme, prévoyant cependant, pour ces derniers, une possibilité de rachat ; enfin, il le dispense d’hommage, mais uniquement à titre personnel. Même si les concessions sont importantes, Charles VII, grâce à ce traité, conclut l’alliance francobourguignonne : il peut ainsi espérer obtenir l’aide militaire du duc pour la reconquête du royaume - ou, au moins, sa neutralité. Arras (traité d’) [23 décembre 1482], traité signé par Louis XI et Maximilien de Habsbourg pour mettre un terme à la guerre de la succession de Bourgogne. Après la mort de Charles le Téméraire en janvier 1477, Louis XI s’est rapidement emparé de la Picardie, de l’Artois, du duché de Bourgogne et du comté de Bourgogne (Franche- Comté). Mais Marie de Bourgogne, héritière du Téméraire, se marie alors avec Maximilien de Habsbourg, fils de l’empereur Frédéric III. Au nom de sa femme, Maximilien entreprend la reconquête des territoires perdus. Si Louis XI parvient à conserver le duché de Bourgogne, la Picardie et l’Artois, il ne réussit ni à garder le comté de Bourgogne, ni à annexer le Hainaut. La bataille indécise de Guinegatte, le 7 août 1479, les nombreuses dévastations qui y font suite, enfin, la mort accidentelle de Marie de Bourgogne, le 27 mars 1482, conduisent les deux parties à négocier : la paix d’Arras est signée le 23 décembre 1482. Le traité prévoit le mariage du dauphin Charles avec Marguerite, fille de Marie et de Maximilien, dont la dot - à restituer au cas où le mariage n’aurait pas lieu - se compose du comté de Bourgogne, de l’Artois, du Mâconnais et de l’Auxerrois. Quant à la Picardie et au duché de Bourgogne, ils sont tacitement laissés à Louis XI. L’abandon, en 1491, du projet de mariage entre le dauphin, devenu Charles VIII, et Marguerite entraîne la signature d’un nouveau traité, en mai 1493 : le traité de Senlis. Ars (Jean-Marie-Baptiste Vianney curé d’) ! Jean-Marie-Baptiste Vianney (saint) Artagnan (Charles de Batz, seigneur d’), gentilhomme gascon (près de Lupiac, Gers, 1611 - Maastricht, Pays-Bas, 1673). D’Artagnan est l’exemple même du cadet de Gascogne aux origines relativement modestes : sa noblesse apparaît pour le moins douteuse, même si sa mère est née Montesquiou. Il mène une carrière militaire exemplaire, servant dans les gardes (1635), puis dans les mousquetaires, prestigieuse compagnie de cent hommes créée en 1622. À ce titre, d’Artagnan n’assure pas seulement la garde du roi : il participe aussi à de nombreuses campagnes (de 1640 à sa mort, le 25 juin 1673, lors du siège de Maastricht) et gagne des galons, dont ceux de chef de la première compagnie des mousquetaires, en 1667. Cependant, ce courageux Gascon, passionnément dévoué au service du roi, n’aurait guère laissé de trace si son sens du devoir n’avait fait de lui l’homme des missions délicates : l’intermédiaire entre un Mazarin exilé et la cour en 1651, pendant la Fronde ; celui que Louis XIV charge d’arrêter Fouquet, en 1661, puis de l’escorter jusqu’à la forteresse de Pignerol en 1664 ; cette même forteresse où il conduira le maréchal de Lauzun, en 1671. Il achève d’y gagner une parfaite réputation de « fidèle au roi et humain à ceux qu’il garde », selon les termes de son amie Mme de Sévigné. Si d’Artagnan est resté dans la mémoire, il le doit à l’un de ses subordonnés parmi les mousquetaires, Courtilz de Sandras, qui publie d’abondants et apocryphes Mémoires de Monsieur d’Artagnan (1700), et surtout à Alexandre Dumas qui, s’inspirant largement de ces Mémoires, crée l’extraordinaire personnage des Trois Mousquetaires (1844). Attachant, plein de vie et d’enthousiasme, peut-être un peu simplet parfois, ce d’Artagnan réapparaît dans Vingt ans après (1845), le Vicomte de Bragelonne (1847-1850), et dans les versions théâtrales que le prolixe Dumas tire de ses romans. Et ce n’est pas hasard si ces oeuvres comptent parmi celles que le cinéma mondial a le plus souvent adaptées : d’Artagnan a ainsi pris les traits de Douglas Fairbanks, de John Wayne, de Gene Kelly, de Georges Marchal, de Michael York... Il a même inspiré des versions comiques, mais le personnage de Dumas est si fort que rares sont les créateurs qui s’écarteront du roman (à l’exception notable de Bertrand Tavernier, avec sa Fille de d’Artagnan, 1994). La fiction l’a décidément emporté sur la réalité. Arthur III, connétable de France et duc de Bretagne de 1457 à 1458 (1393 - 1458). Second fils du duc Jean IV, il hérite à la mort de son père, en 1399, du comté anglais de Richmond, dont il porte le titre, francisé en Richemont. Capturé par les Anglais à Azincourt (1415), il est libéré en 1420 pour avoir aidé à convaincre son frère, Jean V, duc de Bretagne, d’adhé rer au traité de Troyes, signé par Henri V d’Angleterre et le roi de France downloadModeText.vue.download 62 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 51 Charles VI, et qui fait du souverain anglais l’héritier du trône de France. Marié à une soeur de Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, il réintègre l’alliance française à la suite du duc de Bretagne, en 1425. Promu connétable de France, Richemont se révèle un organisateur efficace et un habile tacticien, mettant sur pied ce qui deviendra dans les décennies suivantes l’armée de la victoire. Porté aux intrigues de cour, il est écarté du pouvoir, en 1428, par Charles VII, au profit de La Trémoille, et se retire dans ses seigneuries du Poitou. En 1433, il est rappelé par le roi, qui veut isoler diplomatiquement le duc de Bedford, régent du royaume de France. Il travaille alors à une réconciliation avec la Bourgogne, dont le succès, consacré par le traité d’Arras en 1435, ouvre la route de Paris aux armées royales. Promu lieutenant du roi pour tous les pays reconquis, il mène victorieusement l’offensive française dans le Maine et en Normandie. En septembre 1457, ses neveux François Ier et Pierre II étant morts sans héritier direct, il devient duc de Bretagne. Il cherche, à l’image de ses prédécesseurs, malgré la charge de connétable et le rôle politique qu’il conserve à la cour de France, à préserver l’autonomie du duché contre l’influence française grandissante. artillerie. L’arme principale de l’artillerie, le canon, apparaît au début de la guerre de Cent Ans, lors de la bataille de Crécy (1346), et devient très vite l’instrument décisif de la guerre de siège. Charles V ordonne ainsi que ses « bonnes villes » soient dotées de bouches à feu et crée un premier corps d’artillerie. Sous Charles VII, les frères Bureau développent cette artillerie lourde qui permet, en un an, de faire tomber les villes et les forteresses de Normandie. Ils sont également à l’origine d’une artillerie de campagne, capable d’opérer sur le champ de bataille en dépit du poids encore imposant des pièces. À son entrée en Italie, en 1494, Charles VIII dispose de 140 canons lourds et de 226 pièces légères. Mais il faut encore 20 chevaux pour tirer les premiers, et 7 pour les secondes. À Marignan comme à Pavie, l’artillerie permet de faire la différence. • Organisation et professionnalisation. Sous Richelieu, puis sous Louis XIV, cette arme connaît un développement considérable. Les Français adoptent alors les procédés mis au point par les Hollandais et les Suédois pour accroître la mobilité des pièces et la rapidité de chargement. Cet essor s’accompagne d’une prolifération des calibres, que Vallières, en 1732, s’efforce de restreindre, ramenant leur nombre à sept. En 1765, Gribeauval est à l’origine d’une nouvelle réforme : il réduit encore le nombre de calibres, allège les pièces, et développe des procédés rapides de pointage. L’adoption de gargousses en papier ou en toile facilite le chargement et augmente la cadence de tir. Pendant de nombreuses années, cette artillerie sera considérée comme la meilleure d’Europe, et servira, sans modifications notables, durant les guerres de la Révolution et de l’Empire. Simultanément, elle cesse d’être un organisme servi par des spécialistes civils : elle utilise le concours occasionnel de fantassins pour devenir un corps militaire. À la fin de l’Ancien Régime, l’armée royale compte ainsi 7 régiments d’artillerie, soit près de 1 000 officiers et 11 000 hommes. La Révolution complétera cette organisation par une artillerie « volante » ou à cheval agissant en liaison avec la cavalerie. De 1792 à 1815, le nombre de canons ne cesse d’augmenter. Lui-même ancien artilleur, Napoléon accorde un rôle croissant à l’artillerie : on compte 80 canons à Austerlitz, 100 à Wagram, 120 à la Moskova. • Une modernisation progressive. Par la suite, les innovations importantes adviennent sous le Second Empire : essais de nouveaux matériels, canons-obusiers, pièces rayées, canons se chargeant par la culasse. Toutefois, en 1870, l’artillerie française reste composée, pour l’essentiel, de pièces se chargeant par la bouche. Cependant, elle demeure nettement inférieure, en nombre et en qualité, à celle d’outre-Rhin dotée de canons en acier se chargeant par la culasse, d’une portée et d’une précision plus grandes. Après 1871, un gros effort de rénovation est entrepris. Inspirés des réalisations allemandes, les canons Lahitolle de 80 et de 95 mm et les pièces de Bange de 90, 120 et 155 mm, d’une portée de 7 à 9 kilomètres, apparaissent. Les explosifs sont également améliorés. Le plus grand succès français concerne alors la mise au point du canon de 75, adopté en 1897, pourvu d’un frein hydraulique et tirant un obus à forte capacité explosive. Toutefois, au début de la Première Guerre mondiale, l’artillerie lourde française est nettement surclassée ; elle ne rattrapera son retard qu’en 1917-1918, avec des canons de 105 et 155. Dans les deux camps, le conflit est marqué par des préparations d’artillerie de plus en plus intenses, pour neutraliser les positions fortifiées de l’adversaire. Lors de la signature de l’armistice, la France dispose de plus de 13 500 canons et d’un effectif supérieur à 450 000 hommes ; plus de 300 000 obus sont produits quotidiennement, au lieu de 15 000 en 1914. Dans l’entre-deux-guerres, l’artillerie de campagne et l’artillerie lourde ne sont pas modernisées. Les innovations portent sur le développement de pièces antichars de 25 ou de 47, mais la défense antiaérienne (DCA) légère est négligée, et la motorisation reste encore très limitée. Ce manque de mobilité constitue la raison essentielle du rôle décevant de l’artillerie pendant la campagne de 1940. Avec le réarmement des troupes françaises d’Afrique en 1943, l’artillerie est dotée de canons américains de 105 ou de 155. Ils seront largement utilisés dans d’autres conflits, notamment en Indochine, avant d’être remplacés par des matériels français de 155, automoteurs ou tractés. Dans le même temps, les techniques de tir s’améliorent considérablement, grâce à l’adoption de radars ou de télémètres à laser. Le matériel de DCA est complètement rénové : pièces légères et missiles sol-air sont introduits. Dans le cadre de la force de dissuasion, l’artillerie française, jusqu’en 1996, est encore équipée de pièces tirant les missiles nucléaires tactiques « préstratégiques » de type Pluton, puis Hadès. Associant canons et missiles, utilisant des projectiles extrêmement variés, elle constitue toujours l’un des outils majeurs de l’armée. Artois, ancienne province du nord de la France correspondant à la majeure partie du département du Pas-de-Calais. Entre la Picardie au sud et la Flandre au nord, l’Artois abrite à l’époque gauloise le peuple des Atrébates, qui forme ensuite la cité galloromaine d’Arras, siège d’un évêché dans la Gaule chrétienne. Au centre du domaine historique des rois francs, la région fait partie du royaume mérovingien de Neustrie entre le VIe et le VIIIe siècle, puis devient un comté sous le règne de Charlemagne. Lorsque, aux IXe et Xe siècles, l’Empire carolingien se désagrège et que se constituent des principautés territoriales, l’Artois entre dans le grand ensemble flamand. • La dot d’Isabelle. L’Artois émerge de cet ensemble à la fin du XIIe siècle. En effet, le comte de Flandre Philippe d’Alsace, se posant comme le protecteur du jeune roi de France Philippe Auguste, fait épouser à ce dernier, en 1180, sa nièce Isabelle de Hainaut, à laquelle il promet en dot l’Artois, qu’il sépare du reste de la Flandre et lui en promet l’héritage. Lorsque Philippe d’Alsace disparaît, en 1191, Isabelle de Hainaut est morte, mais a donné le jour à un fils, le futur roi Louis VIII. Philippe Auguste entre donc en possession de l’Artois au nom de son fils. A son avènement, en 1223, Louis VIII intègre l’Artois dans le domaine royal, et surtout sa capitale Arras, riche cité drapière et centre bancaire, mais aussi foyer de culture (abbaye Saint-Vaast). Donné en apanage par Louis IX à son plus jeune frère, Robert, en 1237, l’Artois devient une principauté territoriale héréditaire, dont le destin est lié à des successions délicates, car il revient souvent à des héritières. • L’enjeu de nombreux conflits. La première succession d’Artois, sous le règne de Philippe le Bel, est marquée par les retentissants procès de Robert d’Artois à sa tante Mahaut en 1309 et 1318. Aux XIVe et XVe siècles, l’Artois passe ainsi de la Bourgogne à la Flandre, puis retourne à la Bourgogne, à partir de 1384. Le destin de la région suit, pendant cent cinquante ans, celui des états bourguignons, profitant de leur prospérité culturelle et économique. Au XVe siècle, les tapisseries d’Arras sont les rivales de celles de Bruxelles. À la mort de Charles le Téméraire, en 1477, Louis XI se saisit d’une partie des états bourguignons, dont l’Artois. Mais leur légitime héritière épouse l’archiduc d’Autriche Maximilien de Habsbourg, et, pendant plus de dix ans, le roi de France Charles VIII et Maximilien se disputent l’héritage bourguignon. Le sort de l’Artois est fixé au traité de Senlis, en 1493, qui assure la possession de certaines villes artésiennes (Hesdin, Aire-sur-la-Lys, Saint-Omer) au roi de France, et la majeure partie de l’Artois à l’archiduc d’Autriche. L’Artois reste ainsi sous la domination des Habsbourg jusqu’à la paix des Pyrénées de 1659, conclue entre Louis XIV et le roi d’Espagne Philippe IV. Après cette date, il est complètement intégré au royaume de France, au point que le roi Louis XV peut donner à son petit-fils, futur Charles X, le titre de comte d’Artois, en 1757. À la Révolution, la région forme downloadModeText.vue.download 63 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 52 la majeure partie du département du Pas-deCalais, dont le chef-lieu est Arras. L’histoire de l’Artois illustre le sort d’une région de plaine frontalière, voie de passage et terre d’invasions : enjeu de toutes les successions, facilement démembré et redistribué comme une carte dans le jeu politique, l’Artois a gardé peu de traces de son riche passé culturel, détruit au cours des deux conflits mondiaux. Les beffrois des grandes villes permettent cependant d’imaginer la richesse des communes médiévales. Artois (succession d’), épisode opposant, au début du XIVe siècle, la comtesse Mahaut à son neveu Robert pour la succession du comté d’Artois. À la mort de Robert II, comte d’Artois, en 1302, s’ouvre une succession délicate. En effet, le fils aîné de Robert II, Philippe, est mort en 1298, avant son père. Les héritiers de Robert II sont donc sa fille Mahaut et son petit-fils Robert, fils du défunt Philippe. La coutume d’Artois n’admettant pas qu’un fils puisse représenter les droits successoraux de son père mort, et aucune clause ne réservant l’héritage de l’Artois aux mâles, le comté revient donc à Mahaut. Celle-ci bénéficie d’un soutien important à la cour de France, puisqu’elle a épousé en 1285 Othon, comte de Bourgogne (de la future Franche-Comté), et marié ses deux filles avec deux fils de Philippe le Bel, les futurs Philippe V et Charles IV. Le jeune Robert, débouté une première fois en 1309, prend en 1315 la tête d’un mouvement féodal hostile à Mahaut, et revient à la charge auprès du roi Philippe V en 1318. Une nouvelle fois, la Cour des pairs donne raison à Mahaut. La situation tourne au profit de Robert d’Artois en 1328, lorsque la dynastie des Valois, en la personne du roi Philippe VI, accède au trône de France. Robert d’Artois a en effet épousé la propre soeur de Philippe de Valois et soutenu l’accession au trône de ce dernier. S’appuyant sur l’exemple du comte de Flandre, qui a laissé son comté à l’aîné de ses petits-enfants, Robert d’Artois demande à bénéficier de cette pratique, et produit témoins et documents prouvant que la volonté de son grand-père, Robert II, était bien de lui laisser le comté d’Artois. Avant que l’affaire ne vienne devant le parlement, Mahaut meurt, en novembre 1329 ; peu après meurt sa fille et héritière, Jeanne de Bourgogne, qui laisse du roi Philippe V une fille, Jeanne de France, épouse du duc Eudes IV de Bourgogne, très puissant au Conseil. Le 14 décembre 1330, en audience, les conseillers du parlement démontrent que les documents produits par Robert d’Artois sont des faux. Pour la troisième fois, Robert d’Artois est débouté. L’usage de faux documents, crime de lèse-majesté, est jugé dans un procès criminel : la faussaire, Jeanne de Divion, est brûlée en 1331, et Robert d’Artois, qui avait fui la cour, est banni en 1332. Il finit par trouver refuge auprès du roi d’Angleterre Édouard III. Ce dernier prête une oreille bienveillante aux plaintes de ce baron français hostile à Philippe VI, qui, en prélude à la guerre de Cent Ans, attise les ambitions du roi d’Angleterre. arts libéraux, dans les écoles et les universités, jusqu’à la fin du Moyen Âge, programme d’enseignement hérité de l’Antiquité et composé de sept disciplines : la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la musique. Cette classification des différents savoirs nécessaires à la formation de l’esprit est déjà présente dans l’oeuvre de l’écrivain latin Varron (IIe et Ier siècles avant J.-C.). Pendant plusieurs siècles, les arts libéraux, en particulier la grammaire et la rhétorique, constituent les principales disciplines enseignées dans les écoles gallo-romaines (écoles « secondaires » des grammairiens ; écoles « supérieures » des rhéteurs). Au début du Moyen Âge, les sept arts libéraux, qu’on divise en deux cycles - le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique) -, sont toujours abondamment décrits et commentés : au Ve siècle, par Martianus Capella (dans les Noces de Philologie et de Mercure), au VIe siècle, par Cassiodore (dans les Institutions). Pourtant, à cette époque, la lecture et la compréhension de la Bible remplacent peu à peu la culture antique dans les écoles monastiques, cathédrales ou presbytérales, du royaume franc. À partir de la renaissance carolingienne, notamment, sous l’influence d’Alcuin (VIIIe siècle), les arts libéraux redeviennent la base de l’enseignement scolaire, dont la théologie est le couronnement, comme l’attestent les grands traités encyclopédiques du XIIe siècle, par exemple le Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor. Selon les écoles et les maîtres, l’accent est mis sur telle ou telle discipline. Un peu partout, la grammaire, notamment celle des auteurs latins Donat (vers 350) et Priscien (vers 500), reste le fondement des études. Mais, tandis que les écoles d’Orléans se spécialisent au XIIe siècle dans la rhétorique et l’art épistolaire, des maîtres de l’école de Chartres font une large place à la géométrie et aux sciences naturelles. Les écoles parisiennes, quant à elles, sont réputées pour l’enseignement de la dialectique à partir de la Logique et des autres oeuvres d’Aristote, diffusées en France dès les années 1140-1150. La plupart des universités médiévales – créées en France à partir du XIIIe siècle – ont une faculté des arts. Mais, en réalité, seule celle de Paris offre un enseignement qui dépasse largement l’étude de la grammaire : son art d’excellence, la dia- lectique, attire des étudiants venus de partout, au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle, tandis que le quadrivium n’est déjà plus étudié. Arvernes, peuple gaulois qui occupait à peu près l’Auvergne actuelle, à laquelle il a laissé son nom. Les Arvernes sont signalés par les historiens grecs et latins dès la fin du IIIe siècle avant J.-C., lorsqu’ils aident les troupes du Carthaginois Hasdrubal Barca à traverser le Languedoc pour prendre les Romains à revers. Ces historiens décrivent aussi les fastes du roi arverne Luerr, offrant à son peuple des fêtes de plusieurs jours durant lesquels le vin coule à flots, ou jetant du haut de son char des poignées de pièces d’or. De fait, les Arvernes semblent avoir très anciennement adopté l’usage de monnaies, dont les premiers exemplaires sont copiés sur des statères d’or de Philippe de Macédoine, sans doute parvenus jusque-là à la faveur d’équipées guerrières. Lors de la conquête de la Provence et du Languedoc, qui deviendront la province romaine de Narbonnaise en 121 avant J.-C., les Romains doivent d’abord affronter les Arvernes et leur roi, Bituit, fils de Luerr. Vaincu, celui-ci est emmené prisonnier à Rome. Ainsi s’achève l’hégémonie arverne sur le midi de la France. Mais, à partir de 58 avant J.-C., lorsque César soumet la Gaule, les Arvernes restent les derniers à résister (jusqu’en - 53). Ce n’est donc pas un hasard si c’est un jeune aristocrate arverne, Vercingétorix, qui prend la tête d’une coalition comprenant une bonne partie des peuples gaulois déjà soumis. Après de premiers revers, marqués par les prises de Cenabum (Orléans) et d’Avaricum (Bourges), Vercingétorix parvient cependant à défaire César devant Gergovie, la capitale arverne, entraînant avec lui le reste des peuples gaulois - et notamment les Éduens, alliés de Rome et traditionnels rivaux des Arvernes. Mais Vercingétorix est à son tour assiégé dans Alésia, contraint à la reddition, puis exécuté. Après cette victoire définitive, César aura néanmoins l’habileté de dispenser les Arvernes de payer tribut, préparant le ralliement à Rome de leurs responsables, dont le notable proromain Epasnactos fournit l’exemple type. L’archéologie a révélé en pays arverne un peuplement dense, mais éparpillé en une poussière de hameaux aux IIIe et IIe siècles avant J.-C. C’est seulement au début du Ier siècle avant J.-C. qu’apparaissent les pre- mières organisations urbaines, comme, dans la plaine de Clermont-Ferrand, les oppidums successifs de Corent, Gondole et enfin Gergovie, la capitale, remplacée à l’époque romaine par Augustonemetum - l’actuelle ClermontFerrand. asile (droit d’), dans l’Antiquité et au Moyen Âge, droit pour celui qui est poursuivi, que ce soit par des ennemis personnels ou par la force publique, de se réfugier dans un lieu sacré. La tradition en est très ancienne, puisqu’on se réfugiait déjà dans les temples des dieux romains, mais cette coutume ne fut reconnue par une constitution impériale qu’en 419. Le développement du droit d’asile dans les églises chrétiennes est lié à celui du culte des saints et au mouvement de la Paix de Dieu, qui lui donne son plus grand essor : tous les conciles du XIe siècle renouvellent le canon qui protège la personne ayant trouvé refuge dans une église contre toute forme de violence. Le deuxième concile du Latran (1139) étend ce privilège à tous les lieux sacrés et à leurs dépendances. Cette idée de l’inviolabilité de certains lieux est à l’origine des villages du Sud-Ouest dénommés « sauveté » et créés par des seigneurs ecclésiastiques. Le droit d’asile n’a cependant pas pour effet de soustraire le criminel à la justice : celui qui est reconnu coupable ne peut espérer qu’un adoucissement de la peine prévue, après l’intervention de l’Église auprès du juge. En outre, à partir du XIIIe siècle, le pape dresse une liste des downloadModeText.vue.download 64 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 53 exceptions, c’est-à-dire des types de crimes et délits pour lesquels on ne peut bénéficier en aucun cas du droit d’asile, liste qui ne cessera de s’allonger. Quand l’édit de Villers-Cotterêts (1539) abolit l’asile en matière civile et criminelle, il ne fait qu’entériner la disparition de ce droit dans la pratique. assemblée des notables, conseil extraordinaire réuni par le roi à dix reprises entre 1506 et 1788. Convoquée par le souverain, lorsque celuici veut s’informer et prendre conseil tout en cherchant l’adhésion de ses sujets, l’assemblée des notables est composée de membres éminents des trois ordres, dans des proportions et suivant des règles chaque fois différentes. Moins nombreux qu’aux états généraux et plus dociles, car nommés par le roi, ses membres ont un rôle consultatif et débattent le plus souvent d’économie et de finance. Les six assemblées convoquées durant le XVIe siècle accompagnent ou préparent les états généraux, et remplissent leur fonction, notamment lors des guerres de Religion. Cependant, l’assemblée de 1596, réunie à Rouen par Henri IV, ne cache pas sa volonté de contrôler les impôts et les dépenses royales, prétention due au fait - unique - que ses membres ont été élus par les trois ordres. Convoquée en 1617 à Rouen, pour débattre de la vénalité des offices, puis en 1626 à Paris, pour approuver la politique de Richelieu, l’assemblée n’est plus réunie au-delà du règne de Louis XIII, alors que s’affirme la monarchie absolue. Elle est de nouveau convoquée lors de la crise prérévolutionnaire. En 1787, plutôt qu’à de turbulents états généraux ou aux parlements, c’est à une assemblée des notables que Calonne, ministre des finances, choisit de soumettre son plan de réformes pour résoudre la crise financière. Réunie à Versailles, du 22 février au 25 mai, l’assemblée, composée presque uniquement de privilégiés, repousse le projet de subvention territoriale, impôt unique pesant sur la terre et signifiant la fin de l’exemption fiscale de la noblesse et du clergé. Elle obtient le renvoi de Calonne, remplacé par Loménie de Brienne, prétend contrôler la monarchie et soutient le principe d’états généraux seuls habilités à consentir l’impôt. Bien que défendant la société d’ordres, l’assemblée mobilise l’opinion contre la monarchie et participe involontairement au déclenchement de la Révolution. Après sa dissolution, les parlements prennent le relais de la révolte aristocratique et antiabsolutiste dans une longue campagne pour la réunion des états généraux, que Louis XVI accepte en août 1788. Une nouvelle assemblée, réunie à Versailles du 6 novembre au 12 décembre 1788, rejette le doublement du nombre de députés du tiers état aux états généraux et le vote par tête - et non par ordre - voulus par Necker pour obtenir l’approbation des réformes. C’est cependant avec une représentation du tiers état deux fois plus importante que les états généraux se réunissent en mai 1789 avant de se déclarer Assemblée nationale. assemblée du clergé, réunion périodique des représentants de l’Église de France entre la seconde moitié du XVIe siècle et 1788. À la veille des guerres de Religion, le clergé, menacé par la monarchie endettée d’une saisie de ses biens, et afin de l’éviter, accepte de contribuer régulièrement aux finances royales. Prévu pour une période limitée par le contrat de Poissy (1561), le subside est renouvelé par l’assemblée de Melun (1579-1580) et devient permanent. Dans un premier temps, le clergé fournit des fonds pour payer des rentes vendues au profit de la monarchie. Mais, bientôt, l’essentiel de sa contribution consiste en un « don gratuit » voté par l’assemblée. Celle-ci se réunit ordinairement tous les cinq ans, plus souvent parfois, quand les besoins financiers du royaume se font urgents. S’y retrouvent des délégués élus dans chaque province ecclésiastique. Dans l’intervalle des sessions, deux agents généraux du clergé représentent l’ordre. Outre le vote, précédé parfois d’âpres négociations, les assemblées prennent l’habitude de débattre des sujets les plus divers touchant les questions religieuses : au XVIIe siècle, elles demandent régulièrement la révocation de l’édit de Nantes ; au XVIIIe siècle, elles s’élèvent contre les parlementaires jansénistes ou les ouvrages irréligieux. Seul ordre à disposer d’une tribune lui permettant de dialoguer avec la monarchie, le clergé oscille, au gré des époques, entre docilité et résistance farouche aux exigences, fiscales ou autres, des souverains. La dernière session se tient en 1788. Assemblée du 10 juillet 1940, réunion des deux Chambres pour le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Faire table rase de la IIIe République, tenue pour responsable de la défaite, constitue sans nul doute le premier objectif du maréchal Pétain et de ses proches au cours de l’été 1940. Après avoir projeté de mettre le Parlement en vacances pour une durée indéterminée, l’entourage de Philippe Pétain, gagné aux idées de Laval et de Raphaël Alibert, souhaite obtenir du Parlement qu’il se saborde, puis élabore une nouvelle Constitution. Le 9 juillet 1940, les deux Chambres, réunies séparément à Vichy, où s’est réfugié le gouvernement, votent à une écrasante majorité l’article unique d’un projet de loi annonçant qu’« il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles ». Les menaces de mort proférées contre certains parlementaires, notamment Pierre Cot et Henri de Kérillis, l’absence des dirigeants traditionnels - Jean Zay, Édouard Daladier, Georges Mandel ou Pierre Mendès France sont partis sur le Massilia vers Casablanca, où ils sont assignés à résidence -, en d’autres termes, un climat général de peur, d’aveuglement et d’ambitions personnelles explique le vote des pleins pouvoirs constituants en faveur du maréchal Pétain le 10 juillet. L’adhésion des parlementaires présents est massive : aux 569 voix favorables au nouveau régime (dont la plupart des socialistes et des radicaux) ne s’opposent que 80 voix (en majorité de la SFIO et du Parti radical), et l’on dénombre 20 abstentions. À partir de ce moment, comme le précise le rapporteur du projet, « le gouvernement du maréchal Pétain reçoit les pleins pouvoirs exécutif et législatif [...] sans restriction, de la façon la plus étendue ». Seule limite, à la date du 10 juillet, interdiction est faite à Philippe Pétain de déclarer la guerre sans l’assentiment des Chambres. Par la suite, la légalité du vote du 10 juillet 1940 sera contestée, notamment par les gaullistes. Le non-respect de la procédure ou l’amendement d’août 1884 interdisant de remettre en cause la forme républicaine du régime sont les principaux arguments avancés. On ne saurait, pour autant, sous-estimer le mélange de résignation et de consentement des parlementaires présents à Vichy, qui furent, ce jour-là, plus conscients de brader la République que victimes d’un traquenard. Et même si l’armistice signé à Rethondes le 22 juin a constitué, somme toute, une rupture plus importante, le vote du 10 juillet 1940 n’en a pas moins facilité l’installation du régime pétainiste en lui donnant l’apparence de la légalité. assignats, billets gagés sur les biens nationaux, et devenus papiers-monnaies, émis de 1789 à 1796. En novembre 1789, la Constituante décide de nationaliser et de vendre les biens du clergé pour rembourser l’énorme dette de l’État et combler le déficit des finances publiques. L’opération s’annonce d’autant plus fiable que la valeur de ces biens (3 milliards de livres) est, en réalité, quatre fois supérieure à leur estimation. Les 19 et 21 décembre 1789, l’Assemblée crée la Caisse de l’extraordinaire, chargée de recueillir le produit de la vente et dans laquelle sont assignés des bons portant intérêt à 5 %, émis à concurrence de la valeur des biens. Les assignats, qui ne circulent pas encore, sont vendus, moyennant paiement en espèces (pièces métalliques), aux particuliers qui veulent acheter des biens nationaux. Ils doivent, en principe, être détruits à mesure qu’ils reviendront à la Caisse. Malgré une hostilité au papier - très vive depuis l’échec du système de Law -, la Constituante, persuadée que l’augmentation de la monnaie en circulation favorisera les échanges, décide de faire de l’assignat un papier-monnaie. • Un système inflationniste. En septembre 1790, l’intérêt du billet, qui sert déjà au paiement des rentes et aux dépenses courantes de l’État, est supprimé ; son cours forcé, institué ; et le plafond de son émission, porté à 1,2 milliard de livres. Mais l’assignat ne cesse de se déprécier à partir de 1791, provoquant une inflation qui s’accompagne de graves conséquences sociales. La vente des biens nationaux est lente, de même que les effets de la réforme fiscale : l’impôt ne rentre pas, et le déficit se creuse dès 1790 et plus encore 1791. De plus, la circulation monétaire globale s’amenuise - nombre de particuliers thésaurisent la monnaie métallique -, tandis que celle du papier explose. À la fin de 1792, la Législative redresse quelque peu la situation en interdisant les billets émis par des caisses privées et publiques. Mais le manque de confiance est général : downloadModeText.vue.download 65 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 54 depuis le rentier, qui voit ses titres dépréciés, jusqu’au paysan, qui, refusant d’être payé en papier, ne vend pas sa production et accentue, de ce fait, la pénurie des denrées alimentaires. Enfin, rien n’empêche l’État de recourir à des émissions massives. Or la guerre, qui s’intensifie en 1793, requiert d’énormes achats de matériels, payables en numéraire. Tandis que les capitaux sont placés à l’étranger, l’assignat devient la seule monnaie en circulation. La masse de papier-monnaie, qui est de 3,7 milliards de livres en août 1793, passe à 5,5 milliards en juillet 1794, bien au-delà de la valeur des biens nationaux. L’hyperinflation est évitée de justesse grâce à des mesures dirigistes en 1792 et à la « terreur » financière en 1793 : interdictions de la vente du numéraire et du double affichage des prix, fermeture de la Bourse, contrôle des prix avec la loi du maximum... Mais les thermido- riens abandonnent les contrôles économiques durant l’hiver 1794-1795 et multiplient les émissions de billets. En février 1796, la masse de papier en circulation atteint les 34 milliards, et le billet de 100 livres ne vaut plus que 30 centimes en numéraire. Le 30 pluviôse an IV (19 février 1796), l’assignat est supprimé, et la planche à billets, brisée. Cependant, pour éviter une brusque déflation, le Directoire crée les mandats territoriaux, des billets échangeables contre les assignats à raison d’un pour trente, un cours trop favorable à ces derniers. En quatre mois, les mandats, dont le cours forcé est abrogé le 15 germinal (4 avril), perdent toute valeur. Le 5 thermidor (23 juillet), la monnaie métallique est autorisée pour les transactions, et les mandats sont retirés de la circulation entre août et décembre 1796. Durant un an, le pays connaît une formidable déflation. Et si les assignats et les mandats ont alimenté la crise économique et provoqué une situation sociale dramatique, l’État, pour sa part, a su tirer parti de la dépréciation monétaire pour réduire considérablement son endettement : un assainissement parachevé par la « banqueroute des deux tiers » en 1797. Cependant, les Français feront preuve d’une méfiance tenace à l’égard du papier-monnaie. Elle marquera tout le XIXe siècle. associations (loi sur les), loi du 1er juillet 1901, votée au lendemain de l’affaire Dreyfus, qui consacre le principe de la liberté d’association, sans autorisation administrative préalable, mais qui impose des restrictions pour les congrégations religieuses. Ces dernières avaient animé le camp antidreyfusard par leur presse, très influente ; ainsi, le journal des assomptionnistes la Croix manifesta un antisémitisme virulent. Or Waldeck-Rousseau préside depuis 1899 un gouvernement de défense républicaine décidé à sauver la République du danger nationaliste et clérical (« les moines d’affaires et les moines ligueurs »). Il fait donc adopter une loi qui oblige les congrégations à solliciter un agrément législatif, à tenir un état de leurs dépenses et recettes, et à inventorier leurs biens : 60 congrégations masculines et 400 féminines entament ces démarches. WaldeckRousseau envisage une application du texte. Mais, après les élections de 1902, le Bloc des gauches, mené par Émile Combes, transforme cette loi de contrôle en loi d’exclusion : tous les agréments demandés sont refusés, et les écoles des congrégations non autorisées sont fermées (1904), premier pas vers la séparation de l’Église et de l’État, entérinée en 1905. Acte de circonstance concernant les congrégations, la loi de 1901 est pérenne pour les associations : elle repose sur les principes de 1789, liberté et égalité. Une déclaration ne s’impose que si l’association veut être dotée de la capacité juridique. La simple association déclarée est dotée d’une personnalité morale limitée ; elle ne peut donc posséder que les locaux nécessaires à son action. Celle reconnue d’utilité publique par le Conseil d’État jouit de toute capacité morale et civile. L’association déclarée permet d’organiser les partis politiques, et donne naissance au secteur associatif : associations humanitaires, sanitaires et sociales, sportives, d’éducation populaire ou de quartier, qui entendent améliorer la vie quotidienne par la rencontre entre l’initiative individuelle et l’action collective. En 2002, quelque 60 000 nouvelles associations sont fondées et plus d’un million sont en activité ; 50 % des Français y participent. assurances sociales (loi sur les), loi d’avril 1930, complétant des textes de 1924 et 1928, qui institue un régime d’assurances maladie, invalidité et vieillesse. Ces mesures comblent le retard considérable pris par la France sur l’Allemagne depuis 1880, et même sur la Grande-Bretagne depuis 1911. Préparé par Louis Loucheur, puis par Laval, le texte finalement adopté est le résultat de dix années de débats, indépendamment des alternances gauche-droite. La question des assurances sociales devient d’une actualité pressante dès 1920, avec la restitution à la France de l’Alsace, qui continue à bénéficier de la protection sociale bismarckienne. Celle-ci fournit, dès lors, le modèle à suivre. Cependant, les opposants sont nombreux : représentants du corps médical, de la partie du patronat la plus fragile économiquement, des propriétaires fonciers qui jugent les charges prévues insupportables. Quant à l’extrême gauche et à la CGT-U, elles dénoncent le réformisme de la loi, que soutiennent, en revanche, le centre gauche, les socialistes et la CGT, les chrétiens sociaux et la CFTC. Un premier texte de 1928 doit être modifié pour sauvegarder la médecine libérale. Selon les dispositions adoptées, les assurances maladie et retraite obligatoires protègent les salariés dont le revenu est inférieur à un plafond donné. Les caisses remboursent à un taux inférieur aux honoraires des médecins, la différence restant à la charge du malade. La gestion de ces caisses constitue un enjeu très disputé entre le patronat, les syndicats, mais aussi l’Église et, surtout, la mutualité. Réforme sociale majeure, la loi d’avril 1930 est l’oeuvre de forces politiques centristes beaucoup moins passives qu’on ne se plaît à le dire. Astérix, héros de bande dessinée, créé par Goscinny et Uderzo. Lorsqu’il naît avec Pilote, en octobre 1959, le petit Gaulois n’est que le frère en aventures d’Oumpah-Pah, l’Indien de la revue Tintin. Mais, après des débuts d’estime (7 000 exemplaires pour le premier album), Astérix trouve sa place (33 albums traduits dans 57 langues et vendus à près de 300 millions d’exemplaires) dans la mythologie française, à laquelle il renvoie doublement : de manière quasi intemporelle, en captant les réflexes popularisés par le Café du Commerce ou Clochemerle ; et de manière immédiate, en transposant les rêves de grandeur de la France gaullienne (et l’on verra, ainsi, Astérix flanqué d’Obélix aller porter la bonne parole de plus en plus souvent hors des frontières de l’Hexagone). Chauvine et critique, cette bande dessinée pleine de clins d’oeil graphiques et textuels offre un parfait reflet du « Gaulois moderne » : aussi a-t-elle connu un grand succès également au cinéma - huit dessins animés de long métrage sont réalisés de 1967 à 2006 - et hors de l’Hexagone ainsi que deux films (Astérix et Obélix contre César, 1999 ; Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, 2001). Le dernier album (Le ciel lui tombe sur la tête), paru en 2005, a été vendu à près de huit millions d’exemplaires en Europe, dont près de 3,2 millions en France. Un parc d’attractions consacré au petit monde d’Astérix a été ouvert en avril 1989 à Plailly, dans l’Oise. Astier de La Vigerie (Emmanuel d’), journaliste, résistant et homme politique (Paris 1900 - id. 1969). Jusqu’en 1939, cet homme issu d’une vieille famille aristocratique est d’abord un dandy et un dilettante : officier de marine sans vocation, il se tourne par la suite vers le journalisme. Il collabore ainsi à Vu ou encore à Marianne. La défaite de 1940 marque une étape déterminante de sa vie : d’emblée opposé au régime de Vichy, il bascule de la réaction vers la gauche. Après avoir fondé le mouvement de résistance La Dernière Colonne, il met en place LibérationSud, avec Jean Cavaillès et les époux Aubrac. Il participe, sous la houlette de Jean Moulin, à la création des Mouvements unis de Résistance, qui rassemblent Combat, le Franc-Tireur et Libération. À Alger, à l’automne 1943, il est nommé commissaire à l’intérieur du Comité français de libération nationale (CFLN) par le général de Gaulle. Comme beaucoup de résistants, il est évincé du gouvernement peu de temps après la Libération. Commence alors la dernière étape de sa vie publique : compagnon de route du Parti communiste, il est député jusqu’en 1958, et surtout directeur du quotidien Libération. Lâché par le Parti communiste, le quotidien disparaît en 1964. Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui s’est rapproché du gaullisme, anime jusqu’à sa mort une courte émission mensuelle à la télévision. Son destin illustre la diversité sociopolitique des chefs de la Résistance, la liberté de leurs engagements, et leur difficulté à s’intégrer pleinement dans le jeu politique après la guerre. Atelier (l’), journal ouvrier fondé en 1840 par des disciples de Philippe Buchez, ancien saint-simonien. downloadModeText.vue.download 66 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 55 L’Atelier fait partie d’une presse ouvrière qui se développe en France entre la révolution de 1830 et celle de 1848. Il se réclame en partie du saintsimonisme ; démocrate, il dénonce le régime et réclame le suffrage universel ; enfin, parce que l’unité sociale ne peut reposer que sur un lien spirituel, il est catholique. Mais il se fait surtout l’apôtre de l’idée d’association ouvrière : les ouvriers doivent s’unir pour produire, et recevoir ainsi le fruit intégral de leur travail. Jusqu’en février 1848, l’Atelier est considéré comme le plus influent des journaux ouvriers, bien qu’il n’ait jamais tiré à plus de 1 500 exemplaires. Les locaux du journal tiennent lieu de club pour les ouvriers parisiens, et nombre d’« ateliéristes », qui appartiennent pour la plupart à l’élite ouvrière, jouent un rôle important sous la IIe République. En 1849, le titre se met à décliner, concurrencé par d’autres feuilles. L’élection de Louis Napoléon Bonaparte et la loi sur la presse de juillet 1850, qui impose un cautionnement trop élevé pour les publications modestes, signent sa perte. Avec d’autres journaux, telle la Ruche populaire, l’Atelier symbolise une période où la parole fut valorisée comme une arme pour rassembler la classe ouvrière et lutter contre les bourgeois. Ces « ouviers-écrivains » voulaient affirmer l’identité propre du monde du travail par une utilisation de ce qui était jusqu’alors le privilège des puissants : le discours. ateliers de charité, établissements d’assistance publique, apparus à l’époque moderne, qui reposent sur des travaux d’intérêt général confiés aux plus défavorisés. L’emploi de pauvres à des ouvrages de voirie remonte au moins au XVIe siècle, et c’est alors une peine qui réprime l’oisiveté. • Des ateliers de charité... De véritables ateliers de charité apparaissent sous le règne de Louis XIV, mais ils se multiplient surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils répondent au souci d’assister par le travail et de fournir un salaire plus qu’une aumône. Des établissements textiles sont organisés pour femmes, enfants, vieillards, tandis que des chantiers routiers sont ouverts pour les hommes. Cette politique devient systématique à partir d’une instruction du contrôleur général Joseph Marie Terray (11 octobre 1770). Turgot, qui, intendant du Limousin, en avait établi, les favorise durant son ministère, procurant ainsi des secours aux journaliers sans emploi. Les états provinciaux, lorsqu’ils subsistent, ainsi que les assemblées provinciales, créées en 1787, soutiennent aussi la formule. Au temps de la Révolution, des ateliers de secours ont fonctionné à Paris jusqu’en 1791. On dut en rouvrir en 1808. • ... aux ateliers nationaux. Mais c’est surtout à l’occasion de la révolution de 1848 qu’ils réapparaissent. Dans l’Organisation du travail (1839), Louis Blanc avait préconisé la création d’ateliers sociaux. Financés par l’intermédiaire de l’État, dirigés par des cadres élus, ils devaient distribuer des salaires égaux. Le reste des bénéfices aurait servi à soutenir les malades et à créer des emplois. Le Gouvernement provisoire de 1848, qui comprend Louis Blanc et l’ouvrier Albert, proclame le droit au travail dès le 25 février. Aussitôt après, il crée des ateliers nationaux, contrôlés par la commission du gouvernement qui siégeait au Luxembourg. Marie, en charge du portefeuille des Travaux publics, et Émile Thomas, directeur, les mettent en place. Dans une organisation de type militaire affluent des sans-travail, dont le nombre dépasse 100 000 dès le mois de mai et qui sont surtout employés à des travaux de terrassement, lorsqu’on ne doit pas les mettre au chômage en leur payant seulement un demi-salaire. Les ateliers nationaux permettent à beaucoup de familles de survivre. Mais on les accuse d’être coûteux, de susciter une concurrence déloyale aux autres ouvriers, et les Ponts et Chaussées leur sont hostiles. Après les élections du 23 avril, l’Assemblée constituante accentue ces critiques, ajoutant que les ateliers nationaux sont un lieu d’agitation bonapartiste. C’était reprendre les conclusions du rapport de la commission d’enquête, dirigée par le légitimiste Falloux. Le nouveau directeur, Lalanne, établit le travail à la tâche, suspend les inscriptions, supprime le service médical. Puis le gouvernement annonce l’envoi de 5 000 ouvriers en Sologne, et invite ceux âgés de 18 à 25 ans à opter entre licenciement et engagement dans l’armée. Ces mesures contribuent à l’insurrection des 23-26 juin, que Cavaignac réprime dans le sang. Les ateliers nationaux, un symbole de la république généreuse de février, avaient vécu. ateliers nationaux ! ateliers de charité Atlantique (mur de l’), ensemble de fortifications édifiées par les Allemands de 1941 à 1944, du cap Nord au golfe de Gascogne. Constitué de blockhaus, de casemates d’artillerie, d’obstacles minés, de fossés antichars, le dispositif est censé protéger la côte contre un débarquement allié qui apparaît de plus en plus probable à partir de 1942. Après la nomination du maréchal Rommel à la tête des armées de la Manche et de la mer du Nord (1943), les opérations de renforcement de la « grande muraille de l’Ouest » sont considérables, en particulier sur la côte normande. Hitler redoute en effet que le débarquement n’y prenne appui : « En aucun cas nous ne pouvons tolérer que le débarquement allié dure plus de quelques jours, sinon quelques heures », dit-il à ses généraux au début de l’année 1944. Durant tout le printemps, la défense s’active. Mais le mur de l’Atlantique n’est pas le système de fortifications sans faille que décrivent Goebbels et les services de propagande nazis. Le 6 juin 1944, il ne fait illusion que quelques heures. Cependant, il se révèle suffisamment tenace pour que le général Bradley, à Omaha-Beach (entre Saint-Laurentsur-Mer et Vierville-sur-Mer), envisage le repli des premières vagues d’assaut. La percée du mur de l’Atlantique est le résultat d’une planification hors pair et d’une chaîne de commandement remarquablement intégrée ; elle prouve également qu’aucun dispositif de défense linéaire ne peut, dans les guerres modernes, entraver durablement l’élan de l’ennemi. Aubigné (Théodore Agrippa d’), écrivain (Pons, Saintonge, 1552 - Genève 1630). La vie entière d’Agrippa d’Aubigné est scandée par ses luttes verbales et guerrières au service du parti calviniste. Élevé dans les principes de la Réforme, l’enfant est marqué, dès l’âge de 8 ans, par la vision des suppliciés d’Amboise : son père lui fait promettre, devant les cadavres des conjurés, de vouer toutes ses énergies à la défense de la cause protestante. Après la mort du père, Agrippa achève rapidement ses études et part au combat, où il fait montre d’une remarquable bravoure. Devenu compagnon d’Henri de Navarre, il échappe de justesse au massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Quatre ans plus tard, il aide le roi de Navarre à quitter la cour de France, où Charles IX le retenait contre son gré. C’est en 1577, après avoir été grièvement blessé au combat de Casteljaloux, qu’il dicte les premiers vers des Tragiques, vaste poème épique qui l’occupera quarante années durant. Entreprise au plus fort des guerres de Religion, l’oeuvre ne sera éditée qu’en 1616 : elle portera pour seule mention d’auteur les lettres LBDD (« le Bouc du désert »), une allusion au surnom qu’a valu à d’Aubigné sa défense intransigeante de la foi réformée. Son imperturbable droiture lui attire d’ailleurs, au fil des années, quelques brouilles avec Henri de Navarre, dont il n’hésite pas à stigmatiser l’attitude sinueuse. Violemment opposé à l’abjuration du futur roi de France, il cherche à la contrecarrer par tous les moyens. Son échec l’amène, en 1593, à se retirer sur ses terres. Éloigné de la cour, il se consacre à l’enrichissement des Tragiques et rédige une Histoire universelle consacrée au parti protestant en France. Compromis en 1620 dans le soulèvement des « grands » contre le duc de Luynes, favori de Louis XIII, il s’enfuit à Genève, où il termine ses jours. Au regard de l’histoire littéraire, Agrippa d’Aubigné est surtout le poète des Tragiques, une immense fresque d’inspiration biblique où les luttes religieuses de l’époque s’inscrivent dans l’éternelle opposition entre élus et réprouvés. Mais le poète est également historien, pamphlétaire, soldat, négociateur politique et religieux : couvrant tous les champs d’action et tous les domaines d’expression de son temps, passant de l’horreur des combats à la méditation silencieuse des textes sacrés, Agrippa d’Aubigné aura placé sa longue existence sous le seul signe de l’allégeance fougueuse à la cause réformée. Augereau (Charles Pierre François), maréchal d’Empire (Paris 1757 - La Houssaye, Seine-et-Marne, 1816). La Révolution fait la fortune de ce soldat d’origine modeste, engagé à 17 ans, avant de devenir mercenaire au service de la Prusse, de l’Autriche et du royaume de Naples. Enrôlé en 1790 dans la Garde nationale, puis dans l’armée, il accède au grade de général de division en 1793. En 1795, il rejoint l’armée d’Italie, s’illustre notamment à Castiglione et à Arcole, au côté de Bonaparte, dont il devient l’auxiliaire privilégié. Celui-ci le dépêche à Paris en 1797 avec pour mission d’aider le Directoire à se défaire des royalistes, une tâche dont il downloadModeText.vue.download 67 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 56 s’acquitte en étant le bras armé du coup d’État du 18 fructidor an V. Il n’obtient pourtant en récompense que différents postes militaires avant d’être élu, en avril 1799, député au Conseil des Cinq-Cents, où il siège dans les rangs de la gauche républicaine. Opposant au coup d’État du 18 brumaire, il se rallie par la suite à Napoléon Ier, qui le fait maréchal d’Empire en 1804, et duc de Castiglione en 1808. Lors de la campagne de France de 1814, il est chargé d’arrêter la progression des armées coalisées dans le Sud-Est. Mais il abandonne Lyon aux Autrichiens et se rallie à Louis XVIII, lançant, le 16 avril, une proclamation hostile à l’Empereur. Malgré ses efforts pour rentrer en grâce lors des Cent-Jours, cette défection - dont on ignore si elle se fit en intelligence avec l’Autriche - lui vaut d’être rayé de la liste des maréchaux en avril 1815. Il est mis en disponibilité en décembre suivant, pendant la seconde Restauration. Augsbourg (guerre de la Ligue d’), conflit qui oppose la France à la majeure partie de l’Europe de 1688 à 1697. La politique des réunions (annexions en temps de paix) inquiétait les États allemands. Par la ligue d’Augsbourg (juillet 1686), l’empereur Léopold Ier, la Bavière, le Palatinat, la Suède, l’Espagne et la Savoie passent une alliance défensive contre les visées françaises. Pourtant allié traditionnel de la France, le Brandebourg, puissance protestante choquée par la révocation de l’édit de Nantes, les rejoint, de même que les Provinces-Unies. Louis XIV continue sa « défense agressive » en prenant des gages sur le Rhin. Il revendique pour sa belle-soeur, princesse Palatine, une part à la succession du Palatinat. Il pousse un protégé, l’évêque de Strasbourg, à se porter candidat à l’évêché de Cologne. Le problème allemand se double d’un conflit avec le pape au sujet du statut de l’ambassade à Rome : les troupes françaises occupent Avignon en octobre 1688. Enfin, Louis XIV soutient Jacques II d’Angleterre, catholique convaincu, contre ses sujets protestants, qui font appel au stathouder des Provinces-Unies, Guillaume d’Orange, ennemi juré de la France (juillet 1688). Isolée diplomatiquement, la France croit se sauver par l’offensive. En octobre 1688, son armée occupe la rive gauche du Rhin, dévaste le Palatinat, brûle Heidelberg : cette politique de terreur, prônée par Louvois et redoublée en 1693, indigne l’Europe et reste encore dans la mémoire allemande. Des soldats sont expédiés en Irlande avec Jacques II (qui s’était réfugié en France après le débarquement de Guillaume d’Orange), mais cette tentative de restauration s’achève par la défaite de la Boyne (1690). Aux Pays-Bas, les Français prennent Namur et Charleroi, sont vainqueurs à Fleurus (1690) et à Neerwinden (1693) ; un second front en Catalogne progresse lentement (prise de Rosas en 1693, de Barcelone en 1697). Sur mer, face à la coalition anglohollandaise, la France, victorieuse à Béveziers, subit la défaite de La Hougue (1692) ; dès lors, elle réoriente sa stratégie vers la guerre de course, dans laquelle s’illustre Jean Bart. Le conflit s’étend aux colonies (Indes, Sénégal, Antilles, Canada). Les belligérants s’épuisent sans obtenir de succès décisifs. La défection de la Savoie en 1696 neutralise enfin le front italien, et la médiation suédoise permet de conclure les traités de Ryswick (septembre-octobre 1697). Louis XIV reconnaît Guillaume d’Orange comme roi d’Angleterre, garde Strasbourg, mais rend la plupart des réunions. Victime des traités de paix depuis cinquante ans, l’Espagne ne perd rien cette fois-ci. La France a tenu seule contre l’Europe, mais elle doit accepter une paix de compromis. Aumale (Henri Eugène Philippe d’Orléans, duc d’), général et homme politique (Paris 1822 - Zucco, Sicile, 1897). Cinquième fils du roi Louis-Philippe, le duc d’Aumale reçoit, comme ses frères, une éducation « démocratique » au lycée Henri-IV. Il embrasse ensuite la carrière militaire et, lors de la conquête de l’Algérie, se distingue par la prise de la smalah d’Abd el-Kader (mai 1843). Cet exploit lui vaut d’être nommé général à 22 ans, puis, en 1847, gouverneur de l’Algérie, poste qu’il doit quitter lors de la révolution de 1848 pour s’exiler à Londres. Après la chute du second Empire, il rentre en France, est élu député de l’Oise (1871) et contribue au renversement de Thiers. Rétabli dans son grade de général, il préside le conseil de guerre qui juge Bazaine. En 1886, ayant protesté contre le décret qui écarte de l’armée les membres des anciennes familles régnantes, il est rayé des cadres et proscrit, avant d’être rappelé, trois ans plus tard, par le président Carnot. Exilé à deux reprises, réduit à l’inactivité, le duc d’Aumale perd, en outre, sa femme et ses sept enfants. Face à l’adversité, il se fait historien et collectionneur. Héritier du domaine de Chantilly, il fait reconstruire le château en 1875 pour y abriter ses collections de peintures, de livres et d’objets précieux – dont le manuscrit des Très Riches Heures du duc de Berry –, qu’il lèguera à l’Institut. Son projet visait à transformer le château en « un monument complet et varié de l’art français dans toutes ses branches, et de l’histoire de [sa] patrie à des époques de gloire ». aurignacien, civilisation préhistorique qui se répand en France entre 30 000 et 25 000 ans avant J.-C. environ. C’est le premier faciès du paléolithique supérieur, c’est-à-dire d’Homo sapiens sapiens, ou « homme moderne », qui, à partir de cette période remplace partout en Europe l’homme de Néanderthal. En l’état actuel des connaissances, Homo sapiens serait apparu en Afrique de l’Est et au Proche-Orient il y a quelque 100 000 ans, puis aurait gagné progressivement l’Europe à partir du Sud-Est, comme en témoigne l’apparition vers 40 000 ans avant J.C., dans la grotte de Bacho Kiro (Bulgarie), de l’aurignacien le plus ancien que l’on connaisse. En France, l’aurignacien, identifié en 1860 par Édouard Lartet dans la grotte périgourdine d’Aurignac, est surtout présent dans le Sud-Ouest, plus discrètement en Languedoc, en Bourgogne et dans l’Est. Il se caractérise par un outillage en silex composé de « lames », c’est-à-dire d’éclats de pierre allongés et réguliers, dont la production requiert une grande maîtrise technique, et qui permettent la confection d’outils performants et faciles à emmancher. Pour la première fois aussi sont utilisés systématiquement des outils en os ou en bois de cerf : sagaies, poinçons, perles, plaquettes, etc. Les hommes de l’aurignacien vivaient soit à l’entrée de grottes ou d’abris, soit dans des campements de plein air, qui ont laissé peu de traces, hormis des foyers. Des tombes sont connues, comme celles du célèbre abri de CroMagnon (aux Eyzies, en Dordogne). Les morts sont ensevelis, parfois avec leurs outils ou leurs parures, et recouverts d’ocre rouge, qui a pu être saupoudrée sur le corps, à moins qu’elle ne soit le vestige d’une teinture des vêtements. Des formes simples d’art sont attestées : gravures stylisées sur la pierre ou l’os, représentant parfois des sexes féminins ou des animaux. À l’aurignacien succède le gravettien. Auriol (Vincent), homme politique (Revel, Haute-Garonne, 1884 - Paris 1966). Fils de boulanger, il obtient son doctorat en droit à Toulouse, où il fonde en 1905 le journal le Midi socialiste. En 1914, il est élu député socialiste dans l’arrondissement de Muret et devient très rapidement un proche de Léon Blum, qu’il suit au congrès de Tours dans la minorité fidèle à la SFIO. Spécialiste des finances à la Chambre, président de la commission des Finances pendant le Cartel des gauches (1924-1926), il est choisi par Léon Blum comme ministre des Finances du Front populaire, de juin 1936 à juin 1937. Malgré ses promesses électorales, Auriol est obligé de dévaluer le franc dans de mauvaises conditions. Redevenu simple député, il fait partie, le 10 juillet 1940, des quatre-vingts parlementaires qui refusent de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Placé en résidence surveillée par Vichy, il s’échappe et gagne Londres en octobre 1943. Député de la Haute-Garonne en octobre 1945, ministre du général de Gaulle en novembre, président des deux Assemblées constituantes, il se bat pour l’adoption de la Constitution. En janvier 1947, il est élu par le Congrès, au premier tour, premier président de la IVe République. Fidèle à l’esprit de la Constitution, il voit dans ce poste une « magistrature morale », et n’intervient pas directement dans les décisions politiques, ce qui ne l’empêche pas d’occuper une place importante de conseil et d’exercer son influence. Au terme de son mandat, il ne joue plus de rôle actif, mais se manifeste, jusqu’à sa mort, par son opposition à la Ve République. À travers toute sa longue carrière politique, ce méridional fidèle à ses origines populaires, parlementaire par tempérament et par conviction, a su incarner la synthèse des traditions socialistes et républicaines françaises. Austerlitz (bataille d’), victoire des troupes françaises sur les austro-russes – également appelée « bataille des Trois Empereurs » (2 décembre 1805) –, qui marque le terme de la campagne d’Allemagne engagée en septembre 1805. Napoléon, qui affronte une coalition anglorusso-autrichienne (dite « troisième coalition »), mène une guerre éclair contre les downloadModeText.vue.download 68 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 57 puissances alliées. Après avoir franchi le Rhin le 25 septembre, il remporte une première bataille à Ulm (20 octobre), qui lui ouvre la route de Vienne, où il fait son entrée le 13 novembre. Malgré ce succès rapide, les armées alliées ne sont ni désorganisées ni battues. Napoléon a besoin d’une victoire décisive pour préserver son avantage, d’autant que, le 21 octobre, la flotte française a été décimée à Trafalgar, ce qui rend désormais impossible tout débarquement en Angleterre. Napoléon poursuit donc les alliés vers le nord. Mais le temps presse : les Français sont loin de leurs bases, et les Austro-Russes se renforcent à mesure de leur retraite, qui se déroule en bon ordre. En outre, Napoléon se méfie de la Prusse, restée neutre dans le conflit mais qui pourrait bien se décider à intervenir. Dès lors, pour favoriser l’affrontement, il tend un piège à ses adversaires : le 21 novembre, il s’arrête près de Brünn et feint d’entamer un repli. Il engage même de fausses négociations avec le tsar Alexandre Ier, laissant ainsi supposer qu’il est dans une position de faiblesse. Les AustroRusses tombent dans le piège et choisissent de livrer bataille avant même l’arrivée de renforts. Il est vrai qu’ils jouissent d’un avantage numérique confortable : 90 000 hommes, contre 75 000 du côté français. Le 1er décembre, ils occupent donc le plateau de Pratzen, non loin du village d’Aus- terlitz. Napoléon a volontairement dégarni son aile droite, celle qui contrôle la route de Vienne, afin de les décider à attaquer. Le 2 décembre au matin, alors que les troupes françaises sont dissimulées par un épais brouillard, les alliés chargent là où Napoléon l’avait prévu, près de Telnitz. L’aile droite française résiste, puis cède du terrain. Les Austro-Russes croient tenir la route de Vienne. C’est alors que Napoléon lance les corps du maréchal Soult au coeur du dispositif allié, dégarni, sur le plateau de Pratzen. En début d’après-midi, la victoire est acquise. Le brouillard s’est dissipé, le soleil brille sur Austerlitz. Napoléon célèbre ainsi par un triomphe l’anniversaire de son accession au trône impérial. Austerlitz devient, le jour même, l’objet d’une légende inscrite dans la geste de la Grande Armée : la légende du génie militaire de l’Empereur et de la France invincible. Austrasie, royaume mérovingien émergeant au cours du VIe siècle entre Meuse et Rhin. Des partages qui démembrent à plusieurs reprises le royaume franc au cours du VIe siècle naissent trois ensembles régionaux durables : la Neustrie – ou pays des Francs du Nord –, la Bourgogne et l’Austrasie - pays des Francs de l’Est. La Neustrie est le pays de Clovis, berceau des Francs Saliens, et l’Austrasie celui des Francs du Rhin, vaincus par Clovis mais soucieux de leur individualité. En 511, Thierry, fils aîné de Clovis, reçoit les terres les plus orientales du royaume, depuis la Champagne jusqu’au-delà du Rhin, future Austrasie. En 561, cet ensemble échoit à Sigebert, petit-fils de Clovis, tandis que son frère Chilpéric reçoit la partie nord du royaume, avec Soissons pour capitale, future Neustrie. Dès ce moment, l’opposition entre les deux royaumes est prévisible. Elle prend corps à l’occasion d’une querelle familiale, lorsque Brunehaut, femme de Sigebert, cherche à venger la mort de sa soeur Galswinthe, épouse de Chilpéric assassinée par la maîtresse de celuici, Frédégonde. La reine Brunehaut, qui exerce de 568 à 613 un pouvoir souvent contesté, est confrontée à une lutte acharnée. Sous le règne de Sigebert Ier, son mari, puis sous ceux de Childebert II, leur fils, de ses petits-fils enfin, elle s’oppose à la fois à la Neustrie et à la noblesse austrasienne, qui allie grands propriétaires terriens et hommes d’Église. Vainqueur de Brunehaut en 613, Clotaire II, roi de Neustrie, parvient à réunir la totalité des domaines francs sous son autorité. Pour peu de temps, car les grands d’Austrasie obtiennent, en 623, que Clotaire leur délègue son fils, Dagobert, comme roi. Ce dernier, avant d’être à son tour seul roi des Francs, apprend donc l’exercice de la royauté en Austrasie, sous la tutelle de Pépin Ier de Landen, maire du palais, et de l’évêque de Metz, Arnoul. Leur alliance permet aux descendants de Pépin de s’imposer comme maires du palais aux successeurs de Dagobert à partir de 640. Désormais, les rois mérovingiens sont supplantés par les maires du palais, mais ces derniers reprennent à leur compte la rivalité entre Austrasie et Neustrie. Durant la seconde moitié du VIIe siècle et la première moitié du VIIIe, le pouvoir de la famille des Pépin (les Pippinides), ancêtres de Charlemagne, ne cesse de s’affermir. Pépin II de Herstal l’emporte en 687 sur le maire du palais de Neustrie et reconstitue l’unité du royaume franc autour de l’Austrasie. Sous les Carolingiens, l’Austrasie est le centre de l’Empire, base solide pour les conquêtes de Charlemagne au-delà du Rhin. Avaricum, capitale du peuple gaulois des Bituriges, située à l’emplacement de l’actuelle Bourges. Cette ville, établie sur un éperon calcaire, au confluent de l’Auron et de l’Yèvre, et que l’on disait « la plus belle de la Gaule », était entourée de puissants remparts, de type murus gallicus, composés d’une armature constituée de poutres renforcées de clous en fer, et bourrée de terre et de pierres : ces fortifications permettaient de résister à la fois au feu et au bélier. D’après César, elle présentait un urbanisme organisé, possédant une place publique et des monuments. Mais son emplacement, sous la Bourges actuelle, où se sont succédé une ville romaine, puis une cité médiévale, n’a pas facilité, jusqu’à présent, les recherches archéologiques, les niveaux celtiques primitifs se trouvant sous plusieurs mètres de remblai. Néanmoins, des fouilles, dans le cadre d’interventions de sauvetage mais aussi de manière plus systématique, ont été récemment entreprises. La prise d’Avaricum constitue l’un des événements les plus dramatiques de la guerre des Gaules. Durant le soulèvement déclenché en 52 avant J.-C., Vercingétorix ordonne de brûler champs, villages et villes, afin d’affamer l’armée romaine, mais il épargne Avaricum, que les Bituriges considèrent comme imprenable. César s’en empare pourtant en avril de la même année, au terme d’un siège implacable à l’issue duquel tous les habitants sont massacrés. Durant l’occupation romaine, la ville deviendra la capitale de l’« Aquitaine première », dans les limites actuelles de son archevêché. Avars, peuple d’origine turco-mongole vaincu par Charlemagne. Mentionnés pour la première fois dans une chronique byzantine en 568, les Avars, établis dans la moyenne vallée du Danube (Pannonie), font partie des peuples nomades venus d’Asie centrale et sont souvent confondus avec les Huns. Ils se heurtent à l’Occident, sous le règne de Charlemagne. Leur chef, qui porte le nom de khagan, les mène piller les régions voisines, jusqu’en Bavière. Or Tassilon III, duc de Bavière, fait alliance avec eux, ajoutant ainsi, pour Charlemagne, aux difficultés déjà créées par les Saxons, les Frisons et les peuples slaves. Les campagnes de Charlemagne contre les Avars s’inscrivent donc dans l’effort de pacification de la partie orientale de l’État franc. Dès 787, Tassilon III est accusé de trahison, puis enfermé. Une première expédition (788) met en fuite les Avars aux frontières du Frioul, mais les événements sérieux se déroulent en trois campagnes : 791, 795 et 796. C’est lors de la dernière expédition qu’est détruit et pillé le ring des Avars, ville de tentes entourée d’une enceinte fortifiée. L’évangélisation s’organise ensuite, prélude à l’assimilation, achevée en 811, lorsque le khagan, converti au christianisme, vient rendre hommage à Charlemagne. Dix ans plus tard, il n’est plus fait mention des Avars. Malgré les efforts des archéologues hongrois pour ressusciter un passé supposé glorieux, on n’en sait guère plus sur ce peuple. Avenir (l’), quotidien catholique libéral fondé par Lamennais, Gerbert et de Coux, que rejoignent Lacordaire, Montalembert, Eckstein et Rohrbacher, et dont le premier numéro paraît le 16 octobre 1830. Le titre et sa devise - « Dieu et liberté » - expriment l’aspiration de ses fondateurs : faire entrer le catholicisme dans le monde moderne en rompant les liens avec la royauté déchue, en soutenant les revendications libérales et en puisant aux sources du christianisme. Ainsi, le journal réclame-t-il les libertés nécessaires à la rénovation catholique : séparation de l’Église et de l’État, suppression du monopole universitaire, libertés de la presse et d’association. Élargissant le champ de ses préoccupations aux domaines politique et social, il considère avec bienveillance les insurrections libérales en Europe, et exalte les causes polonaise et irlandaise. Dans les milieux conservateurs et traditionalistes, l’Avenir apparaît comme un journal subversif. Le pouvoir traîne Lamennais et Lacordaire devant les tribunaux, et fait saisir le quotidien, tandis qu’une partie de l’épiscopat intrigue contre cette publication, dont les idées progressent chez les jeunes ecclésiastiques. Après avoir suspendu la parution, le 15 novembre 1831, Lamennais et Lacordaire tentent de plaider leur cause devant le pape Grégoire XVI qui, dans l’encyclique Mirari vos (15 août 1832), condamne finalement les idées du christianisme libéral. Malgré sa courte durée de vie et sa faible audience (1 500 abonnés), l’Avenir a marqué une étape essentielle sur le chemin de la démocratie chrétienne. downloadModeText.vue.download 69 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 58 aveu et dénombrement, au Moyen Âge et jusqu’à l’époque moderne, acte par lequel un vassal déclare tenir un fief de son seigneur et en décrit le contenu. L’aveu et dénombrement appartient au système des relations vassaliques : il se développe à mesure que se structure le droit féodal. La genèse en est la suivante : l’hommage et le serment de fidélité du vassal sont suivis de l’« investiture », par laquelle le seigneur remet le fief, bien concédé en échange. Dès l’origine, cette opération revêt un aspect formel, symbolisé, lorsque le bien est une terre, par la remise d’un fétu de paille, puis par la « montrée » du fief, c’est-à-dire la chevauchée jusqu’au domaine concerné. À partir du XIIe siècle va s’ajouter, puis se substituer, à cette manifestation la rédaction d’un écrit faisant l’inventaire du fief. Cette procédure, obligatoire au XIIIe siècle, devient peu à peu l’acte essentiel, le socle même du contrat vassalique. La description gagne bientôt en précision, surtout lorsque s’établissent l’hérédité et la « patrimonialité » des fiefs : pour rappeler et préserver ses droits, le seigneur exige de tout nouvel acquéreur un aveu et dénombrement, au plus tard quarante jours après l’hommage et la foi. À défaut, il est en droit de faire saisir le fief. Il bénéficie lui-même d’un délai - quarante jours à Paris, trente ans dans le Midi - pour approuver ou amender la description rédigée par le vassal. Au fil du temps, la procédure évolue : d’abord établi devant témoins et revêtu du sceau authentique, l’aveu et dénombrement devient un acte notarié, rédigé sur parchemin. À partir du XVe siècle, le formalisme est encore accentué pour les fiefs mouvants de la couronne : les actes doivent être présentés par les vassaux aux baillis et sénéchaux (XVe siècle), puis aux trésoriers de France (fin du XVe et XVIe siècle), et vérifiés par les bureaux de finance et les chambres des comptes. La publicité en est ainsi assurée. L’aveu et dénombrement, élément de la construction féodale, subit donc peu à peu l’emprise de l’administration, fer de lance d’un pouvoir royal qui étend ses prérogatives. Avignon (papauté d’) ! papauté d’Avignon avortement. Le Code pénal napoléonien, dans son article 317, définissait l’avortement comme un crime punissable de réclusion pour la femme et pour tout individu lui ayant apporté son aide. C’était reprendre des dispositions anciennes, initialement inspirées par les Pères de l’Église et réaffirmées notamment par une bulle de Sixte Quint de 1588. • Des sanctions sévères mais inefficaces. Les sanctions incombaient aux justices seigneuriales, leur sévérité pouvant être atténuée lorsque l’avortement était dû à l’impossibilité de nourrir l’enfant plutôt qu’au souci de cacher « le crime de fornication ». La peine était également moins lourde lorsque étaient victimes de l’avortement les foetus masculins de moins de soixante jours et les foetus féminins de moins de quatrevingts jours, termes considérés comme les temps de passage de l’inanimé à l’animé, plus tardifs pour la fille que pour le garçon. Le Code d’Henri III de 1556 punissait de mort, au nom du roi, l’avortement qui privait l’enfant de baptême, cette disposition étant confirmée sous Henri III en 1586, sous Louis XIV en 1707, puis sous Louis XV en 1731. La sévérité constante des textes n’eut cependant que des effets limités, et les cas d’avortements donnant lieu à procès furent relativement rares, car ils touchaient à un secret de famille rarement dévoilé. C’est seulement en 1923 que l’avortement cesse d’être considéré comme un crime. Désormais qualifié de délit, il n’est plus passible de la cour d’assises mais du tribunal correctionnel, et n’est plus pénalisable que par l’emprisonnement et des amendes. Cet adoucissement de sanctions qui n’avaient été que rarement appliquées dans toute leur rigueur théorique a pour contrepartie de priver l’inculpée, et ceux qui ont pu l’assister, de l’indulgence, fréquente, des jurys populaires et de les soumettre à la sévérité des juges. Le Code de la famille de 1939 aggrave les dispositions des textes antérieurs, puisque sont désormais également sanctionnées de lourdes peines de prison les tentatives d’avortement, tandis que l’avorteur peut être poursuivi, en cas d’accident, pour coups et blessures, voire pour homicide, devant la cour d’assises. Les membres du corps médical sont, eux, passibles de sanctions particulièrement lourdes. En 1941, enfin, un texte rétablit la peine de mort comme sanction possible de l’avortement. Cette disposition est appliquée l’année suivante, conduisant à la dernière exécution capitale d’une femme en France. Quelle qu’ait été la volonté de sévérité du législateur, elle reste toutefois de peu d’effet dans l’entre-deux-guerres, puisque ne sont traités qu’environ 400 dossiers par an, alors que les estimations les plus basses avancent un chiffre moyen de 400 000 avortements. • Une tardive libéralisation. On peut parler de libéralisation lorsque l’avortement devient possible à la demande de la femme pour des raisons de santé physique ou psychologique. En France, cette libéralisation remonte aux lois de janvier 1975, décembre 1979 et décembre 1982 relatives à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le vote du texte de 1975 a été précédé par la démonstration de la non-application de la loi, notamment lors du procès de Bobigny (1972), à l’occasion duquel 343 femmes signent une pétition demandant la légalisation de l’avortement et reconnaissent y avoir eu recours. Le manifeste, signé l’année suivante par des médecins déclarant avoir pratiqué l’avortement, ne suscite aucune poursuite. C’est dans ce contexte que le gouvernement fait voter, en décembre 1974, contre la volonté de la majorité et grâce aux voix de la gauche, le texte défendu par Simone Veil. Ses dispositions, promulguées en 1975, sont confirmées en 1979, et complétées en 1982 par une loi sur le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. La libéralisation de l’avortement intéresse l’ensemble des démocraties. Elle intervient en France après l’Abortion Act britannique (1967), et peu de temps avant que des dispositions semblables soient adoptées en Alle- magne (1976), en Italie (1981), en Espagne (1986), en Belgique (1990) ou même en Irlande (1995). avril 1834 (journées du 9 au 14), mouvements insurrectionnels dont l’échec désorganise les oppositions républicaines, notamment à Lyon et à Paris. Les premiers mois de l’année 1834 sont marqués par l’intensification de la lutte menée par le régime de Juillet contre des adversaires républicains déterminés : après avoir obtenu l’adoption d’une loi contre les crieurs publics, le garde des Sceaux Félix Barthe dépose, en février, un projet tendant à limiter les droits des associations. Alors que la Société des droits de l’homme, menacée dans son existence, hésite à s’engager sur-le-champ dans une épreuve de force, les républicains et les ouvriers lyonnais montrent la plus grande détermination : le souvenir des journées de novembre 1831 reste enraciné dans les esprits, et une grève contre la baisse des tarifs, menée par les canuts et encadrée par les mutuellistes, vient tout juste d’échouer. Le 9 avril 1834, tandis que s’ouvre le procès de dirigeants grévistes, l’insurrection éclate à Lyon, tout particulièrement dans le faubourg populaire de la Croix-Rousse. Elle dure six jours. Face à des adversaires peu organisés, les forces de l’ordre se livrent à une reconquête méthodique des quartiers insurgés. Le drame lyonnais trouve des échos dans plusieurs villes françaises : Arbois, Besançon, Châlon-sur-Saône, Clermont, Épinal, Grenoble, Lunéville, Marseille, Saint-Étienne et Vienne connaissent des troubles ponctuels. Le 13 avril, quelques poignées de républicains parisiens érigent une trentaine de barricades, notamment dans les quartiers du Marais et de Montorgueil, et s’engagent dans une lutte sans espoir : la population ne les soutient pas, et la Société des droits de l’homme elle-même, décimée au cours des jours précédents par une vague d’arrestations préventives, reste à l’écart du mouvement. Thiers, ministre de l’Intérieur, confie la direction des opérations militaires à Bugeaud, le commandant de la place de Paris. Les combats font une trentaine de victimes dans la capitale, dont douze rue Transnonain ; elles s’ajoutent aux plus de trois cents morts de Lyon. L’année suivante, les journées d’avril donnent lieu à un « procès monstre » en Cour des pairs. Les débats révèlent de profondes divisions parmi les accusés et leurs avocats. Au fil des mois, la Cour prononce cent trente-neuf condamnations, allant de l’emprisonnement à la déportation. Les verdicts d’avril, puis les lois répressives de septembre 1835, en particulier contre la liberté de la presse, permettent au régime de Juillet d’asseoir son autorité. azilien, la plus ancienne civilisation mésolithique, entre 10 000 et 8 000 ans avant J.-C. environ. L’azilien – du nom de la grande grotte du Mas-d’Azil, dans l’Ariège, fouillée à partir de 1888 – correspond au début de la période de réchauffement climatique qui a suivi la dernière glaciation de Würm. Il se caractérise donc par l’adaptation des populations de chasseurs-cueilleurs du magdalénien (civilidownloadModeText.vue.download 70 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 59 sation précédente) au nouvel environnement issu de ce réchauffement, qui a entraîné la réapparition de la forêt tempérée avec ses espèces animales et végétales actuelles. De fait, on retrouve la tradition magdalénienne des pointes en silex et des harpons en os, avec quelques variantes, dont une tendance à la réduction de la taille de l’outillage, qui s’accentuera ensuite. L’azilien est aussi marqué par la disparition progressive de l’art figuré paléolithique, au profit d’un art schématique, avec, notamment, des galets peints ou gravés couverts de signes abstraits. L’azilien évoluera sans rupture vers le sauveterrien. Azincourt (bataille d’), bataille de la guerre de Cent Ans qui voit le triomphe des troupes du roi d’Angleterre Henri V contre l’armée du roi de France Charles VI, le 25 octobre 1415. Henri V de Lancastre, roi d’Angleterre en 1413, relance la guerre de Cent Ans afin de profiter de l’affaiblissement du royaume de France, alors en pleine guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, et d’affermir son pouvoir en Angleterre. Dès 1414, il revendique toutes les terres continentales des Plantagenêts, de la Normandie à l’Anjou, en passant par la Bretagne, ainsi que la Flandre. Les échanges d’ambassadeurs dans la première moitié de l’année 1415 n’interrompent pas les préparatifs de la guerre. Le 12 août 1415, Henri V débarque en Normandie et met le siège devant Harfleur, qui capitule le 22 septembre. Au début du mois d’octobre, laissant une garnison dans la ville, il reprend le chemin de l’Angleterre. C’est en cherchant à regagner Calais qu’il se heurte à l’armée du roi de France, rassemblée dans la plaine d’Azincourt. En effet, Charles VI a pris l’oriflamme à Saint-Denis le 10 septembre, afin de réunir l’armée royale pour livrer bataille aux Anglais. Contre l’avis des vieux officiers, le roi et les jeunes princes du parti armagnac, alors au pouvoir en France, veulent en découdre. Par mesure de prudence, le duc de Berry, oncle de Charles VI, retient à Rouen le roi et le dauphin. Jean sans Peur, duc de Bourgogne, est écarté de la bataille par le parti armagnac. C’est une armée de 20 000 hommes, mais sans chef véritable, qui se masse dans la plaine d’Azincourt pour y affronter une armée anglaise forte de 12 000 soldats. Devant l’étroitesse du champ de bataille, le plan initial de l’armée française est revu par les princes du parti armagnac, contre les conseils avisés des professionnels de la guerre. Princes et barons de haut rang à l’avant, officiers royaux sur les ailes, « piétaille » à l’arrière : le plan de bataille reproduit l’ordre social en vigueur à cette époque. En face, une armée anglaise disciplinée, archers aux premiers rangs, et des espions bien informés permettent à Henri V de remporter, en quelques heures, la troisième bataille rangée de l’Angleterre au cours de la guerre de Cent Ans. Pour l’armée française, le désastre est immense : dans la boue d’Azincourt périt « la fine fleur de la noblesse française ». On estime à trois ou quatre mille le nombre de tués, Henri V ayant donné l’ordre de faire le moins de prisonniers possible. Charles d’Orléans et d’autres grands seigneurs sont retenus en captivité, mais la noblesse du nord de la France est décapitée, et avec elle l’administration du royaume. Simple défaite sur le plan militaire, Azincourt a pourtant miné un royaume déjà déchiré par la guerre civile. Plus important encore, la société politique est sortie renouvelée de l’épreuve par l’arrivée d’une génération d’hommes issus de régions et de milieux différant de ceux des victimes d’Azincourt. downloadModeText.vue.download 71 sur 975 downloadModeText.vue.download 72 sur 975 Babeuf (François Noël, dit Gracchus), activiste et théoricien révolutionnaire (SaintQuentin, Aisne, 1760 - Vendôme, Loir-et-Cher, 1797). D’origine modeste, cet autodidacte occupe d’humbles emplois avant de tenir à Roye (Somme) un cabinet de feudiste (spécialiste du droit féodal), de 1781 à 1788. Prenant conscience de l’exploitation féodale et des prétentions de l’aristocratie foncière, il dénonce l’inégalité de la répartition des terres. À partir de l’analyse du problème agraire, il conçoit un système idéologique où prime le droit à l’existence, qui évolue, avec la Révolution, vers un projet de république communautaire et égalitariste. Il publie ses réflexions, notamment dans le Cadastre perpétuel (1789), puis dans les journaux auxquels il collabore, ou qu’il édite à partir de 1789. De retour à Roye après un séjour à Paris, il dirige, entre 1790 et 1792, la résistance des paysans picards contre les impôts indirects d’Ancien Régime et les droits féodaux, et prône la loi agraire, un engagement qui lui vaut par deux fois la prison. Républicain de la première heure, il est élu administrateur du département de la Somme en septembre 1792. Cependant, accusé de faux en écriture, puis destitué, il est condamné par contumace à vingt ans de fers. En janvier 1793, il se réfugie à Paris, où il reprend contact avec ses amis cordeliers, et entre dans l’administration des subsistances. Il est arrêté en novembre 1793, puis remis en liberté le 18 juillet 1794. En septembre, il édite le Journal de la liberté de la presse, rebaptisé en octobre le Tribun du peuple ou le Défenseur des droits de l’homme, arme essentielle du babouvisme jusqu’en avril 1796. Hostile au libéralisme économique, à l’heure où l’inflation et la disette font des ravages parmi les plus pauvres, il attaque violemment les thermidoriens et effectue un nouveau séjour en prison (février-octobre 1795). À sa libération, il reprend ses réquisitoires contre le Directoire et publie dans son journal le « Manifeste des plébéiens » (30 novembre), programme politique prônant l’abolition de la propriété B et l’égalitarisme dans la distribution de la production. Contraint à la clandestinité en décembre, mais toujours très actif, il plaide pour l’union des opposants, démocrates, hébertistes ou robespierristes, et est l’instigateur de la conjuration des Égaux, qui vise à renverser le Directoire. Trahis, les conjurés sont arrêtés le 10 mai 1796, et traduits devant la Haute Cour de justice à Vendôme. Le 26 mai 1797, celle-ci prononce deux condamnations à mort, dont celle de Babeuf, guillotiné le lendemain après qu’il eut tenté de se suicider. babouvisme, doctrine politique élaborée pendant la Révolution, principalement par Gracchus Babeuf. S’écartant des théories utopiques du XVIIIe siècle (Mably, Rousseau, notamment), le babouvisme préconise, au nom de l’égalité et dans le cadre d’un contrôle national de l’économie, la mise en commun des biens et des travaux, et la distribution de la production en fonction des besoins de chacun. Rompant avec le mouvement montagnard, l’abolition de la propriété privée, clé de voûte du babouvisme, est cependant contraire aux aspirations des sans-culottes et des paysans. En outre, fondé sur une économie de petits producteurs et élaboré dans une conjoncture de pénurie, le babouvisme ne perçoit pas l’essor de la production industrielle. Toutefois, avec la conjuration des Égaux (1796), il inaugure un type d’organisation révolutionnaire reposant sur l’action clandestine d’un groupe restreint - sorte d’avant-garde - destiné à renverser le régime, et prévoyant l’instauration d’une dictature provisoire. Bien que très minoritaire, il sert de repoussoir au Directoire et au Consulat, permettant de liquider l’opposition démocrate et de rallier les notables effrayés par l’« anarchie égalisatrice ». Exhumé en 1828 par le livre de Buonarroti Histoire de la Conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf, le babouvisme influence profondément la génération révolutionnaire et socialiste de 1830 à 1848, notamment Blanqui, qui fera le lien avec le marxisme. baccalauréat. La tradition française veut que le titre de bachelier soit, avant la licence et le doctorat, le premier des grades universitaires, nommé baccalaureatus dans le latin de la Renaissance, puis « baccalauréat » au XVIIe siècle. • Un examen académique. C’est en 1808 que ce grade, décerné, conformément au monopole de l’Université impériale, par des jurys constitués de professeurs des facultés des lettres et des sciences, devient la sanction des études secondaires. En vertu d’une ordonnance de 1820, il ouvre l’accès aux fonctions de l’État et aux carrières libérales : il faut être bachelier ès lettres pour pouvoir s’inscrire dans une faculté de droit ou de médecine, ou se présenter au concours d’entrée d’une grande école. Nul régime n’a assuré aux lycées de l’État le monopole de sa préparation. Mais le statut de 1808, en vigueur jusqu’en 1849, impose aux candidats de fournir un « certificat d’études » attestant que les deux dernières années de leur scolarité ont été effectuées dans un établissement public. En réalité fleurissent, dès la monarchie de Juillet, ce qu’il devient d’usage de nommer, à partir du milieu des années 1850, des « boîtes à bachot » - les dérivés « bachotage » et « bachoter » feront leur apparition avant la fin du siècle. La liste même des questions étant fixée par un décret de 1840, l’examen tend à se réduire à un exercice de mémoire. La création d’un écrit, toujours en 1840, l’introduction de la dissertation de philosophie en 1864 et, dix ans plus tard, la séparation du baccalauréat ès lettres en deux séries d’épreuves n’ont guère atténué la tendance des programmes à l’encyclopédisme, au stérile abus de la rhétorique, des vers, du thème et du discours latins. • De réforme en réforme. Les réformateurs républicains élaborent une pédagogie nouvelle, dictée par le souci de mieux adapter l’enseignement aux réalités et de faire une juste place à l’expérience. En 1880, la composition française s’impose au détriment de la composition latine. En 1881 est créé le bacdownloadModeText.vue.download 73 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 62 calauréat de l’enseignement spécial, dont le succès prouve qu’il répond à une demande sociale. Il reçoit en 1891 l’appellation de « moderne », avant que la réforme de 1902 vienne établir l’égalité avec la filière « classique ». Ensuite, il n’existe plus que des options, des séries à l’examen du « baccalauréat de l’enseignement secondaire ». Leur nombre et le contenu de leurs programmes évoluent en fonction des réformes apportées aux sections de cet enseignement. Aujourd’hui, le « bac » - diminutif apparu dès 1880 - ne peut être obtenu qu’avec une moyenne de 10 au premier groupe d’épreuves écrites et orales, ou, si elle se situe entre 8 et 10, à l’issue d’un second groupe d’épreuves orales, dites « de contrôle ». Le gouvernement de la Libération, reprenant les termes d’une circulaire de 1937, a rappelé que l’examen devait être « la vérification et non le but des études secondaires ». Le souci de relever le niveau de l’enseignement technique a conduit à créer, en 1945, un « baccalauréat technique », rebaptisé, en 1986, « baccalauréat technologique », diversifié en dix-sept séries, et complété, l’année sui- vante, par un « baccalauréat professionnel ». De réforme en réforme - la dernière en date, appliquée à la session de 1995, a redessiné les contours des huit séries du baccalauréat d’enseignement général -, l’État s’est efforcé de faire face à l’explosion des effectifs dans les collèges et les lycées, suscitée par la gratuité de l’enseignement secondaire (1930), puis par le baby-boom. L’objectif d’amener « 80 % de chaque classe d’âge au niveau du baccalauréat », fixé par Jean-Pierre Chevènement en 1985, n’a été abandonné par aucun de ses successeurs. Diplôme de fin d’études secondaires, ou premier grade universitaire ? Plus que jamais, devant les doléances et les exigences contradictoires dont l’Université française fait l’objet, la question reste posée. bagaudes, terme d’origine celtique désignant, de façon générale, le brigandage rural et, plus précisément, les soulèvements populaires contre les autorités romaines à la fin du IIIe siècle et au début du Ve siècle. Le premier soulèvement dure de 283 à 311 et semble surtout concerner la Gaule du Nord et de l’Est. La crise sociale et économique provoquée par l’anarchie militaire au IIIe siècle a progressivement marginalisé une partie de la population gallo-romaine. En outre, à partir de 284, l’empereur Dioclétien tente de restaurer l’autorité romaine en s’appuyant sur l’armée et en renforçant l’impôt, ce qui aggrave la situation de nombreux paysans. Petits propriétaires ruinés, bergers, artisans sans travail, soldats déserteurs et esclaves en fuite constituent ainsi le gros des révoltés. Leurs revendications sont surtout antifiscales, mais leur organisation en véritables armées et l’élection de leurs chefs comme empereurs attestent aussi leurs velléités sécessionnistes. À la suite de plusieurs campagnes militaires, l’ordre social est finalement restauré, mais, au cours du IVe siècle, le nouvel ordre impérial alourdit encore la pression fiscale et ne parvient pas à éliminer toute trace de brigandage rural. À la fin du IVe siècle et au début du Ve, à l’occasion des nouvelles incursions barbares, de nouveaux soulèvements éclatent, en Champagne, en Picardie, en Armorique, en Aquitaine et dans les vallées alpines. Le rejet de l’impôt reste la cause principale, mais certaines régions, telle l’Armorique, manifestent aussi un profond sentiment anti-romain. Les autorités occupantes, souvent débordées, font généralement appel aux Barbares, tels les Wisigoths en Aquitaine, pour combattre les révoltés. Les bagaudes ont précipité l’effondrement de l’Empire en Gaule. bagne, lieu d’application de la peine des travaux forcés du XVIIIe au XXe siècle. Les galères disparaissent au cours du XVIIIe siècle, du fait de l’évolution des techniques maritimes, et l’ordonnance du 27 septembre 1748 prévoit la création de bagnes portuaires pour l’exécution de la peine des travaux forcés. Des bâtiments pénitentiaires monumentaux sont aménagés dans les grands arsenaux, à Rochefort, Brest et Toulon. Dans ces bagnes sévère, les traditions de la marine perdurent. Les bagnards, encadrés par des gardes-chiourme, se reconnaissent à leur chasuble rouge, à leur bonnet vert (condamnés à perpétuité) ou rouge. À leur arrivée, ils sont soumis au régime de la « grande fatigue », et accouplés par des chaînes ; après quelques années, libérés de leurs compagnons de chaîne, ils subissent le régime de la « petite fatigue ». Ce système de travail forcé permet d’utiliser la population pénale pour la construction et l’entretien des navires et des installations portuaires. • La déportation en Guyane. Ces bagnes fonctionnent jusqu’au milieu du XIXe siècle, et quelques grandes figures, tel Vidocq, nourrissent la mythologie des lieux. Considéré comme l’endroit dangereux où s’est déposée la lie de la société, le bagne apparaît, pour les autorités, moins dur qu’il ne devrait (la mortalité est plus forte en prison). Elles envisagent alors de déporter les forçats dans les colonies, pour les affecter à des tâches d’aménagement. La Guyane - où avaient déjà été proscrits Billaud-Varennes et Collot d’Herbois en 1795 devient terre de bagne en 1852, et l’on expédie les condamnés aux îles du Salut (1852), à Saint-Laurent-du-Maroni (1858) et à Cayenne (1863). Sont fermés les anciens pénitenciers de Rochefort (1852), Brest (1858) et Toulon (1873). L’envoi des condamnés en Guyane s’effectue dans le cadre de la loi sur la transportation du 30 mai 1854, destinée à exclure définitivement les indésirables sociaux par le « doublage » : le bagnard reste sur place, après sa libération, pour une période au moins égale à celle de sa peine, certains devant y séjourner à vie. Les condamnés politiques républicains sont regroupés à l’île du Diable. Les conditions climatiques éprouvantes entraînent une mortalité considérable, qui remet en cause la déportation en Guyane : en 1864, la Nouvelle- Calédonie devient aussi terre de bagne. C’est là que 4 200 communards, parmi lesquels Louise Michel et Henri Rochefort, purgent leur peine entre 1872 et 1880. L’instauration définitive de la République ne change pas profondément le système. Les républicains les plus militants réclament un adoucissement de la discipline, mais la société de la fin du siècle est hantée par la peur des récidivistes. Le bagne est conçu comme le meilleur moyen de les tenir éloignés, de leur permettre de s’amender par le travail tout en valorisant les terres colonisées. Ces idées sont au coeur de la loi de 1885 sur la relégation, qui prévoit que tous les délinquants multirécidivistes seront bannis à vie. En 1888, la Nouvelle-Calédonie étant jugée trop peu dissuasive, les bagnes sont réinstallés en Guyane. Le plus célèbre des détenus de cette période est le capitaine Dreyfus, retenu sur l’île du Diable de 1895 à 1899. Les conditions de vie, d’hygiène et d’alimentation, la dureté du régime des travaux forcés, suscitent de temps en temps des campagnes de presse en faveur de l’aménagement ou de la fermeture des bagnes (reportages d’Albert Londres dans le Petit Parisien, en août-septembre 1923). Ces campagnes, relayées par l’Armée du salut, obtiennent le soutien d’élus guyanais tels que Gaston Monnerville. Pourtant, malgré cette pression, l’administration crée le bagne de l’Inini, en 1931, pour enfermer les révoltés indochinois de Yên Bay. Un décret-loi du 17 juin 1938 supprime la transportation - tout en maintenant la relégation -, mais ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que sont supprimées les colonies pénitentiaires d’outre-mer. Les retours sont organisés de 1946 à 1953. bailliage, circonscription administrative qui apparaît au début du XIIIe siècle et à la tête de laquelle se trouve un bailli. Dans le sud et l’ouest du royaume, cette circonscription s’appelle généralement la sénéchaussée : elle est placée sous l’autorité d’un sénéchal. Le bailliage est subdivisé en prévôtés et châtellenies, et les sénéchaussées méridionales en vigueries et baylies. Le nombre des bailliages et sénéchaussées est allé croissant entre le XIIIe et le XVIe siècle : on en compte 23 vers 1285, 75 en 1461 et près d’une centaine à la fin du règne de François 1er. Les bailliages et les sénéchaussées jouent un rôle essentiel au Moyen Âge. En effet, les baillis, d’abord commissaires royaux temporaires à la fin du XIIe siècle, puis officiers permanents à partir des années 1220-1230, ont des pouvoirs étendus en matière militaire, financière et judiciaire. Ils lèvent le ban et l’arrière-ban ; ils centralisent les taxes et les redevances perçues par les prévôts ; ils président le tribunal du bailliage, qui traite des affaires entre nobles, des cas royaux, et juge en appel des sentences rendues par les châtelains ou les justices seigneuriales. Nommés et gagés par le roi, révocables par celui-ci à tout moment, les baillis ont toujours fait l’objet d’une surveillance attentive de la part des autorités centrales, ainsi qu’en témoignent les nombreuses ordonnances de réforme du XIIIe au XVe siècle, dont la plus célèbre est celle de Saint Louis de 1254. À partir du XIVe siècle, le bailli est assisté par un lieutenant général, homme de loi capable de tenir les assises à sa place. D’autres officiers, tels le receveur et le procureur, l’appuient. Cette multiplication d’officiers spécialisés autour du bailli au XIVe siècle ne signifie pas pour autant un déclin de la fonction. Au contraire, les baillis ont désormais un profil plus politico-militaire ; downloadModeText.vue.download 74 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 63 cette évolution, qui est à mettre en rapport avec la guerre de Cent Ans, explique qu’ils soient dès lors essentiellement recrutés dans les rangs de la noblesse d’épée. Néanmoins, après avoir fortement contribué au développement de l’autorité monarchique durant les deux derniers siècles du Moyen Âge, les baillis voient leur rôle diminuer à partir du XVIe siècle, et ce au profit des gouverneurs. Les bailliages et les sénéchaussées ne sont plus alors que des circonscriptions judiciaires dotées d’un tribunal dont les compétences se réduisent progressivement au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Bailly (Jean Sylvain), savant et homme politique (Paris 1736 - id. 1793). Astronome éminent, féru de littérature, membre de l’Académie des sciences (1763), de l’Académie française (1783), de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1785) ainsi que de plusieurs académies étrangères, il fréquente d’Alembert, Condillac, Lavoisier et Benjamin Franklin, qu’il admire. Sous la Révolution, ce franc-maçon entame une éphémère carrière politique. Après avoir participé à la rédaction du cahier de doléances du tiers état de Paris, il est élu député aux états généraux de 1789, et, président de l’Assemblée, il prête en premier le serment du Jeu de paume. Au lendemain de la prise de la Bastille, il est élu maire de Paris. Le 17 juillet, il reçoit Louis XVI à l’Hôtel de Ville en lui offrant la cocarde tricolore. Il est alors au faîte de sa gloire. Réputé démocrate, il participe au premier comité d’élaboration de la Constitution ; mais, horrifié par des violences populaires qu’il ne comprend pas, il est partisan de mesures répressives. Le 17 juillet 1791, il proclame la loi martiale, et ordonne à la Garde nationale de tirer sur la foule paisible et désarmée qui manifestait au Champ-de-Mars pour protester contre la fuite du roi à Varennes et exiger la mise en jugement du monarque. Haï par les patriotes, il démissionne de la mairie le 12 novembre 1791, et se retire en province. Arrêté en 1793, il est conduit à Paris, témoigne au procès de Marie-Antoinette, puis est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire pour le « crime du 17 juillet ». Il est guillotiné, le 12 novembre 1793, sur les lieux mêmes de la fusillade. bal des Ardents ! Ardents (bal des) Bâle (traités de), nom de trois traités de paix conclus à Bâle en 1795 entre la République française et, respectivement, la Prusse, l’Espagne et la principauté de Hesse-Cassel. Les victoires républicaines de l’été 1794 ont démontré que la Révolution ne peut être vaincue militairement. Un parti de la paix se constitue en Prusse : il s’inquiète de la menace française en Allemagne du Nord, mais aussi du second partage de la Pologne effectué par la Russie et l’Autriche sans son concours. Le roi Frédéric-Guillaume II envoie un émissaire officieux à Bâle en novembre 1794. Les dirigeants français sont divisés, mais le Comité de salut public approuve l’ouverture de négociations. Le premier traité est signé avec la Prusse le 5 avril 1795 : il stipule la fin des combats et l’occupation de la rive gauche du Rhin par la France « jusqu’à la pacification générale avec l’Empire ». Pendant ces pourparlers, le ministre espagnol Godoy envoie, lui aussi, un émissaire. Le deuxième traité est paraphé le 22 juillet 1795 : il met fin à la guerre entre la France et l’Espagne. La République doit quitter la péninsule Ibérique et obtient en contrepartie la partie espagnole de l’île de Saint-Domingue. Enfin, un troisième traité, de moindre importance, est conclu avec le Hesse-Cassel le 28 août 1795. Ces accords ont un grand retentissement en Europe, laissant espérer une pacification générale après trois années de guerre. La rédaction du Projet de paix perpétuelle de Kant est d’ailleurs contemporaine des premières négociations. ban, droit de commander, de contraindre, de punir. Composante du pouvoir barbare, le ban appartient au chef franc, puis au roi franc. Héritant de l’idée romaine de puissance publique, le ban devient au cours du haut Moyen Âge l’expression de l’autorité royale. Il recouvre des prérogatives politiques, militaires, judiciaires et fiscales. Il autorise à convoquer les hommes libres à l’assemblée (plaid) ou à l’armée (ost) et à exiger des prestations financières. Délégué aux représentants du roi dans les provinces, il est le fondement de l’autorité comtale. Lorsque l’autorité royale s’affaiblit, le ban est accaparé par les princes ou les comtes (IXe-Xe siècle), puis par les seigneurs châtelains (Xe-XIIe siècle). En l’absence de contrôle, ses détenteurs l’exploitent à leur profit. La seigneurie banale s’installe en s’arrogeant l’institution judiciaire pour assujettir les paysans libres du territoire sur lequel s’exerce l’autorité seigneuriale. Le terme change alors de sens et devient l’expression d’une domination d’ordre privé et sans limites, fondée sur la confiscation des anciennes prérogatives publiques. Le seigneur du ban impose aux paysans des redevances arbitraires, qualifiées d’exactions : le prix de la sécurité, taille, tolte ou queste ; l’ancien droit royal d’albergue ou de gîte ; des réquisitions ou corvées de travaux publics ; enfin le service de garde du château. Composée du ban de l’ost (convocation à l’ost des vassaux directs) et de l’heriban carolingien (convocation à l’ost de tous les hommes libres sous peine d’amende), devenu l’arrière-ban (service armé dû au roi par tous les Francs), la prérogative militaire est souvent remplacée par un service ou une taxe à l’époque féodale. Le seigneur contrôle et taxe la circulation des biens et des personnes, les activités commerciales, et impose son droit de prévente sur certains produits (banvin) ; il instaure un monopole sur les installations agricoles (four, moulin, pressoir), obligeant les paysans à les utiliser et à acquitter une redevance annuelle (banalités). Les exactions banales sont constestées dès leur instauration ; leur suppression, leur limitation ou leur rachat sont au premier plan des revendications paysannes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. À l’époque moderne, si le sens militaire tombe en désuétude avec le renforcement du pouvoir étatique, le ban reste en usage dans le cadre de la seigneurie pour désigner la pro- clamation publique par le seigneur d’un événement (par exemple, le ban de mariage) ou d’une décision de portée collective (banvin ; mise à ban, qui est la période pendant laquelle il est interdit de pénétrer dans les vignes ou les prés du seigneur). Enfin, il désigne la sentence condamnant à l’exil hors des limites du royaume ou de la juridiction. banalités ! droits seigneuriaux Banque de France, banque centrale du système monétaire et financier français. À l’aube du XIXe siècle, plusieurs projets visent à instituer un organisme de refinancement du système bancaire qui apporterait des fonds aux banques, leur permettant ainsi de mieux escompter les effets de commerce si leurs propres capacités devenaient insuffisantes, soit en période d’expansion, soit en raison d’une crise de confiance liée à une récession. La Banque d’Angleterre, créée dès 1694, et la Banque d’Écosse servent de références. Le rétablissement de la stabilité politique et sociale et de la confiance du monde des affaires permet de réaliser cette ambition. La Banque de France est créée en 1800 par Bonaparte, qui veut associer l’affermissement de son régime et la relance de l’économie. La prudence est de règle : la Banque impose des conditions strictes au réescompte ; trois signatures sont nécessaires ; seules les traites liées à une opération commerciale sont réescomptables, ce qui écarte le papier de crédit couvrant en fait un découvert financier ; les avances directes accordées aux clients doivent être solidement garanties. • Un institut d’émission. À l’origine, l’émission de billets doit être modérée ; il s’agit en effet d’effacer dans l’opinion publique le souvenir de la banqueroute de Law ou des assignats. La Banque de France n’émet qu’en région parisienne avant d’obtenir, en 1848, le monopole de l’émission de billets et d’absorber les banques d’émission provinciales. En échange du renouvellement régulier de son privilège d’émission et sous l’impulsion des milieux financiers et de l’État, qui nomme son gouverneur, elle étend ses opérations. Elle ouvre des succursales dans les quartiers parisiens et sur les principales places. Elle multiplie ses avances grâce à l’extension du nombre de valeurs mobilières admises comme gage. Elle admet du papier de crédit pour appuyer les banques et les entreprises régionales. Grâce à cette Banque centrale, un véritable système de réescompte est établi. À partir des années 1850, l’instauration d’une confiance durable - étayée par la détention d’un stock d’or et d’argent - et l’abaissement de la valeur faciale des coupures expliquent la diffusion des billets de banque dans les opérations quotidiennes et le cours forcé des billets, institué en 1871. La monnaie fiduciaire l’emporte sur la monnaie-métal, avant d’être supplantée par la monnaie scripturale à la fin du XIXe siècle. La Banque de France est soumise aux besoins financiers du Trésor, qui l’oblige à lui avancer des fonds. Maîtrisée au XIXe siècle, cette création de monnaie devient inflationniste pendant la Première Guerre mondiale. À plusieurs reprises, sous les IIIe et IVe Républiques, le financement du déficit par la planche à billets exprime cette dépendance ; seule une downloadModeText.vue.download 75 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 64 gestion budgétaire rigoureuse, parfois sur les conseils du gouverneur de la Banque centrale, permet d’enrayer cette dérive. • La « banque des banques ». La Banque de France devient progressivement la « banque des banques ». Par le jeu du taux d’escompte (en fait, de réescompte), elle fixe le prix de l’argent et exerce un certain contrôle sur le marché de l’argent à court terme, en régularisant les flux de crédit. Elle freine le processus inflationniste en élevant ses différents taux d’intérêt, qui déterminent les taux de base bancaires. Elle allège le prix du crédit dans les périodes de récession et, parfois, intervient pour refinancer des banques en difficulté et éviter que des crises ponctuelles ne débouchent sur un krach. Elle peut également sauver certains établissements en péril : ainsi, en 1889, pour le Comptoir d’escompte de Paris, dans les années vingt, pour certaines maisons et, surtout, en 1931-1932, lorsqu’elle contribue au remodelage de l’appareil bancaire en restructurant, en collaboration avec le ministère des Finances, ou en organisant la reprise des banques défaillantes. De plus en plus, la Banque de France gère le stock monétaire du pays. Par la variation de son taux d’escompte, elle essaie de freiner les mouvements spéculatifs internationaux. Cette fonction s’accroît à partir des années vingt, quand elle prend en main la gestion de la valeur du franc. Elle devient désormais la responsable des changes, en liaison avec le Trésor et les banques, par exemple pour superviser le franc flottant (en 1936-1940). Cette diver- sification lui confère un pouvoir d’intervention considérable. Société anonyme privée, elle est gérée par le gouverneur et un conseil général composé de quinze régents élus par les deux cents plus importants actionnaires lors de l’assemblée générale. La puissance des régents est réelle, en raison de leur influence sur le prix et les flux de l’argent. Elle devient mythique dans l’entre-deux-guerres ; on soupçonne alors ces « deux cents familles » d’édifier un « mur de l’argent » pour enrayer la liberté de manoeuvre de la gauche. À la modeste réforme des statuts réalisée par le Front populaire en 1936 succède la nationalisation en 1946. Désormais, la Banque de France est sous la tutelle de l’État ; la réforme de 1994 la dote d’une large autonomie sous le contrôle du Conseil de la politique monétaire et d’un gouverneur muni d’un mandat irrévocable de six ans. Cependant, à la veille de l’instauration de l’euro, la Banque de France, qui fait désormais partie du Système européen de banques centrales, voit une large part de ses pouvoirs transférée à la Banque centrale européenne, mise en place en 1998. Banque de l’Indochine, établissement bancaire fondé en 1875. Son capital, versé par le Comptoir d’escompte et le Crédit industriel et commercial (avec la participation des Messageries maritimes et de la Banque de Paris et des PaysBas), s’élève alors à 8 millions de francs. Elle obtient le droit d’émettre de la monnaie en Cochinchine et en Inde française. Ce privilège, qui devait expirer en 1885, est étendu à l’ensemble de l’Indochine et à l’Océanie en 1905, puis à la Côte française des Somalis en 1907, et prorogé jusqu’en 1920, puis jusqu’en 1959 ; mais il lui est retiré, le 31 décembre 1951, au profit des instituts d’émission des trois États associés (Cambodge, Laos, Viêt-nam). La Banque de l’Indochine le conserve à Djibouti jusqu’en 1970. Jusqu’en 1927, elle pratique le crédit agricole en consentant des avances sur fonds ou sur récoltes aux paysans indochinois (au taux de 8 %). Importante banque d’affaires, elle s’assure le contrôle de nombreuses entreprises en Indochine et à Madagascar (Omnium colonial, Distilleries de l’Indochine, Brasseries de l’Indochine, plantations d’hévéas), et ouvre des agences dans la plupart des pays d’Extrême-Orient. Ses dirigeants espèrent longtemps s’implanter en Chine, pays où ils ne pourront jamais acquérir de position influente. Rachetée par la Compagnie financière de Suez en 1972, elle constitue avec celle-ci le groupe Indosuez en 1975. La Banque de l’Indochine fut le plus important groupe capitaliste de l’empire colonial français, et joua un rôle moteur dans la vie de l’Indochine française. banquet républicain. L’usage de donner un repas « à un grand nombre de convives dans un but politique » remonte, selon Pierre Larousse, au « banquet civique » de l’époque révolutionnaire, pendant du « banquet royal » prévu par l’étiquette de l’Ancien Régime. De la monarchie de Juillet à la IIIe République, les banquets partisans, désignés a posteriori comme banquets républicains, montrent l’évolution d’une forme de sociabilité politique au service d’idées considérées d’abord comme subversives, puis liées à l’exercice officiel du pouvoir. La IIe République naît avec la « campagne des banquets réformistes » lancée en 1847. L’idée d’organiser de grands repas avec des toasts en vue de la réforme électorale conquiert d’abord la gauche dynastique. Le premier banquet, organisé à Paris le 9 juillet 1847, dans le local du Château-Rouge, rassemble 1 200 participants venus écouter Odilon Barrot. Les mois suivants, dans 30 départements, ont lieu environ 60 banquets, au cours desquels les seules revendications électorales cèdent la place à la critique du gouvernement. Les républicains commencent à s’y manifester avec plus d’audace : à Dijon, à Chalon-sur-Saône, à Lille, où Ledru-Rollin parvient à écarter Barrot le 7 novembre 1847. En février 1848, Guizot interdit le grand banquet populaire prévu à Paris, dans le XIIe arrondissement : le 22 février, des manifestants protestent et, deux jours plus tard, la révolution gagne la capitale. Que reste-t-il de cet héritage ambivalent dans le cérémonial des banquets républicains de la IIIe République ? Institués pour solenniser la première fête nationale du 14 juillet en 1880 ou le centenaire de la Révolution en 1889, les banquets républicains sont aussi l’occasion pour le pouvoir d’affirmer la cohésion de la République quand elle semble menacée. Le banquet officiel de 1888 défie les boulangistes, et celui de l’Exposition universelle de 1900 se veut apaisant en pleine affaire Dreyfus. Les grands banquets des maires de 1889 et de 1900 avec respectivement 13 000 et 20 000 convives venus de tout le pays, en présence des présidents Carnot et Loubet, demeurent les images d’une spectaculaire mise en scène de l’intégration nationale par les fastes de la République. Le banquet républicain est désormais une forme officielle et plaisante d’allégeance à un régime en quête de consensus. Il reste néanmoins un peu de la tradition offensive des banquets politiques dans les repas électoraux - qui ne s’intitulent pas par hasard « banquets républicains » - comme ceux de la campagne présidentielle de 1995. Bao Dai, empereur d’Annam de 1925 à 1945 et chef de l’État du Viêt-nam de 1949 à 1955 (Huê 1913 - Paris 1997). Proclamé empereur à la mort de son père, Bao Dai est éduqué en France et intronisé à Huê en 1932. Au début de son règne, il paraît désireux de moderniser la monarchie et d’obtenir un assouplissement du protectorat, mais il se heurte aux réticences de l’administration coloniale et se contente d’un rôle protocolaire. Après le coup de force japonais d’avril 1945, il se retrouve à la tête d’un Viêt Nam théoriquement indépendant et réunifié, mais n’a aucun moyen d’imposer son autorité à l’ensemble du pays. Le 25 août 1945, après la prise du pouvoir par le Viêt-minh, il abdique, préférant « être citoyen d’un pays indépendant plutôt que roi d’un pays asservi ». Il devient « conseiller suprême » de la nouvelle République, puis se retire à Hongkong en 1946. À partir de 1947, il entre en pourparlers avec la France, qui souhaite jouer la carte impériale face à l’ennemi vietminh. Il n’accepte toutefois de rentrer dans son pays qu’après la reconnaissance de l’unité nationale. Le 24 avril 1949, il prend ainsi à Saigon ses fonctions de chef de l’« État associé du Viêt Nam » et forme un ministère d’union. Peu connu et peu apprécié de ses compatriotes, il ne fait que de brefs séjours dans son pays, mais se montre intransigeant quant au transfert des compétences qui doit entraîner la création d’un État indépendant dans le cadre de l’Union française. Après la reconnaissance de l’indépendance complète du Viêt Nam, en 1955, il est déposé par référendum (octobre 1955) et se retire définitivement en France. Bar (comté, puis duché de), comté médiéval, érigé en duché au XIVe siècle, correspondant à l’actuel département de la Meuse. Situé en terre impériale lors du partage de Verdun (843), le comté de Bar est formé au Xe siècle, lorsque Sophie, fille du duc Ferry de Lorraine, épouse Louis, comte de Mousson, et reçoit en dot le comté de Bar, qui reste dans la famille de Bar-Mousson jusqu’au XVe siècle. Le comte Henri de Bar, allié à son beau-père, le roi Édouard Ier d’Angleterre, dans le conflit francoanglais, prend les armes contre Philippe le Bel, en 1297. Fait prisonnier, il doit accepter les conditions du roi de France pour retrouver sa liberté : en 1301, la partie de son comté située à l’ouest de la Meuse passe dans la mouvance royale. On parle désormais du Barrois mouvant pour le distinguer du reste du comté relevant de l’Empire. En 1354, le roi Jean II le Bon érige downloadModeText.vue.download 76 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 65 le comté en duché pour son gendre Robert de Bar. En 1430, le duché de Bar revient à René d’Anjou (le futur roi René), duc de Lorraine en 1431. Lorraine et Bar sont définitivement réunis au royaume de France en 1766, à la mort du dernier duc de Lorraine. Le Barrois mouvant met en lumière deux phénomènes du Moyen Âge classique : le roi de France pratique désormais une politique non plus féodale mais territoriale de « grignotage » sur les frontières de Verdun, et, dans le même temps, se développe, aux marches du royaume, un sentiment national vivace qu’illustre Jeanne d’Arc, née à Domrémy, dans le Barrois mouvant. Barbaroux (Charles Jean Marie), homme politique (Marseille 1767 - Bordeaux 1794). Adhérant au mouvement révolutionnaire dès 1789, cet avocat, fils d’un négociant, devient une des figures les plus influentes de Marseille. Membre de la Garde nationale, secrétaire de la Commune de Marseille, il est l’un des fondateurs et dirigeants du club jacobin de la ville. Envoyé à Paris par la municipalité en février 1792, il se lie avec Brissot et Roland, et soutient la Société des amis des Noirs. À l’origine de la marche sur Paris des fédérés marseillais, il en commande le bataillon lors du 10 août 1792. Ce rôle lui vaut une immense popularité à Marseille, qui l’élit député à la Convention. Hostile aux massacres de septembre, à la Commune de Paris et au mouvement populaire, il s’engage d’emblée aux côtés des girondins dans leur lutte contre les montagnards. À l’issue des journées des 31 mai et 2 juin 1793, il est l’un des vingtneuf députés proscrits. Arrêté, il s’évade et rejoint Caen, où il organise la contre-attaque avec les rescapés girondins. Sur son initiative, ces derniers signent une protestation qui appelle les départements au soulèvement contre la Convention et marque le début du fédéralisme. Après l’échec de l’armée de Normandie en juillet 1793, il rejoint Bordeaux en insurrection, puis, lorsque la ville se rend, il se cache pendant plusieurs mois avec Buzot et Pétion. Se croyant découverts, ces deux derniers se suicident, tandis que Barbaroux ne parvient qu’à se blesser. Il est condamné à mort et guillotiné le 24 juin 1794. Barbé-Marbois (François, comte [d’Empire], puis marquis de), homme politique (Metz 1745 - Paris 1837). Ce fils d’un négociant postulant à la noblesse entame une carrière diplomatique en Europe et en Amérique, sous la protection de ministres de Louis XVI, le maréchal de Castries et le duc de La Luzerne. Intendant général de Saint-Domingue entre 1785 et 1789, il s’oppose aux colons qui ne veulent ni mesures favorables à la population noire ni restrictions à leur commerce avec les États-Unis. Rentré en métropole sous leur contrainte, il échoue dans les négociations entre la France révolutionnaire et les princes européens. Il se retire alors du service, réside à Metz pendant la Terreur, au cours de laquelle il n’est pas inquiété. Il devient maire de cette ville en 1795. Élu au Conseil des Anciens, il compte parmi les royalistes modérés qui critiquent le gouvernement, et dénonce le babouvisme. Accusé d’être « ministrable » de droite, il est victime du coup d’État de fructidor (4 septembre 1797) et, malgré des protestations de bonapartisme, envoyé en Guyane. Ayant résisté au climat, il est libéré. Grâcié, il entre dans la nouvelle administration, avec l’appui du nouveau consul, Lebrun. Directeur en 1801, ministre du Trésor en 1802 (c’est lui qui définit le franc germinal), président de la Cour des comptes en 1807, il est aussi chargé de négocier la cession de la Louisiane aux États-Unis. Fait comte d’Empire, nommé sénateur en 1813, il n’hésite pas à se rallier à Louis XVIII : élevé à la pairie, il est chassé pendant les Cent-Jours, avant d’occuper brièvement le portefeuille de la Justice, en 1815. Devenu marquis en 1817, il continue de siéger à la Cour des comptes jusqu’en 1834, puis à la Chambre des pairs jusqu’à sa mort. Barbès (Armand), révolutionnaire et homme politique (Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, 1809 - La Haye, Pays-Bas, 1870). Républicain farouche, Barbès s’oppose à la monarchie de Juillet dès son arrivée à Paris, en 1830. Il est emprisonné une première fois à la suite des journées d’avril 1834, puis après l’attentat de Fieschi contre la famille royale (1835). Ayant organisé avec Auguste Blanqui et Martin Bernard l’insurrection du 12 mai 1839, dirigée contre le gouvernement de Louis-Philippe, il est à nouveau emprisonné et condamné à mort. Grâce à l’intervention de Victor Hugo, sa condamnation est commuée en peine de prison à perpétuité. Il est libéré lors de la révolution de février 1848 et acquiert, en tant que président du Club de la révolution, une grande popularité. Élu député de l’Aude, il siège à l’extrême gauche de l’Assemblée. Le 15 mai, sous son impulsion et celle de quelques autres chefs révolutionnaires, un coup de force est perpétré contre la Constituante, afin de former un gouvernement insurrectionnel à l’Hôtel de Ville. Barbès est de nouveau condamné à la prison. Incarcéré à Doullens, puis à Belle-Île-en-Mer, il refuse la grâce accordée par Napoléon III en 1854 ; libéré contre son gré, il quitte la France et s’exile aux Pays-Bas. Barbie (procès), procès intenté à Lyon, en 1987, à Klaus Barbie, accusé de crimes contre l’humanité. Barbie est l’ancien chef SS de la section IV du SIPO-SD, service de la police nazie chargé de la « répression des crimes et délits politiques » à Lyon, entre novembre 1942 et août 1944. Identifié en Bolivie, en 1971, par Beate et Serge Klarsfeld, il fait l’objet d’une première demande d’extradition en 1972. Sa livraison à la France en 1983 permet l’ouverture d’une instruction judiciaire. Certains des crimes de l’homme qui a torturé Jean Moulin ne peuvent être jugés ; Barbie, qui a été condamné à mort par contumace en 1952 et en 1954, bénéficie en effet de la prescription. Mais la nouvelle définition du crime contre l’humanité, donnée par l’arrêt du 20 décembre 1985 de la Cour de cassation, conduit à retenir parmi les chefs d’inculpation des actes commis non seulement contre des victimes juives, mais aussi contre des résistants, qui s’opposaient à la politique d’hégémonie idéologique de l’État nazi. Le procès s’ouvre en mai 1987. Considéré comme une contribution à l’histoire autant qu’à la justice, il est entièrement filmé (le film ne pouvant être intégralement diffusé que dans un délai de vingt ans). Défendu par Me Jacques Vergès, Barbie est reconnu coupable, en juillet 1987, de crimes contre l’humanité (dont la rafle des enfants d’Izieu le 6 juin 1944 et la déportation d’environ 650 personnes, le 11 août 1944, par le dernier train à destination des camps de la mort). Il est condamné à la réclusion perpétuelle, et meurt en prison en 1991. Barère de Vieuzac (Bertrand), homme politique (Tarbes 1755 - id. 1841). Bertrand Barère de Vieuzac incarne une capacité politique peu répandue pendant la Révolution : celle de durer malgré l’exposition au plus vif du pouvoir. Ses biographes ont hésité entre deux qualifications : « géant de la Révolution » ou « habile rhéteur ». Comment peut-on devenir le porte-parole du Comité de salut public, être désavoué par Robespierre le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), être thermidorien le 10, mais accusé en ventôse an III (mars 1795) ? Cette vie politique adhère au processus révolutionnaire dans ses multiples reformulations. Est-ce pour autant que la tactique s’oppose à la conviction ? • Un député jacobin. Élu député du tiers de Bigorre à 34 ans, ce fils de procureur, avocat au parlement, dispose en 1789 d’une assise provinciale et parisienne. Dès la réunion des États généraux, il est de tous les débats importants. Constituant actif, il fait restituer aux descendants des protestants leurs propriétés invendues, travaille à la création du département des Hautes-Pyrénées, adopte des positions radicales en faveur du séquestre des biens des émigrés et du contrôle des contributions par le seul pouvoir législatif, s’oppose au lobby colonial. Membre de la loge des Amis de la vérité, jacobin, il s’oppose à Barnave et à Sieyès. Élu par son département à la Convention, il n’accepte que par défaut le régime républicain. Il joue alors un rôle de médiateur entre montagnards et girondins, et préside le Comité de législation. Président de la Convention à partir du 29 novembre 1792, il prend parti contre l’appel au peuple, vote la mort du roi, rédige la proclamation au peuple français annonçant son exécution. S’il prononce l’appel à la « levée des 300 000 hommes », il s’oppose à la création du Tribunal révolutionnaire. Membre du Comité de salut public dès le 7 avril 1793, il prend position contre les girondins, mais aussi contre la Commune dans les événements des 31 mai et 2 juin. • Le héraut. Barère devient le porte-parole du Comité de salut public parce qu’il associe impartialité, vertu morale et radicalité, la seule qualité révolutionnaire qui soit. Avant de fustiger la « légèreté académique » avec laquelle Barère parle de la guerre, Robespierre a loué les services de celui qui présente les rapports sur la confiscation des biens des individus mis hors la loi, l’établissement du gouvernement révolutionnaire, les mesures à prendre contre les étrangers, puis contre les Anglais, la mise en accusation de la reine, la langue nationale, downloadModeText.vue.download 77 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 66 l’assistance aux malheureux... Mais, lorsque Barère fait entrer Carnot au Comité de salut public, le 14 août 1793, ce dernier ne cesse de s’opposer à la politique sociale de Robespierre et de se heurter à Saint-Just sur la conduite de la guerre. Barère le soutient objectivement par ses récits de bataille enflammés. Ce ne sont pas des personnes qui sont en jeu mais des conceptions politiques opposées. Par pragmatisme, Carnot et Barère admettent que la guerre défensive puisse devenir une guerre de conquête, pourvu que la République française y trouve son intérêt. À l’inverse, pour Robespierre et Saint-Just, il faut mener une guerre défensive radicale contre l’ennemi anglais mais ne pas se laisser subvertir par la soif de conquête. • Le conciliateur coupable. Le 5 thermidor, Barère prononce un décret de réconciliation des comités, lequel divise en fait l’assemblée entre partisans de Carnot et partisans de Saint-Just. Le 7 thermidor, Barère évoque la renaissance des factions dont seraient responsables Robespierre et SaintJust. Le 8, Robespierre accuse ses ennemis et, si Barère reste attentiste le 9, il prononce le lendemain la « Proclamation au peuple français » qui donne la version officielle du 9 Thermidor : « Le 31 mai, le peuple fit sa révolution, le 9 thermidor, la Convention nationale a fait la sienne ; la liberté applaudit également à toutes les deux. » Quelques mois plus tard, ce ténor de l’an II est l’un des quatre grands coupables condamnés à la déportation par les thermidoriens. Il s’évade et confirme son engagement jacobin par des écrits, en particulier sur les colonies et l’Angleterre, et, enfin, tente à nouveau de se faire élire dans son département. Barnave (Antoine Pierre Joseph Marie), homme politique (Grenoble 1761 - Paris 1793). Jeune avocat au parlement de Grenoble, il participe, dès 1787, à l’agitation anti-absolutiste et à la campagne pour la convocation des états généraux de 1789. • Un engagement précoce. Dans ses écrits, imprégnés de la philosophie politique de Montesquieu, il se prononce en faveur de la séparation des pouvoirs et d’une Constitution à l’anglaise, mais accuse bientôt la magistrature de n’agir qu’à son seul profit. Durant l’été 1788, il est, avec Mounier, l’un des artisans de la résistance active du Dauphiné et contribue, notamment dans la décisive assemblée de Vizille, au rapprochement entre ordres privilégiés et notables bourgeois. Député aux états généraux de 1789, il y oeuvre pour la réunion des ordres et le vote par tête, et prête le serment du Jeu de paume, dont il a écrit la formule avec Le Chapelier. Dès lors, devenu l’un des plus actifs dirigeants du parti patriote - il participe à la fondation du Club des jacobins, dont il rédige le règlement -, il s’oppose aux monarchiens et forme, avec Duport et Lameth, le triumvirat qui impose ses vues à la Constituante jusqu’en 1791. Promoteur du compromis entre notables et monarchie constitutionnelle, il a pour premier souci de contenir tant la Contre-Révolution aristocratique que le mouvement populaire. Mais ce grand orateur, aux capacités de réflexion peu communes, s’attire les foudres de la Société des amis des Noirs et des démocrates, et voit son influence et sa popularité décliner à partir de l’automne 1790. • Un retrait tout aussi précoce. Après l’arrestation du roi à Varennes, il défend la monarchie constitutionnelle contre la poussée démocratique et républicaine, et prononce, le 15 juillet 1791, un discours important qui consacre l’inviolabilité du roi. Le lendemain, il rompt définitivement avec les jacobins en étant l’un des principaux responsables de la scission des feuillants. Si sa politique triomphe provisoirement, il subit divers échecs à l’Assemblée, et les caricatures le montrent comme vendu à la cour. De fait, entre juillet 1791 et janvier 1792, il entretient une correspondance secrète avec Marie-Antoinette, qu’il conseille, espérant sincèrement rallier la cour à la Constitution de 1791. Sans mandat sous la Législative, il continue de conseiller les ministres, puis se retire en Dauphiné en janvier 1792. La découverte d’un document compromettant dans le cabinet du roi, lors de la révolution du 10 août 1792, provoque son arrestation le 19 août. Transféré à Paris après quinze mois de prison en province, Barnave est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné le 29 novembre 1793. Il laisse une Introduction à la Révolution française, ouvrage clairvoyant, rédigé pendant sa captivité et publié en 1843, qui présente le phénomène révolutionnaire comme l’aboutissement d’une longue évolution économique et sociale. Barnenez (tumulus de), monument funéraire mégalithique datant du IVe millénaire avant J.-C. situé à Barnenez, lieu-dit de la commune de Plouézoch (Finistère). Édifié sur la presqu’île de Kernelehen, dominant la baie de Morlaix et ses îles, il se présente comme un tertre, grossièrement quadrangulaire et étagé en gradins, fait de pierres sèches rapportées. Il est long de 70 mètres et large de 25 mètres ; son volume total est de 7 000 mètres cubes, et son poids de 14 000 tonnes. D’orientation est-ouest, il fut construit en deux parties : la plus ancienne, à l’est, recouvre cinq chambres funéraires ; la seconde, six. Utilisé comme carrière de pierres dans les années cinquante, il fut sauvé in extremis et restauré. Les chambres funéraires s’ouvrent toutes par un long et étroit couloir débouchant sur le côté sud du monument. De forme circulaire, certaines ont une couverture en grosses dalles de pierre - on parle alors de « dolmen à couloir » ; d’autres ont une voûte en encorbellement en simples pierres sèches - on parle de « tholos ». Certaines comportent des gravures : représentations humaines, haches, arcs, bovidés. Le mobilier funéraire est peu abondant, et la poterie la plus ancienne est dite « de type Carn », du nom de l’île Carn. On trouve aussi de la céramique néolithique chasséenne, à fin décor gravé. Le monument a cependant été réoccupé ultérieurement, si bien qu’on a pu mettre au jour des vestiges de la fin du néolithique, du chalcolithique (campaniforme) ou de l’âge du bronze ancien. Il a donc été utilisé pendant deux mille ans. baron, terme féodal désignant, à partir du XIIe siècle environ, un puissant seigneur. Parallèlement au renforcement de la noblesse guerrière, le mot « baron » a subi, durant le Moyen Âge, de nombreux glissements de sens. Désignant à l’origine l’homme (par opposition à la femme), le terme de « baron » signifie, depuis l’époque mérovingienne, « serviteur ». Cette évolution est donc parallèle à celle qui affecte le terme de « vassal », expression également réservée à l’aristocratie militaire. Après l’an mil, certains chevaliers se disent barons, et le vocable recouvre alors celui de « fidèle ». Ces sens primitifs (hommes virils et braves, fidèles à leur seigneur) demeurent dans la littérature médiévale (et en particulier dans la chanson de geste) : les barons sont ces chevaliers valeureux et loyaux qui entourent le roi à la cour et à la guerre. Le terme de « baron » désigne ainsi plus un certain idéal de la société aristocratique qu’un groupe nobiliaire clairement délimité. Lorsque, dans la seconde moitié du XIIe siècle, les actes de la chancellerie royale évoquent le conseil des « barons du royaume », c’est à cette idéologie féodale qu’ils se réfèrent. Pourtant, on sait que la réalité des rapports de pouvoir au Moyen Âge est souvent fort éloignée de l’image rêvée d’une noblesse unie dans la fidélité envers la personne royale. Et le mot finit par désigner, dès le XIIIe siècle, les grands du royaume, souvent prompts à défendre leurs intérêts au sein du gouvernement royal : depuis le règne de Saint Louis, les « révoltes des barons » scandent régulièrement l’histoire politique française. Pourtant, les princes territoriaux, vassaux directs du roi, ne sont pas les seuls à se faire appeler « barons ». Il n’est pas rare que leurs propres vassaux prétendent également à ce titre. S’il est intégré à la hiérarchie féodale, le baron y occupe donc une place flottante et mal définie ; et il est bien difficile de distinguer, au sein de la noblesse française, ceux qui sont barons de ceux qui ne le sont pas. Il en va de même pour le terme de « baronnie », qui désigne des seigneuries remarquables par leur ancienneté (c’est le cas des baronnies du Périgord) ou par leur puissance (telle la baronnie de Marigny, depuis 1313). À partir du XIVe siècle, le titre baronnial devient purement honorifique et n’a presque plus de réalité politique. baroque. Employé en histoire de l’art et de la musique, plus récemment en histoire de la littérature, voire en histoire générale, dans les acceptions les plus différentes, souvent contradictoires (selon les emplois, le terme est antonyme ou synonyme de classique), le mot, entré dans l’usage courant, est aujourd’hui plus gênant qu’utile. L’historien devrait renoncer à employer cette pseudo-notion, qui, si elle peut être un objet de l’histoire, ne saurait être un outil historiographique. Une analyse complète du mot et de ses emplois supposerait un volume entier, puisque depuis un siècle chaque auteur en a donné sa définition ; dans le cadre de cet downloadModeText.vue.download 78 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 67 article, nous ne pouvons qu’offrir quelques repères. Cet effort de clarification lui-même n’est pas sans risque, car le baroque est comme une rumeur : l’évoquer, c’est l’entretenir. L’adjectif « baroque » est, au sens propre, un terme technique, emprunté au portugais barroco (1563) : « Terme de joaillier, qui ne se dit que des perles qui ne sont pas parfaitement rondes » (Dictionnaire de Furetière, 1690). Le mot prend bientôt le sens figuré de « bizarre », « irrégulier » (Saint-Simon, 1711 ; Dictionnaire de l’Académie, 1740), le seul connu encore de Littré (1877). Il n’est pas lié spécifiquement au monde des arts, mais il peut y être employé occasionnellement pour désigner en peinture, architecture, musique... toutes expressions bizarres ou dissonantes. « Baroque est tout ce qui suit non les normes des proportions, mais le caprice de l’artiste. Dans les peintures de Tintoret, il y a toujours quelque chose d’étrange et d’insolite, il s’y trouve toujours quelque chose de baroque » (Pernety, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure, 1757). Même lorsque l’emploi du mot paraît recouper l’usage moderne, il convient de se rappeler qu’il n’a encore que le sens général d’irrégulier. Dans le Supplément à l’Encyclopédie (1776), Jean-Jacques Rousseau entend par musique baroque la musique « dont l’harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances » ; lorsque, dans l’Encyclopédie méthodique de l’architecture (1788), Quatremère de Quincy définit « le baroque en architecture » comme « une nuance du bizarre », son expression ne coïncide que par hasard avec l’emploi contemporain du mot, puisqu’il oppose le style baroque de Guarini au style régulier du Bernin et de Mansart, que l’on qualifie aujourd’hui de baroque. • Y a-t-il un âge baroque ? Ce sont les historiens de l’art allemands qui, à la fin du XIXe siècle, donnent au mot, qui n’a plus de sens péjoratif, son premier ancrage historique en employant le mot Barockstil pour désigner, d’une part, l’art du Bas-Empire et, d’autre part, le style qui suit la Renaissance. Mais déjà apparaissent in nuce les causes de l’imbroglio sémantique : Henri Wölfflin et Cornelius Gurlitt ne s’accordent ni sur le champ chronologique (1520-1630 pour Heinrich Wölfflin ; 1600-1700 pour Gurlitt) ni sur les caractères du style ainsi dénommé, tandis que l’emploi de barock dans des champs historiques très lointains (Antiquité tardive, Europe moderne) prépare le glissement du mot vers une signification transhistorique. Partageant l’ambition de nombre d’esprits de sa génération de construire une science de l’art, Wölfflin reprend le terme dans ses ambitieux Principes fondamentaux de l’histoire de l’art (1915, édition française 1952) : il y oppose les formes classiques qu’il met en lumière au XVIe siècle (composition linéaire, en surface, close, procédant par analyse, cherchant l’absolue clarté) et les formes baroques du XVIIe (composition picturale, en profondeur, ouverte, cherchant la synthèse et l’obscurité relative). Wölfflin suggère aussi qu’il s’agit d’un couple qui revient de manière cyclique (art grec classique/hellénistique ; art romain antique classique/baroque ; gothique classique/gothique tardif, qu’il suggère d’appeler baroque). Dans son essai Du baroque (1928, édition française 1935), Eugenio d’Ors pousse à son paroxysme une lecture transhistorique, dont le succès favorise des développements qui relèvent plus de la causerie que de l’histoire, notamment dans le champ de l’histoire littéraire, qui utilisa le mot pour qualifier une période encore différente : 1560-1570 (parfois plus tôt) - 1650-1670 (Marcel Raymond, Jean Rousset). Les musicologues, qui ont repris le terme aux historiens de l’art, sont les seuls à s’accorder sur une base commune : la période baroque s’étend de Monteverdi à Bach, de 1600 à 1750 environ, et est caractérisée par l’emploi de la basse continue. Toutefois, nombre de ces spécialistes renoncent aujourd’hui à employer un terme jugé trop vague et trop connoté. En histoire de l’art, l’introduction du terme maniérisme - pour désigner ce que Wölfflin décrivait en 1888 sous le nom de baroque - a déporté définitivement ce dernier vers le XVIIe siècle, mais aussi le XVIIIe. Cependant, les auteurs hésitent entre une définition extensive, où le vocable se dissout jusqu’à devenir synonyme de XVIIe siècle, et une définition restrictive, réduite à certains aspects de l’art du XVIIe siècle, souvent ceux qui répondent de manière plus évidente aux critères de Wölfflin (l’architecture romaine, de 1630 à 1680, mais aussi le grand style architectural, du Bernin à Le Vau, Hardouin-Mansart et Wren, la grande peinture décorative, de Pierre de Cortone au père Pozzo, mais aussi le style de Rubens, etc.). « Baroque » s’applique aussi, par la seule force de l’usage, à l’architecture rococo allemande (mais non au rococo français) ou à l’architecture hispanique du XVIIIe siècle, qui n’ont guère de point communs ni avec le Bernin ni entre eux. Trois facteurs expliquent que le mot ait résisté à toutes les incohérences évidentes de son emploi en histoire : la tradition hégélienne d’une histoire totale, synchrone (là où l’on explore aujourd’hui le chaos d’une histoire fractale) ; l’illusion réaliste (parce que le mot existe, on croit qu’il s’agit d’une chose, en oubliant que tout change selon le corpus de référence) ; la présence sous-jacente de la notion transhistorique (et notamment de la formulation très forte que Wölfflin lui donna). Barras (Paul François Jean Nicolas, vicomte de), homme politique (Fox-Amphoux, Var, 1755 - Paris 1829). Issu de la vieille noblesse provençale, Barras entre dans l’armée à 16 ans. Il combat en Inde, où il est fait prisonnier par les Anglais en 1778. De retour en France en 1780, il s’embarque sous les ordres de Suffren dès l’année suivante, séjourne au Cap jusqu’en 1783, puis quitte l’armée en 1786. • Un homme en retrait. En 1789, il assiste en spectateur à la prise de la Bastille avant d’assumer des responsabilités administratives en Provence. Élu député suppléant du Var à la Convention en septembre 1792, il bénéficie du désistement de Dubois-Crancé et siège à Paris deux mois plus tard. S’il vote la mort du roi, il reste assez effacé à la Convention et part en province, missionné pour plus d’un an. En mars 1793, il est envoyé avec Fréron dans les départements des Alpes, puis auprès de l’armée d’Italie. Lors de la rébellion fédéraliste, les deux amis sont chargés de contrôler les troupes républicaines qui assiègent Toulon livrée aux Anglais. Lors de deux brèves visites sur le front, en octobre et novembre 1793, Barras rencontre le lieutenant Bonaparte, mais l’incertitude de leurs récits empêche de connaître la réalité de ces entretiens. Il participe à la répression brutale contre les Toulonnais et les Marseillais. Dénoncé par les députés des Bouches-du-Rhône, il est rappelé à Paris par le Comité de salut public le 23 janvier 1794. Après le 10 thermidor an II (28 juillet 1794), la légende en fait l’un des principaux responsables du complot qui aboutit à l’exécution de Robespierre et de ses amis. En fait, désigné pour commander les troupes fidèles à la Convention, Barras se contente d’arrêter Robespierre réfugié à l’Hôtel de Ville. • Une figure du Directoire. Membre du Comité de sûreté générale de novembre 1794 à mars 1795, président de la Convention en février 1795, réintégré dans l’armée au grade de général de brigade en août 1795, il se trouve désormais au premier plan de la vie politique. Le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), c’est lui qui, nommé commandant en chef de l’armée de l’intérieur, mate l’insurrection royaliste, avec Bonaparte parmi ses adjoints. Devenu le « sauveur de la République », il est élu membre du Directoire le 1er novembre 1795, et il le reste jusqu’à la fin du régime. Personnifiant le Directoire et ses vices, aimant le luxe, Barras n’est pourtant pas aussi volage et corrompu que ne le croient ses contemporains. Lié à tous les partis, il prend des décisions plutôt modérées et ménage les différentes forces en présence, d’où l’accusation de mener double jeu. Lorsque les royalistes gagnent les élections de l’an V, il hésite, mais finit par défendre la République en soutenant le coup de force du 18 fructidor (4 septembre 1797). En revanche, il appuie celui du 22 floréal an VI (11 mai 1798) contre les jacobins. En 1799, les élections et les revers militaires affaiblissent le pouvoir. Barras aurait alors pris contact avec Louis XVIII. En octobre, il accueille avec prudence Bonaparte de retour d’Égypte. Prévenu du coup d’État du 18-19 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799), il s’efface, déclarant qu’aucun militaire n’est de taille à s’opposer à Bonaparte. À partir de 1801, il est tenu à l’écart de Paris, puis, en 1810, exilé à Rome. Il ne rentre en France qu’après la première abdication de l’Empereur, mais ne soutient pas les CentJours. C’est la raison pour laquelle, bien que régicide, il échappe à la proscription sous la Restauration. Il meurt à Chaillot. Parfois surestimée, l’influence politique de Barras durant la décennie révolutionnaire est en réalité limitée jusqu’à son élection au poste de directeur. Et, même alors, il n’est pas ce « roi de la République » que l’on décrit souvent. À l’origine de cette légende, le dénigrement du régime directorial - dont il devient la figure emblématique - par les brumairiens « révisionnistes » menés par Sieyès et par le downloadModeText.vue.download 79 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 68 clan Bonaparte. Barras a laissé des Mémoires peu fiables, qui ne contribuent guère à éclairer son parcours. Barrès (Maurice), écrivain et homme politique (Charmes-sur-Moselle 1862 - Neuillysur-Seine 1923). Venu de sa Lorraine natale, le jeune Barrès fréquente à Paris les cénacles littéraires, lance une éphémère revue, publie Sous l’oeil des barbares (1888, premier volume d’une trilogie consacrée au Culte du moi), que salue un article de Paul Bourget. Il entre ensuite en politique dans la mouvance boulangiste : député de Nancy (1889), il siège à l’extrême gauche de la Chambre. Après un échec à Neuilly, il stigmatise les moeurs politiques dans une pièce de théâtre (Une journée parlementaire, 1894), dirige une feuille (la Cocarde, journal antisémite du soir), prend parti contre Dreyfus et dérive vers un nationalisme droitier que traduit le Roman de l’énergie nationale (les Déracinés, 1897 ; l’Appel au soldat, 1900 ; Leurs figures, 1902). Poursuivant sa carrière littéraire (qui le conduit à l’Académie en 1906), il publie une ultime trilogie consacrée à glorifier les Bastions de l’Est (1906-1920), chante cette Colline inspirée « où souffle l’esprit » (1913), fait vibrer ses diverses harmoniques (le Voyage de Sparte, 1906 ; Greco ou le Secret de Tolède, 1911 ; Une enquête aux pays du Levant, 1923). Député de Paris à partir de 1906, il succède à Déroulède à la tête de la Ligue des patriotes avant de mettre sa plume au service de la patrie dans la Chronique de la Grande Guerre. Au lendemain du conflit, son influence décroît rapidement. Il meurt, laissant inachevés ses Cahiers, Mémoires dont la publication s’échelonnera de 1929 à 1951. • Le nationalisme barrésien. Boulangiste à l’origine, à la fois populiste et patriote, le nationalisme barrésien se radicalise avec l’affaire Dreyfus. De l’extrême gauche, Barrès s’oriente vers la droite entre 1894 et 1906. Après avoir milité en faveur d’un « socialisme fédéraliste » qui regroupe, contre les parlementaires corrompus par le scandale de Panamá, Maurras et quelques hommes de gauche, le disciple de Gobineau entreprend une campagne violemment antidreyfusarde, dont l’antisémitisme constitue le ciment. Puis son combat politique s’oriente de plus en plus contre la République, qu’il tient pour responsable de la perte de l’Al- sace-Lorraine. Le terroir est en effet la composante d’une force personnelle, mystique, déterministe et réunificatrice. L’évolution politique de Barrès traduit le passage de l’égotisme raffiné au nationalisme social : « Ayant longtemps creusé l’idée du moi avec la seule méthode des poètes et des mystiques par l’observation intérieure, je descendis parmi des sables sans résistance jusqu’à trouver au fond et pour support la collectivité. » En réaction contre les trivialités humaines, et se nourrissant de l’ivresse de l’intellect, l’égotiste veut tout éprouver, s’exalter en savourant et en analysant chaque émotion ; mais, pour être maître de son destin, il doit être puissant et s’affranchir du monde sensible. Le culte du moi-individu délivre l’être de toute contrainte face aux « barbares », c’est-à-dire à tout ce qui lui est étranger, et conduit Barrès à celui du moi-nation. À l’instar d’un être vivant, la nation constitue un tout irréductible qui doit se défendre des forces destructrices qui menacent sa cohésion et doit exprimer son énergie ou sa puissance face aux autres peuples en s’isolant de l’étranger et en se refermant sur son identité. La nation, fruit d’une vision organique de l’homme et de la collectivité, remplace ainsi la religion révélée. barricades. Lors d’affrontements urbains, ces concentrations éphémères qui résultent d’un amoncellement de fortune tendent à fixer les combats, à protéger les insurgés et à désorganiser les communications adverses. Elles comptent parmi les symboles majeurs de l’histoire révolutionnaire parisienne au XIXe siècle. Les barricades ne s’imposent durablement dans les combats qu’avec la révolution de juillet 1830. Jusque-là, elles n’apparaissent que de façon sporadique. Les premières sont érigées sous l’Ancien Régime, lors des combats de la Ligue (12 mai 1588), puis de la Fronde (26 août 1648). Au cours de ces deux « journées des barricades », la population parisienne défie avec succès le pouvoir royal. Des barriques remplies de terre et reliées avec des chaînes rendent les rues impraticables. En revanche, les barricades sont absentes des combats de l’été 1789, ainsi que des journées révolutionnaires des années suivantes - exception faite d’une timide apparition en prairial an III (mai 1795). • Les années héroïques. Leur retour soudain en 1830, pendant les Trois Glorieuses, n’en est que plus inattendu. Elles obstruent les rues du centre et de l’est de Paris, transfor- mant l’espace en un inextricable labyrinthe. Les troupes royales dirigées par Marmont s’y empêtrent. Après chaque assaut, elles sont aussitôt reformées tandis que pleuvent les projectiles du haut des immeubles ; la capitale étant en perpétuel chantier, les insurgés peuvent se fournir en abondance en pavés, planches, meubles, véhicules de toutes sortes. Les combattants des barricades, artisans de la victoire sur Charles X, sont comblés d’honneurs, et les plus valeureux reçoivent la décoration de Juillet. Delacroix leur rend en 1831 un vibrant hommage en peignant la Liberté guidant le peuple. Mais le régime orléaniste ne les intègre pas parmi ses dirigeants ou ses cadres : la contestation endémique à laquelle doit faire face le régime dans les années qui suivent, nourrie par des crises économiques ou sociales récurrentes, prend à plusieurs reprises la forme de combats de barricades. On en dénombre plusieurs centaines les 5 et 6 juin 1832 dans les quartiers populaires de l’est et du centre de Paris. En avril 1834, elles ne sont plus qu’une trentaine, et moins encore lors de la prise d’armes de mai 1839. Le combat de barricades se révèle alors inadapté en l’absence d’un soutien populaire massif, tandis que s’accroissent les moyens des forces de l’ordre, épaulées par la garde nationale. De cette période date cependant la diffusion des barricades hors de Paris : canuts et républicains lyonnais en érigent des centaines lors des insurrections de novembre 1831 et d’avril 1834. C’est au milieu des barricades que s’effondre la monarchie de Juillet. Les premières surgissent dans la soirée du 22 février 1848, à l’issue d’une journée de manifestations. Artisans, boutiquiers et commis, fins connaisseurs des quartiers insurgés, se lancent dans la bataille, aidés ici et là par des étudiants ou par des dirigeants de sociétés secrètes. Plus d’un millier de barricades sont érigées face à des troupes indécises et peu enclines à verser le sang, d’autant que Louis-Philippe renonce vite à l’épreuve de force. • Drames et métamorphoses. En juin 1848, de multiples fractures, d’ordre géographique, économique, social ou culturel, conduisent Paris à la guerre civile. Près de quatre mille barricades, certaines plus massives et plus redoutables que jamais, se dressent à l’est d’une ligne joignant la rue Saint-Jacques et la rue du Faubourg-Montmartre. Les combats sont particulièrement meurtriers de part et d’autre : quatre mille morts environ contre moins d’un millier en juillet 1830. Ce terrible choc pèse sur les an- nées suivantes. Le petit nombre de barricades (une centaine seulement) élevées à l’annonce du coup d’État du 2 décembre 1851 témoigne de la faible mobilisation des opposants à Louis Napoléon Bonaparte. Une poignée de députés montagnards tentent en vain de soulever les quartiers populaires. Ils ajoutent cependant un chapitre à l’histoire des barricades : c’est sur l’une d’elles qu’est tué le député Baudin. Le Paris impérial ne connaît pas d’insurrection. La police veille, et la population ne s’agite guère, tandis que les grands travaux d’urbanisme du baron Haussmann éventrent les réseaux de ruelles si propices au combat urbain. L’image subversive et romantique des barricades se perpétue pourtant, notamment parmi les exilés. Dans les Misérables (1862), Victor Hugo consacre des chapitres entiers à la barricade de la rue de la Chanvrerie, où se retrouvent Jean Valjean, Marius et Gavroche en juin 1832, mais aussi à celles de juin 1848 : la « Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple ». Le révolutionnaire Auguste Blanqui songe pour sa part à en accroître l’efficacité. Contre l’improvisation et le gaspillage des énergies, il préconise une rationalisation de la construction, une unité de commandement et une véritable insertion de la barricade dans l’espace urbain. À la chute de l’Empire et face à la menace des armées étrangères, la barricade redevient naturellement le symbole du peuple uni. Une commission des barricades est ainsi établie par le gouvernement de la Défense nationale. Mais le sanglant épilogue de la Commune vient anéantir, une fois encore, l’union un moment rêvée. Les versaillais, dans leur reconquête de la capitale, s’emparent sans coup férir des barricades fortifiées que les communards ont construites les semaines précédentes, empilements colossaux de sacs de sable, plus impressionnants qu’efficaces. La résistance est plus âpre autour du demimillier de barricades érigées en hâte dans les quartiers populaires de Popincourt, de la Roquette, de la Villette ou de Belleville. • Les barricades entre l’histoire et le mythe. L’histoire des barricades change prodownloadModeText.vue.download 80 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 69 gressivement de sens après la Commune. Leur aspect se modifie, et les techniques évoluent : la voiture renversée ou l’usage du cocktail Molotov marquent l’entrée dans le XXe siècle ; si elles influent de moins en moins sur le cours des combats, elles galvanisent plus que jamais les volontés. Enfin, elles cessent d’incarner un Paris républicain, révolutionnaire, populaire. Des mouvements d’extrême droite en font à deux reprises une arme de combat. Ainsi, le 6 février 1934, ce sont les ligueurs les plus activistes qui dressent des barricades autour de la place de la Concorde. Ainsi, du 24 janvier au 1er février 1960, Alger connaît une « semaine des barricades » : aux combats meurtriers du premier soir succèdent des journées d’attente et de négociations dans les quartiers insurgés ; une partie de la population algéroise apporte son soutien aux hommes de Joseph Ortiz ou de Pierre Lagaillarde, dans une atmosphère de fête ; et, pour la première fois dans l’histoire des barricades, la défaite des insurgés prend la forme d’une reddition. Les barricades dressées face aux troupes allemandes au mois d’août 1944 ne ressemblent également que de loin aux précédentes. « Que toute la population parisienne, hommes, femmes, enfants, construise des barricades, que tous abattent des arbres sur les avenues, boulevards et grandes rues. Que toutes les petites rues soient particulièrement obstruées par des barricades en chicane. [...] Tous aux barricades ! » tel est l’appel lancé aux Parisiens par Rol-Tanguy, chef de l’insurrection. Cependant, même si les Allemands perdent beaucoup d’hommes et de temps dans les combats de rue, ceux-ci tiennent une place secondaire dans une stratégie militaire de grande envergure ; l’inadaptation et la fragilité de nombreuses barricades d’août expliquent d’ailleurs le lourd tribut - environ 1 500 morts - payé par les insurgés. Mai 1968 marque une étape décisive dans l’idéalisation des barricades. Les combats de rue n’ont plus la terrible violence d’antan, et les grandes barricades restent circonscrites au seul Quartier latin, la contestation s’exprimant plus volontiers par la grève, l’occupation des locaux (universités, usines, etc.) ou la manifestation. Pourtant, les affrontements de la « nuit des barricades » (10-11 mai) ont un impact considérable sur une opinion publique qui suit les assauts « en direct ». Entre la peur et l’enthousiasme, entre la dénonciation des brutalités policières et le refus du désordre, l’intensité des réactions montre que les barricades sont profondément enracinées, aujourd’hui encore, dans la conscience collective. barricades (journée des) [12 mai 1588], journée d’insurrection au cours de laquelle la population parisienne se soulève contre les troupes royales. La crise se noue l’année précédente, lorsque Henri de Guise, chef de la Sainte Ligue, s’impose comme le véritable rival d’Henri III. Celui qu’on nomme alors le Balafré jouit d’une grande popularité à Paris. Il y est appelé par les Seize, comité composé de ligueurs représentant les seize quartiers de la ville. Bravant les ordres du roi qui lui a interdit de revenir dans la capitale, le duc y entre le 9 mai, acclamé aussitôt par une foule enthousiaste. En compagnie de Catherine de Médicis, il se rend au Louvre, où le roi le reçoit très froidement. Le lendemain, il y retourne accompagné de 400 hommes en armes. Henri III, qui ne se décide pas à faire arrêter son rival, fait appeler 4 000 gardes suisses et 2 000 gardes-français et les autorise à défiler. C’est compter sans la susceptibilité des Parisiens : les portes de la ville étant interdites aux soldats de métier, la population réprouve bruyamment cette démonstration de force. Le 12 mai, une grande partie de la capitale se couvre de barricades. Les soldats sont insultés, frappés, et quelques gardes suisses sont même massacrés. Le roi est obligé de s’enfuir, laissant momentanément son rival maître de Paris. Brève victoire pour le duc de Guise, qui n’ose pas déposer son souverain et mourra sous ses coups quelques mois plus tard. barricades (journée des) [26 août 1648], première insurrection populaire de la Fronde à Paris. Cet incident est le fruit de la lutte entre la monarchie et le parlement de Paris, qui profite des troubles causés par la guerre de Trente Ans (1618-1648) pour renforcer ses pouvoirs au détriment de ceux de la régente Anne. Cette dernière, préoccupée par l’issue des combats, fait d’abord mine de se soumettre aux exigences des parlementaires, qui obtiennent notamment la suppression des intendants et de la vente d’offices ainsi que le droit de voter les impôts. Mais dès la victoire de Lens, remportée le 20 août 1648, la régente revient sur ses concessions et fait arrêter, le 26 août, les parlementaires les plus virulents, dont le très populaire conseiller Pierre Broussel. Aussitôt, Paris se couvre de barricades. Troupes royales et milice bourgeoise se font face sans pourtant oser s’affronter. Le 27 août, une délégation conduite par le futur cardinal de Retz se rend au Palais Royal pour négo- cier la libération de Broussel. Le 28 août, la reine, sur les conseils de Mazarin, relâche les parlementaires et quitte Paris avec le jeune roi. La monarchie s’est donc inclinée devant la dynamique bourgeoisie parisienne. Les protagonistes de la Fronde sont en place : une monarchie affaiblie et une bourgeoisie parlementaire influente, soutenue dans son action par la grande noblesse. barricades (semaine des), du 24 janvier au 1er février 1960, soulèvement des activistes français d’Alger qui consacre leur rupture avec le général de Gaulle. Revenu au pouvoir avec le soutien des partisans de l’Algérie française, l’ancien chef de la France libre a vite infléchi sa politique algérienne. Le 16 septembre 1959, il se prononce pour l’autodétermination de l’Algérie ; le 22 janvier 1960, il demande le rappel en métropole du général Massu, chef du corps d’armée d’Alger, qui s’est montré hostile à ses choix récents. Cette décision suscite une réaction très vive en Algérie : le 24, des affrontements éclatent entre les gendarmes mobiles et les manifestants armés, qui dressent des barricades. Huit d’entre eux et quatorze gendarmes sont tués. Les actitivistes, menés par le député Pierre Lagaillarde et le cafetier Joseph Ortiz, constituent alors un camp retranché au centre d’Alger. Ils capitulent le 1er février, faute d’avoir pu rallier l’armée, restée en majorité fidèle au général de Gaulle. Les conséquences de la semaine des barricades sont importantes : les ministres pro-Algérie française, tel Jacques Soustelle, quittent le gouvernement, qui obtient de l’Assemblée le droit de légiférer par ordonnances ; le général de Gaulle se déclare favorable à une « Algérie algérienne », au grand dam de certains officiers. Quant aux Français d’Algérie, ils sont tentés par une radicalisation qui les isole à la fois des Français de métropole et des musulmans algériens. La violence semble désormais la seule issue pour ceux qui n’ont pu réaliser un nouveau 13 mai 1958. Barrot (Odilon), avocat et homme politique (Planchamp, Lozère, 1791 - Bougival, Seineet-Oise, 1873). Issu d’une lignée de notaires et d’avocats, fils de conventionnel, il est sous la Restauration l’un des grands orateurs du barreau, partisan farouche d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise. La révolution de juillet 1830 le surprend, mais il en perçoit vite les enjeux et devient secrétaire de la commission muni- cipale siégeant à l’Hôtel de Ville. Il y oeuvre contre l’établissement d’un régime républicain, notamment auprès de La Fayette. Préfet de la Seine jusqu’en février 1831, il se rapproche ensuite de l’opposition et dirige à la Chambre des députés le groupe de la gauche dynastique. Sous la monarchie de Juillet, seuls les ministères Thiers trouvent grâce à ses yeux ; il s’oppose en revanche sans relâche aux orientations de Guizot. Organisateur en 1847 de la « campagne des banquets » pour la réforme électorale, il contribue bien malgré lui à la chute de Louis-Philippe. Il est élu à l’Assemblée constituante, où il compte parmi les « républicains du lendemain ». Louis Napoléon Bonaparte, président de la République en décembre 1848, lui confie le ministère de la Justice, mais, prenant ombrage de ses convictions orléanistes, le congédie en septembre 1849. À la suite du coup d’État du 2 décembre, qu’il condamne, Odilon Barrot est arrêté, emprisonné un temps, puis quitte à jamais la scène politique. Il a plus de 80 ans lorsque Thiers le nomme à la présidence du Conseil d’État, en 1872. Barry (Jeanne Bécu, comtesse du), maîtresse de Louis XV (Vaucouleurs 1743 - Paris 1793). Fille naturelle d’Anne Bécu et d’un moine, elle arrive jeune à Paris et vit de ses charmes sous divers noms. En 1768, son amant, le comte Jean du Barry, lui fait épouser son frère Guillaume. Ainsi munie d’un titre, elle est introduite à la cour de Louis XV, dont elle devient la favorite. Elle ne jouera aucun rôle politique, si ce n’est dans le renvoi de Choiseul, qui a freiné son ascension sociale. Renvoyée de la cour en 1774, elle se retire peu après dans le château de Louveciennes, que Louis XV lui a fait construire. Entre 1791 et 1793, elle se rend à plusieurs reprises en AndownloadModeText.vue.download 81 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 70 gleterre, ce qui la fait soupçonner d’intrigues avec les émigrés. De retour à Louveciennes en 1793, elle est arrêtée par le Tribunal révolutionnaire et exécutée le 8 décembre. Ainsi périt la dernière maîtresse royale de la monarchie française. Tout au long de sa vie, la du Barry fut la cible de pamphlets et de gravures pornographiques : en raison de son origine sociale modeste et de sa vie de courtisane, le peuple la jugeait indigne des faveurs monarchiques. Ces attaques populaires dirigées contre la comtesse et les autres maîtresses du BienAimé s’inscrivent dans un long processus de dénigrement des plus éminentes figures féminines de la cour. Bart (Jean), corsaire (Dunkerque 1650 - id. 1702). Issu d’une famille de marins, il s’illustre sa vie durant sur les mers, au service du roi, faisant preuve d’audace et de sens tactique. Dès 1672, après avoir combattu les Anglais sous les ordres de l’amiral néerlandais Ruyter (1666), il passe au service de la France et, en 1674, est promu commandant d’un navire corsaire. Avec Duguay-Trouin et Forbin, il devient l’un des plus grands acteurs de la guerre de course. En 1678, il a déjà 81 prises à son actif. Pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), il met à mal les flottes anglaise et néerlandaise, multipliant les expéditions en mer du Nord. Le 29 juin 1694, alors que la France subit une grave crise de subsistances, il sauve un convoi de blé russe, ce qui lui vaut d’être anobli par Louis XIV. Ni son emprisonnement par les Anglais (1689) ni le bombardement de Dunkerque (16941695) n’ont pu venir à bout de son énergie. Nommé chef d’escadre et commandant de la marine de Dunkerque en 1697, il meurt avant d’avoir pu s’engager dans la guerre de la Succession d’Espagne. Barthélemy (François, marquis de), diplomate et homme politique (Aubagne, Bouches-du-Rhône, 1747 - Paris 1830). La protection de son oncle, auteur du célèbre Voyage du jeune Anacharsis en Grèce (1788) et familier de Choiseul, lui ouvre les portes de la diplomatie : il occupe divers postes en Europe (Stockholm, Vienne, Londres), mais refuse le ministère des Affaires étrangères en 1791, et se voit nommé ambassadeur auprès des cantons suisses à la fin de l’année. Il réussit à faire face à une situation difficile : mauvaises relations avec les Suisses, aggravées après les massacres du 10 août 1792 ; présence d’émigrés et de réfugiés ; heurts avec son premier secrétaire ; obligation de s’installer dans un hôtel de la petite ville de Baden, près de Zurich. Grâce à ses capacités de négociateur et d’organisateur des échanges commerciaux (plus ou moins clandestins) entre les deux pays, il obtient de demeurer ambassadeur en Suisse, alors qu’une partie des cantons ne reconnaît pas le gouvernement révolutionnaire. Il traverse ainsi la Terreur et, même si une partie des thermidoriens le juge trop indulgent envers les émigrés, il figure au centre des négociations avec la Prusse et l’Espagne en 1795, qui s’achèvent par les traités de Bâle. Il acquiert ainsi une réputation durable d’« homme de la paix », qu’il conforte en négociant l’échange de Madame Royale contre des révolutionnaires prisonniers des Autrichiens (ce qui lui vaut d’être soupçonné de participer à des intrigues royalistes). La majorité royaliste modérée issue des élections de l’an V le fait élire directeur en 1797. Il s’oppose alors aux mesures trop révolutionnaires, sans pour autant mener une action très efficace. Victime du coup d’État de fructidor (4 septembre 1797), il est déporté à Cayenne sans avoir été jugé. Il s’évade vers la Guyane néerlandaise cinq mois plus tard, se réfugie aux États-Unis, puis en Angleterre. Mal accueilli, il gagne Hambourg, où il rejoint un groupe d’émigrés fidèles à Louis XVIII. Au lendemain du 18 Brumaire, Bonaparte le fait rentrer et le nomme sénateur dès 1800. Resté fidèle, malgré la mort de Pichegru et l’exécution du duc d’Enghien, il devient comte d’Empire et entre à l’Institut en 1808. Nommé président du Sénat en 1814, il fait voter la déchéance de Napoléon, est nommé sénateur à vie par Louis XVIII, puis pair de France. Absent pendant les Cent-Jours, il est fait marquis héréditaire, après avoir voté la mort de Ney, en 1818. Retiré de la vie politique lors du ministère Decazes, il rédige alors ses Mémoires. Barthou (Louis), homme politique (Oloron-Sainte-Marie, Pyrénées-Atlantiques, 1862 - Marseille 1934). Parlementaire pendant quarante-cinq ans, douze fois ministre, une fois président du Conseil, Louis Barthou est un des hommes clés de la IIIe République. Après des études de droit, ce brillant jeune Béarnais, d’origine modeste, est élu député républicain progressiste des Basses-Pyrénées. À Paris, il se fait vite connaître par ses dons d’orateur et ses interventions minutieusement préparées. À 33 ans, il est au centre de l’éventail politique, apparaît comme un des chefs des républicains progressistes et entre dans le second cabinet Dupuy, au poste stratégique de ministre des Travaux publics (mai 1894-janvier 1895). Il détient ensuite cinq portefeuilles ministériels jusqu’en mars 1913, date à laquelle le président Poincaré le choisit comme président du Conseil (mars-décembre 1913). Il se manifeste alors comme un fervent patriote et fait voter la « loi des trois ans » sur le service militaire. En 1917, il est ministre d’État, puis des Affaires étrangères. Après guerre, il est plusieurs fois ministre dans des cabinets de droite, mais c’est au Quai d’Orsay, dans le gouvernement d’« union nationale » de Doumergue, qui suit le 6 février 1934, qu’il donne toute sa mesure : il tente d’isoler l’Allemagne nazie en constituant un système de sécurité collective en Europe centrale, auquel il souhaiterait voir se joindre l’URSS et l’Italie. Mais il meurt à Marseille le 9 octobre 1934 dans l’attentat commis par un nationaliste croate contre le roi Alexandre Ier de Yougoslavie. Barthou avait su engager une politique à la fois réaliste et visionnaire, qui fut, selon l’historien Jean-Baptiste Duroselle, « une brève période d’incontestable redressement sur le chemin de la décadence ». Basch (Victor), philosophe et président de la Ligue des droits de l’homme (Budapest ? 1863 - Neyron, Ain, 1944). Né dans une famille juive de Hongrie, Victor Basch, après son succès à l’agrégation d’allemand, enseigne à l’université de Nancy, puis à Rennes. Ses thèses sur Schiller et sur l’esthétique de Kant soutenues, il arrive en Sorbonne (1906), où il obtient une chaire d’esthétique. Toutefois, son renom tient avant tout à son itinéraire d’intellectuel engagé. L’affaire Dreyfus provoque chez lui une prise de conscience : il fonde la première section provinciale de la Ligue des droits de l’homme (LDH), et transforme son domicile en véritable quartier général du camp dreyfusard lors du procès de Rennes. Entré au comité central de la LDH en 1907, il en devient le président en 1926. Ses combats au sein du mouvement socialiste et de la LDH le conduisent d’abord à stigmatiser la responsabilité de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale, puis à renouer un dialogue avec elle. Son pacifisme ne l’empêche pas de combattre le fascisme avant 1933. Et, sans engager la Ligue, il devient le président du Comité national du rassemblement populaire. Puis ses relations avec le gouvernement de Front populaire se distendent quand il préside le Comité d’aide à l’Espagne républicaine. Son antifascisme en fait l’adversaire résolu des accords de Munich et le conduit à dénoncer le pacte germano-soviétique. Après la victoire allemande, il se réfugie à Lyon. Le 12 janvier 1944, lui et sa femme sont abattus par la Milice. basoche, terme utilisé pour désigner les communautés de clercs de procureurs des cours souveraines (parlements, chambre des comptes, cour des aides, cour des monnaies, châtelet), et en particulier du parlement de Paris, de la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècle) au XVIIIe siècle. La basoche reproduit sur le mode parodique les institutions juridiques des différentes cours et les rites de sociabilité des officiers de justice. Le royaume de basoche est ainsi dirigé par un chancelier, élu chaque année par l’ensemble des clercs, et se compose d’une juridiction centrale, formée d’officiers (les princes de la basoche) et de juridictions territoriales qui s’insèrent dans le cadre des prévôtés royales. Les audiences hebdomadaires des cours basochiales, ainsi que diverses fêtes et processions annuelles, sont l’occasion de rites bouffons pastichant les usages et les moeurs des gens de justice. Mais la basoche devient aussi, progressivement, un véritable organe juridictionnel chargé de régler les litiges civils entre les clercs et disposant de larges pouvoirs disciplinaires sur la profession. Ces diverses compétences sont d’ailleurs reconnues par le pouvoir royal en 1528, puis de nouveau en 1604 et 1642. La basoche parvient même à contrôler l’accès à la profession de procureur en détenant le monopole de délivrance des certificats d’ancienneté nécessaires pour obtenir cette fonction. La basoche est ainsi un des exemples les plus significatifs de ces corps à la fois professionnels et sociaux qui organisent la société urbaine d’Ancien Régime. downloadModeText.vue.download 82 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 71 basque (Pays), région des Pyrénées occidentales, de langue et de culture basques. Bien que n’ayant jamais véritablement connu d’existence politique indépendante, le Pays basque constitue une entité ethnique et culturelle, caractérisée notamment par une langue dont l’origine n’est pas indo-européenne. Le peuple basque vient, semble-t-il, de la péninsule Ibérique et s’installe dans les vallées pyrénéennes à partir du VIe siècle. À la suite d’une lente progression du VIe au VIIe siècle, les Basques finissent par occuper l’ensemble des territoires compris entre la Garonne et les Pyrénées, c’est-à-dire l’ancienne province romaine de Novem-populanie, donnant ainsi naissance à la Wasconia, ou Gascogne. Les Basques refusent cependant de se soumettre à la monarchie franque et entretiennent un climat d’insécurité dans tout le piémont pyrénéen, jusqu’à la vallée de la Garonne. Afin de les contenir dans leurs montagnes, le roi franc Dagobert crée en 629 un royaume d’Aquitaine, avec Toulouse pour capitale, et en confie la charge à son demi-frère, Caribert. Après la mort de ce dernier, Dagobert reprend directement l’offensive contre les Basques, qu’il écrase en 635. Leur soumission aux rois francs reste cependant théorique, car ils bénéficient indirectement de la construction d’une principauté d’Aquitaine, indépendante aux VIIe et VIIIe siècles. Lorsque l’Aquitaine est intégrée au royaume carolingien, entre 760 et 768, les Basques, réfugiés dans les Pyrénées, refusent de nouveau de se soumettre. Ils massacrent ainsi, en 778, au col de Roncevaux, l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne de retour d’Espagne. La constitution d’un comté de Gascogne au début du IXe siècle et l’essor du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle aux Xe et XIIe siècles assurent enfin l’intégration du peuple basque au monde franc. Durant tout le Moyen Âge et la période moderne, le pays et le peuple basques demeurent toutefois partagés entre la souveraineté des rois de France, des rois de Navarre et des rois de Castille. La fixation progressive de la frontière pyrénéenne entre la France et l’Espagne ne laisse en définitive qu’une petite minorité de la population basque (celle de la Basse-Navarre, de la Soule et du Labourd) sous souveraineté française. Aux XIXe et XXe siècles, la naissance et l’essor du nationalisme au Pays basque espagnol n’ont que peu d’incidences sur le Pays basque français, qui reste bien intégré à la République. Si un courant nationaliste finit par apparaître dans les années soixante et se double, à partir de 1973, d’un groupe clandestin (Iparretarak, « Ceux du Nord ») lié au terrorisme basque espagnol, le mouvement indépendantiste ne peut compter que sur 5 à 6 % des suffrages aux élections. La singularité basque continue ainsi d’exister en France sans structure politique propre. Bastiat (Frédéric), économiste (Bayonne 1801 - Rome 1850). Ce fils de négociant se tourne très tôt vers l’action publique. Son engagement est dès l’origine marqué par une grande défiance à l’égard de l’État et du rôle que celui-ci entend jouer dans l’économie. Mais, d’un strict point de vue politique, Bastiat est conservateur : il soutient en 1830 un candidat hostile aux « 221 » qui avaient voté l’adresse à Charles X, contre le gouvernement Polignac. Sa pensée économique se structure autour des idées libreéchangistes, influencées par celles de l’Anglais Cobden. En 1844, il envoie au Journal des économistes un article consacré aux tarifs francoanglais, analyse d’inspiration libérale sur les relations commerciales entre les deux pays, qui connaît un vif succès. Bastiat organise alors la société libre-échangiste à Bordeaux, avant de rejoindre à Paris le duc d’Harcourt, animateur du mouvement. Ses opinions évoluent peu à peu d’une réflexion économique vers un combat politique contre le socialisme, notamment contre Proudhon, auquel l’oppose une polémique restée célèbre sur la légitimité de l’intérêt. Élu député des Landes en 1848, il défend à la Chambre sa conception d’un État cantonné à ses missions régaliennes. De santé fragile, Bastiat meurt laissant inachevé le manuscrit des Harmonies économiques, dont le titre rend compte d’une vision optimiste du libéralisme. Théoricien plus qu’homme politique, il demeure en France comme l’un des pères de la pensée libérale. En témoigne le regain d’intérêt pour ses idées dans les rangs libéraux au cours des années quatre-vingt. Bastille, forteresse militaire édifiée en 1370 dans l’est de Paris, devenue prison d’État au XVIIe siècle, prise d’assaut par les Parisiens le 14 juillet 1789 et rasée peu après. • Histoire et légende. Haute de 30 mètres, bordée de larges fossés et flanquée de huit tours massives, la Bastille est une place forte construite lors de la guerre de Cent Ans pour défendre Paris. Elle accueille parfois des prisonniers dès le XVe siècle et devient, sous Louis XIII, l’une des prisons d’État où le roi peut faire enfermer, sur lettre de cachet, toute personne qu’il juge dangereuse pour la sécurité du royaume. D’une capacité d’environ cinquante places, la Bastille reçoit, entre 1659 et 1789, 5 279 prisonniers, hommes ou femmes, dont 80 % font un séjour de moins d’un an et 4 % de plus de cinq ans. Les prisonniers illustres, tels Fouquet, le Masque de fer, Latude, Voltaire, Lally-Tollendal ou Sade, contribuent à la légende d’une prison réservée aux élites, bien que les grands seigneurs ou les écrivains renommés y soient minoritaires. Parmi les causes d’embastillement, la politique, la religion et les crimes économiques contre le roi (faux en écritures ou malversations) prédominent ; mais, depuis que le lieutenant général de police (charge créée en 1667) a le droit d’embastiller sur ordre du roi, l’essentiel des prisonniers est composé de militaires indisciplinés, duellistes, espions, maris libertins ou fils rebelles (enfermés à la demande des familles), sacrilèges, faux prophètes, sodomites, libellistes, libraires, imprimeurs, colporteurs, auteurs de complots et petits délinquants. Le trait le plus caractéristique demeure la volonté de contrôler l’opinion publique, volonté qui se traduit par l’embastillement en nombre croissant d’auteurs - et de leurs complices - de paroles ou d’écrits jugés subversifs. Le nombre de prisonniers varie ; il augmente à l’époque de la prise effective du pouvoir par Louis XIV ou à l’occasion d’événements importants, tels la révocation de l’édit de Nantes, la condamnation du jansénisme (l’adhésion aux thèses jansénistes est le premier motif d’embastillement sous Louis XV), l’attentat de Damiens, la guerre des Farines, ou l’affaire du Collier de la reine, qui suscite tant d’écrits insultants contre Marie-Antoinette. Les nobles, qui représentent un tiers des embastillés sous le règne de Louis XIV, n’en forment plus qu’un sixième sous celui de Louis XV, qui marque ainsi une rupture par une sorte de banalisation sociale mais aussi par le recours de plus en plus fréquent à la Bastille. Dès lors, et jusqu’en 1789, les membres du tiers état constituent les trois quarts des embastillés. La Bastille connaît un relatif déclin sous Louis XVI, qui use deux fois moins de ce moyen de répression que ses prédécesseurs. Les conditions de détention dans cette forteresse (dirigée par un gouverneur) sont bien plus douces que dans les prisons ordinaires, surpeuplées et affermées aux geôliers qui se paient sur leurs prisonniers. Moyen d’écarter les mauvais sujets de la société en étouffant le scandale, l’embastillement évite aux détenus, dont l’entretien est payé par le roi, le déshonneur d’un procès ainsi que les peines infamantes et corporelles. Entourée d’un secret impénétrable, propice aux rumeurs les plus folles, et située à la jonction du populeux faubourg Saint-Antoine et du Marais aristocratique, la Bastille, qui menace nombre de Parisiens, terrorise et fascine tout à la fois. Au XVIIIe siècle, sous l’influence des Lumières et de l’anti-absolutisme, elle devient un symbole de l’arbitraire royal, violemment dénoncé à partir de 1770. • La prise de la Bastille. La peur est à l’origine de la révolte de l’été 1789 : les troupes rassemblées par Louis XVI autour de la capi- tale, sans doute pour dissoudre la toute récente Assemblée nationale, le renvoi du populaire Necker, mais aussi l’extrême cherté du pain, aliment de base, tout concourt à l’idée d’un complot aristocratique contre le peuple. Au matin du 14 juillet, après deux jours de désordres et de pillages, la foule, en quête d’armes pour se défendre contre la troupe, s’empare aux Invalides de 32 000 fusils, puis se dirige vers la Bastille dans l’espoir d’y trouver poudre et munitions. Cependant, le gouverneur Launay refuse de livrer la forteresse défendue par un peu plus de 100 soldats, qui finissent par ouvrir le feu : la fusillade fait une centaine de morts parmi les assaillants. Mais Launay capitule lorsque des gardes-françaises, venus en renfort, pointent leurs canons sur les portes. Six défenseurs sont tués ; Launay et le prévôt des marchands, Flesselles, décapités, leurs têtes, exhibées sous les fenêtres du Palais-Royal. La Bastille ne recèle pas d’armes et n’y sont enfermés que sept prisonniers, qui sont délivrés par les Parisiens. Pourtant, l’assaut, qui a raison de Louis XVI (il fait retirer les troupes, rappelle Necker et arbore la cocarde tricolore) et marque l’irruption du peuple en armes sur la scène politique, devient d’emblée le symbole de la liberté conquise. Il trouve un formidable écho dans tout le pays, dont certaines régions vont être traversées par le mouvement de la Grande Peur. • La permanence d’un symbole. Décidée dès le 15 juillet 1789, la démolition de la « cidownloadModeText.vue.download 83 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 72 tadelle du despotisme » est aussitôt commencée par l’entrepreneur Palloy, qui a l’idée de tailler dans les blocs de pierre des maquettes de la Bastille qui sont envoyées dans toute la France. Ornant les sièges des clubs et des sociétés populaires, elles sont bientôt portées en procession lors des fêtes révolutionnaires. Le 14 Juillet est commémoré tout au long de la Révolution jusqu’au Premier Empire. Dès 1790, la fête de la Fédération célèbre à la fois cette journée révolutionnaire et l’unité des Français. À cette occasion, un diplôme de « vainqueur de la Bastille » est attribué par décret à 662 assaillants, dont 400 survivants seront encore pensionnés par la monarchie de Juillet. En 1812, la place de la Bastille est ornée de la maquette d’une fontaine en forme d’éléphant, avant-projet d’un immense monument qui ne verra jamais le jour. Puis la colonne de Juillet, surmontée du génie de la Liberté, y est inaugurée en 1840 en mémoire des combattants de la révolution de 1830. Malgré la volonté des régimes successifs de neutraliser la charge symbolique de la prise de la Bastille, la place demeure au XIXe siècle un haut lieu révolutionnaire : la République y est fêtée en 1848 et les gardes nationaux de la Commune y prêtent serment en 1871. bâtard. À partir du XIIe siècle, quand l’Église précise la législation sur le mariage, s’affirment des discriminations légales et honorifiques entre enfants légitimes et illégitimes. Le bâtard d’un noble hérite, certes, de la condition de son père, dont il porte les armoiries avec une barre transversale, mais il ne peut entrer dans les ordres, ni hériter de ses parents si ceux-ci meurent intestats. Le bâtard est exclu de la succession aux fiefs, et il est indigne d’être fait chevalier. Dans la réalité, ces dispositions sont détournées, et l’opinion reste tolérante. Le fils naturel de Louis d’Orléans est connu de tous sous le nom de « Bâtard d’Orléans », et Charles VII le fait comte de Dunois. • Une marginalisation sociale croissante. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le renforcement de l’autorité paternelle, encouragé par la monarchie évoluant vers l’absolutisme, entraîne un durcissement de la législation, et plus encore des mentalités. L’édit de 1556 oblige à déclarer les grossesses ; l’ordonnance de Blois met fin en 1579 à la présomption de mariage en cas de grossesse, qui engageait par trop la famille du père. Les mariages sans témoin et sans consentement des parents sont interdits. L’Église de la Contre-Réforme comme les protestants luttent contre les mauvaises moeurs, et les naissances illégitimes reculent fortement au XVIIe siècle (en dessous de 1 % des naissances), avant de remonter à la fin du XVIIIe siècle (2,6 % vers 1789), lorsque se relâche le contrôle de l’Église sur la société. Les filles des campagnes séduites vont souvent accoucher en cachette en ville, abandonnant ensuite l’enfant. Le Dictionnaire de Furetière (1690) enregistre l’accentuation des degrés de déclassement : « Les bâtards des rois sont princes ; ceux des princes, gentilshommes ; ceux des gentilshommes, roturiers. » • Les bâtards royaux. La famille royale au XVIIe siècle pourrait sembler à contre-courant. Loin de cacher leurs bâtards, les rois les reconnaissent. Le fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées est fait duc de Verneuil ; les fils de la Montespan et du Roi-Soleil sont, l’un, duc du Maine et, l’autre, comte de Toulouse. Le duc de Saint-Simon a bien senti le sens politique de cette entorse à la morale commune. Louis XIV poursuit une stratégie d’union entre ses bâtards légitimés et des princes du sang : ainsi, Mlle de Blois, fille de La Vallière, se marie avec le prince de Conti, tandis que le duc du Maine et Mlle de Nantes, enfants de la Montespan, épousent des Condé, et que leur soeur, la seconde Mlle de Blois, est mariée à Philippe d’Orléans, le futur Régent. À cette union des sangs entre les Bourbons s’ajoute l’ascension en dignité des légitimés. Leur père crée en 1694 un « rang intermédiaire » qui les détache des duc et pairs ; puis, en 1714 et 1715, il en fait des princes du sang, avec droit à la succession à la couronne. Ce coup de force contre la tradition traduit une mythologie dynastique du sang royal. • La lente reconnaissance des « enfants naturels ». À l’époque des Lumières, certains, par humanitarisme ou par populationnisme, se préoccupent de l’abandon des bâtards. Au nom du droit naturel, la Convention abolit les discriminations et proclame les enfants naturels « enfants de la patrie ». Mais, pour défendre le mariage, elle interdit la recherche de paternité et diminue la part d’héritage de l’enfant adultérin. Le Code civil (1804) marque un recul en réduisant le droit à l’héritage pour tous les enfants naturels. Dans la société bienséante du XIXe siècle, l’enfant de l’amour déshonore ses géniteurs, et la bourgeoisie stigmatise le concubinage populaire, facteur de naissances illégitimes (8,7 % à la fin du siècle). Toutefois, la connivence sociale peut faire prétendre ignorer des secrets connus de tous : le duc de Morny, coqueluche du Tout-Paris, n’est-il pas le demi-frère adultérin de Napoléon III ? Le préjugé pèse longtemps sur la loi : il faut attendre 1972 pour que celle-ci place à égalité les filiations naturelles et légitimes, accomplissant enfin l’idéal de 1793. Bathilde, reine des Francs, sainte (en Angleterre, vers 635 - Chelles, vers 680). D’origine anglo-saxonne, Bathilde entre comme esclave au palais du roi franc Clovis II, qui la remarque pour son intelligence et sa grande beauté et la prend pour femme en 648 ou 649. Elle lui donne trois fils et à la mort de son époux, en 657, gouverne le royaume neustro-burgonde en leurs noms avec l’aide du maire du palais, Ébroïn, ainsi que de plusieurs évêques du royaume, tels saint Éloi de Noyon et saint Ouen de Rouen. La politique « centraliste » de Bathilde et d’Ébroïn provoque des troubles en Bourgogne, qui sont réprimés de manière sanglante, Bathilde y gagnant ainsi une réputation de reine tyrannique, telle la Jézabel de l’Ancien Testament. Pourtant, elle est aussi vénérée comme la sainte fondatrice de deux monastères qui suivent la règle de tradition colombanienne de Luxeuil, celui de Corbie et, surtout, celui de Chelles - où elle se retire vers 665 après avoir été écartée du pouvoir par Ébroïn et où elle est enterrée. C’est sans doute là aussi qu’a été composé le récit hagiographique de sa vie qui la présente à la fois comme une reine très chrétienne et comme une puissante souveraine. La tradition qui veut que la chemise de lin conservée à Chelles ait été le linceul de la reine Bathilde a été récemment confirmée par l’archéologie. Cette chemise porte des broderies qui reproduisent probablement les bijoux dont la reine se serait défaite par souci d’humilité et qu’elle aurait convertis en aumônes pour les pauvres. Batz (Jean Pierre Louis, baron de), homme politique et conspirateur (Tartas, Landes, 1754 - château de Chadieu, près de Vic-leComte, Puy-de-Dôme, 1822). Issu d’une famille de petite noblesse originaire de Gascogne, il se rend très jeune à Versailles, où, courtisan accompli, il obtient le titre de baron en 1776 et reçoit, après une mission officielle en Espagne, un brevet de colonel de cavalerie. En 1787, fréquentant les milieux financiers, il fonde la première compagnie d’assurances sur la vie. Enrichi, il achète la charge de grand sénéchal d’épée du duché d’Albret, qui l’élit député aux états généraux de 1789. De 1790 jusqu’au début du Consulat, il s’engage dans la Contre-Révolution, manoeuvrant le plus souvent dans l’ombre. Il est conseiller secret de Louis XVI, qui le rémunère, mais également président du Comité de liquidation, chargé de rembourser les créanciers de l’État, et il prélève alors des fonds qu’il verse aux émigrés. Après avoir vainement tenté de délivrer Louis XVI sur le parcours du Temple à l’échafaud et de faire évader Marie-Antoinette de sa prison, il compromet, par ses relations et des opérations spéculatives sur des fonds publics, les hébertistes et les dantonistes, qui sont exécutés en 1794 en compagnie de financiers véreux. Dénoncé à la Convention, il vit dans la clandestinité jusqu’au 9 Thermidor, puis, impliqué dans l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), il est arrêté, s’évade et se réfugie à l’étranger. Maréchal de camp de l’armée de Condé en 1797, il cesse toute activité en 1800. Récompensé pour ses services sous la Restauration, il finit ses jours en Auvergne. Baudin (Jean-Baptiste Alphonse Victor), médecin et homme politique (Nantua, Ain, 1811 - Paris 1851). Fils d’un médecin de province, Alphonse Baudin sert en Algérie comme chirurgien militaire ; il choisit ensuite de quitter l’armée et exerce à Paris auprès des plus pauvres. C’est la révolution de février 1848 qui provoque son engagement politique, nourri d’idées saint-simoniennes et fouriéristes. Député de l’Ain en mai 1849, Baudin siège à la Montagne, dans les rangs des républicains les plus virulents, et s’oppose au prince-président. Son hostilité au coup d’État du 2 décembre 1851 est telle qu’il prend la tête d’une résistance armée. Le 3 au matin, ayant résolu de soulever le faubourg Saint-Antoine, il fait édifier une barricade par une centaine d’ouvriers du quartier. Immortalisés par Victor Hugo dans son Histoire d’un crime (rédigé dès décembre 1851, mais publié en 1877), ses derniers mots sont passés dans la légende ; en réponse à un ouvrier qui lui downloadModeText.vue.download 84 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 73 reprochait de se battre pour conserver son indemnité parlementaire, Baudin aurait répliqué : « Vous allez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs. » Tué quelques minutes plus tard, devenu un martyr de la cause républicaine, Baudin est inhumé le 5 décembre, en secret, au cimetière Montmartre. En 1868, des journaux républicains ouvrent une souscription nationale pour lui élever un monument. Ils sont poursuivis en justice, et Gambetta prononce à cette occasion une plaidoirie qui le rend célèbre, contribuant à entretenir le culte de Baudin, diffusé plus tard par les manuels scolaires sous la IIIe République. Baudouin de Flandre, comte de Flandre (Baudouin IX, 1195-1206), comte de Hainaut (Baudouin VI, 1195-1206) et empereur de Constantinople (Baudouin Ier) de 1204 à 1205 (Valenciennes 1171 - Andrinople 1205 ou 1206). Fils du comte Baudouin V de Hainaut et de Marguerite d’Alsace, il hérite en 1195 d’un vaste territoire, composé du comté de Flandre, du comté de Hainaut et du marquisat de Namur, qui constitue la principale force politique du nord du royaume. Baudouin tient tête à son beau-frère le roi de France Philippe Auguste, qui avait recueilli l’Artois apporté en dot par Isabelle de Hainaut. Il fait d’abord hommage au roi de France, puis s’allie au roi d’Angleterre Richard Coeur de Lion et au comte de Boulogne Renaud de Dammartin en 1197. Leur coalition défait l’armée royale en Flandre et contraint Philippe Auguste à des concessions. Le conflit cesse en 1199, lorsque le pape Innocent III impose aux belligérants une trêve de cinq ans pour les inciter à partir en croisade. Le comte Baudouin prend donc part à la quatrième croisade, qui assiège la ville de Constantinople à la demande de l’empereur Isaac II Ange, qui avait été détrôné par son frère. À la suite d’une émeute qui renverse Isaac II (rétabli au pouvoir), Baudouin est élu empereur latin de Constantinople par les croisés, le 9 mai 1204. Vaincu à Andrinople le 14 avril 1205 par une coalition de Grecs et de Bulgares, il disparaît au cours de la bataille. De l’aventure éphémère de Baudouin, il demeure pendant près de cinquante ans un Empire latin d’Orient, aux mains de la famille de Courtenay. Bayard (Pierre Terrail, seigneur de), homme de guerre (Bayard, près de Grenoble, vers 1476 - Romagnano Sesia, Italie, 1524). Issu de la petite noblesse du Dauphiné, Pierre Terrail embrasse dès l’enfance la carrière militaire : page de 1486 à 1493, puis homme d’armes, il participe aux deux premières campagnes d’Italie, en 1494 et 1499. Mais ce n’est que de 1500 à 1503, durant la seconde guerre de Naples, que s’égrènent les prouesses et les exploits, souvent gratuits, qui façonnent la dernière légende de la chevalerie française : le combat à outrance, à onze contre onze, des chevaliers français et espagnols en juillet 1502, ou la défense de l’arrière-garde française sur le pont du Garigliano en décembre 1503. En 1509, il commande une bande de cinq cents fantassins dauphinois. En 1511, malgré ses humbles origines, il est fait lieutenant d’une compagnie de cent lances. À Marignan, en 1515, le jeune François Ier demande au courageux hobereau de l’armer chevalier : au-delà de l’image d’Épinal, cette scène, pour une fois, semble ne pas trahir les faits. Nommé alors lieutenant général du Dauphiné, Bayard, qui ne se plaît pas à la cour, demeure à Grenoble, et contribue, par une sage administration, à l’intégration dans le royaume de cette province, française depuis peu. La défense victorieuse de Mézières en 1521 lui assure définitivement faveur royale et richesse. Il est, au sommet de sa gloire, capitaine d’une compagnie de cent lances, lorsque, en Lombardie, il est tué le 30 avril 1524, frappé - ironie du sort - par l’un de ces arquebusiers qu’il honnissait... Bayard fut sans doute marqué profondément par son éthique guerrière et spirituelle, mais il sut aussi, en bon soldat, commander des fantassins et, à l’occasion, recourir à la ruse, voire à la cruauté. Deux biographies romancées, écrites par Symphorin Champier et par le secrétaire de Bayard, Jacques de Mailles, dit « le Loyal Serviteur », ignorent ces contradictions. Les deux ouvrages sont publiés dès 1525 et 1527 car, après le désastre de Pavie (1525), le royaume a besoin de modèles pour croire à son redressement. Bayard, « chevalier sans peur et sans reproche », y est donc paré de toutes les vertus belliqueuses (bravoure, magnanimité) ou morales (chasteté, humilité, générosité, désintéressement). Statufié en parangon du chevalier fidèle à Dieu et à son souverain, cet homme de guerre apparut tour à tour, au fil des siècles, comme un modèle pour l’éducation de la noblesse, un serviteur exemplaire de la couronne, un défenseur de la patrie en danger, un modeste et sage provincial opposé aux menées de la cour, un bon chrétien conservateur et, enfin, un héros national admis au panthéon des gloires de l’école républicaine. Bayeux (discours de), discours prononcé le 16 juin 1946 par le général de Gaulle, dans lequel ce dernier expose ses idées en matière constitutionnelle. Six mois après avoir quitté la direction du pays, de Gaulle fait sa rentrée politique, et s’adresse avant tout au MRP, premier parti de l’Assemblée constituante élue quinze jours plus tôt. Il accepte une « Assemblée élue au suffrage universel et direct » votant les lois et les budgets et pouvant renverser le gouvernement, mais lui adjoint une Chambre consultative, représentant « la vie locale », c’est-à-dire les élus municipaux et départementaux, et aussi les « organisations économiques, familiales, intellectuelles ». Surtout, au nom de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs, il souhaite que le président de la République soit un arbitre désigné par « un collège qui englobe le Parlement, mais beaucoup plus large », pour « qu’au-dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». Le président est chargé de former le gouvernement et a le droit de dissoudre l’Assemblée. Il n’y a là ni bonapartisme ni même présidentialisme, mais le prestige personnel du général de Gaulle inquiète. La gauche s’indigne. Le MRP préfère négocier avec la SFIO la Constitution qui sera adoptée en octobre suivant. Le discours de Bayeux reste donc sans effet immédiat, même s’il servira à l’élaboration de la Constitution de 1958, et inspirera en partie le projet de réforme du Sénat et des Régions, rejeté lors du référendum de 1969. Bayeux (tapisserie de), toile de lin brodée de laines polychromes contant la conquête de l’Angleterre par les Normands de Guillaume le Conquérant, en 1066. Improprement attribuée à la reine Mathilde, épouse de Guillaume, cette « telle d’ymages et escripteaux » a probablement été exécutée dans un atelier monastique de Cantorbéry à la demande d’Odon, demi-frère du duc bâtard et évêque de Bayeux. Sans doute exposée au public lors de la dédicace de la cathédrale romane le 14 juillet 1077, cette longue et étroite bande (68,30 m X 0,50 m) sert à légitimer l’accession de Guillaume au trône d’Angleterre autant qu’à répandre sa gloire chez ses sujets normands. En cinquante-huit séquences titrées en latin, la tapisserie montre comment Harold, passant outre la volonté du roi Édouard et reniant le serment prêté sur les reliques bajocasses, usurpa le titre de rex Anglorum. La bataille de Hastings n’apparaît plus alors que comme le châtiment, humain autant que divin, d’un parjure. Dès lors, le récit brodé rejoint la chanson de geste et sa structure manichéenne : aux bons Normands que guide le noble Guillaume en respect de la volonté du roi Édouard (qu’on montre pieusement enterré en « l’église de Saint-PierreApôtre ») s’opposent Harold le félon et ses Saxons impies (lors de son intronisation, il est béni par l’archevêque Stigant, que le pape avait excommunié). Chronique historique autant que récit épique, chef-d’oeuvre d’art visuel, cette « Toilette du duc Guillaume », ainsi que l’appelèrent ses premiers analystes au XVIIIe siècle, est aussi un témoignage vivant du monde médiéval au lendemain de l’an mil. Bayle (Pierre), philosophe, érudit et moraliste (Le Carla, comté de Foix, aujourd’hui, Carla-Bayle, 1647 - Rotterdam 1706). L’itinéraire philosophique de Pierre Bayle exprime la crise de la conscience européenne de la seconde moitié du XVIIe siècle. Fils de pasteur, de confession protestante, il est menacé par la monarchie de Louis XIV. Mais, refusant de contester radicalement l’absolutisme et favorable à une religion modérée, le philosophe est également attaqué par les théologiens calvinistes alors qu’il défend la tolérance religieuse. En rupture avec le milieu réformé, il se convertit au catholicisme à l’âge de 21 ans, sous l’influence des jésuites du collège de Toulouse. Mais, peu après, il se confesse auprès de quatre pasteurs, dont son frère Jacob, et se réconcilie avec la religion de sa famille. Considéré désormais comme relaps, il doit s’exiler. Il se fixe en 1675 à Sedan, où il enseigne la philosophie, dans la célèbre académie protestante de la ville, jusqu’à sa fermeture par Louis XIV, en 1681. Il quitte alors définitivement la France pour s’établir downloadModeText.vue.download 85 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 74 à Rotterdam. Il se consacre à l’enseignement et à la publication de ses écrits, stigmatisant les superstitions qui subsistent dans les pratiques chrétiennes (Lettre sur la comète, 1682). Entre 1684 et 1687, il diffuse une revue littéraire, les Nouvelles de la République des lettres, qui connaît un succès européen. À partir de 1695, il publie un Dictionnaire historique et critique, avec l’intention de corriger les opinions fausses véhiculées à travers l’histoire et consignées notamment, selon lui, dans le dictionnaire historique de l’abbé Moreri (1674). Il en résulte une critique érudite et sèche, mais aussi une dénonciation des préjugés qui provoquent, par exemple, les chasses aux sorcières. Son examen des hérésies aboutit à une relativisation des religions révélées et à la condamnation de toute forme de fanatisme. La raison n’étant pas capable de répondre au paradoxe de l’origine du mal dans un monde créé par un Dieu à la fois infiniment bon et tout-puissant, Bayle réserve les choses spirituelles à la singularité de la foi. Si bien que, dans la Continuation des pensées diverses (1704), le philosophe manifeste une tolérance universelle, au point de reconnaître aux athées une morale sociale. Bien qu’interdit en France et critiqué par le théologien calviniste Pierre Jurieu, héros de la résistance protestante, le Dictionnaire est publié jusqu’en 1702, atteignant seize volumes. La pensée paradoxale de Bayle explique que les philosophes des Lumières l’aient considéré comme un agnostique masqué, alors que l’historiographie récente le définit plutôt comme un fidéiste sincère. Bazaine (François Achille), maréchal de France (Versailles 1811 - Madrid 1888). Officier sorti du rang, Bazaine doit son avancement à des états de service exemplaires en Algérie et en Espagne. Après avoir participé comme général à la guerre de Crimée (1855) et à la guerre d’Italie (1859), il est élevé à la dignité de maréchal de France en 1864, lors de l’expédition au Mexique. Mais l’échec final de cette entreprise retarde quelque temps son ascension. Finalement, c’est sous la pression de l’opposition que Bazaine reçoit, en 1869, le commandement de la Garde impériale. Au début de la guerre de 1870, Napoléon III le nomme à la tête du 3e corps d’armée, et commandant en chef des armées impériales après les premières défaites. Toutefois, mal préparé aux conditions nouvelles de la guerre, Bazaine se laisse enfermer dans Metz avec 180 000 hommes et 1 400 canons. Ne cherchant pas à briser l’encerclement prussien, il reste étrangement inactif, puis semble même vouloir utiliser son armée à des fins personnelles, prévoyant l’effondrement de l’Empire. Toutes les subsistances de la place de Metz ayant été épuisées, Bazaine est contraint à la capitulation le 27 octobre, avec une armée intacte : son attitude lui vaut, en 1873, d’être traduit devant un conseil de guerre et condamné à mort, peine commuée en vingt ans de réclusion par le président Mac-Mahon. Emprisonné au fort de l’île Sainte-Marguerite, Bazaine s’évade en 1874 et finit ses jours à Madrid. Béarn (vicomté de), principauté médiévale, située dans les Pyrénées entre le Pays basque et la Bigorre, apparue au début du IXe siècle, devenue souveraine au XIVe siècle et finalement intégrée au royaume en 1589, à l’occasion de l’accession au trône de France du dernier vicomte, Henri de Navarre. • Entre Aragon et Angleterre. La vicomté de Béarn est constituée en 819, autour des villes de Lescar et de Morlas, pour un fils cadet du duc de Gascogne. Du IXe au XIIIe siècle, les vicomtes acquièrent progressivement une véritable autonomie : la situation géographique (montagne), un fort particularisme culturel - notamment linguistique -, ainsi que les rivalités qui opposent les principales puissances voisines, favorisent leur entreprise. Du XIe au début du XIIIe siècle, la participation active du Béarn à la Reconquête chrétienne de la péninsule Ibérique place la vicomté sous l’influence croissante des rois d’Aragon, influence que les vicomtes s’efforcent d’équilibrer par des alliances avec la Gascogne ou le comté de Toulouse. La vicomté n’échappe toutefois définitivement à l’emprise aragonaise qu’à la suite de la défaite et de la mort du roi d’Aragon Pierre II, à Muret, en 1213, lors de la croisade des albigeois. En 1224, les Plantagenêts, ducs d’Aquitaine et rois d’Angleterre, établissent cependant leur suzeraineté sur le Béarn. Les vicomtes cherchent à conserver leur autonomie en tirant alors profit de la rivalité entre le roi d’Angleterre et le roi de France. Dans le même temps, ils entreprennent de renforcer la cohésion de leur domaine. La vicomté acquiert ainsi une véritable unité juridique grâce à l’obtention du For général, véritable charte des libertés béarnaises. Enfin, une succession de beaux mariages permet aux vicomtes d’accroître leur territoire en lui adjoignant de nombreux fiefs : la vicomté d’Oloron au XIe siècle, Gabardan au XIIe siècle, Marsan au XIIIe siècle. En 1290, le mariage de Marguerite, héritière de la vicomté, avec Roger-Bernard, comte de Foix, unit les domaines des deux maisons et consacre l’hégémonie béarnaise sur le Sud-Ouest pyrénéen, de Foix à Orthez. • De l’indépendance à l’intégration au royaume. Durant la seconde moitié du XIVe siècle, la vicomté devient une véritable principauté souveraine sous le règne de Gaston Phébus, qui, profitant de la guerre qui oppose la France à l’Angleterre, déclare tenir son pouvoir de Dieu seul et refuse de prêter hommage à l’un ou l’autre des souverains. Sa victoire sur le comte d’Armagnac à Launac, en décembre 1362, en fait le plus grand prince de la région. Il dote le Béarn d’une fiscalité permanente, réorganise l’armée et la justice, s’entoure d’une cour brillante. Son action est poursuivie au XVe siècle par les différents vicomtes et par l’assemblée des états de Béarn, qui réunit les grands vassaux et les représentants des villes. À la fin du XVe siècle, la vicomté (dont Pau devient la capitale) est une principauté prospère, à l’économie essentiellement rurale. Cependant, une fois la guerre de Cent Ans terminée, les rois de France entreprennent de rétablir leur domination sur la région. Le roi Louis XI ordonne ainsi le mariage de l’héritière des maisons de Foix, Béarn et Navarre avec Jean d’Albret, rassemblant entre les mains de cette famille, plus proche de la cour et de la famille royale, les principaux fiefs méridionaux. Le mariage d’Henri d’Albret avec la soeur de François Ier, Marguerite, en 1527, renforce encore l’influence française. Marguerite de Navarre fait alors de la cour béarnaise un foyer littéraire et un haut lieu de l’évangélisme français. Le choix de la Réforme par sa fille Jeanne d’Albret, en 1560, ranime un moment le particularisme béarnais : plusieurs ordonnances ecclésiastiques feront d’ailleurs du calvinisme la religion officielle de la vicomté. Mais l’accession au trône de France, en 1589, du fils de Jeanne d’Albret, Henri de Navarre, sous le nom d’Henri IV, suivie, en 1620, de l’annexion de la vicomté au domaine royal et du rétablissement du catholicisme, sur l’ordre de Louis XIII, entraîne la fin de l’indépendance béarnaise. L’existence d’un parlement et des états de Béarn, ainsi que la perpétuation de certains privilèges fiscaux et linguistiques, constituent, sous l’Ancien Régime, les derniers vestiges du particularisme béarnais. Beaufort (François de Bourbon-Vendôme, duc de), homme de guerre (Paris 1616 - Candie, Crète, 1669). Petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées par son père, César de Vendôme, et apparenté à la famille ducale de Lorraine par sa mère, Beaufort témoigne tôt d’un esprit altier et impétueux. S’illustrant à la guerre dès 1630, il s’exile un temps en Angleterre pour avoir conspiré avec Cinq-Mars contre Richelieu. Rentré en France, il devient l’un des meneurs de la cabale des Importants contre Mazarin, et est emprisonné à Vincennes en septembre 1643. Il s’en évade en mai 1648, puis participe à la Fronde, dont il devient l’un des chefs de file. Hâbleur, violent (il tue en duel son beau-frère, le duc de Nemours), auréolé du prestige d’Henri IV, il flatte le peuple par son langage grossier, ce qui lui vaut le surnom de « roi des Halles ». Il épouse d’abord le parti du parlement, où s’illustre Retz, dont il devient le bras armé ; il passe ensuite dans le camp des princes, malgré sa rivalité avec Condé. Il ne se soumet à Louis XIV qu’en 1653. Commence alors pour lui une seconde carrière. Héritier de la charge paternelle de grand-maître de la navigation, il se fait marin, lutte contre la piraterie barbaresque (1664-1665), affronte les Hollandais en Méditerranée (1666-1668). Parti en Crète porter secours aux Vénitiens assiégés par les Turcs, il disparaît mystérieusement devant Candie en juin 1669. Doué « de plus de vanité que de sens » (Retz), non dénué de bravoure, ce grand seigneur a incarné une forme brouillonne de résistance à l’absolutisme. Beauharnais (Eugène de), vice-roi d’Italie (Paris 1781 - Munich 1824). Il est le fils de Joséphine et du vicomte Alexandre de Beauharnais, qui fut député à la Constituante, puis général, avant d’être guillotiné en 1794. Ses études sont interrompues par la Révolution, et, à l’âge de 13 ans, il suit Hoche en Vendée, grâce à l’intervention de sa mère, libérée de prison après le 9 Thermidor. Après le mariage de Joséphine avec Bonaparte (1796), il devient aide de camp du général, qu’il accompagne dans les campagnes d’Italie et d’Égypte. downloadModeText.vue.download 86 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 75 Dès lors, et jusqu’en 1814, une affection réciproque le lie à Napoléon, qu’il seconde docilement et qui fait de lui un grand dignitaire de l’Empire. Général de brigade en 1804, prince d’Empire et vice-roi d’Italie de 1805 à 1814, il est adopté par Napoléon en 1806, sous le nom d’Eugène Napoléon, et épouse la fille du roi de Bavière. En Italie, où il est peu populaire, il réorganise l’administration, mais son gouvernement demeure sous le strict contrôle de l’Empereur, à qui il obéit en tout, même au détriment des Italiens. Piètre chef de guerre, il se distingue pourtant pendant la campagne de Russie, parvenant, lors de la retraite, à ramener les rescapés de la Grande Armée à Lützen (Saxe) où, avec le soutien d’autres troupes, les Français remportent une victoire (mai 1813). En Italie, en 1814, il résiste jusqu’au bout à l’offensive des armées coalisées, mais, après l’abdication de Napoléon et le soulèvement de Milan en avril 1814, il se réfugie en Bavière, où il finit ses jours après avoir été fait duc de Leuchtenberg et prince d’Eichstätt (1817) par le roi Maximilien Ier. Beauharnais (Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie) ! Joséphine Beaujeu (Pierre II de Bourbon sire de) ! Anne de France Beaumarchais (Pierre Augustin Caron de), homme d’affaires et homme de lettres (Paris 1732 - id. 1799). Fils d’un artisan horloger de Paris du nom de Caron, il s’impose comme l’une des figures de l’espace public en constitution à la veille de la Révolution. Le premier différend qui l’oppose, jeune inventeur d’un échappement de montre, à un horloger célèbre qui prétend s’approprier son invention est caractéristique de sa conduite dans les affaires qui vont se succéder tout au long de sa vie : il s’adresse à l’Académie des sciences pour faire reconnaître son droit. Il refusera toujours la loi du plus fort et dénoncera l’injustice sur la place publique. • Un touche-à-tout de génie. Il fait d’abord carrière à la cour comme fournisseur en montres, comme professeur de harpe des filles du roi, puis comme titulaire de plusieurs offices (contrôleur de la bouche, secrétaire du roi, lieutenant général des chasses). Il prend le nom de Beaumarchais et s’initie au monde de la finance grâce à Lenormant d’Étioles, le mari de Mme de Pompadour, puis à Pâris-Duverney. La mort de ce dernier, celles de sa première puis de sa seconde femme l’entraînent dans des procès en chaîne qui mettent en cause sa fortune, son honneur, sa liberté. D’accusé il se fait accusateur, dénonce la justice d’Ancien Régime, se retrouve au coeur des conflits qui opposent les parlements au pouvoir central. Il intervient dans tous les débats publics, mais se mêle aussi des trafics de l’ombre : il spécule partout où il le peut, négocie à Londres avec les pamphlétaires qui font chanter le gouvernement français, le chevalier d’Éon ou Théveneau de Morande, monte la société Roderigue Hortalez pour fournir en armes les insurgents américains qui viennent de déclarer leur indépendance et que la France ne veut pas soutenir officiellement. Il mène de front ces activités contradictoires, passant de la faveur royale à la suspicion, des honneurs à la prison, des applaudissements de l’opinion à la méfiance envers un parvenu doublé d’un spéculateur. Il tente à chaque fois de rebondir en mettant les rieurs de son côté. Il introduit l’ironie dans les débats juridiques et prend le public à témoin dans les Mémoires qu’il fait imprimer. • Les coups de maître d’un amateur. La pratique littéraire est partie intégrante de son activité d’homme d’affaires, de même qu’il s’intéresse à la production littéraire d’un point de vue financier : il fonde la Société des auteurs dramatiques (1777), qui lutte pour obtenir la reconnaissance du droit d’auteur, et la Société littéraire et typographique (1780) à Kehl, hors du territoire français, pour faire imprimer les ×uvres complètes de Voltaire, qui vient de mourir, puis celles d’autres grands écrivains. Il a commencé sa carrière d’auteur dramatique par des parades pour le théâtre privé de Lenormant d’Étioles, s’est ensuite essayé au genre nouveau du drame en faisant représenter à la Comédie-Française Eugénie (1767), puis les Deux Amis (1770), et en proposant une théorie du drame, Essai sur le genre dramatique sérieux (1767). Mais il n’atteint le succès qu’avec ses comédies, le Barbier de Séville (1775) et le Mariage de Figaro (1784), qui associent la tradition moliéresque, la présence physique de la commedia dell’arte et la satire sociale. Chaque représentation devient un jeu avec la censure. Beaumarchais utilise habilement ses relations à la cour pour opposer les unes aux autres les autorités d’Ancien Régime. La Révolution française casse ce jeu d’audace et de conformisme. Beaumarchais essaie d’acheter des armes pour l’armée française, veut faire payer leurs dettes aux ÉtatsUnis, mais n’évite la guillotine que de justesse. La Mère coupable (1792), suite larmoyante du Mariage, souligne qu’une page de l’histoire est tournée. Balzac naît lorsque meurt Beaumarchais. Beaumont de Péréfixe (Hardouin de) ! Péréfixe (Hardouin de Beaumont de) Bedford (Jean de Lancastre, duc de), régent du royaume de France ( ? 1389 - Rouen, 1435). Fils du roi d’Angleterre Henri IV, le duc de Bedford est régent en Angleterre pendant la conquête de la Normandie par son frère Henri V (1415-1419). En 1422, à la mort du roi de France Charles VI, peu après celle d’Henri V, il recueille, selon les termes du traité de Troyes, l’héritage du royaume de France pour le jeune Henri VI et en devient régent. Maître de la France anglo-bourguignonne, il doit s’appuyer sur l’État bourguignon, et épouse Anne de Bourgogne en 1423. Son administration tente de concilier intérêts anglais et bourguignons, mais il lui faut lutter à la fois contre Charles VII et contre des insurrections locales ; à partir de 1429, l’intervention de Jeanne d’Arc devant Orléans marque le début des revers anglais. Bedford abandonne la régence en 1430, fait couronner Henri VI à Paris en 1431, et se replie en Normandie. Toutefois, l’alliance anglo-bourguignonne vacille, et s’achève lors des négociations d’Arras de 1435 : Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et Charles VII signent la paix, tandis que Jean de Bedford meurt le 14 septembre de cette année-là. Deux analyses s’opposent aujourd’hui quant à l’histoire de la double monarchie. La première présente son échec comme inévi- table, en raison des difficultés économiques et politiques de Bedford en France et en Angleterre. La seconde fait valoir la viabilité du principe, ainsi qu’en témoigne l’union des couronnes d’Aragon et de Castille. Une telle approche rend à l’entreprise de Jeanne d’Arc une importance historique déterminante. béguines et bégards, en France du Nord, à partir du XIIIe siècle, laïcs vivant en communauté et s’adonnant au travail et à la prière. Cette nouvelle forme de vie religieuse, qui s’inspire des principes des ordres mendiants, connaît un certain succès au XIIIe siècle en Flandre et dans les régions rhénanes, alors qu’elle est rare en France méridionale. Sans prononcer de voeux, les bégards (ou béguins), et surtout les béguines, plus nombreuses, vivent en communauté, parfois à l’ombre de monastères, poursuivant un idéal de pauvreté et de vie évangélique. Solitaires ou regroupées dans les béguinages, qui se multiplient dans les villes, les béguines, qui doivent être veuves ou célibataires et se distinguent par le port d’un voile nommé « béguin », se consacrent à la prière, à l’artisanat, à l’assistance aux pauvres et à l’éducation des enfants. À partir du début du XIVe siècle, les autorités s’inquiètent de cette vie religieuse au statut incertain, entre état laïc et cléricature, surtout lorsqu’elle est instable ; les béguins et béguines sont désormais considérés comme des hérétiques, condamnés par le pape Clément V en 1312 et livrés à l’Inquisition : ainsi, la béguine Marguerite Porète, auteur d’un traité de vie mystique (en français), est brûlée en place de Grève en 1306. Si les papes suivants sont moins sévères, la plupart des fondations n’en déclinent pas moins, progressivement, avant de disparaître aux XIVe et XVe siècles, à l’exception de quelques grands béguinages qui, tolérés par l’Église, prospéreront en Flandre jusqu’au début du XXe siècle. Belges, peuples que Jules César considéra comme « les plus braves » des peuples gaulois et parmi lesquels on compte, en particulier, les Leuques (Toul, Nancy), les Rèmes (Reims), les Suessions (Soissons), les Ambiens (Amiens), les Médiomatriques (Metz), les Trévires (Trèves), les Atrébates (Arras), les Aduatuques (Namur), les Nerviens (Bavay, Cambrai, Tournai), les Ménapiens (ouest de l’Escaut) et les Éburons (Meuse et rive gauche du Rhin). Ils occupent ce que César appelle la « Gaule Belgique », qui s’étend, au nord de la Marne et de la Seine, sur une région qui correspond au nord de la France actuelle, à la Belgique et à une petite partie de l’Allemagne. Sur la foi d’écrivains de l’Antiquité, on estime parfois que les Belges auraient occupé downloadModeText.vue.download 87 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 76 ces territoires à la suite d’invasions venues du nord, vers le IIIe siècle avant J.-C. Mais les travaux archéologiques n’ont pas corroboré cette thèse jusqu’à présent. La fouille d’un habitat suession, comme à Villeneuve-Saint-Germain (Aisne), ou rème, comme à Variscourt (Aisne), a montré qu’à la veille de la conquête ces peuples disposaient de véritables villes fortifiées et à l’urbanisme strict ainsi que d’une économie monétaire, et qu’ils avaient tissé des réseaux économiques étendus (attestés par la présence d’amphores à vin romaines). Des sanctuaires, tels ceux de Ribemont-sur-Ancre (Somme) ou de Gournay-sur-Aronde (Oise), témoignent de pratiques religieuses complexes, comprenant des sacrifices de guerriers vaincus et d’animaux, et l’édification de trophées avec les armes prises à l’ennemi. Lors de la guerre des Gaules, les Belges, à l’exception des Rèmes, opposent une vive résistance aux légions de César et forment, en 57 avant J.-C., une coalition de 300 000 guerriers, qui est néanmoins battue. Les Romains doivent ensuite affronter, en 54 avant J.-C., une révolte menée par Ambiorix, roi des Éburons, dont la défaite provoquera en retour le soulèvement général mené par Vercingétorix. Après la conquête et la constitution d’une province romaine de « Belgique », d’autres révoltes se produiront, notamment en 29 et en 21 avant J.-C. (avec le Belge Julius Florus et l’Éduen Sacrovir) ou en 69-70 après J.-C. Sous l’occupation romaine, la Belgique est une province prospère, avec de grandes villes de garnison (Trèves, Cologne ou Boulogne), des cités commerciales (Tongres, Tournai ou Arlon), un réseau de voies de communication (dont Bavay est l’un des principaux noeuds), une agriculture florissante qui utilise la célèbre moissonneuse gauloise. En 258, Trèves sera un temps l’une des quatre capitales de l’Empire. La région est envahie par les Francs à partir de la fin du IVe siècle, et son nom même sera oublié, avant d’être remis à l’honneur à la Renaissance par les érudits, puis finalement donné à la Belgique indépendante en 1830. Belgique (campagne de), courte campagne militaire (15-18 juin 1815) qui aboutit à la destruction de l’armée de Napoléon et met fin aux Cent-Jours. Après sa défaite de 1814, sa première abdication et son exil à l’île d’Elbe, Napoléon reprend le pouvoir le 20 mars 1815. Les souverains européens, qui veulent en finir avec « l’Ogre », menacent les frontières françaises. Le pays est démobilisé, mais l’Empereur décide d’attaquer les troupes anglo-hollandaises et prussiennes, massées en Belgique, avant l’arrivée des Russes et des Autrichiens. Le 15 juin 1815, Napoléon franchit la Sambre pour marcher sur Charleroi avec 124 000 hommes. Face à lui, 95 000 Anglo-Hollandais devant Bruxelles et 124 000 Prussiens à Namur. Il veut battre ces derniers, dont il espère le repli vers le Rhin, pour ensuite s’attaquer aux Anglo-Hollandais. Le 16 juin, les Prussiens sont repoussés à la bataille de Ligny, mais Wellington résiste à Quatre-Bras. Le lendemain, Napoléon fait poursuivre Blücher par Grouchy et entame sa marche vers Waterloo, sur la route de Bruxelles. La bataille s’engage le 18 juin. Wellington et Napoléon misent tous deux sur l’arrivée de renforts. Grouchy ne rejoint pas l’Empereur, et ce sont les Prussiens qui se présentent sur son flanc. La défaite est totale. Napoléon abdique le 22 juin. Les Français, très inférieurs en nombre, ont, de plus, manqué de coordination ; les généraux Soult et Grouchy, employés à des postes stratégiques, ont fait preuve d’incompétence ; enfin, la transmission des ordres s’est révélée déplorable. Belin (René), syndicaliste (Bourg-enBresse, Ain, 1898 - Lorrez-le-Bocage, Seineet-Marne, 1977). Issu d’un milieu très modeste, il entre à 11 ans dans le monde du travail, muni d’un certificat d’études primaires. Il rejoint, à l’âge de 14 ans, l’administration postale, en gravit les échelons et adhère au syndicat des agents (1923), dont il devient secrétaire départemental (1925). Entré en 1933 au secrétariat de la CGT, il y restera jusqu’en mai 1940 : membre de la direction confédérale, il y sera rapidement le « dauphin » de Léon Jouhaux. Après la réunification avec la CGT-U, il fonde, en 1936, l’hebdomadaire Syndicats, qui incarne la tendance non communiste de la CGT. C’est notamment cet anticommunisme qui le conduit, après avoir démissionné du bureau de la CGT, à exercer des fonctions dans le gouvernement de Vichy : ministre de la Production industrielle et du Travail (14 juillet 1940-23 février 1941) puis secrétaire d’État au Travail (9 mai 1941-18 avril 1942). Sous sa responsabilité, la loi du 16 août 1940 dissout toutes les confédérations patronales et ouvrières, auxquelles la charte du travail, promulguée en octobre 1941, substitue un régime corporatiste. Belin estimait avoir pu « par intervention ou par ruse [...] protéger l’essentiel du mouvement syndical ». Révoqué de l’administration postale à la Libération, il se réfugie en Suisse en attendant son procès, qui s’achève sur un non-lieu. Il tente en vain, de mai 1949 à 1954, de reprendre sa place dans le mouvement syndical. De 1959 à 1965, il est maire de Lorrez-le-Bocage. l BELLE ÉPOQUE. Après la grande dépression des années 1880, la France connaît l’apogée de sa prospérité, de sa puissance et de son prestige : un âge d’or précédant le carnage. C’est, du moins, la vision idyllique que se font les esprits après l’hécatombe de la Grande Guerre. L’expression « Belle Époque » s’impose alors, estompant les convulsions, les contradictions et les remises en cause d’une période qui a accouché du XXe siècle. NAISSANCE D’UN MYTHE « Qui n’a pas connu la France vers 1780 n’a pas connu le plaisir de vivre », disait Talleyrand à la fin de sa vie. Quelque cent ans plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’opinion publique, hantée par les traumatismes de la Grande Guerre et confrontée aux incertitudes du présent, se tourne à son tour vers un passé qu’elle est d’autant plus portée à idéaliser qu’elle le sait disparu à jamais avec l’hécatombe de 1914 et le franc germinal. L’expression « Belle Époque » n’est due ni à un écrivain ni à un journaliste ; elle apparaît spontanément dès 1919 dans un climat où, « par tous ses noyaux pensants, [l’Europe] a senti qu’elle ne se reconnaissait plus, qu’elle avait cessé de se ressembler » (Paul Valéry, la Crise de l’esprit, 1919). En tant qu’expression, « Belle Époque » en dit donc plus long sur les représentations que se font alors les Français de leur passé immédiat et de leurs peurs présentes - instabilité économique, crise idéologique, incertitude politique... - que de la réalité vécue par les contemporains des années 1895-1914. Elle révèle une conception statique de la société et de ses valeurs, que les récents bouleversements de l’histoire confinent au niveau d’une mémoire recomposée. Pour ceux-là même qui l’ont vécue, la Belle Époque n’apparaît plus alors que comme un instant figé, contenant toutefois en germe les malheurs futurs. Comme le remarque Paul Morand en 1930 : « Je me promène dans 1900 comme dans le Musée Grévin, égaré parmi des figures de cire. » Des Mémoires, des récits écrits par des témoins, surtout de la haute société, viennent alimenter dès l’après-guerre cette conscience d’une époque - et d’un monde - révolue, en tout cas pour eux : les uns participent à la construction de la légende dorée qui voudrait que la France n’ait été peuplée que de sportmen juchés sur des De Dion-Bouton et de femmes habillées par Worth et Fortuny. À la recherche du temps perdu de Proust ne serait qu’une évocation minutieuse des rites et fastes de la mondanité ; un temps véritablement perdu où les Guermantes et les Verdurin incarnaient deux constellations inconciliables. D’autres mémorialistes accréditent la légende noire, qui n’est pas incompatible avec l’autre : celle du « stupide XIXe siècle » (Léon Daudet), avec ses pieds sales et sa naïveté hygiéniste, sa foi en la science et sa croyance en l’occultisme, ses revues militaires et ses gauloiseries. En somme, dans l’entre-deux-guerres, une mémoire sélective et euphorisante répand sur la Belle Époque son vernis uniforme, pour mieux conjurer les réalités souvent douloureuses d’une période profondément travaillée par des contradictions toujours à vif. LA SECONDE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE • « En revenant de l’Expo ». Avec ses 48 millions de visiteurs, son palais de l’Électricité et de l’Automobile, avec la première ligne du Métropolitain et le Cinéorama, l’Exposition universelle de Paris, inaugurée le 14 avril 1900 par le président Loubet, apparaît comme l’événement fondateur de la Belle Époque : un pays - la France et son empire -, un régime - la République -, contemplent et célèbrent leur propre gloire, manifestent leur rayonnement dans le monde et attestent un dynamisme économique retrouvé après la « grande dépression » (1870-1895). Certes, il reste encore de beaux jours aux bricoleurs de génie avant qu’ils ne soient relégués à la gloire improbable du concours Lépine (créé en 1901). Le tissu morcelé de l’industrie en petits ateliers favorise d’ailleurs la mise au point et la fabrication de ces produits de luxe que sont l’automobile et l’aéroplane. Mais, désormais, accompagnant l’idéologie scientiste, les mutations techniques sont soudownloadModeText.vue.download 88 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 77 mises à une évaluation scientifique qui permet la promotion de la figure de l’ingénieur. • L’effervescence technologique. En moins de trente ans, la France passe de l’âge du fer, du charbon et de la vapeur à celui de l’acier, du pétrole et de l’électricité. Si la machine à vapeur est le symbole de la première révolution industrielle, le moteur à combustion interne (Daimler, 1889 ; Diesel, 1893) et la dynamo sont ceux de la seconde. Car la prospérité retrouvée est liée à de spectaculaires innovations technologiques qui feront dire à Péguy, en 1913, que « le monde a moins changé depuis Jésus-Christ qu’il n’a changé depuis trente ans » (l’Argent). De ce point de vue, la Belle Époque est pionnière : premier moteur à explosion, première automobile, premier film, premier aéroplane, premier essai de TSF, premier réseau électrique... De sorte que des commodités largement répandues après guerre sont, en 1900, des prodiges qui émerveillent les Français. Mais ce sont des prodiges auxquels ils n’ont pas tous accès ; l’éclairage domestique est encore largement tributaire de la bougie, du pétrole et, au mieux, du gaz. L’Exposition universelle de 1900 voit sans doute l’illumination par l’électricité de la tour Eiffel, et Paris devient la Ville Lumière ; c’est toutefois plus une prouesse technique que la preuve des bienfaits dispensés à tous par la « fée électricité ». LA FRANCE « D’AVANT L’ORAGE » • La passion nationale. Électrique, l’atmosphère politique et sociale de la Belle Époque l’est également. Politiquement close en 1899, l’affaire Dreyfus l’est juridiquement en 1906, mais elle a provoqué une profonde redistribution, voire une fixation durable des comportements idéologiques et des doctrines au tournant du siècle : deux France se trouvent clairement face à face, et pour longtemps. À droite, l’affaire marque l’acte de naissance d’un parti nationaliste, autour des ligues et de l’Action française (créée en 1899), fort d’une doctrine - élaborée conjointement par Maurras et Barrès - qui mêle exécration de la démocratie et antisémitisme, enracinement dans « le culte de la terre et des morts » et exaltation des ardeurs bellicistes. À gauche, des re- groupements s’opèrent également, concrétisés par la création de deux grands partis : le Parti républicain radical et radical-socialiste (1901) et la SFIO (1905). Dénonçant l’« alliance du sabre et du goupillon », le Bloc des gauches vote les lois sur les associations (1901) et sur la séparation des Églises et de l’État (1905). Lutte contre le « parti noir » à gauche, antisémitisme à droite : l’exacerbation des passions militantes trouvera bientôt un exutoire dans l’exaltation belliciste. • La question sociale. La « journée de huit heures pour tous » : le mot d’ordre, souvent repris, révèle les réalités concrètes de la condition ouvrière. Malgré la progression du pouvoir d’achat des ouvriers, les effets conjugués de l’exode rural, de la mécanisation et de la concentration industrielle rendent encore plus précaires des conditions de vie souvent épouvantables. La journée de travail est généralement de douze heures - dix pour les femmes en 1900 -, le repos hebdomadaire n’est rendu obligatoire, mais sans paiement, qu’en 1906. Les retraites des ouvriers sont faibles, et peu de travailleurs atteignent l’âge d’en bénéficier. Les années 1904-1907 voient donc se succéder la « révolte des gueux » du Languedoc, les grèves longues et massives des cheminots, des électriciens : 1 024 grèves sont dénombrées pour la seule année 1904, toujours violemment réprimées. La nouveauté réside dans le relais pris par les syndicats pour organiser de mieux en mieux les grèves. Avec la création en 1895 de la CGT, véritablement structurée en 1902 et dont les orientations sont précisées par la Charte d’Amiens en 1906, les composantes modernes de la lutte sociale sont constituées. LA CRISE DE LA RAISON • Le positivisme contesté. Aux bouleversements qui affectent le terrain social et politique s’ajoute, au même moment, une crise de la raison universelle, qui constitue un véritable abcès de fixation pour toute la période. En apparence, le positivisme se trouve doublement légitimé par le discours d’État et la reconnaissance universitaire : Léon Brunschvicg proclame « la capacité indéfinie de progrès » de l’intelligence par la science (les Étapes de la philosophie mathématique, 1912). La découverte des rayons X et de la radioactivité semble accréditer cette confiance. Mais la « révolution copernicienne » qui bouleverse les sciences exactes avec la théorie des quantas (Max Planck, 1900) et celle de la relativité (Einstein, 1907), en remettant en cause les modèles physiques et mathématiques hérités de Newton, provoque également un profond désarroi devant une réalité disloquée, une impuissance à dominer une diversité qui croît à mesure qu’on l’explore. • L’anti-intellectualisme. L’inconscient et l’intuition sont les mots clés de la Belle Époque. Mais là ou Bergson, exaltant l’intuition dans l’Évolution créatrice (1907), parle « d’élan vital » où le moi ne se saisit que dans la durée, Gustave Le Bon, dans la Psychologie des foules - un « best-seller » de l’époque -, fortifie l’idée d’un déterminisme racial originel fondé sur l’inconscient hérité des ancêtres. Traduit en termes politiques, c’est le fondement même des théories de Georges Sorel, du nationalisme organique de Barrès et de l’antisémitisme d’Édouard Drumont ; autant de composantes d’un nationalisme qui attise les haines. Car ce n’est pas seulement l’idéologie progressiste, élevée au rang de projet social, qui est ainsi visée, mais bien une conception globale de l’homme héritée de la philosophie des Lumières et de la société industrielle. À l’image « mécanique » de l’individu et de la société se substitue un principe « organique » qui postule l’origine inconsciente des actions, la puissance de la vie sur la raison et, dans sa visée sociale, la survie des plus aptes. Cet anti-intellectualisme pèse d’un poids particulièrement lourd dans le devenir des idéologies. Sans ce vaste mouvement, on ne saurait comprendre ni les enjeux profonds de l’affaire Dreyfus ni, surtout, son retentissement sur la genèse du fascisme européen : au tournant du siècle, les thèses qui verront leur accomplissement dans l’entre-deux guerres sont déjà fermement constituées. DIVERSITÉ CULTURELLE ET UNIFORMISATION DES MODES DE VIE • L’unité par l’instruction. Ce qui frappe dans cette France qui compte 56 % de ruraux en 1911, c’est l’inachèvement de l’unité linguistique. Certes, l’alphabétisation des petits Français est quasi générale, mais les bacheliers représentent, autour de 1900, à peine 1 % d’une classe d’âge : l’effort porte sur la scolarité primaire, qui voit naître le mythe du « certif ». Les « hussards noirs » de l’instruction publique poursuivent donc leur offensive conquérante au nom de la raison, de la République et de la patrie. L’enseignement confessionnel s’est vu théoriquement interdit d’exercice par la loi Combes (1904), mais l’« anticléricalisme d’État » n’a que des effets limités : les affrontements entre écoliers « culs bénis » et « culs rouges » de la Guerre des boutons (Louis Pergaud) peuvent se poursuivre malgré la vague de fermetures d’écoles congréganistes en 1904. Chaque écolier dans chaque village lit donc le Tour de la France par deux enfants (G. Bruno) et y apprend l’unité du pays dans sa diversité. Les provinces perdues, voilées de noir sur les cartes géographiques, seront reconquises par ces futurs bataillons d’écoliers entretenus dans le culte du sacrifice pour la patrie et la croyance dans le progrès indéfini de l’humanité. • Diversité culturelle. Cependant, une large tranche d’âge n’a pas fréquenté l’école ou a échappé à la scolarisation rendue obligatoire en 1881. En 1900, bien des Français ne parlent ni ne comprennent que le patois ou le dialecte. On voit ainsi de nombreux tribunaux recourir à des interprètes. L’harmonie de l’Hexagone tant vantée par les manuels scolaires de l’époque, telle l’Histoire de France d’Ernest Lavisse, se révèle l’alibi géométrique d’une idéologie fédératrice. En réalité, la diversité n’est pas uniquement sociale dans la France de la Belle Époque, elle est également culturelle et fait coïncider dans un même espace des groupes aux traditions, aux valeurs, aux rites différents. Néanmoins, les formes de cultures traditionnelles se dissolvent progressivement dans des usages et des modes de vie uniformisés. Ainsi, le 14 Juillet tend à se substituer à des fêtes patronales, qui se vident de leur sens. L’urbanisation et la déchristianisation ont leur rôle dans cette uniformisation ; mais aussi la production de masse et l’accroissement réel des revenus des salariés. La plupart d’entre eux partent à la conquête, sinon d’un bien-être, du moins d’un mieux-vivre. • Vers une culture de masse. À côté des couches sociales traditionnelles - bourgeois, ouvriers, paysans -, dont les conditions de vie demeurent peu ou prou semblables à ce qu’elles furent dans les décennies antérieures, des couches nouvelles se consolident : cadres d’entreprise, fonctionnaires de l’instruction publique et des PTT (les deux seules administrations ouvertes aux femmes...), commerçants de détail. Ils constituent peu à peu l’ossature d’une société urbaine qui impose ses styles de vie. Si les valeurs de la bourgeoisie, liées au travail, à l’épargne et à la famille - le thème nataliste est alors une obsession -, demeurent prégnantes, les dépenses ostentadownloadModeText.vue.download 89 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 78 toires se font plus nombreuses, en particulier celles liées au développement des loisirs. Du caf’ conc’ où l’on chante - et l’on chante beaucoup - au music-hall où s’exhibent des nudités plus ou moins chastes - Ô Colette ! Ô Polaire ! -, en passant par le théâtre de boulevard, les lieux de spectacle connaissent un développement considérable ; leur succès n’est pas sans lien avec la niaiserie ou la polissonnerie mises en scène et qui accréditeront la part sulfureuse du mythe. Par ailleurs, les moyens de transport dits modernes permettent l’accès à des loisirs nouveaux, mais surtout à des loisirs de masse. Le « train de plaisir » puis l’auto entraînent avec eux un développement certain du tourisme : Michelin publie son premier guide en 1900, l’Office national du tourisme est créé en 1910. Bien avant les congés payés (1936), les vacances pénètrent jusque dans la petite bourgeoisie. Dans les milieux moins favorisés, l’usage de la bicyclette, qui devient autant un moyen de locomotion populaire qu’un sport, s’accompagne d’une large promotion à la fois commerciale et idéologique, ce dont témoigne le succès immédiat du Tour de France, créé en 1903. Le discours hygiéniste, qui recoupe aussi bien l’idéologie républicaine que celle de l’extrême droite, rencontre les moyens matériels de sa promotion : les thèmes de la santé par le sport, de la chasse aux miasmes, de l’aération, accompagnent l’essor de la pratique sportive - et, avec elle, d’une presse spécialisée - et constituent un trait culturel original de la Belle Époque. L’avènement du cinéma et celui de la presse populaire en sont deux autres. Comique avec Max Linder, fantaisiste avec Méliès, mélodramatique avec Zecca, ce « divertissement forain », en se sédentarisant rapidement, devient un phénomène culturel de masse. Sous l’impulsion de Pathé et de Gaumont, c’est bien déjà le cinéma moderne qui commence, tel le Fantômas de Louis Feuillade (1913), à « allonger son ombre immense sur le monde et sur Paris ». Belle, l’époque l’est aussi pour la presse, qui connaît un véritable âge d’or - qu’elle ne retrouvera plus après 1914. On sait le rôle de l’Aurore dans l’affaire Dreyfus : de fait, la presse constitue un vecteur d’opinion plus puissant que jamais. Modestes par leurs titres, le Petit Parisien et le Petit Journal fournissent chacun quotidiennement à plus d’un million de lecteurs des nouvelles rapides, « à l’américaine ». Reporter-détective, le journaliste de la Belle Époque, c’est Rouletabille et c’est Fandor. Mais la véritable originalité réside dans la multiplication des titres spécialisés : instruction primaire oblige, la presse enfantine est la mieux servie, et on assiste à la naissance des journaux imagés - on ne dit pas encore « bande dessinée » - qui proposent les aventures des Pieds Nickelés dans l’Épatant (1908), tandis que les adultes lisent le Vélo ou son concurrent, l’Auto-Vélo, qui est à l’origine du Tour de France. DE L’ART NOUVEAU À L’AVANT-GARDE S’il est un domaine où la Belle Époque coïncide avec le mythe qu’elle a inspiré, c’est incontestablement celui de l’art. Dans les quelques années qui séparent l’Exposition universelle et la guerre se produit un brassage esthétique exceptionnel, qui touche tous les domaines de la création et en redistribue profondément les enjeux. Au tournant du siècle, l’Art nouveau, qui est un phénomène européen, s’impose comme la réponse radicalement nouvelle à l’industrialisation et aux formes traditionnelles en matière d’art décoratif et d’architecture. Les meubles de Majorelle, les verres de Gallé, les bijoux de Lalique, les affiches de Mucha, expriment la revendication de la volupté dans les formes végétales et les féminités serpentines : il s’agit de faire plier la matière, d’exalter une nature stylisée dans les objets manufacturés. Considéré comme l’expression du progrès dans l’art, l’Art nouveau se voit en quelque sorte consacré dès 1900 par la commande passée à Hector Guimard par la très officielle Compagnie du métropolitain. Mais, au moment où l’Art nouveau s’officialise et où les impressionnistes se voient enfin reconnus, l’art moderne se construit dans l’exaltation du rythme, du mouvement, de la déconstruction des formes et des perspectives. « À la fin tu es las du monde ancien », proclame Apollinaire dans Alcools (1913) : l’irruption du concret, les pulsations et les saccades du monde moderne investissent largement le champ de la création. Au Salon d’automne de 1905, les « fauves » (Matisse, Derain, Vlaminck) radicalisent le message de Gauguin, et les cubistes (Braque, Picasso, Gris) tirent les conséquences des leçons de Cézanne. L’art nègre impressionne Picasso, qui peint les Demoiselles d’Avignon (1907). Debussy trouve la formule musicale pour se libérer du drame wagnérien (Pelléas et Mélisande, 1902) ; les Ballets russes renouvellent l’idée de spectacle total. L’année 1913 représente, de ce point de vue, un moment de grâce : Proust publie Du côté de chez Swann (à compte d’auteur !), Apollinaire Alcools ; Braque expose la Femme à la guitare ; Stravinski crée le Sacre du printemps. Il s’agit là d’une avant-garde dont le ressort, brisé en août 1914, ne sera retendu qu’après la guerre. Mais le XXe siècle est né. RETOUR AU MYTHE Si la capacité de survie d’une époque se mesure aux images qu’elle suscite rétrospectivement dans la mémoire collective, la Belle Époque est, de toutes les périodes courtes - à peine vingt ans -, celle qui provoque aujourd’hui encore une intense nostalgie quand elle n’est pas une référence pour notre propre fin de siècle. Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à une telle élaboration légendaire. D’abord, elle participe du mythe de l’âge d’or portant avec son écume brillante les raisons mêmes de son déclin : les âges d’or sont toujours crépusculaires ; vers 1890, personne n’aurait songé à revendiquer son appartenance à une « belle époque » ; en revanche, l’expression « fin de siècle », alors largement répandue, suscitait elle-même sa propre imagerie et dévoilait ses hantises. Ensuite, des motifs - « l’Expo », la « fée électricité », « l’aéroplane » ou « l’année 1900 » - constituent quelques-unes des représentations à forte charge symbolique facilitant l’assimilation collective du caractère heureux, voire frivole, de la Belle Époque, saisie à la fois dans son dynamisme novateur et dans sa désuétude. Cette condensation se retrouve également dans les traces toujours perceptibles qu’a laissées la période : la tour Eiffel, les ferronneries « nouille » des stations de métro de Guimard, les affiches de Mucha, définissent et figent un style, l’Art nouveau, au mépris d’autres formes élaborées conjointement. Enfin, l’usage généralisé de la photographie et de la carte postale, à partir de 1889, et l’invention du disque phonographique (1893) et du Cinématographe (1895) permettent, pour la première fois dans l’histoire, d’enregistrer et de conserver durablement les empreintes du temps. Celles-ci sont rétrospectivement perçues comme des chromos nostalgiques couleur sépia, étranges par leurs images aux mouvements saccadés et leurs voix nasillardes. Ainsi, parce qu’ils coïncident avec l’ère de la reproduction technique, les poncifs de 1900 s’alimentent au moins autant aux archives traditionnelles de la mémoire qu’à ces sources jusqu’alors inconnues, offertes non plus seulement au chercheur mais au plus grand nombre ; expliquant par là même, quoique en partie seulement, la popularité du mythe de la Belle Époque. Belleville (programme de), programme républicain présenté par Léon Gambetta à Belleville, à l’occasion des élections du 23 mai 1869. Candidat dans la première circonscription de la Seine, Gambetta expose sous le titre Cahier de mes électeurs et Réponse au cahier un « programme démocratique radical » fondé sur le respect des libertés fondamentales. Ce programme, qui passe pour la première charte du radicalisme, a été rédigé par des militants, conformément « au droit et à la tradition des premiers jours de la Révolution française ». Invoqué à de multiples reprises par la suite, ce texte est une critique violente du cléricalisme - exigeant la suppression du budget des cultes, la séparation de l’Église et de l’État - et appelle à la suppression des armées permanentes. Dans le domaine des libertés publiques, ses ambitions sont vastes et diverses : « abrogation de la loi de sûreté générale », « liberté de la presse [...] débarrassée du timbre et du cautionnement », « liberté de réunion », « abrogation de l’article 291 du Code pénal » promulgué en 1810, renforcé en 1834, qui déclarait illicites les associations réunissant plus de vingt personnes. En d’autres termes, les grandes lois du ministère Jules Ferry de 1881 - loi sur les réunions publiques, loi sur la presse - ainsi que la loi du 1er juillet 1901 sur les associations trouvent ici leur inspiration. À ces propositions en faveur du respect des libertés fondamentales s’ajoute le souci de créer une « instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire », qui annonce les lois scolaires de juin 1881 - sur la gratuité de l’enseignement primaire - et de mars 1882 - déclarant l’enseignement obligatoire et laïque. Concernant les problèmes sociaux et économiques, le programme de Belleville se montre en revanche beaucoup plus vague et prudent : en réponse aux voeux de ses électeurs, Gambetta souhaite « la suppression des gros traitements et des cumuls », « la modifidownloadModeText.vue.download 90 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 79 cation du système d’impôts » et des réformes économiques afin de « faire disparaître l’antagonisme social ». Ainsi, priorité est donnée aux réformes politiques dont dépendent, selon Gambetta, les réformes sociales ultérieures. Ben Barka (affaire), enlèvement, le 29 octobre 1965, d’un opposant au gouvernement marocain, exilé à Paris. Mehdi Ben Barka, né à Rabat en 1920, milite, dès 1944, au sein du parti de l’Istiqlal, pour l’indépendance du Maroc. Révolutionnaire et légaliste, tribun proche du petit peuple, il devient, après l’accession à l’indépendance, en 1956, président de l’Assemblée consultative marocaine. En désaccord avec le gouvernement, il crée en 1959 un parti d’opposition, l’Union nationale des forces populaires (UNFP). Accusé de complot contre le prince héritier, il s’exile et ne rentre au Maroc qu’en mai 1962, après un appel à la réconciliation lancé par Hassan II, devenu roi. Quelques mois plus tard, en novembre, après avoir échappé à un attentat, il s’exile de nouveau. Ayant pris parti, lors de la « guerre des sables », pour l’Algérie contre le Maroc, il est condamné à mort par contumace dans son pays. Le 29 octobre 1965, il est enlevé à Paris, en plein Saint-Germain-des-Prés, devant la brasserie Lipp : il serait tombé dans un piège tendu par le ministre de l’Intérieur du Maroc, le général Oufkir. L’aide apportée au gouvernement marocain par certains membres de la police française et du « milieu » est avérée. L’information judiciaire ouverte à Paris après cet enlèvement aboutit, en juin 1967, à la condamnation du général Oufkir à la réclusion criminelle à perpétuité par contumace. Mais l’affaire Ben Barka, qui envenima un temps les relations franco-marocaines, reste encore entourée de zones d’ombre. bénédictins, moines cénobites qui suivent la règle rédigée, au VIe siècle, par saint Benoît de Nursie. Préconisant la discretio (modération), l’équilibre entre la prière, le travail manuel et la lectio divina (lecture et méditation de la Bible), et insistant sur l’obéissance et l’humilité, cette règle se diffuse dès le VIIe siècle. Elle ne prévoit pas l’union de monastères, chaque communauté demeurant autonome. En 817, pour rétablir l’observance, Benoîtd’Aniane propose un commentaire de cette règle, qui l’infléchit dans le sens de la liturgie ; mais son projet de réunir au sein d’un ordre unique tous les monastères de l’Empire carolingien n’aboutit pas. • Des monastères bénédictins... Dès le Xe siècle se créent, à partir d’une maison mère, des réseaux de dépendances qui observent la même règle et des usages identiques. Si Cluny est l’exemple le plus insigne, il n’est pas unique : Gorze, Saint-Benoît-sur-Loire, SaintVictor de Marseille, sont des abbayes actives. Le renouveau monastique des XIe et XIIe siècles s’effectue au nom d’un retour à la pureté de la règle bénédictine, ce qui n’exclut pas des aspects érémitiques ou une action pastorale. Ces réseaux se structurent selon des modalités différentes : centralisation dans l’ordre clunisien, plus large autonomie des abbayes dans l’ordre cistercien. Le monachisme bénédictin connaît une période d’apogée aux XIe et XIIe siècles et exerce alors une forte influence sur l’Église et l’ensemble de la société. À l’initiative d’Innocent III, le concile du Latran IV impose en 1215 aux monastères bénédictins la tenue de chapitres provinciaux tous les trois ans. Les réunions restent pourtant irrégulières. En 1336, par la constitution Summa magistri, appelée communément « bulle bénédictine », Benoît XII reprend ces mesures dans le plan de réforme et d’unification qu’il propose pour le monachisme bénédictin. Mais la concurrence d’autres formes de vie religieuse et les difficultés des XIVe et XVe siècles entraînent un déclin non seulement matériel, mais aussi moral des monastères. Des réformes sont tentées à Saint-Benoît-surLoire, Fontevraud, Tiron, Cluny, etc., tandis qu’à partir de 1479, l’abbaye de Chézal-Benoît unit des monastères dans une congrégation où l’accent est mis sur le respect des usages anciens et l’austérité. Le concordat de 1516 attribue au roi la nomination des abbés. • ... à l’ordre bénédictin. Interrompues par les troubles du XVIe siècle, les mesures de restauration reprennent après le concile de Trente. La tendance est au regroupement et à la centralisation au sein de congrégations monastiques. Certaines n’ont qu’une existence éphémère : congrégation des Exempts (1580), de Bretagne (1604), de Saint-Denis (1607). Deux d’entre elles illustrent le renouveau bénédictin : Saint-Vanne (1604) et Saint-Maur (1621) ; à la fin du XVIIe siècle, elles comptent respectivement environ cinquante et deux cents maisons. D’autres monastères restent réunis dans la congrégation de Cluny, tandis que les cisterciens se réforment en plusieurs branches. Le dessein de Richelieu d’unir tous les monastères bénédictins de France dans une seule congrégation, dont il serait le supérieur général, échoue. Mis à mal par la Révolution et l’Empire, le monachisme bénédictin est restauré grâce à dom Guéranger, qui, en 1833, fonde Solesmes, élevée en 1837 au rang d’abbaye mère de la « congrégation de France de l’ordre de Saint-Benoît ». L’idée de regrouper les monastères qui suivent la règle de saint Benoît progresse. Le 12 juillet 1893, par le bref Summum semper, Léon XIII nomme un primat de l’ordre bénédictin et établit la confédération des congrégations bénédictines. Celles-ci ne renoncent ni à leur indépendance, ni à leurs coutumes, ni à leurs privilèges, mais l’existence de l’Ordo S. Benedicti (OSB) est désormais consacrée. Les bénédictins ont joué un rôle important sur le plan non seulement religieux et spirituel, mais aussi intellectuel et artistique. Outre la copie et l’enluminure de manuscrits liturgiques, les moines ont permis la transmission de textes antiques. En rédigeant chroniques, annales, livres de miracles, ils ont fait oeuvre d’historiens. Cette tradition est reprise au XVIIe siècle par la congrégation de SaintVanne et, surtout, par les mauristes, dont les travaux d’érudition demeurent une des bases de la recherche historique. bénéfices ecclésiastiques, biens destinés à financer un office ecclésiastique et à donner à son titulaire des moyens de vivre. Leur origine réside dans les dotations publiques ou donations privées que reçoit l’Église au Moyen Âge. Dès le VIe siècle, les évêques, plutôt que de les gérer eux-mêmes, en divisent l’administration entre les divers dignitaires du clergé séculier, qui possèdent dès lors des bénéfices attachés à leur titre. Le système s’étend plus tard aux ordres monastiques. La collation des bénéfices est indépendante de la tonsure et du sacrement de l’ordre. Cependant, l’inévitable confusion entre charge spirituelle et détention temporelle crée très vite un incessant conflit d’attributions entre l’autorité religieuse et le pouvoir laïc. Dès le VIIIe siècle, rois et seigneurs interviennent dans la nomination des évêques et des curés, en principe élus. La simonie (vente et trafic de bénéfices) se développe, abus auquel va tenter de mettre fin la réforme grégorienne. Le pape Grégoire VII interdit (vers 1075) l’investiture royale d’évêques ou d’abbés, déclenchant la querelle des Investitures, très violente dans l’Empire (Allemagne et Italie), mais beaucoup moins dogmatique en France. Progressivement, l’idée s’impose que le roi peut procéder à l’attribution d’un bien épiscopal sans la crosse ni l’anneau, symboles de l’investiture spirituelle. En 1107, à Saint-Denis, le pape Pascal II et les rois Philippe Ier et Louis VI trouvent un compromis sur cette base, que reprendront plus tard la pragmatique sanction de Bourges (1438) et le concordat de Bologne (1516). Ce dernier rend le roi maître des bénéfices majeurs ; d’autres collateurs, les patrons (descendants de ceux qui ont fondé le bénéfice), les évêques, distribuent les bénéfices comme des faveurs ou des récompenses : tandis que le bas clergé vit dans la gêne, les patrons se réservent des pensions sur les bénéfices et ne laissent au titulaire (le curé) que la « portion congrue ». L’Église a gravement pâti de ces pratiques. Cependant, la Réforme catholique améliore le système : si les collateurs ne renoncent pas à leur droit de nomination, on impose des conditions à l’accès aux bénéfices (obligation d’être passé par un séminaire, enquête du Conseil royal...). La qualité du clergé progresse ainsi sensiblement au XVIIe siècle, tandis que les rois surveillent de près la « feuille des bénéfices », état des bénéfices vacants et des candidats possibles. À la fin de l’Ancien Régime, on compte 95 000 « bénéficiers », nobles pour la plupart, ce qui illustre pour une part la « réaction aristocratique ». La nationalisation des biens du clergé le 2 novembre 1789 supprime, de facto, les bénéfices ecclésiastiques. Benoît d’Aniane (Witiza, saint), moine réformateur (vers 750 - Inden, près d’Aix-laChapelle, 821). Sa vie est connue par le récit de son hagiographe Ardon. D’origine wisigothique, il est le fils du comte de Maguelonne, qui favorisa l’établissement de la monarchie franque en Septimanie lors de sa conquête par Pépin en 759. Witiza bénéficie ainsi d’une éducation downloadModeText.vue.download 91 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 80 au palais, mais en 774, au cours de la campagne lombarde de Charlemagne, il décide de se consacrer à Dieu. Pétri d’un idéal ascétique, il expérimente, d’abord sans succès, la règle de saint Benoît de Nursie à l’abbaye de SaintSeine, qu’il quitte en 779 pour fonder, sur sa terre natale, une nouvelle expérience monastique. Après plusieurs tentatives communautaires que leur sévérité fait échouer, il se rapproche de la règle cassinienne et en fait la base d’une fondation sur les bords de l’Anian, vers 782. S’appuyant sur cet établissement, Benoît réforme nombre d’abbayes par l’introduction de la nouvelle vie régulière, puis rédige un commentaire de la règle cassinienne (la Concordia regularum) étoffé de références aux règles alors pratiquées dans le monde franc. Louis le Pieux donne à l’activité de Benoît une nouvelle ampleur : ayant fait construire pour lui, non loin d’Aix, le monastère d’Inden (Cornelimünster), il le nomme supérieur de tous les moines du royaume et le charge de diffuser la réforme. Benoît prépare alors un code général d’observances réglementant les usages monastiques selon la règle bénédictine, qui est promulgué par l’assemblée des abbés de l’Empire réunis à Aix en juillet 817. Ce capitulaire monastique marque l’apogée de l’oeuvre réformatrice et centralisatrice de Benoît d’Aniane jusqu’au renouveau de Cluny au Xe siècle. Béranger (Pierre-Jean de), poète et chansonnier (Paris 1780 - id. 1857). Marqué par l’épopée des soldats de l’an II, admirateur de Bonaparte mais rétif au despotisme impérial, il écrit satires, odes et comédies avant de connaître la gloire en 1813 avec une chanson, le Roi d’Yvetot. L’éloge d’un monarque « se levant tard, se couchant tôt / dormant fort bien sans gloire », qui « n’agrandit point ses États / fut un voisin commode, / et, modèle des potentats, / prit le plaisir pour code » est une charge contre les tendances belliqueuses et autoritaires de l’Empire. Béranger devient alors le chansonnier par excellence, et dit avoir épousé la chanson « avec l’intention de la rendre digne d’être présentée dans les salons de notre aristocratie, sans la faire renoncer pourtant à ses anciennes connaissances, car il fallait qu’elle restât fille du peuple ». Opposé à la Restauration, il met son immense popularité au service des libéraux : il imagine une « sainte alliance barbaresque » qui interdit Voltaire ; il dénonce les jésuites et contribue à écrire la légende napoléonienne. Cela lui vaut des procès en 1821 et 1828, mais la prison sert sa popularité. Guizot et l’association « Aidetoi, le ciel t’aidera » couvrent ainsi par souscription une amende de 10 000 francs qu’il devait acquitter, et 100 000 exemplaires d’un de ses recueils s’arrachent avant saisie au début de 1830. Bien que la révolution de Juillet réponde à ses voeux, il juge alors qu’on « rebadigeonne / un trône noirci » et se tient éloigné de Louis-Philippe, « planche pour passer le ruisseau » vers la République. En 1848, il s’inquiète pourtant : « Nous avions un escalier à descendre, et voilà qu’on nous fait sauter un étage. » Élu à la Constituante, il en démissionne aussitôt. Ses dernières années sont assombries à la fois par des critiques malveillantes et par des soucis d’argent. Sa gloire reste cependant telle que le Second Empire lui réserve des funérailles officielles pour éviter un cortège populaire incontrôlable. De Hugo à Nerval, de Chateaubriand à Michelet, les hommages des plus grands écrivains se sont joints à ceux du public populaire. Si les textes de ses chansons n’ont pas toujours supporté l’épreuve du temps, Béranger n’en a pas moins capté avec un art consommé l’esprit d’une époque : incarnant un mélange de libéralisme et de patriotisme, il a su répondre aux aspirations d’une société que le souvenir de l’aventure napoléonienne et la médiocrité des années de Restauration rendaient réceptive à son répertoire. Berezina (bataille de la), défaite napoléonienne, les 27 et 28 novembre 1812, lors de la retraite de Russie. Après avoir évacué Moscou, puis Smolensk, le corps de la Grande Armée est réduit à 49 000 soldats que suivent 40 000 retardataires désarmés. Napoléon est pourchassé par les 30 000 hommes de Wittgenstein et les 80 000 de Koutousov. À l’ouest, Tchitchagov, avec 34 000 soldats, doit lui couper la retraite sur la Berezina ; d’ordinaire gelé à cette période de l’année, le fleuve est en pleine crue, donc infranchissable. Par chance, un gué est découvert. Le 25 novembre 1812, une diversion permet aux sapeurs du général Éblé de construire deux ponts dans d’effroyables conditions. Le lendemain, Oudinot franchit la Berezina, s’établit sur la rive ouest et résiste à Tchitchagov. Le jour même, le pont principal cède. Il est réparé alors que Wittgenstein attaque la rive est. Le 28, les Russes le détruisent à nouveau, mais sont repoussés. Dans la nuit du 28 au 29, presque toutes les troupes françaises ont traversé le fleuve. Mais les retardataires refusent de s’engager de nuit. Lorsque, au matin, Éblé met le feu aux ouvrages, c’est la panique : 30 000 non-combattants périssent noyés ou massacrés. Ajoutés aux 25 000 soldats français morts pour assurer ce passage, c’est un lourd tribut que paie Napoléon. Cet épisode tragique a laissé des traces dans la langue familière, le terme de « Berezina » devenant un synonyme de désastre. Bergery (Gaston), homme politique (Paris 1892 - id. 1974). Avocat, spécialiste de droit international, partisan d’une politique conciliatrice envers l’Allemagne, il devient chef de cabinet d’Édouard Herriot en 1924, avant de lui reprocher son modérantisme. Député de Mantes en 1928, il incarne l’extrême gauche du radicalisme, défend l’alliance avec la SFIO, est proche des communistes. En 1933, il fonde Front commun, qui séduit un temps Paul Langevin, des socialistes comme Marceau Pivert et Georges Monnet, ou Bernard Lecache, de la Ligue contre l’antisémitisme. Mais il se heurte aux partis de gauche pour lesquels l’antifascisme n’est pas encore une priorité. Et son discours, fondé sur l’ordre et l’autorité supposés aider à combattre le fascisme, l’en rapproche. En 1936, isolé au Parlement alors qu’il se veut l’aiguillon du Front populaire, il crée un petit « parti frontiste », pacifiste et dirigiste. Le frontisme dérive petit à petit vers la droite, prône un anticapitalisme « national », copie le cérémonial totalitaire, approuve les accords de Munich et réclame, au nom de la paix, la limitation du nombre de juifs dans l’appareil d’État. Vichyste avant la lettre, puis conseiller de Pétain et chantre de la Collaboration, Bergery ne peut cependant créer le parti unique dont il rêve et doit se contenter de postes d’ambassadeur, à Moscou puis à Ankara. Sa carrière, faite de demi-échecs, s’arrête avec l’effondrement des fascismes, qu’il a cru combattre avant de subir leur fascination, de les imiter et, pour finir, de les servir. En 1949, il comparaît devant la cour de justice de la Seine, qui l’acquitte. Berlin (conférence de), conférence internationale, tenue de novembre 1884 à février 1885, afin d’arbitrer les ambitions coloniales européennes en Afrique centrale. Organisée par l’Allemagne et la France, qui entendent réglementer la multiplication des missions d’exploration et de conquête dans cette région d’Afrique, tout en y préservant leurs intérêts, elle rassemble, en outre, douze autres puissances, parmi lesquelles la Belgique, le Royaume-Uni, le Portugal et les États-Unis. Deux principes essentiels y sont adoptés : celui de la liberté de commerce et de navigation dans le bassin du Congo, et celui de l’occupation effective des territoires conquis, désormais nécessaire pour valider l’annexion d’un territoire d’Afrique centrale, à condition que cette annexion soit notifiée aux autres puissances. C’est cette dernière clause qui est la plus débattue et la plus controversée. Elle a pu paraître consacrer un véritable « partage de l’Afrique » entre les puissances coloniales européennes. En fait, ce partage ne va se réaliser que quelques années plus tard, sur le terrain des opérations ; cependant, la conférence de Berlin en formule déjà les modalités. Si le grand gagnant de cette rencontre est le roi des Belges Léopold II, qui obtient la reconnaissance de sa souveraineté directe sur l’immense territoire du Congo, la France préserve ses intérêts économiques dans ses colonies d’Afrique-Équatoriale, ainsi que ses chances éventuelles au Congo. Bernadette Soubirous (BernardeMarie Soubirous, en religion soeur MarieBernard, sainte), témoin des apparitions mariales de Lourdes. (Lourdes 1844 - Nevers 1879). La figure de Bernadette occupe une place centrale dans l’attestation de la présence mariale au sanctuaire de Lourdes qui a pris place au XXe siècle parmi les premiers lieux de pèlerinage du monde. Aînée de neuf enfants (dont cinq morts en bas âge), Bernadette appartient à une famille misérable de la petite ville pyrénéenne ; âgée de 14 ans en 1858, elle ne sait ni lire ni écrire, n’a pas fait sa première communion, s’exprime en dialecte et habite un taudis, le « Cachot ». Du 11 février au 16 juillet 1858, Bernadette est le témoin de dix-huit apparitions à la grotte de Massabielle, le long du gave de Pau ; la « Dame » décline en dialecte son identité le downloadModeText.vue.download 92 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 81 25 mars : « Je suis l’Immaculée Conception » - dont le dogme a été proclamé en 1854 par le pape Pie IX. Des foules immenses entourent Bernadette, qui n’a jamais varié dans son récit malgré les oppositions qu’il suscite, tandis que se développe un culte miraculaire autour de la grotte. Au terme d’une longue enquête canonique, Mgr Laurence, évêque de Tarbes, conclut le 18 janvier 1862 que « l’Immaculée Marie, mère de Dieu, a réellement apparu à Bernadette Soubirous ». Cette dernière quitte Lourdes en 1866 pour le couvent Saint-Gildard des soeurs de la Charité de Nevers, où elle meurt à l’âge de 35 ans. Elle est béatifiée en 1925 et canonisée en 1933. Bernadotte (Charles Jean-Baptiste Jules), maréchal de France, roi de Suède et de Norvège sous le nom de Charles XIV (Pau 1763 - Stockholm 1844). En 1789, Bernadotte est sous-officier ; en 1794, la Révolution le fait général. Après avoir combattu en Italie et dans l’Est, il se rapproche des néo-jacobins et obtient le ministère de la Guerre en 1799. Lors du coup d’État du 18 brumaire, il ne se joint pas à Bonaparte, sans pour autant défendre la République. Il critique le Consulat, mais son mariage avec Désirée Clary, ancienne fiancée de Bonaparte, lui permet de poursuivre sa carrière. Malgré la méfiance qu’il inspire, il est ainsi nommé maréchal en 1804 et prince de Ponte-Corvo en 1806. Son rôle dans les guerres de l’Empire est secondaire. Ses relations lui permettent d’être élu prince héréditaire de Suède par les états généraux d’Öyrebro, le 21 août 1810. Surpris, Napoléon accepte cette décision, pensant disposer d’un allié solide dans le nord de l’Europe. Mais Bernadotte participe à la coalition antifrançaise de 1813. À la bataille de Leipzig (octobre 1813), il est l’un des principaux artisans de la défaite de Napoléon, trahison qui lui vaudra d’obtenir la Norvège au congrès de Vienne (1814- 1815). Après avoir été écarté du trône de France en 1814 en raison de l’opposition de Talleyrand, il est couronné roi de Suède et de Norvège, en 1818. Napoléon a porté un jugement sévère sur ce militaire, ambitieux et doué pour la politique, qu’il n’a su contrôler. Aujour-d’hui encore, les descendants de Bernadotte règnent en Suède. Bernard (Claude), physiologiste (Saint-Julien, Rhône, 1813 - Paris 1878). Monté à Paris en 1834 après avoir été employé d’officine à Lyon, il renonce à une éphémère vocation littéraire et entreprend des études de médecine. Reçu docteur en 1843, il se détourne de l’hôpital pour se consacrer à la recherche. Préparateur, puis suppléant de François Magendie au Collège de France, il lui succède en 1855 à la chaire de physiologie expérimentale. Dans ses premiers travaux, il met en évidence le rôle du suc gastrique et du pancréas dans la digestion et, surtout, la fonction glycogénique du foie, expliquant ainsi magistralement, dans sa thèse, le mécanisme du diabète sucré (Recherches sur une nouvelle fonction du foie considéré comme organe producteur de matière sucrée chez l’homme et les animaux, 1853). Dans ses leçons au Collège de France, à la faculté des sciences de Paris puis au Muséum d’histoire naturelle, il expose - recourant volontiers à la vivisection - des recherches pionnières sur la physiologie du système nerveux, la chaleur animale et les mécanismes de régulation du vivant (Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine, 1856). Ainsi se dessine le concept central de l’oeuvre bernardienne, celui de « milieu intérieur » : constitué par les secrétions internes - le sang et la lymphe - et réglé par l’activité nerveuse, il offre au vivant, par sa stabilité, « une possibilité d’autonomie relativement aux variations de ses conditions d’existence dans le milieu extérieur » (Canguilhem). Quant à l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865), elle promeut une méthode expérimentale critique, fondée sur l’idée « d’observation provoquée », sur le travail du doute et de la contre-épreuve. L’oeuvre de Claude Bernard constitue un jalon essentiel dans l’histoire de la compréhension du vivant et celle de la médecine. Elle reconnaît un déterminisme propre aux fonctions biologiques et invite à penser la maladie non plus comme une importation dans l’organisme « d’entités morbides » mais comme le dérèglement de phénomènes normaux, obéissant à des lois assignables. Affranchissant la physiologie aussi bien des réductions mécanistes d’origine cartésienne que des doctrines vitalistes (Barthez, Bichat), Claude Bernard l’institue comme la science expérimentale spécifique des corps vivants et de leur déterminisme. Zola s’en inspirera, important en littérature cet « homme physiologique » sur lequel il érigera le « système » naturaliste (le Roman expérimental, 1880). Bernard (Samuel), banquier (Paris 1651 - id. 1739). Fils d’un peintre ordinaire du roi, de confession réformée, Samuel Bernard commence sa carrière comme marchand mercier en gros. Son mariage en 1681 l’unit aux grandes familles financières d’origine protestante, même si lui-même abjure en 1685. Il devient néanmoins rapidement le banquier des protestants émigrés ou étrangers. C’est le début d’une ascension fulgurante. Après un rôle actif de traitant dans les affaires financières de la monarchie, Bernard abandonne cette activité à partir de 1701 pour être banquier de la cour, c’est-à-dire organisateur des paiements aux alliés et aux armées dans le cadre de la guerre de la Succession d’Espagne. Son crédit international assoit sa position, même si ce sont en définitive les rentrées fiscales qui garantissent le fonctionnement du système. Interlocuteur obligé pour le roi et les siens pendant quelques années, Bernard est durement touché par une banqueroute en 1709. Après une éclipse, il refait surface à l’époque de la Régence. En 1733 encore, il avance des fonds à Stanislas Leszczy[‘]nski, beau-père de Louis XV. Il s’intéresse aussi activement aux grandes compagnies de commerce maritime. Comblé d’honneurs (anobli dès 1699, il est fait comte de Coubert en 1725), Bernard meurt au faîte de la richesse et de la réussite. Il représente en son temps un cas exceptionnel d’osmose entre le monde du négoce et de la banque, et celui des financiers de la monarchie. À ce titre, il annonce, dès la fin du règne de Louis XIV, les banquiers de cour du XVIIIe siècle. Bernard VII ! Armagnac (Bernard VII, comte d’) Bernard de Clairvaux (Bernard de Fontaine, saint), moine et mystique, abbé de Clairvaux (Fontaine-lès-Dijon 1090 - Clairvaux 1153). Issu de la moyenne noblesse, le jeune Bernard fait ses études chez les chanoines de la collégiale Saint-Vorles, à Châtillon-sur-Seine, et en retire de solides connaissances bibliques et littéraires. Optant pour la vie monastique, il arrive à Cîteaux en 1112 (ou 1113) avec trente compagnons, confortant ainsi le développement de ce monastère fondé en 1098 par Robert de Molesme. En 1115, il devient abbé de Clairvaux, abbaye qu’il dirigera jusqu’à sa mort. Par sa personnalité et son rayonnement, Bernard de Clairvaux est le principal instigateur de l’expansion cistercienne. Jusqu’en 1130, il se consacre au développement de Clairvaux, puis, de sa propre initiative ou sollicité, il se trouve impliqué dans les grandes affaires de l’Église. Paradoxalement, alors que l’ordre cistercien prône la fuite du monde, il ne cesse de se mêler aux problèmes de son temps et vit fréquemment loin de son monastère. Il intervient dans les élections épiscopales, souvent pour faire triompher ses candidats, et s’intéresse à la réforme du clergé séculier. En 1130, lors de la double élection pontificale, il soutient Innocent II contre Anaclet II. Le 31 mars 1146, à Vézelay, il lance un appel pour la deuxième croisade, préoccupation qui s’est déjà exprimée quelques années auparavant dans À la louange de la milice nouvelle, texte soutenant l’ordre des Templiers. L’action qu’il mène contre l’hérésie cathare rencontre toutefois peu de succès. Bernard de Clairvaux intervient également dans les débats dogmatiques. Accusant Abélard de soutenir des thèses théologiques contestables, il obtient sa condamnation par le concile de Sens en 1140. En revanche, en 1148, il ne parvient pas à faire sanctionner par le concile de Reims Gilbert de La Porrée, théologien et évêque de Poitiers. Doté de réels talents d’écrivain, Bernard de Clairvaux rédigea plus de cinq cents lettres, ainsi que des traités : De la considération, Sur les degrés de l’humilité et de l’orgueil, Sur la grâce et le libre arbitre, Sur l’amour de Dieu, Homélies à la louange de la Vierge Mère... Son mysticisme s’exprime dans les quatre-vingtsix Sermons sur le Cantique des cantiques, ouvrage resté inachevé. Il a bénéficié d’un immense prestige et exercé une profonde influence, qui ne se limite pas au monachisme, qu’il fut tenté d’imposer comme modèle à la société. Personnalité complexe et passionnée - ce qui a pu le conduire à l’intolérance -, représentant de la théologie monastique, il n’a cependant pas toujours su saisir les évolutions du XIIe siècle. Il a été canonisé en 1174. downloadModeText.vue.download 93 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 82 Bernard Gui, inquisiteur de l’évêché de Toulouse (Royère, Creuse, 1261 - Lodève, Hérault, 1331). Entré à l’âge de 19 ans chez les Frères prêcheurs de Limoges, dans l’ordre des dominicains fondé un siècle plus tôt pour combattre les hérésies du sud de la France, il circule dans les différents couvents de l’ordre, puis devient, en 1307, prieur de Limoges et inquisiteur pour le compte du tribunal de Toulouse, charge qu’il occupe jusqu’en 1323. Ayant effectué plusieurs missions pour le pape Jean XXII, il est nommé en 1324 évêque de Lodève. Mais c’est surtout à sa charge d’inquisiteur qu’il doit sa célébrité. Il rédige en effet une Pratique de l’office d’inquisition, plus connue sous le nom de Manuel de l’inquisiteur, où il analyse les hérésies vaudoise et cathare, précise les procédures inquisitoriales et dresse un barème des peines applicables. Il semble avoir été lui-même relativement modéré dans l’exercice de l’Inquisition, livrant rarement les accusés au bras séculier de la justice, qui appliquait les peines de sang. Son Manuel paraît cependant avoir été peu employé. Auteur de plusieurs ouvrages de théologie et de liturgie, Bernard Gui est aussi un historien prolixe et honnête, un compilateur scrupuleux de documents, abondamment utilisé par les historiens de la papauté d’Avignon. Bernis (François Joachim de Pierre, cardinal de), prélat et homme po-litique (SaintMarcel-en-Vivarais, aujourd’hui Saint-Marcel-d’Ardèche, 1715 - Rome 1794). Issu d’une famille d’ancienne noblesse militaire languedocienne, il fait, grâce à la protection de Fleury, de bonnes études au collège Louis-le-Grand. Son caractère, sa brillante conversation et quelques publications poétiques lui valent rapidement une reconnaissance mondaine, au point qu’il est élu à l’âge de 29 ans à l’Académie française (1744). La protection de Mme de Pompadour lui permet d’obtenir une ambassade à Venise en 1751, d’entrer au Conseil en 1755 et de devenir secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1757. Il est l’un des principaux négociateurs du rapprochement de la France avec les puissances catholiques continentales, et en particulier l’Autriche, ce qui lui vaut d’être créé cardinal en 1758. Mais les succès de Frédéric II lors de la guerre de Sept Ans le poussent à la conciliation, en opposition avec le parti de la marquise de Pompadour. Cette indépendance à l’égard de la favorite entraîne sa disgrâce. Revenu en faveur, il est nommé archevêque d’Albi (1764), et se consacre à l’administration de son diocèse, où il réside. Chargé des affaires de France auprès du Saint-Siège (1769), il s’associe à la décision de Clément XIV de dissoudre la Compagnie de Jésus (1773). En raison de son refus de prêter serment à la Constitution civile du clergé et de son opposition à la Révolution, il est destitué en 1791. Auteur de poèmes et de textes divers édités de son vivant, il laisse également une correspondance avec Voltaire (publiée en 1790), ainsi que des Mémoires et des lettres, parus en 1878. Berry, ancienne province de France, dans le centre du pays, dont les limites correspondent pour l’essentiel à celles des actuels départements du Cher et de l’Indre. Formé à l’époque celtique du territoire des Bituriges, soumis par César, le Berry est intégré à la province romaine d’Aquitaine, avant d’être envahi par les Wisigoths vers 469. Conquis par les Francs, disputé entre les différents royaumes mérovingiens, il est érigé en comté indépendant au VIe siècle. Soumis à l’hostilité conjointe des ducs d’Aquitaine et des comtes de Blois, démembré autour de 930, le Berry entre en plusieurs étapes dans le domaine royal : la partie orientale, autour de Bourges, est acquise sous le règne de Philippe Ier, près de deux siècles avant que l’ensemble de la région soit placé sous le contrôle des Capétiens. En 1360, le roi Jean II le Bon érige le Berry en duché et le donne en apanage, assorti de l’Auvergne, à son troisième fils, Jean, qui en fait le coeur d’une principauté puissante dotée d’une administration développée et d’une cour fastueuse. À la mort du duc, en 1416, le Berry retourne à la couronne, avant d’être donné au dauphin Charles. Lors de l’occupation anglaise, le Berry devient ainsi le refuge et le symbole de la résistance des Valois, le point de départ de la reconquête du royaume entreprise par Charles VII, qui n’est, à l’origine, que le « petit roi de Bourges ». Confié par la suite à plusieurs cadets royaux, dont Charles de France, le frère de Louis XI, le Berry n’est définitivement réuni à la couronne qu’en 1584. Berry (assassinat du duc de), assassinat, le 13 février 1820, du second fils du comte d’Artois (futur Charles X), qui était destiné à monter sur le trône de France à la mort de son père. Cet événement marque un tournant majeur dans l’histoire politique de la Restauration, car il favorise le retour au pouvoir des ultraroyalistes. En effet, ces derniers sont irrités, depuis l’arrivée au pouvoir des constitutionnels en septembre 1816, par les progrès du libéralisme. Ainsi, en 1819, sous le gouvernement Decazes, les lois de Serre ont aboli la censure pesant sur la presse, et les élections législatives ont permis aux libéraux de remporter les deux tiers des sièges à pourvoir. En réponse aux inquiétudes de la droite, Decazes se fait alors le défenseur de l’ordre : il nomme de nouveaux ministres désireux de se rapprocher des ultraroyalistes et prépare une nouvelle loi électorale donnant droit à un double vote aux électeurs les plus imposés. C’est la veille du jour où la bataille doit être engagée à la Chambre en faveur de cette loi que survient l’événement. Le duc de Berry sort de l’Opéra quand l’ouvrier sellier Louvel le poignarde : le prince meurt quelques heures plus tard alors que le gouvernement craint une émeute, persuadé que Louvel n’a pas agi seul. En réalité, l’assassinat ne déclenche contre Decazes que les foudres des ultraroyalistes. L’attitude initialement libérale du ministre est jugée responsable de la conjoncture politique qui a favorisé le crime. Le 20 février, Louis XVIII se résout à renvoyer Decazes : « Les pieds lui ont glissé dans le sang », commente Chateaubriand. Berry (Jean de France, duc de), troisième fils du roi Jean le Bon et de Bonne de Luxembourg (Vincennes 1340 - Paris 1416). Jean de France est fait comte de Poitiers en 1356, puis duc de Berry et d’Auvergne en 1360, lorsque le Poitou est restitué par le traité de Brétigny au roi d’Angleterre. La même année, il épouse Jeanne d’Armagnac, fille du comte Jean Ier d’Armagnac, puis devient otage en Angleterre à la place du roi son père. Pendant toute la durée de son règne, de 1364 à 1380, Charles V tient son frère Jean de Berry à l’écart des affaires, lui confiant parfois le commandement d’expéditions militaires en Languedoc. À la mort de Charles V, les oncles du jeune Charles VI, dont le duc de Berry, tiennent le gouvernement du royaume. Jean de Berry, lieutenant du roi en Languedoc, s’y enrichit exagérément. Très impopulaire, il est écarté du gouvernement de 1388 à 1392, lorsque y reviennent les marmousets, anciens conseillers du roi Charles V. Mais la folie de Charles VI permet aux oncles du roi de reprendre le pouvoir. Le duc de Berry partage alors son temps entre son duché, ses châteaux et le Conseil du roi. S’il soutient d’abord son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, contre le duc d’Orléans, frère de Charles VI, il se pose en médiateur, à partir de 1404, dans le conflit plus sévère qui oppose Louis d’Orléans à Jean sans Peur, nouveau duc de Bourgogne. Lorsque Louis d’Orléans est assassiné en 1407, Jean de Berry tente d’arbitrer le conflit, puis penche en faveur du duc d’Orléans en 1410. Il intervient encore avant Azincourt : afin d’éviter que le roi ne soit fait prisonnier, comme Jean le Bon en 1356 à la bataille de Poitiers, il retient à Rouen Charles VI et le dauphin. Piètre politique, Jean de Berry reste dans l’histoire comme un grand mécène et un collectionneur exceptionnel, qui fait appel aux plus brillants architectes et sculpteurs pour embellir ses châteaux et son hôtel parisien. Grand amateur de livres, il entretient des ateliers d’enluminure dans tous ses domaines. Conservées à Chantilly, les Très Riches Heures du duc de Berry, peintes par Pol et Hennequin de Limbourg, sont le plus luxueux de ces manuscrits. Berry (Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de), fille de François Ier, roi des Deux-Siciles, et de Marie-Clémentine d’Autriche (Palerme 1798 - Brünnsee, Autriche, 1870) ; épouse du duc de Berry, de vingt ans son aîné et fils du futur Charles X. L’ultraroyalisme de son mari vaut à celui-ci, en 1820, le coup de poignard fatal de Louvel, qui voulait ainsi provoquer l’extinction de la branche aînée des Bourbons : geste inutile, puisque, quelques mois plus tard, la duchesse mettra au monde un fils posthume, le duc de Bordeaux, futur comte de Chambord et prétendant au trône sous le nom d’Henri V, salué comme « l’enfant du miracle » ; une naissance semble assurer l’avenir de la dynastie. Lors de la révolution de 1830, Marie-Caroline suit Charles X en exil, puis se lance, en downloadModeText.vue.download 94 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 83 1832, dans une conspiration qui va ridiculiser la cause légitimiste : elle tente de soulever la Provence, puis la Vendée, pour faire proclamer roi son fils, se cache plusieurs mois à Nantes, y est arrêtée, puis emprisonnée à la citadelle de Blaye, où, pendant sa détention, elle accouche d’une fille ! Libérée en 1833, elle épouse le comte Lucchesi-Palli, diplomate sicilien, qui endosse la paternité de « l’enfant de la Vendée », et lui en fera quatre autres. Par la suite, elle ne joue plus aucun rôle politique, ni dans l’éducation d’Henri V. La duchesse de Berry avait du courage et un esprit d’intrigue qui lui tenait lieu de sens politique. Sa gaieté anima la cour morose et compassée des derniers Bourbons (elle lança la mode des bains de mer, en 1824, à Dieppe). Son caractère romanesque et généreux l’a rendue assez populaire, et a séduit plusieurs historiens. L’épopée tragicomique de 1832 la fit entrer dans la légende royaliste, où elle incarna, en plein style « troubadour », un renouveau de l’esprit chevaleresque. Son emprisonnement à Blaye et le scandale organisé par le gouvernement de Louis-Philippe autour de sa grossesse irritèrent profondément les légitimistes et contribuèrent à priver la monarchie de Juillet du soutien d’une partie des notables. Berryer (Pierre Antoine), avocat et homme politique (Paris 1790 - Augerville-la-Rivière, Loiret, 1868). Celui que ses contemporains ont considéré comme « le plus grand des orateurs français » (Cormenin, 1838) est lui-même le fils d’un avocat parisien ; il débute au barreau dès 1812 et défend, aux côtés de son père, le maréchal Ney en 1815. Il prend parti, dès la première Restauration, pour la monarchie et se rallie à la branche aînée des Bourbons : par-delà une grande indépendance de caractère, il demeure sa vie durant le plus éloquent porte-parole de la cause légitimiste. Sa longue carrière d’avocat le porte à défendre avec générosité et talent les causes les plus diverses : le général Cambronne en 1815, Lamennais en 1826, Chateaubriand en 1831, la duchesse de Berry en 1832, Louis Napoléon Bonaparte en 1840, les ouvriers typographes parisiens en 1863. Sa carrière politique le range parmi les ultraroyalistes de la Restauration : il attaque violemment Decazes en 1816 et collabore au Drapeau blanc et à la Quotidienne. Député de la Haute-Loire en mars 1830, il soutient le ministère Polignac. Représentant des Bouchesdu-Rhône sous la monarchie de Juillet et la IIe République, il est le principal orateur de l’opposition catholique et légitimiste, et défend parfois des positions libérales et démocratiques. Au lendemain du coup d’État de 1851, il est élu à l’Académie française (février 1852). À nouveau député de Marseille en 1863, il siège alors dans l’opposition légitimiste et libérale. Bert (Paul), physiologiste et homme politique (Auxerre 1833 - Hanoi 1886). Issu d’une famille bourgeoise de tradition voltairienne, Paul Bert poursuit de 1852 à 1857 des études de droit. Puis, cédant à sa vocation, il s’inscrit à la faculté de médecine, où il se lie avec Claude Bernard, auquel il succédera à la Sorbonne. Agrégé d’histoire naturelle, docteur en médecine (1863) puis en sciences naturelles (1866), ce futur promoteur de l’enseignement féminin épouse en 1865 une jeune Écossaise de 18 ans, de confession anglicane. Leur mariage est béni à l’ambassade de Grande-Bretagne, ce qui n’empêche pas Paul Bert de se déclarer, peu après, évolutionniste et matérialiste. Sa carrière politique commence au lendemain du 4 septembre 1870. Député gambettiste de l’Yonne à partir de 1872, il devient rapporteur permanent de la commission d’enseignement de la Chambre. Après l’adoption de son projet de loi sur les écoles normales départementales, le 9 août 1879, il soutient fermement la politique de Jules Ferry, qu’il remplace brièvement dans le « grand ministère » Gambetta (14 novembre 1881-26 janvier 1882). Président perpétuel de la Société de biologie, membre de l’Académie des sciences (1881), il prend le temps d’écrire des manuels de vulgarisation. Partisan résolu de l’entreprise coloniale, il est nommé résident général au Tonkin le 31 janvier 1886, et entretient de bonnes relations avec les missionnaires français. Chez le vice-président de l’Union de propagande démocratique anticléricale, l’anticlérical s’est rendu aux raisons du patriote. Berthelot (Marcelin), chimiste et homme politique (Paris 1827 - id. 1907). Depuis le Collège de France, où il devient, à 23 ans, le préparateur de Balard, jusqu’au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (1886), puis au ministère des Affaires étrangères (1895-1896), la carrière de Marcelin Berthelot, comblé d’honneurs, est exemplaire du rôle dévolu aux savants à l’âge du positivisme triomphant : professeur de chimie organique à l’École supérieure de pharmacie (1859) et au Collège de France (1865), membre de l’Académie des sciences (1873) et de l’Académie française (1901), sénateur inamovible (1881), il entre au Panthéon à sa mort, en 1907. Son oeuvre, consacrée principalement à la synthèse organique et à la thermochimie, excède la chimie ; ses intérêts portent également Marcelin Berthelot vers l’archéologie et la politique. Mais, au-delà de cet éclectisme apparent, Berthelot fait du scientisme sa religion : ainsi considère-t-il que le bonheur et le bien-être s’acquièrent par « la connaissance exacte des faits, par la conformité de nos actes avec les lois constatées des choses ». Aussi son oeuvre publique s’attache-t-elle à favoriser l’enseignement et la recherche - inspecteur général de l’enseignement supérieur en 1876, il crée par exemple les maîtrises de conférence. Parfois, cependant, sa méfiance à l’égard des prétentions de la « science spéculative » l’entraîne à commettre des erreurs, notamment lorsqu’il refuse la théorie atomique (1877), qu’il finira par adopter. Berthier (Louis Alexandre), maréchal de France, prince de Neufchâtel et de Wagram (Versailles 1753 - Bamberg, Allemagne, 1815). Berthier entre dans l’armée à 11 ans. Après avoir intégré le corps royal d’état-major, il combat en Amérique. Lieutenant-colonel lorsque la Révolution éclate, il est nommé major général de la Garde nationale à Versailles. Peu attaché aux idées révolutionnaires, il protège la famille royale, ce qui le rend suspect. Suspendu en septembre 1792, il sert en Vendée de mai à juillet 1793. Après une seconde destitution, il est nommé à l’état-major de l’armée des Alpes et d’Italie en 1795. Son destin est alors lié à celui de Bonaparte, qui remarque ses qualités lors des campagnes d’Italie et d’Égypte, puis en fait son ministre de la Guerre de 1799 à 1807. Mais c’est surtout en tant que chef d’état-major de la Grande Armée qu’il s’illustre, assurant notamment une transmission très efficace des informations et des ordres. Sa fidélité à l’Empereur lui vaut tous les honneurs : élevé à la dignité de maréchal d’Empire en 1804, puis à celle de major-général de la Grande Armée en 1805, il est fait prince de Neufchâtel en 1806 et prince de Wagram en 1809. Cependant, lorsque Napoléon Ier abdique en 1814, Berthier se rallie immédiatement à Louis XVIII. Retenu au château de sa famille à Bamberg par les coalisés, qui craignent de le voir rejoindre l’Empereur pendant les Cent-Jours, il y meurt, dans d’obscures circonstances. Berthollet (Claude Louis), chimiste (Talloires 1748 - Arcueil 1822). Issu d’une famille de la noblesse de robe savoyarde, Berthollet étudie la médecine à Turin, avant de monter à Paris en 1772. Il s’intéresse alors à la chimie, se rallie aux vues radicalement nouvelles de Lavoisier en 1785, et oeuvre avec lui, en compagnie de Fourcroy et de Guyton de Morveau, à la publication de la Méthode de nomenclature chimique (1787), qui jette les bases de la chimie moderne. Soucieux de trouver des applications pratiques à ses travaux, il invente un procédé de blanchiment du textile, à base d’hypochlorite de potassium, plus connu sous le nom d’« eau de Javel ». Personnalité scientifique en vue, il participe activement à l’effort révolutionnaire : membre de nombreuses commissions, il rédige, en 1793, avec Monge et Vandermonde, des ouvrages destinés aux industries militaires ; il enseigne la fabrication des poudres à l’École des armes, puis la chimie à l’École normale et à Polytechnique. Nommé à l’Institut dès 1795, il suit Bonaparte en Italie et en Égypte. Sénateur en 1799, comte en 1808, il se tourne de nouveau vers la recherche. Il publie un Essai de statique chimique (1803) dans lequel il s’efforce d’élaborer un système théorique. Quelques années après, il fonde avec Laplace la Société d’Arcueil, en vue d’aider les jeunes savants : très active jusqu’en 1813, celle-ci disparaît à sa mort. « Chimiste le plus connu du public », selon Cuvier, Berthollet est une figure emblématique de la génération des scientifiques qui ont investi le pouvoir politique lors de la Révolution. Bertin (Henri Léonard Jean-Baptiste), comte de Bourdeille, magistrat et homme politique (Périgueux 1720 - Aix-la-Chapelle 1792). Issu d’une famille de la noblesse de robe du Périgord, Bertin est reçu avocat au parlement de Bordeaux en 1749, avant d’occuper de grandes charges dans la magistrature. Conseiller, puis maître des requêtes en 1745, downloadModeText.vue.download 95 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 84 il préside le Grand Conseil en 1749. D’abord intendant du Roussillon puis de Lyon, de 1754 à 1757, Bertin développe le tissu économique et industriel de la région lyonnaise. Il est ensuite nommé lieutenant général de police, puis, en 1759, devient contrôleur général des finances. Il pourvoit notamment aux dépenses de la guerre de Sept Ans. Bertin compte parmi les hommes politiques qui ont favorisé le développement de l’appareil administratif, le rôle de la finance et la mainmise de l’État sur les corps représentatifs. Il est aussi l’un des promoteurs de l’expérience libérale. Membre de l’élite de la « secte » des physiocrates, il autorise, en 1760, la libre circulation des grains. Il contribue aussi à la fondation de deux écoles vétérinaires, à Lyon en 1762 et à Alfort en 1766. Résignant sa charge au contrôle général en 1763, il exerce cependant une influence jusqu’en 1780, car il conserve un secrétariat d’État très actif. Les compétences de Bertin s’étendent à la plupart des activités économiques du royaume et au dépôt des Archives, qu’il crée en 1774. Necker ayant mis fin à sa carrière, il se retire près de Paris. Bertin l’Aîné (Louis François, Bertin, dit), journaliste politique (Paris 1766 - id. 1841). Fils du secrétaire du duc de Choiseul, le royaliste Louis François Bertin fut considéré par ses contemporains comme une référence en matière de journalisme politique. Dès le début de la Révolution, il collabore à divers journaux, puis entre en 1795 à l’Éclair, feuille de la réaction royaliste interdite après le coup de force des directeurs républicains du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Proscrit, Bertin se cache jusqu’au coup d’État de Bonaparte (18 brumaire an VIII, 9 novembre 1799), après lequel il fonde le Journal des débats, qui se distingue par des attaques allusives contre le Premier consul. Emprisonné en 1800 au Temple puis exilé en Italie, Bertin reprend, en 1804, la direction de sa feuille censurée, devenue Journal de l’Empire, jusqu’à sa confiscation par l’État en 1811. Il retrouve en 1814 sa position, et le journal peut paraître sous son ancien titre grâce au retour des Bourbons. Sous la Restauration, le Journal des débats est un défenseur du régime jusqu’à la disgrâce, en 1823, de Chateaubriand, collaborateur, protecteur et ami de Bertin depuis leur rencontre à Rome en 1803. Après la révolution de Juillet, il est l’organe de la haute bourgeoisie constitutionnelle et soutient la dynastie des Orléans. Le célèbre tableau d’Ingres, représentant M. Bertin assis de face « comme un César bourgeois » (Théophile Gautier) et exposé au Salon de 1833, immortalise ce personnage qui incarne la réussite sociale des notables. Bérulle (Pierre de), théologien (Sérilly, Champagne, 1575 - Paris 1629). Bien que destiné à la carrière de robe par une famille de la noblesse parlementaire, Pierre de Bérulle s’engage dans la prêtrise. Cette vocation sincère reflète le renouveau spirituel français du « demi-siècle des saints ». Le jeune clerc fait partie du cercle de Mme Acarie et déploie une activité tridentine dans le domaine théologique, spirituel et disciplinaire. Le prêtre se démarque de l’humanisme dévot en rejetant le stoïcisme chrétien. D’abord influencé par la théologie abstraite (Bref discours de la perfection chrétienne, 1597), il fonde dans sa maturité une synthèse christocentrique originale, influencée par les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. Dans son traité le plus célèbre (Discours de l’état et des grandeurs de Jésus, 1623), il organise la piété sur une méditation pénitentielle de la vie du Christ, seconde création seule apte à unir le chrétien à la divinité malgré le péché originel. Mais Pierre de Bérulle est aussi un clerc engagé dans le monde. Il se mêle à la controverse religieuse contre les antipossessionnistes et contre les réformés. Néanmoins, il s’investit davantage dans la réforme du clergé. Il oeuvra à l’installation du premier carmel thérèsien à Paris en 1602 et fonde l’Oratoire en 1611, une congrégation de prêtres qui vise à former des clercs souvent peu préparés au sacerdoce. En outre, Pierre de Bérulle est le maître spirituel du parti dévot. Tenant d’une triple alliance avec l’Espagne et Rome contre les États protestants, il s’oppose à la politique anti-habsbourgeoise de Richelieu. En 1627, Urbain VIII le crée cardinal ; mais il connaît la disgrâce royale en 1629, quelques mois avant sa mort survenue au cours de la célébration d’une messe. Pierre de Bérulle symbolise la réussite d’une école française de spiritualité, mais aussi l’échec du rêve d’une chrétienté européenne désormais limitée par les intérêts nationaux. bête du Gévaudan ! Gévaudan (bête du) Beuvray (mont), oppidum gaulois, site de l’ancienne capitale des Éduens, Bibracte. Il est situé au sud des monts du Morvan, à cheval sur plusieurs communes, notamment Glux-en-Glenne (Nièvre) et Saint-Léger-sousBeuvray (Saône-et-Loire), entre Château-Chinon et Autun. Protégé par sa situation géographique (820 mètres d’altitude), l’oppidum était entouré de deux remparts, dont le plus grand, reconnu sur près de 7 kilomètres, enserrait une superficie d’environ 195 hectares. Pouvant atteindre 4 mètres de hauteur, le rempart interne, du type murus gallicus, était constitué d’un parement de pierre, d’une armature de poutres clouées et d’un bourrage de terre. On pénétrait dans la ville par plusieurs portes - sans doute une dizaine -, dont la plus grande, au nord-est, large de près de 20 mètres, était munie d’un système d’entrée en tenaille. Les vestiges d’occupation retrouvés à l’intérieur datent, pour l’essentiel, du Ier siècle avant notre ère. Ils révèlent un urbanisme très organisé : plusieurs rues, dont la principale atteint 14 mètres de large, et des quartiers spécialisés. Les artisans, notamment émailleurs, forgerons et bronziers, possédaient des demeures modestes, à proximité des remparts, dans la partie nord-est. La zone des sanctuaires se trouvait au sud. Au centre de l’oppidum, au milieu de la rue principale, a été découvert un grand bassin ovale en pierres appareillées, dont la fonction était sans doute religieuse. Les notables occupaient les quartiers résidentiels, au sud-ouest ; leurs riches demeures, construites selon un plan romain - avec atrium, péristyle, bains, jardins intérieurs -, et parfois décorées de fresques, étaient implantées le long de rues bordées de trottoirs et de galeries. Cette influence romaine tient aux rapports pacifiques, essentiellement commerciaux, qui liaient les Romains et les Éduens, proclamés « frères du peuple romain » dès 125 avant J.-C. Les mil- liers d’amphores à vin romaines retrouvées au mont Beuvray témoignent de l’importance des échanges. C’est pourtant à Bibracte que Vercingétorix est proclamé, en 52 avant J.-C., chef de la coalition de tous les peuples gaulois révoltés contre César. L’hiver suivant, ce dernier y rédige la Guerre des Gaules, après sa victoire d’Alésia. Mais, au début du Ier siècle après J. C., le site, dont la position élevée et retirée s’avère malcommode, est progressivement abandonné au profit d’une nouvelle ville fortifiée fondée par l’empereur Auguste : Augustodunum, l’actuelle Autun. Redécouvert au XIXe siècle, le site a fait l’objet de fouilles menées par Bulliot, de 1867 à 1887, puis par son neveu, le grand archéologue Joseph Déchelette, de 1897 à 1901. Ce dernier, comparant le matériel découvert ici avec celui trouvé sur d’autres sites à travers l’Europe - et jusqu’en Bohême -, a ainsi défini la période finale de la civilisation celtique, dite de « La Tène ». Depuis 1985, des fouilles de grande ampleur ont entraîné la mise au jour de nombreux vestiges. Un musée de la civilisation celtique a été créé sur le site même. Bèze (Théodore de), théologien et écrivain protestant (Vézelay 1519 - Genève 1605). Après des études juridiques à Orléans et à Paris, Théodore de Bèze mène une existence mondaine ; il publie même un recueil de poèmes amoureux. Converti au protestantisme (1548), il s’enfuit à Genève, où il est accueilli par Calvin. Toute son existence sera désormais consacrée à la Réforme. Jusqu’en 1558, il enseigne le grec à Lausanne. Chef de la délégation protestante au colloque de Poissy (1561), il prend part à la première guerre de Religion. C’est en 1564, à la mort de Calvin, qu’il devient chef de l’Église réformée de Genève. Jusqu’à sa mort, il y traitera les affaires ecclésiastiques avec un remarquable sens de la conciliation. Face aux persécutions qui ensanglantent la France, il coordonne l’action des huguenots ; après le massacre de la Saint-Barthélemy (1572), il lance un vibrant appel à la lutte contre la tyrannie. Durant les dernières décennies du siècle, il échange une correspondance abondante avec les personnalités politiques et intellectuelles de l’Europe entière. Il rédige également une tragédie biblique, Abraham sacrifiant (1550), considérée comme son chef-d’oeuvre littéraire. À la fois écrivain, négociateur, théologien aux argumentaires redoutables, enseignant et prédicateur, Théodore de Bèze n’est pas un simple épigone de Calvin : sans doute sa culture humaniste a-t-elle contribué à l’éloigner des rigidités doctrinales de son prédécesseur. downloadModeText.vue.download 96 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 85 bibliothèque bleue, terme générique désignant des opuscules destinés à un public populaire. Ces livrets sont de petite taille et comptent quelques feuillets, imprimés à moindre frais sur du mauvais papier, brochés sans grand soin et sous une couverture bleue, la couleur du pauvre. • Les origines troyennes. Vers 1600, Nicolas Oudot, voulant se libérer du centralisme de l’édition parisienne et conscient du succès des canards, installe une imprimerie à Troyes afin de publier des brochures destinées au plus grand nombre. Son rapide succès donne naissance à une dynastie, qui tisse des alliances avec d’autres imprimeurs, depuis Paris jusqu’à Reims. Les opuscules sont vendus par un réseau de colporteurs (45 en 1620 ; 120 en 1712). Ils touchent d’abord les cités du Nord-Ouest, les plus alphabétisées, puis, à partir du XVIIIe siècle, les campagnes. Au milieu du XIXe siècle, on évalue la production à neuf millions de brochures par an. La littérature de colportage ne disparaît qu’à la fin du XIXe siècle, détrônée par le « journal à un sou ». • Un débat historiographique. À la fin des années soixante, par les polémiques qu’elle suscite sur la notion de culture populaire, la bibliothèque bleue devient un symbole de l’histoire des mentalités. À partir d’un échantillon de 450 titres imprimés à Troyes en 1722, Robert Mandrou définit l’horizon culturel des milieux populaires sous l’Ancien Régime. L’homme est déterminé par les humeurs et les astres, qui le soumettent à la tyrannie des passions. D’où les vies de saints qui exaltent le triomphe de la piété en contrepoint du dérèglement charnel de l’amour féminin. Se développe ensuite un didactisme chrétien scandé par des recommandations pratiques pour le salut de chacun (assistance à la messe, participation aux pèlerinages et aux processions, audition du sermon et récitation régulière du credo). Néanmoins, l’omniprésence des miracles témoigne de la toute-puissance d’un dieu de proximité. Le merveilleux naturel rejoint le religieux miraculeux. Alors que les découvertes scientifiques se multiplient, la bibliothèque bleue reste le reflet d’un savoir médiéval et de la Renaissance, où dominent les recettes magiques pour maîtriser le surnaturel, inclus dans l’ordre naturel des choses. Enfin, une société tripartite est dessinée : les dangereux marginaux (brigands, soldats ou sorcières), capables d’une justice compensatrice susceptible de plaire aux pauvres gens ; le petit peuple, dont le sort n’est pas enviable ; la noblesse chevaleresque du légendaire historique. Cette somme hétéroclite de romans épiques, de traités d’alchimie, d’almanachs ou de récits hagiographiques apparaît donc comme une littérature d’évasion, reflet d’un monde fixiste et détaché des réalités sociales. Cependant, les propositions de Mandrou ont été par la suite nuancées. Ainsi, selon Geneviève Bollème, la bibliothèque bleue évolue au XVIIIe siècle vers le réel, le concret et l’humain. Le féerique cède le pas aux préoccupations plus utilitaires, historiques et d’actualité. Le lectorat s’élargit à l’ensemble de la société, jusqu’aux élites qui dissimulent ces pratiques de lecture dans le fond des cuisines. D’après Roger Chartier, les auteurs, souvent les ouvriers imprimeurs des ateliers, puisent les textes dans un fonds savant archaïque qu’ils récrivent. Ils obéissent alors aux critères de lisibilité (découpage en chapitres et paragraphes), intellectuels (simplification et élagage des récits) et moraux (censure des allusions scatologiques, sexuelles et anticléricales). Enfin, selon Henri-Jean Martin, il existe une interaction entre la civilisation écrite et orale. Les contes de Perrault, tels qu’ils sont transmis oralement, sont en réalité - pour la plupart d’entre eux - une version écrite et édulcorée d’une ancienne tradition populaire. Somme toute, la bibliothèque bleue est à la fois un instrument d’intégration du peuple à la « galaxie Gutemberg » et un objet de différenciation sur la longue durée, entre une culture savante et une culture populaire rejetée (Robert Muchembled). Si bien que les livrets ont été dénoncés par les élites révolutionnaires comme des « contes à dormir debout ». Bibliothèque nationale de France, nom donné, en 1994, à la Bibliothèque nationale, institution de conservation des documents patrimoniaux acquis essentiellement par le dépôt légal. • De la « librairie » royale... Son origine remonte à Charles V, qui installe, en 1368, les 973 manuscrits de sa « librairie » dans une tour du château du Louvre. Cette première collection est ensuite dispersée, et il faut attendre le règne de Louis XI pour qu’une continuité soit définitivement assurée. Enrichi par des dons et des achats, le fonds de la Bibliothèque royale connaît un rythme d’accroissement plus important à partir de 1537, lorsque François Ier crée le dépôt légal : l’ordonnance de Montpellier du 28 décembre rend obligatoire le dépôt à la « librairie du château » de Blois de tout livre imprimé mis en vente dans le royaume ; une obligation qui s’étend aux estampes volantes en 1672, puis à la musique en 1745. Les collections de la Bibliothèque suivent les souverains de Blois à Fontainebleau en 1544, avant d’être définitivement installées à Paris en 1568. Pendant plus d’un siècle, des déménagements sont nécessaires en l’absence de locaux adaptés : en 1720, l’abbé Bignon, bibliothécaire du roi, dispose les documents dans l’ancien palais de Mazarin, rue de Richelieu, dans des bâtiments qui ont connu de multiples transformations jusqu’à nos jours. À la Révolution, devenue Bibliothèque de la nation, l’institution reçoit la garde des fonds provenant de nombreuses confiscations ainsi que de trésors de guerre révolutionnaires et impériaux - lorsqu’elle sera rebaptisée « Bibliothèque impériale ». • …à la Bibliothèque nationale de France. Même si la Bibliothèque royale est ouverte au public depuis 1692, c’est surtout à partir du début du XIXe siècle que les lecteurs viennent en nombre consulter les collections de son héritière, la Bibliothèque nationale : l’aménagement de la grande salle de lecture des livres imprimés, confié à Henri Labrouste (1801-1875) et permettant d’accueillir 360 personnes, est achevé en 1868 ; au cours de la même période débute la réalisation de grands catalogues des fonds. Un siècle plus tard, la Bibliothèque est toujours à l’étroit. En 1988 est décidée, à l’initiative du président de la République François Mitterrand, la construction, dans le quartier de Tolbiac, d’un nouveau bâtiment - oeuvre de l’architecte Dominique Perrault -, achevé en 1996. En 1994, la création de l’établissement de la Bibliothèque nationale de France, doté de moyens accrus, constitue la dernière étape de cette évolution. Depuis 1997, les deux sites de Richelieu et de Tolbiac (officiellement baptisé du nom de « François-Mitterrand ») fonctionnent en parallèle : le premier, pour abriter les collections spécialisées (manuscrits, estampes et photographies, musique, monnaies, cartes et plans, arts du spectacle) ; le second, les livres imprimés, les périodiques, la phonothèque et les documents audiovisuels. • Mémoire du passé, mémoire de l’avenir. Progressivement, les collections nationales ont été étendues à des supports moins traditionnels que le livre, manuscrit ou imprimé, même si l’écrit garde une place prépondérante dans les fonds de la Bibliothèque nationale : près de 350 000 manuscrits, plus de 13 millions de livres, 35 000 titres de périodiques, ainsi que 800 000 cartes et plans, 10 000 atlas, 2 millions de documents musicaux, 12 millions d’estampes, photographies et affiches. Respectant sa mission fondamentale de conservation des collections nationales, la Bibliothèque doit aussi être capable d’ouvrir largement l’accès au savoir. Dans cette perspective ont été accélérées l’informatisation du catalogue général, initiée dès 1970, ainsi que l’ouverture aux nouvelles technologies : les fonds de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) devraient s’ajouter aux documents sonores conservés par la Phonothèque nationale ; l’extension du dépôt légal, en 1977 et en 1992, au multimédia et aux publications sur support électronique justifie le rôle essentiel qu’entend jouer la Bibliothèque au coeur d’un vaste réseau d’échanges de données, notamment par Internet. La Bibliothèque nationale de France a pour vocation d’être la « mémoire de l’avenir ». Bibliothèque royale, institution, appelée aussi, durant le Moyen Âge, « Librairie du roy », où étaient conservés les livres appartenant au roi de France. « Un roi illettré est comme un âne couronné », commence-t-on à dire au XIIe siècle. Les rois et les princes se doivent donc de lire pour s’instruire. Charles V n’est pas le premier à aimer et à collectionner les livres - Saint Louis, par exemple, avait réuni une riche bibliothèque de textes des Pères de l’Église -, mais la librairie qu’il met en place au Louvre présente la nouveauté de ne pas être une bibliothèque privée, mais une institution publique dont la collection appartient à la couronne. À la fin de son règne, elle compte plus de 900 volumes, autant que celle de la Sorbonne. Lors de l’occupation anglaise de Paris, le fonds ainsi rassemblé est dispersé. C’est François Ier qui donne une nouvelle impulsion à l’institution. Il crée le dépôt légal (28 décembre 1537), afin d’enrichir la collection. Pendant très longtemps, ce système downloadModeText.vue.download 97 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 86 fonctionne irrégulièrement. Le XVIIe siècle, notamment les années 1660-1680, représente un moment de fort accroissement des fonds de la « Bibliothèque du roi », dénomination de la librairie depuis 1618. On dénombre, au début du siècle, 4 712 volumes manuscrits et imprimés, et, à l’orée du XVIIIe siècle, 55 107 volumes imprimés, sans compter les manuscrits, les gravures, les médailles... En 1666, Colbert transfère ces fonds dans deux hôtels de la rue Vivienne, futur emplacement de la Bibliothèque nationale. C’est à peu près à cette époque que le public des érudits est admis, deux jours par semaine, à consulter les ouvrages. La Bibliothèque du roi, qui s’enrichit encore au XVIIIe siècle, devient, sous la Révolution, bien de la nation : ainsi naît la Bibliothèque nationale. Bibracte ! Beuvray (mont) Bidault (Georges), homme politique (Moulins 1899 - Cambo-les-Bains, Pyrénées-Atlantiques, 1983). Agrégé d’histoire, journaliste, Georges Bidault est l’un des dirigeants du Parti démocrate populaire (PDP), formation politique d’inspiration démocrate-chrétienne créée en 1924. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se rallie très tôt à la Résistance et au général de Gaulle ; il anime à Lyon, avec Henri Frenay, Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon, le mouvement Combat, puis succède à Jean Moulin à la tête du Conseil national de la Résistance (CNR) en juin 1943. Ministre des Affaires étrangères de 1944 à 1948, il participe à la fondation du Mouvement républicain populaire (MRP) en 1945. Président du gouvernement provisoire en juin 1946, il est ensuite président du Conseil en 1949-1950, ministre de la Défense en 1951-1952, de nouveau ministre des Affaires étrangères en 19531954. À ce titre, il doit s’occuper du projet de Communauté européenne de défense (CED), auquel il est peu attaché, exprimant ainsi un nationalisme en désaccord avec les options fédéralistes de certains de ses amis politiques. Ce nationalisme le conduit surtout à vouloir maintenir l’intégrité de l’empire. N’ayant pu éviter la débâcle de Diên Biên Phu en 1954, il mise sur le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 pour régler la question algé- rienne. Mais, partisan de l’Algérie française, il est finalement exclu du MRP ; il rejoint alors l’OAS, dont il condamne toutefois les attentats aveugles. Son immunité parlementaire étant levée à partir de 1962, il trouve refuge au Brésil à partir de 1963, il revient en France à la faveur d’une amnistie en 1968. biens communaux, sous l’Ancien Régime, partie du finage laissée à la jouissance collective de ses habitants. Formés généralement de bois en taillis, de pâtures, de landes et de friches, les biens communaux participent au bon équilibre de l’économie paysanne et procurent des ressources complémentaires, en particulier aux plus pauvres. Ils fournissent du bois de chauffage ou d’oeuvre, permettent le pâturage en dehors des temps de vaine pâture et offrent un appoint alimentaire (châtaignes, champignons). À partir du XVIe siècle, ils sont l’objet d’une double convoitise : de la part des « coqs de village », qui se dressent contre les paysans pauvres (l’« individualisme agraire »), et des seigneurs, qui luttent contre les communautés paysannes (la « réaction féodale »). Les assemblées d’habitants gèrent les communaux et en réglementent l’usage. Elles peuvent aussi les affermer, les aliéner, voire les hypothéquer. Or, du milieu du XVIe siècle jusqu’en 1659, temps de conflits, les communautés s’endettent et doivent aliéner leurs biens, de gré ou de force. Vers 1650, un officier royal du bailliage d’Étampes dénonce le noble campagnard qui « usurpe les communes ». Malgré l’édit d’avril 1667, les biens « détournés » ne sont pas restitués, et l’édit de novembre 1677 consacre cette spoliation - « le plus grand événement agraire sous l’Ancien Régime », selon l’historien ruraliste Pierre de Saint-Jacob. Au XVIIIe siècle, le problème des usurpations est réglé grâce à la protection des intendants. Mais les seigneurs, comme « premiers habitants » de la communauté et au nom de leur droit éminent sur leur territoire, avancent devant les cours souveraines l’« imprescriptibilité » de leur droit de triage. Ils réussissent parfois à récupérer le tiers des communaux, présumé seigneurial. En outre, au tournant du siècle, apparaît chez les physiocrates l’idée que les communaux constituent un frein au progrès de l’agriculture. L’édit de 1774 autorise leur partage. Mais les parlements, défenseurs de la tradition, retardent l’enregistrement de la loi (en Bourgogne, jusqu’en 1782), qui est donc peu appliquée. Enfin, la Révolution est d’abord favorable aux thèses des physiocrates : si le décret du 14 août 1792 prévoit le partage obligatoire, la loi du 10 juin 1793 le rend facultatif. Et dès prairial an IV, le Directoire l’ajourne. L’idée du partage définitif n’est toutefois abandonnée qu’en 1816. biens nationaux, biens mobiliers et immobiliers confisqués par l’État à l’Église en 1789 (biens de première origine) ou aux émigrés à partir de 1792 (biens de seconde origine) et mis en vente au profit du Trésor public. • Une réponse à la crise financière héritée de l’Ancien Régime. En octobre 1789, la Constituante se trouvant confrontée au grave endettement qui avait conduit la monarchie à réunir les États généraux, l’évêque d’Autun, Charles de Talleyrand-Périgord, propose de mettre les biens du clergé à la disposition de la nation pour rembourser la dette et combler le déficit. Le 2 novembre 1789 est votée la loi relative à la confiscation de ces biens, dont la valeur est estimée à trois milliards de livres ; les terres couvriraient 10 % du territoire. Leur mise en vente est décidée le 19 décembre 1789 : une première opération doit porter sur 400 millions, somme pour laquelle sont émis des assignats, billets de 1 000 livres gagés sur les biens nationaux et avec lesquels sont indemnisés les créanciers de l’État. Le 14 mai 1790, il est précisé que les ventes doivent se faire aux enchères au chef-lieu de district ; le prix des biens est fixé à vingt-deux fois leur revenu et les acheteurs, sous réserve d’avoir effectué un versement comptant de 12 à 30 %, peuvent payer le solde en douze annuités avec un taux d’intérêt de 5 %. Mais les ventes se font généralement par gros lots : la vente des biens nationaux de première origine est donc une déception pour nombre de paysans. • Une tentative pour satisfaire la faim de terre des plus pauvres. Le 9 février 1792, un décret de l’Assemblée législative remet à la nation les biens des émigrés, des condamnés et des déportés : la mise en vente de ces biens nationaux de seconde origine est décidée le 2 septembre 1792. Le 3 juin 1793, la Convention décrète que les ventes aux enchères des biens fonciers doivent se faire par petits lots, payables en dix annuités, afin de favoriser les achats par les plus modestes, principe appliqué à partir du 22 novembre 1793 à l’ensemble des biens nationaux. En outre, une loi du 13 septembre 1793 autorise les indigents à acquérir de petites parcelles contre un bon de 500 francs délivré par leur municipalité : mal connue, cette mesure n’est guère suivie d’effets. Enfin, le 26 février 1794, tous les biens des suspects sont placés sous séquestre afin d’être vendus au profit de la République : s’ils avaient été appliqués, ces décrets de ventôse auraient mis sur le marché des biens nationaux de troisième origine. Mais, en réponse aux nouvelles difficultés financières de la République, la législation de 1796 supprime la vente en petits lots et les crédits de plus de trois ans : la Révolution a finalement sacrifié la satisfaction des revendications foncières des plus pauvres à la nécessité de gérer un budget déficitaire. • Un bilan mitigé. Socialement, la vente des biens nationaux a d’abord profité à la bourgeoisie urbaine, qui a saisi là l’occasion d’affirmer son prestige en constituant de beaux domaines fonciers ou immobiliers. Les spéculateurs se sont enrichis en revendant par petits lots des domaines acquis aux enchères. La noblesse, quant à elle, n’a pas négligé l’acquisition de biens nationaux de première origine, et même elle a réussi, en recourant à des prête-noms, à racheter une partie de ses propriétés. Quant aux paysans, ils ont été parfois gagnants, surtout lorsqu’ils ont pu s’associer : dans le Nord, le Laonnais, la Côte-d’Or ou la Nièvre, ils ont acheté, de 1791 à 1793, deux fois plus de terre que les bourgeois. En bref, les paysans aisés ont été privilégiés par rapport aux plus démunis. La vente en petits lots a toutefois permis une augmentation d’un tiers du nombre des petits propriétaires : ainsi, dans le centre de la Beauce, un salarié rural sur dix est devenu propriétaire. La part acquise par les paysans n’a pas dépassé 15 à 20 % dans les zones périurbaines, de même qu’en Bretagne et dans l’Ouest ; en revanche, elle a été de plus de 50 % en Lorraine, en Alsace, en Bourgogne ou dans l’Aisne, et a même atteint 80 % dans le Nord. Politiquement, la vente des biens nationaux a contribué à attacher à la cause révolutionnaire les acquéreurs et, à l’inverse, dans l’Ouest, à rejeter dans la Contre-Révolution les paysans déçus par les difficultés rencontrées pour accéder à la propriété. La Restauration n’est pas revenue sur ces ventes, préférant indemniser les émigrés. downloadModeText.vue.download 98 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 87 bière. Les Gaulois adoraient le vin - qu’ils se procuraient à haut prix chez les marchands marseillais ou romains - mais ils ne produisaient que de la cervoise. Cette bière sans houblon était fabriquée à la maison par les femmes, et devait être consommée rapidement. Des documents carolingiens des VIIIe et IXe siècles mentionnent déjà le houblon, mais il n’est encore qu’une des substances aromatiques que l’on ajoute à la cervoise pour en corriger le goût douceâtre : gentiane, sauge, lavande, coriandre, absinthe, poix extraite de la sève de résineux, lui font concurrence. Puis, vers la fin du XIVe siècle, il est employé systématiquement, ayant l’avantage de combattre certaines fermentations nuisibles, d’aider à la clarification de la bière et de permettre sa conservation. La bière, à cette époque, est fabriquée par des professionnels, les brasseurs, qui sont apparus à partir du Xe siècle, et qui se sont constitués en corporations au XIIIe. Du moins dans les pays germaniques, car, en France, cette boisson a longtemps été reléguée aux frontières du royaume par le vin. En Alsace même, les paysans ont bu le vin de leur vigne jusqu’au XVIIIe siècle, laissant la bière, qu’il fallait acheter, aux gens des villes. À Paris, l’une des rares villes de France où l’on en fabriquait, la consommation n’était, à la veille de la Révolution, que de 9 litres par personne, contre 120 litres de vin. Mais, depuis lors, dans toute la France, la consommation de bière augmente, tandis que, dans les dernières décennies du XXe siècle celle de vin a baissé : en 1976, les plus de 20 ans consommaient déjà 71 litres de bière pour 104 de vin. biface, outil préhistorique en pierre, de forme ovale ou triangulaire, façonné sur ses deux faces, utilisé à partir de - 500 000 ans environ. Autrefois appelé « coup-de-poing », le biface est caractéristique des civilisations du paléolithique inférieur et du début du paléolithique moyen de l’Afrique et de l’Eurasie. D’une longueur qui varie entre 5 et 30 centimètres, il est considéré comme le premier outil réellement symétrique, après les galets grossièrement taillés des périodes antérieures. Ce souci de symétrie témoigne de recherches esthétiques nouvelles, qui dépassent les nécessités fonctionnelles de l’objet. Néanmoins, certaines des civilisations du paléolithique inférieur, comme le clactonien ou le tayacien, n’ont pas utilisé le biface, alors que cet outil est caractéristique de l’acheuléen et, ultérieurement, d’une partie du moustérien. Le biface est façonné « directement », en enlevant successivement à la pierre, par percussion, une série d’éclats, jusqu’à lui donner la forme souhaitée. Par la suite, au paléolithique moyen, ce sont les éclats eux-mêmes qui servent d’outils. Bien que l’imagerie populaire représente souvent le biface grossièrement emmanché pour former une hache, il semble qu’il ait surtout servi d’instrument tranchant, destiné à être tenu par l’un de ses côtés, souvent dépourvu de tranchant pour cette raison. Les bifaces n’existent plus dans l’outillage du paléolithique supérieur, celui d’Homo sapiens sapiens, qui, en France, apparaît vers - 30 000 ans. Billaud-Varenne (Jean Nicolas), homme politique (La Rochelle 1756 - Portau-Prince, Haïti, 1819). Fils et petit-fils d’avocat au siège présidial de La Rochelle, il fréquente un collège de l’Oratoire, puis étudie la philosophie et le droit avant de devenir à son tour avocat, en 1778. Inscrit au barreau du parlement de Paris en 1784, il écrit des brochures révolutionnaires, publiées en 1789, dans lesquelles il dénonce la superstition et le despotisme ministériel, et se montre admirateur de Montesquieu et de Rousseau. Électeur de Paris dans la même section que Danton, Desmoulins et Marat, il adhère, en 1790, au Club des jacobins, où il intervient souvent, et songe à la République dès l’arrestation du roi à Varennes. Membre de la Commune insurrectionnelle de Paris en août 1792, puis substitut du procureur Manuel, il est élu député de Paris à la Convention, où il devient l’une des principales figures montagnardes et demande la mise en accusation des girondins. Le 6 septembre 1793, au lendemain de la journée qui voit la Terreur mise à l’ordre du jour, il entre au Comité de salut public. Ce représentant des sans-culottes, privilégiant le droit à l’existence et l’égalité, est l’un des artisans du gouvernement révolutionnaire et se distingue par son intransigeance politique. S’il opte pour l’élimination des hébertistes et des dantonistes, il est un acteur déterminant de la journée du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) - qui voit la chute des robespierristes -, sans doute par hostilité au renforcement du pouvoir exécutif au sein du Comité dominé par Robespierre. Cependant, devant les progrès de la réaction thermidorienne, il démissionne du Comité le 1er septembre 1794 et devient l’une des cibles du nouveau pouvoir, qui, cherchant à décapiter l’opposition montagnarde, le dénonce comme « terroriste », responsable de la Terreur ou encore des massacres de septembre 1792. Sans attendre les conclusions de la commission constituée le 27 décembre pour enquêter sur sa conduite et sur celle de Collot d’Herbois, Vadier et Barère de Vieuzac, la Convention profite de la journée du 12 germinal an III (1er avril 1795) pour décréter leur déportation immédiate. Déporté en Guyane, Billaud-Varenne rédige ses Mémoires (publiés en 1893) et refuse l’amnistie votée après le coup d’État du 18 brumaire, qu’il désavoue. Lorsqu’en 1816 la Guyane redevient française, il refuse l’administration de Louis XVIII et quitte Cayenne pour s’installer en Haïti. Entré dans la légende dès 1795, extrémiste sanguinaire pour les uns, proscrit sublime pour les autres, il demeure l’un des personnages les plus mal connus de la Révolution et l’une de ses figures les plus controversées. billets de confession (affaire des), crise religieuse et politique survenue sous le règne de Louis XV. Au XVIIe siècle, on exigeait des protestants convertis, pour leur donner les derniers sacrements, un billet attestant qu’ils s’étaient confessés. En 1746, l’évêque d’Amiens refuse les sacrements aux suspects de jansénisme qui ne présentent pas un billet d’un confesseur adhérent à la bulle Unigenitus. En 1752, l’archevêque Christophe de Beaumont veut appliquer cette méthode à la capitale. Rendue publique par la presse janséniste, l’affaire enflamme l’opinion. Le parlement de Paris condamne pour refus de sacrements des curés des diocèses de Paris, Troyes, Orléans et Chartres, qui ont laissé mourir sans viatique des fidèles renommés pour leur piété. Les magistrats dénoncent la tyrannie épiscopale et l’inquisition cléricale. Les remontrances du parlement de Paris au roi, en avril 1753, énoncent que « l’autorité des successeurs des apôtres est un ministère et non un empire ». Confronté à la grève des magistrats, Louis XV exile le parlement à Pontoise en mai ; toutefois, certains parlements de province (Rouen, Rennes, Aix...) poursuivent l’agitation. Finalement, le roi rappelle les exilés en septembre 1754, tout en imposant le silence sur les affaires religieuses. À l’occasion de la contestation janséniste, la crise révèle les progrès d’une conception nouvelle des rapports entre Église et pouvoir laïc, qui place l’autorité spirituelle sous la tutelle des juges. Birague (René de), homme politique et prélat (Milan 1506 ou 1507 - Paris 1583). Issu d’une famille de la noblesse milanaise ayant rompu avec les Sforza, il entre, à l’instar d’autres Birague, au service de François Ier. Président au parlement de Turin en 1543, il joue surtout un rôle militaire dans le Piémont, alors occupé par la France. La perte de ce même Piémont le conduit à Paris, où il est promu président au parlement en 1563. Membre du conseil du duc d’Anjou (futur Henri III), homme de confiance de Catherine de Médicis, il devient garde des Sceaux en 1571, et compte parmi les instigateurs de l’assassinat de Coligny en 1572. Nommé chancelier en 1573, ce fidèle de la couronne reste, semble-t-il, assez effacé : c’est sans doute ce que les souverains demandaient au successeur de l’incommode Michel de L’Hospital. Un jugement sévère de Pierre de L’Estoile - « Ce chancelier était bien entendu aux affaires d’État, fort peu en la justice » - témoigne du peu d’estime de ses contemporains pour ses capacités judiciaires. Comme tous les « étrangers » de l’entourage de la reine (Nevers, Retz), il est honni par les grands du royaume. Veuf en 1572, il est tonsuré, et collectionne alors les abbayes. Devenu cardinal en 1578, il abandonne sa fonction de garde des Sceaux la même année, moyennant d’importantes compensations financières, mais il siège au Conseil du roi presque jusqu’à sa mort. Bir-Hakeim, point de résistance des Forces françaises libres (FFL) dans le désert libyen, du 27 mai au 11 juin 1942. En mai 1942, Rommel lance l’Afrikakorps à l’assaut de Suez. La VIIIe armée britannique, dans laquelle sont intégrées les FFL, bat en retraite. Dans le cadre de la défense de Tobrouk, les Britanniques ont confié à la 1re brigade française libre (BFL) du général Koenig la mission de tenir au moins six jours downloadModeText.vue.download 99 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 88 le lieu-dit Bir-Hakeim, croisement de pistes à 60 kilomètres de la côte, pour contraindre les forces de l’Axe soit à un long détour par le sud, soit à un combat sanglant. Koenig et ses 3 500 hommes ont édifié un puissant bastion entouré de 50 000 mines et disposant de 1 200 postes de feu. Le 27 mai, la BFL repousse un premier assaut italien. Mais, le 1er juin, commence le pilonnage de la place par l’aviation allemande, et Rommel lance sa 90e division, soutenue par la division italienne « Trieste ». Dans de terribles conditions, les « Français libres » tiennent jusqu’au 10 juin, date à laquelle ils sont autorisés à se replier. Koenig ordonne alors la sortie, au cours de laquelle les pertes sont sévères. Quelque 2 500 rescapés parviennent à rejoindre les lignes anglaises. La résistance des FFL, même si elle n’a pas pu empêcher la chute de Tobrouk (14 juin), a freiné l’avance allemande et permis aux Anglais de se replier en bon ordre. Premier contact militaire entre Français et Allemands depuis juin 1940, le succès défensif de BirHakeim a rencontré un immense écho, galvanisant l’esprit de résistance et consolidant la position du général de Gaulle aux yeux des Alliés. Bituriges, peuple gaulois qui a donné son nom à la province du Berry, et dont le nom signifie « rois du monde ». Les Bituriges, ainsi que leur roi Ambicatus, sont mentionnés pour la première fois par l’écrivain romain Tite-Live (Histoire de Rome, livre V), au Ier siècle avant J.-C. Ils forment une confédération avec, notamment, les Arvernes, les Carnutes, les Sénons et les Aulerques. Dans cette région aux ressources naturelles riches (en particulier en métaux), l’archéologie a mis au jour des tombes princières sous tumulus, preuves de l’existence, dès le VIe siècle avant J.-C, d’une aristocratie importante, qui entretenait des liens commerciaux avec le monde méditerranéen, comme le montrent les objets importés. Dès le IIe siècle avant J. C. apparaissent les prémisses d’une économie urbaine. Grâce à des fouilles menées à Levroux (Indre), on a pu dégager les vestiges d’un habitat de cette période, entouré d’une fortification. Lorsque César attaque la Gaule, il distingue les Bituriges Vivisci, qui occupent le Bordelais, et les Bituriges Cubi, cantonnés dans l’actuel Berry. La capitale de ces derniers est Avaricum, une cité fortement défendue. En 52 avant J.-C., les Bituriges font partie de la coalition menée par Vercingétorix, qui, pour affamer les légions romaines, pratique la politique de la terre brûlée. Mais ils obtiennent de lui qu’Avaricum soit préservée ; la prise de cette place forte, épisode sanglant, apportera à César un ravitaillement inespéré. Après la conquête romaine, les Bituriges seront inclus dans la province d’Aquitaine première. Blanc (Louis), théoricien socialiste et homme politique (Madrid 1811 - Cannes 1882). Fils d’un fonctionnaire des finances en poste dans l’Espagne de Joseph Bonaparte, Louis Blanc commence des études de droit, qu’il doit abandonner pour gagner sa vie. Journaliste dans diverses publications républicaines à Arras puis à Paris, il se fait connaître par des articles de teneur socialiste. Rédacteur en chef de la Revue du progrès, il expose sa doctrine dans l’Organisation du travail (1839), développant l’idée que, pour instaurer la fraternité entre les hommes, il faut lutter contre l’individualisme et la concurrence économique sauvage par la création de coopératives ouvrières de production. Il appartient à l’État d’organiser ce système de production, d’encadrer les marchés et d’instituer des assurances sociales. Réforme politique et réforme sociale sont donc indissociables : la transformation sociale reste le but à atteindre (Louis Blanc est socialiste), et la réforme politique constitue le moyen d’y parvenir (il est un républicain fervent). Militant jouissant d’une grande popularité, il devient membre du Gouvernement provisoire en 1848, et tente de mettre en pratique certaines de ses idées, en particulier à travers les propositions de la Commission du travail du Luxembourg, qu’il préside. Mais il ne réussit pas à obtenir de la majorité modérée du gouvernement la création d’un grand ministère du Progrès. Ses propositions sont dénaturées, et les Ateliers nationaux mis en place à cette époque ne correspondent pas à ceux qu’il préconisait. Opposé à la violence et partisan d’une révolution pacifique, il quitte le pouvoir après les journées de mai 1848. Il est pourtant inquiété pour sa participation supposée à l’insurrection du 15 mai, et s’exile à Londres, où il mène conjointement une activité d’historien (Histoire de dix ans, 18301840 ; Histoire de la Révolution française ; Histoire de la Révolution de 1848) et de journaliste républicain (rédacteur au Nouveau Monde). De retour en France après la chute de Napoléon III, il est élu à l’Assemblée nationale, puis à la Chambre des députés, où il dirige le groupe de l’extrême gauche radicale, avant de céder la place à Clemenceau. Tout en condamnant la Commune, il milite en faveur de l’amnistie des communards. Hostile à la Constitution de 1875, il lutte pour la mise en place d’un système républicain laïque et réellement démocratique. À sa mort, des obsèques nationales lui rendent hommage. Blanche de Castille, reine de France de 1223 à 1226, régente du royaume de 1226 à 1234 et de 1248 à 1252, mère de Saint Louis (Palencia, Espagne, 1188 - Paris 1252). Fille d’Alphonse VIII de Castille et d’Eléonore d’Angleterre, Blanche de Castille épouse Louis, héritier du roi de France, Philippe Auguste, le 22 mai 1200, en gage de la paix que signent alors ce dernier et le roi d’Angleterre Jean sans Terre (traité du Goulet). Au cours des vingt années qui séparent ce mariage de la mort de Philippe Auguste, Blanche apporte son soutien indéfectible à son époux, à qui elle donne plus de dix enfants, mettant fin ainsi aux incertitudes dynastiques des règnes précédents. La brièveté du règne de Louis VIII (1223-1226) fait d’elle la régente du royaume pendant la minorité de son fils Louis IX. De 1227 à 1230, le roi et sa mère affrontent l’hostilité des barons, furieux d’avoir été écartés du gouvernement. Mais la conjuration des Lusignan, Coucy et Pierre Ier Mauclerc échoue, grâce aux talents diplomatiques de Blanche, qui s’appuie sur Thibaud IV de Champagne et sur les communes. Deux événements majeurs marquent la régence : d’une part, le traité de Meaux-Paris, conclu en 1229 avec Raimond VII de Toulouse, met fin à la guerre dans le Midi, et prépare l’intégration du Languedoc au royaume par le mariage de Jeanne de Toulouse, fille et unique héritière de Raimond VII, avec Alphonse de Poitiers, fils de Blanche ; d’autre part, le mariage de Marguerite de Provence avec Louis IX, en 1234, place la Provence sous influence capétienne. De 1234 à 1248, l’autorité de la reine mère devient plus discrète. Mais, en 1248, lorsqu’il part pour la septième croisade, Louis IX lui confie le royaume et ses enfants. Blanche de Castille meurt le 26 novembre 1252 à Paris, et est enterrée dans l’abbaye cistercienne de Maubuisson, qu’elle avait fondée en 1241. Image à la fois de la mère chrétienne modèle et de la mère abusive, qui empêche son fils Louis de rejoindre Marguerite de Provence, Blanche de Castille apparaît surtout comme une femme de pouvoir, malmenée par ceux qui s’en estiment privés. Dominatrice et courageuse, douée pour les joutes politiques, elle fut détestée et vénérée. Sa piété cistercienne, austère, a nourri celle de son fils Saint Louis, dominicain dans l’âme. Mère d’un saint et d’une bienheureuse (sa fille Isabelle), Blanche de Castille a sans doute trop inquiété les hommes d’Église par sa puissance politique pour mériter, elle aussi, la canonisation. Blanqui (Louis Auguste), homme politique et penseur révolutionnaire (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes, 1805 - Paris 1881). Fils d’un conventionnel devenu sous-préfet d’Empire et frère d’Adolphe Blanqui, célèbre économiste libéral, ce brillant élève s’intéresse très tôt à la politique. Il adhère en 1824 à la charbonnerie et il est blessé lors de manifestations contre Charles X en 1827. Collaborateur de Pierre Leroux au Globe (1829), il se familiarise avec la doctrine saint-simonienne. Il participe activement aux Trois Glorieuses, mais se dresse rapidement contre le régime orléaniste. De 1832 à 1839, de propagande en complots et d’arrestations en procès, Blanqui, qui fréquente alors Buonarroti (l’ancien lieutenant de Babeuf), poursuit ses activités révolutionnaires au sein de diverses sociétés secrètes (Société des familles, fondée par Barbès ; Société des saisons, créée en 1837). Il dirige l’insurrection du 12 mai 1839, ce qui lui vaut une condamnation à mort, commuée en détention à perpétuité. Il est libéré en 1848. La révolution de février 1848 le ramène sur la scène parisienne. Il est à l’origine de la manifestation du 17 mars pour le report des élections législatives, et il participe aux émeutes du 15 mai, ce qui motive son arrestation, puis sa condamnation à dix ans de bagne. Amnistié en 1859, il s’oppose au Second Empire, et il est enfermé à Sainte-Pélagie en 1861. Évadé en 1865, il s’installe à Bruxelles, se consacrant à l’écriture de textes qui seront réunis après sa mort en un ouvrage intitulé la Critique sociale, où il dénonce l’oppression des prolétaires par l’État et la religion, se montre soucieux d’éduquer le peuple, et prône le coup d’État downloadModeText.vue.download 100 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 89 pour instaurer une dictature révolutionnaire, « gendarmerie des pauvres contre les riches ». Revenu à Paris peu avant le siège de 1870, il se dépense sans compter pour la défense nationale, notamment dans les colonnes de son journal la Patrie en danger. Il organise, contre un gouvernement trop attentiste à ses yeux, les manifestations révolutionnaires du 31 octobre 1870 et du 22 janvier 1871. Candidat malheureux aux élections législatives de février 1871, il s’adresse à la classe ouvrière avec amertume dans une affiche célèbre, Un dernier mot. Arrêté peu après, il ne peut participer à la Commune, ce qui ne l’empêche pas d’être élu à titre symbolique. Il ne sort de captivité qu’en juin 1879, deux mois après que les électeurs de Bordeaux l’ont élu député. Cette élection est cependant annulée, et il échoue l’année suivante dans une partielle à Lyon. Lors des derniers mois de son existence, il dirige le journal Ni Dieu ni maître, et tient de grandes réunions publiques à Lille et à Paris. Lors de ses obsèques, le 5 janvier 1881, 100 000 personnes viennent saluer la mémoire d’un militant qui a passé plus de trente-trois ans en prison. Blériot (Louis), ingénieur, industriel et aviateur (Cambrai 1872 - Paris 1936). Issu d’une famille aisée, ingénieur diplômé de l’École centrale de Paris, il crée, en 1897, dans la capitale, une usine de phares d’automobiles qui lui assure rapidement fortune. Mais c’est l’aviation, sa seule vraie passion, qui le rend célèbre. Dès 1902, il compte parmi les premiers constructeurs de monoplans - une formule pleine d’avenir, mais alors peu en vogue. Longtemps malchanceux, il entre dans l’histoire le 25 juillet 1909 en effectuant la première traversée aérienne de la Manche, de Calais à Douvres, en trente-deux minutes. Fruit d’un pari sportif financé par le Daily Mail, l’exploit est célébré comme le signe d’une nouvelle « unification » du monde. Du jour au lendemain, Blériot devient un héros mondial. Edmond Rostand lui dédie une ode ; Marinetti et les autres futuristes italiens lui vouent un véritable culte. Toute une imagerie le compare à Vercingétorix, le plus ancien des héros français. Mais Blériot entend rester un ingénieur et un industriel. Sa notoriété l’aide à fonder et à faire rayonner, depuis ses ateliers de Levallois puis de Suresnes, une firme d’avionnerie inventive - la plus importante d’Europe jusqu’en 1918 -, qui va s’illustrer pendant la Grande Guerre avec les célèbres Spad pilotés par les as de la chasse. En 1920, Blériot crée aussi une compagnie aérienne qui dessert Paris-Londres. Dans les années trente, il dessine des hydravions lourds, utilisés par Air France sur l’Atlantique sud. blindés. C’est en 1916 que le char de combat fait son apparition sur le front occidental, presque au même moment dans les différentes armées alliées. En France, le père de « l’artillerie d’assaut » est le général Estienne, qui entend utiliser le char pour rompre les fronts fortifiés et réhabiliter la guerre de mouvement. Malheureusement, les premiers engins fabriqués par Schneider et Saint-Chamond sont des forteresses roulantes, lentes, peu maniables et très vulnérables, ainsi qu’on peut le constater lors de l’offensive d’avril 1917 au Chemin des Dames. En revanche, les chars légers Renault, équipés d’une tourelle tous azimuts, joueront un rôle décisif, en liaison avec l’infanterie et l’artillerie, lors des contre-offensives victorieuses de Foch en 1918. • Une arme mal employée. Pendant l’entredeux-guerres, l’armée française ne néglige nullement le char. À partir de 1935, le réarmement accorde la priorité à la construction de nouveaux véhicules. Au 10 mai 1940, l’armée aligne plus de 3 000 chars modernes, disposant même d’une légère supériorité sur la Wehrmacht. Mais, si les chars français sont bien protégés, ils disposent d’un armement inégal ; ils sont surtout lents et leur rayon d’action est trop limité. Deux défauts majeurs les affaiblissent : des liaisons radio embryonnaires et une conception tactique qui, en dépit des avertissements d’un de Gaulle, mise sur la dispersion plutôt que sur la concentration. En effet, indépendamment des blindés affectés à la cavalerie, le char reste considéré comme un engin d’appui de l’infanterie. C’est seulement pendant la « drôle de guerre », après des années d’hésitation, que le commandement se décide à créer trois divisions cuirassées, conçues cependant, à la différence des panzers, comme des engins de colmatage d’une brèche éventuelle sur le front, et non comme une arme de rupture. Finalement, en mai-juin 1940, l’arme blindée française est détruite, sans avoir pu influer sur la marche des événements. • Un équipement moderne. En 1943, avec le réarmement des troupes françaises d’Afrique assuré par les Alliés en vertu des accords d’Anfa, les trois divisions blindées françaises sont pourvues de matériels américains, les chars Sherman et les tanksdestroyers. Il en sera encore de même à la fin des années quarante, dans le cadre de l’OTAN. Toutefois, à partir des années cinquante, l’armée blindée commence à s’équiper de matériels de fabrication nationale. L’un des premiers engins, et des plus réussis, est l’AMX 13, doté d’un canon de 105. Plus de 7 700 exemplaires sont fabriqués, dont 3 300 réservés à l’exportation. Au cours des décennies suivantes, le char de base des divisions blindées est l’AMX 30B, dont une centaine sont encore en service, suivi, dans les années quatre-vingt, de l’AMX 30B2. Aujourd’hui, les régiments blindés utilisent 650 engins de ce type. Avec son obus flèche de 105 mm et une conduite de tir laser très précise, l’AMX 30B2 dispose d’une grande puissance de feu. Mais, comparé au Léopard II allemand ou au MI américain, il souffre d’une mobilité et d’une protection insuffisantes, même si son blindage peut être renforcé de tuiles réactives Brennus. L’avenir de l’arme blindée française repose sur le char Leclerc. D’un poids de 55 tonnes, cet engin dispose d’une conduite de tir électronique extrêmement sophistiquée, qui permet à son canon de 120 mm un tir de nuit, en marche et sur tout terrain. En principe, il devrait équiper l’ensemble des régiments blindés. Mais son coût très élevé rend hypothétique la constitution du parc de 600 engins prévu. L’arme blindée française offre une originalité. Elle est la seule à disposer d’ERC (engins roues canon), très rapides et fortement armés. L’ERC 90 Sagaie Panhard, blindé léger de 6 tonnes, aérotransportable, est doté d’un canon de 90 mm. Quant à l’AMX 10, nettement plus puissant, il est armé d’une pièce de 105 et peut être uti-lisé comme char principal de combat. Plus de deux cents AMX 10 sont aujourd’hui en service. En dépit de l’élargissement de la menace (mines, roquettes, « munitions intelligentes »), l’armée française reste fidèle au char, en raison de sa capacité de destruction et d’évolution en « ambiance nucléaire ». Bloc des gauches, alliance scellée, en vue des élections législatives de 1902, par les forces politiques - radicaux, socialistes, républicains démocrates - qui soutiennent le gouvernement Waldeck-Rousseau depuis juin 1899. Grâce à la pratique des désistements au second tour, le Bloc des gauches gagne les élections, qui portent Émile Combes à la présidence du Conseil. Le Bloc est représenté en permanence à la Chambre des députés par la « délégation des gauches », composée de membres des quatre groupes parlementaires alliés (Union démocratique, Gauche radicale, radicaux-socialistes, socialistes) ; il sert d’intermédiaire entre les élus de la majorité et le gouvernement. Les socialistes soutiennent le cabinet sans y participer. En dépit de cette structure, animée par Jean Jaurès, des divisions apparaissent dès 1904. Combes mène une politique anticléricale qui dresse contre lui une partie des modérés de l’Union démocratique ainsi que quelques radicaux : les socialistes, pour leur part, lui reprochent l’absence de toute politique sociale. En janvier 1905, Combes est contraint à la démission. L’alliance est maintenue pour obtenir le vote, en juillet 1905, de la loi de séparation des Églises et de l’État (promulguée en décembre). Mais elle se désagrège sous le ministère Clemenceau (octobre 1906-juillet 1909), en dépit de la forte représentation des radicaux dans ce gouvernement, dont la chute signifie la mort du Bloc. L’oeuvre du Bloc des gauches n’est pas mince : elle contribua largement à républicaniser la France - loi de séparation, réformes du service militaire et de l’enseignement -, à défaut de vraiment la démocratiser. Bloc national, coalition de formations politiques, situées majoritairement à droite et au centre, qui dirige la France de 1919 à 1924. Le Bloc national apparaît au lendemain de la Grande Guerre, alors que persiste dans une bonne partie de l’opinion l’esprit de l’« union sacrée » : la loi électorale de juillet 1919 ayant introduit le scrutin proportionnel de liste, les divers partis se voient dans la nécessité de conclure des accords en vue des élections du 16 novembre 1919. À gauche, la SFIO, profondément divisée quant à l’attitude à adopter à l’égard de la révolution bolchevique, décide downloadModeText.vue.download 101 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 90 de refuser tout accord avec les partis « bourgeois », ce qui prive le Parti radical de toute possibilité d’entente avec elle. Les partis de droite et du centre (catholiques, nationalistes et républicains modérés de la Fédération républicaine et de l’Alliance démocratique) se regroupent sur les thèmes du nationalisme, de l’anticommunisme et de la stricte exécution des traités. Les radicaux présentent des listes isolées ou s’associent avec les modérés, dont l’esprit laïque ne leur paraît faire aucun doute. Au soir du 16 novembre, la victoire des listes de droite et du centre (dites « de Bloc national ») est manifeste : 400 députés de droite et du centre, 100 radicaux, 68 socialistes, sont élus au sein de la Chambre bleu horizon (elle comprend environ 50 % d’anciens combattants). Assurer la pacification religieuse, permettre le redressement du pays par l’exécution des traités, et notamment le paiement des réparations allemandes, sans alourdir la charge pesant sur les contribuables français, lutter contre la « subversion » révolutionnaire, tels étaient les principaux objectifs de la Chambre bleu horizon : force est de reconnaître qu’ils furent inégalement atteints, sauf le troisième, la grande vague de grèves révolutionnaires du printemps de 1920 se soldant par un échec total. La reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, en 1921, aboutit à une amélioration des rapports entre l’Église et l’État, nettement avantageuse pour les deux parties ; elle provoque toutefois le mécontentement d’intransigeants de droite, devant le refus de l’État républicain de revenir sur l’intangibilité des lois laïques, mais aussi l’irritation des anticléricaux. En politique extérieure, l’échec est patent : l’occupation de la Ruhr, décidée en janvier 1923 pour contraindre l’Allemagne au paiement des réparations, se solde par un fiasco, obligeant le gouvernement à une augmentation générale des impôts à la veille des élections de 1924. En réalité, plusieurs facteurs n’ont cessé de contribuer à affaiblir l’action des gouvernements du Bloc national : l’absence d’une majorité homogène, le décalage entre la majorité et les gouvernements, les illusions de l’opinion. L’analyse des scrutins révèle, en effet, l’existence de plusieurs types de majorités, souvent axées à droite (question religieuse) ou parfois orientées vers un rassemblement plus large (politique extérieure). Les chefs du gouvernement, exclusivement choisis dans le vivier d’avant-guerre (Millerand, Briand, Poincaré), se situent au centre et sont soucieux de se démarquer des bataillons de la droite catholique et nationaliste en s’appuyant sur les radicaux. Enfin, l’opinion ne comprend que tardivement et imparfaitement le caractère illusoire des clauses économiques du traité de Versailles, l’affaiblissement du pays, victorieux mais exsangue, et les risques considérables d’une situation d’isolement international. Blocus continental, prohibition des marchandises anglaises sur le continent européen décrétée à Berlin par Napoléon Ier le 21 novembre 1806. De la Révolution à l’Empire, l’or anglais alimentant les coalitions contre la France, celleci recourt à l’arme économique afin de mettre un terme au conflit militaire et politique, tentant dans le même temps de réduire la concurrence et d’imposer sa propre hégémonie économique à l’Europe. Lorsque, en mai 1806, les côtes françaises sont déclarées en état de blocus par l’Angleterre, qui applique cette mesure aux navires neutres et en haute mer, la France n’a plus de flotte - elle a été détruite à Trafalgar en 1805 pour contrecarrer sa rivale. Napoléon réplique par le décret de Berlin, imposant à son tour le blocus des îles Britanniques. Pour l’Empereur, qui a fait sienne l’idée erronée selon laquelle l’économie insulaire est fragile, parce qu’elle repose sur le crédit et ne dispose pas d’une agriculture suffisante, il s’agit de fermer le marché européen aux produits anglais, pour asphyxier l’économie de l’Angleterre et provoquer une crise financière et sociale la contraignant à la paix. Le décret de Berlin offre cette caractéristique nouvelle : présentant la France comme le défenseur de l’Europe contre le despotisme maritime anglais, il étend la politique française aux pays alliés et satellisés. Leur interdisant tout commerce et toute correspondance avec l’Angleterre, il déclare « de bonne prise » tout produit manufacturé ou colonial britannique, et prisonnier de guerre tout citoyen anglais - dont les propriétés sont confisquées - interpellé en France et dans les pays occupés. En novembre 1807, à la riposte anglaise, qui oblige tous les navires à venir payer des droits de douane dans un port britannique, Napoléon répond par les décrets de Milan ordonnant la saisie de tout bâtiment s’étant conformé aux ordres anglais. Mais le blocus est un échec. Mis à mal par la contrebande qui fleurit partout, il s’effrite d’autant plus que, pour faire face à la baisse des revenus douaniers, à la pénurie de matières premières et à la cherté des denrées coloniales, Napoléon autorise en 1810, au bénéfice du seul territoire français, l’importation de certains produits anglais, qu’il frappe de droits de douane élevés. Le respect du blocus par l’Europe continentale étant la condition de son efficacité, Napoléon poursuit sans relâche une politique d’intervention et d’expansion militaires qui provoquera sa chute. En fin de compte, le blocus, qui n’a jamais été « étanche », n’a que passagèrement perturbé l’Angleterre, sauvée par la guerre d’Espagne (1808-1813) et la campagne de Russie (1812), mais aussi par sa maîtrise des mers et sa formidable faculté d’adaptation et de conversion économiques. Blois (comté de), comté d’origine carolingienne, coeur de l’une des plus grandes prin- cipautés féodales de la France du Nord aux XIe et XIIe siècles, finalement intégré au domaine royal en 1498, à la suite de l’accession au trône de France du dernier comte, Louis d’Orléans, sous le nom de Louis XII. Le comté, qui appartenait depuis le IXe siècle aux ducs des Francs, est confié au Xe siècle à l’un de leurs vassaux, Thibaud le Tricheur (mort en 978), vicomte de Tours. Ce dernier est l’artisan de sa transformation en principauté féodale : il s’émancipe de la tutelle des ducs, s’allie aux familles de Vermandois et de Bretagne, et ajoute à ses possessions Châteaudun, Provins et le comté de Chartres. Son oeuvre est poursuivie par son petit-fils, le comte Eudes II de Blois (mort en 1037). En acquérant les comtés de Troyes et de Meaux en 1022, il unit le comté de Blois à la Champagne, et fait ainsi de sa maison l’une des plus puissantes du royaume : il bat monnaie à son nom, tient sa propre cour, érige l’abbaye de Marmoutier en nécropole comtale, et n’hésite pas à attaquer à plusieurs reprises le roi capétien Robert le Pieux. À la fin du XIe siècle, le mariage du comte Étienne Henri (mort en 1102) avec Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d’Angleterre, renforce la puissance des comtes de Blois ; et la mort de l’héritier direct de Guillaume le Conquérant, en 1135, permet à un cadet de la famille de Blois, Étienne, de monter sur le trône d’Angleterre et d’y régner jusqu’en 1154. La première moitié du XIIe siècle marque ainsi l’apogée du comté et de la maison de Blois. Mais, au cours de ce même XIIe siècle, la famille comtale fait progressivement de la Champagne, où apparaissent les premières foires, le coeur de sa principauté. Le mouvement est accentué en 1152 par le partage du patrimoine familial : l’aîné conserve la Champagne, tandis que les cadets héritent des comtés de Blois et de Chartres. La mort du comte Thibaud VI, en 1218, met un terme à la domination de la maison de Blois sur le comté de Blois, lequel entre alors dans une plus grande dépendance à l’égard du pouvoir royal. Aux XIIIe et XIVe siècles, le comté est une possession de la maison de Châtillon, famille plusieurs fois alliée par le sang aux Capétiens. Enfin, en 1397, il est acquis par Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI et régent du royaume, dont le fils Charles tient une cour brillante au château de Blois, après sa longue captivité en Angleterre. Dès son accession au trône de France, Louis XII, fils de Charles d’Orléans, entreprend la rénovation complète du châ- teau, qui devient, durant un siècle, l’une des principales résidences royales. Blum (Léon), homme politique, dirigeant socialiste, chef du gouvernement de la République en 1936-1937, 1938 et 1946-1947 (Paris 1872 - Jouy-en-Josas, Seine-et-Oise, 1950). • L’éveil à la politique. Léon Blum est né à Paris, le 9 avril 1872, dans une famille juive d’origine alsacienne marquée par des traditions religieuses, dont le jeune Léon se détourne très vite, même si, par la suite, il présentera son sens aigu de l’esprit de justice comme un lointain héritage de la foi de ses pères. Élève brillant, il est reçu à l’École normale supérieure en 1890, mais il en est exclu l’année suivante, à la suite d’un échec à l’examen de licence. Il se tourne alors vers la faculté de droit, et réussit, en 1895, le concours du Conseil d’État, où il fait carrière jusqu’en 1914, comme auditeur, puis comme maître des requêtes, avant de devenir commissaire du gouvernement. Il affirme alors un souci constant de protéger les droits individuels, tout en ménageant une possibilité d’arbitrage par la puissance publique. Parallèlement, Léon Blum se consacre à l’activité littéraire, publiant, à partir de 1892, des downloadModeText.vue.download 102 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 91 chroniques et des comptes rendus critiques dans la Revue blanche, qui compte alors parmi ses collaborateurs Gide, Proust et Anatole France. Essayiste, il rédige notamment Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann (1901), mélange révélateur de l’esprit « fin de siècle », marqué par le dilettantisme, l’esthétisme et l’égotisme, mais qui témoigne parfois d’une hardiesse de pensée bien en avance sur son époque. Cependant, la politique n’est pas absente de cette première partie de l’existence de Léon Blum. En 1893, il fait la connaissance de Lucien Herr, bibliothécaire de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qui l’initie aux théories socialistes et le convertit à la cause de Dreyfus. Dans le combat dreyfusard, mené avec passion, il rencontre Jean Jaurès, et se lie d’une amitié indéfectible avec le grand tribun. Pour Blum comme pour Jaurès, le socialisme ne peut, sans se renier, abandonner l’héritage de la République, mais il doit le dépasser, le but ultime restant la transformation totale de la société, fondée sur le changement du régime de la propriété. Ce socialisme de synthèse s’inspire peu du marxisme ; sans renoncer à l’idée de révolution - ce qui le distingue d’un réformisme -, il met en valeur les notions d’humanisme et de démocratie. Personnalité indépendante, Blum, sous l’influence de Lucien Herr, découvre, en 1899, les nécessités de l’organisation en adhérant au groupe de l’Unité socialiste. Durant les années suivantes, aux côtés de Jaurès, il oeuvre à l’unification des forces socialistes. Son rôle, sans être alors de premier plan, s’avère utile en pratique : Léon Blum, en effet, participe activement à la création et au lancement de l’Humanité en 1904, tant au point de vue financier que par sa collaboration littéraire. Il accepte comme un préalable à l’unité socialiste les conclusions du congrès d’Amsterdam portant condamnation du ministérialisme, bien qu’il ait, antérieurement, observé avec intérêt le déroulement de l’expérience Millerand, socialiste appelé à participer au gouvernement par Waldeck-Rousseau. Cependant, une fois l’unité réalisée au sein de la SFIO en avril 1905, et tout en restant très proche de Jaurès, Blum s’écarte de la politique militante, mal à l’aise, peut-être, devant les débats sur l’« antipatriotisme » internationaliste. • Blum et l’exercice du pouvoir. En 1914, rallié, à l’instar de son parti, à l’« union sacrée », il devient chef de cabinet de Marcel Sembat, ministre socialiste des Travaux publics, et occupe pendant vingt-sept mois ce poste, où il acquiert une connaissance précise des rouages du pouvoir. Ses réflexions, consignées dans les Lettres sur la réforme gouvernementale (publiées en 1918), le pousseront à réclamer l’instauration d’une présidence du Conseil dotée de réels moyens et soumise à un contrôle parlementaire rationalisé. Au sein du parti, membre de la majorité favorable à l’« union sacrée », il n’en émet pas moins des réserves face à la pratique réformiste de ses camarades, tout en condamnant sans équivoque la dictature bolchevique. Cette position « centriste » fait de lui une personnalité clé du parti au lendemain de la guerre. Député, pour la première fois, à 47 ans, secrétaire du groupe restreint des socialistes élus en 1919 à la Chambre, il prend part à la controverse relative à l’adhésion à la IIIe Internationale. Irrémédiablement hostile aux méthodes bolcheviques, il fonde un « comité de résistance socialiste ». Lors du congrès de Tours, le 27 décembre 1920, il prononce le grand discours de refus aux « vingt et une conditions » : la SFIO, parti « d’éducation populaire et de propagande politique », ne peut, même si elle reste un mouvement révolutionnaire qui ne doit pas se laisser enfermer dans la légalité, se transformer en un organisme soumis à une direction clandestine, et dans lequel les minorités ne pourraient plus s’exprimer. Persuadé qu’il y a « contradiction formelle et absolue entre ce qui a été le socialisme et ce qui sera demain le communisme », Blum estime nécessaire que « quelqu’un garde la vieille maison ». Après le congrès, il s’attelle à cette tâche : à la Chambre, en tant que figure de proue du groupe socialiste ; au Populaire, devenu l’organe de la SFIO, comme éditorialiste. Blum et la SFIO sont alors confrontés au difficile problème de la participation au pouvoir : le parti socialiste, à vocation révolutionnaire, doit-il accepter les offres de ses alliés radicaux ? À cette question, posée au lendemain des victoires de la gauche en 1924 et en 1932, le parti répond par la négative. En 1926, Blum développe la distinction entre l’exercice et la conquête du pouvoir : la seconde, souhaitable mais irréalisable dans l’immédiat, suppose la prise totale du pouvoir par le prolétariat, qui pourrait alors ne pas tenir compte de la légalité « bourgeoise » ; l’exercice du pouvoir implique, au contraire, le strict respect des lois, étant soumis à un préalable - la position majoritaire de la SFIO dans une coalition de gauche victorieuse -, et doit poursuivre le double objectif d’améliorer la condition ouvrière et de préparer le changement du régime de la propriété. En 1936, Léon Blum y est confronté, à l’issue de la victoire électorale des gauches, regroupées au sein du Rassemblement populaire. Un mouvement social de grande ampleur accompagne sa nomination au poste de président du Conseil en juin 1936. En légaliste scrupuleux, Blum respecte les délais constitutionnels requis pour sa prise de fonction ; il démissionnera un an plus tard, à la suite de sa mise en minorité par le Sénat. Son programme économique et social, dicté par le double souci d’améliorer immédiatement le sort du prolétariat - relèvement du pouvoir d’achat, congés payés, diminution du temps de travail hebdomadaire - et de faire évoluer les structures - incitations à l’établissement de rapports contractuels et à l’arbitrage -, s’actualise dans un train de réformes durant l’été 1936. Mais, dès le début de 1937, faisant preuve de réalisme, Blum décrète la « pause » des réformes. Le bilan appelle des nuances : la gestion de l’économie a pu être contestée, mais les avancées sociales restent acquises. En politique extérieure, Blum doit faire face à des choix difficiles. Alors que le programme du Front populaire conservait comme références essentielles la sécurité collective et le désarmement, le déclenchement de la guerre d’Espagne et le rapprochement entre les puissances fascistes posent en termes aigus la question de la sécurité nationale. Personnellement favorable à un appui au gouvernement républicain espagnol, victime du soulèvement militaire dirigé par Franco, Léon Blum doit tenir compte des avis divergents au sein de sa majorité, de la profonde division de l’opinion publique et du maintien de la cohésion franco-britannique : il se rallie donc à l’idée de non-intervention, mais lance, dès septembre 1936, un programme de réarmement, qui ne portera ses fruits que deux ans plus tard. • Les épreuves et la sagesse. Désormais, l’attention de Léon Blum se porte sur les questions de politique extérieure. En mars 1938, alors que la majorité du Front populaire connaît ses derniers jours, il propose la constitution d’un gouvernement d’union nationale, à laquelle il doit finalement renoncer devant les réticences des formations de droite. Son second cabinet, privé de véritable majorité, ne dure pas plus de trois semaines (mars-avril 1938). Même si Blum semble, sur le moment, se résigner aux accords de Munich, il combat, à partir de la fin de 1938, l’aile pacifiste de son parti, menée par Paul Faure. En juillet 1940, la SFIO ne parvient pas à adopter une attitude commune face à Pétain : le 10 juillet 1940, 36 parlementaires socialistes seulement suivent Blum dans son refus de voter les pleins pouvoirs au maréchal, contre 90 qui les lui accordent. Arrêté le 15 septembre 1940, sur ordre du gouvernement de Vichy, Blum comparaît à partir du 19 février 1942 devant la Cour suprême de Riom, instaurée par Pétain pour juger les présumés « responsables » de la défaite. Il y défend avec vigueur les institutions démocratiques et les réalisations sociales de son gouvernement, et donne ainsi un nouveau souffle à la Résistance socialiste, avant que Vichy, sous la pression allemande, n’ordonne l’interruption du procès. Déporté le 31 mars 1943, il est interné à Buchenwald, et soumis aux conditions particulières réservées aux otages de marque. De retour à Paris en mai 1945, Blum, qui fait désormais figure de sage placé au-dessus de la mêlée, prône une conception renouvelée du socialisme : celuici n’a pas seulement pour but « la libération économique et sociale », il doit viser, en définitive, à « rendre la personne humaine plus heureuse et meilleure ». Ce point de vue n’est pas admis par les tenants de la tendance dogmatique du parti, qui, en août 1946, évincent de la direction Daniel Mayer, disciple de Léon Blum. Celui-ci accepte, par civisme, de présider le gouvernement provisoire (décembre 1946-janvier 1947), le dernier avant la mise en place des institutions de la IVe République. Il meurt le 30 mars 1950, laissant le souvenir d’un républicain exemplaire et d’une haute figure intellectuelle, dont on retient l’effort soutenu pour définir un socialisme démocratique fondé sur la justice sociale et l’amélioration morale. Blum-Viollette (projet), projet de loi du gouvernement du Front populaire (1936) visant à octroyer la plénitude des droits civiques à un certain nombre de musulmans algériens. Les noms de Léon Blum, alors président du Conseil, et de Maurice Viollette, ancien goudownloadModeText.vue.download 103 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 92 verneur général de l’Algérie (1925-1927), devenu ministre d’État chargé des affaires d’Afrique du Nord en 1936, sont restés attachés à ce projet. En vertu de celui-ci, 24 000 ou 25 000 indigènes musulmans appartenant à diverses catégories - anciens combattants volontaires ; titulaires du brevet élémentaire, de diplômes plus élevés, ou de certaines décorations ; médaillés du travail ; élus locaux ; membres des chambres de commerce et d’agriculture - auraient pu acquérir la pleine citoyenneté, tout en conservant leur statut personnel coranique. Ils auraient donc été électeurs et éligibles aux législatives, et auraient pu accéder à tous les emplois publics. Dès qu’il est connu, le projet soulève une vive indignation des Européens d’Algérie, et l’on assiste à une levée de boucliers des élus locaux. Nombre de maires et d’adjoints donnent leur démission, si bien qu’il doit être mis en sommeil, et n’est jamais discuté... Cet abandon suscite l’amertume parmi les musulmans ; et Ferhat Abbas peut prophétiser : « Faute de réformes immédiates et substantielles, [...] ce n’est pas le projet Blum-Viollette que nous enterrerons, c’est l’oeuvre tout entière de la France qui sombrera. » Bodin (Jean), légiste et philosophe (Angers 1529 ou 1530 - Laon 1596). Après des études de droit à Toulouse, Jean Bodin devient avocat au parlement de Paris en 1561, puis procureur du roi à Laon. Durant les guerres de Religion, il se range du côté des « politiques », qui prônent l’unité nationale autour de la personne royale. Il s’oppose violemment aux menées de ceux qui veulent révoquer les édits de pacification. De même que celle de Machiavel, sa réflexion est guidée par une visée pratique : étudier les sociétés du passé pour comprendre les turbulences du présent et y ouvrir des perspectives. Son premier traité, la Méthode de l’histoire (1566), propose à la fois une synthèse historique et une réflexion méthodologique. Englobant toutes les sociétés et civilisations connues, l’ouvrage est l’un des premiers à circonscrire avec rigueur le territoire propre de l’historien. L’histoire humaine y est nettement distinguée de l’histoire théologique et de l’histoire naturelle. Bodin récuse la plupart des cadres qui avaient régi cette discipline avant lui : ni la théorie des « quatre empires mondiaux » (Babylone, Perse, Grèce et Rome), ni le mythe de l’âge d’or, ni l’idée d’un plan divin inscrit dans l’histoire, ne trouvent grâce à ses yeux. Cette attention aux faits et ce refus des spéculations hasardeuses sont encore plus nets dans le grand traité politique des Six Livres de la République (1576). Au moment où paraît l’ouvrage, Bodin est représentant du Tiers aux états généraux de Blois, et la crise religieuse qui secoue la France depuis plusieurs décennies n’est évidemment pas étrangère à la genèse de sa réflexion : la République se donne pour but de récapituler huit siècles d’histoire politique française, et de réconcilier le royaume bouleversé avec son génie séculaire. Loin de se limiter à la France, Bodin pose les bases d’une sociologie comparée des États. De cette immense entreprise, à l’érudition foisonnante, la postérité a surtout retenu la théorie de la souveraineté, absolue et perpétuelle. S’opposant à Machiavel, coupable à ses yeux d’avoir réduit la politique à sa dimension tacticienne, Bodin analyse avec une acuité remarquable les structures institutionnelles où s’incarne le principe de souveraineté d’un État, donnant la préférence, en ce qui concerne le régime, à une « monarchie harmonique », dans laquelle le roi retrouverait toute son autorité. L’auteur de la République sait tirer le parti le plus fécond de sa formation juridique et de sa culture philosophique : c’est au croisement de ces deux disciplines qu’émerge l’une des idées cardinales de la politique moderne. Boisguilbert (Pierre Le Pesant, sieur de), économiste, l’un des fondateurs de l’économie politique libérale (Rouen 1646 - 1714). Issu de la petite noblesse de robe, il occupe différentes charges dans sa ville natale : président et lieutenant général du bailliage et présidial, lieutenant de police. Janséniste, formé à Port-Royal, il est très influencé par Pierre Nicole. Sensible à la grande détresse économique et sociale de sa province en une période de dépression, il conçoit de vastes projets de réforme du royaume, qu’il soumet inlassablement aux contrôleurs généraux successifs, grâce à l’appui de Vauban, dont il est proche. Boisguilbert est le premier à formuler une théorie du circuit économique, soulignant l’interdépendance de l’agriculture et de l’industrie, et des différentes classes de la société. Iconoclaste, il réfute le mercantilisme : la monnaie n’est qu’un instrument de mesure et d’échange. Les biens utiles constituent la seule richesse ; la terre et le travail en sont le fondement. L’économie repose sur la demande et l’intérêt individuel. Boisguilbert propose ainsi une théorie explicative des fluctuations économiques fondée sur les variations du produit agricole. Surtout, il dénonce vigoureusement la fiscalité - lourde, complexe et injuste - qui décourage la production et la consommation. En outre, il prône la liberté des échanges, censée permettre un retour à l’équilibre « naturel ». Mais ses livres (Détail de la France, 1695 ; le Factum de la France, 1707) sont désavoués ou condamnés. Il meurt découragé et aigri. La pertinence de ses critiques ne sera reconnue que bien plus tard. Boissy d’Anglas (François Antoine, comte de), homme politique (Saint-JeanChambre, Ardèche, 1756 - Paris 1826). Avant la Révolution, ce protestant, avocat au parlement de Paris, déploie ses talents littéraires en tant que membre des académies de Lyon et de Nîmes, et correspondant de l’Académie royale des inscriptions et belleslettres. Il est élu député aux états généraux pour la sénéchaussée d’Annonay en 1789, puis représente l’Ardèche à la Convention, où, jusqu’au 9 thermidor an II (27 juillet 1794), il intervient très peu à la tribune. Ses écrits des premiers temps révolutionnaires ne correspondent pas à l’image de modéré que l’historiographie lui a faite : en 1791, contre l’abbé Raynal et avec Robespierre, il soutient la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), ainsi que ce « moyen violent » qu’est l’insurrection, puisque l’on doit « tout détruire afin de tout recréer ». Après la chute des robespierristes, il devient l’une des figures centrales du « moment thermidorien ». Membre du Comité de salut public (décembre 1794), il est président de la Convention lors de la dernière grande insurrection populaire du 1er prairial an III (20 mai 1795). C’est lui qui, dit-on, salue respectueusement la tête tranchée du député Féraud ; un geste de courage qui lui vaut, au XIXe siècle, une grande popularité auprès des conservateurs. En 1795, il reprend les arguments de Raynal, qu’il a pourtant combattus quatre ans plus tôt. En l’an III, il ne s’agit plus, pour lui, de défendre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais d’en stigmatiser le danger : le peuple risque à tout moment de réclamer ses droits et de plonger l’État dans l’anarchie, dont la période de la Terreur est, à ses yeux, emblématique. Boissy d’Anglas est l’un des auteurs de la Constitution de 1795, substituée à celle de 1793 par un coup d’État parlementaire, et dont il résume l’enjeu dans cette phrase demeurée célèbre : « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature. » Ce n’est plus le droit naturel à l’égalité qui doit gouverner les rapports entre citoyens dans l’état social, mais la propriété. Le suffrage censitaire est rétabli ; la référence aux droits naturels, jugée subversive, disparaît de la Déclaration. Parallèlement à cette justification d’une République des propriétaires, il développe une conception colonialiste des rapports d’échange. Élu au Conseil des Cinq-Cents, membre du Tribunat, sénateur et comte d’Empire, il se rallie ensuite à la Restauration. Bonald (Louis Gabriel Ambroise, vicomte de), philosophe et homme politique (Millau 1754 - id. 1840). Issu d’une famille rouergate de petite mais ancienne noblesse, Louis de Bonald fait ses études chez les oratoriens de Juilly, devient mousquetaire du roi et maire de Millau en 1785. Lié aux milieux physiocratiques, il accueille favorablement les nouvelles de l’année 1789. Reconduit dans ses fonctions de maire en 1790, élu à la présidence de l’assemblée départementale, il refuse la Constitution civile du clergé en 1791, démissionne et émigre le 18 octobre, pour s’enrôler dans l’armée des princes, avant de se réfugier à Constance, où il séjourne jusqu’en 1797. Il y écrit la Théorie du pouvoir politique et religieux, premier grand ouvrage doctrinal de la Contre-Révolution française. Rentré clandestinement en France au printemps 1797, il publie, entre 1800 et 1802, l’Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social, Du divorce, la Législation primitive, et collabore régulièrement au Mercure de France, puis au Journal des débats. Napoléon le nomme au Conseil de l’Université en 1810, et Louis XVIII à l’Académie en 1814. Élu à la Chambre « introuvable » en 1815, il publie notamment des Recherches philosophiques (1818). L’un des principaux rédacteurs du Conservateur (1818-1820), puis du Défenseur (1820-1821), pair de France (1823), comptant parmi les voix les plus respectées du parti downloadModeText.vue.download 104 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 93 ultra, Bonald préside le comité de censure en 1827. Il quitte la vie politique en 1829, se retire au château de Monna, près de Millau, où il mourra, laissant de nombreux textes inédits, dont des Réflexions sur la révolution de Juillet, publiées en 1880. Éminent représentant de la pensée contrerévolutionnaire, avec Joseph de Maistre et le premier Lamennais, partie prenante dans tous les débats politiques et idéologiques de la Restauration, Bonald entend analyser les causes de la Révolution et en récuser les principes. À la différence du comte de Maistre, il fonde son système moins sur la providence que sur des concepts : société organique, législation primitive d’origine divine - à laquelle le langage inné donne corps -, constitution naturelle évoluant vers son achèvement monarchique et réunissant sociétés religieuse et politique, rythme ternaire fondamental « cause/moyen/ effet ». Pour lui, l’histoire tend vers une fin catastrophique. Son influence marquera le XIXe siècle, de Balzac à Maurras, et sa formule - souvent attribuée à d’autres - « La littérature est l’expression de la société » (1802) passe pour avoir ouvert la voie à la sociologie littéraire. Bonaparte (famille). La formation, à partir de 1806, du Grand Empire, constitué de pays vassaux, royaumes, principautés et duchés, rassemblés autour de l’Empire français qui en compose le noyau, est indissociable du « pacte de famille », rouage essentiel de la stratégie européenne de Napoléon Ier. Même si ce système relève d’une politique de puissance classique, la pratique napoléonienne innove par un systématisme tel que les frères et soeurs placés sur le trône de pays étrangers - à l’exception de Lucien, qui, refusant de se soumettre, est exclu de la succession dynastique - ne disposent d’aucune liberté de manoeuvre. Au service exclusif de l’Empire français, ils sont aux ordres de l’Empereur, auquel ils sont personnellement attachés. L’organisation de la famille impériale, dont le statut particulier est promulgué le 31 mars 1806, place ainsi tous les parents de Napoléon entièrement sous sa tutelle : non seulement les enfants mineurs, mais aussi les parents majeurs, qui ne peuvent se marier ou adopter d’enfants sans son consentement, et qu’il peut emprisonner à sa guise. La même année, Joseph devient roi de Naples (puis roi d’Espagne en 1808) ; Louis, roi de Hollande ; Caroline - épouse de Murat -, grandeduchesse de Berg (puis reine de Naples en 1808), et Pauline, duchesse de Guastalla. En 1807, Jérôme, qui épouse la fille du roi de Wurtemberg, est fait roi de Westphalie ; puis Élisa, princesse de Lucques et de Piombino en 1805, devient grande-duchesse de Toscane en 1809. Les enfants du premier lit de Joséphine de Beauharnais, première épouse de Napoléon, jouent aussi un rôle dans cette politique familiale : Hortense, qui épouse Louis ; et, surtout, Eugène, vice-roi d’Italie en 1805, que Napoléon adopte et marie à la fille du roi de Bavière en 1806 ; sans oublier Stéphanie, nièce de Joséphine, également adoptée par l’Empereur, et mariée en 1806 au prince héritier du grand-duché de Bade. Ce système n’est pas sans défauts ni conflits d’autorité. Napoléon se heurte à l’orgueil de Joseph, l’insoumission de Louis, l’insouciance de Jérôme ou l’ambition de Caroline. Mais ses parents appliquent ses principales consignes. Ils dotent ainsi leurs royaumes de Constitutions et d’institutions inspirées du modèle français, et, surtout, observent le Blocus continental, proclamé en novembre 1806, pillent les richesses et fournissent des soldats à la Grande Armée. Cependant, même si l’administration française remodèle en profondeur une partie de l’Europe conquise, aucun Bonaparte n’acquiert d’autorité ou de légitimité suffisantes pour conserver durablement son trône. Bonaparte (Jérôme), homme politique (Ajaccio, Corse, 1784 - Villegenis, Seine-et- Marne, 1860), roi de Westphalie (1807/1813). Benjamin de la famille Bonaparte, d’un caractère léger et irresponsable, aimant le luxe et les plaisirs, il laisse volontiers son frère Napoléon conduire sa vie. Jeune commandant de marine, il séjourne aux États-Unis en 1803 où, encore mineur, il épouse la fille d’un négociant américain, provoquant la fureur du Premier consul, qui le somme de rentrer en France et de répudier sa femme. Ayant cédé aux injonctions de son frère - entre-temps devenu empereur -, il reçoit le titre de prince français en 1805, puis est fait roi de Westphalie, royaume créé après le traité de Tilsit, avant d’être marié à la fille du roi de Wurtemberg en 1807. Flanqué de trois régents nommés par son frère, il laisse les ministres gouverner et se contente des joies d’une sinécure dorée. Bien que piètre combattant, il obtient un commandement lors de la campagne de Russie, mais, placé sous les ordres de Davout, il refuse ce poste subalterne et quitte l’armée. En octobre 1813, à la suite de la bataille de Leipzig, il est contraint de fuir son royaume, l’un des premiers à se libérer de la domination française. Réfugié en Italie après 1814, puis au Wurtemberg après Waterloo, où il combat vaillamment, et enfin à Florence, il est autorisé à rentrer en France en 1847. Au lendemain de la révolution de 1848, il s’efface devant son neveu qui, devenu Napoléon III, le fait gouverneur des Invalides, maréchal de France, premier prince du sang, et président du Sénat. Seul parmi les frères et soeurs de Napoléon Ier à mourir en France, il est inhumé aux Invalides. Bonaparte (Joseph), homme politique (Corte, Corse, 1768 - Florence, Italie, 1844), roi de Naples (1806/1808) puis d’Espagne (1808/1813). Frère aîné de Napoléon, avocat, entré en politique dès 1789, il s’engage avec les jacobins corses dans la lutte contre Paoli, mais il ne peut satisfaire ses ambitions. Après avoir quitté la Corse en 1793, il devient commissaire des guerres, puis, dans le sillage de son frère, est élu député au Conseil des CinqCents en 1797, mais ne joue aucun rôle dans le coup d’État du 18 brumaire. Membre du Corps législatif et du Conseil d’État sous le Consulat, il remplit avec succès ses missions diplomatiques en oeuvrant aux signatures du traité de Lunéville, du concordat de 1801 et de la paix d’Amiens. Sénateur en 1802, grand électeur en 1804, il reçoit la régence lors de la campagne de 1805. Bien que couvert d’honneurs, il supporte mal sa subordination et multiplie les brouilles. Fait roi de Naples en 1806, non sans avoir en vain réclamé une certaine autonomie auprès de Napoléon qui lui adjoint notamment Roederer, il adapte le modèle français à son royaume. Transféré sur le trône d’Espagne en 1808, il n’acquiert pas davantage d’autorité. Au terme de la longue guerre d’Espagne, il doit fuir la péninsule et perd sa couronne au traité de Valençay (11 décembre 1813). Lors de la campagne de 1814, il est nommé lieutenant général de l’Empire, chargé de défendre Paris - qu’il abandonne le 30 mars. Pendant les CentJours, il préside le Conseil des ministres en l’absence de Napoléon. Installé aux États-Unis en 1815 sous le nom de comte de Survilliers, il se fixe à Florence, après plusieurs voyages, en 1841. Bonaparte (Louis), homme politique (Ajaccio, Corse, 1778 - Livourne, Italie, 1846), roi de Hollande (1806/1810). Neurasthénique et ombrageux à l’extrême, il est le plus fragile des frères de Napoléon. Guidé dès son plus jeune âge par ce dernier, qui le fait entrer dans l’artillerie, il le suit en tant qu’aide de camp lors de la campagne d’Italie et de l’expédition d’Égypte, puis remplit quelques missions diplomatiques sous le Consulat. En 1802, il est marié, contre son gré, à la fille de Joséphine de Beauharnais, Hortense, dont il se sépare en 1810, et dont il refuse de reconnaître les enfants, parmi lesquels le futur Napoléon III. Connétable - le plus haut titre militaire - en 1804, ce grand dignitaire de l’Empire est aussi sénateur, membre du Conseil d’État et commandant général de la Garde impériale. Fait roi de Hollande en 1806, il prend sa fonction au sérieux et se rebelle contre le joug napoléonien, devenant de ce fait le plus populaire des Bonaparte placés sur les trônes d’Europe. Réprouvant les effets du Blocus continental et de l’occupation française sur ses sujets, il ne cesse de se quereller avec Napoléon. Après avoir été contraint de lui céder une partie de son royaume, il entre en conflit avec l’Empereur, qui le force à abdiquer ; il s’enfuit le 2 juillet 1810, tandis que la Hollande est annexée à la France le 9 juillet suivant. Dès lors, indifférent aux événements de l’Empire, il vit dans la retraite, loin de sa famille, refusant même de siéger à la Chambre des pairs durant les CentJours. Réfugié en Autriche, puis en Italie, il se consacre aux lettres jusqu’à sa mort. Bonaparte (Lucien), homme politique (Ajaccio, 1775 - Viterbe, Italie, 1840). Intelli- gent et indépendant, il est le seul des frères de Napoléon à ne jouer aucun rôle sous le Premier Empire avant 1815. Engagé très jeune dans la Révolution, jacobin, il milite activement dans le midi de la France, après la sécession de la Corse. En avril 1798, il est élu député au Conseil des CinqCents : il y participe, avec les néo-jacobins, au coup d’État de prairial an VII et joue un rôle downloadModeText.vue.download 105 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 94 déterminant dans le coup d’État de brumaire an VIII, sauvant Napoléon du désastre. Ministre de l’Intérieur au début du Consulat, il met en place les préfets et falsifie les résultats du plébiscite sur la Constitution de l’an VIII, puis est nommé ambassadeur à Madrid en novembre 1800. Membre du Tribunat, puis du Sénat en 1802, il mène grand train de vie, affichant des idées jacobines, mais son remariage avec la veuve d’un financier, alors que Napoléon lui destine la reine d’Étrurie, provoque la rupture. Exclu de la succession dynastique napoléonienne, à laquelle il se déclare hostile, il se retire à Rome en avril 1804, et il refusera toujours à Napoléon de sacrifier sa femme à un trône sans autonomie. Après l’annexion de Rome, il s’embarque pour l’Amérique en 1810, mais est capturé par les Anglais, qui le placent en résidence forcée. De retour à Rome en 1814, il reçoit du pape le titre pontifical de prince héréditaire de Canino. Pendant les Cent-Jours, il rejoint Napoléon, devient prince français et membre de la Chambre des pairs où, après Waterloo, il tente vainement d’imposer la continuité dynastique, avant de se réfugier définitivement en Italie. bonapartisme, courant politique qui défend le régime napoléonien et oeuvre pour la restauration de la dynastie des Bonaparte après 1815. En dépit du coup d’État du 18 brumaire, Napoléon s’efforce de fonder sa légitimité sur la volonté du peuple, qui confie sa souveraineté à l’Empereur. Dès lors, l’antiparlementarisme fait partie des principes bonapartistes. Le Mémorial de Sainte-Hélène, publié en 1823, met l’accent sur les liens, apparus dès les CentJours, entre le bonapartisme et le libéralisme : Napoléon se présente comme un défenseur des acquis de 1789, fidèle à la souveraineté populaire, et favorable au principe des natio- nalités. En définitive coexistent, dès 1815, trois bonapartismes, définis par l’historien Frédéric Bluche : un bonapartisme autoritaire ; un bonapartisme jacobin, attaché aux principes de la Révolution ; et un bonapartisme libéral, exprimé dans l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire. • Le bonapartisme de la clandestinité. En 1815, les bonapartistes les plus compromis, tels les frères Lallemand, sont contraints à l’exil, tout en espérant oeuvrer pour le retour de Napoléon. Parallèle-ment, une poignée de fidèles, souvent des héros des guerres napoléoniennes, s’engagent dans une action clandestine. Mais l’absence de projet politique cohérent conduit à l’échec de leurs conspirations ; les partisans bonapartistes renoncent alors aux équipées aventureuses, tandis que les dignitaires de l’Empire optent pour le ralliement. Le bonapartisme se dilue dès 1822 dans la gauche libérale. Il subsiste cependant, comme l’a démontré l’historien Bernard Ménager, un bonapartisme populaire, rural mais aussi urbain, particulièrement vif dans l’est de la France. Mais l’opportunité qu’offre la révolution de 1830 n’est pas saisie, faute de parti organisé. Louis Napoléon Bonaparte échoue dans ses tentatives de coups de force, à Strasbourg en 1836, à Boulogne en 1840. Toutefois, ses écrits renouvellent la doctrine bonapartiste : en 1832, ses Rêveries politiques visent à réconcilier l’autorité et la liberté, et affirment sa fidélité à la souveraineté populaire ; en 1839, dans Des idées napoléoniennes, il défend le principe des nationalités, et souligne les capacités de progrès du genre humain, progrès qui peuvent être encouragés par un gouvernement détenteur d’une réelle autorité, grâce au plébiscite populaire, mais respectueux de l’égalité et de la liberté individuelle. Véritable manifeste bonapartiste, cet ouvrage inscrit ce courant politique dans une opposition de gauche au régime de Juillet. Du reste, en 1844, Louis Napoléon s’attire des sympathies saint-simoniennes en publiant De l’extinction du paupérisme, où il dénonce les méfaits du libéralisme économique. En dépit de cette résurrection doctrinale et de l’essor de la légende napoléonienne, le bonapartisme connaît alors un effacement sur la scène politique. Pourtant, 1848 est l’occasion d’un retour au pouvoir. • L’ambiguïté du bonapartisme au pouvoir. Aux élections d’avril à l’Assemblée constituante, Louis Napoléon ne fait pas offi- ciellement acte de candidature. Mais il bénéficie de la propagande d’un comité napoléonien formé à la hâte : il recueille ainsi 4 % des voix en Charente-Inférieure, tandis que trois autres neveux de Napoléon Ier sont élus sur des listes républicaines. Le succès de Louis Napoléon est incontestable lors des élections complémentaires de juin : il est élu dans quatre départements, dont celui de la Seine, où il a fait campagne sur un programme destiné à séduire les couches populaires. En revanche, c’est avec un discours propre à rallier les conservateurs que son élection est confirmée dans cinq départements en septembre 1848. Dès lors, s’affirme l’ambiguïté du bonapartisme de Louis Napoléon. L’élection présidentielle du 10 décembre 1848 en apporte un nouveau témoignage : la paysannerie, nourrissant toujours une fervente admiration pour Napoléon, soutient massivement ce candidat au nom célèbre qui lui permet de voter contre une République décevante tout en s’émancipant de la tutelle des notables ; or ces derniers accordent également leurs suffrages à Louis Napoléon, puisqu’il est le candidat du parti de l’Ordre. Mais, désirant se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat présidentiel, le prince se montre fidèle à une autre caractéristique du bonapartisme : le coup d’État du 2 décembre 1851 s’inscrit dans la droite ligne de celui du 18 brumaire et permet, un an plus tard, le rétablissement d’un Empire autoritaire. Jusqu’en 1870, celui-ci est soutenu par les ruraux, satisfaits de la hausse des prix agricoles, aussi bien que par les notables, soucieux du maintien de l’ordre. Ainsi, même sous le Second Empire, en raison de cette ambiguïté, le bonapartisme ne peut être défini que comme une fidélité à la quatrième dynastie. Politiquement, du fait du ralliement des notables, il est rejeté vers la droite mais il reste partagé entre diverses tendances : le duc de Morny se montre favorable à un bonapartisme économiquement libéral et socialement conservateur, qui obtient, par la suite, le soutien d’Émile Ollivier ; l’impératrice Eugénie, Eugène Rouher et Bernard Adolphe Granier de Cassagnac prônent un bonapartisme autoritaire, d’esprit contrerévolutionnaire ; enfin, le prince Napoléon Jérôme demeure le chef de file d’un bonapartisme populaire, jacobin et anticlérical. Quant à l’empereur, qui n’hésite pas à exiler les opposants politiques, il ne reste fidèle qu’en théorie aux doctrines définies dans ses oeuvres de jeunesse. La chute de l’Empire ne met pas totalement fin à ces divisions. • Les bonapartismes en République, ou la fusion dans la droite conservatrice. Les débuts de la IIIe République constituent, en définitive, la seule période où il existe réellement un parti bonapartiste : il est organisé en 1872 par Rouher, et servi par une presse virulente, dont le Pays et l’Ordre. Le nom même du groupe parlementaire bonapartiste, « L’appel au peuple », résume à lui seul son programme : le plébiscite est l’instrument de légitimation du pouvoir. Le prince impérial, fils de Napoléon III, y adhère pleinement, convaincu de la nécessité de combattre le parlementarisme et de fonder le gouvernement sur la religion, l’armée, la magistrature et la propriété. Après sa mort, en 1879, un bonapartisme populaire s’exprime, sous l’influence du prince Napoléon Jérôme, qui s’allie aux républicains, puis engage des négociations avec le général Boulanger. Mais la tendance conservatrice et autoritaire l’emporte, incarnée par le prince Victor, fils de Napoléon Jérôme. La mort de ce dernier, en 1891, permet une réunification du mouvement, qui n’échappe pas, pour autant, à une lente disparition : en 1893, il ne compte plus que treize députés, l’échec électoral du baron Eschassériaux dans son fief bonapartiste des Charentes ayant valeur de symbole. Le bonapartisme se fond de plus en plus dans la droite nationaliste, tout en conservant quelques élus après 1919. En 1940, pour éviter toute récupération par l’extrême droite, le prince Louis dissout définitivement toutes les organisations bonapartistes. Mais les historiens débattent aujourd’hui encore d’éventuels liens entre le bonapartisme et le gaullisme. Boniface (Winfrith, saint), évangélisateur de la Germanie et réformateur de l’Église franque (Kirton, Wessex, vers 675 - près de Dokkum, 754). Boniface est un Anglo-Saxon baptisé sous le nom de Winfrith. D’abord moine dans le Wessex, il souhaite participer à la conversion des Après une première tentative infructueuse, il se rend à Rome en 719, où le pape Grégoire II lui impose le nom de Boniface, définit le cadre de sa mission, « la conversion de la Germanie », et le recommande à Charles Martel. Fait évêque en 722, il n’a pas de siège fixe. Durant les années 720-730, il fonde de nombreux monastères destinés à devenir des centres de rayonnement de la foi chrétienne et les points d’appui de l’évangélisation. En 732, la dignité archi-épiscopale lui est conférée. Elle fait de lui le chef de l’Église de Germanie. À partir de 741, date de l’accession au pouvoir de Pépin le Bref (auquel il confère l’onction royale en 751, légitimant ainsi son pouvoir) et de Carloman, il est appelé à réformer l’Église franque tout en poursuivant la lutte contre les pratiques downloadModeText.vue.download 106 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 95 païennes : il restaure la discipline ecclésiastique en chassant les clercs indignes, renforce la hiérarchie épiscopale et s’efforce de reconstruire la géographie ecclésiastique en promouvant le rôle des métropoles. Afin de consolider définitivement son oeuvre en Bavière, il fonde, en 742, les trois évêchés de Würzburg, Büraburg et Erfurt, puis l’abbaye de Fulda. C’est de là qu’il part pour tenter de convertir les Frisons, mission au cours de laquelle il trouve le martyre. Son corps est enterré à Fulda. bonnes villes. L’expression « bonnes villes » distingue d’abord, au XIIe siècle, les cités les plus opulentes et les mieux défendues ; ce n’est qu’un siècle plus tard, sous le règne de Saint Louis, qu’elle prend un sens politique. Choqué par l’état des finances municipales, le roi de France place en 1262 les comptes des bonnes villes sous tutelle royale. La décision, assurément, parle d’avenir : car, jusqu’à l’époque moderne, l’endettement des villes demeure le cheval de Troie du pouvoir central dans l’administration municipale. Depuis Saint Louis, quoi qu’il en soit, les rois de France considèrent comme bonnes villes les cités qui, par leur richesse, leur puissance politique ou leur valeur stratégique peuvent être utiles au royaume. C’est pourquoi la liste des « bonnes villes du royaume de France » était et reste impossible à dresser pour les chancelleries royales du XIVe siècle comme pour les historiens contemporains : elle varie en fonction des évolutions du réseau urbain et des rapports de force. Si une cité aspire au rang de bonne ville, c’est qu’elle accepte d’être intégrée au système monarchique : il est vrai que les grandes villes du royaume ont dû se soumettre, à mesure que se construisait l’État royal, à un contrôle croissant du pouvoir central. Mais les oligarchies urbaines, qui contrôlaient le gouvernement des villes, ne s’opposaient que rarement à la montée en puissance d’un État monarchique dont elles avaient tout intérêt à devenir les relais locaux. Et, en contrepartie, les bonnes villes recevaient un droit de représentation : reconnues comme des corps politiques pouvant incarner l’ensemble d’un pays, les bonnes villes sont convoquées aux assemblées d’états à partir de 1304, que ces assemblées soient royales ou provinciales. Tout change, cependant, avec la réunion de 1484, premiers « états généraux du royaume » où les députés élus par bailliages sont choisis parmi les « trois ordres » et où les bonnes villes ne sont plus représentées en tant que telles. À l’époque des guerres de Religion, alors que la crise de l’État fait renaître l’idéal de l’autonomie urbaine, la distinction perd de son sens : toute ville peut prendre le titre de « bonne ville », parce que les privilèges politiques liés à ce statut se sont effacés. Si l’histoire des rapports entre villes et royauté n’est pas terminée, celle des bonnes villes l’est : l’expression subsiste encore dans les discours municipaux, mais comme un artifice archaïsant, vide de sens. Bonnet (Georges), homme politique (Bassilac, Dordogne, 1889 - Paris 1973). Licencié en droit et en lettres, combattant de la Grande Guerre, il est délégué de la France à la conférence de paix en 1919. Membre du Parti radical, député de la Dordogne de 1924 à 1928 et de 1929 à 1940, il commence sa carrière ministérielle en tant que sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, en 1925. Hostile au « mur d’argent », il milite à l’aile gauche du Parti radical, et reste dans l’opposition, avant de devenir ministre des Finances de 1932 à 1934. Il préfère alors l’assainissement des finances publiques au réarmement, si bien que Daladier l’écarte de son cabinet. En 1935, il rallie l’aile droite du parti, et il s’opposera au Front populaire. Après la chute de Léon Blum, il retrouve le portefeuille des Finances en 1937, s’oppose de nouveau au réarmement, et défend la politique d’apaisement face à l’Allemagne. En 1938, ministre des Affaires étrangères de Daladier, il incite la Tchécoslovaquie à faire des concessions, et adhère aux accords de Munich. Il s’efforce jusqu’au bout d’empêcher la guerre en appuyant la proposition italienne de réunir une conférence internationale. Ministre de la Justice de septembre 1939 à mars 1940, il poursuit les communistes et restreint la liberté d’action des étrangers. Ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain, il se rapproche du régime de Vichy, avant de se réfugier en Suisse en 1943. Il est exclu du Parti radical en 1944, mais retrouve un mandat de député de 1956 à 1967. bonnet phrygien, bonnet arboré notamment par les révolutionnaires français comme symbole de la liberté. Hérité de l’Antiquité, le bonnet phrygien, également appelé « bonnet de la liberté » ou « bonnet rouge », se caractérise par deux pans tombant sur les oreilles. D’abord porté par les Phrygiens, peuple d’Asie Mineure, il devient à Rome signe de liberté, car les esclaves affranchis le coiffent. Au XVIIIe siècle, il est le symbole iconographique de la liberté. Or les paysans mettent couramment un bonnet de laine. Cette rencontre entre une coutume vestimentaire populaire et une iconologie savante explique la popularité du bonnet phrygien pendant la Révolution française. Apparu dans les premiers mois de la Révolution, il devient inséparable des représentations allégoriques de la Liberté : une femme coiffée du bonnet phrygien, ou qui le tient au bout d’une pique. Après 1792, il envahit l’iconographie, que ce soit au sommet des « arbres de la liberté » ou sur les vignettes officielles des armées. Et le sans-culotte, citoyen libre et révolutionnaire, l’arbore fièrement sur la tête. Sa forte charge symbolique en fait l’enjeu de véritables « combats vestimentaires » par lesquels s’expriment aussi les luttes politiques : en 1792, des groupes de sans-culottes font tomber les coiffures « aristocratiques » des passants pour les remplacer par le bonnet de la Liberté ; le 20 juin 1792, lorsque les sansculottes envahissent les Tuileries, ils forcent Louis XVI à le porter. En 1793, des femmes qui se veulent citoyennes s’en emparent, déchaînant l’indignation de celles et ceux qui pensent que ce signe doit être réservé aux hommes, et ce sont les rixes qui s’ensuivent qui servent de prétextes à l’interdiction des clubs de femmes. C’est pourtant une femme portant le bonnet phrygien qui symbolise officiellement la République : depuis le 25 septembre 1792, le sceau de l’État représente « la France sous les traits d’une femme vêtue à l’Antique, debout, tenant de la main droite une pique surmontée du bonnet phrygien ou bonnet de la Liberté ». Et, petit à petit, la femme au bonnet rouge n’incarne plus seulement la Liberté mais aussi la République française. Au XIXe siècle, on retrouve ce symbole au coeur des luttes politiques. La gauche en fait la représentation de la République, alors que la droite lui préfère le casque ou la couronne antiques. Il faudra attendre la fin du siècle pour que la femme au bonnet phrygien symbolise de nouveau officiellement la Nation, sur les statues, les bustes disposés dans les mairies, les pièces de monnaie ou les timbres-poste. Bonneval Pacha (Claude Alexandre, comte de Bonneval, dit), général (CoussacBonneval, Haute-Vienne, 1675 - Constantinople 1747). Ce cadet de bonne noblesse limousine, tour à tour au service de Louis XIV, des Habsbourg et du Grand Turc, incarne la quintessence des inquiétudes et des frustrations nobiliaires de son temps face à l’État moderne. Entré dans la marine à 11 ans, il en est congédié, à la suite d’un duel, en 1697, puis il obtient une souslieutenance aux gardes-françaises, qu’il troque, en 1701, contre le régiment de Labour. Des démêlés avec Chamillart, secrétaire d’État à la Guerre, l’amènent à passer à l’ennemi, en 1706. Ayant conquis l’amitié du prince Eugène de Savoie et le grade de général, il se couvre de gloire à Peterwardein (1716) en repoussant un assaut de janissaires ; mais il scelle sa propre perte en épousant le mécontentement des nobles des Pays-Bas contre le représentant de Vienne, en 1724. Il se réfugie alors à Venise, avant de se résigner à passer dans l’Empire ottoman, en 1729, puis à se convertir à l’islam. Conseiller diplomatique et militaire du diwan, il s’attache à faire de la Sublime Porte le pivot de toutes les coalitions anti-autrichiennes, organise la contre-offensive contre la Russie en 1737-1738, et est à l’origine de la signature d’une alliance turco-suédoise en 1739. Mais ses projets de traité franco-ottoman se heurtent au veto de Versailles, et son influence décroît pendant la guerre de la Succession d’Autriche, alors même que la république des lettres s’empare de son mythe. Bonnot (bande à), groupe proche du milieu anarchiste, auteur d’attaques de banque à main armée, entre décembre 1911 et mars 1912. Ces « bandits en auto » innovent en alliant à l’assassinat l’usage systématique de voitures automobiles volées. Dirigés par Jules Joseph Bonnot, mécanicien lyonnais de 35 ans, ils sont, pour la plupart, de petits employés âgés d’une vingtaine d’années, et gravitent dans la mouvance anarchiste, tel le Belge Callemin, dit « Raymond la Science », qui rédigera ses Mémoires, avant d’être guillotiné. Bénéficiant de la complicité de réseaux anarchistes parisiens, ils ne retiennent des théories de ce mouvement que l’individualisme et le médownloadModeText.vue.download 107 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 96 pris de l’ordre établi, qui « justifient » leur volonté d’enrichissement rapide, ainsi que les meurtres de plusieurs policiers. En avril-mai 1912, la bande est anéantie : Bonnot puis deux complices sont tués, en banlieue parisienne, après deux sièges en règle ; six autres membres de la bande, ainsi que d’authentiques militants anarchistes, sont arrêtés. Malgré le talent des avocats, dont Moro-Giafferi et Paul Reynaud, leur jugement, en février 1913, débouche sur trois exécutions capitales, qui se déroulent deux mois plus tard. Autant qu’à ses sanglantes opérations largement racontées par la presse à grand tirage, la renommée de la bande est liée au souvenir des attentats anarchistes des années 1890 et aux moyens que déploie contre elle une police d’abord techniquement dépassée. Ce n’est qu’en mai 1912 est créée la brigade criminelle de la Sûreté, tandis que sont débloqués des crédits destinés à moderniser l’équipement des agents en armes et en véhicules. Boson, roi de Provence de 879 à 887 (mort en 887). Boson est issu d’une très puissante famille de l’aristocratie lotharingienne ; sa soeur, Richilde, a en effet épousé le roi Charles le Chauve le 22 janvier 870. Boson obtient alors de nombreuses faveurs de son beau-frère, notamment la prestigieuse abbaye de SaintMaurice d’Agaune, dans le Valais, ainsi que le comté de Vienne. En 875, il accompagne Charles en Italie et reçoit la Provence pour prix de ses services. En Italie, Boson jouit d’une véritable autorité vice-royale, encore renforcée par son mariage avec Ermengarde, la fille de l’empereur Louis II. Boson semble être resté fidèle au fils de Charles le Chauve, Louis le Bègue ; mais la mort de ce dernier, le 10 avril 879, jette le royaume des Francs dans la confusion et incite Boson à travailler à sa propre indépendance. Le 15 octobre 879, à Mantaille, les évêques et les comtes de la région Rhône-Saône reconnaissent officiellement Boson comme roi, sur un territoire qui s’étend de Besançon à la Méditerranée et de l’Ardèche à la Tarentaise. C’est la création du royaume de Provence dont Vienne est la capitale, mais c’est surtout la première élection d’un roi non carolingien. Son règne est tou- tefois de courte durée, car les descendants de Charlemagne, s’étant réconciliés pour l’occasion, entament dès 880 la reconquête de ce royaume. Boson ne conserve que quelques territoires autour de Vienne, où il meurt le 11 janvier 887. Il est enterré dans la cathédrale Saint-Maurice. Bossuet (Jacques Bénigne), évêque et écrivain (Dijon 1627 - Paris 1704). Issu d’une famille de magistrats, Bossuet est orienté dès son jeune âge vers une carrière ecclésiastique. D’abord élève au collège des jésuites de Dijon, il se rend à Paris pour étudier la philosophie et la théologie au collège de Navarre, l’un des plus prestigieux de l’Université : maître ès arts en 1644, il recevra - au terme d’une solide formation scolastique, vivifiée par le recours aux Pères de l’Église et à l’Écriture - le bonnet de docteur en théologie huit ans plus tard. Cette même année 1652, il est ordonné prêtre. Il s’installe à Metz, où son action s’oriente dans trois directions : l’assistance aux pauvres, car il est un disciple de Vincent de Paul et appartient comme lui à la Compagnie du Saint-Sacrement ; la controverse avec les protestants (son premier ouvrage est une Réfutation du catéchisme de Paul Ferry, en 1655) ; la prédication. • L’orateur et le précepteur. Cette dernière vocation s’était manifestée dès son séjour parisien, jusque dans un lieu aussi mondain que l’hôtel de Rambouillet ; elle s’affermit à Metz, où Bossuet prononce en 1655 sa première oraison funèbre. Le « Panégyrique de sainte Thérèse », donné devant la reine mère Anne d’Autriche, lui vaut le titre de « prédicateur ordinaire du roi ». À partir de 1659, il passe plus de temps à Paris qu’à Metz. Sa réputation ne cesse de croître dans deux domaines de l’éloquence sacrée : le sermon, qui est plus que le prône de la messe paroissiale ; une véritable conférence prononcée isolément (« Sur l’éminente dignité des pauvres dans l’Église », 1659) ou enchaînée avec d’autres du même prédicateur pour former une « station » (« le Carême du Louvre » en 1662, « l’Avent de Saint-Germain » en 1669, prononcés l’un et l’autre devant la cour) ; l’oraison funèbre, qui constitue une pièce d’apparat officielle. Bossuet se voit confier en 1669 celle d’Henriette de France et, l’année suivante, celle d’Henriette d’Angleterre, où retentit le cri fameux : « Madame se meurt, Madame est morte ! » Il accumule les honneurs et les responsabilités : il est nommé évêque de Condom en 1669 et précepteur du dauphin en 1670. Pendant une décennie, cette dernière charge l’accapare et réduit considérablement son activité de prédication. Son enseignement n’a sans doute guère profité à un élève indolent, mais il portera ses fruits dans le public, qui pourra lire en 1681 le Discours sur l’histoire universelle, synthèse providentialiste dans la lignée grandiose de la Cité de Dieu de saint Augustin, et, après la mort de leur auteur, la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, ainsi que le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même. • Une souveraineté polémique. En 1681, Bossuet est nommé à l’évêché de Meaux, où il déploie jusqu’à la fin de sa vie un grand zèle pastoral. Mais sa réputation et son autorité ne peuvent borner son action aux limites d’un diocèse. Outre les oraisons funèbres qu’il continue de prononcer à Paris, Bossuet donne sa forme achevée à la tradition gallicane en rédigeant, pour l’assemblée extraordinaire du clergé de France, la Déclaration des Quatre Articles (1682). Il s’engage dans des controverses à l’extérieur de l’Église (Histoire des variations des Églises protestantes, 1688), tout en pratiquant une forme d’oecuménisme avant la lettre, mais il polémique aussi au sein même du catholicisme avec Fénelon, qu’il suspecte de quiétisme et fera condamner ; avec le Père Caffaro, qui avait osé prendre la défense du théâtre ; avec Richard Simon, auteur d’une traduction « téméraire » du Nouveau Testament. Bossuet finit par l’emporter, mais la postérité donnera raison à ses adversaires. Il meurt à Paris le 12 avril 1704. Témoin inquiet de « la crise de la conscience européenne », qu’il avait combattue avec les armes d’une orthodoxie identifiée au pessimisme augustinien, Bossuet fut un temps la conscience de la monarchie absolue et de l’Église de France. Mais il demeure, au-delà des clivages religieux et politiques, comme le plus grand maître d’éloquence sacrée de notre histoire littéraire. Boucher de Crèvecoeur de Perthes (Jacques), archéologue, considéré comme le fondateur de la science préhistorique moderne (Rethel, Ardennes, 1788 - Abbeville, Somme, 1868). Il est directeur des douanes d’Abbeville lorsque, intéressé à la préhistoire par son ami Picard qui collecte des objets préhistoriques qu’il croit « celtiques », il commence luimême, à partir de 1837, à ramasser dans les carrières de gravier de la Somme des outils de silex et des ossements d’animaux disparus. Il dénomme ces silex « haches diluviennes » (datant du Déluge) et les présente à la société savante locale, puis à l’Institut, à Paris. Il se heurte à un scepticisme général, l’idée d’évolution n’étant pas encore admise. Il publie De la Création : essai sur l’origine et la progression des êtres (1838-1841), puis Antiquités celtiques et antédiluviennes (1847-1864), supposant désormais que la présence de ces outils dans le gravier alluvial ne doit rien au Déluge. Cependant, peu à peu, l’opinion scientifique change. Le Dr Rigollot, qui fouille lui-même dans la vallée de la Somme, reconnaît dans ses Mémoires sur les instruments en silex trouvés à Saint-Acheul (1854), la justesse des découvertes de Boucher de Perthes, tout comme le paléontologue Albert Gaudry. L’année où est publié De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle de Darwin (1859), Boucher de Perthes obtient une tardive consécration quand trois des plus célèbres géologues et paléontologues anglais - Falconer, Evans et Prestwich -, attestent l’authenticité des trouvailles et du lien chronologique entre des outils taillés par l’homme et des os d’animaux disparus. Mais c’est à tort qu’il croit découvrir, en 1863, à Moulin-Quignon, une mâchoire humaine fossile, qui n’est qu’une falsification due à ses terrassiers. Il n’en demeure pas moins que la science préhistorique est désormais lancée. Boucicaut (Jean II le Meingre, dit), chevalier (Tours vers 1365 - Londres 1421). Fils du maréchal Jean Ier, dit le Meingre, également dit Boucicaut, il incarne l’idéal du chevalier accompli. Dans les premières années du règne de Charles VI, de 1380 à 1390, il prend part aux expéditions des chevaliers de l’ordre Teutonique en Prusse. Fait maréchal de France en 1391, il est, en 1396, l’un des chefs de la croisade contre les Ottomans, écrasée par le sultan Bajazet devant Nicopolis, en Bulgarie. À son retour, Boucicaut est chargé par Charles VI de prendre possession de la ville de Gênes, qui s’est donnée au roi de France. Au cours des dix années suivantes, il s’empare de Constantinople en 1400, de Gênes en 1401, saccage Beyrouth en 1403, enlève Pise en 1404, et doit finalement abandonner l’Italie après la révolte de Gênes en 1409. De downloadModeText.vue.download 108 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 97 retour à la cour de Charles VI, il jouit d’un immense prestige de croisé et de chevalier. En 1415, il commande l’avant-garde de l’armée royale à Azincourt, où il est fait prisonnier. Il meurt en captivité, en Angleterre. Le Livre des faits de Jean le Meingre, dit Boucicaut est la biographie d’un chevalier de légende, défenseur des dames et auteur lyrique, aussi habile aux joutes d’armes qu’aux joutes courtoises. Au tournant du XIVe et du XVe siècle, cette oeuvre réhabilite une chevalerie française très déconsidérée depuis les batailles de Crécy (1346) et de Poitiers (1356), et qui, paradoxalement, sort grandie, par son sacrifice, de ses plus grandes défaites, celles de Nicopolis et Azincourt. Bougainville (Louis Antoine, comte de), mathématicien et explorateur, premier Français à avoir fait le tour du monde (Paris 1729 - id. 1811). Ses talents de mathématicien, que révèle le Traité de calcul intégral (1754), lui valent d’être reçu à la Société royale de Londres en 1756. Parallèlement à cette carrière scientifique, il gravit les échelons militaires. En 1756, il s’embarque pour le Canada comme aide de camp de Montcalm de Saint-Véran, se familiarisant ainsi avec l’art de la navigation. Il séjourne dans ce pays jusqu’en 1759, s’illustrant dans la lutte menée par les Français contre les Anglais. En 1763, il est nommé capitaine de vaisseau. Désireux de compenser la perte du Canada français, il fonde une colonie aux îles Malouines, qui sera cédée aux Espagnols en 1767. Se pliant à la volonté du roi, il entreprend, le 5 décembre 1766, un tour du monde, embarquant à bord de l’Étoile et de la Boudeuse plusieurs scientifiques, notamment des biologistes. Il franchit l’Atlantique, fait escale à Buenos Aires, Montevideo, Rio, atteint la Terre de Feu (6 décembre 1767), traverse le Pacifique, et redécouvre Tahiti. Les descriptions qu’il rapporte de cette « nouvelle Cythère », que Diderot compare à un paradis terrestre, alimentent le mythe du bon sauvage propagé dans la France des Lumières. Après avoir exploré des eaux inconnues des Européens, il rentre à Saint-Malo, le 16 mars 1769. Ses récits, publiés dans Voyage autour du monde, témoignent de l’acuité de son sens critique et de sa finesse d’analyse ; ses descriptions botaniques enrichissent considérablement les connaissances de l’époque en la matière - il a d’ailleurs laissé son nom à une plante, le bougainvillier. Son entreprise présente un caractère original - du moins, à partir de 1766 : elle n’a plus principalement une visée coloniale, comme c’était le cas aux XVIe et XVIIe siècles, mais poursuit un but scientifique. Son succès témoigne également des progrès substantiels accomplis en matière de techniques de navigation en l’espace d’un siècle. Dès 1779, Bougainville reprend du service dans l’armée, et il participe à la guerre d’indépendance américaine. Mais, jugé responsable de la défaite infligée par Hood au large de la Martinique en avril 1782, il passe en cour martiale ; sa carrière militaire prend fin. À partir de 1790, il se consacre à ses travaux scientifiques, et entre à l’Institut en 1795. Napoléon le fera sénateur et comte d’Empire. Boulainvilliers (Henri, comte de), historien (Saint-Saire, Seine-Maritime, 1658 - Paris 1722). Cet ancien élève des oratoriens de Juilly sert dans les mousquetaires jusqu’à son mariage, en 1689 ; bientôt veuf, il se voue à l’instruction de ses enfants et entreprend, à cette fin, un Abrégé d’histoire universelle, aux premières lignes duquel il rompt avec tout providentialisme en affirmant que Dieu « a abandonné le monde à notre dispute ». Sa quête de l’Histoire de l’ancien gouvernement de la France l’amène tout ensemble à exalter les libertés germaniques et à justifier la hiérarchie sociale. En réaction à la monarchie absolue, il fustige Bossuet d’avoir recouru à l’Écriture « pour forger de nouvelles chaînes à la liberté naturelle des hommes et pour augmenter le faste et la dureté des rois », et prône le rétablissement des états généraux. Convaincu de l’inégalité entre noblesse et roture, il remontre qu’elle procède de la conquête franque et s’est perpétuée par hérédité. Partant, il ne conçoit le second ordre que comme une caste militaire, exècre Philippe le Bel pour s’être « attribué la puissance d’anoblir le sang des roturiers », et défend l’égalité entre tous les membres de la noblesse, face à Saint-Simon, avocat de la prééminence des ducs et pairs. Par ailleurs, cet esprit féru d’astrologie judiciaire et doué d’une plume féconde a exposé, sous couvert de les réfuter, les théories de Spinoza, rédigé une Vie de Mahomet, et réfléchi aux Moyens d’augmenter considérablement les revenus du roi et du peuple. Boulanger (Georges Ernest Jean Marie), général et homme politique (Rennes 1837 - Bruxelles 1891). Fils d’un modeste avoué, entré à l’école militaire de Saint-Cyr en 1854, il commence sa carrière militaire en Grande Kabylie, où l’armée doit affronter un soulèvement. Il combat ensuite en Italie, puis en Indochine. Il est blessé lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Sans participer à la « semaine sanglante » (21-28 mai 1871), qui entraîne l’écrasement de la Commune, Boulanger s’illustre dans la répression des communards. En avril 1880, il devient le plus jeune général de l’armée française. Grâce à ses relations mondaines, il bénéficie de l’appui du républicain Gambetta aussi bien que de celui du duc d’Aumale, l’un des chefs du parti monarchiste. Ses excellents états de service ainsi qu’une bonne connaissance de l’anglais lui valent d’être choisi pour conduire la délégation française invitée aux États-Unis à la célébration, en octobre 1881, du centenaire de la bataille de Yorktown. De retour à Paris en janvier 1882, il devient directeur de l’infanterie, et s’attire les sympathies de plusieurs radicaux, parmi lesquels Clemenceau, son ancien condisciple au lycée de Nantes. Également soutenu par Jules Ferry, il est nommé général de division en février 1884, et est affecté en Tunisie, où il se heurte au résident général Paul Cambon. Boulanger s’est forgé la réputation d’être un officier républicain et patriote. Le 7 janvier 1886, il devient ministre de la Guerre. Une autre carrière commence. • Un ministre républicain et populaire. Très actif, il promulgue en dix-sept mois soixante et un décrets et arrêtés. Il est à l’origine de l’introduction du lebel, premier fusil à répétition utilisé par l’armée française. Convaincu de la nécessité de préparer une guerre de revanche contre les Allemands, il travaille à la mobilisation des esprits : les guérites sont repeintes aux couleurs tricolores, chaque caserne est baptisée du nom d’un grand soldat français, un musée est installé dans chaque régiment. Dès son entrée en fonctions, il fait adopter un nouveau plan de bataille (le plan huit), entièrement tourné vers l’offensive. Le 26 avril 1886, il dépose sur le bureau de l’Assemblée un projet global de rénovation de l’armée, en partie inspiré par Clemenceau : une réforme profonde et égalitaire du service militaire y est prévue, mettant fin au tirage au sort qui désignait les conscrits et aux dispenses dont bénéficiaient les séminaristes. Sa popularité grandit. Chacune de ses tournées en province est un triomphe. Fier cavalier, de belle allure, connu pour ses succès féminins, Boulanger passe aussi pour un démocrate, soucieux du sort des hommes de troupe. Les conservateurs s’inquiètent à propos de ce ministre, qu’ils perçoivent comme une « créature » de Clemenceau, et qui fait placer des bustes de Marianne dans les salles d’honneur créées dans chaque garnison. Boulanger fait même rayer des cadres plusieurs membres de familles ayant régné en France. Lors des célébrations du 14 juillet 1886, il rencontre un succès personnel retentissant, qui conduit un chansonnier célèbre, Paulus, à adapter une marche de son tour de chant - En revenant de la revue -, qui devient, ainsi transformée, l’hymne du boulangisme. Multipliant les déclarations offensives et diplomatiquement maladroites, Boulanger peaufine son image de « général Revanche » : photographies, affiches, papillons, biographies, portraits, numéros spéciaux de périodiques, objets en tout genre, lui sont consacrés. • Naissance du boulangisme. Cette agitation inquiète désormais les républicains, en premier lieu Jules Ferry. En dépit des pressions exercées en sa faveur, Boulanger n’est pas repris dans le ministère qui succède au gouvernement Goblet, renversé le 17 mai 1887. Une campagne de sympathie, soutenue par quelques journalistes de talent comme Henri Rochefort, s’organise en réponse à cette exclusion. Muté au commandement du 13e corps d’armée à Clermont-Ferrand par un gouvernement qui le craint, Boulanger est acclamé lors d’une manifestation organisée à la gare de Lyon, pour son départ le 8 juillet 1887. Les républicains lancent alors une contre-propagande : le divorce entre Boulanger et Clemenceau est consommé. Les boulangistes s’unissent autour d’un « parti national » qui rassemble tous les mécontents de la République : républicains revanchards regroupés au sein de la Ligue des patriotes (tel Paul Déroulède), radicaux déçus, bonapartistes, monarchistes qui fournissent des subsides, et même socialistes. Les outils de propagande sont directement inspirés des méthodes électorales américaines. Le 26 février 1888, les partisans de Boulanger - officier inéligible présentent ce dernier à des élections pardownloadModeText.vue.download 109 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 98 tielles : premier succès. Le 27 mars, le « brave général » est mis à la retraite : il se trouve ainsi libre de poursuivre sa carrière politique. Armé d’un programme flou - la révision constitutionnelle -, fort du soutien financier des milieux conservateurs, profitant de son image intacte, il est élu député du Nord. Son audience électorale s’étend, en dépit des tensions qui s’exacerbent entre les monarchistes et lui. Lors d’une nouvelle élection partielle à Paris, en janvier 1889, le général remporte une victoire éclatante (245 000 voix, contre 160 000 à son principal adversaire). Certains partisans le poussent au coup d’État, mais il préfère attendre les élections générales qui doivent se dérouler à l’automne. • La contre-attaque républicaine. Le gouvernement ne lui en laisse pas le temps. L’action habile du ministre de l’Intérieur, Constans, le fait tomber dans un piège. Menacé d’arrestation pour atteinte à la sûreté de l’État, Boulanger s’enfuit à Bruxelles, le 1er avril 1889. Condamné par contumace par le Sénat réuni en Haute Cour le 14 août, il devient inéligible. Le « parti national », divisé, échoue aux élections de septembre : les boulangistes n’obtiennent que 42 sièges. Le 30 septembre 1891, le général Boulanger se suicide sur la tombe de sa maîtresse. Le boulangisme ne constitue pas une doctrine politique. Son caractère composite de même que l’extrême diversité sociale et idéologique de ses clientèles politiques le rendent tout à fait inclassable. Populiste, nationaliste, parfois socialiste, monarchiste dans certaines régions, presque dénuée d’antisémitisme, empreinte d’une certaine tradition républicaine autoritaire, cette nébuleuse est avant tout une entreprise électorale engagée par ceux que les républicains au pouvoir n’avaient pas intégrés. Boulogne (affaire de), tentative de coup de force menée en 1840 par Louis Napoléon Bonaparte. En exil à Londres après un premier échec, le prince Louis Napoléon débarque près de Boulogne dans la nuit du 5 au 6 août 1840 avec une soixantaine de fidèles. Il a fait imprimer des proclamations au peuple, à l’armée, aux habitants du Pas-de-Calais, et compte sur le ralliement des garnisons de la France du Nord. Mais l’aventure tourne court. La police a eu vent du projet, et, à l’exception d’une compagnie, la garnison de Boulogne se montre indifférente ou hostile. Les conjurés sont capturés ou tués. Les suites de l’expédition illustrent la détermination de Bonaparte mais aussi la vitalité d’une tradition impériale que la monarchie de Juillet tente alors en vain d’accaparer - durant l’été 1840 est adoptée la loi sur le retour des cendres de l’Empereur. Le procès devant la Cour des pairs représente, pour Louis Napoléon, l’occasion d’affirmer son attachement au principe de la souveraineté du peuple et de contester la légitimité du régime en place, prônant un bonapartisme populaire que les plaidoiries de ses deux avocats, le républicain Marie et le légitimiste Berryer, contribuent à diffuser. Condamné à la détention à perpétuité, Louis Napoléon est emprisonné au fort de Ham, dans la Somme. Il y passe six ans, durant lesquels il rédige notamment l’Extinction du paupérisme, avant de s’évader en 1846, dissimulé sous les vêtements et l’identité d’un maçon surnommé « Badinguet ». Boulogne (camp de), camp militaire établi par Napoléon autour de Boulogne-sur-Mer, de 1803 à 1805, en vue d’une invasion de l’Angleterre. La paix d’Amiens est rompue en mai 1803 : l’Angleterre fait saisir 1 200 navires français, tandis que la France occupe les ports napolitains et le Hanovre, sans parvenir à faire céder son ennemi. Napoléon estime alors que seule la menace d’une invasion peut contraindre celui-ci à changer de politique. À partir de juin 1803, il masse 450 000 hommes d’Ostende à Étaples, Boulogne étant le pivot de ce dispositif : en effet, depuis cette place, l’armée peut à la fois atteindre Londres rapidement et disposer d’un emplacement stratégique en vue d’une intervention sur le continent. Y sont aménagés, outre de nouveaux bassins, des magasins, des hôpitaux et des écuries. Deux cantonnements sont établis : l’un, sous la direction de Soult, à Saint-Omer, l’autre, sous le contrôle de Ney, à Étaples et Montreuil. Mais la flotte française demeure inadaptée : elle dispose bien de 1 700 bateaux à fond plat destinés au transport des troupes, mais les marées et une éventuelle grosse mer peuvent les priver de la rapidité nécessaire au débarquement ; en outre, la flotte de guerre est insuffisante pour assurer la maîtrise du détroit. La défaite de Trafalgar, le 21 octobre 1805, ruine tout espoir de réunir les vaisseaux de ligne français. Du reste, dès janvier 1805, en réponse à la formation de la troisième coalition, l’intervention sur le continent est le but officiel de l’armée des côtes, qui intègre la Grande Armée. Bourbon, famille dont diverses branches ont régné en Europe. Par sa longévité et une judicieuse politique matrimoniale, la famille des Bourbons a connu une fortune spectaculaire, qui lui donne une place de tout premier plan dans l’histoire européenne. La première maison de Bourbon tire son nom de la seigneurie de Bourbon-l’Archambault (Allier) et de son territoire, le Bourbonnais. Au XIIIe siècle, cette famille s’allie avec celle, régnante, des Capétiens : en 1276, Robert de Clermont, sixième fils de Louis IX, épouse Béatrix, fille d’Agnès de Bourbon et de Jean Bourgogne, seigneur du Charolais. En 1327, le roi Charles IV le Bel érige la seigneurie duché en faveur de leur fils, Louis, premier de Bourbon. Les deux fils de ce dernier sont l’origine de deux branches de Bourbon. de en duc à La branche aînée (ducs de Bourbon, sires de Beaujeu) s’éteint en 1527, avec la mort sans héritier de Charles III, connu sous le nom du « Connétable de Bourbon ». La branche cadette des comtes de la Marche, ducs de Vendôme sous François Ier, récupère, à l’extinction de la branche aînée, le titre de duc de Bourbon. Cette maison, les Bourbons-Vendôme, accède au trône de Navarre en 1555 (Antoine de Bourbon étant l’époux de Jeanne d’Albret), puis à celui de France avec Henri IV, à la mort du dernier Valois, Henri III, en 1589. Elle se divise à son tour en plusieurs branches, dont la branche aînée qui règne sur la France jusqu’en 1830 avec Charles X et s’éteint avec le comte de Chambord en 1883. De Louis de Condé, frère d’Antoine de Bourbon, lui-même père d’Henri IV, sont issus les princes de Condé, les princes de Conti et les Soissons. Les princes de Condé s’éteignent, après les Contis et les Soissons, en 1830. De Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, sont issus les Bourbons-Orléans, dont Louis-Philippe Ier, roi des Français de 1830 à 1848. Le chef actuel de cette maison est le comte de Paris. Les Bourbons-Espagne sont issus de Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, roi d’Espagne en 1700 sous le nom de Philippe V. (Le roi Juan Carlos Ier descend de cette dynastie.) Cette branche espagnole est elle-même divisée en plusieurs rameaux, dont les BourbonsParme, qui règnent sur diverses principautés italiennes jusqu’au milieu du XIXe siècle, et les Bourbons-Naples, qui occupent le trône de Naples et de Sicile jusqu’en 1860. De nombreuses branches bâtardes sont aussi issues de cette famille, dont certaines furent légitimées et jouèrent un certain rôle. À titre d’exemple, les Bourbons-Busset, les Vendômes, les Maines et les Toulouses. Bourbon (Charles de), cardinal, « roi de la Sainte Ligue » sous le nom de Charles X (la Ferté-sous-Jouarre, Seine-et-Marne, 1523 - Fontenay-le-Comte, Vendée, 1590). Fils de Charles de Bourbon-Vendôme, frère d’Antoine de Bourbon, Charles entre dans les ordres et accumule rapidement les bénéfices. Il est créé cardinal à 25 ans ; deux ans plus tard, il devient archevêque de Rouen. Son rôle politique au cours des décennies 1550 et 1560 n’est pas négligeable : c’est un proche de Catherine de Médicis. Mais son destin est surtout lié à celui de son neveu Henri de Navarre, dont il est parrain en 1554. Lorsque l’extinction des Valois se profile en 1584, avec la mort du dernier frère du roi Henri III, le cardinal de Bourbon représente un enjeu politique majeur. En effet, si les protestants sont exclus de la succession au trône, le respect de la loi salique doit lui donner la couronne. C’est la solution retenue par les Guises, l’Espagne et l’intéressé, au traité de Joinville (1585), que le roi est contraint d’entériner. Mais Charles de Bourbon, devenu l’un des porte-parole de la Ligue, est emprisonné sur ordre d’Henri III après l’exécution des Guises (décembre 1588). Son neveu Henri IV, qui succède à Henri III en août 1589, maintient en détention le vieux prélat, qui meurt l’année suivante. Il avait été proclamé roi, en 1589, sous le nom de Charles X par une grande partie du royaume, ralliée à la Ligue : cinq parlements jugeaient en son nom ; on battait même monnaie à son effigie. Sa mort aggrave la question successorale pour les ligueurs, car tous les autres Bourbons suivent Henri IV. Bourbon (Charles III, huitième duc de Bourbon, dit le Connétable de), connétable de France (Montpensier 1490 - Rome 1527). Issu d’une famille de princes du sang, il est, après la mort de son père et de son frère aîné, le seigneur d’immenses domaines au centre du royaume (Auvergne, Forez, Bourbonnais...), et, dès l’âge de 25 ans, accède downloadModeText.vue.download 110 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 99 au rang de connétable. En 1515, François Ier en fait son lieutenant général en Italie mais la puissance de ce vassal dérange. En 1521, le roi prétend rattacher à la couronne une partie des possessions de Suzanne de Bourbon - l’épouse du Connétable - qui vient de mourir : une longue controverse juridique, où s’affrontent les logiques opposées de la moderne unité monarchique et des anciennes prérogatives féodales, s’engage. À l’automne 1523, Bourbon passe au service de Charles Quint, qui le nomme aussitôt généralissime de ses troupes en Italie et lui laisse espérer un mariage princier, ainsi que l’investiture du duché de Milan. Après l’échec de l’invasion de la Provence en 1524, l’armée de Bourbon ravage la Lombardie durant l’année 1526, et, au début du printemps 1527, se dirige sur Rome à marche forcée : le 6 mai 1527, l’assaut est lancé contre la ville ; Bourbon est tué dès le début du combat ; ce qui n’empêche pas ses soldats de s’emparer de la capitale de la chrétienté et la mettre à sac. Ce pillage conclut symboliquement la légende noire du « traître » et du chef de guerre rebelle, qui mettait son armée au service de son ambition, au risque de masquer l’autre visage, plus traditionnel, du Connétable : celui d’un grand du royaume, dont la brillante carrière militaire allait naturellement de pair avec l’affirmation des droits du vassal face aux prétentions de son suzerain. Bourbon (Louis Henri Condé duc de) ! Condé (Louis Henri) Bourbonnais, pays du centre de la France, successivement seigneurie, duché, puis province. L’ancêtre des sires de Bourbon, Aimard, semble avoir été un familier de Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine. Entre 915 et 920, il abandonne la villa de Souvigny au monastère de Cluny. Mais c’est en 954 que se trouve mentionné pour la première fois le nom de Bourbon, dans un acte de son fils Aimon, dont les descendants, qui se prénomment Archambaud, ne portent toutefois le titre de sires de Bourbon qu’au début du XIe siècle. Ce sont de bien modestes personnages mais, même s’ils reconnaissent l’autorité du roi, leur seigneurie jouit d’une indépendance de fait. Au début du XIIe siècle, pour la première fois, un roi de France intervient dans cette seigneurie : en 1108 ou 1109, exerçant son droit de suzerain, Louis VI contraint à la soumission Aimon Vaire Vache, qui a évincé son neveu. Par la suite, une collaboration étroite s’instaure entre les rois de France et les seigneurs de Bourbon. En 1276, Béatrix de Bourbon épouse Robert de Clermont, fils de Louis IX. Les sires de Bourbon sont désormais membres de la famille royale. C’est à cette époque que l’on commence à employer l’expression « Bourbonnais » pour désigner la seigneurie. En décembre 1327, le roi Charles IV en fait un duché, érigé en pairie en 1328 par Philippe VI. Pour faire face aux dépenses de la guerre de Cent Ans et se défendre contre les « routiers », Louis II, duc en 1356, est conduit à développer les institutions de son duché. Il fait de Moulins sa capitale, dotée d’un château reconstruit et d’une collégiale. Le duché devient le centre d’un État princier qui englobe notamment le Forez, le Beaujolais, puis l’Auvergne. Mais pour obtenir ce dernier duché Louis II doit accepter que ses possessions deviennent un apanage royal. Les successeurs de Louis II - Jean Ier, Charles Ier, Jean II - comptent parmi les princes des « fleurs de lys », remplissant de hautes fonctions, fréquentant la cour et participant à ses intrigues. Sous Jean II, puis sous Pierre II, marié à Anne de France, Moulins devient un des centres littéraires et artistiques qui annoncent la Renaissance. L’apogée politique du duché se situe sous Charles III, le Connétable de Bourbon. Toutefois, ce duc fastueux et « mal endurant » se trouve entraîné dans un conflit avec le roi François ler et sa mère, Louise de Savoie. Malgré ses qualités d’homme de guerre, il n’est pas en mesure d’engager le combat et doit s’enfuir sur les terres de l’Empire. Son duché de Bourbon, réuni à la couronne en 1527, deviendra la province du Bourbonnais, puis le département de l’Allier. Bourgeois (Léon), homme politique (Paris 1851 - château d’Oger, Marne, 1925). Léon Bourgeois est une grande figure du radicalisme français. Juriste de formation, il s’engage dans une carrière administrative, s’illustrant dans l’arbitrage de conflits sociaux en tant que préfet du Tarn. Élu de la Marne, il est maintes fois nommé ministre, notamment du Travail et de l’Instruction publique, mais il ne reste président du Conseil que six mois, en 1895-1896. Il oeuvre pour l’enseignement secondaire moderne, l’enseignement post-scolaire et l’organisation des universités, et prône, sans succès immédiat, l’instauration de l’impôt sur le revenu et de l’assurance ouvrière obligatoire. Franc-maçon, Bourgeois est cependant un anticlérical modéré. Par le solidarisme, il entend donner des fondements rationnels à la morale sociale en justifiant la nécessaire solidarité par la dette de tout individu envers la société. Philanthrope, il joue un rôle déterminant dans la lutte contre la tuberculose, en tant que président de la Ligue nationale et créateur des dispensaires (loi de 1916). Il est aussi un partisan convaincu de la mutualité. Mais son plus grand titre de gloire reste son combat pour la paix, tant au tribunal d’arbitrage de La Haye à partir de 1899 qu’à la Société des nations, dont il préside, en 1920, le premier conseil. Pour ce rôle éminent, il se voit attribuer le prix Nobel de la paix, en décembre 1920. bourgeois de Calais ! Calais (bourgeois de) Bourges (pragmatique sanction de) ! concordats Bourgogne, ancienne province qui correspondait approximativement aux départements actuels de la Côte-d’Or et de Saôneet-Loire et au quart sud-est de l’Yonne (Avallonnais et Auxerrois). La Bresse de Bourg et le Bugey lui ont été rattachés en 1601, mais ne peuvent être considérés comme bourguignons. Malgré la présence de hautes terres (Morvan), la Bourgogne est avant tout une région de passage entre les plaines de la Saône, d’une part, les vallées de la Loire, de la Seine et de ses affluents, de la Meuse et du Rhin, d’autre part. Ce carrefour a servi de base à des dominations politiques aux limites variées. • Les origines. A l’époque celtique, deux grands peuples se partagent l’essentiel du futur territoire de la Bourgogne : les Lingons au nord et, surtout, les Éduens au sud, autour de leur oppidum de Bibracte (sur le mont Beuvray). Après la conquête romaine, marquée, en 52 avant J.-C., par l’épisode décisif du siège d’Alésia, Langres et Autun (Augustodunum, qui a remplacé Bibracte après 12 avant J.-C.) sont à la fois des chefs-lieux administratifs (des « cités »), des centres commerciaux (grâce à un excellent réseau routier) et les points d’appui d’un puissant processus de romanisation puis d’une christianisation relativement précoce. Le fait décisif est, à partir du milieu du Ve siècle, l’arrivée des Burgondes, Germains originaires du sud de la Scandinavie. Installés d’abord dans les Alpes du Nord, ils étendent peu à peu leur domination à l’ensemble des pays du Rhône et de la Saône et au sud-est du Bassin parisien. Leur royaume est conquis en 534 par les Francs. Dominé par une aristocratie issue aussi bien des grands propriétaires gallo-romains que des chefs barbares, ce territoire constitue une des grandes subdivisions de l’État mérovingien, puis de l’Empire carolingien. Mais le traité de Verdun (843) le scinde en deux parties très inégales : seul le quart nord-ouest, entre Loire et Saône, revient à Charles le Chauve, roi de Francie occidentale, le reste formant bientôt un royaume, rattaché par la suite à l’Empire germanique. Placés à la tête des pagi, subdivisions des anciennes cités, les comtes, de plus en plus indépendants du roi, s’efforcent de lutter contre les envahisseurs normands et hongrois : ainsi, autour de 900, le comte d’Autun, Richard le Justicier, que l’on peut considérer comme le premier duc (chef politique et militaire) de la Bourgogne occidentale, donc « française ». • Le temps des ducs capétiens. En 1032, Robert, fils puîné du roi de France Robert le Pieux, devient duc à titre héréditaire d’un grand fief qui correspond au noyau de la future province, autour d’Autun et de Dijon (choisie comme capitale), et auquel échappent Mâcon, Nevers, Auxerre, Sens, Troyes et Langres (qui appartenaient à l’ancienne Burgundia). Les ducs capétiens, qui se succèdent régulièrement jusqu’en 1361, s’appliquent, à l’image de leurs cousins de France, à étendre leurs domaines, à soumettre leurs vassaux les plus turbulents, à ébaucher un État en nommant prévôts, châtelains et baillis. Ils bénéficient, en tant que seigneurs, de la croissance démographique, des progrès des défrichements et de la prospérité agricole. Ils peuvent aussi s’appuyer sur les villes que ranime la renaissance du commerce (la grande route de l’Italie aux foires de Champagne passe par la Bourgogne) et auxquelles ils concèdent des chartes downloadModeText.vue.download 111 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 100 de franchise ou de commune. Ils se font les protecteurs d’une Église en plein renouveau : du Xe au XIIe siècle, grâce à la fondation et au rayonnement européen des abbayes de Cluny (909) et de Cîteaux (1098), la Bourgogne est au coeur de la chrétienté occidentale. Elle est aussi un des hauts lieux de l’art roman, ainsi qu’en témoignent les églises de Cluny, Parayle-Monial, Tournus, Vézelay, Saint-Lazare d’Autun, Fontenay. Moins original et moins prestigieux, le gothique bourguignon a produit cependant quelques chefs-d’oeuvre tels que Saint-Étienne d’Auxerre et Notre-Dame de Dijon. • L’apogée au temps des ducs valois. En 1363, le roi Jean le Bon concède en apanage le duché de Bourgogne, alors en déshérence, à son fils cadet Philippe le Hardi : ce dernier régnera jusqu’en 1404, et ses descendants se maintiendront jusqu’en 1477. Une habile politique matrimoniale permet à cette famille, à partir de 1384, d’étendre peu à peu son autorité sur un vaste ensemble de territoires de part et d’autre de la frontière entre la France et l’Empire germanique. Celui-ci comprend, outre le duché (agrandi en 1435 des comtés de Bar-sur-Seine, Auxerre et Mâcon), le comté de Bourgogne (Franche-Comté) et surtout une grande partie des Pays-Bas, de l’Artois à la Hollande et de la Flandre au Luxembourg : c’est une des régions les plus riches de l’Europe. De là vient l’essentiel de la puissance de ces « grands ducs d’Occident », qui permet successivement à Jean sans Peur (fils de Philippe le Hardi) d’imposer quelque temps en France l’hégémonie du « parti bourguignon » ; à Philippe le Bon de pratiquer une politique d’équilibre entre les Anglais et Charles VII, et d’obtenir en 1435 la rupture du lien de vassalité qui le rattachait à celui-ci ; à Charles le Téméraire, enfin, de rêver d’une couronne royale que lui conférerait l’empereur Frédéric III. La Bourgogne proprement dite, desservie par le déplacement vers l’est des principales routes commerciales, affaiblie par les opérations militaires et les passages de troupes liés à la guerre de Cent Ans, apparaît comme un élément secondaire du vaste ensemble « burgundo-flamand ». La pratique du mécénat par les princes et leur entourage lui permet cependant de devenir un des lieux privilégiés de l’ultime floraison de la civilisation médiévale. Poètes et chroniqueurs écrivent évidemment en français, mais l’influence de l’art du Nord s’exerce souverainement à la chartreuse de Champmol (le « Saint-Denis » des ducs, aux portes de Dijon), où travaillent Claus Sluter et ses disciples, et à l’hôtel-Dieu de Beaune, création du chancelier Nicolas Rolin. Les institutions du duché évoluent parallèlement à celles du royaume. Une Chambre du conseil seconde le duc et sert de tribunal suprême, concurremment avec les Jours généraux de Beaune. Une Chambre des comptes contrôle les châtelains, receveurs et baillis nommés par le duc, qui reçoit périodiquement des députés des trois ordres le droit de percevoir les impôts nécessaires au luxe de sa cour et à une politique extérieure active et souvent belliqueuse. Mais la construction géopolitique des ducs valois est artificielle et fragile : l’unité de ces territoires dispersés et disparates repose surtout sur la personne du prince. Lorsque Charles le Téméraire, incapable de concentrer ses forces contre son principal adversaire, Louis XI, meurt au siège de Nancy le 5 janvier 1477, le rattachement du duché de Bourgogne au domaine royal s’effectue sans difficulté majeure. • Une province originale. L’annexion n’est d’abord pas admise par les légitimes héritiers du dernier duc : la Bourgogne est revendiquée par Maximilien de Habsbourg, qui a épousé Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, puis par leur petit-fils, l’empereur Charles Quint, jusqu’en 1544. Mais leurs prétentions ne suscitent localement à peu près aucun écho. La Bourgogne reste d’ailleurs le plus souvent à l’abri des opérations militaires grâce au traité de neutralité signé avec la Franche-Comté habsbourgeoise en 1508, et renouvelé par la suite. Elle sera cependant sévèrement atteinte par les guerres de Religion (« chevauchées » des « reîtres » protestants, puis luttes entre ligueurs et royalistes), et, surtout, après la rupture du traité de neutralité, lors de la guerre de Trente Ans, de 1636 à 1648. Il lui faudra subir encore les dures épreuves de la Fronde et les terribles famines de la fin du règne de Louis XIV. La Bourgogne connaîtra la paix et une relative prospérité pendant la première moitié du XVIe siècle, le début du XVIIe et l’époque des Lumières. À partir de 1646, la province forme un gouvernement, confié aux princes de Condé, assez peu présents, mais influents, et une généralité, dont l’intendant, installé à Dijon, est, comme ailleurs, l’agent le plus fidèle du roi. Mais deux institutions traditionnelles résistent, dominées par l’aristocratie de la province, dont elles se targuent de défendre les « libertés » : les états, dominés par le haut clergé, la noblesse et d’étroites oligarchies urbaines ; le parlement, héritier des Jours généraux, dont les officiers, issus d’anciennes lignées bourgeoises, sont quasiment tous nobles et grands propriétaires, les guerres et les crues fiscales de la période 1560-1660 ayant été très favorables aux opérations de concentration foncière et de consolidation du régime seigneurial. Réduits à l’obéissance sous le règne personnel de Louis XIV, les hauts magistrats dijonnais, tout comme leurs homologues parisiens, retrouvent, au XVIIIe siècle, des réflexes d’opposants, et leur dénonciation du « despotisme » n’est souvent que la défense de leurs privilèges. À la fin de l’Ancien Régime, le tableau est contrasté. La lente croissance de la production agricole et métallurgique, celle des activités commerciales (les grands vins s’exportent dans l’Europe entière), l’éclat de la vie intellectuelle et artistique dans les villes, contrastent avec l’archaïsme de la société rurale (un tiers des communautés sont encore mainmortables), le poids des droits seigneuriaux, l’insatisfaction des « hommes à talents » du tiers état privés d’influence. L’action de bourgeois entreprenants et le malaise paysan aidant, la Révolution suscitera une large adhésion et la Bourgogne du XIXe siècle sera en majorité « patriote », libérale et républicaine. En 1790, le territoire de la province est divisé en trois départements, qu’aucune institution commune ne réunira avant 1960. L’actuelle région de Bourgogne, qui inclut la Nièvre, souffre de l’attraction exercée par Paris et Lyon, et excède les limites de la zone dijonnaise, assez proche du duché du XIe siècle. Bourguiba (Habib), homme d’État tunisien (Monastir, sans doute en 1900 [les biographies officielles indiquent 1903]- id. 2000). Issu de la petite bourgeoisie, il étudie le droit à Paris, rentre à Tunis en 1927 et ouvre un cabinet d’avocat en 1931. En 1932, il fonde le journal nationaliste l’Action tunisienne, s’impose comme chef de file du Néo-Destour lors de sa création en 1934, et se retrouve interné pendant vingt mois dans le Sud algérien. Libéré en 1936, il est à nouveau appréhendé au lendemain de l’émeute d’avril 1938, et transféré en France. Remis en liberté par les Allemands à Lyon, en décembre 1942, il se rend à Rome, puis regagne Tunis en avril 1943. Très surveillé, il reprend bientôt le chemin de l’exil et s’enfuit au Caire (avril 1945), où il plaide la cause de l’indépendance tunisienne. À son retour à Tunis en septembre 1949, il reçoit un accueil triomphal de ses compatriotes, qui le saluent du titre de « Combattant suprême ». Il n’en reste pas moins en butte à l’hostilité des agents du protectorat et le résident général, Jean de Hauteclocque, le fait arrêter en janvier 1952. Successivement interné en Tunisie et en France, il regagne Tunis le 2 juin 1955. Peu après les accords d’indépendance du 20 mars 1956, il est nommé chef du gouvernement, puis devient président de la République après avoir écarté le bey (25 juillet 1957). Jusqu’aux années 1980, il parvient à assurer à son pays une stabilité exceptionnelle dans le monde arabo-musulman. Atteint de sénilité, il est déposé par son Premier ministre, le général Ben Ali, le 7 novembre 1987. bourguignon (État), principauté s’étendant, au XVe siècle, du Jura à la Hollande, sous la domination des Valois, ducs de Bourgogne. Le duché de Bourgogne constitue le coeur historique de l’État bourguignon ; revenu à la couronne de France en 1361, il est donné en apanage par Jean le Bon à son fils cadet Philippe le Hardi, en 1363. En quelques décennies, ce dernier, mêlant habilement al- liances matrimoniales et coups de force, crée une vaste zone d’influence dans le nord de l’Europe : époux de Marguerite de Flandre, il devient, en 1384, comte de Flandre, d’Artois et de Bourgogne, avec le soutien du roi de France, Charles VI, victorieux des Flamands à Rosebecke en 1382. Son fils Jean sans Peur (duc de 1404 à 1419) poursuit cette politique en imposant sa protection à la principauté de Liège (1408). Mais Jean sans Peur joue également une partie serrée à Paris, où il dispute à Louis d’Orléans, frère de Charles VI, la mainmise sur les affaires du royaume : la lutte d’influence entre Armagnacs et Bourguignons, qui s’allient tour à tour aux Anglais, se solde par son assassinat (1419). Son fils Philippe le Bon (duc de 1419 à 1467) poursuit avec succès cette politique qui vise à constituer un État autonome : par héritage, confiscation ou occupation, il fait entrer dans l’orbite bourguignonne Namur (1421), le Brabant et Anvers (1430), le Hainaut, la downloadModeText.vue.download 112 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 101 Hollande, la Zélande et la Frise (1428-1432), le Luxembourg (1433) et Utrecht (1455). Après s’être allié avec les Anglais lors du traité de Troyes (1420), il revient à l’alliance française et signe avec Charles VII le traité d’Arras (1435), par lequel il est libéré de son lien de vassalité envers le roi de France en échange d’une reconnaissance de la souveraineté de ce dernier sur toute l’étendue du royaume. Émancipé de la tutelle française, Philippe le Bon, surnommé « le Grand Duc d’Occident », gouverne un puissant État depuis sa cour de Bruxelles. Il lui assure une organisation efficace, et le dote des instruments nécessaires à son indépendance et à son rayonnement : les universités de Dole et de Louvain, une monnaie d’or appréciée (le philippus), l’ordre de la Toison d’or. Cependant, privé de continuité territoriale - sa partie flamande est coupée de sa partie bourguignonne par la Lorraine et par l’Alsace -, l’État bourguignon est voué à l’expansion. Charles le Téméraire (1467/1477), fils de Philippe le Bon, occupe donc la Lorraine et l’Alsace, et caresse l’espoir de reconstituer à son profit l’ancienne Lotharingie, dont l’empereur Frédéric III de Styrie le ferait roi. Louis XI a raison de ce rêve et du Téméraire, qui est tué au siège de Nancy, le 5 janvier 1477. L’État bourguignon est alors démembré : tandis que le duché de Bour- gogne retourne à la France, le reste de l’État entre dans le patrimoine des Habsbourg lors du mariage de l’unique héritière, Marie de Bourgogne, avec Maximilien Ier. Le royaume de France est enserré pour deux siècles dans la tenaille hispano-impériale. Bourguignons ! Armagnacs et Bourguignons Bourse, marché des valeurs mobilières. Il faut attendre 1724 pour que l’État autorise la création d’une Bourse officielle. Voulant éviter le renouvellement de l’expérience de Law, qui s’était soldée par une spéculation effrénée, puis par une banqueroute retentissante (1719-1721), il impose à la nouvelle institution des règles strictes, faisant appel à l’expérience des agents de change qui, depuis le Moyen Âge, animaient un marché d’effets de commerce. Cette Bourse reste cependant embryonnaire ; seules trois sociétés sont cotées. Sous l’Empire, le retour à l’ordre institutionnel et financier permet de lancer à Paris une Bourse, qui devient bientôt une véritable Bourse des valeurs au comptant et à terme, installée dans le palais Brongniart (1826). • L’essor boursier au xixe siècle. L’augmentation de l’épargne bourgeoise, l’essor de la rente publique, la multiplication des sociétés par actions, expliquent le développement de la Bourse dans les années 1840-1870. Malgré quelques crises, le marché financier connaît une expansion grâce à la mobilisation de l’épargne des classes moyennes. Le nombre de sociétés cotées passe de 30 en 1830 à 2 000 en 1900, et Paris devient la seconde place financière mondiale derrière Londres, puis New York. L’État lance de vastes emprunts pour régler l’indemnité due à l’Allemagne après la guerre de 1870, puis pour financer la Première Guerre mondiale et la reconstruction, et, dans les années trente, le déficit public et le réarmement. L’animation du marché repose sur les banques : les syndicats de garantie et de placement permettent la réussite des opérations d’émission de titres ; des syndicats de soutien des cours empêchent la baisse excessive des cours, que la Caisse des dépôts et consignations régularise par le jeu de ses propres arbitrages sur les valeurs de son portefeuille de placements ; les clients des banques obtiennent des crédits (les « reports ») pour leurs opérations à terme. Détenteurs d’une « charge », les agents de change ont le monopole de l’intermédiation boursière à partir de 1885-1890 ; ils réalisent les transactions, administrent le « parquet » (terme désignant le marché) et gèrent des portefeuilles de clients. En province, des Bourses sont créées à Lyon, à Marseille, à Nancy et à Bordeaux. Un marché parallèle, la « coulisse » (hors cote), occasion de spéculations mais facteur de souplesse pour la percée de titres, est institué pour les valeurs moins solides. • La dynamisation du marché boursier. Tout au long du XXe siècle, les cours de la Bourse suivent une évolution chaotique : l’inflation des années 1915-1926 et la chute du régime tsariste en Russie font perdre de l’argent aux épargnants ; ensuite, les cours remontent entre 1926 et 1930 ; jusqu’en 1954, la Bourse stagne en raison de la dépression des années trente, de la guerre, du poids des bons du Trésor dans l’épargne, des nationalisations de 1936 et de 1945-1946, qui soustraient des valeurs intéressantes au marché. Suivent une période de hausse des cours (1954-1962), due à la reprise économique, puis, de nouveau, des années de stagnation (1963-1968), avant l’entrée dans la crise (1973-1978). En 1977, la capitalisation boursière sur la place de Paris ne représente que 3,4 % de celle de New York, 13 % de celle Tokyo, 28 % de celle de Londres. L’État relance alors le marché afin de financer l’expansion. Il autorise la création de produits d’épargne alléchants (sicav), qu’il favorise par des avantages fiscaux. Les besoins des entreprises, les restructurations capitalistiques, les batailles boursières, stimulent la Bourse. Un mouvement à la hausse se développe de 1978 à 1987 et de 1990 à 1994, encouragé par les privatisations, qui permettent un accroissement spectaculaire du nombre de petits porteurs. Le marché parisien s’adapte aux énormes besoins de financement tant de l’État, surendetté, que des firmes multinationales ; il doit en outre devenir compétitif face aux marchés anglo-saxons et japonais. Après la fusion des marchés à terme et au comptant (1983), le marché financier entre dans l’ère de la déréglementation (1986-1988) : intégration des Bourses provinciales et parisienne dans un seul marché ; fin du monopole des agents de change avec le transfert de l’intermédiation à des « sociétés de Bourse » désormais contrôlées, pour la plupart, par les banques ; suppression en 1987 de la « corbeille » autour de laquelle s’effectuaient les transactions et mise en place d’un vaste système de gestion électronique par télétransmission. Des marchés spécialisés sont créés pour faciliter l’insertion de la place parisienne dans les circuits de financement mondiaux : au marché des actions et obligations, complété par le « second marché » réservé aux firmes ouvrant leur capital, s’ajoutent des marchés d’options négociables (MONEP, 1987) et d’instruments financiers à terme (MATIF), qui sont segmentés en de multiples marchés hautement volatils. L’intensification des contrôles et de la régulation répond à cette libéralisation : afin d’éviter la manipulation des cours, les délits d’initié, la diffusion d’informations tronquées, la spoliation des petits porteurs par des coalitions de financiers, les pouvoirs de la Commission des opérations de Bourse (COB), créée en 1967, sont étendus en 1988 ; la Société des Bourses françaises, créée la même année et qui gère le marché, renforce elle aussi le dispositif réglementaire. bourse du travail, forme d’organisation locale du mouvement ouvrier apparue à la fin des années 1880. On considère cependant que la conception en revient à l’économiste libéral Gustave de Molinari (1819-1912), qui, à partir de 1843, propose la création d’une institution mettant directement en rapport offreurs et demandeurs d’emploi. En 1857, il fonde d’ailleurs un journal intitulé la Bourse du travail. La première bourse du travail est instituée par le conseil municipal de Paris, en 1887, dans un esprit assez différent : il s’agit alors de mettre un local à la disposition des chambres syndicales. Nîmes, Marseille, puis Saint-Étienne, imitent bientôt la capitale. Le 7 février 1892, leurs représentants se réunissent à Saint-Étienne, pour créer la Fédération des bourses du travail, sur laquelle Fernand Pelloutier exerce une influence tout à fait décisive de 1895 à sa mort, en 1901. En 1892, on compte 14 bourses du travail ; en 1901, 74 ; en 1908, 157, toutes subventionnées par les municipalités et parfois par les conseils généraux, même modérés. En 1914, elles rassemblent 2 199 syndicats et quelque 500 000 membres. La bourse constitue à la fois une mutualité qui assure le placement, un recours pour les accidentés du travail et les chômeurs, et un lieu d’accueil pour les travailleurs migrants. En outre, elle devient vite une organisation de « résistance » qui assiste les ouvriers en grève, et un outil de propagande en faveur de la création des syndicats et des coopératives. Enfin, souvent dotée d’une bibliothèque, elle représente un lieu de culture où sont dispen- sés des enseignements généraux et professionnels. Des enquêtes concernant les effets du travail industriel sur la santé y sont également menées en collaboration avec des médecins. Cette forme d’organisation ouvrière est sans doute la structure la mieux adaptée au rassemblement de la main-d’oeuvre de l’industrie et des vieux métiers urbains. Elle enracine, sur une base locale et non pas professionnelle, un mouvement ouvrier dont l’une des grandes originalités est de combiner ces deux dimensions, notamment grâce à l’organisation de la CGT, qui, créée en 1895, accueille la Fédération des bourses à partir de 1902. Enfin, les bourses du travail constituent l’un des creusets où se développent le syndicalisme révolutionnaire et l’idée de grève générale. Durant les années 1906-1909, pludownloadModeText.vue.download 113 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 102 sieurs d’entre elles jouent un rôle moteur dans l’agitation ouvrière, et voient d’ailleurs leurs subventions suspendues. Bouvines (bataille de), victoire du roi de France Philippe Auguste, le 27 juillet 1214, contre une coalition réunissant l’empereur Otton IV, le roi d’Angleterre Jean sans Terre, le comte de Flandre Ferrand de Portugal et le comte de Boulogne Renaud de Dammartin. Au soir du dimanche 27 juillet 1214, la coalition qu’a suscitée Jean sans Terre est vaincue. Philippe Auguste a mis en fuite Otton IV de Brunswick et fait prisonnier Ferrand de Portugal. Victorieux le jour de la Trêve de Dieu, il a prouvé la justesse de son combat. • L’aboutissement d’une longue lutte contre les Plantagenêts. En 1204, le roi de France a conquis la Normandie, confisquée à Jean sans Terre en 1202. Ce dernier rassemble depuis lors, autour de lui, tous ceux qui ont des motifs d’hostilité à l’égard du roi de France. Ainsi, dans les premières années du XIIIe siècle, une intense activité diplomatique est déployée de part et d’autre de la Manche, mais aussi de part et d’autre de l’Escaut, qui sépare le royaume de France de l’Empire. Renaud de Dammartin, ami et protégé du roi de France, perpétuel mécontent, trahit son suzerain et traverse la Manche. Le comte de Flandre se remet mal d’avoir dû abandonner au prince Louis les châtellenies de Saint-Omer et d’Aire-sur-la-Lys. L’empereur Otton de Brunswick, enfin, neveu de Jean sans Terre, a d’abord été soutenu par le pape Innocent III, mais, depuis 1210, il est excommunié. Philippe Auguste soutient son concurrent, le jeune Frédéric de Hohenstaufen, futur Frédéric II. Le roi de France tire profit également des difficultés de Jean sans Terre avec le pape Innocent III. Excommunié en 1212, Jean sans Terre est menacé l’année suivante d’une invasion par le roi de France, bras armé du pape. Il ne doit son salut qu’à une soumission complète à Innocent III, à qui il remet son royaume, désormais fief du Saint-Siège. La coalition se reforme l’année suivante, et applique un plan d’encerclement : tandis que Jean sans Terre doit attaquer en Aquitaine, les armées flamandes et impériales se portent au nord. Le 2 juillet 1214, à la Roche-au-Moine, en Poitou, le prince Louis chasse Jean sans Terre, mettant fin à la menace qui pèse sur le royaume. Ne reste à Philippe Auguste qu’à livrer bataille au nord. • Conséquences et écho d’une bataille. La victoire de Bouvines, à laquelle participent les contingents envoyés par les communes du nord de la France et les évêques du Conseil royal, a durablement marqué les esprits. Les chroniques contemporaines célèbrent un événement qui s’enrichit au fil des versions : la légende s’empare de l’histoire, et devient la victoire du bien sur le mal. L’abbaye de la Victoire de Senlis est fondée pour commémorer la bataille. La bataille de Bouvines assure l’hégémonie capétienne en France et en Occident ; à ce titre, c’est une victoire fondatrice, qui a, en outre, pour conséquences qu’Otton de Brunswick, battu, laisse la place à Frédéric de Hohenstaufen, tandis que Jean sans Terre, rentré en Angleterre, doit accepter la Grande Charte que lui imposent en 1215 barons et communes. L’année suivante, le prince Louis peut tenter de conquérir la couronne d’Angleterre. • Oubliée aux siècles suivants, la bataille de Bouvines connaît aux XIXe et XXe siècles une exploitation politique aussi importante que celle de la figure de Jeanne d’Arc. Pendant la Restauration, Guizot fait valoir les mérites des contingents des communes rassemblés sous l’égide de la royauté, alors que Michelet ne peut se résigner à encenser une victoire « cléricale ». À partir de 1870, l’esprit de revanche et les mouvements nationalistes l’érigent en symbole. À la fois victoire contre les Allemands, victoire du peuple sur la féodalité et première manifestation du patriotisme français, la bataille se voit, à l’occasion de son septième centenaire, célébrée par l’Action française, l’armée et l’État. Seuls les socialistes refusent de s’associer aux manifestations. C’est l’apogée historiographique d’une victoire qui, aujourd’hui, ne recueille que quelques lignes dans les manuels, mais qui a encore pu intéresser, à titre ethnographique, la « nouvelle histoire » (le Dimanche de Bouvines, de Georges Duby, 1973). Branly (Édouard), universitaire et physicien (Amiens 1844 - Paris 1940). Reçu à l’École normale supérieure en 1865, Branly y demeure plusieurs années, après sa scolarité, en tant que directeur adjoint du laboratoire de physique. Nommé professeur au collège Rollin en 1875, il enseigne ensuite à l’Institut catholique de Paris. Docteur ès sciences, il est également docteur en médecine, et c’est à ce titre qu’il s’intéresse au mécanisme de transmission des influx nerveux dans les synapses, points de contact entre les neurones. Ces recherches orientent son attention vers le problème des contacts électriques imparfaits (passage du courant à travers un alignement serré de billes métalliques ou une couche de limaille). En 1890, il imagine le radioconducteur, ou « cohéreur » à limaille, qui permet la réception des signaux de télégraphie sans fil. Les applications seront nombreuses et d’une immense portée. C’est en perfectionnant l’appareil de Branly que le physicien anglais Oliver Lodge parviendra, en 1894, à effectuer la première transmission radio et à réaliser un récepteur propre aux utilisations industrielles ; et c’est en 1896 que l’Italien Marconi, combinant les découvertes de Branly et de Hertz, réalise un émetteur d’ondes capable de transmettre à distance. En 1891, Branly découvre l’action rayonnante de tiges métalliques verticales reliées à l’émetteur - les futures « antennes ». Il est reçu à l’Académie des sciences en 1911. Brantôme (Pierre de Bourdeilles, seigneur et abbé de), homme de guerre et mémorialiste (Bourdeilles 1537 ou 1540 id. 1614). Voué par son père à la carrière ecclésiastique, Brantôme s’éloigne rapidement de l’Église et entame une vie d’aventure, qui le conduit d’abord en Italie, puis en Écosse. À partir de 1562, il prend part aux batailles contre les huguenots, et, entre deux combats, se joint à des expéditions contre les Turcs, au Maroc (1564) puis à Malte (1566). Gentilhomme ordinaire de la Chambre d’Henri III, il éprouve une vive amertume lorsque, en 1582, le sénéchalat de Périgord, que le roi lui avait promis, échoit à un autre. Tenté d’offrir ses services au roi d’Espagne, il en est empêché par une chute de cheval qui le réduit à l’immobilité pour plusieurs années. Dès lors, toute son énergie s’oriente vers l’écriture, et le gentilhomme périgourdin ne quitte plus ses terres que pour de brefs voyages. Ses Mémoires se composent des Vies des dames illustres, des Vies des hommes illustres et des grands capitaines, et des Vies des dames galantes. C’est ce dernier ouvrage, publié seulement en 1666, qui lui vaudra à la fois une réputation de scandale et l’admiration de nombreux écrivains. Galerie de portraits piquants et d’anecdotes volontiers licencieuses, ces chroniques de la vie amoureuse sous les derniers Valois sont l’oeuvre d’un conteur plus que d’un historien. Elles n’en témoignent pas moins, avec une remarquable liberté de ton, de l’évolution du sentiment et de la sexualité à la fin de la Renaissance. Brazza (Pierre Savorgnan de), explorateur et administrateur (Castel Gandolfo, près de Rome, 1852 - Dakar 1905). Issu d’une famille italienne, le jeune Brazza est reçu à l’École navale en 1868, à titre étranger. Après avoir pris part à la guerre de 1870, il demande et obtient sa naturalisation. Envoyé en Algérie afin d’y réprimer l’insurrection kabyle, il ne participe à l’opération qu’avec réticence et forge les convictions pacifistes qui seront désormais les siennes. À l’issue d’une croisière au large des côtes du Gabon en 1874, il sollicite l’autorisation d’explorer le fleuve Ogooué. Son voyage commence au début de l’année 1876. Après avoir pénétré des territoires inexplorés, il doit rebrousser chemin devant l’opposition des peuples riverains. Il rentre à Paris à la fin de l’année 1878. Déclinant les offres de Léopold II de Belgique, il comprend que le Congo suscite d’intenses convoitises territoriales et met tout en oeuvre pour réactiver l’influence française dans la région. Il est alors chargé d’une seconde mission, au cours de laquelle il fonde sur l’Ogooué le poste de Franceville et signe un traité avec Makoko, le roi des Tékés, qui accepte le protectorat français (10 septembre 1880). Après une campagne de propagande en faveur de l’ex- pansion coloniale, il est nommé commissaire général du Congo français. Mais son oeuvre d’administrateur se heurte, à partir de 1896, à l’ambition des grandes sociétés coloniales. Il est relevé de ses fonctions en 1898. Chargé en 1905 d’enquêter sur les exactions commises à l’encontre des populations indigènes, il meurt, épuisé et découragé, au cours de cette dernière mission. Brazzaville (conférence de), conférence réunie par le général de Gaulle à Brazzaville, du 30 janvier au 8 février 1944, afin de jeter downloadModeText.vue.download 114 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 103 les bases d’une nouvelle politique coloniale et de définir les nouveaux liens institutionnels entre la France et l’outre-mer. Sous la présidence de René Pleven, commissaire aux Colonies du Comité français de libération nationale, cette conférence réunit essentiellement les gouverneurs des colonies et des experts - pour la plupart, des fonctionnaires - mais aucun Africain. Affirmant sans ambages que la France entend conduire les peuples d’outre-mer à la liberté de s’administrer eux-mêmes, le discours inaugural du général de Gaulle connaît un grand retentissement dans toute l’Afrique. Au cours des travaux, les thèses fédéralistes des gouverneurs Lapie, Éboué et Laurentie sont mises en échec par les « jacobins », conduits par le gouverneur antillais Saller, partisans de l’assimilation et de l’administration directe. Les recommandations finales mettent en avant la représentation parlementaire des colonies, la création d’assemblées locales, la suppression du régime de l’indigénat et du travail forcé, mais rejettent toute perspective d’autonomie : « La constitution éventuelle, même lointaine, de self governments est à écarter. » En dépit de cette restriction, la conférence n’en a pas moins une grande résonance dans tout l’Empire : elle annonce des temps nouveaux et la disparition - à terme - du vieil ordre colonial. Bretagne, région qui occupe la péninsule armoricaine, dans l’ouest de la France. Son territoire historique, tel que défini en 851 (traité d’Angers entre Charles le Chauve et Érispoë), correspond aux départements actuels de Loire-Atlantique, d’Ille-et-Vilaine, des Côtes-d’Armor, du Morbihan et du Finistère. Un bref moment royaume, puis duché, ce territoire devient en 1532 (édit d’Union) une province du royaume de France. Lors du découpage régional intervenu en 1941, la Bretagne est amputée de la Loire-Atlantique. La capitale de Région est Rennes. • La naissance de la Bretagne. La première désignation de l’Armorique, sous le nom de Britannia, date de la fin du VIe siècle. Elle consacre une migration déjà ancienne de Bretons venus du pays de Galles et du sud-ouest de l’Angleterre, soldats de l’armée romaine, paysans aussi. Leur intégration est facilitée par la lenteur de la migration - qui, toutefois, s’accélère au début du Ve siècle - et par la proximité de langue : une synthèse s’opère entre le dialecte des insulaires et le gaulois que parlent encore la majorité des Armoricains. Cette immigration laisse des traces dans la toponymie : les tré (Trébeurden) et, surtout les plou (Plougastel), lan (Landévennec) et gui (Guimiliau), qui renvoient à une structure religieuse. En effet, déjà évangélisés, les Bretons s’organisent directement en paroisses, à la différence de la pratique continentale habituelle où l’évêque citadin est à la tête d’une structure très hiérarchisée : le très fort sentiment d’appartenance à la paroisse trouve là son origine. Cette implantation, jamais exclusive, est cependant très marquée à l’ouest d’une ligne qui court du Mont-Saint-Michel à Savenay, entre Saint-Nazaire et Nantes. Les contacts avec les Francs, puis les Carolingiens, fluctuent au gré des rapports de force. Malgré les succès de Pépin le Bref, qui peut imposer une Marche de Bretagne, qui est confiée à Roland (la victime de Roncevaux, en 778...), malgré des concessions comme la reconnaissance de Nominoë en tant que représentant de l’empereur, les Carolingiens ne parviennent pas à s’imposer durablement. En 851, ils doivent reconnaître Érispoë, fils de Nominoë, comme roi de Bretagne. L’apogée territorial est atteint sous le roi Salomon, quand les Carolingiens lui cèdent une partie du Maine (868), puis le Cotentin. C’est aussi l’époque où les abbayes bretonnes connaissent leur plus grand rayonnement culturel, dont nous sont parvenus de magnifiques manuscrits, évangéliaires et vies de saints réalisés à Landévennec, ou bien encore le cartulaire de l’abbaye de Redon, l’un des plus remarquables documents sur la société et l’économie de l’Europe carolingienne. Les dissensions internes à la Bretagne et, surtout, la très forte pression des Normands mettent un terme à cet essor : les frontières orientales sont établies définitivement au début du Xe siècle à leur emplacement actuel, et c’est seulement en 939 qu’Alain Barbetorte parvient à chasser les Normands. • Le duché de Bretagne. Contestés par l’aristocratie, soumis aux pressions de leurs puissants voisins anglo-normands et français, les nouveaux ducs peinent à faire reconnaître leur autorité : en 1234, Pierre Mauclerc se soumet au roi de France, mais c’est seulement en 1297 que Philippe le Bel reconnaît le titre ducal. Les abus des féodaux et l’ambition des clercs - qui explique la popularité du « bon » prêtre trégorois Yves Hélori (saint Yves) - ne doivent pas masquer un essentiel affermissement de l’autorité du duc. Les neuf évêchés installés au Xe siècle constituent désormais un découpage territorial stable jusqu’à la Révolution, et identifient des « pays » comme le Trégor ou le Léon. La pratique du breton, à l’ouest d’une ligne menant de Saint-Brieuc à Saint-Nazaire, se stabilise presque définitivement et identifie la basse Bretagne. L’essor démographique se traduit par de nouvelles implantations humaines, que désignent par exemple les noms en ker, ou leur équivalent en haute Bretagne (la Ville-). Parallèlement, commence à se développer le commerce du vin, importé, ou l’exportation du sel des marais salants de Guérande et de Bourgneuf. Au début du XIVe siècle est mise en forme la Très Ancienne Coutume de Bretagne, recueil des règles fixées par le droit coutumier. L’absence d’héritier direct à la mort de Jean III, en 1341, dans le contexte du grand affrontement franco-anglais naissant, entraîne cependant la Bretagne dans une guerre de succession entre, d’une part, Charles de Blois - soutenu par son oncle, le roi de France, et le clan de sa femme, les Penthièvre - et, d’autre part, Jean de Montfort, soutenu par l’Angleterre. La captivité de Charles de Blois en Angleterre pendant neuf ans, le célèbre combat des Trente entre Anglais et Bretons partisans de Blois, les premiers exploits de du Guesclin, marquent très durablement les mémoires, chansons et exploits légendaires à l’appui. Mais le duché sort très affaibli de vingttrois ans de luttes. Avec la mort de Charles de Blois à la bataille d’Auray, en 1364, s’achève une guerre dont les soubresauts se font sentir jusqu’à la fin du siècle. Le règne de Jean V (1399/1442) apporte un retour à la paix, d’autant plus apprécié que sévit alors la guerre de Cent Ans, qui s’étend parfois, il est vrai, jusqu’à Nantes ou Rennes. La Bretagne continue à se dépeupler, mais elle souffre infiniment moins que le reste du royaume. En outre, Jean V mène une politique d’indépendance, grâce à la création d’institutions étatiques solides, à un mécénat munificent (Notre-Dame du Folgoët, par exemple) et à une neutralité diplomatique qui permet de nouer des relations avec la plupart des souverains d’Europe occidentale. La création de l’université de Nantes, en 1460, renforce encore ce qui n’est pourtant que rêve d’indépendance. La disparition du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, en 1477, fait en effet basculer définitivement le rapport de forces en faveur du roi de France. Le coût de la politique d’indépendance, la résistance d’aristocrates qui ont déjà des intérêts auprès du puissant souverain, la faiblesse du duc François II, font le reste. En 1485, le trésorier du duché, Pierre Landais, symbole de la volonté d’indépendance, est abandonné à son sort par le duc : les injures dont le couvrent les Nantais, et sa pendaison au terme d’un procès inique, marquent tout autant la fin du duché que les défaites militaires subies devant les troupes royales en 1488 (Saint-Aubin-du-Cormier) et en 1491. Anne, héritière du duché, doit épouser le roi Charles VIII, puis Louis XII, et sa fille Claude se marie avec François Ier. En 1532, la Bretagne est définitivement réunie à la France. Le titre ducal disparaît en 1547, lorsque le dauphin Henri, duc de Bretagne, accède au trône de France. • De l’âge d’or au déclin ? L’intégration au royaume se déroule relativement bien, grâce à l’exceptionnelle prospérité que connaît la Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. Cet âge d’or est celui d’une agriculture remarquablement diversifiée, d’une industrie métallurgique puissante pour l’époque et, surtout, d’une industrie toilière qui exporte partout en Europe occidentale et en Amérique ses « crées » et « bretagnes » de lin fin, et ses toiles de chanvre pour les voiles et les emballages. Le XVIe siècle voit l’apogée des rouliers des mers bretons, qui font vivre une centaine de ports dans la province. Cette fortune permet un épanouissement artistique, dont témoignent les admirables enclos paroissiaux, les centaines de retables baroques, les milliers de manoirs et quelques grands monuments tel le Palais du parlement à Rennes. À la fin du XVIIe siècle, la Bretagne totalise presque 10 % de la population du royaume, mais la dispersion de la production et du capital, la politique guerrière de Louis XIV, préjudiciable au commerce, affectent profondément l’économie : c’est cette crise que traduisent la grande révolte des Bonnets rouges et les émeutes urbaines du Papier timbré (1675). La fortune se concentre désormais de plus en plus dans les mains de la noblesse et des bourgeoisies marchandes - à Saint-Malo, à Nantes, voire à Lorient, grâce à la CompadownloadModeText.vue.download 115 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 104 gnie des Indes. C’est l’époque du commerce antillais et de la traite négrière, qui assurent la richesse de Nantes au XVIIIe siècle ; l’époque aussi du « désert » de campagnes devenues souvent misérables ; de conflits aigus entre les privilégiés du parlement, soutenus par la noblesse - parfois bien maladroitement, comme dans le cas du complot de Pontcallec (1718) -, et unpouvoir royal affaibli. Des bourgeois plus sûrs d’eux-mêmes, des nobles plus attachés que jamais à leurs privilèges, une paysannerie en grande difficulté : tels sont, à grands traits, les caractéristiques de la Bretagne à la veille de la Révolution. • Une identité menacée mais préservée. Les bourgeois savent utiliser en 1789 la concordance partielle des aspirations paysannes avec les leurs, mais les nobles et une très large part du clergé mobilisent assez facilement ces paysans, les mêmes parfois, autour de la question religieuse. La force de la chouannerie procède de cet enjeu et du refus d’une conscription perçue, ici plus qu’ailleurs, comme un arrachement à sa terre pour aller défendre de trop lointaines frontières. Les violences de 1793-1794 - du massacre des républicains par les vendéens à Machecoul aux fameuses noyades de Carrier à Nantes -, l’empreinte qu’elles laissent dans la mémoire collective (chansons, monuments, lieux de culte populaires aussi) font trop oublier cependant l’expansion réelle du XIXe siècle. Il est vrai que le commerce maritime décline, que l’effondrement de l’industrie textile entraîne de terribles conséquences dans les campagnes, et que 500 000 Bretons quittent la région dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pourtant, la population augmente sensiblement, grâce à la modernisation de l’agriculture, fruit de la lente diffusion de multiples progrès techniques, et au développement d’industries comme la conserverie nan- taise ou les chantiers navals de Saint-Nazaire, où les frères Pereire implantent la Compagnie générale transatlantique en 1861. Ces particularités locales de la croissance au XIXe siècle doivent être soulignées, car l’image de la Bretagne d’alors est celle d’une province exotique et d’une culture en voie de marginalisation. L’extraordinaire « reconstruction » cléricale, qui marque de son empreinte tous les aspects de la vie, au moins dans les campagnes, n’est pas étrangère à cette originalité, qui s’accompagne d’un début de folklorisation : vogue du voyage en Bretagne, installation plus ou moins durable d’artistes, notamment à Pont-Aven, où Gauguin arrive en 1886, recueil savant de chansons populaires menacées de disparition par La Villemarqué (Barzaz Breiz, 1839), puis Luzel. C’est alors aussi que le français commence à être perçu comme le moyen indispensable de la promotion sociale, aux dépens du breton. L’autre grande phase de modernisation, entre 1945 et 1975, résout cet apparent contraste entre réalités matérielles et culture. Le dynamisme agricole, fortement porté par les coopératives, la création d’une industrie de pointe (électronique, espace), l’influence croissante d’Ouest-France, devenu dans les années soixante-dix le premier quotidien français par sa diffusion, le renouveau d’un mouvement culturel breton qu’avait fortement affecté la dérive collaborationniste entre 1940 et 1944 : tous ces facteurs transforment profondément la Bretagne. La vogue de la musique bretonne, à partir des années soixantedix, les grandes luttes écologiques (le procès qui suit la marée noire de l’Amoco Cadiz, en 1978, mobilise l’opinion jusqu’en 1992), l’engouement nouveau pour la mer et le patrimoine maritime, l’évolution simultanée des comportements électoraux, rapprochent la Bretagne du reste de la France, tout en affirmant une identité originale, fortement ressentie et assumée par ses habitants. Brétigny-Calais (traité de), traité conclu entre le roi de France Jean II le Bon et le roi d’Angleterre Édouard III (8 mai-24 octobre 1360). Les négociations de 1360 s’inscrivent dans des temporalités multiples : vieille rivalité franco-anglaise, rôle pacificateur de la papauté, temps court de la crise des années 1356-1358... Depuis sa défaite à Poitiers (19 septembre 1356), le roi Jean II, prisonnier des Anglais, cherche à obtenir sa libération : pourparlers et accords avec Édouard III se succèdent, tandis que le dauphin Charles (futur Charles V), qui a pris le titre de régent du royaume, affronte des crises politiques. Dans ces tentatives de paix, la papauté adopte sa posture traditionnelle de médiateur : ses légats ménagent les rencontres qui aboutissent aux préliminaires de paix de Brétigny (8 mai), confirmés par les deux rois à Calais (24 octobre). Le traité de Brétigny-Calais reprend des points déjà discutés, même si la position d’Édouard III est en retrait par rapport à ses revendications antérieures, à cause, principalement, des difficultés de son expédition militaire en France lancée à l’automne 1359. Depuis les débuts de la guerre de Cent Ans, opérations militaires et négociations s’entremêlent ainsi. Tandis que le roi d’Angleterre renonce à la couronne de France et s’engage à évacuer les forteresses qu’il tient sur le territoire du roi de France, ce dernier lui cède, en pleine souveraineté, une grande Aquitaine (de la Loire aux Pyrénées), les comtés de Guînes et de Ponthieu, ainsi que Calais, et se soumet au paiement d’une rançon de 3 millions d’écus en versements échelonnés. À Calais, les articles relatifs aux renonciations des deux rois (à la couronne, d’une part ; à la souveraineté sur les territoires cédés, d’autre part) sont insérés dans un accord séparé qui prévoit l’échange de ces renonciations au plus tard en novembre 1361 après les transferts des terres ; des otages garantissent le paiement de la rançon. L’application des accords, complétés par un traité d’alliance, doit transformer une relation féodale en un voisinage d’alliés, mais elle reste un outil politique des deux côtés, où se mélangent « zèle et lenteurs, bonne volonté et nonchalance » (Édouard Perroy pour Charles V), selon les moments et les enjeux. Les renonciations ne sont jamais échangées, et Charles V, en usant de son droit de souveraineté, relance le conflit en 1368-1369. Le traité reste pour autant une référence discursive, de part et d’autre. Il ne clôt pas « les malheurs de la guerre », déversant sur le pays des bandes de soldats sans emploi. Breuil (Henri, abbé), ecclésiastique et préhistorien (Mortain, Manche, 1877 - L’IsleAdam, Val-d’Oise, 1961). Fils d’un magistrat, Henri Breuil, ordonné prêtre en 1900, a mené des travaux importants dans le domaine de la préhistoire et, plus particulièrement, de l’art préhistorique. Après avoir enseigné à Fribourg, en Suisse (19051910), puis à l’Institut de paléontologie humaine, à Paris (à partir de 1910), il est élu à la chaire de préhistoire du Collège de France en 1929, puis à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1938. Il a consacré ses recherches aux plus anciennes industries humaines du nord de la France et de Belgique (clactonien, acheuléen, tayacien) et au paléolithique supérieur du Périgord. Mais ses travaux les plus connus portent sur le relevé, le classement et la datation de l’art rupestre du paléolithique supérieur, par l’étude de nombreuses grottes peintes (il a découvert celles des Combarelles). Il s’est intéressé également à l’art des monuments mégalithiques et à l’art rupestre d’Éthiopie et d’Afrique du Sud. Briand (Aristide), homme politique (Nantes 1862 - Paris 1932). Onze fois président du Conseil, poste qu’il cumule le plus souvent avec celui de ministre des Affaires étrangères (dont il est chargé également dans plusieurs cabinets), Aristide Briand est une figure centrale de la IIIe République, de 1906 à 1932. Ses idées ont marqué ses contemporains qui, à l’image de Jean Jaurès, ont apprécié ou critiqué le « briandisme ». • Un socialiste fervent. Issu d’un milieu provincial modeste, Aristide Briand monte à Paris en 1883. Jeune avocat, socialiste de tendance anarchiste, il échoue une première fois aux élections législatives de 1889, sous l’étiquette radical révisionniste. Proche de Fernand Pelloutier en 1890-1892, il anime le journal la Démocratie de l’Ouest et milite en faveur de la grève générale. Il en fait adopter le principe par la Fédération nationale des syndicats en 1894, à Nantes. Opposant au Parti socialiste de France dominé par Jules Guesde, il contribue à fonder, sous l’impulsion de Jaurès, le Parti socialiste français en 1902. Député de Saint-Étienne de 1902 à 1919, il s’éloigne de la SFIO, créée en 1905, et devient, dès 1910, une figure de proue du groupe des socialistes indépendants, véritable « pépinière de ministres ». Rapporteur de la loi de séparation des Églises et de l’État, votée en juillet 1905, il est bientôt chargé de son application. Ministre de l’Instruction publique, des BeauxArts et des Cultes de 1906 à 1909, il préconise vis-à-vis des catholiques une « politique d’apaisement », comme il le déclare à Périgueux en 1909. Remarquable orateur, habile à se constituer des clientèles parlementaires, Briand anime, en 1909-1910, un « courant réformiste laïque » de centre gauche, qui vise à restaurer la paix sociale. De juillet 1909 à la guerre, onze gouvernements se succcèdent, dont les quatre predownloadModeText.vue.download 116 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 105 miers cabinets Briand. Adversaire déclaré de la SFIO depuis qu’il a réprimé durement une grève de cheminots en octobre 1910, Briand dépose un projet de loi qui porte le service militaire à trois ans, en janvier 1913. Fondateur du groupe de la Fédération des gauches, ministre de la Justice en 1914, il redevient président du Conseil d’octobre 1915 à mars 1917, avec, pour la première fois, le portefeuille des Affaires étrangères. Le retour aux affaires de Clemenceau le tient écarté du pouvoir jusqu’en 1921. Élu député de la LoireInférieure en 1919, il le reste jusqu’en 1932. Le 16 janvier 1921, il forme un nouveau gouvernement, de centre gauche, et reprend les Affaires étrangères. • L’apôtre de la paix. C’est en septembre 1921 que Briand, confronté à la question des réparations dues par l’Allemagne au titre du traité de Versailles, abandonne la politique de fermeté et opte pour la négociation. Lors de la conférence de Cannes de janvier 1922, cette attitude, approuvée par les gauches radicale et socialiste, suscite une levée de boucliers à droite, qui contraint Briand à la démission. Son retour aux Affaires étrangères dans le cabinet Painlevé en avril 1925 s’avère décisif. Briand se maintient au Quai d’Orsay jusqu’en janvier 1932 (à l’exception de brèves interruptions), en tant que président du Conseil ou dans différents ministères, dont ceux de Raymond Poincaré (juillet 1926-juillet 1929). Il mène une politique extérieure fondée sur trois principes : détente internationale, sécurité collective et rapprochement franco-allemand. Après les accords de Locarno de 1925, des négociations entre Briand et Gustav Stresemann aboutissent à l’entrée de l’Allemagne à la Société des nations (SDN), le 4 septembre 1926. En 1928, ayant lancé un appel à l’opinion publique américaine en faveur de la paix, Briand est l’initiateur d’un pacte qui met la guerre « hors la loi ». Le pacte Briand-Kellogg marque le triomphe de celui qui, après avoir reçu le prix Nobel en 1926, est surnommé « l’apôtre de la paix ». En septembre 1929, à la tribune de la SDN à Genève, Briand propose de créer « une sorte de lien fédéral » entre pays d’Europe. Ce projet est vite abandonné. Après son échec à l’élection présidentielle en mai 1931, Aristide Briand se retire de la vie politique en janvier 1932 et meurt quelques mois plus tard (7 mars). Briçonnet (Guillaume), évêque de Meaux (Paris, vers 1470 - Château d’Esmans, Seineet-Marne, 1534). Fils de Guillaume Briçonnet, homme de confiance de Louis XI, et de Raoulette de Beaune, soeur du financier Jacques de Beaune de Semblançay, Guillaume Briçonnet naît dans le milieu des financiers au service du roi de France. Après des études au collège de Navarre, où il a pour professeur Jacques Lefèvre d’Étaples, maître de la Renaissance humaniste, il devient président de la Chambre des comptes en 1495, puis abbé de Saint-Germain-des-Prés en 1507. C’est là qu’il accueille Lefèvre d’Étaples et ses disciples, qui prônent la réforme de l’Église romaine. Lorsqu’il est nommé évêque de Meaux en 1516, ce petit groupe le suit et forme le « cénacle de Meaux ». Sous l’inspiration de ses compagnons, Guillaume Briçonnet diffuse dans son diocèse des traductions de la Bible en français, permet aux laïcs de prêcher et se montre partisan d’une pratique spirituelle plus libre, proche d’un mysticisme personnel. C’est en tout cas ce qui transparaît de sa correspondance avec la soeur du roi François Ier, Marguerite de Navarre, dont il est le directeur de conscience. Mais, à partir de 1525, le cénacle de Meaux se désagrège. Dépassé par l’ampleur d’un mouvement dont il a permis le développement, Guillaume Briçonnet se rallie en 1528 aux thèses de l’Église établie, mettant fin à tout espoir de réforme interne à l’Église catholique, ses protégés trouvant refuge auprès de la cour de Marguerite de Navarre. Brigades internationales, unités de volontaires organisées par l’Internationale communiste pour aider la République espagnole contre l’insurrection franquiste, de 1936 à 1938. En règle générale, les combattants rejoignent l’Espagne par le Roussillon, seule frontière libre. Leur nombre est évalué entre 30 000 et 40 000 hommes, sans compter les étrangers déjà présents en Espagne, ceux qui sont arrivés alors que les partis communistes affirmaient encore que l’Espagne n’avait besoin que de matériel et de spécialistes, ou ceux qui, après la création des brigades en octobre, choisissent des unités proches des anarchistes ou de l’extrême gauche : le total peut s’élever à 75 000 hommes, dont 8 500 à 15 400 Français. En 1936, ceux-ci représentent entre le tiers et la moitié des brigades elles-mêmes, puis baissent jusqu’à 15 % après l’arrivée d’autres volontaires. Une brigade reçoit le nom de « La Marseillaise », et l’on trouve des bataillons appelés « Commune de Paris », « 6 Février » ou « Henri Barbusse ». S’y ajoutent, venus de France, des réfugiés allemands, des émigrés d’Europe centrale et plus de la moitié des 5 000 Italiens recensés. Les délégués de l’Internationale, tel Josip Broz (Tito), centralisent les volontaires à Paris, malgré les protestations de la droite et l’embarras du gouvernement. Enfin, la ligne politique est supervisée par des Français, François Billoux, Lucien Geumann et André Marty, lequel dirige la formation et l’entraînement avec une dureté qui lui vaut le surnom de « boucher d’Albacete » ; les brigadistes sont soumis à une discipline très dure par leur commandement, dominé par les communistes (il y a d’assez nombreux cas d’exécution). Même si l’on ne compte jamais plus de 15 000 « Internationaux » au combat simultanément, leur rôle est capital : soutien moral, apport de troupes de choc dès 1936 pour défendre Madrid, et modèle pour l’armée espagnole, d’autant que les cinq brigades comportent une moitié d’autochtones. Leur épopée est célébrée en particulier par André Malraux, organisateur de l’escadrille España, dans l’Espoir, roman (1937) et film (1938). Après la dissolution des Brigades internationales en octobre 1938, censée inciter au retrait des Italiens et des Allemands combattant pour Franco, nombre d’étrangers ne peuvent quitter l’Espagne, faute de papiers. Repliés en France en 1939, lors de la victoire franquiste, ils y sont internés avec les républicains espagnols réfugiés dans des camps de concentration (Gurs ou Argelès-sur-Mer). Français ou étrangers, maints volontaires se retrouvent dans la Résistance, tels Pierre Georges (le futur colonel Fabien) ou Rol-Tanguy, les deux engagements marquant la même volonté de lutte, même si l’expérience espagnole, relevant de la guerre conventionnelle, n’a pas directement préparé à la guérilla et à la clandestinité. Brisson (Henri), homme politique (Bourges, Cher, 1835 - Paris 1912). Candidat malheureux à l’élection présidentielle, battu par Jean Casimir-Perier en 1894, puis par Félix Faure en 1895, brièvement président du Conseil en 1885 et en 1898 où il se montre conciliant envers les antidreyfusards, Brisson n’a guère impulsé de réformes, sinon le passage de l’indemnité parlementaire à 15 000 francs, mesure qui eut pour effet non recherché d’alimenter l’antiparlementarisme. Pourtant, il ne mérite pas le mot de Clemenceau, qui voit en lui un « faux col et rien dedans ». Radical, il prône la prudence dans l’application du programme républicain et se rapproche des « opportunistes », mais lance le slogan « Pas d’ennemi à gauche » et demande, dès 1871, l’amnistie des communards. Député de la Seine, du Cher, puis des Bouches-du-Rhône, de 1871 à sa mort, il préside la Chambre à quatre reprises - treize ans et neuf mois en tout - à partir de 1881. Antiboulangiste résolu, très impartial et très intègre président de la commission d’enquête sur le scandale de Panamá, il se rallie au dreyfusisme ; il sauve, en 1899, le cabinet Waldeck-Rousseau lors de sa formation en faisant à la tribune, dit-on, le signe maçonnique de détresse, ralliant ainsi maints députés issus des loges dont il est un haut dignitaire. Anticlérical, ennemi des congrégations, précurseur du combisme, il préside avec Léon Bourgeois et René Goblet le congrès de fondation du Parti radical en 1901. C’est dire que, s’il ne marque pas vraiment la IIIe République d’avant 1914, il en est une incarnation et un symbole. Brissot de Warville (Jacques Pierre Brissot, dit), journaliste et homme politique (Chartres, Eure-et-Loir, 1754 - Paris 1793). Chef le plus en vue des girondins pendant la Révolution et principal rival de Robespierre dans les premiers mois de la Convention. Brissot est en 1789 un homme de lettres raté doté d’une mauvaise réputation. Personnage double, à la fois vertueux et intrigant, d’un caractère léger et confus donnant prise à ses adversaires politiques, ce fils d’un traiteur de Chartres connaît en effet des débuts peu brillants. En 1774, il abandonne le droit pour s’installer à Paris et satisfaire ses ambitions littéraires, ajoutant à son nom celui « de Warville » par anglomanie ; mais il ne parvient qu’à se compromettre dans la « Librairie clandestine ». Il fait cependant deux expériences journalistiques : il collabore de 1778 à 1783 au Courrier de l’Europe, journal franco-anglais, et fonde à Londres le Journal du lycée de Londres (1784-1785), qui est un échec. Défenseur de la liberté, il prend parti pour l’indownloadModeText.vue.download 117 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 106 dépendance américaine, puis, en 1782, pour la révolution genevoise, rencontre en Suisse Mirabeau et, surtout, le banquier genevois Clavière, dont il devient l’ami. Si, en 1784, il est emprisonné pour dettes à Londres, puis embastillé à Paris pour des pamphlets contre la reine, et rapidement libéré en échange de renseignements sur les bas-fonds littéraires, son sort s’améliore dès sa sortie de prison : il participe alors aux affaires financières de Clavière, avec lequel il rédige un ouvrage sur les États-Unis, fonde une éphémère société gallo-américaine, puis, en 1788, la Société des amis des Noirs, qui combat l’esclavage dans les colonies, et se lie avec Sieyès, Condorcet ou encore La Fayette. • L’engagement révolutionnaire. Au cours d’un voyage aux États-Unis, il apprend la convocation des États généraux et rentre en France, mais ne peut se faire élire député. Cependant, le 6 mai 1789, il lance le Patriote français, journal bravant la censure, aussitôt interdit, puis relancé le 28 juillet, qui fait de lui un précurseur de la presse libre. Sa feuille, qui connaît un grand succès jusqu’au 2 juin 1793, défend l’égalité civique et la prépondérance du pouvoir législatif tout en s’opposant aux excès populaires. Membre de la Commune de Paris en juillet 1789 et du Comité de législation, il ne s’impose sur la scène politique qu’à l’été 1791, jouant après Varennes un rôle de premier plan dans le mouvement républicain ainsi qu’au Club des jacobins. Élu député, membre du Comité diplomatique, il dirige la politique étrangère de la Législative, dont il devient le leader de l’automne 1791 au printemps 1792, ses partisans étant alors dénommés « brissotins ». Sa politique belliciste fait l’unanimité, à l’exception de Robespierre. La guerre, qui doit selon Brissot affermir la Révolution en opposant le principe de la liberté universelle à celui du despotisme, est aussi une arme politique censée lui permettre de l’emporter sur ses adversaires royalistes et feuillants, et forcer le roi à prendre parti. Cette période, durant laquelle il apparaît comme le chef du parti girondin, marque son apogée, mais son étoile décline avec les premières défaites militaires, tandis que, soucieux de maintenir le ministère girondin, il se met en retrait du mouvement républicain et ne joue aucun rôle dans la chute de la monarchie le 10 août 1792. Réélu à la Convention, il s’y montre farouchement hostile à la démocratie directe et au mouvement populaire, dénonce avec virulence le pouvoir de la Commune et des sections de Paris. Il est exclu du Club des jacobins le 12 octobre 1792. Lors du procès du roi, il vote pour le sursis. Discrédité aux yeux d’une partie de l’opinion et compromis par la retentissante trahison de Dumouriez, avec lequel il est lié, il perd le long duel qui l’oppose à Robespierre, de l’automne 1792 au printemps 1793, pour le contrôle de la Convention. Décrété d’arrestation avec les principaux chefs girondins à la suite des journées des 31 mai et 2 juin 1793, il attire sur lui la vindicte du Tribunal révolutionnaire, qui l’accuse d’avoir voulu rétablir la monarchie, et meurt guillotiné le 31 octobre. Broglie (Albert, duc de), homme politique (Paris 1821 - id. 1901). Descendant de Necker par Mme de Staël, fils d’un ministre de Louis-Philippe, incarnant un libéralisme aristocratique et catholique moins attaché aux Orléans qu’à la prépondérance des notables, il quitte la diplomatie pour ne pas servir Napoléon III, anime l’Union libérale avec Thiers, est député de l’Eure en 1871. Chef de la coalition conservatrice qui écarte Thiers en 1873, vice-président du Conseil de Mac-Mahon, il mène la politique de l’Ordre moral, pourchassant presse républicaine et enterrements civils, nommant tous les maires... Sachant une restauration légimitiste impossible, il veut proroger les pouvoirs de Mac-Mahon dans l’espoir de permettre le retour des Orléans après la mort du comte de Chambord, prétendant au trône. Pour y parvenir, il négocie avec les républicains et obtient une prolongation du mandat présidentiel pour sept ans (au lieu de dix, comme il espérait). Les légitimistes, trahis, se joignent aux républicains et aux bonapartistes pour le renverser en 1874. En 1875, il se prononce en faveur d’un Sénat représentant les notables mais doit encore négocier avec les républicains, qui s’allient ensuite aux légitimistes, et l’empêchent d’être sénateur inamovible. Élu sénateur de l’Eure, rappelé à la tête du gouvernement par Mac-Mahon après le 16 mai 1877, il ne peut empêcher les républicains de rester majoritaires malgré les mesures de répression. Cet échec met fin à sa carrière politique. Son orléanisme, qui ne bénéficiait pas de vraies racines dans le pays, trop libéral pour les légitimistes, était trop violemment conservateur pour les républicains. Broglie (Louis, prince, puis duc de), physicien (Dieppe 1892 - Paris 1987). Il est issu d’une illustre famille du Piémont établie en France depuis le XVIIe siècle. Après des études d’histoire, Louis de Broglie se tourne vers la physique, suivant l’exemple de son frère aîné, Maurice, secrétaire de la première conférence internationale de physique (Bruxelles, 1911). Le physicien Anatole Abragam a résumé, non sans humour, la découverte de Louis de Broglie : « On sait que le photon, qui est une onde, est aussi une particule ; pourquoi l’électron, qui est une particule, ne serait-il pas aussi une onde ? » La question de la nature corpusculaire - selon Newton - ou ondulatoire - selon Huygens et Maxwell - de la lumière constitue, en effet, l’un des problèmes essentiels de la physique à l’aube du XXe siècle. Einstein vient de démontrer la double nature - matière et rayonnement - de la lumière. En 1924, Louis de Broglie étend ce principe au domaine des particules matérielles. Son raisonnement est validé expérimentalement en 1927. Pour ces travaux, Louis de Broglie reçoit, en 1929, le prix Nobel de physique. Titulaire de la chaire de physique théorique de l’Institut Henri-Poincaré, membre de l’Académie des sciences en 1933, puis de l’Académie française en 1944, il poursuit ses études sur la mécanique ondulatoire, cherchant à concilier les implications probabilistes de ses découvertes et une théorie causale du comportement des particules. Avec Heisenberg, Pauli, Dirac, Schrödinger, etc., Louis de Broglie a permis grâce à une série d’observations et d’intuitions, l’élaboration d’une théorie solide et vérifiée : la mécanique quantique. bronze (âge du) ! âge du bronze Brossolette (Pierre), résistant (Paris 1903 - id. 1944). Issu d’une famille qui doit son ascension sociale au mérite scolaire, Pierre Brossolette est reçu premier à l’École normale supérieure en 1922 et n’est devancé à l’agrégation d’histoire que par Georges Bidault. Mais l’enseignement l’intéresse moins que le journalisme et l’action politique. Militant de la fédération socialiste de l’Aube, dont il devient le secrétaire général en 1935, il collabore à plusieurs revues et journaux de gauche, dont Marianne, de 1932 à 1936. Pendant le Front populaire, Léon Blum lui confie une rubrique quotidienne de politique étrangère à la Radio nationale. Conscient de la montée des périls, il abandonne le pacifisme dès 1933, et s’oppose aux accords de Munich en 1938. Son engagement dans la Résistance intervient au lendemain même de la défaite, en liaison avec le réseau du Musée de l’homme. En novembre 1941, il entre au service du colonel Passy à Londres et se consacre alors à l’unification de la Résistance, sous la direction du général de Gaulle, avec l’espoir de contribuer au renouvellement de la vie politique française après la guerre. Il est ainsi à l’origine de la création du Conseil national de la Résistance. Arrêté par la Gestapo le 3 février 1944, Pierre Brossolette meurt le 22 mars, après s’être défenestré pour éviter de parler sous la torture. Broussais (François Joseph), médecin et physiologiste (Saint-Malo 1772 - Paris 1838). Chantre de la « médecine physiologique », Broussais a davantage marqué son temps par ses positions politiques que par son apport scientifique. Fils d’un officier de santé, il commence ses études à Dinan avant d’être réquisitionné dans l’armée en 1793. Sa carrière de médecin militaire l’occupe pendant plus de vingt années, au cours desquelles il poursuit sa formation, sert comme chirurgien et suit la Grande Armée en Europe centrale et en Espagne. En 1814, il est nommé au Valde-Grâce, puis, malgré son attachement à l’héritage de 1789, il occupe à partir de 1820 la chaire de pathologie à la faculté de médecine de Paris et entre à l’Académie de médecine en 1823. Fidèle à la leçon de Bichat, il développe une théorie médicale fondée sur l’irritabilité des tissus. Sa pensée n’est alors ni originale ni marginale. Mais son influence s’exerce ailleurs : il incarne, dans le milieu médical, l’opposition libérale à la monarchie restaurée. Ancré dans la tradition matérialiste, son enseignement est perçu comme une résistance au spiritualisme clérical. Coqueluche des carabins, médecin des chefs libéraux (Benjamin Constant ou Casimir Perier), il s’impose comme une figure emblématique. La monarchie de Juillet ne s’y trompe pas, qui le fait élire à l’Académie des sciences morales downloadModeText.vue.download 118 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 107 et politiques. Son enterrement donne lieu à un immense défilé public du Val-de-Grâce au Père-Lachaise. En 1883, la IIIe République triomphante donne son nom à un hôpital parisien. Brousse (Paul), militant anarchiste puis socialiste, et théoricien du réformisme (Montpellier 1844 - Paris 1912). Fils d’un médecin de Montpellier, il se destine d’abord à la carrière médicale. Membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT), il doit se réfugier à Barcelone, où il dirige une feuille d’agitation, la Solidarité révolutionnaire. En 1873, au congrès de Genève de l’AIT, il prend parti pour Bakounine contre Marx. Resté en Suisse, il entre à la Fédération jurassienne (de tendance anarchiste). La diffusion de son journal l’Avant-garde et l’organisation d’une manifestation de l’AIT le 18 mars 1877 à Berne (pour laquelle il écrit son célèbre chant le Drapeau rouge) lui valent d’être expulsé. Il gagne Londres en 1879. Amnistié avec les communards, il revient à Paris l’année suivante, représentant désormais l’aile modérée du mouvement ouvrier. Il rompt en 1882 avec les guesdistes, puis en 1890 avec les allemanistes (anti-électoralistes). Sa Fédération des travailleurs socialistes de France s’affirme « possibiliste », c’est-à-dire partisane d’une ligne gradualiste, justifiée dans la Propriété collective et les services publics (1883). Élu en 1887 au conseil municipal de Paris, il collabore avec les radicaux et soutient Alexandre Millerand lorsqu’il devient ministre. Il adhère néanmoins en 1902 au Parti socialiste français de Jean Jaurès, puis, en 1905, à la SFIO, dont il devient député en 1906. brumaire an VIII (coup d’État des 18 et 19), coup de force des 9 et 10 novembre 1799 renversant le Directoire et inaugurant le Consulat. Devant l’instabilité politique du Directoire et l’impossibilité de modifier légalement la Constitution, les « révisionnistes », républicains conservateurs hostiles aux jacobins et partisans d’un pouvoir exécutif renforcé, organisent un coup d’État. Exploitant les menaces d’invasion et entretenant la peur auprès des nantis, leur propagande n’a aucune peine à dresser contre le Directoire une opinion publique lasse du régime et de la guerre. Pour les conjurés, soucieux de préserver une apparence de légalité, il s’agit, en inventant un « complot anarchiste » contre le Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq-Cents, de réunir ceux-ci hors de Paris, faire démissionner les directeurs, puis, devant le vide, d’amener les députés à accepter une nouvelle Constitution. Ils bénéficient du soutien des milieux d’affaires, et s’assurent, avec le général Joubert, de celui de l’armée. À leur tête, chacun espérant manipuler l’autre, il y a Sieyès, l’un des cinq directeurs et l’âme de la conjuration, et Napoléon Bonaparte, rentré d’Égypte auréolé de gloire le 9 octobre, auquel est confié le rôle de Joubert, mort le 15 août. Le 18 brumaire, les Anciens, puis les CinqCents - présidés par Lucien Bonaparte depuis le 1er brumaire (23 octobre) -, acceptent leur transfert à Saint-Cloud ; les directeurs démissionnent ou sont neutralisés, tandis que Bonaparte est nommé commandant des forces militaires de Paris. Mais, le 19 brumaire, la manoeuvre parlementaire tourne mal et s’achève sur une action militaire. Demeurant attachés à la Constitution de l’an III, les Cinq-Cents accueillent Bonaparte au cri de « À bas la dictature ! » et menacent de le mettre hors la loi. Bousculé, déconcerté, le général doit quitter la salle. Puis, haranguées par Lucien, qui accuse les députés d’avoir voulu tuer son frère, les troupes, conduites par Murat, dispersent les Cinq-Cents. En fin de journée, une cinquantaine de députés des Anciens et des Cinq-Cents réunis par les conjurés nomment une commission exécutive provisoire de trois consuls (Bonaparte, Sieyès et Ducos), ainsi que deux commissions parlementaires chargées d’établir une nouvelle Constitution. La population ne réagit pas, le coup d’État étant approuvé d’avance. Dès le 20 brumaire, Bonaparte se pose en sauveur, soldat de la liberté et citoyen républicain au-dessus des partis, promettant la paix et la fin de la Révolution. Évinçant Sieyès, il est le grand bénéficiaire de l’opération. Un mois plus tard, la Constitution de l’an VIII, rédigée sous ses ordres, représente à la fois la conclusion de la Révolution et le préambule de la dictature napoléonienne. Brune (Guillaume Marie Anne), maréchal d’Empire (Brive-la-Gaillarde, Corrèze, 1763 - Avignon, Vaucluse, 1815). C’est la Révolution qui transforme en soldat ce fils d’avocat monté à Paris par ambition artistique. Militant cordelier, volontaire national en 1791, il devient général en 1793. Sous les ordres de Bonaparte, il participe en 1795 à la répression de la journée du 13 vendémiaire, puis rejoint l’armée d’Italie en 1797. Dès lors, ses qualités militaires et diplomatiques lui valent de nombreuses missions, qu’il remplit brillamment. Mais ses convictions républicaines et jacobines dérangent le pouvoir politique. Commandant l’armée d’Italie en 1798, il est rappelé par le Directoire pour avoir soutenu les jacobins italiens. Cependant, à la tête de l’armée de Hollande l’année suivante, il met à mal la seconde coalition en remportant la victoire de Bergen. Hostile au coup d’État du 18 brumaire, il est envoyé en Vendée, où il parvient à convaincre les chouans de déposer les armes, puis en Italie, où il est à nouveau victorieux à Vérone (3 janvier 1801). Nommé au Conseil d’État en 1801, il doit quitter Paris pour prendre un poste d’ambassadeur en Turquie (1802-1804). Même s’il est fait maréchal d’Empire en 1804, il demeure le seul, avec Jourdan, à ne recevoir aucun titre de noblesse. En 1807, il s’empare de Stralsund, sur la Baltique, mais Napoléon use du prétexte de la signature d’une convention dont les termes lui déplaisent pour le relever de ses fonctions et le mettre en disponibilité jusqu’en 1814. Pendant les Cent-Jours, il est rappelé par l’Empereur, et tient Toulon jusqu’au 31 juillet 1815. Cherchant à rejoindre Paris, il est assassiné le 2 août par une bande royaliste. Brunehaut, reine mérovingienne d’Austrasie (Espagne 543 - Renève, près de Dijon, 612). Fille du roi des Wisigoths d’Espagne Athanagilde, Brunehaut épouse, vers 566, Sigebert, roi d’Austrasie, petit-fils de Clovis et frère du roi de Neustrie, Chilpéric. Sa beauté et son origine wisigothique lui confèrent un prestige dont elle sait user. Lorsque sa soeur Galeswinthe, épouse de Chilpéric, est assassinée par Frédégonde, maîtresse de ce dernier, Brunehaut incite son époux à la venger. L’opposition entre la Neustrie et l’Austrasie devient alors une guerre ouverte, tandis que les grands des deux royaumes cherchent à s’émanciper en soutenant le roi adverse. Brunehaut, veuve de Sigebert (assassiné par Frédégonde en 575), se heurte ainsi à un parti de grands austrasiens. Elle parvient à faire reconnaître son fils Childebert II comme roi d’Austrasie, puis conforte sa position en s’alliant avec le roi de Bourgogne, Gontran. Confrontée au parti des grands propriétaires fonciers, Brunehaut peut s’assurer de la loyauté d’un parti royaliste soucieux de développer une autorité monarchique solide, groupé autour de Gogon, gouverneur de Childebert II. Ce parti se montre favorable à l’alliance avec la Bourgogne, dont le roi Gontran choisit Childebert II pour héritier. En 592, à la mort de Gontran, Childebert II devient donc roi de Bourgogne. Mais il meurt peu de temps après, en 595, laissant pour héritiers deux fils : Thierry II, à qui échoit la Bourgogne, et Théodebert II, qui re- çoit l’Austrasie. Brunehaut administre les deux royaumes, tout en luttant contre Frédégonde et son fils Clotaire II, d’une part, les aristocraties austrasienne et bourguignonne, d’autre part. En 597, Clotaire II, seul maître de la Neustrie, suscite la guerre entre Thierry II et Théodebert II, qui expulse sa grand-mère d’Austrasie. Cette dernière se réfugie en Bourgogne, où elle s’appuie sur le maire du palais, Protadius ; mais, quand celui-ci meurt en 605, elle perd son dernier soutien. En 613, Clotaire II fait capturer Brunehaut, qu’il met à mort, la faisant tirer (selon le récit de Grégoire de Tours) par un cheval dont on a tressé la crinière à ses cheveux. Au prix du massacre du reste de la famille austrasienne, Clotaire II parvient à refaire momentanément l’unité du royaume franc. Longtemps maudite par les chroniqueurs, Brunehaut a été réhabilitée par l’historiographie allemande, pour laquelle elle incarne le sens de l’État. Brunswick (manifeste de), « déclaration » du 25 juillet 1792 adressée aux Français et signée par le duc de Brunswick, commandant en chef des armées autrichiennes et prussiennes. Depuis la déclaration de guerre du 20 avril 1792, Louis XVI, qui espère recouvrer son ancien pouvoir, veut obtenir des puissances coalisées la publication d’un manifeste menaçant les jacobins et les autorités révolutionnaires, et privilégiant sa personne dans les traités à venir. Tel est le sens d’un premier texte modéré proposé en juin aux souverains autrichien et prussien. Mais, à la suite de la journée révolutionnaire du 20 juin, la reine désire en imposer par une déclaration plus vigoureuse. Aussi, Brunswick signe-t-il un texte rédigé par le marquis de Limon, l’un des émigrés royalistes hostiles à tout compromis. Publié au début du mois d’août, alors que downloadModeText.vue.download 119 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 108 Brunswick vient de pénétrer en Lorraine, le manifeste est une grave faute psychologique : il exige la liberté du roi et la soumission de tous les Français, sommés de ne pas résister aux armées coalisées, et menace, assurant que, en cas d’atteinte à la sûreté de Louis XVI, l’empereur germanique et le roi de Prusse « en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale ». Alors que le sentiment national est déjà très exalté et que l’agitation républicaine est à son comble, le manifeste compromet gravement Louis XVI en prouvant sa collusion avec l’étranger, ainsi que l’existence d’un complot aristocratique. Loin de terroriser, il indigne, rallie les hésitants à la cause républicaine, et donne l’impulsion finale à la journée du 10 août, qui voit la chute de la monarchie. Buchez (Philippe), philosophe et homme politique (Matagne-la-Petite, Ardennes belges, 1796 - Rodez 1865). Après des études de médecine, Buchez adhère aux théories de Saint-Simon en 1825, collabore au Producteur, revue du saint-simonisme, avant de rompre avec le mouvement en 1829. Dès lors, il consacre tous ses efforts à la recherche d’une synthèse entre les idéaux de la Révolution française, les préceptes de l’Évangile et le socialisme. Sa grandiose Histoire parlementaire de la Révolution française (1834-1838), écrite en collaboration, est suivie quelques années plus tard de l’Essai d’un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès (1839-1840). Buchez propage ses idées, à partir de 1840, dans le journal l’Atelier : il y prône le système de l’« association ouvrière », coopérative de production possédant un capital inaliénable augmenté par les bénéfices des participants. Adjoint au maire de Paris en février 1848, il est élu à la Constituante, dont il devient le premier président (5 mai-6 juin). Au mois de décembre, il soutient la candidature du général Cavaignac contre Louis Napoléon Bonaparte. Son échec à l’élection législative de mai 1849 met un terme à sa brève carrière politique. Il se consacre alors à la rédaction d’un Traité de politique et science sociale. De son vivant, ses idées n’auront guère connu que des applications très restreintes. Buchez appartient à cette mouvance du socialisme que Marx qualifiera d’« utopique ». Budé (Guillaume), humaniste et helléniste (Paris 1467 - id. 1540). Figure emblématique de la première Renaissance, Guillaume Budé joue un rôle éminent dans le développement de l’humanisme français. Après une formation juridique négligée - l’Université parisienne de la fin du XVe siècle manque de maîtres qualifiés - , Budé se remet à étudier à l’âge de 24 ans. Faute d’avoir trouvé un pédagogue capable de lui enseigner le grec, il se lance seul dans l’étude de cette langue, et devient rapidement le plus remarquable helléniste de sa génération. Son extraordinaire appétit de savoir embrasse, dès lors, les disciplines les plus diverses : philologie, histoire, droit, mathématiques, sciences naturelles, médecine. En 1508, il publie ses annotations latines aux pandectes (compilations des jurisconsultes romains) ; débarrassant le texte original de ses innombrables gloses médiévales, et cherchant à restituer l’esprit des institutions antiques, il ouvre la voie aux nouvelles méthodes juridiques. Six ans plus tard, le traité De asse (De la monnaie) confirme cette orientation : déchiffrant les monnaies antiques avec autant de zèle philologique que de passion archéologique, Budé a l’opportunité de dresser un tableau singulièrement riche et vivant du monde romain. Salué comme le « prince des hellénistes » par les érudits de son temps, l’auteur des Commentaires sur la langue grecque (1529) n’est pas seulement un savant de cabinet. Chargé de plusieurs missions diplomatiques, il accompagne François Ier au camp du Drap d’or. Maître de la Librairie royale de Fontainebleau, il obtient du souverain la nomination des lecteurs royaux (1530), dont le groupe prend le nom de Collège des Trois-Langues en 1534 (futur Collège de France). Par les relations épistolaires qu’il entretient avec les plus grands esprits de son temps - Rabelais, Érasme, More -, il participe à l’édification d’une Europe du savoir qui transcende les clivages nationaux. Si la génération de Rabelais s’est senti une telle dette envers lui, c’est parce qu’il a libéré l’étude des textes anciens du carcan scolastique et ouvert la voie à une compréhension féconde de l’Antiquité. Mais la vénération de ses pairs et héritiers tint également, en ces temps d’aggravation des troubles, à la capacité profondément conciliatrice de Budé : jamais le philologue, attaché à la foi catholique, ne douta de la possibilité d’harmoniser hellénisme et christianisme, sagesse païenne et Révélation. Buffon (Georges Louis Leclerc, comte de), naturaliste (Montbard, Côte-d’Or, 1707 - Paris 1788). Auteur prolifique, admiré de ses contemporains, Buffon offre l’image d’un savant original dont les travaux ont modifié les perspectives traditionnelles de l’histoire naturelle. Fils aîné d’un conseiller au parlement de Bourgogne anobli en 1717, il mène des études de droit à Dijon, puis s’initie aux mathéma- tiques, à la médecine et à la botanique. À la suite d’un duel, il effectue un long voyage en Provence et en Italie. Rentré en France en 1732, il se fait remarquer par une étude sur les probabilités et devient, en 1734, adjointmécanicien à l’Académie des sciences. Au cours des années suivantes, il rédige plusieurs mémoires de botanique et de mathématiques, et traduit la Méthode des fluxions de Newton, dont il est l’un des premiers disciples français. Sa carrière prend un tour nouveau en 1739 lorsqu’il est nommé intendant du Jardin du roi. Il concentre alors son travail sur l’étude de la vie et entreprend la rédaction de son Histoire naturelle (trente-six volumes,1749-1788), dont l’écriture élégante lui ouvre, en 1753, les portes de l’Académie française, devant laquelle il prononce son célèbre Discours sur le style. Admirateur de Locke, esprit éclairé, Buffon construit une oeuvre scientifique fondée sur l’observation, l’expérience et une critique rationnelle débarrassée de toute considération religieuse. Associant la minéralogie, la géologie, la paléontologie, la zoologie, la physiologie, il compose un tableau du développement de la vie depuis l’origine de la Terre et affirme la prédominance de l’homme, doué de raison, sur l’ordre naturel. Si la qualité de ses travaux réside essentiellement dans sa description minutieuse des animaux (Histoire naturelle des quadrupèdes, en douze volumes, 1753-1767 ; Histoire naturelle des oiseaux, en neuf volumes, 1770-1783), ses réflexions sur la notion d’espèce ont ouvert la voie de l’évolutionnisme. Certes, Buffon n’a jamais admis le passage d’une espèce à une autre, condition du transformisme ; mais, en rejetant l’idée de la préexistence originelle des formes vivantes, en situant leurs modifications dans la très longue durée, en insistant sur la variabilité des espèces soumises aux influences du milieu, il est à l’origine du processus intellectuel qui a conduit aux théories évolutionnistes de Lamarck et de Darwin. L’influence de Buffon a cependant souffert de son opposition à Linné, dont il jugeait la classification arbitraire et inopérante, ainsi que de la complexité d’une pensée très mobile. Bugeaud (Thomas Robert), marquis de la Piconnerie, duc d’Isly, maréchal de France (Limoges 1784 - Paris 1849). Issu d’une famille de hobereaux du Limousin, ce noble devient soldat à 20 ans en s’engageant dans les armées napoléoniennes. Mis en congé sous la Restauration, il retourne dans son domaine natal, où il expérimente de nouvelles techniques d’exploitation agricole, et prépare son élection à la députation. Il est rappelé par Louis-Philippe, qui lui confie la garde de la duchesse de Berry en 1832, puis le charge de réprimer l’insurrection républicaine de Paris en avril 1834, ce qui lui vaut une grande impopularité. C’est en 1836 que Bugeaud est envoyé pour la première fois en Algérie. Sa mission consiste à protéger l’installation de l’armée française sur les côtes algériennes, contre les tribus insoumises menées par Abd el-Kader. Bugeaud est alors hostile à l’idée d’une colonisation de l’Algérie, qu’il estime dangereuse et chimérique. Aussi, après une première victoire à la Sikkah, négocie-t-il avec son adversaire la convention de la Tafna (mai 1837), qui fait de larges concessions à l’émir. Mais, en 1840, la trêve est rompue : Abd el-Kader lance ses troupes sur la plaine de la Mitidja et déclare la guerre sainte aux Français. Le maréchal Bugeaud est alors envoyé une seconde fois en Algérie avec le titre de gouverneur général. Rallié dès lors à une politique de conquête totale du territoire algérien, il réorganise l’armée d’Afrique : augmentation des effectifs, création de colonnes mobiles, amélioration de l’ordinaire des soldats. La « méthode Bugeaud », conduite avec opiniâtreté et une certaine cruauté, qui privilégie la guerre d’embuscade et les razzias, finit par porter ses fruits. Après la victoire d’Isly (août 1844) sur les armées marocaines alliées à Abd el-Kader, Bugeaud traque sans répit l’émir, qui se rend en décembre 1847. Dans le même temps, sa conquête se double d’un effort de colonisation agricole et d’une politique arabe originale (administration indirecte, bureaux arabes), qui oppose Bugeaud à la hiérarchie civile et downloadModeText.vue.download 120 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 109 militaire d’Algérie. Démissionnaire en 1847, il regagne la France, où il meurt du choléra après un éphémère retour à la vie politique. Ce personnage, qui fait partie intégrante de la légende de la colonisation, se distingue par son énergie et son imagination, par son autoritarisme allié à une certaine ampleur de vue. Il peut être considéré comme le précurseur des grands conquérants coloniaux tels Gallieni ou Lyautey. Buisson (Ferdinand), pédagogue et homme politique (Paris 1841 - Thieuloy-SaintAntoine, Oise, 1932). Issu d’une famille protestante, Ferdinand Buisson, agrégé de philosophie en 1868, a refusé de prêter serment à l’Empire. Exilé volontaire à Neuchâtel, il exprime avec éclat, aux premiers Congrès de la paix - Genève (1867), Lausanne (1869) -, son souhait de voir un jour « l’abolition de la guerre par l’instruction ». Rentré en France après Sedan, il est le chargé de mission du ministère de l’Instruction publique aux Expositions universelles de Vienne (1873), de Philadelphie (1876) et de Paris (1878). Le 10 février 1879, Jules Ferry le nomme directeur de l’enseignement primaire, fonction qu’il remplira jusqu’en 1896 : sa longévité à ce poste clé justifie que Charles Péguy ait vu en lui « le principal organisateur de l’enseignement primaire en France ». Son Dictionnaire de pédagogie, publié de 1882 à 1886, puis mis à jour en 1911, reste l’un des monuments les plus représentatifs de l’oeuvre accomplie en ce domaine par la IIIe République. Titulaire de la chaire de pédagogie à la Sorbonne de 1896 à 1902, il la cède à Émile Durkheim, après avoir été élu député radical-socialiste de Paris. Dreyfusard, membre fondateur de la Ligue des droits de l’homme, il demeure après la guerre, en dépit de sa défaite électorale de 1924, l’un des inspirateurs de la politique radicale. En 1927, il partage avec l’Allemand Ludwig Quidde le prix Nobel de la paix. bureaux arabes, organismes coloniaux créés en Algérie par le général Lamoricière et officiellement mis en place par Bugeaud en 1844, dans les territoires sous autorité militaire. D’abord conçus comme une structure de renseignement et de contact avec les indigènes, ils deviennent un véritable organe administratif décentralisé. On en dénombre une cinquantaine. Chaque bureau contrôle une vaste subdivision et se compose de quelques officiers, d’un interprète, d’un médecin, de deux secrétaires (arabe et français) et de quelques troupes. Ces hommes sont tout à la fois soldats, administrateurs, informateurs, juges et conseillers d’une communauté dont ils apprennent la langue et partagent parfois le mode de vie, s’imposant comme les interlocuteurs naturels des musulmans. Si certains d’entre eux abusent de leur pouvoir, d’autres font preuve d’un réel souci d’améliorer le sort des indigènes. Affaiblissement de l’aristocratie locale, éclatement et sédentarisation des tribus, progrès agricole et sanitaire : tels sont les résultats contrastés d’une politique souvent jugée paternaliste. Dans le même temps, les bureaux arabes s’attachent à défendre les droits des indigènes contre les spoliations territoriales des colons, ce qui leur vaut l’hostilité de l’administration civile. À la suite du rétablissement d’un régime civil en Algérie, en 1870, ils disparaissent progressivement. Les bureaux arabes ont représenté la tentative de mener une politique mixte fondée à la fois sur le protectorat et la domination, politique qui cède finalement la place à une pratique plus assimilationniste. Burgondes, peuple ostique (proche des Goths) sans doute venu de l’île danoise de Bornholm, et qui, au début du Ve siècle, s’installe dans l’ancienne province de Germanie et en Gaule du Nord, puis, en 443, obtient un statut de fédéré en Sapaudia (ouest de la Suisse, nord de la Savoie, sud du Jura). Au début du VIe siècle, le royaume burgonde s’étend de la Champagne méridionale à la Durance, et des Cévennes à la Suisse centrale. L’archéologie et la toponymie (noms en -ens) attestent une forte présence des Burgondes dans le sud de la Bourgogne (qui leur doit son nom). Le roi Gondebaud (vers 480/516) a su réaliser l’unité du royaume et créer des alliances par une habile politique matrimoniale : en 494, son fils Sigismond épouse une fille de Théodoric, roi des Wisigoths ; en 493, sa nièce Clotilde se marie avec Clovis. Son principal souci a été de trouver un débouché en Méditerranée. Les Burgondes se caractérisent par une grande fidélité à Rome, attestée par l’aide militaire qu’ils apportent aux troupes romaines contre Attila (451) ou les Suèves (456), par la rédaction en latin de la loi Gombette (502), et par l’utilisation des noms des consuls pour dater les actes officiels. S’ils sont ariens, ils se montrent cependant très tolérants vis-à-vis des catholiques : le roi Sigismond (514/523) se convertit même au catholicisme, mais son successeur, Godomer III (524/534), renoue avec l’arianisme. À partir de 522, les Burgondes subissent des incursions franques de plus en plus nombreuses, et, en 534, leur territoire est pris puis partagé par les Mérovingiens. downloadModeText.vue.download 121 sur 975 downloadModeText.vue.download 122 sur 975 C Cabanis (Pierre Jean Georges), médecin et philosophe (Brive 1757 - Rueil 1808). Ce fils de bourgeois des Lumières qui fréquente le salon de Mme Hélvétius et du baron d’Holbach choisit de se consacrer à la médecine plutôt que de suivre un parcours littéraire. Il ne cesse cependant d’associer les préoccupations scientifiques et philosophiques en réfléchissant sur les fonctions sociales du savoir médical et sur ses fondements épistémologiques. Partisan de la Révolution, il est élu en 1795 à l’Institut mais ne s’engage dans une véritable carrière politique qu’à partir de 1798, date de son entrée au Conseil des Cinq-Cents. Il commence alors à rédiger son oeuvre majeure, les Rapports du physique et du moral de l’homme (1802), dont il présente des extraits à ses collègues idéologues à l’Institut. Cabanis milite pour la fondation d’une science de l’homme, établissant ainsi un pont entre le matérialisme du XVIIIe siècle et la quête moderne de données positives visant à la compréhension de l’existence humaine, caractéristique du XIXe siècle. Il rejette ainsi tout point de vue spiritualiste, toute modélisation a priori. Persuadé, avec ses amis du groupe des Idéologues, que Bonaparte est la meilleure garantie pour la République, il soutient le coup d’État du 18 brumaire. Il devient sénateur et membre de la Légion d’honneur tout en se désolidarisant de l’autoritarisme du nouveau régime. Cependant, son anthropologie sert de référence à l’élaboration du Code civil. Lorsqu’il meurt, en 1808, l’Empire lui fait l’honneur du Panthéon et d’un titre de comte. Cabarrus (Jeanne Marie Ignacia Thérésa), épouse en deuxièmes noces de Jean Tallien, connue sous le nom de Mme Tallien, figure thermidorienne (Carabanchel Alto, près de Madrid, 1773 - Chimay 1835). Fille du financier et ministre espagnol François de Cabarrus, elle regagne l’Espagne après avoir divorcé du marquis de Fontenay en 1793 ; elle est arrêtée à Bordeaux comme suspecte, puis libérée par Tallien, dont elle devient la maîtresse et l’épouse (décembre 1794). Idole des « incroyables » et des « merveilleuses », la Tallien incarne, sous la Convention thermidorienne et le Directoire, la rupture engagée après la chute de Robespierre. Célèbre pour ses tenues diaphanes « richement déshabillées » (Talleyrand), Mme Tallien donne le ton de la mode. Elle incarne ainsi un archétype féminin, femme corruptrice et légère, ou beauté généreuse. Dans son milieu, elle est « la Notre-Dame de Thermidor », qui incite les politiques à adopter des mesures de clémence, l’inverse des « tricoteuses », censées se délecter du spectacle de la guillotine, mais, pour les sans-culottes, elle est, selon un pamphlet anonyme de 1802, « la plus grande putain de Paris ». C’est en effet une époque où, écrit Babeuf, par « une rétrogradation déplorable qui tue votre Révolution », les députés « décident du destin des humains, couchés mollement sur l’édredon et les roses à côté de princesses ». À la Convention, on dénonce l’influence politique des salons thermidoriens, les attaques contre le Club des jacobins « combinées dans les boudoirs de Mme Cabarrus » (Duhem). Sa carrière « publique » prend fin après le coup d’État du 18 brumaire. En 1802, elle divorce de Tallien et, en 1805, épouse le comte de Caraman, qui deviendra prince de Chimay. Cabet (Étienne), penseur socialiste (Dijon 1788 - Saint Louis, États-Unis, 1856). Fils d’un maître tonnelier, avocat, Étienne Cabet est gagné aux idéaux républicains dès les Cent-Jours. Après avoir été carbonaro sous la Restauration, magistrat vite destitué, puis député sous Louis-Philippe, il met sa plume au service de ses idées à partir de 1832 et fonde le Populaire, journal républicain en 1833. Contraint de s’exiler quelque temps à Londres en 1835, il y théorise un communisme démocratique et pacifique, qu’il expose, de retour en France, dans un roman - Voyage en Icarie (1840) -, propage par un journal, le Populaire de 1841, et confirme dans des Mémoires au titre révélateur : Mon credo communiste (1845). Dans la Fraternité icarienne, la propriété privée est abolie, les biens sont mis en commun, et tout s’ordonne autour de l’éducation et du travail ; chacun est rémunéré en nature selon ses besoins. Le peuple, souverain dans tous les domaines, s’exprime par référendum. Pour parvenir progressivement à cette société idéale et gagner en influence dans l’opinion publique, Cabet propose des réformes immédiates, telles que l’institution d’un impôt progressif, d’un salaire minimum et du droit au travail. Mais, en dépit de ses activités militantes en France, en particulier au début de la révolution de 1848, il veut surtout réaliser son utopie dans un cadre réduit ; il crée donc des communautés au Texas et en Illinois, qui échouent à cause de leur isolement, de l’autoritarisme de Cabet lui-même, et de l’absence de pen- sée concrète de la vie communautaire. Cabinet noir, officine secrète chargée, sous le premier Empire, de décacheter les correspondances privées. Sous l’Ancien Régime, le surintendant général des Postes étant aussi secrétaire d’État aux Affaires étrangères, l’ouverture de lettres est une pratique gouvernementale fréquente, dont on se plaint dans les cahiers de doléances de 1789. Après la Révolution, qui protège par décret le secret des lettres, le viol du courrier est perfectionné et systématisé en 1808, sur ordre de Napoléon Ier, pour surveiller ses proches et l’opinion publique, et dans le cadre de la police politique et de l’espionnage. Dirigé par le dévoué comte de Lavalette, directeur général des Postes, le Cabinet noir communique par une porte dérobée avec l’Hôtel des postes à Paris. Doté d’un gros budget, il emploie des agents bien formés, qui recopient si nécessaire, avant de les remettre en circulation, les lettres ouvertes, déchiffrent, révèlent l’encre sympathique, et reproduisent les cachets scellant le courrier. Jusqu’en 1815, les fruits de ces downloadModeText.vue.download 123 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 112 travaux sont remis chaque jour à Napoléon, qui les détruit après en avoir pris connaissance. cabochienne (révolte), soulèvement parisien contre l’administration et la fiscalité royales, qui se déroule entre avril et août 1413 et qui tient son nom d’un de ses principaux meneurs, le boucher Simon Caboche. La révolte cabochienne s’inscrit dans un contexte de guerre civile qui oppose les partisans de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, et ceux de la famille d’Orléans-Armagnac. Profitant de la folie du roi Charles VI, les deux partis s’affrontent pour le contrôle du Conseil royal et des finances royales. Depuis 1408, Jean sans Peur domine Paris, où se tient la cour ; pour ce faire, il s’appuie sur le parlement et l’Université, favorables à une réforme de l’administration royale, ainsi que sur le puissant réseau des bouchers parisiens, qui cherchent à s’intégrer à la haute bourgeoisie de la capitale. Au début de l’année 1413, la crise financière est telle que le Conseil royal se résout à convoquer les états généraux de langue d’oïl afin d’obtenir leur consentement à la levée d’un nouvel impôt. Mais ses membres exigent préalablement la réforme de l’administration et de la fiscalité royales. Favorable à une telle réforme, Jean sans Peur soutient l’agitation antifiscale menée par les riches bouchers. En avril et en mai, manifestations et émeutes se succèdent ; la population parisienne s’en prend violemment aux officiers royaux et aux hôtels de la reine et du dauphin, Louis de Guyenne. Du 26 au 29 mai, les représentants des états généraux présentent enfin au roi une grande ordonnance de réforme de l’État. Il s’agit en fait d’un programme modéré, essentiellement administratif, qui ne témoigne d’aucune velléité de contrôle du pouvoir par les états. Mais cette ordonnance demeure lettre morte, car, dans les rues de la capitale, le mouvement populaire se radicalise et échappe au contrôle du duc de Bourgogne. Le 1er juillet, le prévôt de Paris, Pierre des Essarts, est exécuté et un impôt forcé sur les riches, exigé. Ces excès finissent toutefois par inquiéter les réformateurs modérés et la bourgeoisie parisienne, qui se rapprochent alors du dauphin. Le 4 août, avec l’aide de la milice bourgeoise, celui-ci parvient à s’imposer lors d’un rassemblement populaire. Les cabochiens sont aussitôt dispersés ; certains parviennent à s’exiler en terre bourguignonne. Le 23 août, Jean sans Peur préfère à son tour fuir Paris. Le 31 août, le dauphin autorise les chefs de la fraction des Armagnacs à entrer dans la capitale. L’échec de la révolte cabochienne est alors consommé. Le premier effet de cette défaite est de discréditer le duc de Bourgogne au profit des Armagnacs. À plus long terme, la révolte compromet durablement le programme de réforme modérée proposé par les états généraux : le 5 septembre, l’ordonnance de mai, dite « cabochienne », est ainsi solennellement déchirée, et, à la fin du mois, l’administration est sévèrement épurée de ses éléments réformateurs et favorables aux Bourguignons. En définitive, la révolte cabochienne apparaît comme l’une de ces nombreuses protestations antifiscales qui témoignent de la difficile naissance de la fiscalité royale à la fin du Moyen Âge. Cachin (Marcel), homme politique (Paimpol, Côtes-du-Nord, 1869 - Choisy-le-Roi, Seine, 1958). Fils de gendarme, élève brillant, boursier, licencié de philosophie, Cachin milite très tôt dans le mouvement socialiste : adhérant dès 1892 au Parti ouvrier français de Jules Guesde, il met tout son talent d’orateur et de publiciste au service de cette formation, puis de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière, qui unifie les différents partis socialistes). Durant la Grande Guerre, il se montre d’abord partisan résolu du soutien à l’« union sacrée », puis adhère au courant « centriste » - pacifiste modéré - du parti, majoritaire en 1918, et prend la direction de l’Humanité. En 1920, Cachin devient le chef de file, avec Frossard, des « reconstructeurs », et joue un rôle majeur, lors du congrès de Tours, dans la fondation du Parti communiste, dont il sera un dirigeant inamovible (comité directeur, 1920-1924 ; bureau politique, 1923-1958). Cette surprenante longévité ne s’explique pas seulement par la souplesse tactique de l’homme : Cachin symbolise la continuité du mouvement révolutionnaire, et son réseau de relations dans la classe politique - il fut député de 1914 à 1932, puis de 1944 à 1958, sénateur de 1935 à 1940 - représente pour le mouvement communiste un atout précieux. Fidèle à ses options, il refuse en 1939 de désavouer son parti, qui appuie le pacte germano-soviétique, et témoigne en faveur des députés communistes jugés au printemps 1940. En août 1941, il est arrêté par les Allemands, qui le contraignent d’émettre, dans un long document, des réserves sur la pratique des attentats individuels prônée par le PCF. Néanmoins, Cachin reprend à la Libération son rôle à l’Humanité, au Parlement et au sein des instances dirigeantes de son parti, qui lui voue jusqu’à sa mort un véritable culte. cadastre, terme générique désignant les documents qui sont à la base du calcul et de la perception de l’impôt foncier, c’est aussi un précieux outil pour l’histoire des structures agraires et du paysage. Avant le cadastre dit « napoléonien », élaboré de 1807 à 1850, il n’existe pas de cadastre général couvrant l’étendue du territoire. Cependant l’entreprise cadastrale se développe dès le XVIIe siècle et prend de l’ampleur au siècle suivant. Elle a pour but de rendre homogène une emprise, qu’elle soit royale ou seigneuriale. Elle procède aussi d’un impératif de rationalisation de l’espace et de l’impôt. Elle participe enfin à l’apparition de l’« individualisme possessif ». Au XVIIe siècle, quelques provinces, tel le Languedoc, sont déjà pourvues de cadastres qui servent au calcul de la taille réelle (cet impôt est assis à partir des biens roturiers et non des personnes). Des essais de cadastration sont par ailleurs tentés, comme en 1621 dans l’élection d’Agenais. Ils s’appuient sur le modèle seigneurial du « livre-terrier ». Le terrier (ou censier) est formé de l’ensemble des documents fonciers dans lesquels les biens possédés sous forme de tenures sont sommairement dénombrés (nom du tenancier, nature du bien, redevance). Au cours du XVIIe siècle, ces documents deviennent plus précis (description du bien, qualité du tenancier) et sont de plus en plus fréquemment accompagnés d’un levé des plans. À cet égard, le domaine royal et l’administration donnent l’exemple aux seigneuries laïques ou ecclésiastiques. Le terrier du roi, dressé vers 1700-1705 à Paris, sert de modèle aux grandes censives ecclésiastiques de la capitale telle celle de SainteGeneviève. Parallèlement, une importante infrastructure administrative est mise en place, constituée des arpenteurs-géographes du roi et des agents des maîtrises des Eaux et forêts. Au service de la seigneurie et des agents de la « réaction féodale », les arpenteurs, les leveurs de terriers et de plans et les feudistes forment la base du nouvel ensemble des professionnels de la cartographie. Cette dernière joue son rôle dans la montée de l’« individualisme possessif », car « la carte fixe le rapport des individus à l’espace par la possession et le droit » (Daniel Roche). Toutes ces entreprises participent donc à la réflexion sur l’impôt qui conduit, après l’échec de diverses tentatives de déterminer l’assiette de la contribution foncière (de 1790 à 1802), à l’établissement, par la loi de finances du 15 septembre 1807, du cadastre parcellaire. Cadoudal (Georges), chef vendéen (Kerléano, près d’Auray, Morbihan, 1771 - Paris 1804). Ce fils de paysans aisés poursuit des études qui lui permettent de devenir clerc de notaire. Même si, en 1789, il prend parti pour les « patriotes », il s’oppose peu après à la politique religieuse de la Révolution, avant d’être incarcéré en 1793 par les autorités révolutionnaires. Une fois libéré, il gagne la Vendée, où il participe aux combats, y compris pendant la « virée de Galerne », ville qu’il quitte pour la Bretagne après les batailles du Mans et de Savenay. De nouveau emprisonné à Brest avec sa famille, il ne doit la vie sauve qu’à la chute de Robespierre. Il s’échappe et entre dans la lutte contre les représentants de l’État. Il s’agrège peu à peu au réseau de la chouannerie, que tentent d’unifier Puisaye et son ad- joint Cormatin. Mais il s’en distingue en 1795 par son refus de toute pacification, et joue un rôle essentiel lors du débarquement de Quiberon en tant que commandant des chouans du Morbihan. Malgré les 15 000 hommes qui sont sous ses ordres, il est considéré avec mépris par les émigrés. Pourtant, tandis que ceux-ci sont enfermés dans la presqu’île de Quiberon par les troupes de Hoche, c’est Cadoudal qui, adjoint de Tinténiac, conduit une colonne chouanne pour prendre les républicains à revers. L’opération échoue, et l’expédition de Quiberon tourne au désastre : Cadoudal en rend responsable Puisaye, l’accusant de maladresse. Dès lors, il dirige la chouannerie morbihannaise, mais Hoche le contraint à la paix en 1796. Il se lance alors dans l’action politique, faisant élire certains de ses hommes, jusqu’au coup d’État de fructidor (4 septembre 1797) qui relance les opérations clandestines. Cadoudal, qui commande alors à huit légions, est reconnu par les downloadModeText.vue.download 124 sur 975 DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 113 princes. Il décide la reprise de la guerre, organise avec succès un débarquement d’armes et d’argent en provenance d’Angleterre, et tient tête aux forces républicaines dans le Morbihan en 1799. Mais cette victoire tourne court, car les chouans du Maine acceptent les propositions de paix de Bonaparte : Cadoudal doit se soumettre. Après avoir refusé le grade de général et une rente de la part du Premier consul, il retourne à la clandestinité et gagne l’Angleterre, où il est accueilli en héros. Ne pouvant raviver la chouannerie en Bretagne, il organise ensuite des attentats contre l’« usurpateur », en relation avec Moreau et Pichegru : il est notamment impliqué dans le complot de la « machine infernale » du 24 décembre 1800. Trahi alors qu’il prépare d’autres opérations, il est arrêté, jugé et guillotiné. Dans l’histoire très complexe de la chouannerie, qui reste mal connue, la figure de Cadoudal se distingue par sa longévité dans la lutte, ses capacités manoeuvrières, sa forte personnalité. Il donne surtout l’impression d’une grande conviction royaliste, qui lui fait refuser toutes les compromissions comme tous les accommodements, y compris sous l’Empire, période propice à de nombreux ralliements. Il incarne ainsi, dans la mémoire collective, l’un des exemples parfaits de la tra- dition contre-révolutionnaire. Cagoule (la), surnom donné par la presse à une organisation clandestine d’extrême droite des années trente, dont la véritable dénomination aurait été Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR) ou encore Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale (OSARN). Après la victoire du Front populaire, des militants issus de l’Action française, déçus par l’opposition - qu’ils jugent purement verbale de leurs chefs de file, basculent dans l’activisme. Fondée en juin 1936 et dirigée par un polytechnicien, Eugène Deloncle, la Cagoule est rigoureusement hiérarchisée, selon le modèle militaire. Ses quelque 3 000 militants armés sont répartis en groupes cloisonnés et clandestins. Des liens sont noués avec les services secrets de l’Italie fasciste : en juin 1937, deux émigrés antifascistes, les frères Rosselli, sont assassinés par des cagoulards, en échange d’une livraison d’armes. Il semble bien que la Cagoule, inspirée par l’exemple du général Franco en Espagne, a envisagé un coup de force « national » contre la République en usant de la provocation (le siège de la confédération du patronat français est dynamité en septembre 1937, et l’attentat est attribué aux communistes) et du noyautage dans les forces armées (des contacts sont établis, mais restent, pour la plupart, sans suite). Cette absence de soutien militaire explique l’échec de l’organisation, dont le ministre socialiste de l’Intérieur Marx Dormoy annonce le démantèlement en novembre 1937. Durant la guerre, une minorité de cagoulards rejoint la Résistance ; mais la majorité se range aux côtés de Vichy - dont Joseph Darnand, le futur chef de la Milice. Deloncle prend place parmi les collaborat