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QUESTION’AIR
FICHE n°
Les fiches du Centre d’enseignement militaire supérieur Air
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Décembre 2013
En quoi le trafic mondial de drogue
engendre-t-il une nouvelle géopolitique
des organisations criminelles ?
Au-delà de sa dimension sanitaire, la géopolitique de la drogue interroge les dessous de très
nombreux conflits et les effets induits en termes de violence et de financements opaques. Les organisations
criminelles n’ont cessé de prospérer sur ce commerce lucratif usant autant de la contrainte que de la corruption et mettant parfois en péril l’équilibre politique d’un État. De nombreuses guerres se perpétuent par les
profits de ces trafics. La mondialisation n’a fait qu’accentuer le phénomène et le combat livré pour le faire
disparaître semble produire des résultats fragiles et encore inégaux.
I. Une économie florissante
1. Les flux de la drogue
Le pavot, le cannabis et la coca sont les plus importantes drogues d’origine naturelle. La production
des opiacés se concentre surtout sur l’Afghanistan, premier pays fabricant d’héroïne, et la Birmanie. La
coca, dont dérivent crack et cocaïne, pousse essentiellement dans la région andine, notamment en Colombie
(environ 100 000 ha), au Pérou et en Bolivie (moins de 40 000 ha). La production de cocaïne est en hausse
depuis 2000 avec plus de 1 000 t annuelles. La marijuana est issue surtout du Cambodge, de la Colombie,
du Mexique et de la Jamaïque. Le cannabis connaît une spectaculaire augmentation de sa consommation
et se banalise auprès des 15-20 ans. La production du Rif marocain, comme celle du Pakistan, du Népal ou
de l’Afghanistan, innerve le Sud de l’Europe.
Les drogues de synthèse proviennent des Pays-Bas, en premier lieu, mais aussi de Birmanie, d’Afrique
australe et du Mexique. Elles connaissent un succès grandissant en Europe et aux États-Unis.
Les principaux problèmes de drogues - extrait du site www.unodc.org
www.cesa.air.defense.gouv.fr
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www.eoaa.air.defense.gouv.fr
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2. L’impact du commerce sur les États et les économies
Plus de 250 milliards de dollars circulent sur les marchés de la drogue chaque année. L’économie de
certaines régions voire de certains pays est affectée directement par ce trafic : le Mexique, la Colombie,
la Sicile ou encore la Floride. Certains États « producteurs » restent silencieux sur ces pratiques illicites
de peur de voir vaciller leur fragile équilibre social. Les profits retirés sont en effet substantiels et l’on
considère que le prix peut être facilement multiplié par 1 000 voire par 2 000 entre celui de la production
et celui de la consommation.
On prête à certains cartels de la drogue le pouvoir d’accélérer des crises, notamment financières. La
crise qui a touché les banques nippones ou encore celle affectant la valeur de la monnaie mexicaine, le peso,
aurait été, sinon provoquée, du moins entretenue par l’argent du commerce de la drogue. Le trafic de drogue
encourage aussi les « économies d’enclave » en Turquie, en Birmanie, en Afghanistan ou encore dans la Cordillère andine. Le bénéfice qu’il dégage obère la capacité de l’État à réformer structurellement son économie.
Extrait du rapport enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2012.
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II. La mondialisation des trafics
1. Des organisations criminelles protéiformes
Face à la lutte internationale menée contre les trafics en tout genre, les associations criminelles, depuis les
mafias aux cartels, se sont adaptées et ont profité des effets de la mondialisation pour décentraliser leur organisation depuis la fin du xxe siècle. Partout dans le monde, ces groupes se sont fractionnés en filiales et ont diversifié,
par la même occasion, leurs activités (diamants, prostitution...). La rigueur de la justice italienne a ainsi obligé
la mafia sicilienne à délocaliser un grand nombre de ses activités en Amérique du Sud, au Canada et en Afrique
du Sud où elle prospère grâce au blanchiment d’argent. Avec la guerre menée par les États-Unis en Afghanistan,
les producteurs de pavot ont dû trouver de nouvelles filières d’exportation de leur drogue depuis 2001.
Ces grands groupes mafieux entretiennent également des liens douteux avec le pouvoir politique. La
mafia sicilienne avait su trouver auprès des pouvoirs des relais actifs. Ils entretiennent également d’habiles
compromissions avec des dictatures, comme en Birmanie, ou, à défaut, une bienveillante discrétion de la
part d’États incapables de lutter efficacement contre les producteurs et les trafiquants comme au Paraguay
ou au Libéria.
2. L’argent sale de la drogue
L’argent sale est réintroduit dans l’économie « officielle » par le biais de circuits complexes. Le trafic de drogue est sans doute le secteur le plus important du blanchiment de l’argent sale dont la somme
dépasse les 1 000 milliards de dollars annuels pour atteindre entre 3 % et 6 % du PIB mondial. Le processus
de blanchiment est toujours le même : on « place » l’argent dans les circuits économiques, on en dissimule
ensuite l’origine par des sociétés écrans et enfin on réalise des dépenses « classiques ». La mondialisation
des échanges et le rôle d’Internet rendent ces opérations élaborées et difficilement saisissables.
Les systèmes traditionnels n’ont pas pour autant disparu. Les casinos, la vente immobilière, les courses
de chevaux, les commerces ou encore les achats de produits de luxe à l’étranger par de faux touristes sont
toujours aussi efficaces. Mais le système s’est complexifié par le biais de sociétés financières écrans et surtout de paradis fiscaux pourtant combattus. Les places « off shore », disséminées dans le monde, préservent
le secret bancaire et assurent la discrétion sur l’origine des fonds et le nom de leur propriétaire. Les Caraïbes
et la principauté de Monaco sont régulièrement visées par des enquêtes internationales qui cherchent à
débusquer qui se cache derrière les intermédiaires fondateurs de ces sociétés qui permettent de distinguer le
commanditaire des sommes d’argent.
III. La lutte contre les trafics
1. La drogue, actrice des conflits locaux
L’interaction du trafic de drogue dans les guerres remonte, au moins, à la guerre froide lorsque les deux
grands, soucieux d’éviter un affrontement direct, laissèrent prospérer des luttes périphériques dont le financement est assuré souvent, avec une complicité bienveillante, par le commerce de stupéfiants. Les conflits en
Amérique latine et au Proche-Orient en ont été durablement affectés : ainsi, en 1989, les Américains justifient
leur opération au Panama en prenant pour prétexte la lutte contre les producteurs de drogues.
Depuis la fin des années 1990, le phénomène s’est accéléré. On compte aujourd’hui près d’une quarantaine de conflits dans lesquels le trafic de drogue joue un rôle essentiel. De nombreuses guérillas financent
l’achat d’armes et de munitions en s’appuyant essentiellement sur ce commerce : ainsi les FARC en Colombie,
et avant eux les taliban en Afghanistan ou encore l’Armée de libération du Kosovo (UCK) qui, lors du conflit
de 1999, n’a pas hésité à recourir à l’argent des trafics d’héroïne et de cannabis, en lien avec la mafia italienne,
pour acheter des armes. Au Pérou, certains officiers ont même profité de la manne des stupéfiants pour orga-
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niser la lutte contre le mouvement du Sentier lumineux. En Casamance, le mouvement de libération de la
région a tiré profits de la production de cannabis pour engager la lutte contre l’armée sénégalaise. Les armées
des Tamouls et des Sikhs ont prospéré sur le trafic de drogue pour financer leur combat au Sri Lanka.
Aujourd’hui, près d’une quarantaine de conflits sont entretenus par les trafics de stupéfiants, aussi
bien au Moyen-Orient que dans les pays du Caucase, en Asie, en Amérique andine et en Afrique. L’Inde,
la Tchétchénie, la Turquie, l’Espagne, l’Algérie, le Soudan, le Liberia, le Congo, le Tchad, la Somalie, les
Comores, la Birmanie ou encore les Philippines sont des espaces particulièrement surveillés en la matière.
2. Un combat perdu d’avance ?
La conférence de Shanghai de 1909 1 provoque une
première de prise de conscience du phénomène. Depuis la
fin des années 1990, le Groupe d’action financière internationale (GAFI) tente de trouver une parade à ces trafics mais les
résultats sont encore incertains. Le Programme des Nations
unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID)
s’inquiète même de l’ampleur du développement de la consommation de drogues sous forme synthétique (à
l’exemple de certaines amphétamines).
En octobre 2000, à Palerme, une convention des Nations unies engage la lutte contre le crime international organisé. Depuis les attentats du 11 septembre, la filière de la drogue fait l’objet d’une attention
particulière en raison de son financement des réseaux terroristes. Les États-Unis furent à la pointe de ce
combat, développant un arsenal technique et militaire important contre les narcotrafiquants d’Amérique
centrale et andine, et aujourd’hui les régions du Moyen-Orient et du Caucase. Cette politique relayée par
des conseillers militaires et d’importants détachements armés a permis de réduire au moins de moitié les
surfaces cultivées sans pour autant les faire disparaître définitivement.
Le 16 novembre 2013, la France et le Sénégal ont signé un accord contre le terrorisme et le trafic de
drogue baptisé « plan Sahel ». Mais en dépit de la mobilisation des acteurs internationaux, la lutte contre
ces trafics internationaux peine à trouver des solutions de développement qui, seules, pourraient enrayer
le phénomène. Les intérêts économiques et géopolitiques des grandes puissances n’étant pas directement
menacés, le combat contre la drogue semble un enjeu secondaire. La légalisation de certains stupéfiants,
proposée par un certain nombre d’organisations, trouve alors un écho en Europe mais peine à prouver son
efficacité dans les pays où elle a commencé à être éprouvée.
1. 1er traité international visant au contrôle des drogues signé à la Haye le 23 janvier 1912
Pour aller plus loin :
– Géopolitique des drogues, PUF 2011 : Alain Labrousse.
– Drogues et civilisations une alliance ancestrale de la guerre à la pacification, ed. De Boeck 2010 : Michel
Rosenzweig.
ISSN 1963-2150
Rédaction en chef et direction de la publication : Centre d’enseignement militaire supérieur Air (CEMS Air)
Édité par le Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) - École militaire - 1 place Joffre - 75700 PARIS SP 07
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