Etienne Blanc et les contradictions de l`immigration choisie
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Etienne Blanc et les contradictions de l`immigration choisie
ETIENNE BLANC À FERNEY LES CONTRADICTIONS DE L'IMMIGRATION CHOISIE INVITÉES À LA CAMPAGNE DE L'UMP Introduction M. Etienne Blanc tenait tribune le soir du 31 mai à Ferney-Voltaire, dans le cadre d'une séance d'explication avec débat organisée par la section locale de l'UMP. Cette conférencedébat était visiblement destinée à faire passer dans l'opinion que la loi sur l'immigration prétendument "choisie", voulue par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, votée par le Parlement le mercredi 16 mai, et passant le même jour l'épreuve du Sénat, était la seule réponse possible aux questions qui agitent le pays au sujet de la place des immigrés dans la société française. Accessoirement, voire principalement, la formation politique du conférencier, toute à la tâche du soutien de son présidentiable challenger, en attendait sans doute quelque bénéfice électoral, local et national, en inaugurant à cette occasion une campagne qui s'amorce. Le choix dans ce contexte de la thématique favorite de l'extrême-droite, sous l'inévitable prétexte de lui couper l'herbe sous les pieds et de pourfendre au passage une gauche se voilant la face, n'est évidemment pas dû au hasard. Peut-on pour autant conclure que cette entreprise a réussi à éclairer sur des enjeux dépassant la cuisine électorale des citoyens attachés à des traditions démocratiques dont l'orateur s'est posé en défenseur ? Nous ne le croyons pas, et soutenons, en accord avec le collectif qui s'oppose à son adoption, qu'à l'inverse, l'appui ostensible donné par ses partisans à une loi qui ne fera qu'accroître la "fracture sociale" chère à un actuel Président de la République à la dérive, tient bien plus d'une démagogique gesticulation à prétention de rupture que d'une stratégie politique réellement innovante à la hauteur d'enjeux nationaux ou européens. Nous nous efforcerons ici, à la faveur des arguments avancés hier par M. Blanc, d'illustrer cette conviction en évitant les trop faciles procès d'intention. L'épouvantail de l'immigration zéro M. Blanc a commencé par s'attaquer à ce qu'il a justement qualifié de chimère, le dispositif, préconisé par le Front National ou ses émules villiéristes, d'un arrêt brutal ou étanche de migrations qui ont marqué l'histoire de France. Il refuse le terme de "barrières" pour qualifier les limites qu'entend renforcer la nouvelle loi. Il fonde même l'opportunité de cette dernière sur la nécessité d'affirmer clairement et avec solennité le besoin national d'accueillir en permanence de nouvelles populations. On voudrait pouvoir l'en féliciter sans arrière-pensées, mais les lances qu'il rompt en parallèle contre une "idéologie de gauche" qu'il juge inapte à tout contrôle volontaire d'un afflux d'irréguliers débordant des capacités d'accueil limitées, met la puce à l'oreille. Ne s'agirait-il pas plutôt, en vantant tout au long de son exposé le travail comme seul véritable mécanisme efficace d'intégration, en applaudissant aux conditions de ressources imposées par la nouvelle loi au regroupement familial, aux restrictions plus sévères aux mariages avec conjoint étranger, de faciliter uniquement aux entreprises le recours à de la main d'œuvre étrangère tout en décourageant toute autre forme de circulation des personnes hors espace Schengen ? C'est ce qu'a paru soupçonner un intervenant qui plaidait pour une liberté de circulation facilitée pour les ressortissants des anciennes colonies françaises, touristes ou commerçants, et s'inquiétait de savoir si le SMIG pour toute ressource serait considéré suffisant pour garantir le respect du regroupement familial. Le député a plutôt confirmé nos craintes en applaudissant des deux mains à ces mesures … dès que les flux d'immigration seraient stabilisés et les clandestins évanouis. Bottant ainsi en touche, il a renvoyé ces assouplissements aux calendes grecques, sous le fallacieux prétexte qu'ils ne manqueraient pas d'être, tout comme n'importe quel dispositif, susceptibles de fraude. Nous sommes donc fondés à penser que tout en se différenciant formellement de la plateforme électorale du FN sur le thème de l'immigration zéro, M. Blanc et ses émules se contentent uniquement de décliner un arsenal, c'est leur terme, juridico-administratif, permettant plus encore qu'à l'heure actuelle de discriminer, refouler, sanctionner les candidats à l'immigration, et de fait violer leurs droits fondamentaux. N'attend on pas toujours en vain de voir augmenter les moyens de s'attaquer aux filières mafieuses ou légales entretenant les canaux d'importation de main d'œuvre ou l'espoir d'échapper à la misère ? Et que dire de la mise en place de dispositifs d'accueil et d'intégration dignes de ce nom, nécessairement interministériels, et peu compatibles avec la rétraction de services sociaux jugés pléthoriques ? On verra bientôt ce que le fameux pilote de l'Intérieur, dont M. Blanc se félicite qu'il ait pris la haute main sur tout ce qui dans le contrôle de l'immigration pouvait relever d'administrations éclatées, fera comme promesses dans ce sens. Pour l'instant, force est de constater que ses partisans se contentent de caresser l'électorat sensible aux sirènes frontistes dans le sens du poil, et contribuent, en faisant de l'immigration le problème No 1 auquel seraient confrontés les français, à renforcer des convictions populaires qu'ils prétendent combattre. Historique des dispositifs de contrôle des flux migratoires Habilement et, reconnaissons-le, avec maestria, le député a brossé le panorama des lois ou règlements balisant l'espace législatif de 1945 à nos jours dans le domaine. C'est dès 1974, avec Valéry Giscard d'Estaing, que seraient apparues les premières tentatives de freiner des migrations que l'appétit de main d'œuvre consécutif à l'après-guerre avait contribué à absorber sans autres restrictions. Certes, le malaise des petits enfants des immigrés d'alors végétant aujourd'hui en banlieue tempère la vision idyllique du processus qualifié d'intégration par le travail à l'heure où ce dernier se raréfie. Réglementations tatillonnes, inefficaces, brouillonnes, contradictoires, lois souvent abrogées ou rétablies lors des alternances de majorités, régularisations ponctuelles en urgence, retraits absurdes d'autorisation de travail en attente de décision, le conférencier n'a pas eu de mots assez durs pour ces mesures qualifiées globalement d'errements et dont nous jugeons inutile de reproduire ici les étapes auxquelles sont attachés entre autres les noms des Bonnet, Pasqua, Joxe, Quilès, Méhaignerie, Debré et Chevènement. Evidemment la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure de 2003 échapperait à ce réquisitoire et n'est qualifiée que d'insuffisante eu égard à une dispersion ministérielle des efforts et à une trop maigre dotation de l'OFPRA face à la gravité accrue des enjeux. L'inefficacité à reculons de ces dispositifs serait responsable de la situation actuelle, où pêlemêle nous sont jetés en pâture les sans-papiers de St Bernard, les hordes de sénégalais accostant aux Canaries, les transitaires de Sangatte, les émeutes de Clichy sous Bois ou Montfermeil et les enfants morts brûlés lors de l'incendie d'un immeuble il y a moins d'un an. On se demande comment l'indignation morale justifiée face aux conditions de vie d'une telle population peut se combiner avec un catalogue de mesures qui tient tout entier dans des dispositions qui ne font qu'aggraver sa précarité, la contraindre encore plus à la clandestinité et entretenir l'illusion d'une solution par refoulement total hors du territoire. Pire, M. Blanc martèle les sondages, il est vrai préoccupants, montrant plus de la moitié des français persuadés qu'il y a trop d'immigrés sur le territoire national, et mentionne à plaisir les scores ravageurs en milieu populaire, voire leur pénétration de l'électorat traditionnellement de gauche, pour justifier que son mentor s'attelle enfin à la tâche nécessaire et courageuse que l'idéologie de la gauche l'empêcherait d'entreprendre. Selon lui, cette dernière, par une incurie évidemment congénitale de ses élus et son refus de voir où le bât blesse, serait même responsable de la propagation de cette peste mentale à la recherche de commodes boucs émissaires. Tout à la condamnation d'une désorientation programmatique dont témoignent des propositions de responsables du PS, il prend complaisamment à témoin les remèdes qu'a hasardés Malek Boutih pour les accuser même de dépasser ceux du FN en indignité, omettant de noter qu'il fait chorus avec ce même parti. Que n'aurait-il pas dit, suivant une nouvelle fois les commentaires ironiques de son ministre favori, des sorties de Ségolène le jour suivant sa conférence ? Nous resservant la maléfique théorie fabiusienne selon laquelle le FN avancerait de mauvaises réponses à de bonnes questions, il n'a que sarcasmes pour la cécité des amateurs de socialisme par rapport à la crédibilité et la clairvoyance de son champion libéral, qu'il campe en républicain combattant tous les communautarismes à l'anglo-saxonne. Qu'il nous pardonne de trouver qu'il cède à une pernicieuse facilité en raillant ainsi ses adversaires dans l'hémicycle et leur collant la responsabilité de ces déplorables glissements d'opinion. Les sondages ne font qu'illustrer et les seules statistiques sont impuissantes à cerner les causes de ces phénomènes sociaux et de leur traduction politique et médiatique. Critiquer l'inaction ou l'échec patent de batteries contradictoires ou alternées de mesurettes à enrayer la croissance de l'insécurité ne suffit pas à faire prendre un dixième avatar législatif pour la grande politique qui fait défaut. Et il serait prudent que, par exemple, celui qui, dans notre région, avait soutenu Charles Millon en 98 dans son alliance avec le FN, cesse de jouer au rempart républicain contre une nouvelle présence du leader frontiste au second tour pour s'interroger plus sincèrement sur la formation idéologique des ses propres troupes. Bienvenue aussi serait quelque autocritique quant aux cautions répétées, rappelons-nous les palinodies de Chirac sur l'odeur incommodante des immigrés et autres médiocrités de campagne sur les thèmes sécuritaires, que la droite donne à la recherche de coupables du côté des étrangers ou assimilés. Les grands axes de la loi 2006 – l'immigration dite choisie Une fois brossé le tableau des errements du passé, une fois tout retard dans la réponse aux attentes légitimes des français sur le terrain sécuritaire disqualifié en brandissant le spectre d'un second 21 avril 2002, M. Blanc s'est attelé à décrire les grands axes de la politique de l'immigration qu'enfin le ministre de l'Intérieur aurait solennellement proposée aux Français. Il n'a eu de cesse de répéter qu'il s'agissait d'une première et novatrice tentative de doter le pays, en réponse à un besoin enfin pris en compte, d'une législation d'envergure, entée sur des principes fondamentaux incontestables et républicains, un ensemble de normes et de règles dont il donnerait à croire qu'ils n'étaient nullement dictés par des considérations d'opportunité. Il a pourtant eu bien du mal, croyons nous, à faire saisir à une salle pourtant acquise et prompte à applaudir ses sorties, qu'il faut reconnaître verbalement impeccables, en quoi la précédente réglementation aurait empêché les gouvernements ayant succédé à Jospin d'agir efficacement dans le registre qu'il préconise. Maîtrise des flux Le premier axe de la réforme consisterait à sortir le Parlement du brouillard (dixit) permettant la maîtrise quantitative des flux migratoires par la présentation annuelle, par le ministère de l'Intérieur, d'un rapport sur l'état de ces flux. Distinguant l'immigration dite de travail de l'obtention de permis de séjour au titre de l'asile ou du regroupement familial, cet appareil statistique devrait enfin rendre possible de corréler objectifs prévisionnels et capacités d'accueil. Visas obligatoires, suppression d'automaticité d'obtention du droit séjour après 10 ans de présence, accélération des procédures de refoulement (pudiquement appelée simplification des procédures d'éloignement), accroissement des durées de rétention etc., telles sont les méthodes de contrôle, comme l'on voit purement répressives et guère innovantes, que M. Blanc refuse pourtant de qualifier de "tour de vis". A un intervenant lui faisant remarquer que ce rapport annuel aurait déjà pu être engagé sans le secours de la nouvelle loi, l'orateur ne put rien rétorquer d'autre que d'opposer la plus grande pérennité d'un principe législatif à un simple règlement. Nous voyons quant à nous une contradiction remarquable à prétendre justifier une batterie de mesures concrètes sur des données chiffrées démontrant la nature des problèmes à résoudre, et à qualifier à la fois ces données de brouillard n'autorisant pas la maîtrise nécessaire. Etrange aveu que les décisions présentes, allant toutes dans le sens d'une répression accrue du demandeur de séjour, dérivent bien d'une idéologie simpliste jugeant excessifs l'afflux et la présence d'irréguliers et attribuant cet excès au manque de contrôles administratifs. Aveu encore qu'elles ne sont nullement fondées sur une analyse impartiale des mouvements de population pouvant faire l'objet d'un diagnostic partagé. Le reproche fait à ses pairs de courir après l'extrême droite, accusation qui révulse l'orateur, ne paraît donc guère aussi outrancier qu'il veut le faire accroire. Un autre argument caractéristique de la tournure de pensée du député a été de feindre trouver inconcevable que l'on proteste contre l'abrogation de l'automaticité de délivrance du titre de séjour après 10 ans de présence. Selon lui, cette automaticité aboutit à admettre qu'une illégalité durable confère des droits et choque même sa haute conception de la justice. Ce n'est pourtant ici nullement l'illégalité de la présence qui confère des droits mais seulement le constat que les méthodes administratives de poursuite de tels méfaits ont failli à empêcher le temps de faire envers et contre tout son travail d'intégration à la société d'accueil. On ne sache pas que la noblesse de son sentiment ait poussé notre parlementaire à hurler son indignation face à l'amnistie récente de son collègue de travée Guy Drut. Jusqu'où l'hypocrisie risque-telle encore de l'entraîner ? Durcissement du regroupement familial Le brouillard statistique n'empêche apparemment pas le conférencier de péremptoirement s'en prévaloir pour qualifier le regroupement familial de première vanne d'admission illégale de migrants. Il se félicite que la loi s'attelle à dérégler cette mécanique de pompe aspirante, ce sont ses termes, par de multiples chicanes. Même la mesquine mesure, consistant à faire passer le délai de demande d'un an à dix-huit mois de séjour régulier, lui paraît vertueuse pour permettre un "meilleur" contrôle de conditions d'accueil décentes. Que seraient six mois de plus de séparation pour une famille argua-t-il benoîtement si cela aboutit à s'assurer d'un logement décent et d'un revenu minimal, dont la loi ne tolèrera d'ailleurs plus qu'il inclue dans son calcul les prestations sociales auxquelles la famille aurait droit. On ne voit pourtant pas l'offre de travail ou de logement social s'accroître en six mois mais rien n'est de trop pour prouver sa volonté de réduire coûte que coûte la demande, sans bien entendu voter pour l'immigration zéro, n'est-il pas ? Concédant que ces nouvelles conditions furent les plus contestées par la gauche à l'Assemblée, M. Blanc s'en est fait malgré tout le chantre, s'appuyant cette fois sur Michel Rocard et sa déclaration de janvier 1990 sur l'impossibilité de la France à accueillir toute la misère du monde, et dénaturant comme il est d'usage la citation en la tronquant de sa seconde partie "mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part". Voir le commentaire de l'auteur dans http://www.bok.net/pajol/rocard.html. Pas choqué non plus, le généreux citoyen, d'étendre encore la suspicion de complaisance aux demandes en mariage avant trois ans de vie commune, voire quatre ou cinq en cas d'interruption de séjour. Sans doute regrette-t-il que l'administration n'ait pas la haute main sur le temps de gestation ! S'offrant le beau rôle de faire une leçon de générosité verbale aux présents en leur faisant remarquer qu'il ne suffisait pas de recevoir pour accueillir, il n'a guère pu fournir d'autres exemples d'amélioration des conditions d'accueil que la toute fraîche autocongratulation du ministre de la Cohésion Sociale pour l'augmentation de la construction de logements neufs au premier trimestre, dont on ne sache pas qu'elle doive quelque chose à M. Sarkozy. Confondant allègrement logement social, essentiellement locatif et pour cause, et accession à la propriété, il ne nous a guère éclairé sur la position qu'il a défendue dans le retrait de l'amendement par lequel, au grand dam du ministre, son collègue Ollier voulait inclure cette accession dans le quota de 20% imposé aux communes. Au contraire, il a aiguisé nos soupçons en resservant à l'auditoire la sauce de la vision irénique où tous les français seraient propriétaires, en applaudissant aux amendements de substitution que son groupe fit voter dans ce sens et en se contentant de railler les réticences à privilégier l'accession à la propriété d'une gauche suspecte à ses yeux de craindre uniquement de voir se dérober son électorat. Choisir et non subir Venant à ce qu'il considère être le troisième axe de la grande politique qu'il soutient de toute sa verve, Etienne Blanc oppose ce contingentement volontaire de l'immigration au refus pervers de se doter d'un système de limitation. Il n'ose évidemment, fidèle à la langue feutrée de ses auteurs, baptiser ce mécanisme du si vulgaire nom de "quotas". Il table aussi sur la vertu de la carte de séjour "talents et compétences", prenant ici exemple sur les réalités américaines ou canadiennes, pour enfin inverser les néfastes proportions de l'immigration à la française où 80 % des concernés n'auraient que le niveau d'éducation primaire au lieu d'être titulaires comme dans ces pays modèles d'un bac ou plus. Toujours ces fameuses statistiques qui font défaut ... Il a donc qualifié de réponse compétente au désastre humain que constituerait la prime donnée aujourd'hui à l'accueil de ceux qui fuient la misère ou l'oppression, en effet rarement porteurs d'un viatique en forme de diplôme universitaire, ce qui à tout prendre est une prosaïque tentative d'inverser la fuite des cerveaux. Dans la foulée, en réponse à une assistance qui se demandait s'il ne valait pas mieux, par des mesures de codéveloppement, tarir le flux à la source que vainement en freiner l'admission, il n'a pas manqué de s'en déclarer un fervent partisan. La forme prévisible qu'il a donnée à une telle entreprise coïncidait toutefois étrangement avec l'expansion à l'étranger des activités commerciales, industrielles ou financières françaises. Regrettant au passage que les jusqu'au-boutistes du non au référendum constitutionnel aient privé l'Europe d'un rôle plus à sa mesure qu'à celle de notre pauvre pays, il a pointé avec une ironie mordante qu'il y avait pour ces avocats du codéveloppement quelque contradiction à critiquer les délocalisations ou regretter la disparition de l'industrie du chapeau mou (sa grand-famille en était, nous dit-il). C'est que, facile contempteur des versions racornies du socialisme tant brejnevien que boumediennien, ce libéral bon teint ne voit d'autre salut que dans la supérieure création de richesses par un capitalisme dont il se garde soigneusement pourtant de commenter les ratés dans la répartition de ces dernières ou les dégâts collatéraux qu'il inflige à l'environnement naturel ou social. Gageons qu'il serait encore plus avare d'explications sur les méthodes qu'il emploierait et sur les concours sur lesquels il s'appuierait pour éviter des nuisances dont il n'a cure. Renforcement des conditions à l'intégration Au terme d'un exposé que la salle commençait à trouver aussi long que le présent compterendu, notre cher homme s'est félicité de l'implication nouvelle des maires et services municipaux dans le contrôle des conditions d'intégration. La loi appelle en effet ces derniers à informer les autorités compétentes quant à la connaissance de la langue française dont font preuve les prétendants à une carte de résident de dix ans. Ces derniers auront auparavant franchi le barrage de l'engagement personnel à respecter nos lois et coutumes gauloises, mais le législateur ne précise pas si nos institutions locales seront ici aussi appelées à confirmer le respect du respect. Aura du pouvoir administratif conféré aux fonctionnaires qui pourront se glorifier de trancher l'avenir des concernés ! On attend impatiemment les crédits alloués à la formation d'étrangers persistant à rejoindre la généreuse communauté nationale, si d'aventure cette discrimination des ressortissants extra-européens n'est pas abolie en cas d'alternance. Heureusement, encore que bien timidement eu égard à son lyrisme coutumier, notre député s'est tout de même déclaré attaché, par tradition plus que par conviction, au droit du sol, contesté par une intervenante. Si dans l'incertitude il l'attribua à Napoléon, rappelons que ce principe, qui n'est pas exclusif de celui du sang, y est souvent combiné puisque le statut des parents intervient dans le droit de la nationalité française. Seul le gouvernement de Vichy osa légiférer pour retirer leur nationalité à des ressortissants l'ayant acquise en vertu des lois en vigueur, dont l'esprit fut rétabli à la Libération. François Baroin, qui suggérait un assouplissement réservé à l'Outre-mer du dit principe, s'est d'ailleurs vu rappeler que l'acquisition de la nationalité française n'avait jamais été automatique pour un enfant né en France de parents étrangers, lequel devait avec l'accord des parents faire une démarche dans ce sens s'il résidait encore en France à l'âge de 13 ans, à moins qu'un de ses parents soit luimême né sur le territoire. Contrôle renforcé en Outre-mer M. Blanc a terminé son exposé avant de donner la parole au public en mentionnant brièvement le volet consacré à l'Outre-mer comme 5ème axe de la mouture 2006 du projet de loi Sarkozy. Il approuve évidemment sans réserve que ces départements ou territoires, que géographie ou voisinage exposent à un afflux particulièrement dramatique de populations dans le besoin, bénéficient d'une vigilance renforcée de l'administration sur laquelle il ne put s'étendre. On peut sans doute supposer que cette vigilance s'inspirera des obstacles évoqués plus haut que le ministre préposé voulut, vainement pour l'instant, opposer à l'acquisition de la nationalité en cas de naissance sur le territoire, car le nombre d'enfants par migrant doit y être supérieur à la moyenne nationale. Réactions du public et conclusion Comme nous l'avons indiqué, le conférencier parlait dans un contexte quasi pré-électoral, et l'UMP, qui invitait au débat, ne peut qu'être satisfaite de la prestation de son orateur. Nous avons déjà mentionné dans le contexte les quelques arguments venus de personnes dans le public. Hormis un représentant du collectif d'associations opposées à la loi ayant courageusement émis une note aussi discordante que précise, et une inepte péroraison hors sujet et d'inspiration anticapitaliste primaire due paraît-il à une oratrice égarée du PT, les interventions nous parurent à titre individuel. Malgré le caractère fatalement réducteur de tels débats, il faut se réjouir qu'ait été donné au public gessien l'occasion de s'exprimer sur des sujets dont l'importance ne peut échapper à tout démocrate. Cela dit, nous restons convaincus que l'attitude de Monsieur le député-maire Etienne Blanc, personnalité remarquable et influente dans la région et au-delà, sa jovialité, sa bonhomie, sa patience aussi face à ses contradicteurs, mériteraient d'être mis au service d'une toute autre cause que celle d'une loi absolument régressive et attentatoire aux libertés fondamentales des plus faibles. Rien dans cette loi n'est propre à donner ce "goût du vivre ensemble" que le conférencier a hasardé comme belle définition de la République au détour d'une question de la salle. Nous espérons avoir montré en particulier que l'arsenal des dispositifs tant vantés est bien loin de constituer une tentative loyale, nécessaire, d'ériger un cadre législatif permettant une approche claire, constructive, humaine et pour tout dire démocratique de l'accueil des réfugiés et autres migrants. Une telle loi se doit certes de réprimer les contrevenants à la vie commune, mais le faire sans discriminer, tracasser ou stigmatiser des catégories montrées du doigt. Elle doit réserver sa sévérité, toute sa sévérité, à ceux qui profitent des conditions difficiles d'existence de populations déjà précarisées. Cette loi devra être dégagée des poisons xénophobes qu'instille à loisir une droite extrême à l'affût de nos faux-pas dans le traitement d'un sentiment d'insécurité qui devient le lot partagé par la plupart lorsque la pauvreté, la ghettoïsation et le communautarisme gagnent du terrain, dégagée aussi bien entendu des fauxfuyants de ceux que leurs œillères sociales ou mentales rendent indifférents à ce sentiment. Mais la loi que Nicolas Sarkozy nous sert aujourd'hui n'est que son marchepied vers ce pouvoir qu'il proclame convoiter dans son miroir tous les matins, fruit de son analyse que, faute de compter sur d'autres concours, il faut donner coûte que coûte des gages à ceux qui obstinément accusent les nouveaux corvéables de miner le consensus national et ne voient de salut que dans une accumulation sans fin de brimades. En bombant le torse du grand nettoyeur d'écuries, il paradera encore le temps d'une présidentielle aux avant-postes d'un tout répressif dont d'autres, pour peu qu'il s'installe aux manettes, devront assumer l'inefficacité. Preuve ultime de ce type de rodomontades, sa reprise du slogan haineux popularisé par le vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon et transformé pour les besoins de la cause en " Si certains n'aiment pas la France, qu'ils ne se gênent pas pour la quitter". Ce genre de propos, apparemment frappé au coin du bon sens, bénéficie de l'agrément d'Etienne Blanc, ce qui ne nous étonne pas, mais trouve apparemment grâce auprès de camarades au républicanisme pourtant avéré. Il vaut donc la peine qu'on s'y attarde. Outre qu'il participe d'un esprit ségrégationniste tendant à diviser la France en deux camps, dont l'un ne mérite pas d'y séjourner ou plutôt dont on regrette de ne pas pouvoir (encore ?) l'expulser, son caractère parfaitement inconvenant au regard d'une loi qui se pique de respecter la liberté d'opinion et d'expression devrait soulever d'indignation le plus timoré des démocrates. Faut-il rappeler comme Rosa Luxembourg à Lénine, que la liberté de penser est toujours celle de penser autrement ? Faut-il rappeler qu'il ne s'est jamais agi, fort heureusement, même sous Vichy, de demander aux opposants de toutes obédiences de quitter le territoire national pour la simple expression d'opinion ? Faut-il rappeler que même les émigrés de Coblence, qui n'ont tout de même pas passé la frontière par amour excessif de la France, ont réintégré le giron national sans devoir abjurer leur détestation de la république ? On peut certes arguer que l'exil est une sanction moindre que l'emprisonnement ou la détention en camps de tous ordres, qu'il ne s'agit que d'une boutade et non de raccompagner à la frontière pour délit d'opinion, et que le premier policier de France, même s'il proclame sa fierté d'atteindre un quota de 25'000 expulsés pour 2006, ne mérite pas un tel procès, il n'empêche. Ceux qui n'aiment pas la France telle qu'elle est, a été parfois, ou sera encore, ont évidemment tous les droits que cette dernière a accordé et accordera à tous ses citoyens et tous ses résidents, et en particulier tous ceux que leur confère la déclaration universelle des droits humains et, n'en déplaise à quiconque, la jurisprudence de la cour européenne. MM. Blanc et Sarkozy seraient bien inspirés de ne pas céder plus avant à de telles dérives verbales, de maîtriser leur dangereuse propension au maniement du kärcher, et de laisser à l'extrême droite non républicaine le privilège de ce type désolant de mot d'ordre. M. Blanc s'est d'ailleurs défendu de croire aveuglément en l'efficacité des nouveaux dispositifs, tout en accusant quiconque les contestait d'être favorable au statu quo, sur l'air du "nous au moins on fait quelque chose". L'honneur du politique a-t-il entonné, c'est de choisir, de décider. Gouverner c'est faire montre de volonté nous asséna-t-il sans ménagement. S'il est piquant de voir partisans des automatismes du marché et adversaires de l'interventionnisme en matière économique glorifier ainsi le rôle des institutions parlementaires, nous ne confondrons pas l'esbroufe avec une politique. En conclusion nous ne pouvons que nous rallier à la demande de la FIDH et de la LDH au président de la République pour qu'il retire un texte qui "en durcissant considérablement le droit de vivre en famille, en rabotant les possibilités d'intégration, en créant de nouvelles situations inextricables qui ne feront que renforcer le nombre de personnes sans papiers mais non expulsables, en restreignant la possibilité de se marier entre français et étrangers (même européens), ne fait que flatter une xénophobie et un racisme dont l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme montre l'impressionnante progression"1. Dario CIPRUT membre de l'AGRAF 1 Nous nous associons également à leur pétition pour que la France accompagne le retrait de la loi en ratifiant la "Convention internationale sur le droit des travailleurs migrants et de leurs familles".