17 janvier 2016

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17 janvier 2016
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Culte du 17/01/2015
par Pierre Prigent
La transfiguration
Marc 9,1-10 et II Corinthiens 4,6-10
En ce dimanche, nous sommes invités à faire mémoire de la transfiguration de
Jésus telle qu’elle est racontée dans les trois premiers évangiles. Et pourtant le
texte de prédication en ce jour n’est pas ce récit que nous avons lu, mais un
passage de la 2ème lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens.
L’apôtre commence par affirmer que seuls les croyants perçoivent
l’illumination de l’ÉVANGILE tel qu’il est magnifiquement révélé par le Christ,
image de Dieu. Et je cite : « Le Dieu qui a dit ‘Que la lumière brille au milieu des
ténèbres’, c’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la
connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ. Mais ce trésor,
nous le portons dans des vases d’argile pour que cette incomparable puissance
soit de Dieu et non pas de nous ».
Ce texte n’est vraiment pas facile, j’en conviens. Mais je veux essayer de vous
montrer qu’il dit la même chose que le récit de la transfiguration et qu’il nous
le rend plus proche. Et nous en avons bien besoin : ce récit nous gêne, notre
monde refuse ce trop-plein de merveilleux. Nous ne vivons pas comme cela.
Nous n’avons pas d’apparitions et n’entendons pas de voix célestes. Voilà
pourquoi nous hésitons à chercher là la bonne nouvelle qu’annoncent les
Évangiles. Il ne faut pas hésiter. Il faut chercher là l’Évangile.
Comment ? Normalement, je devrais vous proposer une explication de texte.
Mais je me laisse aujourd’hui tenter par une autre méthode : Vous savez ce
qu’est l’Église orthodoxe. Notre quartier voit actuellement s’élever les murs
d’une église orthodoxe. Ses coupoles de cuivre ne sont pas encore posées mais
on devine leurs formes qui sont pour nous parfaitement exotiques, étrangères.
Pourtant c’est à l’orthodoxie que je vais demander les premiers mots d’une
réponse à notre question : Dans les monastères orthodoxes, par exemple en
Grèce ou en Russie, il y a presque toujours des moines iconographes qui ont
pour mission de fabriquer des icônes. Vous direz : ce sont des artistes peintres.
Mais leur titre est : iconographes c'est-à-dire : écrivains d’icônes. C’est que
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l’icône est un message, comme une lettre adressée du ciel à ceux qui la
regardent. Qui la lisent !
Pourquoi est-ce que je vous raconte cela ? Écoutez : dans le monastère on a
mis à part un jeune moine pour lui apprendre à peindre (à écrire) des icônes.
C’est un long apprentissage à fois spirituel et technique. Je ne vais pas vous en
énumérer toutes les étapes. Mais il faut que vous en sachiez l’essentiel : sur la
planche de bois qui recevra l’icône, notre moine a dessiné la silhouette des
personnages. Il étale alors sur ce dessin une peinture brun foncé. C’est la
couleur de la terre dont le récit biblique de la création dit que les hommes sont
modelés. La teinte sombre dit clairement que les humains ne rayonnent pas
naturellement de vertus remarquables. Mais ensuite le pinceau va poser des
couleurs de plus en plus vives et puis des touches d’un blanc éclatant de
pureté. À la fin des fins il pose l’or, l’or qui vient caresser tous les mouvements
de la créature, l’or qui dit la lumière de Dieu : ce sont les traces de la visitation
divine. Vous avez compris : l’icône poursuit un but incroyable, elle suit une
démarche extraordinaire : elle veut donner à voir l’invisible. Seule la foi le voit,
c’est vrai, mais elle voit vraiment la présence de Dieu, sa présence en l’homme,
en nous, en vous.
Peut-être commencez-vous à faire le rapprochement avec le texte de l’apôtre ?
Mais ne quittons pas encore notre moine. Quand son maître estime qu’il n’a
plus rien à lui apprendre, c’est l’aboutissement : l’apprenti doit s’isoler pour se
consacrer à une seule tâche. Il ne sortira de sa cellule qu’avec une icône
achevée, l’icône que tout jeune iconographe doit réaliser : l’icône de la
transfiguration. Ce n’est pas l’attestation d’un savoir-faire, mais le signe de sa
fidélité, de sa foi : le Saint Esprit lui a permis, et c’est une suprême grâce, de
donner à voir dans quelques personnages que Dieu les habite et que cette
présence les transforme, les transfigure.
Dans le haut de l’icône, voici le Christ, étincelant de la lumière divine. En bas les
trois disciples. Ils sont sur terre, sur notre terre, ce sont des humains comme
nous, faibles comme nous, pécheurs comme nous. Ils sont donc de couleur
sombre comme l’argile, la terre dont ils ont été tirés. Mais les plis de leurs
vêtements marqués de cette teinte lourdement foncée sont caressés de
couleur claire et de reflets d’or qui disent la présence de Dieu, le reflet parmi
nous de la lumière de Dieu.
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Vous pensez : c’est une révélation, c’est extraordinaire, c’est pourquoi seule la
foi le reconnait, comme dit l’apôtre Paul, c’est une révélation aux croyants, or
ils sont dans le monde une petite exception. Ainsi seuls quelques disciples ont
vu Jésus transfiguré. Ils ont vu que le maître, le rabbi dont ils suivaient
l’enseignement admirable mais qui n’était finalement qu’un homme, ils ont vu
que ce Jésus était Dieu parmi eux.
C’est ce que proclame clairement Noël dont nous venons de célébrer la fête et
ce que proclamait le récit du baptême de Jésus au tout début de son ministère
terrestre : l’Esprit descend sur le baptisé et la voix céleste retentit : Tu es mon
fils bien-aimé !
Voilà le tout de l’Évangile dévoilé pour les yeux de la foi ! C’est un miracle !
Mais nos yeux à nous, que peuvent- ils voir de cette merveilleuse révélation ?
Ils peuvent la voir, écrit l’apôtre Paul : la gloire du Christ brille dans vos cœurs.
On peut, sur notre terre et encore de nos jours voir l’invisible, déceler dans le
monde des hommes la trace du Dieu éternellement présent. Emmanuel. Notre
christianisme l’affirme, nos confessions de foi le proclament. Nous l’entendons
bien. Mais nous voilà hésitants, tremblants d’oser dire que nous pouvons en
vivre. Pourtant Paul dit que cela se voit !
Comment comprendre ? Comment acclimater une pareille révélation dans
notre petit univers ? Je vais oser vous proposer un mot que nous connaissons
tous, un mot bien humain qui tente de traduire ce miracle dans notre langue.
C’est un mot précieux, rare, mais qui revient parfois sur nos lèvres. Il reste
imparfait parce que trop humain, mais c’est peut-être l’écho terrestre d’un mot
divin : la bienveillance. La bienveillance qui nous fait regarder autour de nous
en y cherchant, a priori, d’abord, le signe de la possible habitation de Dieu.
Vivre avec bienveillance, regarder avec bienveillance, juger avec bienveillance !
Nos lois humaines commandent avec sagesse la présomption d’innocence.
C’est le dernier maillon, le plus près de la terre d’une chaîne dont le maillon
plus haut est la bienveillance et la chaîne remonte jusqu’à la source qui est
l’amour de Dieu.
Nous sommes très spontanément des champions de la critique, du jugement
sévère et prompts à condamner. Eh bien, il faut d’abord la bienveillance. Elle
s’appuie sur la foi : Dieu est venu, il reste parmi nous, cela doit se voir.
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Regardons bien comme le jeune moine : autour de nous y a-t-il des traces de
Dieu ? Il y en a. Ouvrons les yeux, regardons là, tout près : dans la paroisse,
dans le cercle des amis, dans la famille. Ne cherchons pas d’abord des gestes
célébrés, des discours glorieux. Cela peut se cacher dans le secret des tâches
les plus humbles mais qui font du bien. Cela n’occupe pas le devant de la scène,
mais c’est tout éclairé de la vraie lumière et c’est porteur d’une joie éternelle. Il
faut regarder bien, alors apparaissent dans leur clarté véritable qui, comme
celle du soleil, vient d’en haut, des gestes qui veulent, même petitement,
servir. Des mots qui peuvent enfin comprendre et réconforter et qui aident.
Des silences qui savent écouter. Des regards qui accueillent. Oui, il y a ici-bas,
parmi nous, des traces de la présence de Dieu. Des reflets d’or comme sur les
icônes et si l’or est parfois terni c’est encore de l’or !
Les disciples ont vu la révélation d’un être nouveau : celui qui annonçait la
résurrection. L’apôtre Paul précise : nous portons, écrit-il, dans notre corps des
signes de mort afin que la vie de Jésus, la vie nouvelle, soit aussi manifestée
dans notre corps. Et si elle peut s’y manifester, alors on peut la voir et la vivre
et c’est une vraie visitation. Dans celui qui se présentait comme le fils de
l’homme (et cela signifie : l’Homme, avec une majuscule, l’homme qui
représente l’humanité) les disciples ont pu voir le fils de Dieu. C’est là un
étonnant résumé de notre destinée à nous tous, humains par nature, mais fils
de Dieu par adoption.
Tel est le message de la transfiguration.