La passe d`Hannibal : un film où le patois a bien sa place
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La passe d`Hannibal : un film où le patois a bien sa place
La passe d’Hannibal : un film où le patois a bien sa place Henri Armand Notre félibre, l’Abbé Cerlogne, écrivait en 1895 : « Encore aujourd’hui, qu’on nous a fait italiens, les Valdôtains sont appelés et ils s’appellent Savoyards ». C’est qu’en effet les Valdôtains ne pouvaient oublier huit siècles d’histoire commune avec la Savoie à laquelle ils avaient toujours témoigné une fidélité sans bornes, même dans les moments les plus difficiles. Leur fidélité ne cessa jamais et, lorsque les “Savoie” glissèrent – comme le dit Émile Chanoux – de leurs montagnes vers la Péninsule italienne, les Valdôtains les suivirent sans trop s’apercevoir que les Rois d’Italie, cessant d’être Ducs de Savoie, allaient ériger une barrière entre leur Pays d’origine et leur nouvel État. Ainsi la Vallée d’Aoste et la Savoie furent séparées. Les protestations ne manquèrent pas, d’un côté comme de l’autre de la frontière. Nous aimons à citer ici celle de l’Impartial d’Aoste : « Enfants de la même monarchie – écrit le journal – descendants des mêmes races, vivant aux souvenirs de la même histoire, parlant la même langue, les Savoisiens et les Valdôtains ne devaient pas être divorcés. La Savoie était la sœur ainée de la Vallée d’Aoste ». Pourtant une barrière, un confin politique, économique et culturel fut dressé et subsiste encore là où pendant des siècles – voire des millénaires – la montagne unissait les hommes ! La passe d’Annibal – un film de Bernard Favre, projeté à Aoste en avant-première européenne le 27 octobre 1983 – se propose justement de montrer qu’avant 1860 aucun confin, aucun mur politique ne divisaient les Valdôtains des Savoyards. Joseph – colporteur savoyard – traverse en effet le Petit-Saint-Bernard, pour se rendre à Aoste, sans trop de problèmes pendant l’hiver 1859. Après avoir salué sa sœur, qui est mariée à Aoste, il passe le Grand-Saint-Bernard, traverse la Suisse et la Lombardie et revient par la suite en Vallée d’Aoste. Mais lorsqu’il veut rentrer chez lui par le Petit-Saint-Bernard, il s’aperçoit soudain, ébahi, que les choses ont changé : à l’endroit où en hiver il était passé sans difficultés il y a maintenant une frontière d’État qu’il ne comprend pas ! Il n’est donc plus citoyen du même pays ? Que va devenir la Savoie, dont on vient d’effacer d’un simple coup d’éponge l’histoire sur la carte de l’Europe ? D’un côté et de l’autre de la frontière pourtant, les gens ont des liens séculaires qui en font un même peuple ! Ce film le montre bien, en introduisant souvent dans les dialogues 46 le patois savoyard, parfaitement compris des spectateurs valdôtains. C’est toute une civilisation qui revit. Que ce soit la désalpe, la vie à l’étable ou au village, tout rappelle au spectateur valdôtain des scènes qu’il a lui-même vécues ou auxquelles il a assisté dans son enfance. Chacun retrouve la discrétion typique de nos montagnards, ces sourires quelque peu timides et les manières parfois rudes qui cachent cependant un cœur généreux et grand. Bernard Favre, savoyard qui réalise à la fois son premier long métrage et son premier ouvrage de fiction, souligne bien, dans la progression de l’action, ce caractère montagnard qu’on retrouve dans presque toutes les scènes qui, parfois très fortes, ne sont jamais excessives. Il dirige au contraire toujours ses personnages avec une certaine pudeur qui laisse dans tous les tableaux – d’une beauté souvent grandiose – une large place à l’imagination et à la création intérieure du spectateur, aidé en cela par le talent des acteurs dont plusieurs ont dû se familiariser avec le patois savoyard ne l’ayant pas appris dans leur enfance, alors que les Valdôtains, eux, parlent encore couramment leur patois. Dommage qu’on n’ait pas voulu les faire parler dans ce langage familier : Émile Danna et Tiuccio Bus, que nous avons reconnu dans le film, l’auraient peut-être préféré puisqu’ils sont de très bons acteurs du Charaban ! Il s’agit donc d’un premier essai, parfaitement réussi, pour présenter au public moderne notre ancienne civilisation alpestre dont les valeurs les plus profondes connaîtront peut-être dans les années à venir un nouvel essor tant est devenue artificielle et souvent inhumaine la société contemporaine. Ce film nous invite à une réflexion profonde et à la poursuite du travail patient de nos ancêtres qui, nourris d’un esprit d’ouverture mentale assez étonnant pour l’époque, connaissaient le lien unissant l’homme à la fois à sa terre natale et au monde entier dont il se sent, par delà les frontières artificielles crées par l’égoïsme des états, le citoyen. 47