L`Art B - Bibliomedia
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CRI_15 23.11.2010 15:31 Page 1 LES CLANDESTINS: SOUS LE VENT DE L'ART BRUT Mario del Curto Collection de l'Art Brut Au travers de ses images en noir et blanc, Mario del Curto nous fait pénétrer dans l'intimité des artistes d'Art Brut et nous livre un extraordinaire témoignage d’un univers troublant. Durant une quinzaine d’années, le photographe a suivi et immortalisé des personnages exceptionnels, créateurs solitaires, excentriques, asociaux… Avec patience, tact, humour parfois, il a su les approcher, les apprivoiser, afin de susciter la confidence dans l'attitude et le regard. Le tout sans cynisme ou voyeurisme, mais plutôt avec une curiosité procédant d’un CARMEN JAMBÉ regard épris, amical, générateur de confiance. Lokomotiv Films et Collection de l’Art Brut Lorsqu’un auteur d’Art Brut est filmé en train de construire son œuvre dans son environnement personnel, celui qui regarde entre dans un univers toujours fascinant, parfois dérangeant et tente de comprendre la démarche, voire la folie qui parfois nous habite. Ici ce sont neuf portraits d’auteurs japonais ayant été exposés à Lausanne. Ce magnifique DVD convient bien au visionnement en classe. Il en existe d’autres. Si certains s’adressent plus particulièrement aux adultes, tous sont envoûtants. KATIA FURTER L’Art Brut c’est... L’Art Brut doit être envisagé comme un pôle, ainsi que l’a précisé Jean Dubuffet. Certaines expressions – comme l’art naïf, l’art enfantin, l’art primitif, mais aussi l’art populaire ou les graffiti –, tout en étant foncièrement distinctes de la radicalité de l’Art Brut, en sont plus ou moins proches: il y souffle le même vent. Médiation culturelle à la Collection de l’Art Brut et à Bibliomedia L’ Art Brut parle aux enfants. A la Collection de l’Art Brut, les yeux s’écarquillent, l’attention et le plaisir se tiennent par la main. Le musée a d’ailleurs le jeune public parmi ses priorités depuis belle lurette: 10 ans! Un soin tout particulier est apporté à l’accueil des classes: la Collection de l’Art Brut propose aux enseignants plusieurs outils pour rendre leur travail agréable et efficace. -A chaque exposition temporaire, des visites commentées gratuites (de 50 minutes) sont proposées au corps enseignant afin de se familiariser avec la présentation. Cette rencontre est assortie d’une documentation, images, textes, propositions d’observation – elle est suivie d’une agape pour partager ses impressions et poser des questions. -Un dossier pédagogique a été élaboré en collaboration avec Ecole-Musée: il propose des activités en classe et au musée, avant et après la visite de la collection permanente, à l’aide de fiches prêtes à l’emploi. «Créations hors du commun» s’adresse à des enfants dès 10 ans. -5 DVD sont disponibles en prêt: des films – de 10 à 25 minutes - donnent à voir des auteurs d’Art Brut sur leur lieu de vie et en plein acte de création. Une manière de préparer la découverte et d’éveiller la curiosité. -Un portfolio de reproductions d’œuvres au format A3, plastifié, permet la discussion en classe, qu’elle soit préalable à la visite, ou comme support de réflexion a posteriori. -Un album-jeu, conçu pour chaque exposition et offert à chacun/e, guide les enfants de 6 à 12 ans à travers l’exposition temporaire au fil d’activités ludiques d’observation et de création. Le musée ouvre ses portes à deux battants aux classes. L’entrée est offerte à chaque élève ainsi qu’à l’enseignant (invité aussi à une visite préalable gratuite de l’expo). Accueil au musée pendant les heures d’ouverture mais aussi en dehors des heures officielles (demande à faire 2 jours au préalable). Bienvenue à la Collection de l’Art Brut! Contact: Loïse Cuendet, 021 315 25 84 et [email protected] Collaboration avec Bibliomedia Les enseignants qui souhaitent préparer ou poursuivre une visite à la Collection peuvent désormais emprunter à Bibliomedia des documents sur l’Art Brut. En lecture suivie, l’album «L’Art Brut» invite à découvrir des L’Art Brut c’est... L’ART BRUT, L’ART SANS LE SAVOIR & DUBUFFET, LE GRAND BAZAR DE L’ART Céline Delavaux DIAMANTS BRUTS DU JAPON: [9 FILMS DVD] Philippe Lespinasse et Andress Alvarez créateurs présents dans la Collection et que les enfants retrouveront lors de leur visite. Il peut être lu par des classes de 4ème à 9ème. En bibliothèque de classe, une sélection thématique offre une douzaine de documents sur l’Art Brut: documentaires, album illustré, biographies, revue, livres pour les plus petits, livre de photographie, DVD, de quoi faire le tour et approfondir le sujet. Certains de ces titres sont présentés en coups de cœur ci-dessus. Cette collection éclectique s’adresse aux enfants comme aux adultes. Contact: Katia Furter, 021 340 70 39 et [email protected] Palette… (L’art et la manière) «L’art brut: l’art sans le savoir» met en mots et en images les folles créations de quelques-uns de ces solitaires et marginaux, qui font de l’art sans le savoir et sont devenus célèbres malgré eux. «Dubuffet: le grand bazar de l’art» s’articule autour de l’œuvre de Jean Dubuffet (1901-1985), formidable homme-orchestre qui a eu l’audace à 41 ans de s’affranchir des conventions artistiques de son époque pour puiser au contact des œuvres de malades mentaux, d’excentriques et de marginaux la force bouillonnante de la créativité pure. GABRIELLE BUTSCHI En quête d’un art affranchi du conditionnement culturel et social, Jean Dubuffet se passionne pour des créations marginales. Il y perçoit une «opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions». L’artiste français est à l’origine de la Collection de l’Art Brut à Lausanne, inaugurée en 1976, grâce à son importante donation d’œuvres à la Ville. Albin Michel Jeunesse Pierre Avezard (1909-1992) dit Petit Pierre est né borgne et tordu. Il n’a pas de trou pour les oreilles non plus. Ces handicaps le mettent en marge de la société. Il meuble ses journées de garçon vacher en créant des personnages et de petits animaux en ferraille. Durant 40 ans, il construira un manège fabuleux avec des objets de récupération. Michel Piquemal et l’illustrateur Merlin lui rendent ici hommage dans un magnifique et touchant album qui se lit à tout âge de la vie. LAURENT VOISARD N 15 O LE JOURNAL DE Edito L L a Collection de l’Art Brut est un lieu qui parle au monde intérieur des enfants, où leur sont données à voir des créations faites de matériaux divers, souvent récupérés, toujours considérés comme des trésors par leurs auteurs. Lors de visites de classes, il n’est pas rare d’entendre: «Ah, c’est comme quand j’ai fait un dessin avec de la farine et du sable et des graines…» Les œuvres exposées dialoguent avec les jeunes qui instaurent très vite un échange avec elles! Au point que parfois, je me sens presque une intruse dans la relation de connivence qu'ils établissent. Ici, nul besoin de connaître un mouvement pictural, une technique: les compositions artistiques qu’ils ont devant les yeux ne font Michel Nedjar pas partie d’une école d’art et les sans titre, vers 1981 techniques mixtes procédés sont inventés par leurs hauteur: 50 cm auteurs selon les opportunités Photo: Arnaud Conne. qui s’offrent à eux de trouver Collection de des moyens pour réaliser leurs l’Art Brut, Lausanne. desseins. Quand ils découvrent les «codes secrets» que ces «inventeurs artistiques» ont construits, qui font fi, par exemple pour ceux qui détournent l’orthographe et la syntaxe, des règles grammaticales patiemment enseignées, les jeunes se retrouvent dans un univers qu’ils côtoient, une cosmogonie personnelle où toute découverte se mue en trouvaille miraculeuse; là tout objet, tout matériau, aussi anodin qu’il puisse sembler, devient l’initiation d’une construction imaginaire et intime. Sorte de journal de bord de leurs expériences de vie. L ors du traditionnel «PréamBulle» à «BD-Fil», nous avons accueilli pendant trois jours l’auteur de bande dessinée Guillaume Long. Si Guillaume a pris ses aises, il a tout de même rencontré onze classes, des bibliothécaires, des enseignants, deux-trois quidams et un raton-laveur. Au vu des nombreux dessins qui nous sont parvenus, ce sont les enfants qui ont été les plus actifs… Nous ferons nôtre ce message du jeune Dorian «Pour Guillaume Long petit mot: vous dessinez trop bien et à bientôt». KATIA FURTER Ce qui me fait parler de complicité entre le monde des enfants et celui qu’ils découvrent dans cet espace, c’est que jamais ils ne considèrent ce lieu inadéquat du fait de la trop forte intensité des émotions ressenties. Il suffit de donner quelques pistes, quelques clés pour qu’ils approchent ce nouveau monde. Par exemple, j’ai soupçonné plus d’un adulte de vouloir quitter en courant la salle d’exposition, face aux poupées momifiées faites de bandelettes de gaze de Michel Nedjar. Chez nos cadets, ces œuvres ne produisent pas cet effet. La peur, ils connaissent. Grandir, voir leur corps changer, évoluer au fil du temps, vivre de nouvelles expériences sont des sources potentielles de peurs. Alors, lorsque vous leur expliquez que c’est par le biais de ses poupées que Nedjar exprime ses peurs, leur donne forme et peut ainsi se confronter matériellement à elles, ils font preuve d’une grande humanité et ne se «planquent» pas dans une coquille hermétique pour se préserver. Un autre aspect éminemment engageant pour les enfants est la faculté qu’ont les auteurs d'Art Brut de transformer la brosse d’un balai en une moustache, un vase à fleurs en un nez ou encore des billes en paire d’yeux. Alors, si vous accompagnez un enfant à la Collection, il se peut que vous expérimentiez la situation vécue par cette grand-maman: «Ça fait 2 heures qu’on est là… Tu ne veux pas y aller?» «Non grand-maman, j’ai pas PAULA TORO fini!». Collaboratrice à la Collection de l’Art Brut BIBLIOMEDIA SUISSE - FONDATION POUR LA LECTURE ET LES BIBLIOTHÈQUES Bibliomedia Suisse, rue César-Roux 34, 1005 Lausanne, tél. 021 340 70 30, fax 021 340 70 31, email: [email protected] Services des lectures suivies, tél. 021 320 23 27, fax 021 320 23 10, email: [email protected] Du côté des enfants en visite à «l’Art Brut» Bibliomedia anime la rentrée Vue extérieure de la Collection de l’Art Brut, Lausanne (Suisse) Photo: Caroline Smyrliadis L’Art Brut c’est... LE MANEGE DE PETIT PIERRE Michel Piquemal, Merlin e Cri du Hibou entreprend avec son quinzième numéro une démarche un peu particulière, celle d’offrir un éclairage très complet sur la Collection de l’Art Brut à Lausanne en lui cédant une bonne partie de ses colonnes. Dans leur rôle commun de médiateurs, musées et bibliothèques se doivent d’échanger idées, connaissances, enthousiasmes et surtout compétences. Accueillir des jeunes au musée ou à la bibliothèque demande réflexion et savoir-faire. La complémentarité que nous avons trouvée à la Collection de l’Art Brut est un gué de plus vers le savoir… et la fantaisie. Car il faut bien le reconnaitre, pour l’enfant, l’art sans fantaisie n’est qu’une vitrine de plus qu’il regardera sans connivence. L’encadrement offert à la Collection de l’Art Brut et les bibliothèques de classes préparées par Bibliomedia vont dans cette direction. Remerciements ici à Lucienne Peiry et Loïse Cuendet pour cette planche offerte au salut. Ce numéro nous offre également l’occasion de démontrer combien ou comment les bibliothèques ont une carte à jouer avec les créateurs. La venue à Bibliomedia de l’auteur Guillaume Long le rappelle à loisir. Les deux cents enfants qui l’ont rencontré se sont ensuite essayés à la création d’une BD. La stimulation par la rencontre, voilà une aide toute trouvée pour l’école! Les enseignants qui se rendent au musée ou à la bibliothèque font preuve de courage et d’esprit civique. La responsabilité qu’ils doivent assumer est alors grande, car il faut s’investir dans des tâches qui peuvent apparaître comme extrascolaires et canaliser des enfants a priori par forcément ouverts à l’art et à la littérature. Expérience faite, nous n’avons découvert que des sourires sur les visages et des étincelles dans les yeux des enfants. LAURENT VOISARD HIVER 2010 Les œuvres d’Art Brut sont réalisées par des créateurs autodidactes. Marginaux retranchés dans une position d’esprit rebelle ou imperméables aux normes et valeurs collectives, les auteurs d’Art Brut comptent des pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques, des détenus, des originaux, des solitaires ou des réprouvés. Ils créent dans la solitude, le secret et le silence, sans se préoccuper ni de la critique du public, ni du regard d’autrui, sans besoin de reconnaissance, ni d’approbation, et conçoivent un univers à leur propre usage, comme une sorte de théâtre privé, souvent énigmatique. Leurs travaux, réalisés à l’aide de moyens et de matériaux généralement inédits, sont indemnes d’influences issues de la tradition artistique et mettent en application des modes de figuration singuliers. La notion d’Art Brut repose sur des caractéristiques sociales et des particularités esthétiques. On doit au peintre français Jean Dubuffet (1901-1985) l’invention de l’expression «Art Brut», sa définition et l’étude des productions qu’il désigne, ainsi que la collection originale d’œuvres. l'a défini Jean Dubuffet dans les années quarante. A cette époque, les lieux de réclusion, comme l'hôpital psychiatrique ou l'établissement pénitentiaire, génèrent plusieurs formes d'expression artistique, sauvages et autistiques. Marguerite Sirvins élabore un microcosme qui lui permet d'échapper à l'exclusion. Ombres et lumières de l'Art Brut Une illustration du concept d’Art Brut à travers des œuvres, et des vies, qui sont son essence. Une porte d’entrée dans l’univers de créations éblouissantes pourtant faites de silence, de solitude et de secret. Cependant, la structure et l'orientation de ces institutions se sont transformées au fil des ans. Dès le moment où l'expression est encouragée et encadrée dans des ateliers de création, l'Art Brut, neutralisé, émigre. Mais certains événements sociaux, politiques et économiques de cette période favorisent l'émergence d'autres productions artistiques intempestives et protestataires. Le mineur Augustin Lesage (1876-1954) entre en relation avec les défunts et devient peintrespirite lors des débuts de la révolution industrielle. Giovanni Battista Podestà (1895-1976), victime de l'exode rural puis témoin et acteur des débuts du capitalisme, renoue avec une spiritualité médiévale en créant des œuvres utopiques et sacrées. L'Art Brut se fomente dans la dissidence, parmi des sujets rebelles, réfractaires à la société moderne et à la croissance économique. M arguerite Sirvins (1890-1957) rêve d'amour. Elle souhaite avec ardeur connaître le mariage pour devenir femme et mère. Mais, internée dans un hôpital psychiatrique de la Lozère, en France, le rêve qu'elle nourrit est impossible. Elle crée alors une robe de mariée destinée à un jour de noces imaginaires, à l'aide de fils qu'elle tire un à un des draps de son lit. La dimension intime de son œuvre est explicite. Marguerite Sirvins ne revêtira pas sa robe de mariée. Nul besoin pour elle de porter cette parure – véritable effraction dans son intimité – puisque elle est destinée à des fêtes irréelles. Enfermée dans un absolu dénuement affectif, moral et matériel, Marguerite Sirvins sublime détention et détresse, célèbre dans un délire créatif hallucinatoire un mariage d'exception, absolument onirique. La créatrice a brouillé les pistes entre l'art et la vie pour laisser entre les lignes, entre les fils, les signes d'un besoin impérieux de création et de survie. Cette production est emblématique de l'Art Brut tel que Marguerite Sirvins sans titre, entre 1944 et 1957 dentelle réalisée à l’aiguille hauteur: 95 cm Photo: Henri Germond. Les conditions de vie, sédentaires et solitaires, de la population rurale de l'Europe occidentale du début du XXe siècle s'avèrent propices à l'irruption d'un univers artistique autonome. L'isolement permet une création qui échappe au conditionnement de la culture dominante. De nombreux autodidactes créent à l'écart du monde, dans un climat d'indépendance. Mais, à partir des années cinquante, le déploiement des moyens de communication, le développement de la scolarisation et l'explosion des mass médias, qui favorisent les contacts et les déplacements, mettent fin à la vie autarcique. L'auteur d'Art Brut d'aujourd'hui ne peut plus être le même que celui d'hier. Le contexte artistique, social et économique a changé, les enjeux sont différents. Pourtant, la civilisation occidentale contemporaine, performante et compétitive, est loin d'être quitte de la marginalité. Parmi les victimes qui se profilent désormais, les personnes âgées, soustraites à toute fonction et à tout statut sociaux, apparaissent comme les nouveaux exclus. Il reste à savoir si la relève de l'Art Brut ne sera pas prise demain par d'autres réprouvés de notre société fondamentalement individualiste, des êtres en rupture de ban, tels les réfugiés socialement ou mentalement exilés. Le nombre de personnes peu perméables aux pressions et aux normes sociales et culturelles laisse présager la perpétuation d'une création dissidente. Le propre de l'Art Brut est d'être secret, clandestin et imprévisible. Comme son champ d'action n'est pas circonscrit, des créations se fomentent à notre insu dans des lieux insoupçonnés. L'Art Brut n'a pas fini de nous réserver des surprises. Il appartient à chacun de nous de s'ouvrir aux expérimentations utopiques de ces créateurs dissidents. Les auteurs d'Art Brut ne se montrent pas à visage découvert et ne mènent pas leur révolution tambour battant. Ils ont le goût du secret et se dérobent au spectacle, refusent la pose et se soustraient au dialogue. Carlo, Heinrich Anton Müller ou Madge Gill nous contraignent à nous dépouiller de nos repères habituels pour aborder leurs histoires intérieures, et à chercher une clé de lecture personnelle pour les déchiffrer. Leurs œuvres demeurent comme des adresses suspendues. Leur art fait vibrer un questionnement irrésolu. LUCIENNE PEIRY Directrice de la Collection de l’Art Brut à Lausanne