La Presse + Vos réactions au texte « Émilie, en vain », sur le suicide

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La Presse + Vos réactions au texte « Émilie, en vain », sur le suicide
La Presse +
Vos réactions au texte « Émilie, en vain », sur le suicide d’une jeune médecin et la détresse
psychologique chez les médecins résidents, publié hier.
Compassion, empathie, dites-vous ?
Le décès de cette résidente me touche au plus haut point et ramène inévitablement des
souvenirs de résidence et de pratique médicale toujours aussi amers aujourd’hui.
Reportons nous en 1980, année durant laquelle j’étais résident en médecine dans
un hôpital de Montréal et où tous et toutes faisions des gardes de 24 heures et plus aux 3-4
jours.
Plusieurs de nous devions continuer notre présence à l’hôpital jusque vers 11h
ou midi, afin de faire la tournée avec le patron qui « lui aussi » était passé par là (c’est-à-dire
être 28 heures de suite au travail).
Le jour où le bruit de klaxon d’un véhicule lourd me réveilla alors que j’étais au volant de mon
automobile à la suite de ma garde de 28 heures, j’ai compris que le système mettait ma vie en
danger.
Puis, il y a eu cette visite chez le cardiologue de ma région qui travaillait en moyenne 80-90
heures par semaine, perpétuant ainsi le système de surcharge de travail menant à
l’épuisement, sauf pour lui, qui trouvait cela normal.
J’ai laissé la résidence en spécialité pour me diriger en médecine de famille. Plusieurs
semaines de 60 à 70 heures de travail étaient le lot commun des omnipraticiens
de ma région. Il fallait « entrer dans le moule », jusqu’au jour où c’est moi qui suis devenu
malade à cause de la surcharge de travail imposée.
Ce jour-là, j’étais devenu un déviant, un faible. Aucune empathie ou compassion
de la part des confrères de ma clinique. Pourtant, l’empathie et la compassion sont des aspects
très importants de notre relation médecin-patient.
J’aurais aussi pu être une Émilie dans ce système aberrant.
Heureusement, dans mon cas, le Programme d’aide aux médecins m’a été salutaire. Je suis en
fin de carrière et depuis sept ans, j’ai le plaisir d’enseigner à des résidents
en médecine familiale et j’essaie à ma façon d’avoir de la compassion et d’être humain envers
eux.
Un changement d’attitude de la part des facultés s’impose. Aucune raison d’avoir d’autres
Émilie.
— Michel Dubuc, M.D., omnipraticien enseignant
Briser la culture d’hyperperformance
Je suis une jeune omnipraticienne qui vient de terminer ses études et ce texte me touche
beaucoup. On parle probablement beaucoup plus de santé mentale dans
les facultés de médecine aujourd’hui qu’il y a 15 ou 20 ans, mais on ne fait que se contenter de
répéter qu’il faut aller consulter lorsque ça ne va pas. Peu de mesures concrètes sont mises en
place. Le message qui est perçu par les étudiants et
les résidents – à tort ou à raison – est donc celui que le bien-être psychologique
est une nouvelle exigence universitaire non écrite à ajouter à la pile de nombreuses exigences
de notre formation. Il est temps de briser la culture médicale d’hyperperformance et d’accepter
que nous sommes des êtres humains aussi vulnérables que n’importe qui.
— Stéphanie Burelle
Le département pauvre de la médecine
La santé mentale est, à mon avis, le département pauvre de la médecine. Je suis psychologue
depuis 34 ans. J’ai vu et entendu la détresse sous plusieurs formes
et visages. Aujourd’hui, au seuil de ma retraite d’une pratique que j’adore, je constate qu’on
parle plus des maladies mentales, mais qu’on a bien peu de ressources accessibles. Même le
gouvernement se donne bonne conscience en produisant à
la télé des messages montrant ce qu’est un état dépressif, un état anxieux, etc.
À quoi bon savoir que telle personne souffre de phobie sociale si elle ne sait que
faire pour améliorer sa situation ? Où sont les ressources d’aide ?
Je suis profondément peinée par l’histoire de cette jeune résidente. Mais pour une histoire
révélée, il y en a 100 cachées de peur d’être jugé, de peur de perdre son emploi… Plutôt que
de faire connaître au public ce qu’est l’anxiété, je suis d’avis qu’il vaudrait mieux faire connaître
les ressources et les rendre accessibles.
— Noella Darsigny, psychologue
Empathie et résilience
Pour être médecin, il faut être « bolé », on est d’accord, mais aussi avoir des qualités
d’empathie et de résilience, ce dont les facultés de médecine ne tiennent pas compte. Trop de
brillants étudiants vont en médecine à cause du prestige de la profession, alors que leurs dons
intellectuels et leur personnalité les destineraient plutôt aux sciences pures ou à l’ingénierie. Et
les facultés devraient accepter quelques étudiants juste un peu moins forts, mais qui
considèrent la médecine comme une vocation plutôt que comme une profession de prestige. Un
des médecins les plus connus de Montréal, non seulement pour sa science, mais aussi pour
son dévouement envers les sidéens, était un étudiant assez ordinaire dans ma classe
de collège. Les deux « bolés » de la classe, eux, ont fait des carrières de chercheurs
scientifiques.
— Bernard Terreault, professeur retraité de l’INRS
Une société malade
Lorsque des médecins ont peine à reconnaître une pathologie en santé mentale
chez leur collègue et qu’ils n’ont pas le temps et les moyens pour l’aider devant cette difficulté,
je me pose de sérieuses questions sur notre système de santé ! Une telle société basée sur la
performance et l’individualisme est-elle vraiment rentable pour nos jeunes remplis d’espoir et de
potentiel ? Oui, notre société est malheureusement malade !
— Catherine Lévesque, orthopédagogue
Revoir l’enseignement de la médecine
Je suis profondément touchée et j’ai beaucoup d’admiration pour ces étudiants qui bûchent
pour devenir médecins et sauver des vies. Mais n’oublions-nous pas que
ce sont des êtres humains à qui on demande de pousser les limites à l’extrême ?
Il serait grand temps de revoir l’enseignement de la médecine afin d’éviter que d’autres
étudiants brillants se rendent jusque-là. Il faudrait humaniser l’enseignement et les laisser
souffler un peu.
Sincères condoléances à la famille et aux proches de cette jeune fille.
— Carole Brochu
Nous vous soutenons
Nous vous soutiendrons dans vos démarches de changement dans ces pratiques
qui doivent évoluer en temps réel avec la société nouvelle. Vous pourrez à tout
le moins compter sur moi, fille de chirurgien suicidé en 1978, et sœur, mère, cousine et
marraine de médecins et d’une future médecin.
— Hélène Lejeune
Le résident, esclave de notre système
Notre système de santé s’effondrerait littéralement si les résidents n’étaient pas là. Qui ferait les
gardes de nuit, de fins de semaine, pendant les congés des patrons ? Saviez-vous que ce sont
des médecins en première année de résidence qui assurent la garde de nuit sur les étages à
l’Hôpital Notre-Dame et à Saint-Luc, notamment ? Comme si les patients étaient moins malades
la nuit ! Qu’on y « garroche » littéralement les résidents à la sortie de l’université sans autre
forme de rentrée progressive ?
Allez ! Jetez le bébé à l’eau ! C’est comme cela qu’on apprend à nager ! Et on s’étonne qu’ils
soient angoissés ? Que des patrons qui sont censés être disponibles
au bout du fil insultent les résidents quand ils appellent pour des conseils ?
Que le patron qui reçoit une généreuse prime pour agir comme compagnon auprès des
résidents n’a jamais eu de formation de formateur et qu’il n’est jamais évalué dans ce rôle ?
Que le patron épuisé n’a que faire des besoins de ses résidents et qu’il ne sent aucune
responsabilité à cet égard ? Son business, c’est la médecine, pas
les ressources humaines ! Que le résident qui veut réorienter son choix de résidence n’a pas
vraiment le choix ?
Le résident est l’esclave de notre système de santé dont profitent grandement les médecins
patrons qui reçoivent une prime, l’État qui profite d’une main-d’œuvre bon marché, et le citoyen
qui a toujours la nausée quand on lui parle de payer pour les services qu’il utilise.
Je crains qu’Émilie soit morte en vain. Mes sincères condoléances à ses parents,
à sa famille et à ses amis.
— Johanne Pes