La voûte en aérien dans la Chine impériale et

Transcription

La voûte en aérien dans la Chine impériale et
La voûte en aérien dans la Chine impériale et
contemporaine, des wuliang dian aux yaodong
Caroline Bodolec 1
La grande majorité des études techniques traitant de l'architecture chinoise
concerne le bois et la terre crue qui forment l'essentiel des matériaux des
édifices publics et religieux. Le domaine de la maçonnerie (briques, pierres
et mortiers) présente, cependant, des particularités de production et de mise
en œuvre qui ont permis le développement d'une forme quelque peu
marginale dans une architecture de murs non porteurs et de charpente : la
voûte en aérien. Seuls deux types de bâtiments utilisent cette structure : les
wuliang dian ^0^Wt, vastes locaux utilisés comme bibliothèques sous les
Ming (1368-1644) et les yaodong MM, habitations des provinces du
Shaanxi et du Shanxi.
La voûte, de par sa forme en demi-cercle, est soumise à deux
pressions : une force horizontale dite poussée et une verticale dite charge.
Les pierres ou les briques de la structure tendent à se désolidariser et à
chuter sous l'effet de la charge, mais grâce à leurs profils clavés (plus
larges en haut qu'en bas), elles restent en place et la charge est transmise
aux claveaux voisins : c'est la poussée. Afin de résorber cette poussée, le
constructeur devra soit ancrer sa voûte dans des massifs importants (terre
1
Caroline Bodolec a soutenu le 19 décembre 2001 au Conservatoire national des Arts
et Métiers de Paris, une thèse préparée sous la direction d'André Guillerme et de
Michel Cartier, intitulée « La voûte en aérien dans l'architecture chinoise : des wuliang
dian aux yaodong », 580 p.
Études chinoises, vol. XXI, n° 1-2, printemps-automne 2002
Journée d'études de l'AFEC du 16 mars 2001
ou murailles), soit construire des massifs de culée dont la charge verticale
sera supérieure à la résultante de la combinaison des poussées et des
charges exercées2. C'est cette voûte avec massifs de culée que l'on nomme
voûte « en aérien » (Fig. 1 ).
Tout d'abord, il convient de tracer à grands traits la situation de la
forme voûtée dans l'histoire architecturale chinoise. La voûte (xuan ^ , ou
arc) est présente dans quatre types de constructions principales : les tombes
souterraines, les ponts, les ouvertures des pagodes, les portes de villes
murées. La première trace de cette technique date des Han orientaux (25220), pour un usage apparemment exclusivement réservé à l'architecture
souterraine3; on ne connaît aucun document ou représentation d'un usage
de la voûte en aérien à cette époque. Les tombes Han ainsi que celles des
dynasties postérieures jusque celle des Qing (1644-1911) sont en brique,
parfois en pierre, et voûtées4. Leurs voûtes en berceau sont de tendance
semi-circulaire en continu, et leurs portées de plus en plus grandes avec le
temps (de trois mètres sous les Han à près de onze mètres sous les Ming).
Les pierres comme les briques possèdent une grande résistance à la
pression. La structure en arc est la plus adaptée, car elle permet de répartir
la charge et d'enjamber de grandes distances ; cette forme fut donc
rapidement utilisée dans les ponts 5 . Le plus ancien pont à arche connu en
Chine nous vient d'une représentation sur une brique des Han orientaux6 ;
le pont en pierre le plus ancien encore debout est celui de Anji 5S:$I, au
2
Jean-L. Gauthier, Stéréotomie : étude des arcs, voûtes, escaliers, Paris : École nationale des Beaux-arts, 3 e éd., 1989, p. 6.
3
Cheng Te-k'un, « Qin-Han muzang jianzhu », in Xianggang zhongxue daxue
Zhongguo wenhua yanjiusuo xuebao, Hong Kong : Zhongxue daxue, vol. XI, 1980,
p. 193-270.
4
Dieter Kuhn, A place for death, Heidelberg : Forum, 1996, p. 42 et p. 53-54.
Dingling, numéro spécial des études archéologiques, n° 36, 2 vol., Beijing : Wenwu
chubanshe, 1990, p. 14-15. Gongcheng zuofa, f. 1, sq.
5
Mao Yisheng (éd.), Zhongguo guqiao jishu shi, Beijing : Beijing chubanshe, 1986,
287 p.
6
Lu Pin, Zhou Dao, « Henan xinye xinchutu de Handai huabian zhuan », in Kaogu,
n° 1 (1965), p. 17.
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La voûte en aérien dans la Chine impériale
Hebei, construit sous les Sui (606-618). Ce pont à arche segmentaire est
constitué d'une seule grande voûte de trente sept mètres de portée, de sept
mètres de flèche, et possède deux petits arcs de décharge de chaque côté 7 .
Les ouvertures voûtées sont présentes dans les pagodes maçonnées
dont les plus anciennes connues datent de la période des Wei du nord (386534). La pagode Songyue Sg^g au Henan possède des portes et fenêtres en
arc plein-cintre comme la majeure partie de celles des époques
postérieures8. Mais ce sont les portes monumentales des villes murées qui
développèrent les plus grandes portées de voûte. Jusqu'aux Song (9601279), ces portes avaient une structure à linteau plat en bois. Ce n'est qu'à
la toute fin de la dynastie et surtout sous les Yuan (1279 à 1368)
qu'apparaît la forme en voûte (comme par exemple la porte Heyi fOii de
la capitale Dadu ^K|5 9 ). Cette tendance, ne fera que se confirmer sous les
Ming puisque, progressivement, toutes les murailles en terre damée se
recouvriront de briques cuites et posséderont des entrées en voûtes pleincintre. Il faut également citer les tours de la cloche et du tambour dont les
ouvertures sont très souvent traitées en arc. Les premières datent de la
période Yuan et se développent sous les Ming et les Qing.
Techniquement, ces quatre types architecturaux ont en commun un
point essentiel pour notre travail : ils ne sont qu'un « trou dans une
masse », une voûte qui transmet sa charge et sa poussée à un énorme
volume de terre, dans le cas des tombes et des portes de remparts, à une
maçonnerie importante pour les petites fenêtres des pagodes ou à un appui
au sol dans le cas des ponts. Les forces qui tendent à l'effondrement de la
voûte sont parfaitement contrecarrées par ces masses, à la différence des
7
Liang Sicheng, « Zhaoxian de shiqiao ji Anji qiao, fu xiao shiqiao Jimei qiao », in
Zhongguo yingzao xueshe huikan, vol. 5, nc 1 (1936), p. 1-16.
8
Xu Huadang, Zhongguo guta, Beijing : Qing gongye chubanshe, 1986, p. 41 sq. ;
Liang Ssu-ch'eng, A Pictoral History of Chinese Architecture, Cambridge : Massachusetts Institute of Technology, 1984, p. 124.
9
Zhang Yuhuan (éd.), Zhongguo gudai jianzhu jishu shi, Beijing : Kexue shuju, 2000,
p. 176-177. Tushuo Beijing shi, Beijing : Yanshan chubanshe, 1999, p. 217 et 227.
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deux types de construction à voûte « en aérien » dont la stabilité dépend
de massifs de culée calculés par des maîtres-d'ceuvre spécialistes de
l'architecture maçonnée : les wuliang dian et les yaodong.
Les wuliang dian
Le terme wuliang dian, littéralement « palais sans poutre », désigne des
bâtiments caractérisés par l'usage exclusif de la brique, sans charpente de
bois, avec une toiture présentant un profil de voûte clavée. Il semble qu'il
n'en existe pas avant la seconde partie de la dynastie Ming (i.e. avant l'ère
Jiajing 1522-1567) : nous n'en possédons actuellement pas de trace
archéologique et aucun texte n'en mentionne à des dates antérieures ".
Techniquement, les wuliang dian sont composés de voûtes en
berceau continu à pénétration barlongue ou oblongue dont les portées
dépassent, pour la plupart, les dix mètres. Les façades sont très souvent
traitées pour ressembler aux bâtiments à charpente de bois et les briques
sont taillées à l'imitation des consoles dougong i[4tt. Les murs sont de
maçonnerie pleine et constitués de briques cuites en réduction, de taille
différentes selon leurs positions dans le mur ou la voûte. Les joints sont
faits avec un mortier mêlé de chaux. Pour contrebalancer la poussée qui a
comme effet de faire s'effondrer la voûte vers l'intérieur au faîte et vers
l'extérieur aux naissances, des massifs de culée sont construits : épais au
début des Ming, ils deviennent pilastres de contreforts au début du XVIIe
siècle : plus légers ils permettent des économies de matériaux.
I
Jean-Pierre Adam, La Construction romaine: matériaux et techniques, Paris :
Grands manuels Picard, 3e éd., 1995, p. 179-180. En Occident, ce sont les Romains qui
sont à l'origine de la structure « en aérien ».
II
Dans le Yingzao fashi de Li Jie datant du XIIe siècle, ce type de bâtiment n'est pas
mentionné et la technique de la voûte n'est pas décrite. Par contre, dans la liste des
types de briques cuites répertoriées, il semble qu'il soit possible de voir des claveaux
d'arc ou de voûte, ce qui correspond à un usage connu dans les tombes et les ponts tout
du moins. Yingzao fashi, 1103,/ 15.
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La voûte en aérien dans la Chine impériale
Ces bâtiments sont plutôt rares. Il a été possible d'en répertorier
douze, répartis à travers tout le pays : huit dans le nord et quatre dans le
sud et le sud-est. Trois d'entre eux se trouvent dans la province du Shanxi :
au temple Yongzuo ^cjjfp ou Shuangta f|J§f à Taiyuan, construit en
1611 n, au monastère Xiantong H 0 1 sur le Mont Wutai, qui date de
1606 B , et au monastère Wangu JUS, dans le district de Yongji, construit
vers 1586 14. Ces trois bâtiments furent bâtis sur les plans et sous la
direction du moine bouddhiste Miaofeng &M$k (1540-1612). Les cinq
autres wuliang dian du nord de la Chine se trouvent à Pékin. La cité ellemême en compte trois : le Huangshi cheng Jyfe@c> à l'est du palais
impérial, le bâtiment principal du Zhaigong M~Ê dans l'enceinte du temple
du Ciel, tous deux construits durant l'ère Jiajing 15, et le Xitian fan M^.%
ou Wanfo lou Mi$%È au nord de Beihai, probablement construit sous
Qianlong (1736-1796), ce qui le rend contemporain des deux derniers
wuliang dian du nord : le Zhihui hai ^ H H S dans le Yihe yuan et le
Yuchen baodian ï E ^ ^ S à Yuquan shan 3 L ^ U J 16Le sud du pays compte quatre wuliang dian, dont trois dans la
province du Jiangsu : le Linggu S ^ , à Nankin, au sud-est de Zhongshan,
probablement construit au début du XVIe siècle 1?, au temple Huiju HJH
Shanxi tongzhi, 1881,/. 168, p. 6a-6b.
Deqing « Wutai shan Miaofeng denggong chuan », in Deqing, 1657, / 30, in Xu
Zangjing,j. 17>, vol. 1456, p. 676.
1
Shanxi tongzhi, 1881, p. 25 a. Yongji xianzhi, 1880, / 12, p. 36a-36b. Deqing,
« Miaofeng chanshi chuan », in Baohua shan zhi, 1736-1796,/ 12, p. 7a-7b.
1
Sun Chengze, Chunming mengyu lu, XVIIe siècle,/ 13, Beijing : Guji chubanshe,
1992, p. 161 et/ 14, p. 206-207. Ishibashi Ushio, Tendan, s.l., 1955, p. 41.
Shuntianfuzhi, 1886,/ 16, p. 3a et p. 8a. Cette même source (j. 4, p. 23a) donne une
date globale pour l'ensemble des bâtiments du site et non spécifiquement pour le
Zhihui hai.
Il semble très probable que cette période est la bonne, mais sans la mention d'une
date précise le doute persiste sur une construction plus ancienne. Liu Dunzhen,
« Nanjing Linggusi wuliang dian de jianzao niandai yu shiyang laiyuan », in Liu
Dunzhen wenji: si, Beijing : Zhongguo jianzhu gongye chubanshe, 1992, p. 73-77.
Jinlingfancha zhi, 1637,/ 3, « Jinshan Linggu si » et observations de terrain (2000).
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Journée
d'études de l'AFEC du 16 mars 2001
ou Longchang | H | | sur le mont Baohua, érigé en 1605 18, et le Kaiyuan
MTÈ au sud de Suzhou 19. Le dernier wuliang dian que nous avons pu
recenser se trouve sur le mont Emei au Sichuan. Il s'agit d'une partie du
Baishui â^K, construit entre 1599 et 1605 20.
Le moine bouddhiste Miaofeng serait également le maître-d'œuvre
des deux bâtiments sur les montagnes sacrées, et l'inspirateur de celui de
Suzhou (1618), réalisé par un de ses disciples du nom de Ruyuan i\\WLes monographies des monastères et sa biographie indiquent que
Miaofeng, originaire du Shanxi, dirigea les chantiers avec un financement
impérial et des aides techniques du ministère des Travaux publics21.
En résumé, il semble que l'on puisse distinguer trois périodes de
construction : la première durant l'ère Jiajing des Ming avec deux
bâtiments à Pékin et un à Nankin ; une seconde période très prolifique sous
Wanli (1573-1620) caractérisée par la production de Miaofeng et enfin une
troisième époque sous Qianlong (1736-1796) qui voit la construction de
trois wuliang dian à Pékin et ses environs. La structure de brique de voûte
en aérien ne fut plus utilisée, par la suite, dans l'architecture officielle,
civile ou religieuse.
Les yaodong
Ce terme désigne des maisons anciennes et contemporaines situées dans le
Haut Plateau de lœss, au bord du Fleuve jaune. Les estimations chinoises et
occidentales proposent le chiffre de quarante millions de personnes vivant
« Wenshu wuliang dian» et «Puxian wuliang dian», in Baohua shan zhi, 17361796,/ 3, p. lb-2a.
19
Suzhou fuzhi, 1829-1877,/ 39, p. 9-10. Pan Zengyi, Kaiyuan si zhi, 1922, p. 13b.
Wuxian zhi, fin des Ming,/ 24, p. 24a-29b.
20
Zhishu quantu, j . 3, p. lb, cité par Johans Prip-Meller, Chinese Buddhist Monasteries, Hong-Kong : Hong-Kong University press, 1937, p. 277. Xinban Eshan tuzhi,
trad. Phelps Dryden Linsley, rééd. de 1936 in Zhongguofosi shi zhi huikan, Taipei :
Wenming shuju, 1980, p. 120 sq.
Deqing, Hanshan dashi mengyou quanji, 1657, mXucangjingJ. 73, p. 676.
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La voûte en aérien dans la Chine impériale
actuellement dans ces habitations. Le terme fut longtemps traduit par
« troglodyte » ou « maison troglodytique », car nombre d'entre eux sont
creusés dans les flancs des falaises de lœss, terre limoneuse. Pourtant,
d'autres types de yaodong existent en parallèle, des bantu banshi
^rirP^G
(moitié terre, moitié pierre) ou encore des duli $&]£
(indépendants) en brique ou en pierre. La dénomination reste la même
malgré le changement de matériau car le plan oblong est semblable, les
intentions proches et les processus de construction similaires. C'est
pourquoi, nous estimons que ces habitations ne peuvent plus être traduites
en français par « troglodytes » qui porte une trop grande connotation
« souterraine » et restrictive mais désignées par leur appellation locale
« yaodong ».
Nous répartissons les yaodong à voûte appareillée en deux types :
ceux à voûtes de brique (essentiellement dans la province du Shanxi) et
ceux à voûtes de pierre (que l'on rencontre dans la partie nord du Shaanxi).
En étudiant la chronologie de ces bâtiments, nous en avons dégagé deux
catégories. La première concerne la construction d'État : les monographies
locales des districts décrivent des bâtiments administratifs en pierre
nommés yaodong dont le chroniqueur donne le nombre de kong JL (cellules) qui les composent. Des yamen fërf!, des temples de Confucius ou
encore des écoles pour préparer aux examens mandarinaux sont très
souvent datés de l'ère Daoguang (1821-1851). Le choix est fait d'un
ancrage local pour le style architectural22. La seconde catégorie est celle
des bâtiments à usage civil, c'est à dire les habitations particulières.
Plusieurs ensembles importants et cohérents de yaodong à usage
privé peuvent actuellement être étudiés in situ. Au Shaanbei (nord du
Shaanxi), certaines de ces propriétés sont en bon état de conservation
comme le prouve le Jiangyao zu zhaiyuan il'iUftË^i:!^: (Le manoir de la
famille Jiang) à Liujia mao ^\M.&P, près de Mizhi ifcM- Cet ensemble
yaodong en pierre, étudié par Hou Jiyao de l'Université d'architecture de
Jiexiu xianzhi, 1662,/ 2, p. 3-6. Yanchuan xianzhi, 1831, p. 4b-5a, p. 9b et dessins 3
et 4. Suide xianzhi, 1781, j . 1, p. 23b.
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Journée' d'études de l'AFECdu 16 mars 2001
Xi'an, fut construit entre 1874 et 1886 et comporte plus de vingt cellules
(kong) réparties en trois cours étagées23. De l'autre côté du fleuve, dans le
district de Jiexiu /H^fc au Shanxi, une propriété de taille encore plus
importante présente des caractères proches : l'ensemble nommé Wangjia
dayuan j E ^ ^ v l ^ (La grande propriété des Wang), fut construit à la fin du
XVIIIe- début du XIXe siècle24. De très grande taille, il contient plus d'une
cinquantaine de cellules yaodong en brique.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les yaodong à voûtes
clavées ne sont pas des habitations d'indigents contraints de creuser la terre
par manque de bois de construction. Non seulement, cette forme en voûte
est choisie par des couches de population fortunée des villages du haut
plateau de lœss, mais on rencontre ce type d'habitation en terrain plat,
comme à la frontière mongole ou dans la petite ville murée de Pingyao
2pâl au Shanxi. Ces yaodong indépendants ont, pour la plupart, été
construit autour des ères Daoguang (1821-1851) et Tongzhi (1862-1875),
parfois plus tôt, dans les années 1793-1800. Leurs propriétaires étaient,
pour la plupart, des riches marchands appartenant à la catégorie bien
connue des Jin shang i=tM (marchands du Shanxi) ou piaozhuang ÎHI3:
(« banquiers ») enrichis par le commerce du sel sous les Ming et dont les
activités se sont diversifiées sous les Qing. Les quelques histoires de
famille que nous avons pu étudier montrent des activités de commerce, de
prêts sur gage et de transports de marchandises entre les provinces du
Shanxi et du Shaanxi mais également à travers tout le pays 25 . Ces grandes
fortunes sont investies pour une part dans la terre. Leurs propriétés ont
cette particularité d'être des yaodong indépendants à voûte de brique (au
Hou Jiyao, Zhou Peinan, Ren Zhiyuan et al., Yaodong minju, Beijing : Zhongguo
jianzhu gongye chubanshe, p. 201-207. Hou Jiyao, Wang Jun, Zhongguo yaodong,
Zhengzhou : Henan kexue jishu chubanshe, 1999, p. 134-39.
24
Geng Yanbo, Wangjia dayuan, Taiyuan : Shanxi jingji chubanshe, 1998, 81 p. ;
Jinshan zhaiyuan : Wang, vol. 1, Taiyuan : Shanxi renmin chubanshe, 1997, 103 p.
Ge Xianhui, Zhang Zhengming, Ming-Qing Shanxi shangren yanjiu, Hong-Kong :
Xianggang Ouya jingji chubanshe, 1993, p. 1-2, 3-4 et 8-10.
218
La voûte en aérien dans la Chine impériale
Shanxi) et de pierre (au Shaanbei) de plan et de dimensions semblables aux
maisons enterrés dans les parois de lœss de ces mêmes régions.
Les terrains de la recherche que nous avons effectuée dans ces
régions depuis 1995 semblent confirmer les statistiques publiées dans les
monographies contemporaines26. Celles-ci estiment que dans les préfectures de Yan'an $Ejër et Yulin |jfï|# près de 80 % de la population vit dans
des yaodong, avec une tendance, ces cinq dernières années, à la
construction de structures indépendantes à voûte de brique ou de pierre.
Les chantiers que nous avons pu suivre durant le printemps 1998 et l'été
1999, apportent des éléments confirmant un savoir-faire et une grande
qualité dans la réalisation de l'architecture maçonnée et dans la structure
de la voûte en particulier. Il existe bien une permanence de style et de
techniques de construction dans ces deux provinces qui, à notre avis,
rendent les yaodong du Shanxi et du Shaanbei différents de ceux des autres
zones du haut plateau de lœss concernées par ce phénomène27.
La voûte en aérien chinoise: incongruité ou originalité ?
Les wuliang dian et les yaodong sont donc les deux seuls types de
construction à voûte en aérien de l'architecture chinoise et il est tentant de
les rapprocher, bien qu'ils appartiennent à des domaines architecturaux très
différents, généralement peu perméables, l'architecture savante et l'archi-
Par exemple, le Zichang xianzhi, Zichang xianzhi bianzuang weiyuanhui, Shaanxi
difang zhi congshu, Xi'an : Shaanxi renmin chubanshe, 1993, indique qu'en 1985
78 % des constructions de la capitale de district, Zichang, étaient de type yaodong,
19 % étaient des immeubles en béton et 3 % des maisons classiques à charpente de
bois.
2
Ces remarques déborderaient trop le cadre de cette présentation mais il semble
important de noter de vraies différences de styles ainsi que de techniques de
construction entre les yaodong du Gansu, ceux du Henan, du sud du Shaanxi ainsi que
ceux précédemment cités. Bien qu'appartenant à la même zone géologique, de
nombreuses singularités apparaissent, dues à des différences de climat, des événements
historiques et les influences étrangères autres.
219
Journée d'études de l'AFEC du 16 mars 2001
tecture populaire. L'observation directe des bâtiments ainsi que des
chantiers de construction de yaodong et leur comparaison avec les rares
sources écrites sur la maçonnerie permettent de proposer quelques
hypothèses de liens entre ces deux types de structures. Le mode de calcul
des portées et des flèches de voûte décrit dans le manuel du ministère des
Travaux publics de 1734, le Gongbu gongcheng zuofa XnfêXfMfftÊ28,
possède des similitudes avec les calculs des maîtres-d'œuvre du district de
Yanchuan dans le Shaanbei contemporain. De même, on observe des
techniques de mise en œuvre des briques très proches et les types utilisés
se retrouvent dans les wuliang dian des Ming et les yaodong aériens de
Pingyao ou de Wangjia dayuan. Ces liens sont difficiles à prouver car les
documents concernant les transmissions d'ouvrages techniques entre le
centre et les districts, ou entre les artisans maîtres d'oeuvre, sont quasiinexistants ; mais des présomptions existent et mériteraient une plus ample
étude.
Bien que l'on puisse apporter quelques éléments de filiation entre ces
deux types de construction, cela n'explique pas la présence de ces voûtes
en aérien dans l'architecture chinoise. La tentation est grande de supposer
quelque origine extra-territoriale à cette voûte. Certains auteurs ont
proposé des influences occidentales nestorienne, franciscaine ou jésuite
concernant les wuliang dian29. L'étude que nous avons menée sur les
formes architecturales, sur l'évolution des techniques de production et sur
la mise en œuvre des briques, des pierres ou des mortiers dans les périodes
précédants la dynastie Ming tendent à montrer que ces bâtiments ne sont
pas des incongruités. Ainsi certaines caractéristiques des chambres
funéraires souterraines comme les appareils de voûtes ou les positions des
28
Gongcheng zuofa, 1734,/ 44, faxuan # ^ (monter une voûte), p. la-4b.
Voir Laurence Sickman, Alexander Soper, The art and architecture of China,
London : Penguin Books, 1956, p. 284-285, Osvald Siren, L'architecture : histoire des
arts anciens de la Chine, vol. 4, Paris : G. Van Oest, 1930, p. 45-46, Liang Sicheng,
Zhongguo jianzhu shi, Tianjin : Baihua wenyi chubanshe, 1998 [1955], p. 283-284,
Johans Prip-hfoller, « The Hall of Ling Ku Ssu », in Artes (Copenhagen), n° 3 (1935),
p. 196-200.
29
220
La voûte en aérien dans la Chine impériale
briques en front se retrouvent dans les portes des villes Yuan et Ming ainsi
que dans les wuliang dian des XVIe et XVHe siècles. Ceci est également
valable pour les ponts ou les ouvertures de pagodes. Les connaissances en
matière de cintrage et d'appareillage en rouleau ou en translation
qu'utilisaient les bâtisseurs de ponts et de tombes souterraines ont
certainement établi la base technique pour la construction des wuliang
dian, puis des yaodong. De plus, nous avons pu montrer que loin d'être un
domaine « stagnant », l'architecture maçonnée est en évolution constante
depuis les Han orientaux. Ces améliorations dans les matériaux peuvent
être constatées dans les modes de cuisson, les formes des fours, dans les
mélanges de mortiers, la calcination de la chaux ainsi que dans le choix des
combustibles. Entre autres conséquences, ces changements ont rendu le
matériau brique beaucoup plus abordable économiquement durant la
dynastie des Ming.
Les périodes de construction des wuliang dian correspondent à des
programmes étatiques pour les bibliothèques et les édifices religieux,
destinations de ces « palais sans poutre » : protection contre le feu ou la
moisissure de manuscrits ou d'archives précieuses, le plus souvent au sein
de monastères bouddhistes. Miaofeng, le moine architecte auquel la
construction de cinq des douze wuliang dian du pays est attribuée
directement, est également mentionné comme un constructeur de pagodes
et de ponts. À lui seul, ce personnage nous semble être le plus représentatif des connaissances techniques de son temps et des passerelles entre
la voûte « enterrée » et la voûte « en aérien ». De plus, et pour finir sur les
suppositions d'influences occidentales sur les wuliang dian, il suffit de
comparer les dates de construction connues et la présence massive des
missionnaires en Chine au XVIIe siècle : les premiers bâtiments datent du
début du XVIe siècle, Miaofeng construisit les siens entre 1586 et 1612.
Il reste cependant une piste importante et impossible à exclure : celle
de l'influence de la forme et du style. Les conditions techniques sont
acquises mais le choix de la forme en voûte et en aérien pourrait avoir eu
une origine en Asie Centrale. Cette question se pose particulièrement au
sujet des voûtes de yaodong dans le nord-ouest du pays à proximité de
relations avec ces zones. La première hypothèse est celle d'une influence
221
Journée d'études de l'AFEC du 16 mars 2001
iranienne des voûtes clavées. Nous savons aujourd'hui combien furent
intenses les relations techniques et artisanales entre la Chine et la Perse de
l'époque Sassanide (226-651). Si les pièces de monnaie de cette période
retrouvées dans de nombreux endroits de Chine en sont une preuve, les
habitations à voûte de brique crue retrouvées à Qotcho dans le bassin du
Tarim ou à Turfan30 et datant du VIIe siècle pourraient en être une autre.
Parallèlement, il faut noter également que le Shaanbei et la partie nord du
Shanxi avaient des rapports très intenses avec les populations d'Asie
Centrale. Les villes de Mizhi et Suide étaient des centres de transit de
marchandises assez actifs sous les Yuan et les Ming. Ces régions furent en
outre délibérément peuplées de populations proches des Yuan au XIIIe
siècle, et le Shaanbei a connu des gouvernements non-hans au moins
depuis le début du XIe siècle. Il est par ailleurs impossible d'ignorer que
Miaofeng, constructeur de wuliang dian, est né et a grandi au nord de la
province du Shanxi, pays deyaodong, à proximité de la Mongolie.
La voûte en aérien de Chine est une rencontre entre deux domaines
techniques. Elle est voûte chinoise car elle en possède les caractéristiques
techniques et les gestes de mise en œuvre, et elle est voûte d'Asie Centrale,
par la pénétration dans la pièce et par la forme. Les rencontres et les
échanges au cours des temps ont pu rendre la forme en voûte possible dans
un environnement technique propice.
3
Monique Maillard, Grottes et Monuments d'Asie centrale, Essai sur l'architecture
des monuments civils et religieux dans l'Asie centrale sédentarisée depuis l'ère
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La voûte en aérien dans la Chine impériale
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Journée d'études de l'AFEC du 16 mars 2001
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Figure 1 : Les forces tendant à affaisser la voûte (haut).
Les massifs de culée contrecarrent ces forces (bas).
Source : Jean-Marie Pérouse de Montclos, Architecture, Vocabulaire, Paris :
Imprimerie nationale, 1989, vol. 2, section VIII.
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