Échos ou prémices des Révolutions de la musique en

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Échos ou prémices des Révolutions de la musique en
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L’ŒUVRE LYRIQUE
Échos ou prémices des Révolutions de la musique en France
« Père de la Symphonie », « Chantre de la Révolution » : ces deux qualificatifs
ont suffi à désigner Gossec dès le début du XIXe siècle, coulant le moule
d’une réputation dont les musicographes et musicologues du siècle
suivant feront un véritable sarcophage. Pourtant, l’artiste s’est toujours
intéressé à la scène lyrique, s’illustrant aussi bien dans le genre moderne
de l’opéra comique, que dans celui plus traditionnel de la tragédie
lyrique. Appelé à collaborer avec les plus grandes institutions de son
temps, Gossec fit exécuter plus d’une vingtaine d’œuvres aux fortunes
très diverses mais qui, dans bien des cas, révèlent un dramaturge de
premier plan. Ce corpus dénote une grande variété d’inspiration, dont les
titres seuls témoignent de la diversité :
- Le Périgourdin, opéra comique de La Salle d’Offémont
[Chantilly, 7 juin 1761]
- Le Tonnelier, opéra comique de Quétant
[Comédie-Italienne, 16 mars 1765]
- Le Faux Lord, opéra comique de Parmentier
[Comédie-Italienne, 27 juin 1765]
- Les Pêcheurs, opéra comique de La Salle d’Offémont
[Comédie-Italienne, 7 juin 1766]
- Toinon & Toinette, opéra comique de Desboulmiers
[Comédie-Italienne, 20 juin 1767]
- Le Double Déguisement, opéra comique de Houbron
[Comédie-Italienne, 28 septembre 1767]
- Sabinus, tragédie lyrique de Chabanon
[Opéra royal de Versailles, 4 décembre 1773]
- Berthe, comédie héroïque de Régnard de Pleinchesne
[Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, 18 janvier 1775]
- Alexis & Daphné, fragment Nouveau de Chabanon de Maugris
[Académie royale, 26 septembre 1775]
- Philémon & Baucis, fragment Nouveau de Chabanon de Maugris
[Académie royale, 26 septembre 1775]
- La Fête de Village, intermède de Desfontaines
[Académie royale, 26 mai 1778]
- «Les Scythes Enchaînés», ballet ajouté pour Iphigénie en Tauride de Gluck
[Académie royale, 1er juin 1779]
- Mirza, ballet-pantomime de Gardel
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FRANÇOIS-JOSEPH GOSSEC
[Académie royale, 18 novembre 1779]
- Thésée, tragédie lyrique de Quinault revu par Morel de Chefdeville
[Académie royale, 1er mars 1782]
- Calisto, ballet héroïque d’après Ovide
[Fontainebleau, 1782]
- Musique de scène pour Electre
[Versailles, 19 décembre 1782]
- Nitonis, tragédie lyrique
[non représentée]
- Intermèdes pour Athalie
[Fontainebleau, 3 novembre 1785]
- Rosine ou l’Epouse abandonnée, opéra de Gersain (Morel de Chefdeville ?)
[Académie royale, 14 juillet 1786]
- L’Offrande à la Liberté, scène patriotique de Gardel
[Théâtre des Arts et de la République, 30 septembre 1792]
- Le Triomphe de la République, divertissement lyrique de Chénier
[Théâtre des Arts et de la République, 27 janvier 1793]
De cette abondante production, trois ouvrages se détachent nettement :
Toinon & Toinette d’abord, le meilleur opéra comique du compositeur, qui
témoigne d’un apport certain au genre léger ; Sabinus et Thésée ensuite,
illustrant chacun à leur manière le devenir de la tragédie lyrique à l’aube
du Romantisme. À ces trois piliers, il conviendrait d’ajouter Mirza, un des
premiers ballets-pantomimes français et l’un des plus grands succès
de l’Académie royale de Musique à l’époque, ainsi que L’Offrande à la
Liberté et Le Triomphe de la République, deux exemples célèbres d’« opéras
révolutionnaires » qui ont largement contribué à asseoir l’image d’un
Gossec « patriote enragé ». Mais si le compositeur se fit, quelques années
durant, le porte-parole des révolutions politiques qui agitèrent la France,
il contribua bien plus à la révolution musicale qui, de la Querelle des
Bouffons (1752) à la Querelle des Gluckistes et des Piccinnistes (1778),
allait bouleverser le paysage lyrique français.
Gossec sur la scène de la Comédie-Italienne (1761-1767) : l’opéra
comique et l’exemple de Toinon & Toinette.
Les premiers pas de Gossec dans le domaine de l’opéra comique y furent
des plus modestes. En 1761, le comédien Audinot eut l’idée, pour mettre
en musique son petit acte Le Tonnelier, de recourir à plusieurs musiciens
(dont Schobert, Trial et Philidor), parmi lesquels le jeune Gossec qui se vit
attribuer la composition de quelques numéros. L’ouvrage parut avec
assez peu de succès sur le théâtre de la foire Saint-Laurent,
le 28 septembre de la même année. Le compositeur, qui s’était prêté au jeu
avec enthousiasme, tenta par la suite de gommer les défauts les plus
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saillants d’une musique trop disparate : totalement remanié, Le Tonnelier
fut reçu en 1765 à la Comédie-Italienne avec, cette fois-ci, assez d’applaudissements pour laisser à Gossec l’espoir d’une carrière dans cette
institution. Une série de quatre opéras comiques suivit aussitôt : Le Faux
Lord (27 juin 1765), Les Pêcheurs (23 avril 1766), Toinon & Toinette
(20 juin 1767) et Le Double Déguisement (28 septembre 1767). Malgré une
plume prolifique, Gossec ne fut couronné que d’un succès : de tous ses
ouvrages, seul Les Pêcheurs se maintint au répertoire de la ComédieItalienne (plus de 160 représentations jusqu’en 1790), les autres ne
jouissant que d’un succès éphémère.
Ces œuvres illustrent toutes la résurgence du style populaire
caractéristique de l’ancien répertoire des foires. Les différents poètes que
Gossec s’est attaché ont tenté de retrouver l’essence de l’opéra comique,
la veine bon enfant (voire burlesque) de La Serva padrona de Pergolèse
(1733) et de sa première transposition française, Les Troqueurs de
Dauvergne (1753). Car à la fin des années 1760, l’opéra comique aspirait à
plus de profondeur : des ouvrages comme Le Peintre amoureux de son
Modèle de Duni (1757), Tom Jones de Philidor (1765) ou Le Déserteur de
Monsigny (1769) – sous-titré « drame » – donnaient au genre une portée
philosophique teintée d’historisme ou d’exotisme. Face à cette nouvelle
orientation, certaines œuvres – dont celles de Gossec – optèrent à l’inverse
pour le retour aux sources de l’opéra comique.
Toutefois, les livrets mis en musique par Gossec n’affichent pas clairement
les moyens de leurs ambitions et délaient à l’envie des thèmes et des
situations déjà éclusés à l’époque. On trouva Houbron embarrassé de sa
propre longueur, d’inerties, d’équivoques et de quelques « détails
indécens » dans son Double Déguisement, le Desboulmiers de Toinon &
Toinette manquant, lui, de clarté et d’efficacité… Quant à Parmentier, il fit
seul l’infortune du Faux Lord qui sombra en une soirée : on dut abaisser le
rideau avant le dernier acte tant les dialogues furent sifflés !
Mais la médiocrité des textes n’entacha que de loin la réputation du jeune
compositeur, dont le public sut discerner les talents prometteurs. De
Toinon & Toinette, Desboulmiers affirme que « la musique fut
universellement admirée !»1. Quant au baron Grimm, pourtant si
exigeant, il trouva dans Le Faux Lord « une foule d'airs qui peuvent
soutenir le parallèle avec tout ce qu'on fait de mieux dans ce genre en
France »2, alors que les esprits les plus critiques, tel Bachaumont, étaient
d'avis que, « si la musique de Gossec possède de jolies choses, elle n'a nul
génie »3… Le Mercure de France osa pour sa part une comparaison
élogieuse avec le grand Philidor, relevant dans le détail les « nouvelles
formes données par Gossec à la musique instrumentale »4.
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FRANÇOIS-JOSEPH GOSSEC
Cette reconnaissance du musicien devait d’ailleurs s’étendre bien au-delà
des frontières de France. Tandis qu’aucun des opéras comiques de Gossec
ne s’inscrivit durablement au répertoire de la Comédie-Italienne,
plusieurs furent paradoxalement repris avec succès sur des théâtres
étrangers. Tel fut le cas des Pêcheurs, joué en flamand à Anvers (1805) et
au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles (1819), ou de Toinon & Toinette qui
voyagea à travers toute l’Europe5 et, grâce à ses incontestables qualités
musicales, sut conquérir un public cosmopolite, de Liège (1771) à
Copenhague (1771 et 1785) en passant par Bruxelles (1776), Kassel (1774),
Amsterdam (1783) et Stockholm (1804).
Ce dernier ouvrage semble à juste titre le meilleur de Gossec dans le genre
léger. Le jeune compositeur y dresse le bilan de ses quinze premières
années passées à Paris : il met à profit, au gré des numéros, les souvenirs
conjugués de Rameau et de Stamitz, la grande maîtrise acquise dans
l’utilisation de l’orchestre, ainsi que le goût de l’originalité et de
l’innovation qui guida toujours ses choix. Créé à la Comédie-Italienne
le 20 juin 1767, Toinon & Toinette connut treize représentations successives
et fut salué tant pour la veine originale du poème de Desboulmiers que
pour les qualités de la musique de Gossec :
« Cette pièce, prose et vers, est mieux faite que la plupart de
celles du même genre dont nous rendons compte. Il y a du style
au moins, un sel délicat des pensées naturelles et bien exprimées.
L’Auteur a certainement l’idée du comique, la chose la plus rare
aujourd’hui. Comme le lieu de la scène est un port de mer, à la
fin du premier acte, une tempête tient lieu de divertissement.
Une tempête physique n’est rien moins que divertissante sans
doute, mais on s’amuse agréablement d’une tempête musicale et
poétique. Celle-ci décrite en trop beaux vers pour le genre, a été
bien rendue par le musicien...»6
La seule critique négative adressée à l’encontre du livret se résumait à la
maladresse d’un dénouement complexe : « le sujet, traité avec plus de
clarté, pouvait faire un meilleur effet », note l’Histoire de l’Opéra
Bouffon7. Acceptant la remarque avec intelligence, Desboulmiers remania
les derniers dialogues, ce qui assura à l’ouvrage sa pérennité8. Si le livret
de Toinon & Toinette comprend quelques « recettes » incontournables de
l’opéra comique français à cette époque, il se démarque toutefois par
nombre de singularités structurelles ou esthétiques.
À l’heure où l’idée de « conscience nationale » voit le jour partout en
Europe et où le goût du pittoresque – voire de l’exotique – se substitue à
l’histoire et au merveilleux sur les scènes lyriques et théâtrales, Toinon &
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Toinette opte justement pour un décor et un contexte général très typés.
Doublement en fait, puisque, si la scène se déroule à Anvers dans les
Flandres, elle se situe, qui plus est, sur le port de la ville, dans un décor
maritime que l’opéra comique n’a que rarement sollicité. Comme le
précise le livret, « tout le costume est à la flamande », détail pittoresque
auquel l’ouvrage dut sans doute une partie de son succès.
Salle de la Comédie-Italienne : intérieur de l’Hôtel de Bourgogne en 1767
À sa manière, le livret tente de résoudre le problème essentiel de
l’alternance parlé/chanté que certains penseurs du théâtre lyrique
condamnaient fermement. Ainsi, le personnage de Sabord reprend au
cours d’un dialogue l’air qu’il vient de chanter, mais sans accompagnement instrumental, créant un « moyen terme » aux deux modes
d’expression. Toinette, pour sa part, introduit son premier air en le
présentant comme « une chanson qu’un monsieur lui apprît l’autre jour »,
mise en théâtre de la musique dans la musique. Ce principe connaîtra une
grande popularité auprès des librettistes et compositeurs du futur opéra
romantique. Dans sa facture, le livret propose des événements contrastés
d’un très bon effet, sans jamais aucune redondance. Mieux encore, chaque
numéro musical apparaît en fin de scène pour en fortifier l’impression
générale.
Les différents airs de la partition permettent à chaque artiste de faire
valoir son jeu d’acteur et ses qualités vocales. Chacun se démarque par
une thématique particulière : air à boire de Sabord (dans la tradition des
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recueils d’airs bachiques du premier XVIIIe siècle), romance de Toinette et
vaudeville final (genres à la mode dans la seconde moitié du siècle), appel
à la vengeance d’Antoine et monologue passionné de Toinette (héritages
de la tragédie lyrique), réveil de la nature et hymne de louange au soleil
(où l’influence rousseauiste ne se cache guère)… Cette caractérisation
poétique des airs est rehaussée par Gossec d’une musique adaptée à
chaque situation : les lignes mélodiques, notamment, empruntent selon la
circonstance la grâce de la romance (dévolue généralement à Toinon et à
Toinette), le style déclamatoire emphatique des grands moments
d’intensité (trio de la tempête) ou, à l’inverse, le stile buffa grotesque des
personnages comiques de l’opéra italien (caractérisant notamment
Antoine et Sabord). Par ailleurs, loin de renoncer complètement aux
vocalises, le compositeur les intègre harmonieusement à sa partition et les
justifie toujours par le texte même de l’air. Ainsi, la joie de Toinette au
premier acte donne lieu à de légères figurations sur les mots « Ah ! Que
vous enivrez mon cœur », mettant en valeur l’habile gosier de Mme la Ruette,
inerprète du rôle.
Les ensembles sont aussi nombreux que les airs, chose assez rare pour
mériter d’être mentionnée. On trouve dans Toinon & Toinette trois duos,
trois trios et un quatuor final. Le librettiste a pris soin de les concentrer
dans le second acte, générant – à grande échelle – une directionalité à la
partition par accumulation progressive des protagonistes. Ces ensembles
sont traités avec subtilité : dans la majorité des cas, il s’agit de textes
divergents confrontant les avis opposés de plusieurs personnages. C’est le
cas du trio « Hélas, voyez couler nos pleurs / La pitié n’est qu’une faiblesse »,
Toinon et Toinette faisant bloc face à Antoine, ou du trio « Monsieur
Antoine écoutez donc / Allez, allez chercher Toinon / Marchons, marchons point
de façon » dans lequel chaque personnage possède son texte propre.
Gossec prend alors soin de caractériser musicalement - par une idée
mélodique ou une instrumentation particulière - chacun des rôles, créant
une « mise en scène » musicale de la situation digne de certains ensembles
de Mozart (mais près de vingt ans avant lui !). Seul le trio de la tempête
(« Mais le vent fraîchit ») est absolument convergent : les trois rôles en
scène s’unissent pour implorer le ciel d’être clément (« O Ciel ! Loin de nous
détourne tes coups »). Gossec y utilise une écriture en homophonie stricte à
la manière d’un choral religieux ou d’un chœur d’invocation.
Tous les numéros de la partition sont individualisés par leur
nomenclature orchestrale. Gossec jongle habilement avec les instruments
à vents, colorant certaines pages avec un choix judicieux de timbres :
outre les cordes, il réunit un grand effectif incluant deux flûtes – et petites
flûtes –, deux hautbois, deux cors et deux bassons. Les flûtes apparaissent
épisodiquement, toujours motivées par un état d’esprit s’accordant à la
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douceur de leur sonorité. Le compositeur fait également appel à quelques
solistes tirés de l’orchestre. Ainsi dans le duo « Quand un amant est
inconstant / Toujours amant tendre et constant », un hautbois et un basson
caractérisent chacun des personnages en les doublant mélodiquement.
Les cordes sont quant à elles traitées avec beaucoup de modernité : d’un
numéro à l’autre, Gossec alterne les textures à deux, trois, quatre ou cinq
parties (avec deux parties d’alto à la manière française) et, plus
ponctuellement, divise violoncelles et contrebasses, impose la sourdine et
fait appel au jeu en pizzicato de tous les pupitres ou d’une partie
seulement. Certains passages, tout imprégnés du style Sturm und Drang
contemporain, multiplient unissons d’orchestre, trémolos, syncopes et jeu
en doubles-cordes.
Les deux grandes pages symphoniques de la partition sont d’une
envergure exceptionnelle : l’ouverture en ut mineur, certainement la plus
belle des opéras comiques de Gossec, semble presque déplacée pour la
scène du Théâtre-Italien. Par ses grands accords, ses motifs chromatiques
ou ses sections en retards expressifs, elle annonce déjà les imposantes
ouvertures de Cherubini, Steibelt ou Catel, destinées, elles, à introduire
les sombres drames de Roméo & Juliette ou Médée… Quant à l’entracte
figurant la tempête qui s’abat sur le port et se calme progressivement, il
fait suite au trio « Mais le vent fraîchit » et forme avec lui une vaste fresque
descriptive qu’on pourrait croire empruntée à quelque tragédie lyrique de
l’époque. L’écriture orchestrale, incluant deux petites flûtes en plus des
grandes flûtes, anticipe déjà par ses trémolos, ses accords dissonants et ses
longs traits à l’unisson de toutes les cordes, les pages descriptives d’un
Beethoven (Symphonie n° 6) ou d’un Rossini (Guillaume Tell) bien plus
qu’elle ne rappelle Rameau. Gossec va jusqu’à indiquer précisément le
moment des coups de tonnerre, comme le ferait Berlioz dans le même cas
de figure. Précisons que le compositeur – et son librettiste – furent parmi
les premiers à penser l’entracte comme un moment dramatique lié à la
pièce, alors qu’il était d’usage de jouer à cette place quelques symphonies
concertantes ou pièces de bravoure pour l’orchestre.
Toutes ces remarques montrent à quel point Toinon & Toinette se place au
carrefour des diverses esthétiques du moment : la pensée figurative d’un
orchestre évoquant tour à tour les zéphyrs, les flots déchaînés, le calme
après l’orage ou le chant des oiseaux s’inscrit dans la plus pure tradition
du spectacle d’opéra français ; à l’inverse, la verve et le comique musical
sont directement issus de l’opera buffa italien contemporain. Enfin,
l’écriture orchestrale particulièrement riche et originale nous rappelle à
tout moment les liens que Gossec entretint avec le plus grand des
symphonistes de Mannheim, Johann Stamitz. Cette œuvre, en marge de la
production contemporaine de Dauvergne, Philidor ou Duni, propose à
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n’en pas douter les marques de la rencontre d’une grande personnalité
musicale et d’un librettiste fort ingénieux.
À l’Académie royale de Musique : le théâtre lyrique de Sabinus à Thésée
(1773-1782)
Malgré la qualité de certaines œuvres, l’expérience de Gossec dans le
domaine de l’opéra comique semblait le mener dans une impasse. Sous le
coup d’échecs répétés, le jeune homme se détourna pour un temps de la
scène lyrique, laissant la place aux plus chanceux Grétry et Philidor qui
commençaient à faire parler d’eux. Mais l’opéra l’attirait irrémédiablement et, comme la majorité de ses contemporains, il ne rêvait que
de composer une grande tragédie lyrique pour l’Académie royale de
Musique. Tous les maîtres français du temps s’y étaient attelés,
encouragés par une direction avide de nouveautés. Cependant, les
ouvrages de Mondonville, Dauvergne, Grétry, Philidor, La Borde, Berton,
Floquet, Le Moyne ou Candeille avaient du mal à s’imposer au répertoire
de l’institution, quand ils n’étaient pas, tout simplement, retirés de
l’affiche au lendemain même de leur création. Les compositeurs français
avaient d’autant plus de peine à s’affirmer, que Paris attirait désormais
des artistes venus de l’Europe entière pour y consacrer leur talent : Gluck,
Piccinni, Jean-Chrétien Bach, Sacchini, Salieri, Cherubini et bientôt
Kreutzer, Paisiello ou Spontini feront les grandes heures de l’opéra de
Paris jusque sous le règne de Louis XVIII.
Au début des années 1770, alors que Gossec met la première main à son
Sabinus, la concurrence n’est pas encore aussi rude. Depuis quelques mois
déjà, le projet de cette tragédie lyrique occupait le compositeur. Le poème
était de Michel-Paul Guy de Chabanon (1730-1792), violoniste et homme
de lettres que Gossec avait rencontré au Concert des enfants d’Apollon. Il
s’agissait d’une refonte de sa tragédie historique Eponine, donnée avec
quelque succès à la Comédie-Française en 1762 et que Chabanon avait
réhabilitée en livret d’opéra sous le titre de Sabinus. Le sujet relatait
l’insurrection de la Gaule contre la domination romaine, au
commencement du règne de Vespasien.
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Sabinus et Éponine devant Vespasien par Alexandre Menjaud (1803)
La noblesse de ton, la grandeur du sujet et les relents patriotiques exhalés
tout au long de l’œuvre destinaient Sabinus à souligner un grand
événement national. L’opportunité se présentait justement, avec le
prochain mariage du comte d’Artois (futur Charles X) et d’une princesse
de Savoie, prévu à l’automne 1773. Après d’inévitables tractations,
Sabinus fut choisi pour être donné sur le théâtre de l’Opéra royal de
Versailles, au cours de spectacles où voisinèrent, pêle-mêle, Bellérophon de
Lully, Issé de Destouches, Ernelinde Princesse de Norvège de Philidor,
Céphale & Procris de Grétry et Isménor de Rodolphe. C’est sans doute à
l’appui de ses différents protecteurs - Condé, Conti ou Rohan - que Gossec
doit d’avoir été retenu pour participer à cet événement d’importance.
Les répétitions débutèrent le 8 juin sur le petit théâtre des Menus-Plaisirs
à Paris, rue Sainte-Anne. Il y en eut neuf en tout, dont les quatre dernières
furent faites en novembre à Versailles. La création, le 4 décembre 1773,
émerveilla toute la Cour : aucune dépense n’avait été épargnée
pour séduire le public. Le livret prévoyait de fréquents changements
de décors - place publique, château en ruine, cachots souterrains et
chambres funéraires - , imposant de spectaculaires effets de machineries :
embrasement du palais de Sabinus, vol du Génie de la Gaule et nuées
ardentes, apparition de Charlemagne « en gloire » entouré des peuples
d’Europe… Au luxe des décors s’ajoutait celui des costumes : 182 habits
neufs furent confectionnés et 496 autres, tirés des magasins des MenusPlaisirs du Roi, refaits sur les indications de Boquet.
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FRANÇOIS-JOSEPH GOSSEC
Planche de costume de Boquet pour une anglaise des montagne d’Écosse dans Sabinus
Pour rehausser encore la magnificence du spectacle et faire briller l’art
français dans toute sa diversité, les auteurs avaient concédé une large
place aux ballets. Ceux-ci furent réglés par les plus grands chorégraphes
de l’époque - Gardel, d’Auberval et Vestris -, imposant tour à tour sur
scène les premiers talents du corps de ballet de l’Académie royale de
Musique, réquisitionnés par la Musique du Roi pour l’occasion.
Par des effets de contraste saisissants, la musique de Gossec répondait
pleinement aux attentes du poème. Le public fut ému des tendres plaintes
d’Eponine et des monologues passionnés de Sabinus ; il fut surpris par les
« bruits souterrains » de la scène du tombeau (Gossec avait pris soin de
placer quelques instruments sous le théâtre et un chœur de femmes
derrière les décors, travestissant déjà le « merveilleux » baroque en
« fantastique » romantique) ; il fut charmé de l’abondance des ballets et de
leur diversité, les modernes « anglaises » et « hornpipes » côtoyant les
plus classiques « gavottes », « tambourins » ou « chaconnes »...
Les moyens exceptionnels déployés lors de cette représentation furent
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l’occasion pour Gossec de se permettre un grand nombre de hardiesses :
il compose des chœurs grandioses, voir des doubles-chœurs divergents. Il
introduit pour la première fois à l’Opéra les trombones dans l’orchestre. Il
use – sans abuser – d’une phalange d’instrumentistes très fournie : flûtes
jouant les petites flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors, trompettes
trombones et timbales groupés par timbres ou formant une masse qu’il
oppose aux cordes. Le symphoniste prend par instant le dessus et signe
des pages orchestrales exceptionnelles comme le « bruit de combat » ou la
chaconne finale, autant de passages qui furent vivement applaudis :
« La musique fait honneur au génie de M. Gossec, savant
compositeur, qui a mis dans son orchestre beaucoup d’effets
d’une musique imitative, & sur la scène, des chants expressifs
et passionnés. »9
Gossec avait pensé son ouvrage en dramaturge. Au cours des répétitions,
on le vit encore affairé à préciser sa pensée (coupant dans sa partition ou
réécrivant certains passages au besoin), gérer l’entrée des artistes et des
chœurs, régler la place des figurants sur scène, chronométrer les jeux de
machinerie… Un exemplaire du livret annoté de sa main témoigne de
cette effervescence : « il faudra », note-t-il par exemple, « préparer la
trappe pour faire sortir le Génie et l’ouvrir pendant le duo » ; plus loin,
« faire placer les demoiselles des chœurs dans le fond du théâtre et toutes
du même côté avec Eponine » ; ou encore prévoir « quatorze mesures de
symphonie lente pour faire descendre la gloire ». Compositeur et maître
d’œuvre de son propre ouvrage, Gossec ne manqua pas de se faire
remarquer pour ses dons particuliers : dès l’année suivante, l’Académie
royale de Musique lui réserva d’ailleurs le meilleur accueil.
Le 22 février 1774, Sabinus y fut repris à grands frais. Les représentations
furent aussi luxueuses qu’à Versailles (la Cour avait fait don de ses décors
et costumes), mais l’enthousiasme fut moindre. De cinq actes, l’œuvre
avait été réduite à quatre, et l’on avait supprimé le divertissement
allégorique relatif au mariage princier. Mais les Parisiens boudèrent, ce
qui fit dire à la chanteuse Sophie Arnould – avec l’ironie qu’on lui connaît
– que le public était un ingrat de s’ennuyer alors qu’on se mettait en quatre
pour lui plaire ! Ingratitude ou non, l’échec de Sabinus passa presque
inaperçu, tant l’on était affairé aux répétitions de l’ouvrage suivant.
Le 19 avril 1774 allait faire date dans l’histoire de l’opéra français :
Iphigénie en Aulide ouvrait à Paris la brillante carrière de Gluck. Sabinus
apparaît à ce titre comme un véritable emblème de l’art national français,
puisqu’il s’agit de la dernière tragédie lyrique composée et représentée
avant la « révolution gluckiste » des années 1774 – 1779. Elle porte donc à
bout de bras le flambeau d’un siècle de musique (167310 – 1773 !) et
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cristallise autour d’une nécessaire tradition tous les avatars de la
modernité, les « progrès de la musique », pour utiliser le langage du
temps.
Gossec se consola rapidement du sort de Sabinus grâce aux succès réitérés
de ses symphonies au Concert-Spirituel. En outre, son oratorio pastoral La
Nativité, créé à la fin de la même année 1774, lui valut de flatteuses éloges.
Fort d’une carrière de plus en plus distinguée, il fut nommé « maître de
musique pour le service du théâtre » en 1775 puis, dès 1778, « maître des
chœurs » de l’Opéra. C’était le début d’une fulgurante ascension qui
devait le conduire, quatre ans plus tard, à la tête de l’institution, suite aux
renvois successifs de De Vismes (1778-1780) et Dauvergne (1780-1782).
Quatre ans pendant lesquels Gossec multiplia ses activités de
compositeur, certes, mais également d’orchestrateur et d’arrangeur. On
lui confia la tâche de revoir dans le détail les ouvrages remis à la scène, y
greffant quelques airs et quelques danses, « modernisant » l’instrumentation par l’ajout ponctuel de cors, de clarinettes ou de trombones, et
rajustant sans vergogne les scènes jugées trop longues. Dès 1776,
l’Académie avait d’ailleurs fait appel à ses talents pour insérer dans
l’Alceste de Gluck un ballet digne de la scène française, que le compositeur
allemand rechignait à écrire. Cette collaboration fructueuse se renouvella
en 1779, lorsque Gossec composa la grande pantomime des Scythes
enchaînés, divertissement ajouté à Iphigénie en Tauride et qui fut
unanimement salué pour son à-propos. Rapidement, il se fit d’ailleurs le
spécialiste des « airs à danser » et, lorsque Noverre puis Gardel lanceront
la mode du « ballet d’action », c’est tout naturellement à ce compositeur
qu’ils feront appel pour rassembler des airs et concevoir de la musique
chorégraphique expressive : sous les pas agiles des Vestris, Gardel, Heinel
et Guimard, les succès se multiplieront avec Mirza, Le Premier Navigateur,
La Rosière ou Le Pied de Bœuf.
Toutefois, ces menus ouvrages ne détournèrent pas Gossec de son goût
pour le grand genre, dont la pompe et la noblesse correspondait si bien à
son traitement « monumental » des chœurs et de l’orchestre. À côté de
musiques de scène et d’intermèdes pour Electre, Athalie et Andromaque, il
peaufinait une nouvelle tragédie lyrique, Thésée. C’est en 1782 seulement
qu’il put enfin faire représenter l’ouvrage, dont la composition remontait
au printemps 1778. Prévue à l’origine pour cette même saison 1778, la
création en avait été retardée par une reprise de Castor & Pollux décidée
dans l’urgence. La Querelle des Piccinnistes et des Gluckistes avait
ensuite détourné l’institution de Thésée : on lui avait préféré - pour des
raisons « publicitaires » évidentes - les deux Iphigénie en Tauride de Gluck
et Piccinni11. Gossec n’avait pu que se soumettr
Cette seconde tragédie « en musique » s’inspirait du livret que Quinault
L’ŒUVRE LYRIQUE
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avait destiné à Lully près d’un siècle auparavant. Le poème avait été
retouché par Morel de Chefdeville (1747-1814) selon une pratique du
temps. Depuis quelques années, on avait pris goût à rajeunir les anciens
poèmes de Quinault, Houdart de la Motte, Fontenelle ou Pellegrin et à les
remettre en musique. A côté de succès comme Roland (1778) et Atys (1781)
de Piccinni ou Armide (1777) de Gluck, de nombreux ouvrages avaient été
sévèrement jugés par le public : ainsi en en avait-il été de Thésée (1765) de
Mondonville – le premier exemple en la matière –, d’Omphale (1769) de
Cardonne, d’Amadis (1779) de Jean-Chrétien Bach ou de Persée (1781) de
Philidor. L’ouvrage de Gossec s’inscrivait donc dans une liste déjà longue,
où les succès – hasardeux - étaient le fruit de subtils compromis entre
tradition et modernité.
Le nouveau livret avait été sensiblement raccourci par rapport à
l’original : l’action resserrée tenait en quatre actes, le prologue ayant
disparu. La concision du poème permit au compositeur de s’épancher
plus longuement et de sacrifier, tout à son aise, aux goûts du grand public.
Clin d’œil appuyé au créateur de l’opéra français, il prit soin de conserver
l’air « Faites grâce à mon âge, en faveur de ma gloire » tel que Lully l’avait
écrit, se bornant à en renforcer l’accompagnement par l’ajout de deux
hautbois, deux cors et deux bassons. Ce morceau, supérieurement
interprété par le chanteur Larrivée, obtint comme prévu toutes les faveurs
du public. Partout ailleurs, la musique de Gossec offre les accents d’une
modernité revendiquée : dès les premières mesures, une pompeuse
ouverture « à programme » se donne pour but de peindre de violents
combats et des chants d’action de grâce. Le divertissement démesuré qui
termine le premier acte – une parade militaire en costume incluant la
cavalerie ! – reprend, quant à lui, l’idée d’une scène similaire de Mirza, qui
avait triomphé quelques temps plus tôt12. Si maintes pages de Thésée
évoquent celles de Sabinus, c’est avec une grandiloquence toute autre.
L’ambiance générale est fortement teintée d’héroïsme et de mysticisme,
avec scènes de combats, triomphe public et invocation collective aux
dieux tutélaires. De ce carcan oppressant, les héros se détachent par leur
humanité, leurs doutes et leurs sentiments « à vif ». Le personnage de
Médée, notamment, est traité avec art. Son monologue « Dépit mortel,
transports jaloux, je m’abandonne à vous », qui avait valu à Lully tous les
honneurs en son temps, fait appel à un orchestre sombre où se détachent
les sonorités lugubres des trombones, des cors et des cordes graves. À en
croire les critiques, le rôle fut d’ailleurs « aussi bien rendu par
Mademoiselle Duplant, qu’il a été bien conçu par Monsieur Gossec. »13. À
l’inverse et par souci de symétrie, le personnage de Thésée est
particulièrement brillant, soutenu le plus souvent par un orchestre aux
accents martiaux très prononcés. Cette caractérisation des situations, des
sentiments et des personnages a été bien perçue par certains
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FRANÇOIS-JOSEPH GOSSEC
commentateurs de l’époque qui saluèrent le génie du compositeur : « M.
Gossec a prouvé, en surmontant cette difficulté, que son intelligence est
égale à la connaissance profonde qu’il a de son art »14. Et de conclure : « En
général, le public a trouvé que le compositeur avait parfaitement
rencontré le genre d’expression convenable. »15.
Pourtant, Thésée n’eut que quinze représentations et, comme Sabinus,
suscita surtout l’indifférence : « Il n’y a là de quoi exciter ni murmure, ni
enthousiasme » notait Grimm dans sa Correspondance Littéraire16. « Les
paroles ont été traitées bien légèrement par le poète, et la musique bien
lourdement par le compositeur » raillaient les plus caustiques. Après
quelques semaines, le Mercure de France observa toutefois que, « de jour en
jour, le mérite de cet ouvrage a été mieux senti, et le public connaisseur a
confirmé les éloges que les journalistes ont donné à M. Gossec »17. En fait,
tout laisse à penser que, si Thésée avait été créé dans les mois qui suivirent
sa composition, il aurait produit l’effet escompté sur le public échauffé de
l’Académie royale : l’œuvre offrait effectivement une alternative très
originale à la question du « style musical » dont tous débattaient. Relevant
tout à la fois de la dramaturgie « réformée » de Gluck, des structures à
l’italienne acclimatées à Paris par Piccinni et de la grande déclamation à
la française que pratiquait encore Dauvergne, Thésée ne revendiquait en
définitive aucune filiation précise, mais bien plus la marque d’une
personnalité éclectique à l’écoute de son temps.
Avec Thésée, Gossec signait sa dernière œuvre lyrique d’importance sous
l’Ancien Régime. Seuls suivront Rosine ou l’Epouse abandonnée (1786),
opéra de demi-caractère en trois actes sur un livret du même Morel de
Chefdeville, et quelques ballets-pantomimes composés en collaboration
avec le chorégraphe Gardel. La Révolution donnera une nouvelle vigueur
au vieux maître, qui s’illustrera par divers ouvrages de circonstances. Les
deux plus ambitieux, L’Offrande à la Liberté et Le Triomphe de la République,
représentent sa meilleure contribution au répertoire de l’Opéra sous la
Révolution. Mais malgré quelques effets de plus en plus hardis (on tire
maintenant le canon dans la salle de l’ancienne Académie royale !), le
talent de Gossec souffre beaucoup de la médiocrité des livrets. Peu lui
importe : la création du nouveau Conservatoire l’accapare désormais et
achève de l’éloigner d’une scène si durement conquise.
Gossec avait le sens du détail et de la miniature : ses ballets-pantomimes
le prouvent à merveille, art de concision, d’expression et de minutie. Il
avait également le sens de la démesure, ce qu’attestent avec éclat certaines
pages chorales ou symphoniques de ses tragédies lyriques. Malgré un
goût marqué pour les sujets nobles et puissants, le compositeur savait
faire sourire par de subtiles drôleries musicales dont ses opéras comiques
L’ŒUVRE LYRIQUE
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regorgent. Qui plus est, il savait faire danser : en témoigne la variété de
ses airs de ballets commandés par les plus grands chorégraphes du
moment. Pourtant, en dépit de toutes ces qualités qui auraient dû faire de
lui, sinon le digne successeur de Rameau, du moins un ombrageux
concurrent de Gluck, Gossec ne connut à l’opéra qu’une remise en cause
permanente, alternant échecs douloureux et succès d’estime mitigés.
On expliquerait volontiers cet état de fait par la « dramaturgie » scénique
particulière du compositeur qui, à l’image de Berlioz dont il est par tant
d’aspects le précurseur direct, privilégie le tableau à l’action proprement
dite. Gossec pense le temps musical comme une succession de grands
moments d’intensité, voir de scènes figées. Son théâtre lyrique est avant
tout un « théâtre de l’effet », toutes les pièces réagissant entre elles par
contraste ou opposition violente. Cette construction en grands volets
distincts, qui est celle des intermèdes d’Athalie ou d’Electre, s’applique
avec particulièrement de bonheur au cadre de la musique religieuse et
explique sans doute la qualité de sa Messe des Morts, de son premier Te
Deum ou des divers oratorios exécutés au Concert-Spirituel.
Un tel constat pourrait, aujourd’hui encore, nous détourner de son œuvre
lyrique. Pourtant à bien y regarder, maints ouvrages se révèlent être des
passerelles de premier ordre vers le futur « romantisme » dont la fin du
XVIIIe siècle est déjà, inconsciemment, imprégnée. A l’inverse des Grétry,
Dauvergne et Philidor, dont le style musical entérinait un siècle de
musique « galante », Gossec fut véritablement l’un des fondateurs du
courant romantique français, secondé par Méhul, Cherubini et Le Sueur
qui lui emboîteront le pas. Art de transition, l’opéra de Gossec ne pouvait
complètement séduire en son temps, à cheval qu’il était entre
une tradition musicale dogmatique et les effluves d’une ineffable
« révolution » artistique. Aujourd’hui toutefois, l’Histoire ayant imposé
son recul, le théâtre lyrique de Gossec apparaît dans toute sa pertinence
et son originalité.
BENOÎT DRATWICKI
1 - DESBOULMIERS (Jean-Augustin-Jullien), Histoire anecdotique et raisonnée du Théâtre-Italien
depuis son rétablissement jusqu’à l’année 1769, cité par ROLE (Claude), François-Joseph
Gossec (1734-1829) : un musicien à Paris de l’Ancien Régime à Charles X, Paris, L’Harmattan,
2000, p. 73.
2 - GRIMM (Baron Melchior), Correspondance Littéraire, cité par ROLE (Claude), FrançoisJoseph Gossec (1734-1829) : un musicien à Paris de l’Ancien Régime à Charles X, Paris,
L’Harmattan, 2000, p. 71.
3 - BACHAUMONT (N. Petit de), Mémoires Secrets, cité par ROLE (Claude), François-Joseph Gossec
(1734-1829) : un musicien à Paris de l’Ancien Régime à Charles X, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 73.
4 - Mercure de France, octobre 1767, cité par ROLE (Claude), François-Joseph Gossec (1734-1829) :
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FRANÇOIS-JOSEPH GOSSEC
un musicien à Paris de l’Ancien Régime à Charles X, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 74.
5 - L’œuvre fut même donnée à l’Ile de Saint-Domingue en 1769, 1777 et 1781.
6 - Affiches, annonces, avis divers, 22 juillet 1767, N° 29, p. 116.
7 - Histoire de l’Opéra Bouffon, Paris, Grange, 1768, II, p. 209.
8 - « Le samedi 20 juin, on donna la première représentation de Toinon & Toinette […]. Les
sentiments parurent fort partagés le premier jour, & le succès douteux ; mais elle fut
applaudie à la seconde représentation au moyen de quelques légers changements dans le
dénouement, lequel n’avoit pas été goûté par la plus nombreuse partie des spectateurs »
(Mercure de France, juillet 1767, I, p. 195).
9 - Mercure de France, avril 1774, p. 165.
10 - En 1673 fut créée Cadmus & Hermione, première tragédie lyrique de Lully et Quinault.
11 - Créées respectivement en 1779 et 1781.
12 - Malgré la splendeur du spectacle, la musique des différentes évolutions semblait trop
évidemment calquée sur le motif du Pas Redoublé de l’Infanterie Françoise, ce qui ne parut
guère naturel pour illustrer la musique des peuples grecs…
13 - Mercure de France, mars 1782, p. 86.
14 - Ibidem, p. 87.
15 - Journal de Paris, 2 mars 1782, p. 242.
16 - GRIMM (Baron Melchior), Correspondance Littéraire, cité par HELLOUIN (Frédéric), Gossec
et la musique française à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Charles, 1903, p. 132.
17 - Mercure de France, avril 1782, p. 231.