Situation de l`innovation technologique dans la logistique des

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Situation de l`innovation technologique dans la logistique des
Logistique & Management
Situation de l’innovation technologique
dans la logistique des entreprises
françaises
Imène MHENNI,
Ecole Centrale Paris, Laboratoire Productique Logistique
Nathalie BOSTEL,
IRCCyN- Institut de Recherche en Communication et Cybernétique de Nantes
et IUT de Saint-Nazaire, Département Gestion Logistique Transport
Pierre DEJAX,
IRCCyN- Institut de Recherche en Communication et Cybernétique de Nantes
et Ecole des Mines de Nantes, Département Automatique et Productique
Smaïl AÏT-EL-HADJ
GRESTI, Ecole Centrale de Lyon
Afin de mesurer la situation réelle des entreprises industrielles et de distribution en
matière d’adoption des nouvelles technologies et de mise en œuvre des démarches
d’innovation en logistique, une enquête a été effectuée auprès d’un échantillon
d’entreprises françaises dans les secteurs de la production et de la distribution. Cet
article présente les résultats détaillés de l’enquête au regard du profil des entreprises répondantes et les principales tendances observées.
La logistique, l’une des principales activités
créatrices de valeur dans l’entreprise est
aujourd’hui, plus que jamais, directement
concernée par les implications de l’innovation, notamment induites par les mutations
technologiques et organisationnelles, en particulier dans le domaine des technologies de
l’information et de la communication.
Une logistique innovante peut permettre aux
entreprises de se différencier et d’acquérir de
nouveaux avantages concurrentiels autant
sinon plus que l’innovation dans la conception
et la production (2). Ces avantages sont de
l’ordre de la réactivité en terme de délai, avec
une logistique permettant une plus grande
rapidité de circulation des produits ou de mise
à disposition du service, ils peuvent consister
dans la qualité du service rendu, notamment
en terme de personnalisation, ils le sont sûrement dans l’ordre des coûts du service rendu
au client et dans le coût de réalisation de la
fonction pour l’entreprise.
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Un des éléments de la stratégie d’innovation
en logistique est l’évaluation de l’effort à
mener dans ce domaine par rapport aux autres
composantes de la « supply chain » et même
de la « chaîne de valeur » d’une manière générale (17); ceci en fonction des avantages compétitifs relatifs que peuvent apporter les
différents niveaux de la « supply chain » en
regard d’une action d’innovation.
Le second élément de la stratégie d’innovation en logistique est le choix des contenus de
la politique d’innovation entre l’innovation
d’équipement, versus l’innovation organisationnelle (3), et les choix de système d’information qui lui sont cohérents. Elle porte aussi
sur les choix entre l’acquisition externe de
solutions innovantes, disponibles dans le
commerce, et la génération alternative d’améliorations ou de ruptures innovantes générées
en interne. Il est clair que plus la démarche
innovante sera interne et spécifique, plus elle
Les auteurs remercient
l’ASLOG et en particulier
M. Journet et M. Le Denn
pour leur participation à
cette étude, ainsi que les
entreprises qui ont bien
voulu répondre à l’enquête.
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sera, en même temps que risquée, différenciante (Modèle Arthur D. Little) (1).
Il reste que si ces choix sont évidemment
modulés par la nature et l’intensité de la
concurrence, ils sont aussi largement déterminés par la synergie nécessaire de cette politique d’innovation avec les métiers de
l’entreprise (12).
C’est sur cette problématique de l’innovation
en logistique et pour mieux mesurer l’état de
l’innovation en logistique dans les entreprises
industrielles et de distribution françaises, que
nous avons réalisé une enquête ayant pour but
d’identifier les démarches d’innovation qui
sont en cours ou projetées : processus d’innovation, rôle des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, problèmes rencontrés et freins à l’innovation ... ainsi
que les besoins des entreprises en nouvelles
technologies et en nouvelles méthodes de
management en logistique,
Dans un premier temps, nous décrivons les
modalités de l’enquête. Ensuite, nous analysons le profil des entreprises y ayant répondu
et présentons les résultats détaillés avant
d’exposer les principales tendances qui se
dégagent.
Présentation de l’enquête
L’enquête a été réalisée à l’aide d’un questionnaire constitué d’un nombre relativement
important de questions fermées à choix multiples complétées par quelques questions
ouvertes.
Ce questionnaire a été utilisé selon deux
modes :
l
Des entretiens directs, ce qui présente
l’avantage de mieux développer les questions ouvertes et de permettre un remplissage plus complet du questionnaire.
l
Un envoi postal, permettant de toucher un
plus grand nombre d’entreprises sur l’ensemble du territoire. Environ 300 questionnaires ont été envoyés, principalement à
des adhérents de l’ASLOG (Association
française pour la LOGistique) et quelques
relances ont été effectuées par fax. Le taux
de réponse obtenu est de plus de 15%, ce
qui est largement supérieur à la moyenne
variant entre 3 et 5% dans ce genre d’enquête. Ce taux de réponse montre que l’innovation technologique en logistique
suscite beaucoup d’intérêt.
L’élaboration de l’ enquête et des questionnaires, s’est appuyée sur les supports méthodolo-
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giques de Grosbras (13) et Harvatopoulos
(14). L’enquête concerne deux types d’entreprises :
– les industriels (fabricants),
– les distributeurs et les sociétés commerciales.
Tous les secteurs industriels sont concernés,
en particulier certains secteurs importants
dans le domaine de la logistique comme
l’automobile, l’agro-alimentaire, l’électronique, etc.
Le questionnaire est constitué de 48 questions
fermées et 7 questions ouvertes donnant
l’occasion à l’enquêté de s’exprimer plus
librement sur certains points. Avant sa diffusion générale, le questionnaire a été testé par
une dizaine de responsables logistiques et
dirigeants de PME. Leurs observations ont
permis d’améliorer le questionnaire en levant
certaines ambiguïtés ou en augmentant le
nombre d’options possibles de réponses à des
questions à choix multiple. Les réponses au
questionnaire d’enquête ont été dépouillées et
analysées à l’aide du logiciel ACCESS. Le
contenu du questionnaire et les résultats complets de l’enquête sont détaillés dans un rapport intermédiaire récent (16). Nous en
présentons une synthèse dans le paragraphe
suivant.
Résultats et analyse de l’enquête
realisée auprès des industriels
et des distributeurs
Description des entreprises répondantes
L’échantillon est constitué de 83 entreprises,
dont 37 % d’entreprises commerciales ou de
distribution et 63 % d’entreprises industrielles. Les principaux secteurs de l’industrie sont
représentés comme le montre la Figure 1.
L’échantillon est constitué de 39 % de petites
et moyennes entreprises et de 61 % de grandes
entreprises. Il contient notamment 14 %
d’entreprises de plus de 10 000 personnes.
Les personnes ayant rempli les questionnaires
sont pour plus de 59 % des responsables logistiques. 11 % des répondants sont des dirigeants de petites entreprises. Les 30 %
restants occupent des fonctions diverses au
sein de la fonction logistique : responsable
d’entrepôt, ingénieur, etc … Cette répartition
garantit globalement une bonne connaissance
de la fonction logistique de la part des répondants, notamment sur les questions stratégiques.
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L’analyse des questions concernant la fonction logistique montre que, dans la majorité
des cas, celle-ci occupe une place importante
au sein de l’entreprise et revêt un caractère
stratégique. En effet, dans 87 % des cas, la
fonction logistique est officialisée (formelle)
et dépend alors dans 70 % des cas de la direction générale et dans 30 % des cas de la direction industrielle. Elle est aussi bien
stratégique qu’opérationnelle pour 67 % des
répondants, plutôt stratégique dans 10 % des
cas et plutôt opérationnelle dans 23 % des cas.
94 % des répondants considèrent la logistique
comme une arme concurrentielle. Ce chiffre
montre la prise de conscience de la part des
entreprises, du rôle prépondérant de la logistique dans la compétitivité des entreprises.
Ceci se traduit dans l’expression des objectifs
stratégiques des systèmes logistiques : amélioration de la qualité de service, diminution
des coûts et accroissement de la réactivité du
système logistique (Figure 2).
Figure 1 - Secteurs d’activité
Figure 2 - Quels sont les impératifs stratégiques de la logistique dans
votre entreprise? (note de 1 : pas d’impact à 4 : impact très important)
La pertinence des résultats
Les réponses obtenues comportent des biais
inhérents à la nature des questions, au sujet de
l’enquête et à la composition de l’échantillon
lui-même. Tout d’abord on peut penser que les
personnes ayant répondu au questionnaire
sont plus intéressées par le problème de
l’innovation technologique en logistique que
celles qui ne l’ont pas fait. Il y a donc des
chances pour qu’elles appartiennent à des
entreprises en avance dans ce domaine. Par
conséquent, certains résultats relatifs à
l’échantillon sont probablement supérieurs à
la moyenne réelle des entreprises, ce dont
nous avons tenu compte lors de l’analyse de
l’enquête.
D’autre part, il est difficile de faire la distinction entre la position du répondant lui-même
et celle de son entreprise face aux questions
traitées. En effet, même si on a insisté sur
l’obligation de se conformer à la vision générale qui existe dans l’entreprise, la personne
qui répond ne peut pas s’empêcher d’être subjective.
Par ailleurs, on ne peut pas dire que l’échantillon soit représentatif de toutes les entreprises
françaises en termes de secteur ou de taille.
Néanmoins, les croisements du secteur ou de
la taille des entreprises avec les autres réponses nous montrent s’il y a des différences
significatives entre grandes et petites entreprises ou entre distributeurs et industriels.
Notons qu’à chaque fois que seul le résultat
global, c’est à dire englobant tout l’échantil-
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lon, est cité, cela veut dire qu’il n’y a pas de
différences significatives entre secteurs ou
grandes et petites entreprises parmi les répondants.
Enfin, il était inévitable dans certains cas de
poser des questions comportant “l’attraction
de la réponse positive” ou le “biais des réactions de prestige de l’enquêté”. En effet, les
technologies et les nouvelles méthodes de
management étant aujourd’hui “à la mode”, le
répondant aura tendance à choisir les réponses
qui vont dans ce sens afin de valoriser l’image
de son entreprise, voire sa propre image. Par
conséquent, il faut garder à l’esprit que ces
réponses ne reflètent pas tout à fait la réalité et
qu’une correction à la baisse de certains résultats est nécessaire.
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Pour toutes ces raisons, et étant donné la taille
modérée de l’échantillon, les résultats obtenus
nous donnent des indications plus qualitatives
que quantitatives. Ceci correspond tout à fait à
l’objectif de notre enquête qui est de dégager
les tendances générales du comportement des
entreprises face à l’innovation technologique,
plutôt que des mesures absolues.
L’analyse des résultats de l’enquête
Nous analysons ci-après les réponses à
l’enquête suivant les thèmes abordés. Pour
plus de détails, on se référera à notre rapport
cité ci-dessus (16).
L’innovation technologique dans la stratégie
logistique
L’analyse de ce thème montre qu’il y a un intérêt certain de la part des entreprises pour
Figure 3 - D’où provient l’idée d’une innovation technologique
en logistique ?
l’innovation technologique en logistique
même si elle ne fait pas l’objet d’un projet
bien défini. Bien qu’une majorité des répondants considère que l’innovation technologique en logistique est stratégique dans leur
entreprise, il apparaît à travers l’enquête
qu’elle provient dans la plupart des cas soit du
client soit des logisticiens, qui ont une liberté
d’action assez importante et non pas de la
direction générale. En effet, 80 % des entreprises ont déjà exigé des innovations de leurs
fournisseurs (le répondant est ici considéré
comme client) et dans 61 % des cas, l’innovation est proposée par le responsable logistique. En outre, environ 20 % des répondants
affirment que les projets d’innovation en
logistique ne résultent jamais d’une initiative
de la part de la direction générale (Figure 3).
Par ailleurs, seulement 65 % des entreprises
tiennent compte de l’opinion des leaders dans
l’adoption d’une nouvelle technologie.
Les besoins actuels et futurs en nouvelles
technologies
Les répondants ont clairement exprimé le
besoin des entreprises en nouvelles technologies pour la logistique. D’ailleurs, 88% des
enquêtés souhaitent coopérer avec d’autres
entreprises, grandes ou petites sur des projets
d’innovation en logistique.
l
Figure 4 - Comment comptez-vous améliorer la performance
logistique de votre entreprise ?
66
Le besoin en innovation technologique
Les technologies de l’information et de la
communication occupent la place la plus
importante dans les innovations logistiques et
constituent le moyen sur lequel les entreprises
comptent pour augmenter la performance de
leurs systèmes logistiques. En effet, on note
que le système d’information logistique est
considéré comme un gisement de productivité
ou de performance pour cette fonction. A la
question “Comment comptez-vous améliorer
la performance logistique de votre entreprise”, la rationalisation du système d’information est la réponse la plus citée (Figure 4).
Notons, que les taux de réponses des PME
sont sensiblement plus faibles (40 % en
moyenne) et particulièrement sur les trois
points suivants : le re-engineering, l’ECR
(Efficient Consumer Response) et le SLI
(Soutien Logistique Intégré), ce qui montre
que les PME sont en retard sur les nouveaux
concepts de management basés sur les technologies de l’information, phénomène pouvant
être expliqué soit par le manque de moyens
soit par l’idée répandue que ces concepts sont
réservés aux grandes entreprises.
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En outre, le système d’information est considéré comme le domaine où il y a le plus grand
besoin d’innover en logistique, suivi des
outils d’aide à la décision et de l’organisation
du système logistique (Figure 5). Les résultats
concernant le transport et les systèmes de
manutention, aspects plus “classiques” de la
logistique, sont à notre avis trop faibles car on
sait qu’il y a encore beaucoup à faire dans ces
domaines et qu’on peut obtenir des gains de
productivité très intéressants grâce à des améliorations dans les techniques de transport et
les systèmes de manutention.
On note par ailleurs un retard des PME par
rapport aux grandes entreprises dans l’expression de leurs besoins en innovation technologique : ces besoins sont plus importants dans
des domaines où les grandes entreprises ont
déjà de l’avance comme les outils de gestion
ou les systèmes de manutention, mais la prise
de conscience de l’importance du système
d’information dans sa globalité et des nouveaux outils de management n’est pas aussi
développée chez les PME que dans les grandes entreprises (Figure 6).
Plus concrètement, on a demandé aux enquêtés, sous forme de question ouverte, quelles
étaient les innovations technologiques réalisées pendant les cinq dernières années, quels
étaient les projets actuels et les besoins futurs
(Figure 7). La grande majorité des réponses
portent sur les technologies de l’information :
logiciels de gestion logistique, EDI (Echange
de Données Informatisées), systèmes d’information intégrés : ERP (Entreprise Resource
Planning), SCM (Supply Chain Management), etc… Néanmoins, les besoins se tournent de plus en plus vers l’organisation et la
restructuration du système logistique. En
effet, l’introduction des systèmes de gestion
intégrée exige une reconstruction des fonctions et des processus logistiques. Par ailleurs,
le peu de réalisations concrètes citées en Kanban et en actions d’externalisation est assez
étonnant.
l
Les bénéfices espérés
Qu’attendent les entreprises de l’innovation
technologique en logistique?
Les entreprises attendent essentiellement une
amélioration de la qualité de service pour le
client ce qui est conforme à leur stratégie
logistique. Viennent ensuite les coûts plus
bas, les délais plus courts et la réponse aux
besoins spécifiques d’un marché.
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Figure 5 - Dans quels domaines touchant à la logistique y a-t-il le plus
grand besoin d’innover dans le cas de votre entreprise
Figure 6 - Dans quels domaines touchant à la logistique y a-t-il le
plus grand besoin d’innover dans le cas de votre entreprise
En ce qui concerne les critères de choix pour
l’adoption d’une nouvelle technologie, vient
en premier l’amélioration de la qualité de service, suivie de l’amélioration de la productivité des opérations et du retour sur
investissement à court terme qui est cité par
près de la moitié des entreprises interrogées.
La vision des entreprises reste ainsi à court
terme en ce qui concerne l’adoption des nouvelles technologies, ce qui explique d’ailleurs
leur retard sur certaines nouvelles technologies ou concepts de management dont les
apports ne peuvent être ressentis qu’à moyen
ou long terme et dont le retour sur investissement est difficilement mesurable. (Figure 8).
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Figure 7 - Projets d’innovation réalisés dans le passé (cinq dernières
années), en cours de réalisation, planifiés pour le futur
(question ouverte)
l’adoption d’une technologie avant sa phase
de maturité (23% prétendent l’adopter pendant sa phase d’émergence), les réalisations
concrètes nous prouvent le contraire. En effet,
à part un certain nombre de technologies massivement utilisées (code à barre, E-mail, EDI,
terminaux portables, Internet et Intranet), on
remarque que le reste des technologies de
l’information et de la communication est peu
implanté dans les systèmes logistiques,
sachant que ces technologies sont aujourd’hui
tout à fait opérationnelles (les écrans tactiles,
les systèmes d’information géographique, les
étiquettes électroniques, la reconnaissance
vocale, etc.) (Figure 9).
Le retard des petites entreprises par rapport
aux grandes est évident dans ce domaine. Les
réponses des grandes entreprises sont en
moyenne 30 % plus importantes. Par ailleurs,
les PME adoptent les technologies à un stade
plus avancé de leur cycle de vie, comme le
montre la Figure 10, espérant ainsi limiter les
risques.
Figure 8 - Quels sont les critères de choix pour l’adoption
d’une nouvelle technologie de l’information ?
On voit donc qu’il y a une réelle contradiction
entre la prise de conscience de l’importance
des nouvelles technologies et les réalisations
concrètes. On peut donc penser que les réponses à certaines questions ont été biaisées par
l’"effet de mode" qui existe autour de l’innovation technologique et surtout autour des
technologies de l’information et de la communication.
Par ailleurs on a noté qu’il y avait une insuffisance d’innovation incrémentale dans les systèmes logistiques comme si les entreprises
attendaient qu’il y ait une vraie révolution des
technologies touchant à la logistique pour
procéder à l’introduction des innovations.
l
Contradiction entre le désir d’innover et
les réalisations concrètes
Bien qu’une grande majorité des répondants
déclarent avoir procédé à des innovations
majeures sur leur système logistique, les
entreprises sont en retard sur un certain
nombre de technologies et notamment par
rapport aux entreprises d’outre-Atlantique, si
l’on compare nos résultats avec ceux d’enquêtes réalisées aux Etats Unis (5), (6), (7), (8).
En effet, si la majorité des répondants considèrent que de façon générale, ils envisagent
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En effet, 88% des entreprises affirment avoir
procédé à des innovations dans leur système
logistique durant les cinq dernières années,
79% d’entre elles ayant réalisé des innovations radicales et seulement 39% des innovations incrémentales. Ce résultat est étonnant
car la production d’innovations technologiques en général montre qu’il y a très peu
d’apparitions de technologies totalement nouvelles, par rapport aux très nombreux perfectionnements et améliorations de technologies
déjà existantes. De plus, l’innovation incrémentale a ses avantages par rapport à l’innovation radicale. En effet, avec l’innovation
incrémentale, l’organisation assimile la technologie sur une longue période, le changement est ainsi moins brutal et est introduit
progressivement dans l’organisation, alors
que l’innovation radicale implique de grands
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bouleversements de l’organisation. Notons
tout de même que l’innovation radicale est
nécessaire lorsque l’organisation est en décalage avec son environnement et lorsque le
changement est vital pour sa survie. En réalité, radicalisme et incrémentalisme constituent les deux facettes complémentaires et
indissociables des stratégies d’innovation
gagnantes sur le long terme.
Figure 9 - Quels sont les technologies de l’information
que vous utilisez en logistique ?
L’accès à l’information
et la veille technologique en logistique
La veille technologique réalisée dans le
domaine de la logistique par les entreprises de
notre échantillon est insuffisante. En effet,
dans seulement 47 % des entreprises interrogées, une personne fait de la veille technologique en logistique. Ce résultat est de
seulement 30 % pour les PME (il est de 57 %
dans les grandes entreprises). En d’autres termes, plus du tiers des grandes entreprises et
plus de la moitié des PME ne font pas d’effort
pour être au courant de tout ce qui est nouveau
dans les technologies touchant à la logistique,
ce qui est contradictoire avec leur désir d’être
à la pointe dans ce domaine.
Les technologies auxquelles les entreprises
s’intéressent le plus sont les technologies de
l’information avec un taux de réponse de 69 %
et les techniques de transport avec un taux de
60 %. Par contre, peu d’entreprises s’intéressent régulièrement aux nouveaux concepts
tels que ECR, CALS (Computer Aided Logistics Support), logistique virtuelle... Les PME
s’intéressent peu aux outils d’aide à la décision (22 % de réponses contre 55 % pour les
grandes entreprises).
La majorité des entreprises suivent de près les
innovations technologiques réalisées par les
prestataires de services logistiques. Moins de
la moitié s’intéressent à celles réalisées par la
concurrence, les fournisseurs d’équipements
logistiques ou les éditeurs de logiciels d’aide à
la décision. Une différence importante a été
notée entre fabricants et distributeurs : 56 %
de ces derniers suivent de près les innovations
réalisées par les fournisseurs d’équipements
pour la logistique contre 36 % seulement chez
les fabricants.
Quand aux sources d’information auxquelles
les entreprises ont accès, les plus citées sont
les revues scientifiques et professionnelles
(85 %) suivies des associations professionnelles, des congrès et colloques et des réseaux de
connaissance. Les résultats relatifs aux PME
montrent qu’elles ont globalement moins
accès aux différentes sources d’information
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Figure 10 - De façon générale, à quel moment du cycle de vie
d’une innovation technologique envisagez-vous de l’adopter ?
que les grandes entreprises, notamment
concernant l’adhésion aux associations, la
participation aux congrès et l’implication
dans des réseaux de connaissances.
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Enfin, les résultats montrent qu’il y a une
insuffisance d’accès à l’information internationale dans le domaine de l’innovation technologique en logistique. En effet pour 35%
des entreprises, les sources d’information sont
seulement nationales. L’effort entrepris est
donc assez faible car l’accès à l’information
internationale est de plus en plus aisé, notamment grâce à Internet, mais aussi aux revues
professionnelles internationales dont les
abonnements sont à la portée de la plupart des
entreprises. Cette insuffisance d’accès à
l’information internationale est d’autant plus
préjudiciable que le plus grand nombre
d’innovations en logistique naissent aux Etats
Unis (18). Les tableaux détaillés concernant
les analyses de ce paragraphe figurent dans
notre étude (16).
Le processus d’innovation
l
Place de l’informatique / Place de
l’homme
La place de l’informatique dans les projets
d’innovation technologique en logistique
semble très importante. En effet, 82% des
entreprises interrogées affirment que la fonction informatique est impliquée dans le processus d’introduction d’une nouvelle
technologie, juste après la direction générale
qui est citée dans 83 % des cas. Ce résultat
peut être expliqué de deux façons : tout
d’abord il n’est pas étonnant que l’informatique soit toujours impliquée puisque, comme
on l’a déjà vu, la plupart des innovations tech-
Figure 11 - Quelles fonctions internes, autres que la fonction
logistique, sont impliquées dans le processus d’introduction d’une
nouvelle technologie en logistique ?
nologiques portent sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Et par ailleurs, l’importance du côté informationnel de la logistique, qui gère aussi bien les
flux de matières que les flux d’information,
explique que l’informatique intervienne dans
tout processus de changement dans cette fonction.
En outre, on a noté que dans les PME, l’implication des différentes autres fonctions dans
les projets d’innovation en logistique est supérieure à celle des grandes entreprises. Ce phénomène est dû à la souplesse structurelle des
petites organisations et constitue un avantage
certain pour l’introduction des innovations
technologiques. L’implication de la direction
générale est aussi plus importante grâce à une
plus grande disponibilité des dirigeants,
représentant ainsi un autre facteur de réussite
du projet d’innovation (Figure 11).
Par ailleurs, nous avons noté que la fonction
Ressources Humaines n’est concernée que
dans 40 % des cas. L’aspect humain n’est donc
pas suffisamment pris en compte dans les projets d’innovation technologique, ce qui est un
handicap important sachant que le rôle joué
par les hommes, que ce soit en termes de
management et de conduite de l’innovation ou
en termes d’acceptation ou de résistance, est
primordial dans tout processus de changement. Par ailleurs, 85 % des entreprises interrogées affirment que la place du système
d’information et de communication dans les
projets d’innovation est prépondérante par
rapport à la capacité de jugement, de créativité
et de management du personnel, ce qui est à
notre avis un lourd handicap. Ce résultat est de
94 % pour les grandes entreprises et de 71 %
pour les petites.
Le manque de prise en compte de l’aspect
humain dans les projets d’innovation touchant
à la logistique est donc nettement plus visible
dans les grandes entreprises dont la structure
est généralement plus rigide.
l
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Management de l’innovation :
Structure :
Pour la conduite d’un projet d’innovation,
il y a création d’une structure organisationnelle intermédiaire pour 40 % des entreprises interrogées, 45 % des grandes
entreprises et seulement 31 % des PME.
Souvent, ce sont les structures existantes
qui prennent donc en charge, en plus de
leurs responsabilités quotidiennes la globalité du projet d’innovation. Ce type de
structure présente des inconvénients liés
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Logistique & Management
–
–
essentiellement au manque de disponibilité d’un personnel trop occupé par des tâches quotidiennes plus urgentes aux
dépens du projet d’innovation. En outre,
l’efficacité des structures intermédiaires
comme les équipes projet ou les équipes
pluridisciplinaires est largement prouvée
dans les pratiques du management du
changement et de l’innovation.
Partenaires :
Pour un projet d’innovation, la plupart des
entreprises font appel à des consultants. Les
prestataires sont bien placés aussi, ainsi que
les clients. Par contre, les concurrents, les
universités et les laboratoires de recherche
sont peu cités. Pourtant leurs apports peuvent être complémentaires de ceux des cabinets de conseil. Les entreprises devraient
donc élargir leur réseau de partenariat dans
les projets d’innovation vers une plus
grande variété de partenaires.
Implication du personnel :
59 % des entreprises répondantes affirment suivre une démarche participative
pour le personnel opérationnel en logistique dans les projets d’innovation (Figure
12). Ce résultat est à notre avis totalement
biaisé et dû à ce qu’on appelle “l’attraction
de la réponse positive” ou alors à une mauvaise compréhension de ce que c’est que
“la démarche participative”. En effet, on a
vu dans les résultats précédents que l’aspect humain est peu pris en compte dans
les projets d’innovation, ce qui est contradictoire avec toute démarche participative.
D’ailleurs, moins de 20 % des répondants
affirment préparer le personnel opérationnel aux projets d’introduction des nouvelles technologies par la démonstration des
possibilités de gains d’origine humaine et
pas seulement technique, et seulement
23 % par une démarche consultative. On
note aussi, que dans seulement 39 % des
entreprises, il existe une politique de communication des indicateurs de performance du projet, et donc dans le reste des
cas, le personnel n’est pas informé des
éventuels avantages apportés par l’innovation. Par contre, une majorité des entreprises (55 % des grandes entreprises, et 63 %
des PME) font une campagne de formation
à la nouvelle technologie. Ce taux reste
néanmoins insuffisant car la formation devrait être systématique lors d’un projet
d’innovation : un personnel non formé à la
nouvelle technologie est un facteur
d’échec pour l’utilisation de cette technologie dans l’entreprise.
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Quant aux conséquences de l’introduction
d’une nouvelle technologie en logistique sur
le reste de l’entreprise, celles-ci sont prises en
compte dès la phase d’initiation du projet dans
66% des cas, étudiées lors de l’implémentation de la technologie dans 25% des cas et
constatées après l’exploitation de la technologie dans 18% des cas. Sachant que ces
réponses comportent un biais inhérent à la
nature de la question, on peut dire que les
conséquences de l’innovation sont prises en
compte assez tardivement dans le processus
d’introduction de la technologie dans une
majorité des entreprises.
–
Méthodologie :
Il n’existe pas de méthodologie connue pour
l’introduction des nouvelles technologies
dans les systèmes logistiques. On pouvait
penser que certaines entreprises avaient développé des méthodes ou des “guides” pour
l’innovation en logistique, mais cette enquête
prouve le contraire, du moins en ce qui
concerne les entreprises interrogées. En effet,
on avait posé la question libre : quelle(s)
méthodologie(s) d’intégration des nouvelles
technologies utilisez-vous pour l’introduction
d’une nouvelle technologie?
Seulement le tiers des enquêtés ont répondu à
la question. De plus, aucun n’a donné une
méthodologie précise mais ils ont surtout cité
les groupes projets, l’appel à des consultants,
“le bon sens”, “la méthodologie empirique”,
etc.
Par contre, 81 % des entreprises affirment procéder à des expériences pilotes pour l’introduction d’une nouvelle technologie, ce qui
constitue un taux satisfaisant. En effet, l’expé-
Figure 12 - Comment le personnel opérationnel en logistique est-il
préparé / participe-t-il aux projets d’introduction d’une nouvelle
technologie ?
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Figure 13 - Comment classez-vous ces critères de choix
pour une nouvelle technologie ?
Enfin, parmi les critères de choix les plus
importants pour l’adoption d’une nouvelle
technologie, la compatibilité avec l’existant
vient en premier lieu (Figure 13). Cette considération n’est pas favorable à l’introduction
de nouvelles technologies impliquant un
changement radical.
l
rience pilote permet d’appliquer le changement sur une part assez faible de l’activité
pour ne pas compromettre le fonctionnement
du système logistique de l’entreprise si le projet ne se déroule pas comme prévu. Les problèmes qui apparaissent ont moins de
conséquences néfastes et sont résolus avant
d’étendre l’expérience sur tout le système.
l
Facteurs de succès
La majorité des enquêtés pensent que le facteur de réussite le plus important d’un projet
d’innovation technologique est l’engagement
de la direction, loin devant les autres facteurs
de succès proposés : la vision commune parmi
tous les acteurs, l’implication et la motivation
des employés, une bonne synergie avec les
autres fonctions et enfin la précision des
objectifs et des indicateurs qui est très peu
citée. Ce résultat est probablement lié au fait
que les enquêtés expliquent l’échec des projets d’innovation par le manque d’engagement de la direction qui est probablement dû à
l’éloignement structurel de celle-ci par rapport aux réalités technologiques et opérationnelles de l’innovation en logistique. De plus,
les dirigeants qui sont en position d’effectuer
les choix technologiques en logistique ne sont
généralement pas compétents sur le sujet. La
présence d’une compétence directe en matière
d’innovation en logistique est donc un facteur
de succès important.
On a aussi noté que les grandes entreprises
citent le facteur vision commune dans 76 %
des cas alors que les PME ne le citent que dans
53 % des cas. En effet, il est plus difficile
d’instaurer une vision commune parmi tous
les acteurs du projet dans les grandes structures complexes caractéristiques des grandes
entreprises que dans les structures plus petites
et plus simples des PME.
72
Evaluation de l’innovation
Les méthodes d’évaluation utilisées pour les
projets d’innovation technologique restent
très classiques et concernent dans 90% des cas
le calcul d’indicateurs de performance à court
ou moyen terme (gain en délais, en coût ou en
productivité). Or, on sait que les apports d’une
innovation ne sont pas toujours calculables
par des indicateurs.
Les enquêtes de satisfaction des clients et les
réunions d’évaluation avec tous les acteurs du
projet ne concernent que la moitié des entreprises interrogées.
Les enquêtés ne citent pas d’autre méthode
originale d’évaluation des projets d’innovation.
Les freins à l’innovation en logistique et les
problèmes rencontrés
L’innovation technologique bouleverse les
habitudes et met en cause les règles établies
dans l’entreprise. Or la plupart des entreprises
ont une organisation mécaniste, très marquée
par l’importance des procédures et des normes et du contrôle hiérarchique. Ce type
d’organisation est spontanément conservatrice et n’est pas très propice à l’apparition de
l’innovation.
l
Réticence et freins à l’innovation
Le taux de réticence à l’innovation cité par les
enquêtés est assez important, sachant que le
chiffre obtenu est certainement sous-évalué par
rapport à la réalité. En effet, 43 % des enquêtés
affirment qu’il y a une réticence à l’innovation
de la part du personnel exécutant, et 26 % de la
part des décideurs. Pour ces derniers, le refus
est dû au pragmatisme et à l’attachement aux
choix traditionnels qui font fonctionner
l’entreprise. Concernant le personnel exécutant, il s’agit essentiellement de la mise en
cause des compétences et de l’attachement à la
tradition donc de la peur du changement
(Figure 14). L’innovation technologique
impose en effet une reconversion plus ou moins
importante des métiers et dont la perception
subjective peut être amplifiée par l’attachement aux routines habituelles. On note que les
motivations de la réticence à l’innovation ne
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Logistique & Management
sont pas les mêmes pour les grandes et petites
entreprises. Pour ces dernières, c’est surtout
l’attachement aux concepts traditionnels, alors
que pour les grandes entreprises, il s’agit surtout de la crainte de l’échec, probablement
parce que l’échec d’un projet d’innovation
dans une grande structure entraîne des conséquences plus graves étant donné le poids
important des investissements liés aux projets.
Les principaux freins à l’innovation technologique en logistique sont les conflits dans les
priorités, le manque de disponibilité du personnel, les ressources financières limitées et
l’incompatibilité avec l’existant. Par contre, la
complexité des nouvelles technologies et leur
évolution trop rapide ne semblent pas faire
peur aux entreprises dans le domaine de la
logistique (Figure 15).
Figure 14 - Quelles sont les deux motivations les plus importantes de
la réticence à l’innovation (personnel exécutant) ?
Figure 15 - Quels sont les freins à l’innovation technologique
en logistique ?
On note ici des différences significatives entre
grandes et petites entreprises. Dans ces dernières, le problème de manque de disponibilité du personnel est plus important, et peut
s’expliquer par un effectif plus réduit et le
manque de moyens financiers qui réduit la
possibilité de recruter quelqu’un spécialement pour un projet d’innovation. Par contre,
le problème d’incompatibilité avec l’existant
se pose moins car les systèmes informatiques
sont moins complexes que dans les grandes
entreprises et donc plus faciles à modifier.
l
Les problèmes rencontrés
Les difficultés rencontrées par les entreprises
lors des projets d’innovation technologique
en logistique sont principalement d’ordre
organisationnel et non technique comme on
pourrait le penser. En effet, le problème le plus
cité par les enquêtés est le manque de disponibilité du personnel, suivi des problèmes
d’argent, d’organisation et de communication. Par contre, l’aspect technologie et
connaissances ne pose semble-t-il pas beaucoup de problèmes aux entreprises.
Figure 16 - A quel stade du processus d’innovation
rencontrez-vous le plus de problèmes ?
Le stade du processus d’innovation où les
entreprises rencontrent le plus de difficultés
est l’implémentation de la technologie dans
l’organisation. Les causes que l’on peut en
tirer sont :
1. le manque de méthodologies d’introduction des nouvelles technologies : cette introduction se fait de façon non structurée,
sans référence à un “guide d’introduction
des nouvelles technologies”,
2. le manque de prise en compte de l’aspect
humain,
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3. l’insuffisance de formation à la nouvelle
technologie
73
Logistique & Management
La sélection de la technologie la plus
appropriée semble aussi poser problème et
peut être expliquée par une insuffisance
d’accès à l’information.
Il est intéressant pour cette question de comparer les réponses des grandes et petites entreprises. Comme le montre la Figure 16, les
résultats sont assez opposés pour les deux stades du projet d’innovation suivants :
– l’exploration de la plage des options technologiques disponibles qui est nettement
plus problématique pour les PME : en effet, elles ont plus de difficultés d’accès à
l’information (réseau de connaissances
plus petit, moindre adhésion à des associations professionnelles, moins d’accès aux
congrès et colloques pour raisons financières, etc.).
– l’opérationnalisation de la technologie et
l’apprentissage de sa meilleure utilisation
qui pose plus de problèmes pour les grandes entreprises : en effet, les PME ont une
structure plus souple qui conduit à une
communication plus facile, à moins de
dysfonctionnements et d’obstacles entre
les niveaux hiérarchiques, etc.
Les principales tendances
dégagées
Cette enquête nous a permis de constater qu’il
y a aujourd’hui une grande prise de conscience de la part des entreprises de l’intérêt de
l’innovation technologique en logistique.
D’ailleurs, la plupart d’entre elles sont prêtes
à collaborer avec d’autres entreprises, petites
ou grandes, pour réaliser des projets d’innovation en logistique. Mais, si le désir d’innover
est très grand, les projets d’innovation ne sont
toujours pas conduits par une stratégie globale, mais constituent souvent une réponse à
la demande ou à l’exigence d’un client ou une
initiative du responsable logistique. De plus,
si l’objectif direct des entreprises dans les projets d’innovation réels est la recherche de la
performance et en particulier l’amélioration
de la qualité de service à court ou moyen
terme, elles n’ont pas encore compris tout ce
que les nouvelles technologies et les méthodes
modernes de management et d’organisation
peuvent leur apporter comme avantages
concurrentiels ou facteurs de différenciation à
long terme. On rapprochera ces observations
des nouveaux critères de performance logistique et des pratiques communes aux stratégies logistiques des leaders cités par Mesnard
et Pfohl (15).
74
Par ailleurs, nous avons constaté une contradiction entre le désir d’innover et les réalisations concrètes dans le domaine de la
logistique. En effet, certaines technologies
qui sont aujourd’hui tout à fait opérationnelles
et qui ont fait leurs preuves, sont rarement
implantées dans les systèmes logistiques.
Comme l’a souligné un fournisseur de solutions informatiques pour la logistique, il y a
aujourd’hui plus de technologies disponibles
sur le marché que ne peuvent intégrer les systèmes logistiques à cause de différents freins
et problèmes, en particulier l’incompatibilité
avec les systèmes d’information existants.
La majorité des entreprises ont une stratégie
d’innovation en logistique de type radical aux
dépens de l’innovation continue ou incrémentale qui présente l’avantage de permettre à
l’organisation d’assimiler un changement
moins brutal, introduit progressivement dans
l’entreprise. Cette absence de politiques de
progrès continu dans les systèmes logistiques
est préjudiciable pour les entreprises comme
le montre l’enquête américaine de Bowersox
(8) qui considère le changement continu et
permanent comme un critère d’excellence en
logistique.
Les freins et problèmes rencontrés lors des
projets d’innovations sont surtout organisationnels et méthodologiques. En effet, si
l’aspect technique et les connaissances posent
apparemment peu de difficultés aux entreprises, la disponibilité du personnel, l’organisation ainsi que la communication semblent être
des problèmes majeurs. De plus, les entreprises ne disposent pas de supports méthodologiques ou de méthodes d’aide à l’introduction
des nouvelles technologies dans les systèmes
logistiques. Leurs collaborations dans ce
domaine sont d’ailleurs souvent limitées aux
entreprises de conseil ainsi qu’aux prestataires de services logistiques.
On constate par ailleurs que les nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont pris une importance
considérable en logistique aux dépens des
autres technologies plus classiques telles que
les technologies de manutention ou de transport. Les NTIC sont l’objet de la majorité des
besoins exprimés en innovation technologique en logistique mais aussi des projets
d’innovation concrets. Par conséquent, les
entreprises sont confrontées aux problèmes
d’incompatibilité des différentes solutions
informatiques qui leur sont proposées. Elles
s’orientent de plus en plus vers des solutions
globales à l’aide de systèmes informatiques
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Logistique & Management
totalement intégrés comme les SCM (outils de
Supply Chain Management) qui gèrent
l’ensemble de la chaîne logistique ou les ERP
(Enterprise Resource Planning) qui eux prennent en charge tous les aspects de l’entreprise.
Par conséquent, les entreprises vont être amenées à restructurer les processus et les fonctions logistiques et donc à introduire des
innovations organisationnelles dans leur système logistique parallèlement à l’adoption de
nouveaux systèmes d’informations.
L’enquête a en outre montré que l’aspect
humain est peu pris en compte dans les projets
d’innovation technologique en logistique. En
effet, le rôle de l’homme dans le processus
d’introduction des nouvelles technologies est
considéré par 85 % des entreprises comme
secondaire par rapport à celui du système
d’information et de communication. Ceci
constitue en fait l’une des premières raisons
des échecs des projets d’innovation en logistique. Là encore l’enquête de Bowersox (6)
confirme l’importance du facteur humain
dans la réussite des projets et l’atteinte de
l’excellence pour les entreprises.
Par ailleurs, l’accès à l’information en matière
de nouvelles technologies pour la logistique
se révèle insuffisant. En effet, la notion de
veille technologique en logistique n’est pas
réellement établie, et l’intérêt que portent les
entreprises aux nouveautés dans ce domaine
n’est pas systématique. Il se réduit dans la plupart des cas aux revues professionnelles nationales ainsi qu’aux congrès et colloques
français, ou encore à l’adhésion à des associations. L’accès à l’information internationale
est insuffisant à une époque où elle est accessible au plus grand nombre, d’autant plus que
nombre des innovations en logistique nous
viennent d’outre-Atlantique.
Il faut également remarquer que certaines
innovations technologiques d’actualité ne
sont curieusement pas citées par les répondants, ou du moins sont noyées dans la catégorie “Autres”. Il s’agit en particulier de
technologies comme la traçabilité, pourtant
essentielle à certaines activités logistiques.
Il y a un retard évident des PME sur les grandes entreprises dans le domaine de l’innovation technologique dans les systèmes
logistiques. Ce retard se traduit par des
besoins en technologies moins avancés que
ceux exprimés par les grandes entreprises, un
intérêt moins important aux nouveaux
concepts de management basés sur les NTIC
(l’ECR, le reengineering, la logistique
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intégrée…) et une adoption plus tardive des
technologies.
Néanmoins, les PME bénéficient de plusieurs
avantages potentiels pour l’innovation technologique par rapport aux grandes entreprises. Ces avantages sont principalement liés à
leur structure plus souple qui favorise la communication ainsi que la prise en compte de
l’aspect humain. Le handicap des PME reste
le manque de moyens et le manque d’accès à
l’information.
Enfin, la place de la fonction logistique dans
l’organisation, éminemment variable et évolutive, ainsi que sa propension à participer aux
décisions stratégiques (11) jouent certainement un rôle déterminant dans son aptitude à
intégrer et développer l’innovation.
Conclusions
Cette enquête nous a permis de faire le point
sur la situation de l’innovation technologique
en logistique dans les entreprises françaises
de production et de distribution. Même si la
majorité des entreprises ont compris l’importance des innovations technologiques pour la
logistique d’un point de vue de la compétitivité, on constate un écart important entre le
discours et les réalisations concrètes, surtout
parmi les PME.
L’enquête permet de suggérer une grille de
lecture décisionnelle (3) permettant aux dirigeants d’orienter leur choix d’un processus
d’innovation logistique.
Se construire une grille d’évaluation de
l’importance de l’innovation logistique dans
la dynamique stratégique de l’entreprise en
évaluant le poids des processus logistiques
dans la chaîne de valeur de l’entreprise, et à
partir de là, de l’impact compétitif d’une
action d’innovation dans ce domaine.
Se donner des moyens de veille et d’appréciation sur la gamme disponible et les tendances
d’évolution des nouvelles technologies de
l’information et de la communication qui attirent le plus les entreprises malgré les freins et
les difficultés d’implantation qu’elles peuvent
générer. Comment choisir et acquérir des
solutions fiables, globales et évolutives pour
leurs systèmes logistiques ? Est ce qu’une
partie de ces besoins peut être réalisée à l’aide
des systèmes de gestion intégrés de la logistique, comme par exemple les SCM et les
ERP ?
Se donner les moyens de mettre en cohérence
les choix technologiques retenus pour l’inno-
75
Logistique & Management
vation en logistique, qu’ils soient d’origine
interne ou externe, et les processus logistiques
sur les plans organisationnel et humain (4).
Cela implique par les entreprises le choix et la
maîtrise de méthodologies de management du
changement organisationnel (9) et d’accompagnement de l’introduction des nouvelles
technologies.
La construction plus approfondie de cette
grille de pilotage de l’innovation en logistique
mériterait des travaux plus approfondis qui ne
pourraient pas s’appuyer sur une simple
enquête mais supposeraient alors l’élaboration de dispositifs de suivi et d’animation
d’entreprises impliquées dans un tel processus.
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