Interview de Thierry Andretta CEO de Lanvin
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Interview de Thierry Andretta CEO de Lanvin
Interview de Thierry Andretta CEO de Lanvin Il est, depuis janvier 2009, à la tête de l'exécutif de Lanvin, après avoir été PDG de Moschino. Thierry Andretta avait également occupé ces fonctions en 2001, chez Céline dans le giron de LVMH et avait même été président des « emerging brands » (Alexander McQueen, Balenciaga, Stella McCartney) au sein du Gucci Group (PPR). Avec la mission de développer la maison Lanvin, dynamisée par la direction artistique d'Alber Elbaz, ce terrien pragmatique semble avoir trouvé l'équation qui lui correspond le mieux : entretenir un esprit familial pour faire croître la motivation au sein de ses équipes, comme auprès des partenaires de la marque. Fashion Daily News : Comment êtes-vous arrivé chez Lanvin ? Thierry Andretta : Le plus simplement du monde. Mme Wang m’a contacté via son avocat. Elle avait pensé à moi pour développer Lanvin. J’étais alors chez Moschino et je ne m’y attendais pas vraiment. Mme Wang est très intuitive. Pourtant, c’est une vraie femme d’affaires qui, au fond, n’a pas d’ego, dès qu’on prend le temps de lui expliquer les raisons d’une stratégie, elle réfléchit sincèrement à ce qui lui est dit. Bref, je suis heureux d’occuper ce poste, et elle aussi, je crois, puisque les résultats sont bons. FDN : Qu’est-ce qui vous a motivé pour accepter ce poste ? TA : La qualité du créateur à la direction artistique de la maison. Et le fait que la marque n’appartienne pas à un grand groupe. L’important, à mes yeux, c’est de travailler sur le long terme. Or, les grands groupes ont souvent des logiques davantage ciblées sur des échéances à plus court terme. FDN : En quoi consiste votre mission et comment la menez-vous ? TA : Accélérer le développement de Lanvin. Pour moi, cela signifie renforcer sa cohérence, regarder dans le détail l’ensemble des points de vente de façon un peu moins liée uniquement à l’image forte du prêt-à-porter. Le développement des accessoires fait partie de cette stratégie. En effet, le sac par exemple peut ne pas être lié à un cycle de vie d’une seule saison. Cela autorise davantage de stocks disponibles. Les accessoires permettent surtout d’augmenter le chiffre d’affaires au mètre carré, sans pour autant mettre l’image en péril. Actuellement, 50 % de notre chiffre d’affaires vient du prêt-à-porter, et 50 % des accessoires. Sur les trois dernières années, tout en maintenant la croissance sur le prêt-à-porter, nous avons connu une progression plus importante des accessoires. À terme, le prêt-à-porter représentera 40 % et l’accessoire, 60 %. C’est notre but affiché. Dans les marchés où la distribution est déjà prête à absorber un développement par catégories, comme aux États-Unis, où il y a eu une bonne exposition des chaussures, nous atteignons déjà cet objectif. Dans ce cadre, les sacs représenteront environ 25 %, les chaussures entre 20 % et 22 %. Le reste est constitué par les bijoux qui devraient réaliser un chiffre non négligeable chez nous, et encore par beaucoup de petits accessoires que nous n’avons pas encore travaillés. En ce qui concerne les sacs, il faut les voir en showroom : la diversité des produits y est plus évidente que sur les défilés. Selon les mêmes inspirations, ils sont déclinés dans d’autres thèmes, pensés pour une utilisation quotidienne, pour le jour. FDN : Vous parlez des défilés. Pouvez-vous préciser leur fonction aujourd’hui ? Pourrait-on se passer de cette forme de présentation ? TA : Pas chez nous. Les défilés sont des moments essentiels. C’est toujours un événement qui permet un focus. Et, surtout, c’est le défilé qui insuffle son évolution à la marque. Les précollections doivent garantir notre développement sur le marché. Il leur faut une grande adéquation avec nos objectifs, et nous y travaillons fortement en équipe avec Alber. La pré- collection part toujours d’une inspiration liée au défilé de la saison précédente. Elle en est comme une évolution. Pour le défilé suivant, Alber Elbaz est totalement libre d’aller dans la direction créative qu’il envisage, pour continuer de faire rêver nos clientes afin qu’elles puissent interpréter notre mode de la manière la plus ouverte possible. Même si les chiffres réalisés par les ventes de cette collection ne sont pas comparables à ceux de la pré-collection, le rôle du défilé, c’est d’orienter l’évolution de la marque, de s’autoriser l’inattendu, d’oser le différent. FDN : Les accessoires mis à part, avez-vous d’autres projets de diversification ? TA : Nous venons de lancer, pour le printemps-été 2012, la petite fille (4-10 ans). La logique qui préside à ce choix, c’est le fameux logo (Ndlr : celui qui figure sur le flacon d’Arpège, par exemple) dérivé d’une poupée qui est toujours dans le bureau de Jeanne Lanvin et qui la représente avec sa fille. Nous attendrons plusieurs saisons avant de penser, éventuellement, au garçonnet. FDN : En ce qui concerne les collections masculines, quelle part de votre activité représentent-elles aujourd’hui et selon quelle réflexion les développez-vous ? TA : L’homme représente entre 32 % et 35 % de notre chiffre global mode. Chez Lanvin, il y avait deux volets pour l’homme. D’un côté, la tradition : depuis 1926, il existe un service de grande mesure au 15, rue du Faubourg Saint-Honoré. C’est un service impeccable, comme il se doit, auquel Lanvin ajoute l’adresse la plus prestigieuse au monde, puisque les pièces sont entièrement réalisées sur place. Ces classiques, très haut de gamme, vivaient de manière un peu séparée de l’homme Lanvin moderne, actuel, dynamique. Depuis mon arrivée, nous avons essayé d’accélérer le développement de l’homme en le rationalisant. Avec Lucas (Ossendrijver) et Alber, nous avons œuvré au rapprochement des deux équipes, jusqu’à les faire travailler ensemble, réduit légèrement les collections et poursuivi ce processus jusqu’à unifier les showrooms. Aujourd’hui, les deux collections sont complètement intégrées. C’est cela qui leur a donné davantage de succès depuis deux saisons. Je dirais qu’il y a aussi une envie par rapport à l’émergence d’une marque masculine qui ne soit pas italienne. En termes de distribution, les clients en ont un peu assez de la surpuissance des Italiens. FDN : Vous avez également pris des initiatives au niveau de la Fédération dans le domaine de la mode masculine. Pouvez-vous raconter cette expérience ? TA : Avec Patrick Thomas (Hermès), nous essayons, pour les défilés des créateurs masculins, de faire venir les acheteurs les plus importants. Paris est déjà la capitale incontournable pour la mode féminine. Pour l’homme, c’est encore Milan. Alors, chaque maison qui fait de la mode masculine a invité ses principaux acheteurs aux défilés masculins la saison dernière. Nous avons fourni à chacun une voiture avec chauffeur, puis avons recueilli leurs avis. C’est incroyable combien ces sondages informels nous ont révélé que pour l’accueil, Paris arrivait loin derrière Milan. La conjonction de l’éclatement des lieux des défilés avec l’amabilité toute relative des taxis parisiens fait que les chauffeurs de grande remise se sont avérés particulièrement précieux. À Paris, les pouvoirs publics ne soutiennent pas autant les maisons de mode dans l’accueil des acheteurs internationaux que d’autres capitales. C’est d’autant plus dommage qu’il y a, sur ce créneau, un vrai potentiel. Les marques italiennes présentent trop d’uniformité. Il y a donc besoin d’originalité, d’un peu plus de romantisme et de se prendre un peu moins au sérieux. FDN : Ne pas se prendre au sérieux, est-ce aussi la règle qui a présidé à la dernière campagne de publicité Lanvin qu’Alber Elbaz conclut en dansant avec les mannequins ? TA : C’est lui qui dirige toutes les campagnes. En l’occurrence, c’est de sa complicité avec Steven Meisel qu’est née cette séquence où il s’est mis lui-même à danser. Elle colle bien à cette envie que nous avons de rendre le luxe moins intimidant, de le désacraliser, comme nous le faisons également, par exemple, dans la conception de nos vitrines ou dans la notion d’accueil dans nos magasins. FDN : Vous avez réalisé l’an dernier une opération avec l’enseigne d’entrée de gamme H&M. Dans le même but ? TA : C’est une opération qui a bénéficié à la notoriété des deux partenaires. Pour nous, l’intérêt n’était pas de prime abord économique, puisque, par exemple, nous avons tenu à ce que toutes les robes soient doublées en 100 % soie pour donner le goût du luxe à une cible jeune élargie. Il s’agit d’une opération qui, potentiellement, portera ses fruits dans dix ans : 200 millions de contacts avant la mise en boutique de la collection, 30 millions de pages imprimées le week-end où le produit a été dévoilé et une présence incroyable sur les nouveaux médias, ça compte. FDN : Sur le plan de la distribution, quelle stratégie adoptez-vous ? TA : C’est très simple. Nous sommes sans doute la marque de luxe qui a le plus limité le nombre de ses partenaires à travers le monde. Nous réalisons tout notre chiffre avec 400 clients seulement. Si nous sommes aussi sélectifs, c’est que nous essayons de comprendre le potentiel de chacun. Même s’il est aujourd’hui petit ou moyen, nous essayons de projeter ses perspectives de croissance. Ils nous ont suivis ou sont appelés à nous suivre dans un développement commun. Si nous n’en perdons pas, c’est qu’ils arrivent vraiment à bâtir quelque chose. Avec chaque client partenaire, nous envisageons de grandir ensemble. Par exemple, lorsque l’on décide de vendre davantage d’accessoires, on ne va pas chercher un autre client, mais expliquer à celui qui existe que c’est sur cette gamme de produits que nous souhaitons de la croissance. Jusqu’à présent, leurs réponses ont toujours été positives. Idéalement, nous souhaitons conserver le même client demain qu’aujourd’hui. Mais, progressivement, nous voulons qu’il nous dédie de l’espace. Lanvin devient alors presque un « shop in shop » et lorsqu’il y a un vrai potentiel, le client devient un franchisé. C’est notre logique et, aujourd’hui, nous avons vraiment les meilleurs du marché. Toute marque est heureuse, par exemple, d’être vendue au 10, Corso Como, à Milan. Lanvin est encore plus fière d’y réaliser un chiffre de plusieurs centaines de milliers d’euros, là où d’autres se contentent d’une présence relayée par 24 paires de chaussures. Nos 400 bons partenaires, même dans ces années difficiles, ont réussi à continuer d’évoluer. C’est une question de sensibilité par rapport au produit. Les nôtres sont tellement sophistiqués qu’il faut convaincre la clientèle de les essayer. C’est la raison pour laquelle nous ne recherchons pas particulièrement les emplacements où il y a beaucoup de passage. Nous ouvrons également des boutiques en propre, aux États-Unis, où nous n’en avions presque pas, comme en Chine, le marché du futur, où nous voulons investir en propre au moins les premières et deuxièmes villes. FDN : Historiquement, le parfum a occupé une place importante chez Lanvin. Où en êtes-vous aujourd’hui ? TA : Avec Interparfums, nous connaissons une formule mixte : leur siège est aujourd’hui encore à l’adresse où se sont installés initialement les Parfums Lanvin et la licence a été achetée par le rachat de notre part à L’Oréal. Mais c’est une formule qui fonctionne comme une licence. Interparfums est en train de faire un bon travail, et les chiffres ont bien augmenté. Plus 31 % l’an dernier, plus 30 % sur le premier semestre 2011, c’est plutôt bon, surtout sans aucun lancement sur ce semestre. L’objectif dans les deux ou trois années à venir, c’est de dépasser la barrière des 100 millions d’euros dans le parfum. Nous serons alors dans les 40 premières marques en Europe et pourrons vraiment entrer dans les duty free. Ça aide. Propos recueillis par Jean Paul Cauvin – Photo : Pixelformula Dates clés 1889 : Jeanne Lanvin s’installe comme modiste au 16 rue Boissy d’Anglas, à Paris. 1901 : Premier costume d’académicien réalisé pour Edmond Rostand. 1908 : Ouverture du département costumes d’enfant. 1909 : Ouverture du département jeune fille et femme. Désormais couturière à part entière, Jeanne Lanvin adhère à la Chambre Syndicale de la Couture. 1920 : Création de Lanvin Décoration avec Armand Albert Rateau au 15 rue du Faubourg Saint-Honoré. 1924 : Création de Lanvin Parfums au 4 Rond-Point des Champs-Élysées. 1926 : Création de Lanvin tailleur homme. 1927 : Lancement du parfum Arpège. 1989 : La Midland Bank rachète Lanvin à la famille. 1990 : Achat de parts de la société par L’Oréal - Orcofi. 1996 : L’Oréal devient le principal propriétaire de la marque. 2001 : Madame Shaw-Lan Wang rachète Lanvin au groupe L’Oréal. 2001 : Alber Elbaz prend la direction artistique. 21/10/2011 - Fashion Daily News