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Y. Chiffoleau L’économie de services contribue au développement durable Yuna Chiffoleau, sociologue, impliquée dans la recherche de réponses par les agriculteurs aux demandes de la société. econnaître la « multifonctionnalité » de l’agriculture en 1999 était une première étape. L’enjeu est aujourd’hui de considérer pleinement le secteur agricole comme moteur d’une économie de services, aux personnes comme aux collectivités, dans un contexte en forte mutation. Les membres du réseau Trame n’ont pas seulement répondu à de nouvelles attentes : en tant que « pionniers » innovants, ils ont aussi su proposer une large offre de services inédits, attirant un public varié, montrant par là que l’on peut aujourd’hui être acteur du marché et pas seulement soumis aux pressions de la « demande », même dans un contexte de crise. Face à une société « hypermoderne » en quête de sens et de lien social, soucieuse vis-à-vis de sa santé et son alimentation, intéressée par les activités combinant dimensions culturelle et ludique, le secteur agricole a des ressources et des compétences à faire valoir, comme l’illustrent les initiatives des adhérents des réseaux de Trame présentées dans ce dossier. R Des acteurs divers, pour des projets ambitieux Vente de produits de qualité en circuits courts, éducation à l’environnement, au goût et à l’équilibre alimentaire, inser- tion de personnes en difficulté, préparation de repas et livraison aux personnes âgées isolées ou aux entreprises, approvisionnement des cantines scolaires, production et diffusion d’énergies renouvelables… : la liste des nouveaux services proposés par les agriculteurs est riche, renouvelle une offre plus ancienne telle que l’accueil ou l’hébergement, et sans cesse est complétée par de nouvelles idées. Il aura toutefois fallu à certains le courage de montrer que tout en maîtrisant le cœur du métier agricole, qui consiste à produire, producteurs et exploitations agricoles peuvent aussi porter des projets plus ambitieux. Les nouveaux venus en agriculture, issus d’un autre métier et/ou de zones urbaines, ainsi que les conjointes d’agriculteurs ou les femmes qui s’installent chefs d’exploitation ont joué un rôle clé en ce sens. Ils sont rejoints aujourd’hui par des profils très variés, porteurs de projets toujours plus divers, ce qui aide à légitimer un nouveau rôle et de nouvelles fonctions pour le secteur agricole. Yuna Chiffoleau est sociologue à l’Inra AgroSup Montpellier, membre du comité scientifique et technique des Organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR) et animatrice du groupe Alimentation circuits courts du Réseau rural français. Elle nous livrer son regard sur les activités de services réalisées par les agriculteurs. Au delà du revenu, une contribution à de « nouveaux indicateurs de richesse » Les services proposés par les producteurs permettent non seulement de dégager un revenu supplémentaire mais aussi de contribuer au développement durable des exploitations et des territoires. L’économie de services favorise en effet, entre autres, un apport de trésorerie et une moindre dépendance aux subventions directement liées à la production. En valorisant la relation avec les non-agriculteurs, elle contribue au rapprochement agriculture-société et villecampagne, favorise la création d’emplois et « PAR LEURS ACTIVITÉS DE le maintien d’un tissu rural actif, encourage SERVICES, LES AGRICULTEURS la reconnaissance soDONNENT DES RÉPONSES AUX ciale d’une profession souvent mise à mal. DEMANDES DE LA SOCIÉTÉ ». JUIN-JUILLET 2010 - TRAVAUX & INNOVATIONS NUMÉRO 169 Dossier Un certain regard… XXIII Un certain regard… C. Leschiera Les services proposés par les agriculteurs contribuent au rapprochement agriculturesociété et villecampagne. Elle permet ainsi de changer l’image du secteur agricole, ce qui peut aider à attirer des jeunes pour s’installer. Les initiatives développées notamment par les adhérents des réseaux de Trame témoignent aussi d’une plus grande prise en compte des enjeux environnementaux, locaux comme globaux, à travers la mise en valeur du patrimoine et la préservation des énergies fossiles. L’économie de services développée aujourd’hui par le secteur agricole doit ainsi s’évaluer à l’aide de « nouveaux indicateurs de richesse », de par sa contribution active à un « mieux vivre ensemble ». Une économie de services soumise néanmoins à des limites Proposer de nouveaux services suppose toutefois de nouvelles compétences, une bonne organisation du travail, des ressources spécifiques : le besoin de temps et de moyens pour assumer plusieurs métiers n’est pas toujours bien anticipé et la pression liée à la gestion et la maîtrise d’un système d’activités complexe peut générer stress et fatigue. Attention, alors, au mirage, dans un contexte où les medias peuvent avoir tendance à sur-valoriser les « success stories » ! De plus, la question du statut peut poser problème : la pluriactivité en agriculture reste difficile à faire XXIV reconnaître, d’autant plus que les activités développées, considérées encore par certains comme « secondaires » ou « marginales », font peu ou pas l’objet d’une production de références qui pourrait faciliter leur soutien. Plus fondamentalement, fournir toujours plus de services aux citoyens peut encourager leur tendance à l’hyperconsommation, qui caractérise aussi la société hypermoderne et génère de nombreuses externalités négatives, telles que le gaspillage ou la banalisation des produits consommés. Pistes et perspectives Donner du sens aux activités proposées, revendiquer les valeurs associées et les partager avec les consommateurs-citoyens, s’associer à d’autres, producteurs mais aussi acteurs du territoire, pour faciliter la mise en œuvre d’un projet ambitieux au service de la communauté, intégrer davantage de nouveaux venus et des personnes à faible niveau de ressources : ces quelques pistes, déjà mises en œuvre notamment par des adhérents de Trame, peuvent aider à construire une économie de services plus durable, source de cohésion sociale et pas seulement de nouveaux produits marchands. Forts de leur expérience, de la position d’intermédiaires qu’ils ont souvent au sein de la profession agricole et de leur ancrage dans les territoires, ces acteurs doivent continuer à montrer l’exemple et innover toujours davantage pour construire la société de demain. ■ Yuna Chiffoleau Chercheur en sociologie à l’Inra Inra Supagro Montpellier - 2 place Viala - 34060 Montpellier Cedex 2 – Tél. : 04 99 61 25 57 - [email protected] TRAVAUX & INNOVATIONS NUMÉRO 169 - JUIN-JUILLET 2010