Tiré à part n°180 - Rimbaud et Charleville aux mois d\`amour (pdf

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Histoire
Rimbaud et Charleville aux mois d’amour
« Nous sommes aux mois d’amour […]
Moi j’appelle cela du printemps »,
écrira Arthur Rimbaud le 24 mai 1870.
C’est surtout pendant son enfance et sa
prime jeunesse que Rimbaud a vécu à
Charleville. Tout a commencé « l’an mil
huit cent cinquante-quatre, le vingt du
mois d’octobre à cinq heures du soir
[…] Marie Catherine Vitalie Cuif âgée
de vingt-neuf ans est accouchée d’un
enfant du sexe masculin Jean Nicolas
Arthur ».
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N° 180 - mai 2014
Tel est le premier écrit non pas de mais sur
le poète. Voyageur, détestant Charleville, il y
vécut, il y écrivit, elle l’inspira et il y est inhumé.
Puisque nous sommes au mois de mai, suivons
les pérégrinations d’Arthur dans la cité carolo
pendant ces mois d’amour pour vérifier si :
Aux branches claires des tilleuls /
Meurt un maladif hallali 1.
Ah ! l’égoïsme infini de l’adolescence,
l’optimisme studieux 2
Le jeune Arthur et son frère font leurs études
primaires à l’institution Rossat, place Carnot
(Winston Churchill aujourd’hui), puis, en 1865,
les enfants entrent au collège municipal du
Saint-Sépulcre (place Jacques Félix). Le jeune
Arthur y fait de brillantes études. Il rafle de nombreux prix démontrant un réel talent pour le latin
et la rhétorique.
Arthur est en classe de troisième quand il
écrit, le 8 mai 1868, 60 hexamètres en latin
adressés au Prince impérial pour le féliciter de
sa communion. Le texte est perdu mais il fit
scandale auprès du précepteur du Prince qui se
plaignit auprès du principal. Rimbaud montrait
que, précoce, il était déjà irrespectueux envers
les règles et les usages.
Deux ans plus tard, un professeur de réthorique âgé de 22 ans arrive au collège : Georges
Izambard. Il a la charge de la classe de première, option littéraire, où étudie notre collégien.
Rimbaud lui montre régulièrement ses écrits et
son professeur l’encourage dans la lecture, lui
prêtant des livres. Mais ce n’est pas du goût de
la très rigide mère d’Arthur qui, le 4 mai 1870,
écrira à Izambard : « Il est une chose que je ne
saurais approuver, par exemple, la lecture
d’un livre comme celui que vous lui avez
donné il y a quelques jours. » Il s’agissait des
Misérables de Victor Hugo…
Dans le même temps, Rimbaud écrit trois
poèmes : Par les beaux soirs d’été, Credo in
unam et Ophélie. Le 24 mai 1870, il les envoie
à Théodore de Banville, poète et précurseur du
mouvement parnassien. Et notre jeune poète a
toutes les audaces ! Il lui écrit : « Cher Maître,
Nous sommes aux mois d’amour ; j’ai dix-sept
ans. […] Dans deux ans, dans un an peutêtre, je serai à Paris. Anch’io, messieurs du
journal, je serai Parnassien ! ». Ici, Arthur
Rimbaud montre son envie
de voyager, de quitter
Charleville où pourtant il
est revenu pour mieux
repartir. Quand il est dans
la cité carolopolitaine,
Rimbaud sent du plomb
alourdir ses semelles…
Provocateur, il termine sa
lettre : « Je ne suis pas
connu ; Qu’importe ? les
poètes sont frères. Ces
vers croient ; ils aiment ;
ils espèrent : c’est tout.
Cher maître, à moi :
levez-moi un peu : je suis
jeune : tendez-moi la
main… »
ues
r
s
o
n
e de
Histoir
Rue Jean-Baptiste Payer
Jean-Baptiste Payer, né le 3 février 1818 à Asfeld et
décédé le 5 septembre 1860 à Paris, est un des grands
noms de la botanique française au XIXe siècle. Botaniste
renommé, il eut également une courte carrière politique
sous la IIe République : il fut élu deux fois représentant
des Ardennes, en 1848 et en 1849.
La carrière universitaire
J’allais sous le ciel, Muse !
et j’étais ton féal 3
Arthur étouffe à Charleville. Après plusieurs
fugues à Paris qui l’ont conduit en prison, il
revient à Charleville en mai 1871 où il écrit le 15
de ce mois les deux célèbres lettres dites « du
Voyant » dans lesquelles Je est un autre et qui
prône la recherche de la vérité dans la poésie
par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.
Pour partir de Charleville, Rimbaud a utilisé
le train. La gare a été le point de départ et de
retour des fugues, des fuites, des escapades.
Enfant, il y faisait des promenades en famille.
Son square, lieu particulièrement fréquenté aux
beaux jours, donc en mai, par les
Carolopolitains et les Macériens (la musique
militaire de Mézières y donnait des concerts),
inspira à la musique, où Rimbaud écrit un
tableau satirique contre les
bourgeois oisifs et le conformisme, mais évoquant aussi
son désir amoureux.
Peut- être un Soir
m’attend…
Où je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient4 !
C’est le 8 mai 1891, mais
à Marseille, qu’Arthur
Rimbaud rentre en France. Il y
a longtemps qu’il n’écrit plus
de poèmes et s’est reconverti
en vendeur de peaux, en
explorateur et en marchand
d’armes. Mais une tumeur
cancéreuse à la jambe droite
va l’emporter. Son corps est
transféré dans les Ardennes
et il est inhumé dans le cimetière de Charleville.
Au tournant du siècle, en mai 1900, Madame
Rimbaud, 75 ans, décide de faire faire un
caveau neuf pour son père, sa fille Vitalie et son
fils Arthur. Elle interdit aux ouvriers de toucher
aux corps, procédant elle-même à la réduction
du corps de son père et de sa fille. Le cercueil
d’Arthur était encore intact, elle ne l’a donc pas
fait ouvrir. Elle écrivit : « Pas la plus petite
déchirure, à peine un tout petit peu noirci par
le contact de la terre… » Elle poursuit :
« Maintenant le voilà bien placé ; il durera
longtemps, à moins qu’il n’arrive quelque
chose d’extraordinaire, Dieu est maître. »
Charleville est, pour Arthur Rimbaud, une
sorte d’épanadiplose : la reprise au dernier vers
du début d’un poème. L’enfant y est né, le jeune
adulte y est inhumé. Dans la ville, les lieux en
lien avec le poète vous sont
sans doute connus : Musée
Rimbaud, cimetière avenue
Boutet, Maison des Ailleurs…
Ces espaces vous accueillent
où vous mettrez vos pas dans
les semelles éoliennes du poète
aux mois d’amour et aux autres
saisons.
Pour
Rimbaud,
Charleville était « la ville d’où
l’on part », elle est aujourd’hui la
ville qui préserve sa mémoire et
son histoire.
Jean-François Saint-Bastien
Pour la Société d’Histoire
des Ardennes
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Bannière de mai, Derniers Vers
Vingt ans, Les Illuminations
Ma Bohème
Le Pauvre songe
Descendant d’une importante famille de meuniers
ardennais, Jean-Baptiste Payer naquit dans le moulin de
la Tour à Asfeld. Unique garçon de la famille, il fit des
études de droit, puis accomplit ses humanités au collège
Saint-Louis à Paris. Bachelier, licencié en droit, il obtint en
1840 son doctorat ès sciences naturelles et fut chargé
cette année-là de la chaire de géologie et de minéralogie
de la faculté des sciences de Rennes.
Dès 1841, il fut promu maître de conférence à l’école normale supérieure et suppléant du professeur de Mirbel à la
Sorbonne. Il commence alors ses travaux sur l’organogénie végétale tout en ayant une collaboration à La Revue
indépendante.
Le représentant du peuple
Républicain très modéré, Jean-Baptiste Payer, qui
s’était placé à la tête de la contestation pour défendre
l’indépendance de l’Université, fut impliqué dès le début
dans la révolution de février 1848. Lamartine se l’attacha
dès le 23 février et le chargea de lire du balcon de la place
de Grève la déclaration proclamant l’instauration de la
République en France.
Lamartine, devenu ministre des Affaires étrangères, le
choisit comme chef de cabinet. Leur tâche commune
consista surtout à rassurer les cours européennes sur les
intentions du nouveau régime.
Le 23 avril 1848, Jean-Baptiste Payer fut élu représentant des Ardennes par un scrutin de liste départemental qui marquait l’établissement définitif du suffrage universel en France. Il fut réélu en mai 1849 à l’Assemblée
nationale, mais il s’éloigna peu à peu de la scène politique, déçu par le tour que prirent les événements après
l’échec de Lamartine à la présidence de la République.
L’académicien
Sous le Second Empire, Jean-Baptiste Payer reprit
sa carrière scientifique. Il fut reçu docteur en médecine
par la faculté de Paris et succéda à la Sorbonne à
Auguste de Saint-Hilaire et à Adrien de Jussieu dont il
réunit les deux cours. En 1854, il publia son ouvrage principal, un Traité d’organogénie végétale comparée de la
fleur.
La même année, il devint membre de l’Académie des
sciences. En 1857, il fut nommé chevalier de la Légion
d’honneur. Décédé à Paris en 1860 à seulement quarante-deux ans, il fut inhumé au cimetière Montparnasse.
Sur proposition d’André Lebon, député-maire de
Charleville-Mézières, son nom fut attribué en 1976 à une
voie nouvelle dans le lotissement du Mont-Olympe. à
Asfeld, sa ville natale, une place porte le nom de JeanBaptiste Payer depuis 1979. C’est aussi ce nom qui fut
donné au collège d’Asfeld en 1985.
Florent Simonet
Pour la Société d’Histoire des Ardennes
Bibliographie : Pierre Nibelle, Jean-Baptiste Payer, d’Asfeld
(1818-1860), Vienne, 1976, 24 p.
N° 180 - mai 2014
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